Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

À l’issue d’une audience contestée, le comité de déontologie a conclu que le membre visé avait commis six contraventions au code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada, lesquelles mettaient toutes en cause des femmes qui avaient eu affaire à lui en tant que clientes. Quatre de ces contraventions étaient relativement mineures : deux concernaient l’utilisation abusive et non autorisée de bases de données policières et la divulgation subséquente de renseignements à des personnes non autorisées; la troisième, une remarque déplacée; et la quatrième, le fait d’avoir passé un temps excessif (deux heures) à traiter une plainte relativement mineure, d’avoir participé à une conversation de nature personnelle et de s’être livré à des comportements dragueurs qui ont mené à une invitation de revenir à laquelle le membre est retourné chez la cliente après son quart de travail pour avoir une relation sexuelle consensuelle avec elle.
Deux des six contraventions étaient beaucoup plus graves. La première concernait un manquement à une obligation fiduciaire. Le membre visé et son partenaire ont répondu à une demande de service qui les a amenés à la résidence d’une femme soupçonnée de vouloir se suicider. Plus tard dans la journée, ils sont retournés voir comment elle allait et l’ont découverte inconsciente, avec un flacon de médicaments vide près d’elle. Ils ont fait venir les services médicaux d’urgence, et le membre visé l’a accompagnée à l’hôpital. Quelques jours plus tard, il est retourné à sa résidence alors qu’il n’était pas de service et a eu une relation sexuelle consensuelle avec elle.
La deuxième contravention grave consistait en l’omission de fournir les soins appropriés pour une femme très ivre qui affirmait avoir été agressée sexuellement deux heures plus tôt et qui s’inquiétait d’avoir des saignements vaginaux. Le membre visé était seul avec elle dans un stationnement bondé en plein jour et ne lui a pas procuré les soins médicaux appropriés. La cliente a plutôt baissé son pantalon de jogging, s’est couchée sur la banquette arrière du véhicule de police et a levé les jambes pour que le membre visé puisse examiner ses parties génitales. Le membre visé a par la suite désobéi aux instructions de son superviseur, qui lui avait demandé de donner suite à la plainte d’agression sexuelle de la cliente.
Aucun facteur atténuant n’a été présenté. Le fait que le membre visé avait déjà fait l’objet de mesures disciplinaires simples pour des contraventions connexes a été retenu à titre d’un lourd facteur aggravant. Le membre visé s’est vu sommé de démissionner dans les quatorze jours, à défaut de quoi il serait congédié. Il n’a pas démissionné et a été renvoyé de la Gendarmerie.

Contenu de la décision

Protégé A

Numéro de dossier OGCA : 2015-336180

Citation : 2015 DARD 1

Logo de la Gendarmerie royale du Canada

AUDIENCE DISCIPLINAIRE

DANS L’AFFAIRE INTÉRESSANT

LA LOI SUR LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

Entre :

Commandant de la Division E

Autorité disciplinaire

- et -

Gendarme Daniel Marshall, numéro de matricule 57827

Membre visé

Décision du Comité de déontologie

Inspecteur James Robert Knopp, comité de déontologie

Le 14 mars 2016

Mme Julie Roy, représentante de l’autorité disciplinaire

M. Colin Gusikoski, représentant du membre


Table des matières

Résumé  3

Introduction  5

Avis d’audience disciplinaire  5

Motions préliminaires  10

Preuve et témoignages  12

Motion de non-lieu  21

Décision sur la motion de non-lieu  22

Argumentations de la RAD  23

Argumentations du RM  27

Décision sur les allégations  31

Décision sur les mesures disciplinaires  41

Mesure disciplinaire imposée  46

 

Résumé

À l’issue d’une audience contestée, le comité de déontologie a conclu que le membre visé avait commis six contraventions au code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada, lesquelles mettaient toutes en cause des femmes qui avaient eu affaire à lui en tant que clientes. Quatre de ces contraventions étaient relativement mineures : deux concernaient l’utilisation abusive et non autorisée de bases de données policières et la divulgation subséquente de renseignements à des personnes non autorisées; la troisième, une remarque déplacée; et la quatrième, le fait d’avoir passé un temps excessif (deux heures) à traiter une plainte relativement mineure, d’avoir participé à une conversation de nature personnelle et de s’être livré à des comportements dragueurs qui ont mené à une invitation de revenir à laquelle le membre est retourné chez la cliente après son quart de travail pour avoir une relation sexuelle consensuelle avec elle.

Deux des six contraventions étaient beaucoup plus graves. La première concernait un manquement à une obligation fiduciaire. Le membre visé et son partenaire ont répondu à une demande de service qui les a amenés à la résidence d’une femme soupçonnée de vouloir se suicider. Plus tard dans la journée, ils sont retournés voir comment elle allait et l’ont découverte inconsciente, avec un flacon de médicaments vide près d’elle. Ils ont fait venir les services médicaux d’urgence, et le membre visé l’a accompagnée à l’hôpital. Quelques jours plus tard, il est retourné à sa résidence alors qu’il n’était pas de service et a eu une relation sexuelle consensuelle avec elle.

La deuxième contravention grave consistait en l’omission de fournir les soins appropriés pour une femme très ivre qui affirmait avoir été agressée sexuellement deux heures plus tôt et qui s’inquiétait d’avoir des saignements vaginaux. Le membre visé était seul avec elle dans un stationnement bondé en plein jour et ne lui a pas procuré les soins médicaux appropriés. La cliente a plutôt baissé son pantalon de jogging, s’est couchée sur la banquette arrière du véhicule de police et a levé les jambes pour que le membre visé puisse examiner ses parties génitales. Le membre visé a par la suite désobéi aux instructions de son superviseur, qui lui avait demandé de donner suite à la plainte d’agression sexuelle de la cliente.

Aucun facteur atténuant n’a été présenté. Le fait que le membre visé avait déjà fait l’objet de mesures disciplinaires simples pour des contraventions connexes a été retenu à titre d’un lourd facteur aggravant. Le membre visé s’est vu sommé de démissionner dans les quatorze jours, à défaut de quoi il serait congédié. Il n’a pas démissionné et a été renvoyé de la Gendarmerie.

 


Introduction

[1]  Un avis d’audience disciplinaire (l’« avis ») a été signifié au membre visé le 16 juillet 2015, conformément à la partie IV de la Loi sur la GRC. Cet avis, produit le 9 juin 2015 par l’autorité disciplinaire de la Division E, faisait état de neuf allégations. L’audience disciplinaire a eu lieu à Vancouver (Colombie-Britannique) du 14 au 18 décembre 2015 inclusivement.

Avis d’audience disciplinaire

[2]  À la suite d’une enquête pour manquement au code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada (le « code de déontologie »), neuf allégations ont été formulées contre le membre visé :

[Traduction]

Allégation 1

Le 25 septembre 2014 ou vers cette date, à Chilliwack, dans la province de la Colombie-Britannique, ou dans les environs, [le membre visé] s’est comporté d’une manière déshonorante susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrevenant ainsi à l’article 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé

1. À l’époque des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division E, dans la province de la Colombie-Britannique.

2. Le 25 septembre 2014, alors que vous étiez de service, vous vous êtes rendu à la résidence de [Mme A] en réponse à une plainte.

3. Vous avez transporté [Mme A] de sa résidence à un stationnement près du centre communautaire de [nom de l’endroit].

4. [Mme A] vous a dit qu’elle avait été agressée sexuellement par son ami de coeur peu de temps auparavant. Vous lui avez posé quelques questions à ce sujet. [Mme A] vous a montré ses blessures et vous a exposé sa région vaginale.

5. [Mme A] a quitté votre véhicule de police. Vous avez alors quitté le stationnement au volant de ce véhicule.

6. Une fois de retour au détachement, vous avez informé le cap. Chris Robinson de l’allégation d’agression sexuelle faite par [Mme A].

7. Le cap. Chris Robinson vous a dit qu’un suivi devait se faire auprès de [Mme A]. Vous n’avez pas fait ce suivi ni demandé à quelqu’un d’autre de le faire.

8. Vous avez rédigé un rapport de police sur votre interaction avec [Mme A].

9. Vous avez négligé de documenter correctement la plainte d’agression sexuelle de [Mme A] et de mener l’enquête nécessaire.

Allégation 2

Entre le 26 septembre et le 6 octobre 2014 inclusivement, à Chilliwack, dans la province de la Colombie-Britannique, ou dans les environs, [le membre visé] s’est comporté d’une manière déshonorante susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrevenant ainsi à l’article 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé

1. À l’époque des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division E, dans la province de la Colombie-Britannique.

2. Le 26 septembre 2014, alors que vous étiez de service, vous vous êtes rendu à la résidence de [Mme B] pour répondre à une demande de service liée à sa santé mentale. Au cours de votre intervention, [Mme B] vous a parlé de sa santé mentale et de ses problèmes de toxicomanie.

3. Vous êtes retourné à la résidence de [Mme B] plus tard la même journée pour faire un suivi. Vous l’avez trouvée inconsciente dans sa chambre à coucher. Quand elle a repris connaissance, elle vous a dit qu’elle avait consommé de l’alcool et des médicaments. Les services médicaux d’urgence l’ont transportée à l’hôpital.

4. Entre le 26 septembre et le 6 octobre 2014, vous êtes retourné plusieurs fois au domicile de [Mme B], parfois lorsque vous étiez en congé et parfois lorsque vous étiez de service, et vous avez eu à son endroit des comportements amoureux et sexuels, y compris, mais sans s’y limiter, des baisers et des relations sexuelles.

5. Vos comportements amoureux et sexuels à l’endroit de [Mme B] découlaient de votre relation professionnelle avec elle.

Allégation 3

Le 5 octobre 2014 ou vers cette date, à Chilliwack, dans la province de la Colombie-Britannique, ou dans les environs, [le membre visé] s’est comporté d’une manière déshonorante susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrevenant ainsi à l’article 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé

1. À l’époque des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division E, dans la province de la Colombie-Britannique.

2. Le 5 octobre 2014, [Mme C] avait 16 ans et vivait dans un foyer de groupe. Elle avait l’âge mental d’un enfant de 8 à 10 ans.

3. Le 5 octobre 2014, alors que vous étiez de service et que vous conduisiez un véhicule de police identifié, vous vous êtes arrêté près de [Mme C] et lui avez demandé son nom. Elle vous l’a donné.

4. Vous avez ensuite fait une recherche sur [Mme C] dans le système CADS [système automatisé de répartition], dans le système du CIPC [Centre d’information de la police canadienne] et dans le système PRIME [Police Records Information Management Environment].

5. Vous avez discuté de l’information obtenue dans les systèmes électroniques d’information de la GRC avec une personne non autorisée, à savoir [Mme C], pour une raison non liée à votre travail.

6. En discutant de cette information, vous avez mis [Mme C] mal à l’aise. Elle vous a demandé d’arrêter de lui en parler.

Allégation 4

Le 5 octobre 2014 ou vers cette date, à Chilliwack, dans la province de la Colombie-Britannique, ou dans les environs, [le membre visé] s’est comporté d’une manière déshonorante susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrevenant ainsi à l’article 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé

1. À l’époque des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division E, dans la province de la Colombie-Britannique.

2. Le 5 octobre 2014, [Mme C] avait 16 ans et vivait dans un foyer de groupe. Elle avait l’âge mental d’un enfant de 8 à 10 ans.

3. Le 5 octobre 2014, alors que vous étiez de service et que vous conduisiez un véhicule de police identifié, vous vous êtes arrêté près de [Mme C] et avez amorcé une conversation avec elle.

4. Au cours de cette conversation, [Mme C] vous a demandé si elle pouvait faire un tour dans votre véhicule de police.

5. Vous lui avez répondu que vous laissiez seulement des personnes nues faire un tour d’auto- patrouille, ou quelque chose du genre.

6. [Mme C] a répondu qu’elle laisserait faire. Vous avez ri et avez repris votre route.

Allégation 5

Le 6 octobre 2014 ou vers cette date, à Chilliwack, dans la province de la Colombie-Britannique, ou dans les environs, [le membre visé] s’est comporté d’une manière déshonorante susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrevenant ainsi à l’article 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé

1. À l’époque des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division E, dans la province de la Colombie-Britannique.

2. Le 6 octobre 2014, [Mme D] a signalé le vol d’une bicyclette. Alors que vous étiez de service, vous vous êtes rendu à sa résidence en réponse à cette plainte.

3. Pendant que vous étiez au domicile de [Mme D], vous avez discuté de sujets sans rapport avec votre travail.

4. Plus tard dans la journée, après votre quart de travail, vous êtes retourné chez [Mme D] sans y avoir été invité et vous vous êtes livré à des activités sexuelles avec elle, notamment à des relations sexuelles non protégées.

5. Vous avez eu à l’endroit de [Mme D] des comportements sexuels découlant de votre relation professionnelle avec elle.

Allégation 6

Le 6 octobre 2014 ou vers cette date, à Chilliwack, dans la province de la Colombie-Britannique, ou dans les environs, [le membre visé] s’est comporté d’une manière déshonorante susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrevenant ainsi à l’article 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé

1. À l’époque des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division E, dans la province de la Colombie-Britannique.

2. Le 6 octobre 2014, [Mme D] a signalé le vol d’une bicyclette. Alors que vous étiez de service, vous vous êtes rendu à sa résidence en réponse à cette plainte.

3. Vous avez effectué des recherches sur [Mme D] dans les systèmes électroniques d’information de la GRC accessibles depuis votre véhicule de police.

4. Vous avez discuté de l’information obtenue dans les systèmes électroniques d’information de la GRC avec une personne non autorisée, à savoir [Mme D], pour une raison non liée à votre travail.

Allégation 7

Entre le 1er avril et le 1er septembre 2014 inclusivement, à Chilliwack, dans la province de la Colombie-Britannique, ou dans les environs, [le membre visé] s’est comporté d’une manière déshonorante susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrevenant ainsi à l’article 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé

1. À l’époque des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division E, dans la province de la Colombie-Britannique.

2. Entre le 1er avril et le 1er septembre 2014, alors que vous étiez de service, vous vous êtes rendu à la résidence de [Mme E] en réponse à une plainte.

3. Vous avez demandé à [Mme E] de vous montrer ses seins. Elle a accédé à votre demande et vous a exposé sa poitrine.

Allégation 8

Le 6 octobre 2014 ou vers cette date, à Chilliwack, dans la province de la Colombie-Britannique, ou dans les environs, [le membre visé] s’est comporté d’une manière déshonorante susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrevenant ainsi à l’article 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé

1. À l’époque des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division E, dans la province de la Colombie-Britannique.

2. Le 5 octobre 2014, [Mme E] a été arrêtée et conduite au Détachement Chilliwack.

3. Le 6 octobre 2014, [Mme E] a été remise en liberté. Lorsqu’elle a quitté le Détachement, vous l’avez conduite chez elle en voiture alors que vous étiez de service.

4. Vous avez demandé à [Mme E] de vous montrer ses seins. Elle a accédé à votre demande et vous a exposé sa poitrine.

Allégation 9

Le 10 octobre 2014 ou vers cette date, à Chilliwack, dans la province de la Colombie-Britannique, ou dans les environs, [le membre visé] s’est comporté d’une manière déshonorante susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrevenant ainsi à l’article 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé

1. À l’époque des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division E, dans la province de la Colombie-Britannique.

2. Le 9 octobre 2014, [Mme E] a déposé une plainte auprès du Détachement Hope de la GRC au sujet de votre comportement déplacé à son endroit.

3. Le 10 octobre 2014, vous avez téléphoné à [Mme E] pour discuter de la plainte qu’elle avait portée contre vous.

Motions préliminaires

Retrait des allégations 7, 8 et 9

[3]  Au début de l’audience, la représentante de l’autorité disciplinaire (la « RAD ») a signalé que la femme qui devait servir de témoin principal quant aux allégations 7, 8 et 9 était décédée récemment. Les allégations ont été retirées pour ce motif.

Interdiction de publication et utilisation d’aides au témoignage

[4]  Vu la nature des allégations, la RAD a demandé qu’on utilise un écran pour empêcher certains témoins de voir le membre visé lors de leur passage à la barre. Elle a également demandé une interdiction de publication. L’arrêt R. c. Levogiannis, [1993] 4 RCS 475 de la Cour suprême du Canada a été cité à l’appui. On peut lire ce qui suit au paragraphe 14 :

Quant à savoir s’il y a eu atteinte aux droits d’un accusé, c’est là une question dont l’examen appelle nombre de considérations, dont les droits des témoins (qui sont en l’occurrence des enfants), les droits de l’accusé et le devoir des tribunaux d’obtenir la vérité. Le processus judiciaire a pour but la recherche de la vérité et, à cette fin, le témoignage de tous les participants à des poursuites judiciaires doit être donné de la façon la plus propre à faire éclater la vérité.

[5]  La Cour suprême du Canada a confirmé la constitutionnalité des dispositions du Code criminel visant l’utilisation d’aides au témoignage dans la décision R. c. S(J), (2008) BCCA 401, confirmée par 251 CCC (3d) 1 (CSC), au paragraphe 43 :

[Traduction] L’article 486.2 n’est que l’étape suivante dans l’évolution des règles de preuve. Ces règles visent à la fois à faciliter l’admissibilité des témoignages pertinents et probants des enfants et des adultes vulnérables et à préserver les protections traditionnelles qui permettent de contester la fiabilité de ces témoignages. Les règles de preuve doivent être interprétées à la lumière d’un système de justice criminelle qui favorise l’objectif de « parvenir à la vérité ». Au fil des ans, l’utilisation des aides au témoignage a fait l’objet de modifications continuelles en matière de procédure et de preuve, lesquelles évolueront probablement encore. En l’espèce, les modifications ne sont pas incompatibles avec les principes de justice fondamentale garantis par la Constitution.

[6]  À l’appui de sa demande d’interdiction de publication, la RAD a cité la décision du Comité d’arbitrage de la GRC, (2006) 31 DA (3e) 47, dans laquelle le comité d’arbitrage de la GRC a soutenu que « le droit à la vie privée de la victime prévaut sur la liberté des médias d’informer le public de l’identité des victimes. L’atteinte est minimale puisque la décision et l’audience sont publiques. » La Cour suprême du Canada s’est penchée sur ces principes au paragraphe 15 de l’arrêt Canadian Newspapers Co. c. Canada (Procureur Général), [1988] 2 RCS 122 :

En incitant les victimes à dénoncer les auteurs d’agression sexuelle, on en rend la poursuite et la condamnation plus faciles. L’objectif général visé par l’interdiction de publication prévue au par. 442(3) est de réprimer le crime et d’améliorer l’administration de la justice.

[7]  Le représentant du membre (le « RM ») s’est opposé à l’interdiction de publication pour le motif que la demande ne visait en l’espèce aucun objectif social primordial, tel que la protection d’un diagnostic médical extrêmement personnel ou de la confidentialité des rapports entre médecin et patient. La Cour suprême du Canada a conclu que le secret est l’exception et que la publicité est la règle dans la décision A.G. (Nova Scotia) c. MacIntyre, [1982] CanLII 14 (CSC), où est citée avec approbation, à la page 359, la décision Gazette Printing Co. v. Shallow, 1909 CanLII 46 (CSC), 41 RCS 339 :

[Traduction] Même si la publicité de ces procédures peut comporter des inconvénients pour la personne directement en cause, il est extrêmement important pour le public que les procédures des cours de justice soient connues de tous. L’avantage global que tire la société de la publicité de ces procédures fait amplement contrepoids aux inconvénients que subit l’individu dont les agissements sont ainsi visés.

[8]  Les décisions citées par la RAD émanent de tribunaux pénaux plutôt qu’administratifs, mais l’objectif de « parvenir à la vérité » en portant atteinte le moins possible aux droits des parties est le même partout. En l’espèce, il était nécessaire, aux fins de la justice, d’interdire la publication des noms des témoins, mais aussi de tout autre renseignement susceptible de révéler leur identité. Dans le même ordre d’idées, j’ai conclu que l’utilisation proposée d’un dispositif d’aide au témoignage, par exemple d’un écran placé dans la salle d’audience afin d’empêcher le témoin de voir le membre visé, représenterait une atteinte minime au droit de contre-interrogation de ce dernier.

Preuve et témoignages

Allégation 1

[9]  Mme A a dit avoir composé le 911 durant la journée du 25 septembre 2014 après avoir été blessée par son ami de coeur. Les services médicaux d’urgence (SMU) ont été envoyés chez elle, tout comme le membre visé, qui était accompagné d’un autre membre du Détachement Chilliwack, soit le gendarme McConachie. À leur arrivée, les deux membres ont constaté que Mme A et son ami de coeur étaient tous les deux extrêmement ivres. L’ami de coeur de Mme A injuriait les ambulanciers et refusait de collaborer avec eux. Mme A, qui a affirmé avoir peur de son ami de coeur lors de son témoignage, a dit au membre visé : « [Traduction] Fais juste me sortir d’ici. » Le membre visé a suivi cette instruction et a emmené Mme A dans son véhicule de police identifié. Le gendarme McConachie est resté à la résidence avec les ambulanciers.

[10]  Mme A a dit au membre visé qu’elle voulait aller chez un ami, mais elle ne pouvait pas lui donner l’adresse exacte ni le bon numéro de téléphone. En discutant avec le membre visé, elle a révélé que son ami de coeur l’avait agressée sexuellement plus tôt dans la journée. Il lui avait apparemment inséré un concombre dans le vagin, et elle a dit au membre visé : « [Traduction] Ça fait mal, ça fait mal, ça saigne peut-être. »

[11]  Le membre visé était alors arrivé dans le stationnement d’un centre commercial qui était assez bondé, selon sa description. Il s’est garé dans un coin pour ouvrir la porte arrière du véhicule, puisque Mme A se trouvait sur la banquette arrière. D’après l’explication qu’il a donnée, elle a baissé son pantalon de jogging, s’est couchée sur le dos sur la banquette et a levé ses jambes en l’air. Il a regardé son vagin, mais n’a pas vu de sang.

[12]  Le membre visé a dit qu’il avait offert à Mme A de faire venir un membre féminin de la GRC, ou de lui procurer les services d’un professionnel de la santé qualifié, ou à tout le moins de l’aiguiller vers les services aux victimes, mais qu’elle avait refusé toutes ces propositions.

[13]  Le membre visé l’a laissée partir puisqu’il n’avait aucun motif de la maintenir sous garde. L’incident l’avait toutefois mis mal à l’aise, et à son retour au détachement, il en a immédiatement fait le compte rendu à son superviseur, le caporal Robinson. Selon le témoignage du membre visé, le caporal Robinson lui a dit « [traduction] on ne traite pas les plaintes de gens ivres », ou quelque chose du genre, et « [traduction] documente tout, tout, tout ». Le caporal Robinson a présenté une version des faits légèrement différente dans son témoignage.

[14]  Le membre visé a rédigé un rapport qui a été versé au dossier de l’instance, soit le rapport d’incident 2014-3305, daté du jour de l’incident. On peut y lire ce qui suit :

[Traduction]

Le 2014-09-25, vers 14 h 29, [le membre visé] a répondu à une demande d’assistance aux SMU concernant une plainte de [Mme A] comme quoi son ami de coeur, [M. F], avait reçu au bras droit un coup du côté plat d’une hache. [M. F] a refusé de collaborer avec la police et de recevoir des soins médicaux. [Le membre visé] a noté que [M. F et Mme A] étaient tous les deux extrêmement ivres. [Mme A] s’est approchée du [membre visé] et lui a chuchoté qu’elle avait besoin que la police « la sorte de là ».

Les membres ont emmené [Mme A] pour éviter une querelle puisque, selon ses dires, elle venait de rompre avec [M. F]. Ils se sont arrêtés à une courte distance de la résidence et ont demandé à [Mme A] d’expliquer exactement ce qui se passait. [Mme A] a répondu qu’elle allait se rendre chez son ex-ami de coeur et qu’elle devait s’éloigner de [M. F] puisqu’ils venaient de rompre et qu’elle ne voulait pas se disputer avec lui. [Mme A] n’a donné aucun autre détail et a tenu des propos vagues lors de la conversation.

[Le membre visé] a poursuivi sa route pour conduire [Mme A] au [lieu]. Il a ouvert la porte arrière du véhicule de police. [Mme A] lui a dit qu’elle avait été agressée sexuellement. [Le membre visé] lui a demandé ce qu’elle voulait dire et par qui elle avait été agressée. [Mme A] a répondu que l’agresseur était [M. F]. [Le membre visé] a demandé quand l’agression s’était produite. [Mme A] a fait une pause, puis a dit qu’elle avait été agressée la veille. Elle a répondu de façon évasive aux autres questions qui lui ont été posées. Elle ne semblait pas bouleversée, mais très nonchalante et réticente à donner des explications, s’arrêtant plusieurs fois après avoir dit quelques mots.

[Mme A] a dit que [M. F] lui avait inséré un concombre dans le vagin environ deux heures avant que la police arrive [à sa résidence]. [Le membre visé] lui a demandé ce qu’elle avait fait alors. Après une courte pause, [Mme A] a répondu : « Je me suis retournée [1] . » [Le membre visé] a demandé à [Mme A] de poursuivre son explication puisqu’il ne comprenait pas exactement ce qui s’était passé. Il lui a demandé si elle avait une preuve quelconque de l’agression. [Mme A] s’est alors mise à se déshabiller et à retirer son pantalon en disant « tu ne vois pas que j’ai mal au vagin » et en pointant vers des bleus sur ses fesses, son bras et son dos.

[Le membre visé] a demandé à [Mme A] si elle voulait montrer ses blessures à un membre de sexe féminin et a offert à trois reprises de faire venir une policière pour lui parler. [Mme A] a dit qu’elle allait bien et a continué à faire la sourde oreille aux commentaires du [membre visé]. Ce dernier lui a demandé de cesser de se déshabiller, disant qu’il serait heureux d’enquêter sur l’allégation d’agression sexuelle si elle venait la signaler au détachement lorsqu’elle serait dégrisée.

[Mme A] était satisfaite de l’intervention de la police. Elle a demandé la carte professionnelle du [membre visé] et a affirmé qu’elle signalerait l’agression un autre jour. [Le membre visé] a documenté l’incident et en a informé son superviseur.

[15]  Lors de son témoignage, le caporal Robinson a reconnu que le membre visé l’avait informé de ces événements le jour même, mais a ajouté qu’il avait demandé explicitement au membre visé non seulement de documenter complètement l’incident, mais aussi de faire un suivi sur la plainte, puisque toute plainte d’agression sexuelle doit être correctement documentée et doit faire l’objet d’une enquête en bonne et due forme.

[16]  Le membre visé n’a fait aucune autre démarche d’enquête et le dossier a été fermé. Il a plus tard été rouvert et attribué à un autre membre du Détachement Chilliwack aux fins de suivi. Mme A a alors été interrogée officiellement. Aucune accusation criminelle n’a été déposée à la suite de l’enquête.

Allégation 2

[17]  Le gendarme Stewart du Détachement Chilliwack et le membre visé ont tous les deux témoigné qu’ils avaient été envoyés à la résidence de Mme B le 26 septembre 2014. La demande de service a été documentée comme ayant été traitée en application de la loi provinciale sur les services de santé mentale. Elle était venue d’une travailleuse en santé mentale qui avait signalé à la police les intentions suicidaires de sa cliente, Mme B.

[18]  En arrivant à la résidence de Mme B, qui vivait seule, les membres lui ont fait part de la demande de service qu’ils avaient reçue. Le membre visé a mené la conversation. Mme B soupçonnait que la demande était venue non pas de sa travailleuse en santé mentale, mais de son ex- conjoint, puisqu’ils avaient rompu leur relation récemment. Elle a affirmé n’avoir aucune pensée suicidaire. Le gendarme Stewart et le membre visé lui ont parlé pendant au moins 45 minutes pour déterminer s’ils avaient des motifs de la mettre sous garde en vertu de la loi provinciale sur la santé mentale. Ils ont finalement conclu que ce n’était pas le cas.

[19]  Le gendarme Stewart a souligné la compassion dont avait fait preuve le membre visé tout au long de l’intervention et s’est dit impressionné par le rapport que ce dernier avait réussi à établir avec Mme B en parlant du trouble de stress post-traumatique (TSPT) dont elle souffrait. Le gendarme Stewart a mentionné le sens de l’humour de Mme B, et chacun des trois témoins a qualifié d’amicale l’atmosphère qui régnait au moment où les membres avaient quitté la résidence. Mme B avait fait une accolade au membre visé, qui avait dit à la blague : « [Traduction] Et mon partenaire, lui? » Mme B avait répondu dans le même esprit « [traduction] il est bien trop beau » et a serré le gendarme Stewart dans ses bras. Plus tard, le membre visé a dit en riant au gendarme Stewart qu’il avait vu Mme B essayer de lui pincer le derrière lorsqu’ils avaient quitté la pièce.

[20]  À 15 h 10 ce jour-là, le membre visé a documenté l’incident comme suit :

[Traduction] Le 2014-09-26, vers 15 h, [le membre visé] a répondu à une plainte de la part de [Mme G], des services de santé Belwood à Toronto, qui affirmait que [Mme B] du [adresse] lui avait dit qu’elle allait se suicider. Les membres se sont rendus sur les lieux et se sont entretenus avec [Mme B]. Cette dernière a expliqué qu’elle était suivie pour un TSPT et qu’elle venait de rentrer de Toronto pour apprendre que son conjoint l’avait quittée. Les membres lui ont offert des services médicaux d’urgence et des services d’aide aux victimes, mais [Mme B] a refusé. Elle a soutenu qu’elle n’avait aucune idée suicidaire, mais a reconnu qu’elle souffrait d’un TSPT. Les membres n’ont vu aucune indication que [Mme B] allait se faire du mal. Elle a montré aux membres un plan de vie qu’elle avait rédigé et leur a assuré qu’elle le suivait. [Le membre visé] n’a pas arrêté [Mme B]. Les formulaires de non-arrestation en vertu de la loi sur la santé mentale ont été remplis.

[21]  Plus tard le même après-midi, le membre visé a discuté de l’incident avec le caporal Robinson, qui a recommandé que les membres retournent faire un suivi auprès de Mme B pour s’assurer qu’elle allait bien. Vers 17 h 30, le membre visé et le gendarme Stewart sont retournés à la résidence de Mme B. Elle ne leur a pas répondu lorsqu’ils ont frappé à la porte avant. Le membre visé s’est souvenu que la porte arrière était entrouverte lorsqu’ils étaient passés plus tôt dans la journée. Les membres ont fait le tour de la maison et ont appelé Mme B par cette porte. Ne recevant aucune réponse, ils sont entrés et se sont rendus à l’étage, où ils ont découvert Mme B sur son lit. Elle était inconsciente et n’a pas réagi à leurs tentatives vigoureuses pour la réveiller. Le gendarme Stewart a vu un flacon de médicaments vide près du lit. Les membres ont appelé les SMU, et le membre visé a aidé à transporter Mme B jusque sur le brancard au rez-de-chaussée. Les ambulanciers ont réussi à la réveiller, et elle a dit devant le membre visé qu’elle avait pris « [traduction] un paquet de pilules ». Le membre visé a accompagné Mme B dans l’ambulance jusqu’à l’hôpital.

[22]  Le membre visé a documenté cette interaction subséquente avec Mme B comme suit :

[Traduction] Le 2014-09-26, vers 17 h 30, [le membre visé] s’est rendu [à la résidence] pour faire un suivi auprès de [Mme B]. Il n’a reçu aucune réponse à la porte. [Le membre visé] et le gendarme Stewart sont entrés dans la résidence et ont trouvé [Mme B] dans la chambre à coucher à l’étage. Elle était inconsciente, mais elle respirait. [Le membre visé] a appelé les SMU et a fait un test de réaction à la douleur. [Mme B] a ouvert les yeux et n’a rien dit. Elle a finalement répondu aux appels répétés des membres en leur disant qu’elle avait consommé des somnifères et de la vodka. Les SMU sont arrivés sur les lieux et ont transporté Mme B à l’hôpital général de Chilliwack. Elle est devenue plus alerte. Les SMU ont informé le [membre visé] que [Mme B] serait admise.

Dossier en cours d’enquête

À faire :

Rapport opérationnel [OR report]

Entrée IPP

Formulaires sur la santé mentale

Suivi [follow up val]

[23]  Mme B a témoigné que le membre visé était retourné la voir quelques jours après les événements du 26 septembre 2014, sans s’annoncer et sans y avoir été invité. Il était en tenue civile et semblait avoir pris son véhicule personnel. Il faisait nuit. Mme B a dit que cette visite l’avait surprise, car elle n’avait jamais entendu parler de suivis effectués par un membre de la GRC après ses heures de travail. Elle a trouvé le membre visé très aimable de se donner cette peine.

[24]  Elle l’a invité à entrer et ils se sont assis sur le canapé du salon. Ils ont parlé de bien des choses personnelles, y compris de leurs loisirs et de l’intérêt du membre visé pour la chasse et la pêche. Ils ont aussi discuté de certains aspects de l’état psychologique de Mme B. Ils ont conversé sur le canapé pendant environ une demi-heure ou quarante-cinq minutes. Selon Mme B, l’échange est alors devenu plus ardent. Ils se sont embrassés sur le canapé, puis ils sont montés à sa chambre, où ils ont eu une relation sexuelle, après quoi ils sont restés couchés ensemble une vingtaine de minutes. D’après Mme B, le membre visé n’était pas très bavard, alors elle a joué une sorte de jeu où elle traçait une lettre sur sa poitrine et il devait deviner laquelle c’était. Il a quitté sa résidence vers 2 h du matin.

[25]  Le membre visé a nié qu’une telle rencontre avait eu lieu et qu’il avait couché avec Mme B.

[26]  Le 29 septembre 2014, le membre visé est retourné seul à la résidence de Mme B vers 23 h alors qu’il était de service et en uniforme. Il est resté chez elle environ trente-cinq minutes. Le membre visé a témoigné qu’il y était retourné pour obtenir des renseignements dont il avait besoin pour terminer son rapport, notamment le nom du médecin de Mme B ainsi que le diagnostic et l’ordonnance qui lui avaient été donnés. Au moment où il s’apprêtait à partir, Mme B lui a demandé si elle pouvait lui faire une accolade. Il a dit oui, et elle l’a serré dans ses bras. Il a dit l’avoir enlacée aussi. Elle lui a ensuite demandé si elle pouvait l’embrasser, et il a dit oui, alors elle lui a donné un baiser sur la joue, au coin de la bouche. Cet échange a eu lieu sur le perron devant la maison, sous l’éclairage d’une lumière extérieure.

[27]  Mme B a témoigné qu’au bout de quelques jours, elle avait laissé un message vocal au membre visé pour lui dire qu’elle ne voulait plus le voir. Elle n’a pas signalé sa relation sexuelle avec le membre visé et croyait que son ex-conjoint pouvait l’avoir fait à sa place. Elle a dit qu’elle était fâchée que l’enquête ait connu un tel dérapage, car elle n’avait rien demandé.

Allégations 3 et 4

[28]  Mme C est une personne atteinte de déficiences intellectuelles qui a les capacités mentales d’une fillette de dix ans environ. Elle a témoigné qu’en octobre 2014, elle attendait un ami dans un stationnement lorsque le membre visé, qui était de service, en uniforme et seul au volant de son véhicule de police, est venu s’arrêter à côté d’elle.

[29]  Mme C a dit avoir une « [traduction] terreur des policiers » et qu’elle avait songé à s’enfuir, mais qu’elle ne l’avait pas fait. Elle avait reconnu le membre visé parce qu’il s’était déjà présenté à une résidence où elle avait habité. Elle a expliqué que le membre visé avait fait une recherche sur elle sur l’ordinateur de son véhicule et qu’il s’était mis à lui poser des questions sur une agression sexuelle qui s’était produite des années auparavant. Il lui a demandé si elle avait été agressée sexuellement. Elle a été très troublée d’entendre le membre visé mentionner le nom de l’accusé et lui parler de l’incident, et elle lui a dit qu’elle ne voulait pas en discuter. Elle ne voyait pas pourquoi il avait à lui poser des questions sur cet incident. Leur conversation a duré moins d’une demi-heure.

[30]  Avant que le membre visé la quitte, Mme C lui a demandé si elle pouvait monter à l’arrière de l’auto-patrouille pour faire un tour, ce à quoi elle affirme qu’il a répondu : « [Traduction] Je laisse seulement les filles nues faire un tour sur la banquette arrière. » Elle a répondu « [Traduction] Bon, d’accord, je vais laisser faire », et il est parti. Alors qu’il s’éloignait, elle a pris une photo de l’auto- patrouille avec son iPod. Elle a plus tard montré cette photo aux enquêteurs, qui ont dit qu’elle était trop floue pour être utile. Elle l’a donc effacée, mais a mentionné l’avoir envoyée par courriel à l’ami qu’elle attendait dans le stationnement ce jour-là.

[31]  Mme H était intervenante à la résidence où habitait Mme C à l’époque. Elle a témoigné au sujet d’une conversation qu’elle avait eue avec Mme C à propos de cet incident, qui était survenu quelques jours auparavant, selon les dires de celle-ci. Mme H a trouvé très inquiétante la nature de cette présumée interaction entre Mme C et un policier. Elle a donc déposé une plainte par téléphone le 10 octobre 2014. Elle a informé la gendarme Araki de l’échange avec le membre visé dont Mme C lui avait parlé et qui est décrit dans les paragraphes qui précèdent.

[32]  La gendarme Araki a confirmé lors de son témoignage que Mme H lui avait parlé le 10 octobre 2014. Elle a également décrit les circonstances dans lesquelles les membres utilisent le « test de Shriver » pour confirmer l’identité de quelqu’un. Si la personne n’a pas en sa possession une pièce d’identité acceptable ou digne de confiance, une vérification des bases de données policières peut être effectuée à partir du nom et de la date de naissance fournis. L’information contenue dans ces bases de données peut être utilisée dans le but limité de confirmer l’identité de la personne.

[33]  Lorsqu’il a témoigné, le membre visé a reconnu avoir croisé Mme C le 5 octobre 2014. Au moment où il l’a aperçue, elle tournait le coin d’un immeuble, et en voyant l’auto-patrouille, elle a tout de suite rebroussé chemin. Il a trouvé ce comportement suspect et s’est donc approché d’elle pour obtenir d’autres informations. Il a reconnu lui avoir demandé son nom et sa date de naissance, puis avoir fait des recherches à partir de ces informations dans le système du CIPC et le système PRIME. Les vérifications effectuées par le membre visé dans les bases de données policières sont consignées au dossier et confirment que Mme C a été partie à une enquête sur une agression sexuelle.

[34]  Le membre visé a dit qu’il avait posé des questions à Mme C au sujet de l’agression sexuelle uniquement pour confirmer son identité. Pour ce qui est de la façon dont il a répondu à sa demande de monter à l’arrière de l’auto-patrouille pour faire un tour, il a affirmé que, dans ce genre de situation, il essaie habituellement de dissuader le demandeur avec humour en disant quelque chose comme : « Vous ne voudriez pas vous asseoir en arrière. Il n’y a que des ivrognes et des gens nus qui se ramassent là. » Il ne se souvenait pas s’il avait fait une remarque de ce genre à Mme C lorsqu’elle lui a demandé si elle pouvait monter à l’arrière de son véhicule de police pour faire une promenade.

Allégations 5 et 6

[35]  Mme D a signalé le vol de sa bicyclette, et le membre visé a répondu de son propre chef à cette demande de service, se rendant à sa résidence à 16 h 44 le 6 octobre 2014. Mme D lui a montré l’endroit près de sa maison où la bicyclette avait été volée, ainsi que le cadenas qui avait été brisé. Ils ont eu une longue conversation au cours de laquelle elle lui a également fait part d’autres préoccupations qu’elle avait, notamment au sujet du comportement de certains voisins.

[36]  Le membre visé est resté chez Mme D pendant plus de deux heures. Ils ont parlé de nombreux sujets sans rapport avec la plainte de Mme D ou le travail du membre visé, y compris de questions personnelles.

[37]  Au cours de la conversation, Mme D s’est dite curieuse de savoir si les bases de données policières contenaient de l’information sur elle. Le membre visé a fait des recherches dans le système du CIPC et le système PRIME sur son poste de travail mobile dans son véhicule. Les vérifications effectuées par le membre visé ont été versées au dossier de l’instance.

[38]  Le membre visé a montré l’ordinateur à Mme D. Elle n’a pas lu elle-même ce qui était affiché à l’écran. Un témoin indépendant a confirmé qu’elle avait attendu à l’extérieur de l’auto-patrouille pendant que le membre visé était assis à la place du conducteur et qu’il faisait les vérifications. Le membre visé faisait défiler les informations à l’écran et en lisait certaines à Mme D pour qu’elle confirme si elles se rapportaient à elle ou non. Les vérifications ont été effectuées à partir du nom de famille actuel de Mme D et à partir de son nom de jeune fille. Mme D a ainsi appris que le nom de sa soeur figurait dans les bases de données. À la fin de son interaction avec Mme D, le membre visé lui a donné sa carte professionnelle, sur laquelle était indiqué un numéro de cellulaire de la GRC auquel elle pouvait le joindre.

[39]  Mme D a témoigné qu’elle avait été flattée par l’attention que lui avait donnée le membre visé. À un certain moment, il lui avait dit qu’elle était belle. Après son départ, elle lui a téléphoné au numéro inscrit sur la carte professionnelle. Elle l’a invité à revenir chez elle plus tard dans la soirée. Il est revenu en tenue civile après le travail, vers 23 h. Mme D l’a invité à entrer, ils ont bavardé pendant quelque temps sur le canapé du salon, puis ils ont eu une relation sexuelle à cet endroit. Le membre visé a confirmé cette version des faits dans son témoignage, sauf qu’il ne se souvenait pas d’avoir dit à Mme D qu’il la trouvait belle.

Motion de non-lieu

[40]  Le RM a présenté une motion de non-lieu quant à l’allégation 5.

[41]  Le paragraphe 4 de l’énoncé détaillé allègue explicitement que le membre visé est retourné à la résidence de Mme D sans y avoir été invité, assertion que cette dernière a clairement contredite dans son témoignage. Son invitation était sans équivoque, et le membre l’a acceptée, retournant chez elle en tenue civile longtemps après avoir terminé son quart de travail. Ce comportement ne contrevient pas au code de déontologie. En alléguant une inconduite, la Gendarmerie fait la morale au membre visé sur ses comportements en dehors du travail. S’il était simplement retourné prendre un thé avec Mme D, la GRC n’en aurait probablement fait aucun cas.

[42]  Lorsque le membre visé répond à une demande de service, il agit à titre fiduciaire, mais les circonstances de l’espèce n’indiquent pas qu’il a profité de la situation ou qu’il a utilisé de l’information pour obtenir un avantage. Une analyse raisonnée de la situation ne révèle aucun fait pouvant servir de fondement à une allégation de manquement au code de déontologie.

[43]  Les décisions de comité d’arbitrage de la GRC (2011) 8 DA (4e) 351 et (2012) 10 DA (4e) 237 expliquent clairement que la conduite reprochée doit présenter un lien avec l’emploi du membre, à défaut de quoi elle ne met pas en cause les intérêts de la GRC. L’Alberta Law Enforcement Review Board résume ainsi sa démarche d’analyse à la page 141 de la décision Lingl and Calgary Police (1993) 2 ALERBJ 128 :

[Traduction] Notre société libre et démocratique reconnaît depuis longtemps le droit des employés au respect de leur vie privée en dehors du travail (qu’ils occupent un poste dans le secteur public ou dans le secteur privé). Ils sont alors libres de décider de leurs loisirs et de mener leurs activités licites comme bon leur semble, dans la mesure où leur comportement ne cause aucun tort à leur employeur. Il existe une présomption prima facie du droit au respect de la vie privée, à la non-ingérence et à l’absence de surveillance en dehors des heures de travail.

[44]  Selon le RM, le fait que le membre visé ait eu un rendez-vous galant en dehors du travail, dans l’intimité de la résidence de Mme D, ne présente aucun lien avec les intérêts et les responsabilités de la Gendarmerie.

[45]  La RAD a contesté cette position en citant la décision rendue par la Cour fédérale dans l’affaire Gordon c. Canada (Solliciteur général), 2003 CF 1250 (« Gordon »). Les faits de cette affaire ressemblent à ceux de l’espèce : une femme a abordé un policier et a discuté de sa situation avec lui, mais n’a déposé aucune plainte d’agression sexuelle. Elle s’est présentée chez lui plus tard le même soir, et ils ont eu une relation sexuelle. Le membre a été sommé de démissionner. Ici, le membre visé se trouvait lui aussi en situation de confiance vis-à-vis de Mme D, parce qu’elle était la plaignante dans un dossier en cours d’enquête.

Décision sur la motion de non-lieu

[46]  La portée d’une motion de non-lieu est étroite. Partant du principe que la GRC fait la morale au membre visé sur sa relation sexuelle avec Mme D, la motion présentée en l’espèce se résume essentiellement à soutenir qu’il n’existe aucun lien entre l’emploi du membre et le fait qu’il ait eu ce rendez-vous galant ou cette relation sexuelle.

[47]  Je ne suis pas d’accord. Il existe une relation fiduciaire implicite entre le policier de service qui traite une plainte, en l’occurrence une plainte de vol, et la personne qui a déposé cette plainte. Il n’est pas nécessaire que l’avis d’audience précise de quelle façon il y aurait eu atteinte à cette relation fiduciaire. J’estime que l’allégation 5 spécifie clairement que la présumée inconduite découle d’une intervention policière du membre visé et de ses actions à la suite de cette intervention. Le paragraphe 3 de l’énoncé détaillé allègue que « [traduction] pendant que vous étiez au domicile de [Mme D], vous avez discuté de sujets sans rapport avec votre travail », et le paragraphe 5 allègue des comportements sexuels découlant d’une relation professionnelle. Les témoignages de Mme D et du membre visé brossent un portrait clair des événements du 6 octobre 2014 et de leur origine. Je ne statuerai pas tout de suite sur le fond de l’allégation. Des argumentations doivent être présentées sur la question à savoir si les actes reprochés constituent une inconduite professionnelle.

[48]  La motion de non-lieu est rejetée pour ces motifs.

Argumentations de la RAD

[49]  La RAD a d’abord remis en question la crédibilité du membre visé, soulignant les incohérences dans son propre témoignage et par rapport aux déclarations des autres témoins. Certaines de ses explications étaient farfelues. Par exemple, il a dit que s’il avait passé tant de temps chez Mme D pour une plainte de bicyclette volée, c’était parce qu’elle continuait à lui parler pour le garder là et qu’il voulait lui donner un bon service. D’autres explications fournies par le membre visé ne sont pas logiques, comme celle voulant qu’il soit retourné seul chez Mme B à 23 h alors qu’il était de service afin d’obtenir des renseignements médicaux pour son dossier. Sachant qu’elle vivait seule et qu’elle était vulnérable, ce n’était tout simplement pas une façon convenable d’agir. Il lui aurait suffi de quelques minutes pour obtenir l’information qu’il prétend être allé chercher, mais il a pourtant passé une demi-heure chez elle, puis l’échange s’est terminé par une accolade et un baiser. Son comportement cadre davantage avec l’hypothèse du rendez-vous galant. Ses explications invraisemblables minent sa crédibilité.

Argumentations de la RAD quant à l’allégation 1

[50]  Le membre visé a reconnu bon nombre des détails quant à son interaction avec Mme A, et ceux qu’il n’a pas reconnus ont été corroborés par des témoins. Le caporal Robinson a donné des instructions claires sur la nécessité de faire un suivi sur la plainte d’agression sexuelle.

[51]  Le membre visé connaissait les exigences de la politique sur les enquêtes visant des cas d’agression sexuelle et de violence conjugale, mais a fait preuve d’un mépris flagrant à leur égard. La politique de la GRC prévoit notamment ce qui suit :

[Traduction]

L’intervention et les actions de la police doivent assurer la sécurité de la victime.

Il faut encourager la victime à obtenir un soutien auprès d’un programme de services aux victimes.

Les membres ont la responsabilité de mener une enquête complète et rigoureuse, même si la victime hésite à collaborer.

Il faut utiliser le modèle de résumé des facteurs de risque dans les situations de violence conjugale.

Faire des vérifications auprès des voisins.

Saisir les éléments de preuve, les vêtements, les armes.

Photographier les blessures de la victime.

Veiller à mettre en place un plan de sécurité pour la victime et à documenter les mesures prises.

Dans les situations où la victime doit quitter le domicile, veiller à ce qu’elle soit transportée à un foyer de transition ou à un autre lieu sûr.

[52]  Le membre visé n’a fait aucune de ces démarches. Il a peut-être mentionné brièvement dans son rapport que la plaignante présentait des bleus, mais il n’a pas fait photographier ses blessures. La politique exige que les membres enquêtent sur les plaintes de cette nature « rapidement, minutieusement et avec sensibilité ». Or, le membre visé a laissé une victime d’agression sexuelle très ivre seule au milieu d’un stationnement.

[53]  Le quatrième paragraphe sous la rubrique « La décision » de la décision du Comité d’arbitrage de la GRC (2003) 20 DA (3e) 230 contient des observations qui s’appliquent aussi bien au cas qui nous occupe :

La Gendarmerie a pour mandat d’exécuter les lois du Canada, plus précisément le Code criminel. Le Comité d’arbitrage considère que l’agression sexuelle est l’une des infractions les plus graves et qu’il appartient à la Gendarmerie de s’assurer que les plaintes du genre font l’objet d’enquêtes afin de veiller à la sécurité du public, comme le prévoient sa mission, sa vision et ses valeurs. En n’agissant pas comme il se devait, le gendarme Northrup a mis en péril l’enquête et a négligé de faire rapport à la plaignante. La conduite va au-delà d’une simple erreur de jugement qui aurait fait de l’incident une question de rendement. Le Comité d’arbitrage est d’avis que la conduite était suffisamment négligente pour constituer une question de discipline. Le gendarme Northrup avait plusieurs années de service et aurait dû connaître la nature de ses responsabilités dans les circonstances.

Argumentations de la RAD quant à l’allégation 2

[54]  Le membre visé a explicitement accepté le témoignage du gendarme Stewart. Les seuls paragraphes de l’énoncé détaillé dont il n’a pas reconnu la véracité sont donc ceux qui allèguent des contacts sexuels avec Mme B.

[55]  Sur ce point, la RAD estime qu’il faut retenir le témoignage de Mme B plutôt que celui du membre visé. Elle était un témoin crédible et se souvenait de détails intimes concernant la relation sexuelle. De plus, la version des faits selon laquelle le membre visé se serait rendu à la résidence où il savait que Mme B habitait seule pour obtenir des renseignements médicaux quelques jours après les incidents cadre mieux avec l’hypothèse du rendez-vous galant qu’avec celle du suivi d’enquête. Le baiser et l’accolade qui ont eu lieu sur le perron devant la maison de Mme B, auxquels le membre visé admet, ne font qu’appuyer cette hypothèse.

[56]  Il y a clairement eu abus de confiance, car le membre visé a tiré un avantage personnel des renseignements qu’il avait obtenus sur Mme B dans le cadre des demandes de service auxquelles il avait répondu le 26 septembre 2014. Il la savait vulnérable et n’aurait donc pas dû solliciter une relation amoureuse ou sexuelle avec elle.

Argumentations de la RAD quant aux allégations 3 et 4

[57]  Les déclarations des différents témoins présentent peu d’incohérences. Mme C a donné la même version des faits chaque fois qu’on l’a interrogée au sujet de l’incident, ce qui rehausse sa crédibilité comme témoin. En partant, le membre visé n’avait pas à la questionner, et il a fait preuve d’un manque total de professionnalisme et de bienséance en lui parlant d’une agression sexuelle. Elle en a clairement ressenti un malaise, avec raison. Même si l’on accepte la version du membre visé, qui dit avoir mentionné par erreur le nom de l’auteur présumé de l’agression sexuelle, les propos qu’il a tenus à Mme C au sujet de l’agression sexuelle témoignent d’une telle négligence et d’un tel manque de sensibilité qu’ils constituent une conduite déshonorante. En résumé, le fait d’avoir utilisé les bases de données policières à si mauvais escient constitue une conduite déshonorante.

[58]  Pour ce qui est de la remarque concernant le transport de personnes nues dans les voitures de police, le membre visé a dit ne pas se rappeler exactement ce qu’il avait dit à Mme C, mais celle-ci se souvenait clairement des propos qu’il lui avait tenus, et sa version des faits est restée la même chaque fois qu’elle a eu à la répéter. Sa version devrait donc être acceptée comme la vérité. Le fait qu’un policier dise de telles choses à une jeune femme alors qu’il est de service et en uniforme constitue de toute évidence une conduite déshonorante.

Argumentations de la RAD quant aux allégations 5 et 6

[59]  Le témoignage de Mme D sur les événements survenus durant l’après-midi et la soirée du 6 octobre 2014 n’a pas été contredit. La RAD a soutenu que Mme D était un témoin crédible et qu’il y avait donc lieu d’accepter intégralement son témoignage.

[60]  Le membre visé s’est rendu à la résidence de Mme D après que celle-ci eut signalé le vol de sa bicyclette. La première partie de sa visite a été consacrée à ce signalement et à d’autres plaintes, mais il a fini par passer un temps considérable à discuter de sujets très personnels sans aucun rapport avec son travail.

[61]  Lorsqu’il est retourné chez elle plus tard dans la soirée, il ne l’a pas fait « [traduction] sans y avoir été invité », comme le dit le paragraphe 4 de l’énoncé détaillé de l’allégation 5. Mme D a clairement dit lors de son témoignage qu’elle l’avait invité à revenir. Elle lui a téléphoné au numéro de cellulaire inscrit sur sa carte professionnelle de la GRC. Le fait que le membre lui ait donné son numéro de cellulaire plutôt que seulement le numéro de dossier de la plainte relative à la bicyclette volée cadre mieux avec l’hypothèse du comportement dragueur qu’avec celle du souci de bien servir une cliente. Il préparait la voie à autre chose, en l’occurrence une relation sexuelle. Sa conduite à cet égard doit être jugée comme étant déshonorante.

[62]  Il n’y avait aucune raison opérationnelle légitime de faire des recherches sur Mme D dans les bases de données policières, et surtout pas de lui révéler des informations ainsi obtenues. L’exécution de ces vérifications constitue donc une conduite déshonorante.

[63]  La RAD a attiré l’attention sur la similarité des diverses allégations. Toutes les interactions en question se sont produites alors que le membre visé était de service et avait affaire à des femmes vulnérables. Les cinq femmes mentionnées dans les allégations 1 à 9 ne se connaissent pas, et tous les incidents se sont produits en l’espace de quelques semaines durant l’automne de 2014. Bien que les trois allégations concernant Mme E aient été retirées en raison de son décès inattendu, elles contribuent de façon importante à montrer l’aspect répétitif de la conduite. Il y a donc lieu de tenir compte des plaintes qu’elle a déposées quant au comportement déplacé du membre visé, puisqu’elles viennent appuyer les autres allégations. Ce n’est pas un hasard si toutes ces femmes présentent une certaine vulnérabilité en raison de déficiences intellectuelles, de troubles psychologiques ou de problèmes de dépendance.

Argumentations du RM

[64]  Le RM a avancé que le membre visé n’avait pas eu droit à une audience équitable parce que l’enquête à son sujet avait été menée de façon partiale, injuste et incompétente. Le rapport d’enquête n’est pas digne de confiance parce que les témoins n’ont pas été interrogés correctement. Au moment de questionner les témoins, les enquêteurs du Groupe des normes professionnelles ont parlé de mauvais caractère et ont lancé des rumeurs et fait des insinuations au sujet du membre visé. Ils ont notamment utilisé le mot « [traduction] prédateur ». Dans certains cas, ils ont non seulement influencé les témoins, mais leur ont carrément fait dire ce qu’ils n’avaient pas dit. Ils leur ont essentiellement affirmé que « [traduction] tout le monde croit que ces choses ont eu lieu ». Ce n’était pas une enquête, mais une chasse aux sorcières.

[65]  On a semé des idées dans l’esprit des témoins en leur donnant des renseignements provenant d’autres témoins. Par exemple, selon le témoignage de Mme C, on lui a dit que l’enquête sur le membre visé concernait aussi des plaintes déposées par cinq autres femmes. On lui a fait croire que le membre visé était une mauvaise personne, un « [traduction] pervers ». Il est scandaleux de prétendre, comme le fait la RAD, que ce facteur n’a aucune incidence sur la crédibilité de Mme C.

[66]  En ce qui concerne la preuve de faits similaires, la jurisprudence dit clairement que les divers incidents en cause doivent présenter des similarités frappantes pour que le principe s’applique. Dans le cas du membre visé cependant, le fait qu’il ait rencontré les témoins alors qu’il était de service relève surtout du hasard.

[67]  La norme à satisfaire est celle de la preuve claire, convaincante et solide. La crédibilité des témoins revêt une importance cruciale à cet égard, et le membre visé s’est montré digne de foi. Son souvenir des événements était bien meilleur que celui des témoins, et contrairement à ces derniers, il pouvait les décrire en détail. Les incohérences soulignées par la RAD sont mineures et sans pertinence.

[68]  Pour ce qui est des allégations relatives aux recherches effectuées dans les systèmes électroniques d’information de la GRC, le membre visé a fait ces vérifications pour confirmer l’identité des personnes en question. Le fait de discuter de l’information ainsi obtenue avec la personne concernée est une partie importante de ce qu’on appelle le test de Shriver, qui sert à confirmer l’identité. Il s’agit là d’une pratique normalisée dans le milieu policier et non d’une contravention au code de déontologie.

Argumentations du RM quant à l’allégation 1

[69]  L’allégation 1 a été concoctée par des enquêteurs qui avaient scruté chaque détail des interactions du membre visé avec le public en s’attendant à une perfection absolue. Lorsqu’on analyse ces interactions, on constate cependant que le membre a agi de façon raisonnable : lorsqu’il a appris qu’une agression sexuelle pouvait avoir été commise, il a posé d’autres questions. Il a demandé à plusieurs reprises à Mme A si elle voulait qu’un membre de sexe féminin soit présent ou que les SMU soient appelés, mais elle a refusé toutes ces propositions. Il savait qu’il ne pouvait pas la maintenir sous garde. Le temps était doux et ensoleillé, alors il l’a laissée sortir de l’auto- patrouille, dans sa propre communauté. Le membre visé a évalué la situation convenablement. Le dossier qu’il a créé a été fermé, ce qui confirme son opinion de n’avoir reçu aucune instruction quant à la nécessité de faire un suivi. C’est seulement lorsque l’enquête déontologique a été entamée que le caporal Robinson s’est souvenu, comme par hasard, qu’il avait donné l’instruction explicite de faire un suivi auprès de Mme A. Le caporal Robinson a fermé le dossier, même s’il avait la responsabilité de superviser étroitement le membre visé à l’époque. L’assertion selon laquelle le caporal Robinson aurait donné l’instruction qu’il dit avoir donnée n’est donc pas crédible et il ne faut pas la croire.

[70]  Le policier intervenant doit être convaincu qu’il existe à première vue une preuve suffisante d’agression sexuelle pour que les politiques en la matière s’appliquent. Le gendarme Jeffries, qui a repris l’enquête sur l’agression sexuelle, n’a pas suivi toutes les dispositions des diverses politiques non plus. En fait, après l’interrogation de Mme A, aucune autre mesure n’a été prise parce que l’incident n’était pas considéré comme une agression sexuelle. Cette démarche ne diffère aucunement de celle qu’a suivie le membre visé : il a tenu compte de la possibilité qu’une agression sexuelle ait pu être commise, mais il a finalement conclu que ce n’était pas le cas et qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre l’enquête.

Argumentation du RM quant à l’allégation 2

[71]  Pour ce qui est de l’allégation 2 concernant Mme B, l’enquête est tellement entachée d’irrégularités que sa conduite bâclée justifie à elle seule le retrait intégral de l’allégation. Mme B n’a pas porté plainte. L’affaire a été signalée par un tiers que les enquêteurs ont influencé en décrivant le membre visé comme un prédateur. Quand Mme B a finalement été interrogée, elle employait les mêmes termes que les enquêteurs, qualifiant le membre visé de « [traduction] prédateur ».

[72]  Mme B a aussi l’habitude de modifier la vérité quand bon lui semble. Par exemple, elle a déjà appelé la police pour dire qu’une « [traduction] personne d’origine hispanique » pointait une arme à feu vers son conjoint. C’était faux. L’incident découlait de problèmes conjugaux. Une autre fois, quand son conjoint l’a quittée, Mme B a appelé la police pour dire qu’il volait leurs chiens, mensonge qu’elle a reconnu par la suite. D’autres personnes interrogées par les enquêteurs ont affirmé à son sujet : « [Traduction] On ne sait jamais si on peut la croire. » Tout de suite après le départ de son conjoint, Mme B s’est mise à raconter des histoires à sa famille et à ses voisins au sujet d’un gendarme de la GRC qui s’intéressait à elle. Cette relation était une invention de sa part.

[73]  Le membre visé a témoigné qu’il avait de nombreux tatouages très visibles et distinctifs. Pourtant, Mme B, qui avait supposément tracé des lettres sur sa poitrine pendant 20 minutes après avoir couché avec lui, ne les avait même pas remarqués. Cela nuit à sa crédibilité et remet en question toute sa version des faits. Son témoignage ne satisfait pas au critère de la preuve claire, convaincante et solide.

Argumentations du RM quant aux allégations 3 et 4

[74]  Pour ce qui est des allégations concernant Mme C, il convient de noter qu’elle affirme avoir pris une photo de l’auto-patrouille, mais que cette photo n’a jamais été produite, ce qui soulève des questions sur la véracité de sa plainte. Son témoignage présente une contradiction flagrante : selon ses dires, elle déteste les policiers et en a une terreur, mais elle a demandé à faire un tour d’auto- patrouille, ce qui semble difficile à croire à la lumière de ce sentiment. En ce qui concerne ce qui lui aurait ou ne lui aurait pas été dit, le membre visé a décrit clairement sa façon de décourager les gens qui demandent une promenade en auto-patrouille.

Argumentations du RM quant aux allégations 5 et 6

[75]  Le RM a repris les arguments qu’il avait présentés à l’appui de la motion de non-lieu visant l’allégation 5, soutenant essentiellement qu’il n’existe, entre la relation sexuelle que le membre visé a eue avec Mme D et ses fonctions à titre de membre de la GRC, aucun lien qui puisse servir à établir ou même à alléguer une contravention au code de déontologie.

[76]  Pour ce qui est de l’allégation 6, le RM a fait valoir que les recherches dans les bases de données policières font partie des fonctions normales de la police et que les discussions sur l’information ainsi obtenue sont une partie normale de ce qu’on appelle le test de Shriver. Le membre visé ne peut pas se voir imposer des mesures disciplinaires pour avoir exercé des activités policières normales.

Décision sur les allégations

[77]  La RAD et le RM étaient d’accord avec moi sur la différence, ou l’absence de différence, entre une conduite déshonorante et une conduite scandaleuse. Plus précisément, les critères qui s’appliquaient autrefois à une conclusion de conduite scandaleuse continuent de s’appliquer avec la même force sous le régime de la nouvelle Loi sur la GRC.

[78]  Ces critères, énoncés par le Comité externe d’examen (le « CEE ») de la GRC, ont été étudiés et approuvés par des tribunaux d’instance supérieure et j’estime qu’ils constituent toujours un cadre utile. Le premier de ces critères consiste à confirmer l’identité du membre visé, qui ne fait aucun doute en l’espèce.

[79]  Le deuxième critère consiste à déterminer si les faits allégués ont réellement eu lieu. La norme de preuve applicable aux instances administratives est l’une des questions centrales abordées dans l’arrêt F. H. c. McDougall, [2008] 3 RCS 41, 2008 CSC 53 McDougall »), où la Cour a statué que la faute doit être établie selon la prépondérance des probabilités au moyen d’une preuve claire, convaincante et solide.

[80]  Le troisième critère consiste à analyser les faits établis afin de déterminer s’ils jettent le discrédit sur la GRC. Le CEE a précisé dans son explication de cette analyse qu’il s’agit de juger si une personne raisonnable, ou « [traduction] monsieur-madame-tout-le-monde » selon l’expression utilisée par Lord Bowen, ayant connaissance de tous les faits en cause ainsi que des réalités du travail policier en général et du travail à la GRC en particulier, verrait la conduite en question comme un geste scandaleux qui jette le discrédit sur la Gendarmerie.

[81]  Les deux parties ont cité la définition du terme « scandaleux » que donne Lord Devlin dans l’affaire Hughes v. Architects Registration Council of the United Kingdom, [1957] 2 All ER 436. Je suis d’accord avec son interprétation, à savoir que le terme scandaleux n’est d’aucune façon un terme artificiel; il faut lui donner son sens populaire et naturel. La personne raisonnable doit estimer que les gestes posés sont de nature à déshonorer le membre visé en sa qualité de policier.

[82]  La fiabilité et la crédibilité des témoins revêtent une importance cruciale en l’espèce. Selon mon expérience, les décisions citées par les représentants des deux parties fournissent un cadre utile pour l’analyse de la crédibilité des témoins. Il s’agit des décisions Wallace v. Davis [1926] 31 O.W.N. 202 (Ont. HC), (« Wallace »), MacDermid v. Rice (1939) 45 R. de Jur. 208 (« MacDermid ») et Faryna v. Chorney [1952] 2 D.L.R. 354 (BCCA) (« Faryna »).

Les indications pertinentes, dans le jugement Wallace, se trouvent à la p. 203 :

 [Traduction] […] la crédibilité d’un témoin, au sens propre, ne dépend pas uniquement de l’honnêteté de ses déclarations. Elle dépend également de l’occasion qu’il a ou n’a pas eue de faire des observations exactes, de son aptitude à observer avec justesse, de sa capacité à garder fidèlement en mémoire les faits observés, de sa capacité à résister à la tendance, souvent inconsciente, à altérer ses souvenirs en fonction de ses intérêts, de sa capacité à relater les faits observés une fois à la barre des témoins, de sa capacité à exprimer clairement ce qu’il a en tête—autant de facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer le poids à accorder à un témoignage, quel qu’il soit.

Le juge Archambault a écrit ce qui suit à la p. 210 de la décision MacDermid :

[Traduction] [...] lorsque la preuve relative à un fait important s’avère contradictoire ... la cour doit prendre en compte les motifs des témoins, leur relation ou leur amitié avec les parties, leur attitude et leur comportement à la barre des témoins, la façon dont ils livrent leur témoignage et la probabilité des faits relatés sous la foi du serment, et ensuite en venir à une conclusion quant à la version qu’il convient de tenir pour véridique.

Voici le critère énoncé dans l’affaire Faryna, à la p. 357 :

[Traduction] La crédibilité des témoins intéressés ne peut être évaluée, surtout en cas de contradiction des dépositions, en fonction du seul critère consistant à se demander si le comportement du témoin permet de penser qu’il dit la vérité. Le critère applicable consiste plutôt à examiner si son récit est compatible avec les probabilités qui caractérisent les faits de l’espèce. Disons, pour résumer, que le véritable critère de la véracité de ce que rapporte un témoin dans une affaire déterminée doit être la compatibilité de ses dires avec la prépondérance des probabilités qu’une personne éclairée et douée de sens pratique peut d’emblée reconnaître comme raisonnable dans telle situation et telles circonstances.

[83]  Au paragraphe 86 de l’arrêt McDougall, la Cour suprême du Canada a examiné des questions relatives à la crédibilité et à la fiabilité des témoins qui sont d’un grand intérêt pour la présente affaire :

[…] au civil, lorsque les témoignages sont contradictoires, le juge est appelé à se prononcer sur la véracité du fait allégué selon la prépondérance des probabilités. S’il tient compte de tous les éléments de preuve, sa conclusion que le témoignage d’une partie est crédible peut fort bien être décisive, ce témoignage étant incompatible avec celui de l’autre partie. Aussi, croire une partie suppose explicitement ou non que l’on ne croit pas l’autre sur le point important en litige. C’est particulièrement le cas lorsque, comme en l’espèce, le demandeur formule des allégations que le défendeur nie en bloc.

[84]  C’est le cas pour l’allégation 2 : Mme B a témoigné qu’elle avait eu une relation sexuelle avec le membre visé, mais ce dernier nie énergiquement cette assertion. Au paragraphe 100 de l’arrêt McDougall, la Cour suprême du Canada a reconnu les difficultés liées à l’évaluation de la crédibilité et de la fiabilité des témoins dans de telles circonstances :

100. La partie qui n’a pas gain de cause peut juger insuffisants les motifs du juge du procès, surtout s’il ne l’a pas crue. Il faut reconnaître qu’il peut être très difficile au juge appelé à tirer des conclusions sur la crédibilité des témoins de préciser le raisonnement qui est à l’origine de sa décision (voir l’arrêt Gagnon). Ses motifs ne sont pas insuffisants pour autant. Dans l’arrêt R. c. R.E.M., [2008] 3 R.C.S. 3, 2008 CSC 51 (CanLII), rendu concurremment avec la présente décision, la juge en chef McLachlin explique que les conclusions relatives à la crédibilité peuvent faire intervenir des éléments difficiles à exprimer :

Bien qu’il soit utile que le juge tente d’exposer clairement les motifs qui l’ont amené à croire un témoin plutôt qu’un autre, en général ou sur un point en particulier, il demeure que cet exercice n’est pas nécessairement purement intellectuel et peut impliquer des facteurs difficiles à énoncer. De plus, pour expliquer en détail pourquoi un témoignage a été écarté, il se peut que le juge doive tenir des propos peu flatteurs sur le témoin. Or, le juge voudra peut-être épargner à l’accusé, qui a témoigné pour nier le crime, la honte de subir des commentaires négatifs sur son comportement, en plus de celle de voir son témoignage écarté et d’être déclaré coupable. Bref, l’appréciation de la crédibilité est un exercice difficile et délicat qui ne se prête pas toujours à une énonciation complète et précise. [par. 49]

De même, les motifs ne sont pas insuffisants parce que, avec le recul, on peut dire qu’ils ne sont pas aussi clairs et exhaustifs qu’ils auraient pu l’être.

[85]  En ce qui concerne la manière dont l’enquête interne a été menée et les témoins ont été interrogés, je suis d’accord en partie avec le RM. Il est inacceptable de semer des idées dans l’esprit de certains témoins en leur transmettant des renseignements obtenus auprès d’autres témoins.

[86]  Le RM a souligné, à juste titre, plusieurs extraits des déclarations qui démontraient un comportement inopportun de la part de l’enquêteur chargé de l’interrogation. L’emploi du mot « [traducteur] prédateur », par exemple, crée une image dans la tête des témoins et peut influencer leur perception des événements. Il s’agit là d’une pratique dangereuse.

[87]  Comme je l’ai expliqué pendant le déroulement de l’audience, ce qui me préoccupe le plus, c’est la tendance qu’ont eue les enquêteurs internes à informer les témoins de l’existence d’autres plaintes formulées à l’endroit du membre visé. Selon les dires de Mme E, qui est malheureusement décédée à peine quelques semaines avant le début de l’audience, « [traduction] le policier qui l’a interrogée lui a dit que [le membre visé] avait violé six femmes ». Lors de son témoignage, Mme C a mentionné que, d’après ce que lui avait dit la policière qui l’avait interrogée, elle n’était pas la seule femme que le membre visé avait « [traduction] interpellée en fonction d’un profilage, mais en fait la cinquième ».

[88]  L’une des raisons pour lesquelles j’ai convoqué les témoins à l’audience était d’avoir l’occasion de voir par moi-même dans quelle mesure ces femmes avaient réussi à faire abstraction de l’influence négative que les enquêteurs internes pouvaient avoir exercée sur elles. Je suis persuadé que chacune d’elles a donné un compte rendu franc et honnête de ses interactions avec le membre visé. Les choses que les enquêteurs peuvent leur avoir révélées sur le membre visé, dont le fait que d’autres plaintes avaient été portées contre lui, ne réduisent pas leur crédibilité ou leur fiabilité.

Décision sur l’allégation 1

[89]  Je conviens avec la RAD que le membre visé a reconnu de nombreux détails de son interaction avec Mme A, et que les déclarations des témoins ont prouvé les détails qu’il n’a pas reconnus. Je suis d’avis que Mme A est un témoin crédible et fiable, compte tenu de son ivresse au moment de l’incident. Elle avait, de son propre aveu, consommé « [traduction] environ quatre bières » avant l’arrivée du membre visé. Son ivresse au moment des faits et le temps qui s’est écoulé entre l’incident et la tenue de l’audience expliquent de manière satisfaisante les quelques incohérences mineures dans son témoignage. Sa version des faits n’a pas changé. Chaque fois qu’elle a été interrogée au cours de l’enquête et de son témoignage, elle a décrit de la même façon ce qui était arrivé et ce qui s’était dit.

[90]  Je choisis de retenir le témoignage du caporal Corporal Robinson plutôt que celui du membre visé sur la question de savoir si des instructions explicites ont été données quant à la suite à donner à la plainte d’agression sexuelle de Mme A. S’il est vrai que la supervision du membre visé n’a pas été aussi bien documentée qu’on l’aurait attendu, étant donné la lettre d’attentes qui lui avait été adressée, il est également vrai que les crimes graves comme les agressions sexuelles n’exigent pas la présentation écrite d’instructions explicites sur le suivi à effectuer. Le membre visé a témoigné que le caporal Robinson lui avait dit : « [Traduction] On ne traite pas les plaintes de gens ivres. » Je ne crois pas que le caporal Robinson ait dit quoi que ce soit de la sorte, car il est malheureusement courant, dans les cas d’agression sexuelle, que la victime soit ivre. Il faut prendre les plaintes de cette nature au sérieux et offrir les soins appropriés à la victime. À mon avis, il est probable que le caporal Robinson ait donné une instruction verbale de quelque sorte au membre visé, comme il l’a affirmé dans son témoignage.

[91]  Le membre visé n’a pas besoin de se faire expliquer les exigences de la politique sur les enquêtes relatives aux cas d’agression sexuelle et de violence conjugale. Il savait ce qu’il devait faire, mais il a plutôt choisi de ne rien faire. Les bleus que Mme A lui a montrés appuyaient son allégation d’agression. Surtout, elle était prête à montrer ses parties génitales au membre visé et c’est justement ce qu’elle a fait. Elle lui a dit qu’elle avait mal au vagin et qu’elle s’inquiétait de saigner. Elle devait être sérieuse si elle est allée jusqu’à baisser son pantalon en plein jour au beau milieu d’un stationnement bondé, mais même ce geste insolite n’a pas poussé le membre visé à prendre des mesures appropriées. Il était tout à fait inconvenant de sa part d’effectuer lui-même un tel examen. Il a d’ailleurs reconnu que seul un médecin pouvait déterminer la présence de saignements internes et il aurait dû l’amener voir un médecin.

[92]  Le membre visé a mentionné les bleus brièvement dans son rapport, mais n’en a fait prendre aucune photo. La politique exige que les enquêtes sur les plaintes de cette nature soient menées « rapidement, minutieusement et avec sensibilité ». Le membre a pourtant fait presque exactement le contraire : il est simplement reparti au volant de son auto-patrouille, laissant seule au milieu d’un stationnement une femme très ivre qui disait avoir été agressée sexuellement à peine deux heures auparavant.

[93]  Je suis d’accord avec la RAD sur la pertinence des commentaires formulés dans la décision du Comité d’arbitrage de la GRC (2003) 20 DA (3e) 230. La négligence du membre visé ne peut pas être interprétée comme un simple problème de rendement; j’y vois plutôt une très nette inconduite professionnelle, car il a fait preuve d’un si grand manque de sensibilité que la réputation de la Gendarmerie a été sérieusement entachée. Je conclus pour ces motifs que l’allégation 1 est établie dans sa totalité.

Décision sur l’allégation 2

[94]  Je conviens avec la RAD que le membre visé a explicitement accepté le témoignage du gendarme Stewart. Les seuls paragraphes de l’énoncé détaillé qu’il rejette sont ceux qui allèguent des contacts sexuels avec Mme B, ce qu’il nie énergiquement.

[95]  Je retiens le témoignage de Mme B plutôt que celui du membre visé. Pour arriver à la conclusion qu’elle était un témoin crédible, j’ai tenu compte non seulement de la fermeté avec laquelle elle a témoigné à la barre, mais aussi du fait que sa version de l’incident sonnait juste. Elle se souvenait de détails intimes de la relation sexuelle, et les détails qui échappaient à sa mémoire ou les autres incohérences mineures entre ses déclarations et son témoignage s’expliquent facilement par le passage du temps et par son problème médical. Le fait qu’elle ne se souvienne pas des tatouages du membre visé ne me convainc pas qu’elle a inventé sa relation sexuelle avec lui.

[96]  Mme B a expliqué avec franchise son état de santé physique et mentale ainsi que l’état dans lequel elle se trouvait à l’époque des faits. Malgré les argumentations relatives aux raisons qu’elle avait de mentir (soit pour s’en prendre à son ex-conjoint, soit pour tenter de se réconcilier avec lui), je ne crois pas qu’elle l’ait fait. Le membre visé avait clairement des motifs de nier les contacts sexuels, et il les a bien mis en évidence lorsqu’il a témoigné ouvertement sur les raisons pour lesquelles il serait très malavisé d’entreprendre une relation amoureuse ou sexuelle avec une femme aussi vulnérable. J’estime pour cette raison qu’il avait parfaitement conscience de mal agir en menant à son égard une sollicitation amoureuse qui a abouti à une relation sexuelle. Elle était vulnérable, et il se trouvait en situation de confiance vis-à-vis d’elle en raison de ses fonctions.

[97]  Le membre visé a reconnu que, quelques jours après les incidents, il était allé à la résidence où il savait que Mme B habitait seule, soi-disant afin d’obtenir des renseignements médicaux pour le dossier. Des preuves indépendantes confirment qu’il s’y est rendu peu avant minuit et qu’il y est resté environ une demi-heure. Cependant, s’il a effectivement obtenu des renseignements médicaux, je n’en ai trouvé la trace écrite nulle part, et il n’a jamais mentionné dans son témoignage la façon dont il avait documenté ces renseignements supposément importants. La présence du membre visé en uniforme à la résidence de Mme B tard le soir cadre davantage avec l’hypothèse de la sollicitation amoureuse qu’avec celle du suivi d’enquête, surtout quand on tient compte du fait que la visite s’est terminée par un baiser et une étreinte sur le perron devant la maison.

[98]  Je conviens avec la RAD que le membre visé a utilisé l’information qu’il avait recueillie au sujet de Mme B en répondant aux demandes de service du 26 septembre 2014 pour obtenir un avantage personnel. Mme B a de toute évidence été touchée par l’attention que lui donnait le membre visé. Ce dernier la savait vulnérable et avait l’obligation de respecter la relation de confiance entre eux. La sollicitation d’une relation amoureuse ou sexuelle était extrêmement déplacée dans les circonstances et constitue un abus de confiance, ce qui est un manquement très grave au code de déontologie. L’allégation 2 est établie dans sa totalité.

Décision sur l’allégation 3

[99]  Je n’ai constaté aucune incohérence importante entre les déclarations des différents témoins à l’égard de cette allégation. Le témoignage de Mme C sur ce qu’elle a entendu le membre visé dire et ce qu’elle l’a vu faire ne s’est pas écarté des comptes rendus qu’elle avait faits à d’autres personnes à différents moments. Cette constance a beaucoup renforcé sa crédibilité. Je suis d’accord avec l’assertion non contestée qu’elle paraît avoir l’âge mental d’un enfant de huit à dix ans, mais je ne suis pas d’avis que ses déficiences intellectuelles évidentes réduisent sa crédibilité ou sa fiabilité. Elle a livré un témoignage clair et sans détour que le contre-interrogatoire n’a pas fragilisé. Au contraire, elle a alors parlé avec candeur et en détail des différents aspects de sa rencontre avec le membre visé, y compris de la photo qu’elle avait prise avec son iPod et des choses que lui avaient dites les enquêteurs internes.

[100]  Certaines indications portent à croire que le membre visé connaissait déjà Mme C parce qu’il avait eu affaire à elle dans le passé. Si c’est le cas, il n’avait pas besoin de faire une recherche à son sujet dans les bases de données pour confirmer son identité, mais seulement pour vérifier si elle avait fugué ou si elle faisait l’objet d’un mandat.

[101]  Même si j’acceptais l’argument de la nécessité d’effectuer un test de Shriver, le membre visé a fait preuve d’un manque total de professionnalisme et de bienséance en choisissant d’aborder la question de l’agression sexuelle, ce qui constitue une conduite déshonorante. Il a fait une utilisation abusive et non autorisée des bases de données policières. L’allégation 3 est donc établie dans sa totalité.

Décision sur l’allégation 4

[102]  J’ai trouvé un peu étrange que Mme C ait demandé au membre visé de lui faire faire un tour d’auto-patrouille malgré sa « [traduction] terreur des policiers », surtout après qu’il l’avait mise si mal à l’aise en parlant de l’agression sexuelle. Cependant, l’aveu du membre visé quant à la possibilité qu’il ait dit quelque chose de semblable m’a convaincu qu’elle disait la vérité sur ce qu’elle croyait l’avoir entendu dire.

[103]  La phrase « [traduction] Je laisse seulement les personnes nues faire un tour sur la banquette arrière » est complètement dénuée de sens, et il est extrêmement improbable que le membre visé ait dit ces mots exacts. Il est en revanche très probable qu’il ait tenté de détourner la demande de Mme C en lui disant quelque chose comme : « [Traduction] Tu ne voudrais pas t’asseoir en arrière. Il n’y a que des ivrognes et des gens nus qui se ramassent là. » Le membre visé a dit qu’il ne se souvenait pas s’il avait ou non fait une remarque de ce genre, mais je suis d’avis qu’il doit l’avoir fait, sinon Mme C n’aurait pas gardé de cette rencontre le souvenir d’une phrase au sujet de personnes nues dans une auto-patrouille.

[104]  Le langage qu’emploie parfois le membre visé pour décourager les gens qui voudraient faire une promenade en auto-patrouille est assez salé et dénote un certain humour noir à l’égard des aspects moins agréables du travail policier. Le langage coloré peut avoir sa place dans certains contextes, mais il faut évaluer avec soin la réaction qu’il pourrait susciter. Mme C présente des déficiences intellectuelles évidentes qui se constatent au premier abord. Je doute que le membre visé choisirait d’employer un tel langage en parlant à un enfant de dix ans, et il n’aurait pas dû le faire avec Mme C. Elle avait de fortes chances de mal interpréter ce qu’il lui disait, et je crois bien que c’est ce qui s’est produit. Le choix de mots du membre visé manquait de professionnalisme dans les circonstances et constitue un manquement au code de déontologie. L’allégation 4 est établie pour ce motif.

Décision sur l’allégation 5

[105]  Personne n’a contredit le témoignage de Mme D quant aux événements survenus durant l’après-midi et la soirée du 6 octobre 2014. À mon avis, Mme D est un témoin crédible, mais elle n’était certainement pas aussi vulnérable que Mmes A, B et C. C’est une femme très forte et d’une grande fierté. Toutefois, son statut de plaignante ayant signalé le vol d’un bien qui se trouvait sur sa propriété la mettait dans une position d’une certaine vulnérabilité.

[106]  Le membre visé s’est rendu chez elle après qu’elle eut déposé une plainte concernant une bicyclette volée. Au cours des premières minutes de son intervention, il s’est acquitté de ses fonctions correctement, mais après avoir traité sa plainte, il a passé près de deux heures à discuter avec elle de questions très personnelles sans aucun rapport avec son travail.

[107]  Mme D a dit clairement lors de son témoignage qu’elle avait invité le membre visé à revenir chez elle. Quand il est arrivé à sa résidence plus tard dans la soirée, ce n’était donc pas sans y avoir été invité, comme l’indique le paragraphe 4 de l’énoncé détaillé de l’allégation 5. Elle lui a téléphoné au numéro de cellulaire inscrit sur sa carte professionnelle de la GRC. Le fait que le membre visé lui ait donné son numéro de cellulaire plutôt que seulement le numéro de dossier de la plainte relative à la bicyclette volée cadre davantage avec l’hypothèse du comportement dragueur qu’avec celle du souci de bien servir une cliente. L’argument concernant le numéro de cellulaire aurait été plus percutant si l’autorité disciplinaire avait pu prouver que le membre visé l’avait écrit sur sa carte professionnelle au moment de l’incident et qu’il n’avait pas simplement donné à Mme D une carte où figurait déjà le numéro. Le témoignage de Mme D n’était pas clair quant à savoir si elle l’avait vu noter son numéro sur la carte ou non et n’était pas suffisamment convaincant pour me permettre d’en arriver à une conclusion de fait sur ce point précis.

[108]  Peu importe, je suis d’accord avec l’hypothèse de la RAD selon laquelle le membre visé préparait en fait Mme D à un rendez-vous galant, et j’estime aussi qu’il s’agit là d’une conduite déshonorante. Le membre visé n’enquêtait assurément pas sur un vol de bicyclette, du moins pas après les cinq ou dix premières minutes. Je crois qu’il a effectivement dit à Mme D qu’elle était belle, comme elle l’a affirmé lors de son témoignage. Ce commentaire n’a été fait que dans le but de la draguer et n’avait rien à voir avec ses fonctions. Les actions du membre visé à cet égard jettent le discrédit sur la Gendarmerie. L’allégation 5 est donc établie.

[109]  Je sens le besoin d’aborder la question des contacts sexuels, puisqu’elle a beaucoup été débattue en salle d’audience et qu’elle formait la base sur laquelle s’appuyait la motion de non-lieu. Abstraction faite du contexte, je ne considère pas que le fait de répondre à une invitation galante en dehors des heures de travail constitue en soi une conduite déshonorante. L’incident en question ne peut toutefois pas être considéré de manière isolée. L’aspect sexuel de l’allégation est extrêmement pertinent, car il montre que le membre visé a été récompensé pour le temps qu’il avait passé à préparer le terrain. Soyons clairs : l’essence de l’inconduite visée par l’allégation 5 réside dans les efforts que le membre visé a déployés alors qu’il était de service pour établir et approfondir une relation personnelle avec Mme D, et non pas dans la relation sexuelle en tant que telle.

Décision sur l’allégation 6

[110]  Je ne vois aucune raison opérationnelle légitime pour laquelle le membre visé aurait eu besoin de faire des vérifications sur Mme D dans les bases de données policières, et certainement aucune raison pour laquelle il aurait eu besoin de lui faire part de l’information ainsi obtenue. Mme D a témoigné avoir appris de cette façon que le nom de sa soeur figurait dans une base de données de la police. Il s’agit là d’une violation inutile du droit au respect de la vie privée qui jette le discrédit sur la Gendarmerie. L’allégation 6 est donc établie dans sa totalité.

Décision sur les mesures disciplinaires

[111]  Les contraventions au code de déontologie ayant été établies, la loi m’oblige à imposer des mesures disciplinaires appropriées.

[112]  Bien que la présente instance fasse suite aux récentes modifications apportées à la Loi sur la GRC, le critère établi pour l’imposition de mesures disciplinaires appropriées demeure inchangé. Il faut d’abord examiner l’éventail des peines possibles, puis les facteurs aggravants et les facteurs atténuants. Le congédiement fait nécessairement partie de l’éventail des peines applicables à l’inconduite mettant en cause Mmes A et B.

[113]  La RAD n’a pas proposé un éventail de peines pour chaque contravention, mais a fait savoir que son client demandait le congédiement du membre visé comme peine globale pour les six contraventions. Elle n’a pas non plus présenté une argumentation pour chacune des allégations, se contentant plutôt de souligner que les allégations 1, 2 et 5 justifiaient à elles seules le renvoi du membre visé. Je suis d’accord que le congédiement serait une mesure disciplinaire appropriée pour les allégations 1 et 2. Je ne crois toutefois pas qu’il fasse partie des sanctions convenant à l’allégation 5. Considérées isolément, les allégations 3 et 6, qui portent sur l’utilisation abusive et non autorisée des bases de données policières, ne justifient pas le congédiement du membre, et j’arrive à la même conclusion en ce qui concerne la remarque déplacée à l’endroit de Mme C qui forme la base de l’allégation 4.

[114]  La RAD a présenté une série de décisions antérieures à l’appui du congédiement, y compris celle de la Cour fédérale dans l’affaire Gordon, qui confirme le jugement du commissaire sur la question des relations personnelles découlant d’une relation fiduciaire liée à l’emploi. La RAD a soutenu que les allégations 2 et 5 mettaient toutes deux en cause une obligation fiduciaire dont le membre visé avait tiré un avantage personnel. Pour les raisons expliquées précédemment, l’obligation fiduciaire était très forte dans la situation visée par l’allégation 2, et beaucoup moins dans la situation visée par l’allégation 5.

[115]  Dans l’affaire Gordon, la Cour fédérale n’a rien trouvé à redire à l’analyse et aux conclusions de fait du commissaire. Le raisonnement du commissaire est exposé au paragraphe 17 :

[Traduction] J’ai conclu que l’appelant s’était conduit d’une manière honteuse en ayant des relations sexuelles avec Angela Thrasher alors qu’il avait sa confiance en raison de ses fonctions. Peu importe que Mme Thrasher ait consenti aux relations sexuelles, l’appelant devait éviter d’avoir des rapports intimes avec une personne qui lui avait récemment révélé avoir été agressée sexuellement dans le passé et [qui] lui avait demandé conseil sur la meilleure façon de faire face à cette situation très difficile. Au moment de l’incident, l’appelant savait que Mme Thrasher tentait toujours de prendre une décision quant à la meilleure façon de régler la question de l’agression sexuelle. Il aurait dû savoir que Mme Thrasher pouvait se trouver dans un état de vulnérabilité et de confusion et qu’avoir des relations sexuelles avec elle serait inapproprié et créerait à tout le moins un conflit d’intérêt.

[…]

Je conviens avec l’intimé que le critère établi dans l’arrêt Ennis c. Canadian Imperial Bank of Commerce en matière de congédiement s’applique en l’espèce. […]

[116]  Le critère que mentionne le commissaire dans l’affaire Gordon est énoncé dans la décision Ennis c. Canadian Imperial Bank of Commerce, (1986) 13 CCEL 25. Voici l’extrait pertinent :

[Traduction] La gravité du mauvais comportement justifiant un congédiement est une norme qui varie selon la nature des activités exercées par l’employeur et le poste de responsabilité et de confiance occupé par l’employé. Il faut démontrer l’inconduite ou l’incompétence réelle. La conduite de l’employé et le trait de caractère qu’elle révèle doivent être de nature à miner ou à éroder considérablement la confiance que l’employeur est en droit de placer en ce dernier eu égard au contexte de leur relation particulière. Il faut que l’employé, par son comportement, montre son refus de respecter le contrat de travail ou l’un de ses éléments essentiels.

[117]  Le fait que le membre visé ait reconnu en toute franchise pendant son témoignage que Mme B était en situation de vulnérabilité et à quel point il aurait été déplacé d’avoir une relation amoureuse ou sexuelle avec elle et le fait qu’il ait menti sur ses rapports intimes avec elle révèlent l’existence d’un profond défaut de caractère qui exclut toute possibilité de réhabilitation. En ayant une telle relation avec Mme B dans ces circonstances et en mentant pour le cacher, le membre visé a manqué aux conditions fondamentales de son contrat d’emploi avec la GRC. Son congédiement est donc justifié.

[118]  De même, la froideur et l’indifférence avec lesquelles le membre visé a traité Mme A dénotent une dissonance cognitive incompatible avec son contrat d’emploi. Il savait ce qu’il devait faire lorsqu’il a reçu la plainte d’agression sexuelle de Mme A, mais il a sciemment décidé de ne pas suivre la procédure applicable et de faire plutôt quelque chose de bizarre et d’inexplicable, c’est-à-dire d’examiner les parties génitales de la dame en plein jour, dans un stationnement bondé, alors qu’elle se trouvait sur la banquette arrière de son véhicule de police identifié. Il savait qu’il devait donner suite à sa plainte d’agression sexuelle, mais il ne l’a pas fait. Ces actions ne sont pas le résultat d’une erreur de jugement isolée. Je suis d’avis qu’elles révèlent un profond défaut de caractère dont la gravité exclut toute possibilité de réhabilitation.

[119]  Le congédiement ne doit être envisagé que dans les situations les plus graves. La Cour d’appel de l’Ontario a examiné les circonstances qui justifient le renvoi d’un employé dans l’affaire Trumbley and Fleming, 1986, 29 DLR (4th) 557 :

[Traduction] […] Une instance disciplinaire de la police constitue un processus interne purement administratif. Sa conséquence possible la plus grave la rend semblable à une instance disciplinaire dans le contexte des rapports employeur-employé ordinaires, même si la procédure qui la régit est nettement plus formelle. L’objet premier du congédiement d’un employé n’est pas de punir celui-ci, au sens habituel du mot (pour le dissuader ou le corriger ou, peut-être, pour lui infliger une forme moderne de châtiment), mais plutôt de soulager l’employeur du fardeau que représente l’employé qui a démontré ne pas être à la hauteur de sa tâche. […]

[120]  Considérés isolément, les manquements au code de déontologie décrits dans les allégations 1 et 2 montrent l’inaptitude du membre visé à rester au sein de l’effectif de la Gendarmerie. La RAD demandait une peine globale, possibilité à laquelle le RM ne s’est pas opposé. Je conviens avec elle de la pertinence d’examiner les six allégations globalement parce que tous les incidents en cause se sont produits en une très courte période de temps, soit du 25 septembre au 6 octobre 2014, ce qui représente environ deux semaines. Les six allégations concernent des clientes qui se trouvaient dans une situation de vulnérabilité plus ou moins grande selon le cas.

[121]  Je ne me pencherai donc pas sur l’éventail de sanctions applicable à chaque contravention, ni sur les mesures disciplinaires convenant aux manquements qui ne justifient pas une peine de congédiement.

[122]  Aucun facteur atténuant n’a été présenté. Je n’en ai d’ailleurs moi-même relevé aucun. Un facteur aggravant a toutefois été soulevé, et je trouve pertinent de le prendre en considération. Le membre visé a des antécédents disciplinaires récents qui présentent un lien avec l’inconduite alléguée dans l’avis. Le 8 août 2011, il s’est vu imposer un avertissement à titre de mesure disciplinaire simple relativement à deux incidents d’inconduite qui remontaient à août 2009. J’estime qu’il y a lieu de décrire ces incidents de façon plus détaillée en raison de leur troublante similarité avec les événements qui ont donné lieu à la présente audience.

[123]  D’après le dossier sur l’appel interjeté quant à la mesure disciplinaire imposée, le membre visé avait, dans un premier temps, « [traduction] harcelé [Mme H], notamment en l’arrêtant sur la route et en lui proposant de le rejoindre dans une chambre d’hôtel après son quart de travail, ainsi qu’en faisant des appels téléphoniques ». Le deuxième incident d’inconduite avait consisté à se rendre à la résidence de cette même cliente « [traduction] pour une raison sans rapport avec son travail ».

[124]  Au moment de rejeter l’appel du membre visé, l’arbitre a noté ce qui suit au paragraphe 9 :

[Traduction] Il ne fait aucun doute que l’appelant a téléphoné à [Mme H] à deux reprises en utilisant un appareil de la GRC qui lui avait été prêté pour l’exercice de ses fonctions. L’appelant n’a pas expliqué comment il avait obtenu le numéro de cellulaire de [Mme H] ni pourquoi il l’avait appelée deux fois. Bien que [Mme H] n’ait pas parlé au membre visé, il lui a tout de même téléphoné à son numéro personnel pour une raison sans rapport avec son travail, alors qu’il était de service. Il s’agit d’un comportement non désiré et répété, puisqu’il y a eu deux appels, ce qui constitue une forme de harcèlement. De plus, ces contacts faisaient suite à un contrôle routier effectué pour une raison sans lien avec le travail policier. À cela s’ajoute le fait que le membre visé a suivi la dame jusque chez elle sans qu’elle le lui ait demandé, affirmant vaguement pour toute justification qu’elle pouvait représenter un danger pour elle-même ou être exposée à un danger venant d’une autre personne, ce qui ne constitue ni une pratique policière normale ni un comportement approprié.

[125]  Selon le dossier d’appel, le deuxième incident qui a mené à l’imposition de la mesure disciplinaire simple s’est produit lorsque le membre visé « [traduction] s’est rendu à la résidence de [Mme H] pour une raison sans rapport avec son travail ». Cet incident est décrit au paragraphe 10 :

Pour ce qui est de [cette allégation], qui porte sur le fait d’être allé à la résidence de [Mme H], l’appelant n’a donné aucune raison plausible pour justifier son comportement. [Mme H] et son conjoint ont dit que l’appelant voulait lui parler au sujet d’une « affaire policière », et il n’y a aucune raison de douter de leur crédibilité sur ce point. Il demeure que l’appelant s’est rendu à la résidence de [Mme H] et qu’il n’a pas été en mesure de justifier de façon crédible sa présence à cet endroit.

[126]  Les circonstances entourant l’imposition de la mesure disciplinaire simple évoquent celles de la présente affaire puisque les incidents en question concernaient des comportements déplacés envers une femme. Ces incidents se sont produits environ cinq ans avant ceux qui ont donné lieu à la présente audience, ce qui n’est pas une très longue période de temps, surtout quand on tient compte du fait que le membre visé a seulement sept ans de service. La similarité entre les interactions déplacées du membre visé avec cette autre cliente et ses interactions avec Mmes B et D m’amène à considérer ses antécédents disciplinaires comme un important facteur aggravant en l’espèce, même si la peine qui lui a été imposée était une mesure disciplinaire simple.

[127]  Au cours de sa brève carrière de sept ans, le membre visé a accumulé un nombre inquiétant d’inconduites mettant en cause des femmes qui étaient ses clientes. Son maintien au sein de l’effectif de la GRC exposerait le public à des risques. Ce ne serait qu’une question de temps avant que ses interactions déplacées avec les femmes donnent lieu à d’autres manquements au code de déontologie.

[128]  La seule intervention que le RM a faite à cet égard a consisté à me demander d’envisager d’ordonner au membre visé de démissionner au lieu de le congédier tout simplement. La RAD ne s’étant pas opposée à cette demande, je l’ai considérée comme une proposition conjointe. Je dois cependant souligner que si cette demande n’avait pas été faite, j’aurais sans aucun doute congédié le membre visé.

Mesure disciplinaire imposée

[129]  La mesure disciplinaire imposée pour l’ensemble des six contraventions au code de déontologie consiste en l’ordre de démissionner de la Gendarmerie dans les quatorze jours, à défaut de quoi le membre visé sera congédié.

 

 

Le 14 mars 2016

Inspecteur James Robert Knopp

Comité de déontologie

 

Date

 



[1] Note du traducteur : En raison d’un manque de contexte, ceci est une traduction littérale de « I rolled over ».

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