Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

Trois allégations de conduite déshonorante pèsent sur la membre visée. Elles se rapportent aux faits suivants : avoir exprimé le souhait que deux collègues soient tués lors d’une intervention policière, avoir exprimé sa méfiance générale à l’égard des sous-officiers, avoir fait des remarques de vive voix et par écrit au sujet de deux collègues ayant une liaison amoureuse, avoir omis de consulter l’avocat de la Couronne après que son superviseur lui eut ordonné de le faire, puis induire en erreur un autre supérieur à ce sujet, et finalement avoir interrogé des bases de données à des fins sans rapport avec le travail.
Aucune des allégations n’a été jugée bien fondée, à l’exception de celle se rapportant au souhait exprimé de voir deux collègues tués lors d’une intervention policière. Ces paroles, bien qu’elles aient été prononcées lorsque la membre visée était au bord de la crise de nerfs, constituent une conduite déshonorante.
En plus d’accepter la proposition conjointe de peine consistant en la confiscation d’un jour de solde doublée d’une réprimande, le comité de déontologie a imposé à la membre visée l’obligation de suivre le traitement qui lui serait prescrit par le médecin-chef, et il a ordonné qu’elle soit réaffectée ou mutée, selon ce que l’autorité disciplinaire juge indiqué.

Contenu de la décision

Protégé A

Dossier : 2015-3386

Référence : 2017 DARD 1

Restriction à la publication : Les documents médicaux produits par la membre visée à l’audience disciplinaire et ceux contenus dans le dossier présenté au comité de déontologie ne peuvent être publiés, diffusés ni transmis de quelque façon que ce soit.

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AFFAIRE DISCIPLINAIRE INTÉRESSANT LA

LOI SUR LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

ENTRE :

Le commandant de la Division E

autorité disciplinaire

- et -

La gendarme Sarah Brown, matricule 53709

membre visée

Décision du Comité de déontologie

John A. McKinlay

Le 28 mars 2017

M. John Reid, représentant de l’autorité disciplinaire (RAD)

Mme Nicole Jedlinski, représentante de la membre visée (RM)


TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ  4

INTRODUCTION  5

REQUÊTES PRÉLIMINAIRES  6

Interdiction de publication des renseignements médicaux  6

Exclusion des témoins  7

Introduction et utilisation du rapport d’expertise médicale  7

ALLÉGATIONS  9

MOTIFS DE LA DÉCISION  11

Norme de preuve  11

Évaluation de la crédibilité  11

Critère de la « conduite déshonorante »  12

Demande visant le retrait des allégations ou le changement des articles du code de déontologie sur lesquels celles-ci sont fondées  13

Refus du RAD d’exercer quelconque voie de droit pour réparer le préjudice causé par le dépôt tardif du rapport médical  14

Observations relatives à un abus de procédure  15

Expression du souhait que des collègues « soient tués au cours d’une intervention » (point 2a) de l’allégation 1)  15

« Méfiance générale à l’égard des sous-officiers » exprimée devant certains membres (point 2b) de l’allégation 1)  22

Remarques calomnieuses voulant que des collègues aient une « liaison » (point 2c) de l’allégation 1) 24

Induire son superviseur en erreur au sujet d’un ordre reçu de son superviseur précédent (allégation 3) 28

Consultation du système d’information à des fins sans rapport avec le travail (allégation 4)  35

MESURES DISCIPLINAIRES  40

CONCLUSION  42

 

RÉSUMÉ

Trois allégations de conduite déshonorante pèsent sur la membre visée. Elles se rapportent aux faits suivants : avoir exprimé le souhait que deux collègues soient tués lors d’une intervention policière, avoir exprimé sa méfiance générale à l’égard des sous-officiers, avoir fait des remarques de vive voix et par écrit au sujet de deux collègues ayant une liaison amoureuse, avoir omis de consulter l’avocat de la Couronne après que son superviseur lui eut ordonné de le faire, puis induire en erreur un autre supérieur à ce sujet, et finalement avoir interrogé des bases de données à des fins sans rapport avec le travail.

Aucune des allégations n’a été jugée bien fondée, à l’exception de celle se rapportant au souhait exprimé de voir deux collègues tués lors d’une intervention policière. Ces paroles, bien qu’elles aient été prononcées lorsque la membre visée était au bord de la crise de nerfs, constituent une conduite déshonorante.

En plus d’accepter la proposition conjointe de peine consistant en la confiscation d’un jour de solde doublée d’une réprimande, le comité de déontologie a imposé à la membre visée l’obligation de suivre le traitement qui lui serait prescrit par le médecin-chef, et il a ordonné qu’elle soit réaffectée ou mutée, selon ce que l’autorité disciplinaire juge indiqué.


INTRODUCTION

[1]  L’autorité disciplinaire a convoqué la présente audience disciplinaire le 14 septembre 2015, et j’ai été désigné comme comité de déontologie le 17 septembre 2015.

[2]  La membre visée s’est vu signifier l’avis d’audience disciplinaire et les résultats de l’enquête le 4 novembre 2015.

[3]  Le 20 décembre 2016, l’avocate qui agissait à titre de représentante de l’autorité disciplinaire (RAD) a fait savoir qu’elle quittait la GRC et que le dossier serait repris par un nouveau RAD. Le 8 janvier 2016, le comité de déontologie s’est vu confirmer l’identité du nouveau RAD, qui s’est efforcé de répondre aux demandes raisonnables de communication faites par la représentante de la membre (RM) en tâchant, par exemple, de se procurer les documents cités dans le rapport d’enquête initial qui ne figuraient pas parmi les pièces jointes à celui-ci.

[4]  Des conférences préparatoires à l’audience ont eu lieu les 1er mars, 20 avril, 6 juillet, 3 août, 26 août et 7 septembre 2016. Le dossier comprend les procès-verbaux de ces conférences. Afin de permettre à la RM d’obtenir le dossier médical de la membre visée tenu par la GRC, une ordonnance de communication a été adressée au médecin-chef de la Division E ainsi qu’à l’officier responsable des demandes relevant de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[5]  Le 13 juin 2016, la RM a déposé les réponses faites par la membre visée conformément au par. 15(3) et à l’art. 18 des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2017-291 (CC (déontologie)). Ces écrits comportaient notamment des renseignements disculpatoires relatifs à l’allégation 2.

[6]  Le 7 septembre 2016, le RAD a demandé que l’audience soit ajournée afin qu’une enquête interne complémentaire sur la membre visée puisse être menée à terme. La réponse écrite de la membre visée contenait des renseignements dans lesquels l’autorité disciplinaire a vu de possibles éléments de preuve d’une autre contravention au code de déontologie de la GRC, mais connexe aux autres contraventions alléguées. J’ai, dans une décision rendue par écrit, rejeté cette demande d’ajournement.

[7]  Le 12 septembre 2016, la RM a déposé une requête pour abus de procédure accompagnée de pièces jointes. La requête, qui ne visait pas la suspension de l’instance, contenait des arguments relatifs aux allégations et aux mesures disciplinaires à imposer, le cas échéant.

[8]  Ce même jour, la RM a fait savoir qu’elle désirait déposer en preuve une lettre et le curriculum vitæ d’un psychiatre, la Dre P. Le RAD s’y est opposé au motif que ce dépôt ne respectait pas le délai de trente jours prescrit par les CC (déontologie). J’ai fait savoir que j’admettrais la lettre en preuve, mais que j’allais, dès l’ouverture de l’audience, entendre les observations des parties en ce qui concerne son utilisation et, le cas échéant, les voies de droit proposées par le RAD pour sanctionner le caractère tardif de son dépôt.

[9]  L’audience disciplinaire mettant en cause la membre visée s’est tenue à Richmond (Colombie-Britannique) du 19 au 22 septembre 2016.

REQUÊTES PRÉLIMINAIRES

Interdiction de publication des renseignements médicaux

[10]  Consécutivement à la requête formulée de vive voix le 19 septembre 2016, requête à laquelle le RAD ne s’est pas opposé, j’ai, en application du par. 45.1(7) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C., ch. R-10 (la « Loi sur la GRC »), ordonné ce qui suit :

Aucune des pièces médicales produites à l’audience disciplinaire par la membre visée ou contenues dans le dossier présenté au comité de déontologie ne saurait être publiée, diffusée ni transmise de quelque façon que ce soit.

Exclusion des témoins

[11]  La requête de la RM visant à exclure les témoins de la salle d’audience tant qu’ils n’ont pas terminé leur témoignage, requête également faite de vive voix le 19 septembre 2016, a été accueillie.

Introduction et utilisation du rapport d’expertise médicale

[12]  La question de savoir si le comité de déontologie devait admettre en preuve la lettre et le curriculum vitæ de la Dre P a été abordée le 19 septembre 2016. Le comité de déontologie a indiqué que la question devait être considérée comme une demande d’exception à l’exigence de présenter les rapports d’expertise au moins trente jours avant l’audience. La RM a déclaré qu’elle n’entendait pas citer la Dre P à témoigner devant le comité de déontologie, qu’il pourrait être opportun d’entendre d’autres témoignages avant d’aborder la question de savoir ce que le comité de déontologie devait faire de la lettre, et que la Dre P pourrait, au besoin, être contre-interrogée au téléphone par le RAD. La RM, qui n’avait pas l’intention d’évoquer le rapport au cours de son interrogatoire des témoins du RAD, a fait valoir qu’il serait préjudiciable à la cause de la membre visée de ne pas admettre la lettre en preuve lors de l’audience sur le fond, car cette lettre corroborait certaines des réponses écrites fournies par la membre. La RM a subsidiairement demandé que la lettre, si elle devait être exclue de l’audience sur le fond, soit au moins admise en preuve dans la partie de l’instance consacrée aux mesures disciplinaires, le cas échéant, et qu’il soit permis de présenter des arguments relatifs à sa valeur probante.

[13]  Pour expliquer le retard avec lequel la lettre a été présentée, la RM a affirmé qu’elle avait été incapable, pour différentes raisons, de se mettre rapidement en contact avec le médecin, qui était alors en arrêt de travail et devait réorganiser son horaire par suite d’une urgence familiale. La RM a transmis la lettre au RAD aussitôt qu’elle l’a reçue, et elle a soulevé la question de son dépôt devant le comité de déontologie.

[14]  Le RAD a repris l’argumentation qu’il avait tenue dans l’échange de courriels relatifs au dépôt de lettre de la Dre P : n’ayant pas été déposée au moins trente jours avant l’audience, la lettre ne devait pas être admise en preuve. Le comité de déontologie a ensuite demandé au RAD s’il aurait besoin, dans l’hypothèse où la lettre était admise en preuve, de contre-interroger la Dre P, de consulter un tiers avant de contre-interroger la Dre P ou de s’appuyer sur un rapport ou un avis d’expert allant en sens contraire. Le RAD était d’avis qu’il pourrait être nécessaire d’appeler à la barre une multitude de témoins pour récuser l’idée que la membre visée se faisait de la façon dont ses actes étaient perçus quotidiennement au travail, mais il a reconnu qu’il lui incombait d’évaluer l’opportunité d’appeler à la barre un témoin expert. Le RAD a avancé qu’il devait être autorisé à rechercher un avis d’expert contraire après avoir entendu le témoignage de la Dre P.

[15]  Le comité de déontologie a trouvé dans la lettre de la Dre P un survol historique des rencontres médicales de la membre visée, des notes que la médecin a prises à ces occasions et le diagnostic que celle-ci a posé sur la base des symptômes observés.

[16]  Il était nécessaire, pour trancher la question de savoir si la lettre de la Dre P devait être admise en preuve, de respecter deux importants principes : a) la recherche de la vérité et b) l’équité envers les parties.

[17]  Comme l’avis que la Dre P a exprimé semblait atténuer la gravité du comportement de la membre visée, j’ai statué qu’il serait arbitraire de n’en tenir aucun compte.

[18]  Toutefois, pour garantir l’équité de l’audience, le RAD devait se voir accorder un ajournement, s’il en faisait la demande, de sorte qu’il pût préparer son contre-interrogatoire de la Dre P et trouver un expert à même de produire un rapport ou un témoignage allant en sens contraire avant l’audition des arguments des parties sur les éventuelles mesures disciplinaires à imposer. En outre, le comité était disposé, si jamais le RAD arguait que l’avis psychiatrique qu’il aurait obtenu nécessitait, pour être étayé par la déposition des témoins, que leur interrogatoire fût mené différemment, à envisager la possibilité de rappeler des témoins à la barre, d’examiner des procès-verbaux d’interrogatoires et d’admettre le recours à tout autre moyen propre à mettre en lumière des points que l’expert du RAD juge pertinents eu égard aux mesures disciplinaires à imposer.

ALLÉGATIONS

[19]  À l’issue de l’enquête relevant du code de déontologie de la GRC, quatre allégations ont été formulées contre la membre visée. L’avis énonçant ces allégations (pièce à conviction RAD-1) est reproduit ci-dessous, noms abrégés en initiales et modifications apportées entre crochets [Traduction] :

Allégation 1

Le ou vers le 6, août 2013 et le 19 septembre 2014, à Coquitlam ou dans ses environs, dans la province de la Colombie-Britannique, [la membre visée] s’est comportée d’une façon déshonorante pouvant jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrevenant ainsi à l’article 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé

1. À l’époque des faits, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et étiez affectée à la Division E, dans la province de la Colombie-Britannique.

2. Entre le 6 août 2013 et le 19 septembre 2014, tandis que vous étiez de service, vous avez fait des remarques déplacées et déshonorantes :

a) En août 2014, vous avez dit au gend. [E L], en ces termes exacts ou en d’autres ayant le même sens, que vous « rêv[iez] du jour où [R] (c.-à-d. la serg. [M-M]) et [C] (c.-à-d. le cap. [C S]) se feraient tuer au cours d’une intervention »;

b) Vous avez signifié votre méfiance générale envers les sous-officiers aux cap. [C S] et [N B] ainsi qu’à la serg. [R M-M] et à [T D];

c) Vous avez, en réponse à une fiche de rendement signée par la serg. [R M-M] le 9 juillet 2014, fait des remarques calomnieuses évoquant une liaison entre la serg. [R M-M] et le cap. [C P] devant les cap. [N B] et [E L] ainsi que par écrit.

Allégation 2 – Retirée.

Allégation 3

Entre le 21 mai et le 31 juillet 2014, à Coquitlam ou dans ses environs, dans la province de la Colombie-Britannique, [la membre visée] s’est comportée d’une façon déshonorante pouvant jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrevenant ainsi à l’article 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé

1. À l’époque des faits, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et étiez affectée à la Division E, dans la province de la Colombie-Britannique.

2. Le 21 mai 2014, tandis que vous étiez de service, vous êtes intervenue dans une affaire de violence conjugale (dossier PRIME no 2014-13564).

3. Le 28 mai 2014, tandis qu’il était de service, le cap. [C S] vous a ordonné de consulter l’avocat de la Couronne pour obtenir son avis concernant le dossier PRIME no 2014-13564.

4. Entre le 28 mai et le 31 juillet 2014, vous avez informé le cap. [N B] que le cap. [C S] reconnaissait que la plainte était sans fondement et qu’il était donc inutile de consulter l’avocat de la Couronne au sujet du dossier PRIME no 2014-13564.

5. Votre déclaration au cap. [N B] contenait des renseignements faux ou trompeurs.

Allégation 4

Les [11 et 12 août] 2014, à Coquitlam ou dans ses environs, dans la province de la Colombie-Britannique, [la membre visée] s’est comportée d’une façon déshonorante pouvant jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrevenant ainsi à l’article 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé

1. À l’époque des faits, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et étiez affectée à la Division E, dans la province de la Colombie-Britannique.

2. Les [11 et 12 août] 2014, vous avez, à des fins sans rapport avec votre travail, interrogé un système d’information électronique de la GRC en y entrant le nom de [S P].

[20]  À l’ouverture de l’audience, lecture a été faite à la membre visée des quatre allégations initiales. Compte tenu des réponses écrites que la membre visée avait déposées le 13 juin 2016 conformément aux CC (déontologie), il était attendu que celle-ci nierait les allégations. Le RAD a ensuite présenté verbalement une requête, soutenue par la RM, pour faire retirer l’allégation 2. La requête a été accueillie.

MOTIFS DE LA DÉCISION

[21]  Les motifs exposés ci-dessous forment une version beaucoup plus longue et plus détaillée de la décision que j’ai rendue de vive voix, dans laquelle j’ai reconnu le bien-fondé d’une des quatre contraventions alléguées et ai, après que les parties eurent présenté une proposition conjointe de sanction, imposé des mesures disciplinaires en conséquence.

Norme de preuve

[22]  Aux termes du par. 45(1) de la Loi sur la GRC, la norme de preuve applicable aux allégations de contravention au code de déontologie de la GRC est celle de la « prépondérance des probabilités », suivant laquelle est déterminé s’il est plus probable qu’improbable que les actes ou omissions allégués aient eu lieu.

Évaluation de la crédibilité

[23]  Afin d’évaluer la crédibilité des témoins, j’ai suivi les indications fournies dans un certain nombre de décisions judiciaires fréquemment citées, parmi lesquelles l’arrêt Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, aux pages 357 et 358, où il est écrit ceci [Traduction] :

La crédibilité d’un témoin s’évalue en fonction de la concordance de son témoignage avec la prépondérance des probabilités qu’une personne informée et douée de sens pratique reconnaîtrait aisément comme étant raisonnable en cette occurrence et dans ces conditions.

C’est dire qu’il ne convient pas de juger de la crédibilité d’un témoin en se fiant uniquement à l’attitude qu’il manifeste à la barre. Par ailleurs, il est précisé au par. 86 de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire F.H. c. McDougall, [2008] 3 R.C.S. 41, que la conclusion selon laquelle le témoignage d’une partie est crédible peut fort bien être décisive quant à l’issue de l’instance.

Critère de la « conduite déshonorante »

[24]  Toutes les allégations font état d’une contravention à l’art. 7.1 du code de déontologie de la GRC. Cet article dispose que « [l]es membres se comportent de manière à éviter de jeter le discrédit sur la Gendarmerie ».

[25]  Le Comité externe d’examen de la GRC s’est penché sur l’interprétation à donner à l’art. 7.1 aux par. 92 et 93 de sa recommandation publiée le 22 février 2016 (ERC C-2015-001 [C-008]) [Traduction] :

Quel est le critère de la conduite déshonorante?

[92] Aux termes de l’art. 7 du code de déontologie, les « membres se comportent de manière à éviter de jeter le discrédit sur la Gendarmerie ». Cet article diffère, dans son libellé, de la disposition qu’il remplace, à savoir le par. 39(1) du Règlement de la GRC, qui interdisait aux membres d’agir ou de se comporter d’une façon scandaleuse ou désordonnée susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie. Le [Comité externe d’examen (CEE)] et le commissaire ont établi que le critère dont le par. 39(1) commande l’application consiste à se demander si une personne raisonnable ayant connaissance de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités du travail policier en général et celles du travail à la GRC en particulier, serait d’avis que la conduite reprochée était a) scandaleuse et b) suffisamment liée à la situation professionnelle du membre pour justifier l’imposition de mesures disciplinaires contre lui (CEE 2900-08-006 [D-123], par. 125; CEE 2400-09-002 [D-121], commissaire, par. 100).

[93] Dans l’art. 7 du code de déontologie, le fait de jeter le discrédit sur la Gendarmerie n’a plus pour condition l’adoption d’une conduite scandaleuse ou désordonnée. Toutefois, dans la version annotée 2014 du code de déontologie de la GRC, l’analyse de la conduite déshonorante visée à l’art. 7 reprend en bonne partie le critère établi sous le régime de l’ancien code; il y est dit en effet que le « comportement déshonorant est évalué à l’aide d’un test qui tient compte de la perception du comportement qu’aurait une personne raisonnable dans la société informée de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités policières en général et de celles de la GRC en particulier » (p. 23). Les termes employés dans la version annotée 2014 du code concordent avec ceux dans lesquels d’autres services de police formulent le critère à appliquer pour déterminer qu’une inconduite est susceptible ou non de jeter le discrédit sur l’organisation. Comme le fait remarquer P. Ceyssens dans son ouvrage Legal Aspects of Policing, tome 2 (Toronto, Earlscourt, 2002, p. 6-17 et 6-18), lorsque le libellé de la disposition législative ou réglementaire qui régit la conduite déshonorante renvoie à un comportement qui pourrait jeter ou est susceptible de jeter le discrédit sur le service de police, il n’est pas nécessaire de démontrer qu’un tel discrédit a effectivement été porté. La gravité de l’inconduite se mesure à la gravité de l’atteinte à la réputation et à l’image du service qu’entraînerait la mise au grand jour de la conduite reprochée. Pour effectuer une telle évaluation, il est nécessaire d’apprécier la conduite en fonction des attentes raisonnables de la population.

Demande visant le retrait des allégations ou le changement des articles du code de déontologie sur lesquels celles-ci sont fondées

[26]  Tandis qu’elle rédigeait sa réponse écrite comme le prévoit le par. 15(3) des CC (déontologie), la membre visée a soutenu que certaines allégations d’inconduite n’auraient pas dû être formulées sous le libellé général de l’art. 7.1 (conduite déshonorante) du code de déontologie de la GRC, mais plutôt sous celui d’autres articles dont le libellé était plus précis. Elle a en outre fait valoir que le guide de la GRC en matière de déontologie recommandait d’invoquer une disposition précise du code de déontologie chaque fois que c’était possible.

[27]  Dans sa réponse, la membre visée soutient que le RAD doit ou bien modifier l’allégation 1 pour la faire reposer sur l’art. 2.1 (respect et courtoisie) du code de déontologie, ou bien la retirer. De même, la membre visée a argué que les allégations 2 et 3 devaient soit être modifiées pour être fondées sur des articles au libellé précis (à savoir, respectivement, l’art. 8.1 [signalement] et l’art. 4.6 [mauvais usage des biens de la Gendarmerie]), soit être retirées. Sans répondre officiellement à ces arguments, le RAD a cherché à établir les contraventions alléguées sur la base de l’article du code de déontologie cité initialement.

[28]  À mon avis, le fait que l’autorité disciplinaire a recouru à l’art. 7.1 plutôt qu’à un article au libellé plus précis ne privait pas la membre visée du bénéfice de l’équité procédurale ni ne l’empêchait de connaître les preuves à réfuter. Il doit cependant être noté que réussir à prouver, sous le régime de l’art. 7.1, une atteinte probable à la réputation et à l’image de la Gendarmerie nécessite une évaluation qui tient compte des attentes raisonnables de la population, ce qui semble constituer une exigence potentiellement plus astreignante que celle, par exemple, de prouver un manque de courtoisie, l’existence d’un rapport inexact ou un mauvais usage des biens de la Gendarmerie.

[29]  Dans la décision référencée (2013) 12 D.A. (4e) 383, le comité d’arbitrage de la GRC a analysé en profondeur le sens du terme « scandaleux ». Au par. 51 de la décision, le comité indique que le terme doit être pris dans son sens ordinaire, et que celui-ci, d’après les définitions des dictionnaires, renvoie aux notions d’« ignominie », de « honte » et de « déshonneur ». J’estime, en accord avec ce comité d’arbitrage, que c’est une grave affaire que de qualifier les actes d’un ou d’une membre de scandaleux ou de dire qu’ils jettent le discrédit sur la Gendarmerie. Pareils actes, du reste, ne doivent pas toujours faire l’objet de sanctions, notamment lorsqu’il s’agit d’un conflit en milieu de travail qui semble appeler des mesures non disciplinaires.

[30]  L’identité de la membre visée n’étant pas en litige, cet élément des trois allégations a été tenu pour admis et prouvé.

Refus du RAD d’exercer quelconque voie de droit pour réparer le préjudice causé par le dépôt tardif du rapport médical

[31]  Avant que la membre visée ne close son argumentation en réponse aux allégations, la question de l’utilisation du rapport de la Dre P et celle du statut d’expert de celle-ci ont été réglées. La RM s’est dite d’accord pour que le comité de déontologie ne tienne pas compte, pour les besoins de l’audience sur le fond, du dernier grand paragraphe du rapport. À la lumière de son curriculum vitæ et de l’indication éclairante du RAD selon laquelle elle avait été maintes fois reconnue par les comités d’arbitrage de la GRC comme une personne qualifiée pour donner un avis psychiatrique, la Dre P a été jugée apte à agir comme témoin expert en médecine et en psychiatrie aussi bien en ce qui a trait aux évaluations et aux diagnostics qu’aux traitements et aux pronostics.

[32]  Le RAD a décliné l’offre qui lui était faite de profiter d’un ajournement ou d’exercer quelque autre voie de droit pour réagir à l’admission en preuve d’une partie substantielle du rapport de la Dre P.

Observations relatives à un abus de procédure

[33]  Dans les observations écrites qu’elle avait déposées préalablement à l’audience, la RM dénonçait un abus de procédure, mais ne réclamait pas la suspension de l’instance, se contentant d’avancer des arguments relatifs aux allégations et aux éventuelles mesures disciplinaires à imposer.

Expression du souhait que des collègues « soient tués au cours d’une intervention » (point 2a) de l’allégation 1)

[34]  Le RAD a lu et fait verser au dossier (avec le consentement de la RM) les résumés très succincts de certaines déclarations mises par écrit (pièce à conviction RAD-2). Ces résumés ont été rédigés par le responsable des enquêtes internes du Groupe de la responsabilité professionnelle, le serg. P S, affecté au Détachement de Coquitlam. Voici les deux passages jugés pertinents eu égard au point 2a) de l’allégation 1 [Traduction] :

Gendarme [E L]

En septembre 2014, il a trouvé [la membre visée] en train de pleurer dans l’aire ouverte du détachement; [la membre visée] a parlé de la fiche de rendement défavorable qu’elle avait reçue et a dit qu’elle rêvait du jour où ils se feraient descendre au cours d’une intervention.

Gendarme [C M]

[La membre visée] allait souvent pleurer à la salle de bains.

[35]  Le gend. E L a fait deux déclarations dans le cadre de la « revue du personnel de veille » amorcée par la serg. B T. Il ressort de mon examen des entretiens que la serg. B T a eus avec les membres du Détachement de Coquitlam que, comme la RM l’a signalé à juste titre, les questions posées par la sergente ressemblaient davantage à un interrogatoire ciblé de la membre visée qu’à une revue impartiale des problèmes relevés au sein de son équipe. Je fais remarquer que, dans son témoignage, le s.é.-m. D S a fait savoir qu’il ignorait si la serg. B T, qui avait amorcé cette revue, l’avait aussi menée à terme. Cela me porte à conclure qu’à un moment ou un autre, il a été déterminé que la revue de la sergente n’était pas conforme aux normes administratives en vigueur.

[36]  Un verbatim de la déclaration du gend. E L recueillie le 2 septembre 2014 a été produit à l’audience, mais seul le résumé que le serg. B T a fait des propos que le gend. E L a tenus le 25 septembre 2014 a pu être produit.

[37]  Dans sa première déclaration, le gend. E L décrit en termes désolants le moral de l’équipe de la membre visée, l’équipe de veille A, et relate comment il a fait part à l’intéressée de ses inquiétudes au sujet de son état de santé mentale [Traduction] :

[….] [E]lle a avait vraiment, vraiment beaucoup changé, euh… au point où j’ai fini par lui dire : « Faut que tu te reposes. Voici ce que je pense : si tu as la tête ailleurs, si tu es au bord de la crise de nerfs au moment où tu es appelée à intervenir, alors tu seras un danger pour toi-même à cause de ton incapacité à te concentrer, et probablement aussi un danger pour ton partenaire ou la population. » C’est qu’elle était à bout. Elle avait le moral tellement à plat que euh… j’ai eu l’impression que, oui, elle était sur le point de s’effondrer. […]

[Caractères gras ajoutés par le comité de déontologie]

[38]  Le gend. E L a rapporté comme suit un échange qu’il a eu avec la membre visée environ deux semaines avant sa déclaration du 2 septembre 2014 [Traduction] :

[….] [E]lle était devant son ordinateur […] au moment où je suis passé en disant « Hé! [membre visée] ». C’est là que j’ai vu qu’elle pleurait, ramassée en boule. Elle s’est levée et m’a entraîné vers la salle des enquêtes générales. Elle avait l’air vraiment désespéré. Je lui ai demandé ce qui n’allait pas, et elle a répondu euh… qu’elle avait l’impression que les gens se liguaient contre elle [...], que les [sous-officiers] euh… lui avaient dit, en bref, que tous les membres de l’équipe de veille avaient à se plaindre d’elle, ce qui la préoccupait beaucoup, évidemment. Alors euh… je n’ai pas conversé longuement avec elle. J’ai senti qu’elle était euh… comment dire… désespérée. Euh… je lui demandé si ça irait, et comme ça n’en avait pas l’air, je lui ai dit quelque chose comme « si je traçais une ligne sur la table et que je te demandais si tu es à bout de nerfs, où te situerais-tu par rapport à cette ligne? », et elle de montrer qu’elle se trouvait sur la ligne. Alors j’ai dit : « [membre visée], si tu dois répondre à une demande de service et que tu as la tête ailleurs, on a un problème, un gros problème de sécurité. Tu te mets toi-même en danger, en plus de mettre en danger ton partenaire ou le public. Je crois que maintenant est un bon moment pour réfléchir à tout ça et prendre une décision. » […]

[Caractères gras ajoutés par le comité de déontologie]

[39]  C’est dans sa deuxième déclaration, recueillie le 25 septembre, que le gend. E L fait allusion aux paroles que la membre visée a prononcées, l’air abattu, lorsqu’il l’a croisée au détachement en août 2014. Voici l’extrait pertinent du résumé rédigé par la serg. B T [Traduction] :

[…] Elle pleurait et braillait, et c’est pour cette raison qu’il s’inquiétait. À ce moment-là, elle lui a fait une remarque à laquelle il n’a pas accordé d’importance et qu’il a, sur le coup, attribuée à la colère de l’intéressée. Elle lui aurait dit ceci : « Je rêve du jour où [R M-M] et [C S] se feraient tuer au cours d’une intervention. » Elle déraisonne, s’est-il dit, parce qu’elle est émotionnellement ébranlée et a besoin d’un exutoire. Il a gardé cette réflexion pour lui, mais il avait un poids sur la conscience. […] Le sort [de la serg. R M-M] et [du cap. C S] ne lui était pas indifférent. Si jamais ils étaient appelés à mener une intervention avec [la membre visée] et que celle-ci, émotionnellement instable et absorbée par d’autres soucis, ne reconnaissait pas un danger en temps utile… il voulait simplement éviter qu’il leur arrive malheur. Il ne voulait pas que la situation constitue une menace à leur sécurité ou à celle de [la membre visée].

[…] Il se sentait moralement tenu de les inviter à la prudence dans l’éventualité où ils auraient une intervention à mener avec elle. S’il n’a pas mentionné cette remarque dans sa déclaration précédente, c’est qu’il n’en avait pas fait grand cas. Il lui avait simplement semblé que [la membre visée] était totalement démoralisée et divaguait. Mais après qu’elle lui eut appris, il y a environ deux semaines (il a été déterminé que le jour en question était le 3 septembre 2014), qu’elle réintégrait l’équipe de veille A, il s’est dit que cela ne présageait rien de bon.

[Caractères gras ajoutés par le comité de déontologie]

[40]  Dans la réponse écrite qu’elle a déposée avant l’audience conformément au par. 15(3) des CC (déontologie), la membre visée nie les allégations formulées contre elle et se défend comme suit relativement au point 2a) de l’allégation 1 [Traduction] :

[La membre visée] traversait une période de stress intense au cours et autour du mois d’août 2014. Elle se souvient avoir eu un échange avec [le gend. E L], mais pas d’avoir fait la remarque rapportée dans l’avis d’audience disciplinaire.

[41]  Au cours de son interrogatoire principal (verbatim, le 20 septembre 2016, p. 71), la membre visée a décrit comme suit les circonstances de sa conversation avec le gend. E L :

J’étais… Je ne me souviens pas des événements qui ont mené à ce moment précis. Tout ce dont je me souviens, c’est que j’étais assise à mon poste de travail, la chaise poussée au plus près de la table pour me cacher la tête derrière la paroi de mon cubicule. En fait, il a fallu que je pousse l’ordinateur pour pouvoir me mettre la tête à l’abri des regards, car je… j’avais juste besoin de pleurer. Il fallait que j’évacue du stress accumulé. [Le gend. E L] était assis à côté de moi. Il a vu dans quel état bouleversé j’étais. Il a demandé à s’entretenir avec moi dans une pièce qui se trouvait être celle où se réunissent les policiers s’occupant des crimes majeurs. Le détachement de Coquitlam est un lieu très ouvert. Les bureaux n’y sont pas fermés à clef. On est donc entrés dans la salle des crimes majeurs. Je crois me souvenir que personne n’y travaillait ce jour-là. De fait, je me rappelle que les lampes y étaient éteintes. Je… je pleurais. Je ne pouvais même plus me tenir debout. J’étais… j’étais assise à un bureau, sanglotant et déblatérant avec exaspération sur tout ce qui n’allait pas dans ma vie.

[Caractères gras ajoutés par le comité de déontologie]

[42]  Voici un extrait du contre-interrogatoire de la membre visée (verbatim, le 21 septembre 2016, p. 17) par le RAD [Traduction] :

Question : D’accord. Mais vous ne vous souvenez pas d’avoir dit au gend. [E L] que vous rêviez du jour où [le serg. R M-M] se ferait tuer au cours d’une intervention?

Réponse : Je me souviens du jour où je lui ai parlé, mais je ne me souviens pas des paroles exactes que j’ai prononcées.

Question : D’accord. Mais vous souvenez-vous d’avoir fait un commentaire qui allait dans ce sens-là?

Réponse : Oui.

[43]  Le fait que la membre visée se soit ouverte au gend. E L alors qu’il était sous-représentant local des relations fonctionnelles ne signifie pas, à mon avis, que les paroles prononcées à cette occasion l’aient été sous le sceau officiel de la confidentialité. En outre, ces paroles ne constituaient pas une communication protégée par un privilège semblable au secret professionnel de l’avocat qui découlerait de l’application du par. 47.1(2) de la version alors en vigueur de la Loi sur la GRC. La membre visée a peut-être reçu une fiche de rendement défavorable qui a grandement perturbé son équilibre psychologique ou émotionnel, mais au moment où elle a parlé en présence du gend. E L, celui-ci n’agissait pas comme son conseiller ni comme son représentant dans le cadre d’un grief, d’un appel ou de quelque autre procédure.

[44]  Je suis convaincu selon la prépondérance des probabilités que la membre visée a, au cours du mois d’août 2014, dit au gend. E L, en ces termes exacts ou en d’autres ayant le même sens, qu’elle « rêvait du jour où [la serg. R M-M] et le [cap. C S] se feraient tuer au cours d’une intervention », ainsi qu’il est rapporté au point 2a) de l’allégation 1.

[45]  Le commentaire en cause visait deux supérieurs de la membre visée au Détachement de Coquitlam. Pris à la lettre, il semble trahir le voeu que ces deux membres soient grièvement blessés au cours d’une intervention. Ces paroles ont, de plus, été prononcées sur le lieu de travail. Le sentiment que la membre visée y exprime est aux antipodes du principe fondamental, observé au sein de tout service de police, voulant que chaque policier veille constamment à la sécurité de ses confrères et consoeurs. Le commentaire de la membre visée est déconcertant, même si nous savons maintenant qu’il a été fait alors que l’intéressée traversait une période de détresse psychologique aiguë et que celle-ci a témoigné n’avoir jamais sincèrement souhaité qu’il leur arrive du mal.

[46]  Dans le domaine du droit du travail, il arrive encore que soit avancé l’argument selon lequel le comportement déplacé de l’employé dont la santé mentale est de toute évidence compromise ne doit pas être considéré comme une inconduite. Dans cette perspective, on estime que les problèmes de santé mentale de l’employé (souvent attestés par un diagnostic psychiatrique de dépression ou de dépendance) ont empêché ce dernier de concevoir l’intention manifeste de mal se conduire ou, compte tenu de l’état de santé mentale ou de la déficience reconnue de l’employé au moment où il a posé le ou les actes qui lui sont reprochés, rendent inappropriée toute sanction ou mesure disciplinaire. Voir, par exemple, l’opinion dissidente exprimée au par. 124 de la décision rendue dans l’affaire Wright v. College and Association of Registered Nurses of Alberta (Appeals Committee), 2012 ABCA 267 (demande d’appel devant la Cour suprême du Canada rejetée le 28 mars 2013). Dans ses motifs, le juge dissident fait valoir que la narcodépendance de l’infirmière, laquelle constitue un handicap au sens de la législation provinciale en matière de droits de la personne, a joué un rôle pour le moins substantiel dans la résolution de l’intéressée de voler des narcotiques à l’hôpital, et c’est pourquoi elle aurait dû être prise en compte lors de l’audience sur le fond, et pas seulement en fin d’instance, à simple titre de facteur atténuant.

[47]  J’adopte ici la ligne d’interprétation qui me semble être la plus généralement admise et acceptée. Dans les cas où le comportement déplacé du membre survient tandis que ce dernier est aux prises avec de sérieux problèmes de santé mentale (à l’exclusion des automatismes et des autres troubles qui empêchent l’intéressé d’exercer pleinement son libre arbitre), le fait que son état de santé mental explique en bonne partie son inconduite ne le dégage pas de toute responsabilité ni n’interdit l’imposition de mesures disciplinaires. Il convient plutôt de traiter les problèmes de santé mentale jugés être la cause ou un important facteur contributif d’une inconduite comme un puissant facteur atténuant. Voir, par exemple, les motifs donnés au par. 288 de la décision rendue dans l’affaire Spawn c. Canada (Agence Parcs), 2004 CRTFP 25, où cette position est adoptée au terme d’une analyse approfondie de la jurisprudence. Cette position est également en harmonie avec l’attitude observée par les comités d’arbitrage de la GRC ayant eu à rendre décision sous l’ancien régime disciplinaire.

[48]  Pour en arriver à une conclusion en ce qui concerne la remarque de la membre visée, j’ai adopté la position définie par le Comité externe d’examen de la GRC dans sa recommandation C-008, citée plus haut [Traduction] :

[L]e comportement déshonorant est évalué à l’aide d’un test qui tient compte de la perception du comportement qu’aurait une personne raisonnable dans la société informée de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités policières en général et de celles de la GRC en particulier.

[49]  D’après le compte rendu que le gend. E L a donné à titre de témoin oculaire, la membre visée a fait la remarque qui lui est reprochée alors qu’elle « braillait », « était à bout de nerfs », « était totalement démoralisée et divaguait ». J’estime néanmoins qu’elle était suffisamment lucide pour savoir que sa conduite jetait le discrédit sur la Gendarmerie. Étant donné le lien manifeste de cette conduite avec plusieurs réalités policières et enjeux propres au milieu de travail, je conclus que le comportement reproché constitue une inconduite qui doit être sanctionnée sous le régime disciplinaire de la Gendarmerie.

[50]  Des renseignements et avis psychiatriques fournis par la Dre P ne peut être tiré aucun argument juridique contre les faits reprochés au point 2a). Les conclusions et avis de la Dre P n’attestent pas l’existence de circonstances dans lesquelles une personne raisonnable estimerait que la remarque de la membre visée ne jette pas le discrédit sur la Gendarmerie. Il est clair, en revanche, que le rapport de la Dre P peut justifier la prise en considération d’un important facteur atténuant.

[51]  À la lumière de ce qui précède, je conclus que le membre visé a, de la manière décrite au point 2a) de l’allégation 1, contrevenu à l’art. 7.1 du code de déontologie de la GRC.

« Méfiance générale à l’égard des sous-officiers » exprimée devant certains membres (point 2b) de l’allégation 1)

[52]  Pour établir le bien-fondé du point 2b) de l’allégation 1, l’autorité disciplinaire s’est appuyée sur certains résumés figurant dans la pièce conviction RAD-2. Les suivants m’ont paru pertinents :

Caporal C S

Le cap. [C S] indique que [la membre visée] annonçait souvent qu’elle ne faisait pas confiance aux sous-officiers, c’est-à-dire aux membres qui détiennent le grade de caporal ou un grade supérieur, mais inférieur à celui d’inspecteur.

Caporal N B

[La membre visée] a dit au cap. [N B] qu’elle ne faisait pas confiance aux sous- officiers.

Sergente R M-M

[Q]ue [la membre visée] parlait ouvertement de sa méfiance envers les sous-officiers.

Gendarme T D

[La membre visé] lui a dit qu’elle ne faisait pas confiance aux sous-officiers.

Gendarme N S

[Q]ue [la membre visée] lui avait dit qu’elle ne faisait pas confiance aux sous- officiers ni à la plupart de ses collègues.

Gendarme D C

Il a entendu [la membre visée] dire à tous ceux qui étaient présents que son équipe de veille était nulle, que « les sous-officiers ne savent pas ce qu’ils font » et qu’elle préférerait « travailler dans la rue pour une bande de drogués que pour les sous-off. de l’équipe de veille ».

[53]  Relativement au point 2b) de l’allégation 1, le RAD a prétendu que les déclarations des collègues de la membre visée et les aveux de cette dernière prouvaient le fait qu’elle a exprimé sa méfiance générale à l’endroit des sous-officiers de la GRC, que ce soit à son ancien lieu d’affectation ou au Détachement de Coquitlam.

[54]  Dans la réponse qu’elle a produite conformément au par. 5(3) des CC (déontologie), la membre visée écrit ce qui suit relativement au point 2b) de l’allégation 1 [Traduction] :

[La membre visée] admet avoir exprimé une méfiance générale à l’égard [des sous-officiers] de la GRC. À cette époque, elle vivait un énorme stress lié au travail.

[55]  Je constate que la membre visée a, devant les sous-officiers susnommés (le cap. C S, le cap. N B et la serg. R M-M) et le gend. T D, exprimé sa méfiance générale à l’égard des sous- officiers de la GRC. Fait à noter : il semble que, jusqu’à ce qu’une allégation de contravention au code de déontologie de la GRC soit officiellement formulée, aucun de ces superviseurs et sous- officiers n’ait officiellement reproché à la membre visée d’avoir fait ces commentaires ni ne lui ait demandé de s’expliquer à ce sujet.

[56]  À mon sens, le point 2b) de l’allégation 1 est libellé de manière trop large. Il est vrai que j’ai pu consulter le rapport d’enquête et d’autres documents, et je dois dire que la présente procédure me permet, dans une certaine mesure, d’ajouter de l’eau au moulin. Cela dit, étant donné la façon dont le présumé acte d’inconduite est décrit au point 2b) de l’allégation 1, je ne crois pas qu’une personne raisonnable serait d’avis que le fait, pour une policière, d’exprimer sa « méfiance générale » à l’égard des sous-officiers devant des membres qui, précisément, sont presque tous des sous-officiers constitue une conduite déshonorante.

[57]  Il se peut qu’il y ait ici un léger problème de rendement lié au manque de courtoisie, mais j’estime que la conduite reprochée n’est pas déshonorante, surtout si l’on considère que ce dont parlait la membre visée, du moins à son arrivée au Détachement de Coquitlam, touchait essentiellement au peu de confiance que lui inspiraient certains sous-officiers à son précédent lieu d’affectation. Il me semble pour le moins normal qu’un membre qui change de lieu d’affectation parle des rapports qu’il avait avec ses supérieurs précédents, fût-ce parfois en des termes peu flatteurs.

[58]  Si le point 2b) de l’énoncé détaillé de l’allégation 1 avait fait état d’une forme ou d’une autre de désobéissance à un ordre ou d’inobservation d’une directive, ce qui équivaut à de l’insubordination, l’acte reproché pourrait effectivement constituer une contravention à l’art. 7.1 du code de déontologie de la GRC. Or l’allégation se limite à l’expression d’une méfiance générale envers les sous-officiers de la GRC.

[59]  Libellé de façon large, le point 2b) de l’énoncé détaillé de l’allégation 1 ne mentionne aucun effet indésirable qu’auraient entraîné les remarques de la membre visé, n’indique pas que celles-ci auraient été faites pour inciter à l’insubordination ni qu’elles constituaient, par exemple, un appel pressant à l’inobservation des consignes des superviseurs. Bien que les commentaires que la membre visée a faits aux les gend. N S et D C aient servi à corroborer le fait que celle-ci a exprimé sa « méfiance générale » devant les membres désignés au point 2b) de l’allégation 1, l’énoncé détaillé ne pose pas ces commentaires comme constituant une conduite déshonorante.

[60]  Mes observations au sujet de la portée limitée du point 2b) de l’allégation 1 ne visent pas à suggérer que la GRC, en tant qu’organisme policier dont la structure et la tradition restent de nature paramilitaire, ne s’attend pas à ce que ses membres aient confiance en leurs supérieurs et officiers, brevetés ou non. Je n’estime cependant pas que la membre visée, en faisant savoir à quatre de ses confrères, dans l’enceinte de la GRC, qu’elle se méfiait des sous-officiers, ait fait preuve d’une conduite déshonorante.

[61]  Je conclus que la membre visée, en commettant les actes ou omissions décrits au point 2b) de l’allégation 1, n’a pas contrevenu à l’art. 7.1 du code de déontologie de la GRC.

Remarques calomnieuses voulant que des collègues aient une « liaison » (point 2c) de l’allégation 1)

[62]  Pour établir le bien-fondé du point 2c) de l’allégation 1, l’autorité disciplinaire s’est appuyée sur certains résumés de déclarations figurant dans la pièce conviction RAD-3. Les suivants m’ont paru pertinents :

Caporal N B

[La membre visée] a prétendu que la [R M-M] avait une liaison avec le gend. [C P].

Sergente R M-M

[Q]ue [la membre visée] avait rédigé une réfutation de onze pages dans laquelle elle prétend que la serg. [R M-M] entretenait une liaison  extraconjugale; que la serg. [R M-M] avait trouvé cette remarque offensante et calomnieuse.

Gendarme E L

[La membre visée] a fait savoir qu’elle croyait que [R M-M] et le gend. [C P] avaient une liaison en disant que ces derniers étaient plus que de simples amis; [la membre visée] croit que cette liaison présumée explique pourquoi c’est toujours le gend. [C P] qui est choisi pour assurer des fonctions intérimaires.

Gendarme T D

[La membre visée] a prétendu que [R M-M] faisait preuve de favoritisme à l’endroit du gend. [C P];

Gendarme N S

[Le gend. N S] était d’accord avec [la membre visée] pour dire qu’il y avait du favoritisme en ce qui a trait aux fonctions intérimaires.

Gendarme C P

Il a nié l’allégation voulant qu’il ait une liaison avec la serg. [R M-M], et il a qualifié cette rumeur de malveillante et de calomnieuse.

[63]  La RM a déposé en preuve (pièce à conviction RM-5) la fiche de rendement que la serg. R M-M a, en présence du cap. C S, remise à la membre visée le 9 juillet 2014. Celle-ci y a répondu par écrit. Cette réponse écrite, qui n’a pas été introduite en preuve, est reproduite aux pages 38 à 48 du rapport d’enquête déontologique (document numérisé fourni en pièce jointe) rédigé par le/la serg. P S et daté du 23 octobre 2014. Comme ce rapport faisait partie de la preuve communiquée à la membre visée ainsi que de la documentation déposée devant le comité de déontologie, il a été considéré comme faisant partie du dossier dans la présente affaire.

[64]  Le point 2c) de l’allégation 1 renvoie à la réponse écrite de la membre visée dans laquelle celle-ci « fait des remarques calomnieuses évoquant une liaison entre la serg. [R M-M] et le cap. [C P] ». À la page 4 de cette réponse (page 41 du rapport du/de la serg. P S), la membre visée affirme ceci [Traduction] :

[La membre visée] a été témoin et a fait les frais d’un favoritisme flagrant lié à la liaison ou relation très intime semblant exister entre [la serg. R M-M] et [le cap. C P]. Au vu des nombreux congés annuels, congés de maladie, jours de déplacement, séances de formation et quarts de travail en heures supplémentaires qu’ils prenaient en même temps, cette « relation » semble anormalement intime. [Les mots entre crochets remplacent ceux contenus dans le document original]

[65]  Le RAD a également fait valoir que la déclaration et le témoignage du gend. N B, le résumé de la déclaration que le gend. E L a faite le 25 sept. 2014 ainsi que les aveux de la member visée, son témoignage et la réponse écrite qu’elle a rédigée après avoir reçu la fiche de rendement (formulaire 1004) datant du 9 juillet 2014 suffisaient à prouver que lesdites remarques verbales et écrites au sujet d’une liaison entre la serg. R M-M et le gend. C P avaient effectivement été faites. Interrogé sur ce point, le RAD n’a pas su préciser ce qu’il entendait par « remarques calomnieuses » autrement qu’en disant qu’elles constituaient une « inconduite ».

[66]  Dans la réponse qu’elle a fournie en vertu du par. 15(3) des CC (déontologie), la membre visée a écrit ce qui suit relativement au point 2c) de l’allégation 1 [Traduction] :

[La membre visée] reconnaît avoir réagi par écrit à la fiche de rendement défavorable (formulaire 1004). Elle vivait beaucoup de stress et d’anxiété à l’époque. Elle était convaincue que [le gend. C P] et [la serg. R M-M] entretenaient à l’époque une relation inconvenante. Elle n’a pas voulu les calomnier.

[67]  Que son état de santé mentale ait ou non joué un rôle considérable dans sa perception des événements et du comportement des autres, il appert que la membre visée était véritablement d’avis que la serg. R M-M faisait preuve d’un favoritisme déplacé à l’endroit du cap. C P. Dans son témoignage, la membre visée a effectivement maintenu, en citant plusieurs des exemples qu’elle avait mentionnés dans son énergique réponse écrite à la fiche de rendement défavorable, qu’elle croyait que la sous-officière et son subalterne entretenaient une relation inconvenante.

[68]  À mon avis, le fait que la membre visée a mentionné l’existence d’une « liaison » dans sa réponse écrite ne constitue pas une remarque calomnieuse ni une conduite déshonorante, car cette mention doit être replacée dans tout son contexte. Prise dans son intégralité, la phrase « [La membre visée] a été témoin et a fait les frais d’un favoritisme flagrant lié à la liaison ou relation très intime semblant exister entre [la serg. R M-M] et [le cap. C P] » vise à attirer l’attention, fût- ce de manière imprécise, sur le favoritisme hiérarchique que la membre visée percevait sincèrement comme faisant entrave à ses chances de se voir confier des fonctions intérimaires de caporal. Cette préoccupation n’avait rien d’imaginaire si l’on se rapporte aux propos tenus par le cap. N B lors de son contre-interrogatoire : ce dernier a confirmé avoir discuté de la question du favoritisme avec la membre visée et avoir peut-être dit à ce sujet qu’il [Traduction] « fallait être aveugle pour ne pas s’en rendre compte ».

[69]  Quant aux remarques que la membre visée a faites verbalement à d’autres membres, telles qu’elles sont rapportées dans certains résumés contenus dans la pièce à conviction RAD-3, ells se rattachent aussi à des échanges informels portant sur le favoritisme hiérarchique et ne se réduisent pas à des commérages malveillants ni à des conjectures ponctuelles dépourvues de tout contexte.

[70]  Force est d’ajouter, selon moi, que la manière dont les déclarations de collègues concernés ont été recueillies au cours de la « revue du personnel de veille » rend malaisée leur utilisation pour statuer sur l’allégation ici examinée, car dans certains de ces entretiens, la question d’une possible inconduite de la part de la membre visée était abordée avant même que ne débute l’enregistrement. Le fait, une fois démarré l’enregistrement, de prendre pour point de départ les suggestions préalables de l’interrogateur diminue le poids que l’on peut accorder à la déclaration de la personne interrogée et rend l’utilisation de celle-ci sujette à caution dans le cadre d’une procédure arbitrale.

[71]  Je conclus que la membre visée, en commettant les actes ou omissions décrits au point 2c) de l’allégation 1, n’a pas contrevenu à l’art. 7.1 du code de déontologie de la GRC.

Induire son superviseur en erreur au sujet d’un ordre reçu de son superviseur précédent (allégation 3)

[72]  Les verbatims des déclarations que le cap. C S a faites le 25 août et le 25 septembre 2014 ont été introduits en preuve par la RM (pièces à conviction RM-1 et RM-2). Celle-ci a également déposé en preuve la version papier du rapport d’incident général dans le dossier PRIME no 2014- 13564, qui comportait 40 pages d’entrées effectuées par la membre visée, le cap. N B, le cap. C S, le gend. N (qui a répondu à la demande de service en compagnie de la membre visée, et dont les entrées aux pages 28 et 29 rendent intégralement compte de l’intervention) et le s.é.-m. D S (pièce à conviction RM-3). Cette affaire concernait une plaignante qui s’est retrouvée engagée dans une lutte acharnée contre son mari, dont elle était séparée, au sujet d’un sac de sport contenant des articles appartenant à leurs enfants. Un tiers indépendant ayant été témoin de la scène a fourni un compte rendu de l’échange entre les deux parents se disputant pour savoir lequel des deux devait garder possession du sac de sport; le témoin a déclaré ne pas avoir vu le mari agresser la plaignante.

[73]  Le verbatim de la déclaration du cap. N B, recueillie le 1er septembre 2014, a été introduit en preuve par la RM (pièce à conviction RM-6). Celle-ci a en outre déposé en preuve des extraits du journal de projet du Groupe des normes professionnelles du Détachement de Coquitlam, qui contenaient des entrées effectuées entre le 16 octobre 2014 et le 5 mai 2015 (RM-7), ainsi que le verbatim de la déclaration du s.é.-m. D S, recueillie le 27 août 2014 (RM-9).

[74]  La membre visée n’a pas fait de déclaration dans le cadre de l’enquête déontologique. Elle a toutefois, conformément au par. 15(3) des CC (déontologie), expressément répondu aux points 3, 4 et 5 de l’énoncé détaillé de l’allégation 3 [Traduction] :

Point 3 – Dénégation et explication

Lorsqu’elle a appris que la citoyenne concernée allait sans doute porter plainte, [la membre visée] a en informé [le cap. C S] et lui a fait savoir qu’elle s’apprêtait à rencontrer [le/la serg. P S] à ce sujet.

[La membre visée] a exposé [au serg. P S] les circonstances de l’incident, et ce dernier a reconnu qu’il ne semblait pas exister d’éléments de preuve suffisants pour déposer des accusations.

[La membre visée] a transmis cette information [au cap. C S], qui lui a demandé à quel moment elle comptait « lui briser le coeur [celui de la plaignante] » en lui annonçant qu’aucune accusation ne serait déposée.

[Le cap. C S] n’a pas donné pour instruction [à la membre visée] de demander l’avis de la Couronne dans ce dossier.

Point 4 – Aveu

[Le cap. C S] a demandé [à la membre visée] : « À quel moment comptes-tu lui briser le coeur? », ce qu’elle a compris comme voulant dire ceci : « Quand comptes-tu informer la plaignante qu’aucune accusation ne serait déposée? »

Point 5 – Dénégation

[75]  En ce qui a trait au point 3 et à la directive qu’il a donnée à la membre visée, le cap. C S a déclaré ce qui suit pendant l’interrogatoire principal (verbatim, le 19 novembre 2016, p. 54, lignes 19-23) [Traduction] :

Réponse : […] C’était ça, la directive – c’était ça que je voulais : qu’on en discute, qu’on obtienne l’avis de la Couronne, puis qu’on passe au dernier acte avec cette dame mécontente de notre inaction.

[76]  Le cap. C S, qui a admis n’avoir rien inscrit au dossier au sujet de la directive donnée à la membre visée, a résumé comme suite son échange avec elle sur ce point (verbatim, le 19 novembre 2016, p. 55, lignes 2-9) [Traduction] :

Question : […] Avez-vous eu un échange avec [la membre visée] et lui avez-vous donné une directive?

Réponse : Notre échange ressemblait à ça : « Va parler au procureur de la Couronne. »

Question : D’accord.

Réponse : Ou bien tu écris un rapport, ou bien tu consultes la Couronne pour connaître sa position là-dessus, de sorte qu’on puisse retourner voir la dame pour lui dire ce qui en est.

[77]  Au cours du contre-interrogatoire, la RM est parvenue à établir que le cap. C S considérait les termes « conseils » [guidance] et « directives » [direction] comme de parfaits synonymes (verbatim, le 19 novembre 2016, p. 58 et 59) [Traduction] :

Question : […] Est-il exact de dire que vous lui avez à la fois donné des conseils et des directives?

Réponse : Où est la différence?

Question : Je dirais qu’on donne des « conseils » à une personne pour lui faire profiter de l’expérience qu’on a, pour lui faire savoir ce qu’on ferait dans une situation donnée, tandis qu’une « directive » ressemble plus à un ordre. Vous n’êtes pas d’accord?

Réponse : Eh bien, je ne vois pas la différence, à moins que vous entendiez par « ordre » la consigne donnée officiellement par écrit en application de la Loi sur la GRC. Mais ce n’est pas comme ça qu’on fonctionne, aux services généraux. Personne ne fonctionne comme ça. En ce sens-là, nous ne sommes pas un groupe paramilitaire. Les conseils…

Question: Vous…

Réponse : Pardon, vous m’avez coupé la parole. Vous dites?

Question : Qu’entendez-vous par « conseils »? Donnez-vous à vos subalternes des conseils qui leur disent quoi faire?

Réponse : Je me répète, mais je ne vois pas la différence entre « conseils » et « directives ». Si je vais… si je travaille avec vous dans une affaire et que je vous fais profiter de mes conseils, ça revient à vous donner des directives : dans les deux cas, je vous montre la voie à suivre.

[78]  À un point ultérieur du contre-interrogatoire, le cap. C S s’est avéré incapable de préciser aussi bien le lieu où il était quand il a donné ses directives à la membre visée que le mode de communication qu’il a employé (verbatim, le 19 novembre 2016, p. 74 et 75) [Traduction] :

Question : […] Et vous avez dit aujourd’hui que vous aviez donné [à la membre visée] la directive de consulter la Couronne pour avoir son avis – est-ce exact?

Réponse : Oui.

Question : Dans quel contexte lui avez-vous donné cette directive? Était-ce en personne, par téléphone, par écrit?

Réponse : Ça s’est fait verbalement. Est-ce que c’était en personne ou par téléphone, ça, je ne m’en souviens pas.

Question : Avez-vous pris note ou gardé une trace écrite de cette directive donnée?

Réponse : Non.

Question : Étiez-vous en présence de qui que ce soit au moment où vous avez donné cette directive?

Réponse : Je ne crois pas, non.

Question : Pardon, vous avez bien dit « Je ne crois pas »?

Réponse : J’ai dit que je ne crois pas que quiconque ait été présent. Je crois qu’il n’y avait que [la membre visée] et moi. Quant à savoir si c’était en personne ou au téléphone, je ne m’en souviens plus.

[79]  Le témoignage du cap. C S et celui de la membre visée, joints aux éléments de preuve objectifs contenus dans les inscriptions faites au dossier d’enquête (pièce à conviction RM-3), établissent le fait qu’en raison de l’existence du compte rendu des événements fourni par le tiers ayant assisté à la scène, le cap. C S et la membre visée étaient tous deux fermement d’avis qu’il n’y avait pas matière à accusation.

[80]  Cela étant, après avoir entendu le témoignage du cap. C S, je conviens qu’un bon superviseur ou un bon chef de détachement qui est tenu de répondre à un plaignant mécontent serait conscient du risque que ce dernier porte plainte contre la Gendarmerie. Bien qu’en l’espèce aucun des membres de la GRC travaillant à l’affaire n’ait estimé que le dépôt d’accusations était justifié, et bien qu’il fût décidé qu’aucune accusation ne serait déposée, je conviens qu’il restait prudent de consulter l’avocat de la Couronne ou de lui demander son avis. Cela est prudent parce que dans l’éventualité d’une plainte du public, le dossier d’enquête peut attester non seulement du fait que les enquêteurs estimaient qu’il n’y avait pas matière à poursuite, mais, en outre, du fait qu’ils étaient fondés à rester du même avis après avoir consulté le procureur de la Couronne.

[81]  Ayant pris connaissance de la preuve présentée, y compris la déposition d’un tiers indépendant ayant été témoin de l’incident, je constate que le cap. C S estimait qu’il n’y avait pas lieu de déposer d’accusation et que, à un certain moment, il a jugé opportun que, par précaution, la Couronne soit consultée.

[82]  Je souscris à l’opinion de la RM selon laquelle le cap. C S a, dans une certaine mesure, commencé à se braquer pendant son contre-interrogatoire. Il était manifestement sur la défensive quand il s’est fait demander sans détour s’il avait effectivement posé cette question à la membre visée (en pensant au devoir qu’avait celle-ci d’annoncer à la plaignante contrariée que son mari, dont elle était séparée, ne serait pas accusé) : « À quel moment comptes-tu lui briser le coeur? »

[83]  Dans mon appréciation de ce segment du témoignage du cap. C S, qui était apparu au cours de l’interrogatoire principal comme un enquêteur et un superviseur expérimenté et sachant s’exprimer, j’ai accordé un poids non négligeable à la longue pause qu’il a faite avant de répondre à la question. Ce disant, je reconnais expressément que, au regard du droit, l’attitude du témoin à la barre n’est par le seul élément à considérer pour juger de sa crédibilité. Dans les circonstances de l’espèce, et compte tenu de la qualité du témoignage du cap. C S dans son ensemble, je me serais attendu, lorsqu’on lui a demandé s’il se rappelait avoir dit à la membre visée « À quel moment comptes-tu lui briser le coeur? », à une réponse immédiate de sa part.

[84]  Au lieu de cela, le cap. C S a cherché à justifier sa position en affirmant que, puisque c’est l’avis d’un procureur de la Couronne dont il voulait discuter avec la membre visée, il ne se serait jamais contenté de l’opinion d’un membre des Normes professionnelles. Cela est bien possible, mais en l’espèce, je ne suis pas convaincu que la membre visée ait reçu une directive verbale qui lui faisait l’obligation de communiquer avec la Couronne avant de clore le dossier.

[85]  La teneur des conseils ou directives verbales que le cap. C S a donnés à la membre visée, soit en personne, soit par téléphone, reste nébuleuse. L’absence d’entrée au dossier rendant compte de ces conseils ou directives est problématique quand vient le temps de juger du bien- fondé d’une allégation de conduite déshonorante. Je ne peux pas exclure la possibilité que le cap. C S ait tout bonnement oublié la nature exacte de la conversation qu’il a eue avec la membre visée et lors de laquelle il lui aurait dit « À quel moment comptes-tu lui briser le coeur? », ce que celle-ci a pris pour une indication qu’il n’était pas ou n’était plus nécessaire de consulter l’avocat de la Couronne.

[86]  L’un des aspects déconcertants de la preuve produite tient à l’insistance avec laquelle le sergent d’état-major responsable de l’équipe de veille du cap. C S a, dans son témoignage, souligné que les allégations de violence conjugale étaient traitées comme des affaires « à risque élevé », c’est-à-dire nécessitant l’exécution la plus stricte de toutes les mesures d’enquête requises. Or le dossier d’enquête (pièce à conviction RM-3) ne contient aucune directive écrite émanant du cap. C S; ce qu’il contient, en revanche, c’est un long message que le cap. C S a écrit au sergent d’état-major responsable de l’équipe de veille, une entrée effectuée autour de la date à laquelle le conseil ou la directive aurait été adressé verbalement à la membre visée.

[87]  Par ailleurs, si la membre visée avait essayé de cacher au cap. N B que le cap. C S lui avait donné pour instruction de s’entretenir avec la Couronne, pourquoi aurait-elle écrit ce qu’elle a fait dans l’entrée qu’elle a effectuée le 28 mai relativement à ses échanges avec le cap. C S et avec la plaignante? Cela ne s’accorde pas avec la prépondérance de la preuve requise pour établir qu’une directive verbale a clairement été donnée à la membre visée.

[88]  Il ressort du témoignage de la membre visée que les circonstances dans lesquelles elle a fait connaître au cap. C S l’opinion du serg. P S, des Normes professionnelles, sont celles d’une conversation particulièrement informelle. À mon sens, le caractère très peu officiel de l’échange que rapporte la membre visée ne mine pas la crédibilité de son témoignage sur ce point ni n’indique que son récit des événements ait été intéressé ou insincère. L’aspect informel que la membre visée attribue au bref échange verbal qu’elle a eu avec le cap. C S ne diminue en rien sa crédibilité relativement au contenu de cet échange.

[89]  En conséquence de ce qui précède, je ne suis pas convaincu que la membre visée ait, comme le spécifie le point 3 de l’allégation 3, reçu pour instruction de consulter un avocat de la Couronne pour connaître son avis sur le dossier. J’ajoute que, même si la membre visée avait effectivement été invitée à le faire au départ, le fait que, lors d’un échange avec elle, le cap. C S lui ai dit « À quel moment comptes-tu lui briser le coeur? » la déchargeait de toute obligation de consulter la Couronne.

[90]  L’énoncé détaillé du point 4 de l’allégation 3 dit ceci : « [V]ous avez informé le cap. [N B] que le cap. [C S] reconnaissait que la plainte était sans fondement et qu’il était donc inutile de consulter l’avocat de la Couronne ». J’estime que la membre visée ne s’est pas comportée de façon déshonorante en communiquant cette information au cap. N B, car les observations du tiers indépendant ayant été témoin de l’incident avaient effectivement amené le cap. C S à juger la plainte dépourvue de fondement. Comme il a été dit plus haut, il se peut que le cap. C S ait, à un certain moment, voulu que de plus amples mesures soient prises, mais lorsqu’il a appris qu’un témoin neutre avait décrit l’incident comme une dispute entre les membres d’un couple désuni se chamaillant au sujet d’un sac rempli d’articles de sport, il a reconnu que la plainte était sans fondement.

[91]  Le libellé du point 4 de l’allégation 3 présente une certaine ambiguïté. Je viens à l’instant de conclure que la membre visée avait informé le cap. N B que le cap. C S reconnaissait que la plainte était sans fondement (première partie du point 4 de l’allégation 3). C’est là en effet un compte rendu exact de l’opinion du cap. C S sur la plainte.

[92]  Toutefois, dans la deuxième partie du point 4, il est dit ceci : « […] et qu’il était donc inutile de consulter l’avocat de la Couronne ». Le sens de ce segment de phrase n’est pas évident. En voici une interprétation raisonnable : parce que le cap. C S avait reconnu qu’il n’y avait pas matière à accusation, la membre visée a dit au cap. N B qu’il n’était pas nécessaire de consulter l’avocat de la Couronne pour obtenir son avis officiel sur le dossier. À un certain moment, le cap. C S s’est dit d’avis qu’il était prudent de consulter la Couronne pour cette raison que cela affermissait la position de la police devant l’éventualité que la plaignante mécontente dépose une plainte contre l’organisation, et non parce que l’affaire était difficile à juger et nécessitait l’avis de la Couronne sur l’opportunité du dépôt d’accusations criminelles. Comme je tiens pour avéré que le cap. C S a dit « À quel moment comptes-tu lui briser le coeur? » à la membre visée après qu’elle lui eut transmis l’opinion du serg. P S, j’estime que la membre visée n’a pas fait preuve d’une conduite déshonorante en se comportant de la manière décrite dans la deuxième partie du point 4 de l’allégation 3. La membre visée a raisonnablement interprété les paroles du cap. C S comme signifiant qu’elle devait clore le dossier après avoir communiqué avec la plaignante pour lui dire qu’aucune accusation ne serait déposée.

[93]  J’ai aussi envisagé la possibilité que la membre visée ait, d’une façon ou d’une autre, cherché à tromper le cap. N B, mais cette possibilité est peu compatible avec le fait qu’elle a clairement inscrit au dossier qu’il était inutile de s’enquérir de l’avis de l’avocat de la Couronne, car une telle entrée aurait alors pu immédiatement être contestée par le cap. C S. Je conviens que les responsabilités de surpervision à l’égard de la membre visée ont été transférées au cap. N B. Il n’est cependant pas raisonnable de conclure que cette dernière aurait inscrit au dossier ce qu’elle y a inscrit si elle était toujours liée par la directive que le cap. C S croit lui avoir donnée. Compte tenu de mon appréciation de la preuve, je ne suis pas convaincu que la membre visée ait fait au cap. N B quelconque déclaration contenant des renseignements faux ou trompeurs, ainsi qu’il est allégué au point 5 de l’allégation 4.

[94]  Je conclus, eu égard à l’allégation 3, que la membre visée n’a pas contrevenu à l’art. 7.1 du code de déontologie de la GRC.

Consultation du système d’information à des fins sans rapport avec le travail (allégation 4)

[95]  Le RAD a déposé en preuve la plainte que la membre visée a, le 20 mars 2014, envoyée par courriel à la serg. R M-M au sujet de l’opératrice en télécommunications Mme S P (pièce à conviction RAD-3). L’allégation 4 fait état de recherches sans lien avec le travail qui auraient été menées les 11 et 12 août 2014 à propos de Mme S P. Les sorties sur imprimante relatives à ces présumées consultations sans lien avec le travail ont également été déposées en preuve (RAD-4).

[96]  Le membre chargé des enquêtes internes, le serg. P S, s’est vu transmettre les relevés enregistrés comme pièce à conviction RAD-4. Au cours de son contre-interrogatoire, il a reconnu en toute franchise qu’il ne s’était jamais servi d’un poste de travail mobile d’autopatrouille pour mener le genre de recherches que celles que la membre visée aurait effectuées. Son examen ayant porté uniquement sur les relevés imprimés, je suis amené à constater qu’il a conclu que la membre visée avait procédé à des recherches de renseignements criminels et de renseignements sur un numéro de plaque qui n’avaient pas de lien entre elles, et qu’il n’avait aucune connaissance de la manière dont les recherches avaient été menées ni de celle dont les résultats de ces recherches avaient été présentés.

[97]  La RM a obtenu une déclaration écrite du/de la gend. F et l’a déposée en preuve (pièce à conviction RM-10). À la barre des témoins, le/la gend. F a subi un interrogatoire principal ainsi qu’un contre-interrogatoire.

[98]  Lors de son interrogatoire principal, la membre visée a esquissé à la main un schéma représentant les bâtiments et l’aire de stationnement de l’immeuble du Détachement de Coquitlam (RM-11). Sur ce schéma, elle a mis en évidence l’endroit où se trouvait les places de stationnement « réservées aux véhicules de police » (RM-12), ainsi que la place occupée par le véhicule dont Mme S P était la propriétaire enregistrée.

[99]  Exception faite du témoignage du/de la gend. F et, dans une certaine mesure, de celui de la membre visée, aucun élément de preuve à jour et fiable n’a été présenté concernant le fonctionnement, les 11 et 12 août 2015, du poste de travail mobile installé dans l’autopatrouille de la membre visée. Le dossier de l’autorité disciplinaire ne contient aucun élément de preuve fiable relatif au type exact de renseignements fournis en réponse à certaines requêtes faites dans le système informatique ni au sujet des renseignements fournis automatiquement en sus de ceux liés à la requête initiale.

[100]  En l’espèce, il y a manque de preuve documentaire aussi bien que testimoniale pour établir que les requêtes relevées dans la pièce à conviction RAD-4 ont forcément été générées par suite d’actes déterminés posés par la membre visée.

[101]  La membre visée a admis avoir fait les recherches de numéro de plaque qui sont attestées par le journal d’activité du District du Lower Mainland et horodatées au 11 août à 22 h 12. Ce qui fait défaut, c’est une explication valable, de la part de l’autorité disciplinaire, au sujet de l’occasion ultérieure à laquelle les autres données ont été générées.

[102]  Le témoignage du/de la gend. F, joint à celui de la membre visée, qui nie avoir fait ou tenté de faire d’autres recherches, a pour effet d’inverser le fardeau de la preuve, qui incombe désormais à l’autorité disciplinaire. Qu’on se souvienne du passage suivant du témoignage du/de la gend. F, un(e) membre expérimenté(e) en matière de sécurité routière : « Il suffit d’entrer le numéro d’immatriculation, et pouf! toute l’information sort. »

[103]  Faute d’une meilleure explication de la part de l’autorité disciplinaire en ce qui concerne le fonctionnement du système de recherche du poste de travail mobile, et étant donné mon incapacité à prendre connaissance d’office du mode de fonctionnement de ce système, l’incertitude demeure quant à la façon dont les secondes données d’opérations de recherche ont été générées, d’autant plus que la membre visée nie avoir mené cette seconde recherche.

[104]  J’estime que, sur une question aussi technique que celle-ci, une explication technique plus étoffée et plus précise aurait été requise. Je ne suis donc pas convaincu selon la prépondérance des probabilités que les données relatives à la seconde requête aient été générées par la recherche distincte que la membre visée aurait menée après sa première recherche portant sur le véhicule civil qui occupait une place de stationnement expressément réservée aux véhicules de police.

[105]  Qui plus est, je ne suis pas convaincu que la seconde requête lancée dans le système d’information électronique de la GRC ait été faite à d’autres fins que celles liées au travail. L’explication que la membre visée a donnée pour sa première recherche est tout à fait plausible : elle voulait savoir qui avait garé sa voiture dans l’aire de stationnement réservée aux policiers. Cette explication s’accorde avec le témoignage du/de la gend. F et est corroboré à la fois par son expérience et sa pratique personnelles et par sa connaissance de ce que font les autres membres lorsqu’ils trouvent un véhicule civil garé dans une place de stationnement du Détachement de Coquitlam qui est réservée à la police. L’absence de place disponible dans l’aire de stationnement réservée aux véhicules de police peut causer des problèmes de sécurité, entraîner des retards dans l’obtention d’échantillons d’haleine auprès de conducteurs soupçonnés d’avoir les facultés affaiblies et, en raison de la portée limitée des caméras de surveillance du détachement, empêcher l’enregistrement vidéo des échanges entre les enquêteurs et les détenus emmenés au poste. En faisant une recherche de numéro de plaque pour trouver à qui appartient un véhicule non autorisé, le membre peut déterminer s’il est opportun de communiquer avec l’intéressé pour qu’il déplace ledit véhicule.

[106]  En date du 11 août 2014, aucune animosité ni aucun motif de plainte n’opposaient la membre visée et Mme S P, comme en témoigne le courriel que la membre visée a envoyé le 20 mars 2014 (pièce à conviction RAD-3) au sujet des communications radio qu’elle avait eues avec Mme S P. J’ajoute foi à l’explication de la membre visée selon laquelle cette dernière, une fois qu’elle eut appris, lors de sa première recherche sur le numéro d’immatriculation, que le véhicule civil qu’elle avait vu dans l’aire de stationnement réservée aux véhicules de police appartenait à Mme S P, s’est abstenue d’entreprendre quelconque action afin d’éviter tout nouveau contact avec celle-ci.

[107]  Je ne suis pas convaincu selon la prépondérance de la preuve que la seconde requête parente (ou les résultats qu’elle a générés), horodatée au petit matin du 12 avril 2014, a été effectuée par la membre visée à des fins sans rapport avec le travail. En toute honnêteté, je ne suis par convaincu que la membre visée ait physiquement mené ces recherches à ce moment-là ni à quelque autre moment. J’estime tout aussi probable qu’une sorte de retard de traitement informatique ou d’incident généré automatiquement ait causé un décalage entre la requête initiale, datée du 11 avril 2014, et l’affichage de l’information provenant du fichier judiciaire nominatif (FJN), qui n’a eu lieu que le 12 août 2014.

[108]  À mon sens, il ne s’agit pas ici d’une situation de responsabilité absolue comme celle où l’identificateur personnel du membre est associé à un résultat de recherche et où ce dernier est dans l’impossibilité de contester qu’il a volontairement effectué une recherche en vue d’obtenir des renseignements déterminés. Je suis d’avis que le témoignage en sens contraire du/de la gend. F, témoignage que je tiens pour fiable, et l’explication que la membre visée a donnée de ses actes concourent à invalider les inférences qui pourraient être tirées des données liées à la requête contenues dans la pièce à conviction RAD-4.

[109]  Je me suis aussi penché sur la question de savoir si la membre visée avait fait preuve d’insouciance en interrogeant une seconde fois le FJN par inadvertance et en laissant ainsi imprudemment des renseignements concernant Mme S P s’afficher à l’écran de son poste de travail – si, autrement dit, une seconde requête avait été faite involontairement. Je ne suis pas convaincu que la preuve tende à établir de façon prépondérante que la membre visée a, de façon involontaire mais insouciante, lancé une seconde requête depuis son poste de travail. D’après le témoignage du/de la gend. F, dont la fiabilité n’est pas mise en doute, le système informatique génère toutes sortes de fenêtres surgissantes. Je ne suis pas en mesure, ni en pratique ni en droit, de recourir à quelconque connaissance personnelle ou acquise d’office sur le fonctionnement du système. Je ne suis pas convaincu que la seconde recherche, à supposer qu’elle ait eu lieu, constitue une forme d’insouciance.

[110]  Je tiens pour avéré que la membre visée a interrogé un système informatique de la GRC relativement à Mme S P, et je conviens que la pièce à conviction RAD-4 atteste l’existence d’une première requête et de ce qui semble être une requête ultérieure (ou l’affichage, la production ou la communication ultérieure de renseignements fournis en réponse à la première recherche sur le numéro d’immatriculation). Je ne suis cependant pas convaincu que la première recherche sur le numéro d’immatriculation ait été menée à des fins autres que celles liées au travail, et comme je ne tiens pas pour établi que la membre visée ait fait une seconde requête, je ne suis a fortiori pas convaincu qu’elle ait fait une seconde requête à des fins sans rapport avec le travail.

[111]  Je conclus, eu égard à l’allégation 4, que la membre visée n’a pas contrevenu à l’art. 7.1 du code de déontologie de la GRC.

MESURES DISCIPLINAIRES

[112]  À l’audience sur les mesures à imposer, la RM a déposé les pièces suivantes :

  • quatre lettres de citoyens brossant un portrait favorable de la membre visée (RM-14);
  • des évaluations de rendement couvrant la période du 1er octobre 2013 au 31 mars 2014 (RM-15) et celle du 1er avril 2011 au 31 mars 2012 (RM-16);
  • deux fiches de rendement favorables, l’une datée du 16 août 2014 (RM-17), l’autre du 31 janvier 2014 (RM-18).

[113]  Une liste des cours (touchant surtout la médiation et la négociation) que la membre visée a suivis au Justice Institute a également été introduite en preuve (pièce RM-19) afin d’abréger la plaidoirie prononcée sans prestation de serment devant le comité de déontologie.

[114]  À l’égard de la contravention à l’art. 7.1 du code de déontologie de la GRC, telle qu’elle est décrite au point 2a) de l’énoncé détaillé de l’allégation 1, les parties ont soumis une proposition conjointe consistant en une réprimande officielle doublée d’une confiscation de solde pour une journée de travail. À l’appui de cette proposition a été invoquée la décision rendue par le comité d’arbitrage de la GRC dans l’affaire répertoriée (2007) 1 D.A. (4e) 254.

[115]  Dans cette affaire, le membre mis en cause avait admis avoir manqué de professionnalisme et avoir fait preuve d’insubordination dans ses commentaires et son attitude à l’endroit de son/sa superviseur(e). En plus d’accepter la proposition des parties consistant en une réprimande doublée de la confiscation d’un jour de solde, le comité a recommandé que la membre visée consulte un professionnel en gestion de la colère. Le comité a fait remarquer que l’inconduite constatée semble avoir été l’aboutissement d’un conflit interpersonnel qui durait déjà depuis un certain temps, et il a retenu quatre incidents disciplinaires antérieurs comme facteurs aggravants, même s’ils n’avaient aucun rapport avec la conduite reprochée en l’espèce. Jugeant que le très mauvais état de santé de la membre visée à l’époque des faits était un argument de poids pour rendre une décision empreinte de clémence et de compassion, le comité a finalement accepté la proposition conjointe de sanction.

[116]  Immédiatement après qu’elles eurent présenté leur proposition conjointe, les parties se sont vu demander si elles avaient évalué l’opportunité que la membre visée suive un traitement médical qui lui serait prescrit par le médecin-chef de la Division E.

[117]  La RM a fait savoir que la psychiatre chargée de traiter la membre visée tenait régulièrement le médecin-chef au courant de l’évolution de ses consultations avec cette dernière, et qu’elle n’avait aucune objection à ce que j’impose une telle sanction.

[118]  Par ailleurs, la RM a demandé que la membre visée soit mutée afin de faciliter un heureux retour au travail.

[119]  Les parties ont été informées que le comité de déontologie, dans le but d’accorder le plus de latitude possible à l’autorité disciplinaire, envisageait la possibilité d’ordonner un changement de poste pouvant prendre la forme d’une réaffectation ou d’une mutation à un différent lieu de travail. Le comité de déontologie était d’avis qu’une mutation était préférable, mais il a estimé qu’il pouvait être opportun de laisser cette décision à la discrétion de l’autorité disciplinaire.

[120]  Soucieux de respecter les principes d’équité procédurale, j’ai informé les parties, et en particulier la membre visée, de leur droit de faire suspendre l’audience (conformément à ce que prévoient les procédures décrites dans le jugement The College of Physicians and Surgeons of Ontario v Petrie, [1989] OJ 187 (Div. Ct.)) et de la possibilité qu’elles avaient de faire des observations sur toute autre mesure disciplinaire envisagée.

[121]  Le RAD n’a présenté aucune observation, si ce n’est pour confirmer la validité de la proposition conjointe, tandis que la RM en a présenté quelques-unes.

CONCLUSION

[122]  Je conclus que la membre visée a contrevenu à l’art. 7.1 du code de déontologie de la GRC de la manière décrite au point 2a) de l’énoncé détaillé de l’allégation 1. Je ne tiens pour établie aucune autre contravention décrite dans l’allégation 1. Je ne reconnais pas le bien-fondé des allégations 3 et 4.

[123]  Les paroles reprochées à la membre visée, qui portent directement atteinte à l’intérêt qu’a la Gendarmerie dans le maintien d’un milieu de travail sain et sécuritaire, ont été prononcées sur le lieu de travail à l’attention d’un collègue.

[124]  Au vu des observations qui ont été présentées sur le bon rendement de la membre visée ainsi que des fiches de rendement et des évaluations annuelles déposées en preuve, je conviens que la membre visée est tout au moins capable, lorsqu’elle se porte bien, de s’acquitter de ses fonctions de manière satisfaisante. Le caractère très perturbant des paroles entendues par le cap. E L est tout d’abord considérablement atténué par la prise en compte de l’état de détresse psychologique aiguë dans lequel se trouvait la membre visée au moment précis où elle les a proférées, puis, de façon plus générale, par la prise en compte de son état de santé mentale, tel qu’il est caractérisé dans le rapport de la Dre P.

[125]  Sans considération des ennuis de santé dont elle était affligée à l’époque des faits, j’estime qu’il serait opportun que la membre visée, d’une manière ou par des moyens qu’elle aura elle- même choisis, assure aux membres auxquels renvoie nommément son commentaire déplacé qu’elle n’hésitera jamais à les protéger dans quelconque situation opérationnelle future où elle assumerait un rôle de soutien.

[126]  Compte tenu de la nature de la contravention établie ainsi que des facteurs atténuants et aggravants, et montrant, comme le dictent la common law et la jurisprudence, la plus grande déférence à l’égard de la proposition conjointe de sanction faite par les parties, j’impose à la membre visée les mesures disciplinaires suivantes, prévues dans les CC (déontologie) :

  • une réprimande [al. 3(1)i)];
  • une pénalité financière équivalant à huit heures de travail, à déduire de la solde de la membre visée [al. 3(1)j)];
  • l’ordre de suivre le traitement médical que précisera le médecin-chef de la Division E [al. 3(1)(d)];
  • la réaffectation [al. 3(1)h)] ou la mutation [al. 5(1)g)] de la membre visée, à la discrétion de l’autorité disciplinaire. Il est entendu que la réaffectation ou la mutation qui sera décidée ne doit pas être incompatible avec la prestation des services de santé que le médecin-chef aura prescrits.

[127]  Maintenant que son état de santé fait l’objet d’un suivi serré et qu’elle reçoit un traitement adéquat, la membre visée doit se voir offrir une véritable occasion de tourner la page sur les antagonismes et conflits interpersonnels qu’elle a vécus à son ancien lieu de travail. Si, malgré des efforts raisonnables pour résoudre ses problèmes de santé, la membre visée se retrouve confrontée à de nouveaux antagonismes et conflits, alors il lui faudra sérieusement envisager de revoir sa façon de gérer ses rapports avec ses collègues et supérieurs.

[128]  Les présents motifs écrits constituent la décision définitive du présent comité de déontologie, décision dont la membre visée et l’autorité disciplinaire peuvent interjeter appel conformément à la Loi sur la GRC.

 

 

Le 28 mars 2017

John A. McKinlay

Comité de déontologie

 

Date

 

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