Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

Un avis d’audience disciplinaire (l’« avis ») a été signifié au membre visé le 14 septembre 2015, conformément à la partie IV de la Loi sur la GRC. Cet avis, produit le 13 août 2015 par l’autorité disciplinaire et commandant de la Division E, faisait état de trois allégations. Le membre visé a admis les trois allégations. Une audience relative aux mesures disciplinaires a eu lieu à Vancouver (Colombie-Britannique) le mardi 6 décembre 2016.

Contenu de la décision

Protégé A

2017 RCAD 2

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AFFAIRE DISCIPLINAIRE

INTÉRESSANT LA

LOI SUR LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

entre

le commandant de la Division E

(l’autorité disciplinaire)

et

le gendarme Curtis Genest, matricule 58600

(le membre visé)

Décision du Comité de déontologie

Inspecteur James Robert Knopp, comité de déontologie

M. John Reid, représentant de l’autorité disciplinaire, Division E

Sergente d’état-major Brigitte Gauvin, représentante du membre


Sommaire

Un avis d’audience disciplinaire (l’« avis ») a été signifié au membre visé le 14 septembre 2015, conformément à la partie IV de la Loi sur la GRC. Cet avis, produit le 13 août 2015 par l’autorité disciplinaire et commandant de la Division E, faisait état de trois allégations. Le membre visé a admis les trois allégations. Une audience relative aux mesures disciplinaires a eu lieu à Vancouver (Colombie-Britannique) le mardi 6 décembre 2016.


Introduction

[1]  Le 18 décembre 2015, la représentante du membre (RM) a déposé la réponse du membre aux trois allégations. Par souci de clarté et de pleine information, les réponses du membre visé ont été reproduites littéralement dans la version originale de la décision (en caractères italiques, à la suite de l’élément voulu de l’énoncé détaillé des allégations).

Allégation 1

Le ou entre le 1er juin 2012 et le 31 mai 2013, à Pitt Meadows ou dans les environs, dans la province de la Colombie-Britannique, [le membre visé] s’est comporté d’une manière déshonorante susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrevenant ainsi à l’art. 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

[Le membre visé] reconnaît avoir consulté des bases de données policières pour une raison non liée à ses fonctions, mais fait valoir que ce comportement est visé par l’article 4.6 du code de déontologie, qui est ainsi libellé : « Les membres utilisent les biens et le matériel fournis par l’État seulement pour les fins et les activités autorisées. ». L’article.7.1 (Conduite déshonorante) ne devrait être invoqué qu’en lien avec une conduite qui n’est visée par aucun autre article du code de déontologie.

Énoncé détaillé de [l’allégation 1]

1. À l’époque des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division E, dans la province de la Colombie-Britannique.

Réponse : Le membre l’admet.

2. Entre le 1er mai 2012 et le 28 juin 2012, [A.A.] a communiqué avec vous pour vous informer qu’un individu contre qui pesaient des accusations criminelles voulait savoir si vous pouviez faire quoi que ce soit pour lui, ou quelque chose du genre. [A.A.] vous a informé que l’individu était prêt à payer.

Réponse : Le membre l’admet. Le 1er mai 2012 est en dehors des dates figurant dans l’allégation (entre le 1er juin 2012 et le 31 mai 2013). Lors de cette communication, [le membre visé] a informé [A.A.] qu’il ne pouvait rien faire.

3. Le 28 juin 2012, alors que vous étiez en service, vous avez rencontré [A.A.] et [A.C.] dans le secteur du centre commercial Meadowtown à Pitt Meadows, en Colombie-Britannique. Vous étiez au volant d’un véhicule de police, en uniforme.

Réponse : Le membre l’admet. [Le membre visé] était dans le véhicule de police stationné au centre commercial Meadowtown, en train de travailler sur un dossier à partir de son poste mobile lorsqu’[A.A.] est entré en contact avec lui pour lui demander de le rencontrer. [A.A.] et [A.C.] l’ont rejoint à cet endroit.

4. [A.A.] s’est assis dans votre véhicule de police et vous a demandé de chercher le nom d’[A.C.] à partir de votre poste mobile. [A.A.] vous a demandé de voir si lui et vous pourriez lui soutirer de l’argent.

Réponse : Le membre l’admet.

5. Vous avez cherché et obtenu de l’information sur [A.C.] à partir de systèmes d’information électroniques de la GRC dans votre véhicule de police pour une raison sans rapport avec vos fonctions.

Réponse : Le membre l’admet.

Allégation 2

Le ou entre le 1er juin 2012 et le 31 mai 2013, à Pitt Meadows ou dans les environs, dans la province de la Colombie-Britannique, [le membre visé] s’est comporté d’une manière déshonorante susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrevenant ainsi à l’art. 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé de [l’allégation 2]

1. À l’époque des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division E, dans la province de la Colombie-Britannique.

Réponse : Le membre l’admet.

2. Entre le 1er mai 2012 et le 28 juin 2012, [A.A.] a communiqué avec vous pour vous informer qu’un individu contre qui pesaient des accusations criminelles voulait savoir si vous pouviez faire quoi que ce soit pour lui, ou quelque chose du genre. [A.A.] vous a informé que l’individu était prêt à payer.

Réponse : Le membre l’admet. Le 1er mai 2012 est en dehors des dates figurant dans l’allégation (entre le 1er juin 2012 et le 31 mai 2013). Lors de cette communication, [le membre visé] a informé [A.A.] qu’il ne pouvait rien faire.

3. Le 28 juin 2012, alors que vous étiez en service, vous avez rencontré [A.A.] et [A.C.] dans le secteur du centre commercial Meadowtown à Pitt Meadows, en Colombie-Britannique. Vous étiez au volant d’un véhicule de police, en uniforme.

Réponse : Le membre l’admet. [Le membre visé] était dans le véhicule de police stationné au centre commercial Meadowtown, en train de travailler sur un dossier à partir de son poste mobile lorsqu’[A.A.] est entré en contact avec lui pour lui demander de le rencontrer. [A.A.] et [A.C.] l’ont rejoint à cet endroit.

4. [A.A.] s’est assis dans votre véhicule de police et vous a demandé de chercher le nom d’[A.C.] à partir de votre poste mobile. [A.A.] vous a demandé de voir si lui et vous pourriez soutirer de l’argent à [A.C.], ou quelque chose du genre.

Réponse : Le membre l’admet.

5. Vous avez tapé le nom d’[A.C.] à l’aide de votre poste de travail mobile et avez obtenu de l’information sur [A.C.] à partir de systèmes d’information électroniques de la GRC.

Réponse : Le membre l’admet.

6. Vous avez transmis l’information obtenue dans les systèmes d’information électroniques de la GRC à une personne non autorisée, à savoir [A.A.], pour une raison non liée à vos fonctions.

Réponse : Le membre l’admet.

7. Après avoir pris connaissance de l’information obtenue à partir de votre poste mobile, [A.A.] vous a dit qu’il parlerait à [A.C.] pour voir s’il pourrait lui soutirer de l’argent, ou quelque chose du genre.

Réponse : [Le membre visé] n’admet ni ne nie cet énoncé : il s’agit d’une répétition de l’énoncé 4, à la différence que les propos auraient été tenus par [A.A.] après que [le membre visé] eut fait les recherches. [Le membre visé] ne se souvient pas qu’[A.A.] ait tenu de tels propos à deux reprises pendant cette rencontre. [Le membre visé], après avoir effectué les recherches et obtenu l’information, a indiqué qu’il ne pouvait rien faire. [Le membre visé] a expliqué à [A.C.] qu’il devait gérer son accusation par l’entremise d’un avocat et du système judiciaire.

8. Vous avez plus tard communiqué avec [A.A.] pour savoir ce qui était arrivé au sujet de l’argent.

Réponse : Le membre l’admet. [Le membre visé] n’a jamais été impliqué dans des négociations ou des échanges monétaires, ni avec [A.C.] ni avec [A.A.]. [Le membre visé] ne savait pas quel montant [A.A.] avait reçu, ni même s’il avait reçu de l’argent. [Le membre visé] n’a jamais touché d’argent dans ce contexte.

Allégation 3

Le ou entre le 1er juin 2012 et le 31 mai 2013, à Pitt Meadows ou dans les environs, dans la province de la Colombie-Britannique, [le membre visé] s’est comporté d’une manière déshonorante susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrevenant ainsi à l’art. 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

[Le membre visé] reconnaît avoir utilisé une voiture de police identifiée pour une raison non liée à ses fonctions, mais fait valoir que cet écart de conduite est visé par l’article 4.6 du code de déontologie, qui est ainsi libellé : « Les membres utilisent les biens et le matériel fournis par l’État seulement pour les fins et les activités autorisées. ». L’article.7.1 (Conduite déshonorante) ne devrait être invoqué qu’en lien avec une conduite qui n’est visée par aucun autre article du code de déontologie.

Énoncé détaillé de l’[allégation 3]

1. À l’époque des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division E, dans la province de la Colombie-Britannique.

Réponse : Le membre l’admet.

2. Le 28 juin 2012, alors que vous étiez en service, vous vous êtes servi d’un véhicule de police pour rencontrer [A.A.] et [A.C.] près du centre commercial Meadowtown à Pitt Meadows, en Colombie-Britannique.

Réponse : Le membre l’admet. [Le membre visé] était au volant du véhicule de police, stationné au centre commercial Meadowtown, en train de travailler sur un dossier à partir de son poste mobile lorsqu’[A.A.] est entré en contact avec lui pour lui demander de le rencontrer. [A.A.] et [A.C.] l’ont rejoint à cet endroit.

3. Pendant la rencontre, vous avez transmis à [A.A.] des renseignements personnels au sujet d’[A.C.]. Vous étiez au courant de l’intention d’[A.A.] de soutirer illégalement de l’argent à [A.C.].

Réponse : Le membre l’admet.

4. Vous avez utilisé un véhicule de police pour une raison non reliée à vos fonctions.

Réponse : Le membre l’admet.

[2]  Ni la RM ni le représentant de l’autorité disciplinaire (RAD) n’ont soumis d’autres éléments de preuve ou d’arguments relatifs aux allégations. Le 6 juillet 2016, j’ai rendu ma décision de vive voix sur les allégations lors d’une conférence préparatoire et le 8 juillet 2016, j’ai remis aux parties ma décision écrite, qui suit.

Décision relative aux trois allégations

[3]  Il n’y a aucune différence entre les notions de conduite déshonorante et de conduite scandaleuse. Énoncés de manière succinte, les critères applicables en vertu de l’ancienne loi à une conclusion d’une conduite scandaleuse continuent de s’appliquer avec la même force à la nouvelle version de la Loi sur la GRC.

[4]  Ces critères, énoncés par le Comité externe d’examen (le « CEE ») de la GRC, ont été étudiés et approuvés par des tribunaux d’instance supérieure et j’estime qu’ils constituent toujours un cadre utile. Le premier de ces critères consiste à confirmer l’identité du membre visé, qui ne fait aucun doute en l’espèce.

[5]  Le deuxième critère consiste à déterminer si les faits allégués ont réellement eu lieu. La norme de preuve applicable aux instances administratives est l’une des questions centrales abordées dans l’arrêt F.H. c. McDougall [2008] 3 RCS 41 (« McDougall »), où la Cour a statué que la faute doit être établie selon la prépondérance des probabilités au moyen d’une preuve claire, convaincante et solide.

[6]  Le troisième critère consiste à analyser les faits afin de déterminer s’ils jettent le discrédit sur la GRC. Le CEE a expliqué qu’il s’agit de juger si une personne raisonnable, ou « monsieur- madame-tout-le-monde » selon l’expression utilisée par Lord Denning, ayant connaissance de tous les faits en cause ainsi que des réalités du travail policier en général et du travail à la GRC en particulier, verrait la conduite en question comme un geste scandaleux qui jette le discrédit sur la GRC.

[7]  La définition du terme « scandaleux » que donne Lord Devlin dans l’affaire Hughes v. Architects Registration Council of the United Kingdom, 1957, 2 All E.R. 436, est éclairante. Selon son interprétation, le terme scandaleux n’est d’aucune façon un terme artificiel; il faut lui donner son sens populaire et naturel. La personne raisonnable doit estimer que les gestes posés sont de nature à déshonorer le membre visé en sa qualité de policier.

Résumé des trois allégations

[8]  Les trois allégations découlent du même ensemble de faits, et même si les deux premières portent sur des événements qui ont eu lieu à des dates autres que le 28 juin 2012, les trois allegations traitent des interactions directes du membre visé avec un individu ici nommé A.A. Les interactions entre le membre visé et A.A. impliquaient toutes une troisième personne, ici nommée A.C.

[9]  A.A. a dit au membre visé qu’A.C. avait été accusé d’une infraction criminelle et qu’apparemment, il voulait savoir si le membre visé pouvait faire quoi que ce soit pour lui, ou quelque chose du genre. A.A. a informé le membre visé que l’individu (A.C.) était prêt à payer. Dans sa réponse à cette allégation, le membre visé a reconnu avoir eu cette conversation avec A.A., mais il ajoute qu’il a répondu à A.A. qu’il ne pouvait rien faire.

[10]  Le 28 juin 2012, le membre visé a rencontré A.A. et A.C. dans un stationnement dans son secteur de service. Lors de cette rencontre, A.A. s’est assis dans le véhicule de police avec le membre visé et lui a demandé de faire des recherches sur A.C. à partir du poste de travail mobile (un ordinateur mobile conçu pour consulter les base de données policières) pour voir s’ils pourraient lui soutirer de l’argent. Le membre visé s’est exécuté et a obtenu de l’information sur A.C. pour une raison non liée à ses fonctions. Voilà l’essence de l’allégation 1.

[11]  L’allégation 2 élargit ces circonstances en ajoutant (dans les paragraphes 6 et 8 de l’énoncé détaillé) que le membre visé a transmis les résultats de ses recherches non autorisées dans les bases de données policières avec A.A et qu’il a plus tard communiqué avec A.A. pour savoir ce qui était arrivé au sujet de l’argent. Dans sa réponse à cette allégation, que le membre visé a admise, celui-ci a affirmé qu’il n’avait jamais été impliqué dans des négociations ou des échanges monétaires, ni avec [A.C.] ni avec [A.A.]. [Le membre visé] ne savait pas quel montant [A.A.] avait reçu, ni même s’il avait reçu de l’argent. [Le membre visé] n’a jamais touché d’argent dans ce contexte.

[12]  L’allégation 3 porte sur la même transaction, mais contient un aveu important : le membre visé admet l’énoncé détaillé contenu dans le paragraphe 3 de cette allégation, selon lequel il était au courant de l’intention d’[A.A.] de soutirer illégalement de l’argent à [A.C.]. Le membre visé admet aussi l’énoncé détaillé contenu dans le paragraphe 4 de l’allégation 3, soit qu’il a utilisé un véhicule de police à des fins non liées à ses fonctions.

[13]  Donc essentiellement, les trois allégations portent sur la consultation non autorisée de bases de données policières (allégation 1), la transmission des résultats de ces recherches à une personne qui n’était pas autorisée à en prendre connaissance (allégation 2) et l’utilisation non autorisée d’un véhicule de police (allégation 3). Les trois allégations contiennent une certaine référence au contexte dans lequel les événements ont eu lieu, et au moment d’établir ces trois allégations, je tiens à fixer des limites très claires entre les inconduites qui peuvent et celles qui ne peuvent pas être punies par des mesures disciplinaires.

[14]  Une personne raisonnable ayant connaissance de toutes les circonstances de l’espèce ainsi que des réalités du travail policier en général et de celles du travail à la GRC en particulier serait d’avis que l’utilisation non autorisée de banques de données policières et d’un véhicule de police constitue une conduite déshonorante. Une personne raisonnable ne trouverait aucun motif lié au travail policier pour que le membre visé permette à A.A. de s’asseoir dans le véhicule de police ou pour qu’il recherche le nom d’A.C. dans les banques de données. Il n’avait certainement aucune raison de transmettre le fruit de ces recherches à A.A.

[15]  En fait, il est fait allusion du véritable motif de l’utilisation non autorisée de l’équipement et de l’information dans les trois allégations : dans l’allégation 1, « voir si lui et vous pourriez lui soutirer de l’argent », dans l’allégation 2, « ce qui était arrivé au sujet de l’argent » et dans l’allégation 3, le membre visé admet qu’il était au courant de l’intention d’A.A. de soutirer illégalement de l’argent à A.C., mais rien n’indique de quelle façon A.A. prévoyait s’y prendre pour soutirer de l’argent à A.C. ou de quelle façon le membre visé a été mis au courant de ce projet. Malgré cela, une personne raisonnable n’hésiterait pas à conclure que le contexte sous-jacent de l’utilisation non autorisée des banques de données et du véhicule par le membre visé est scandaleux et jette le discrédit sur la GRC.

[16]  Compte tenu de ce qui précède et des preuves claires, solides et convaincantes contenues dans les aveux du membre visé, j’estime que les trois allégations sont établies selon la prépondérance des probabilités.

[17]  Toutefois, il existe des limites très claires quant à l’ampleur de l’inconduite en l’espèce à partir de cette étape de la procédure. Compte tenu de la manière dont la procédure a été initiée, il est évident qu’on demande le renvoi du membre visé. De plus, il apparaît dans les documents d’enquête versés au dossier qu’on s’inquiète du fait que le membre visé ait pu être impliqué dans une quelconque forme de complot avec A.A. afin de soumettre A.C. à une certaine forme de chantage ou d’extorsion. Cet aspect de l’affaire n’a jamais été prouvé.

[18]  Il est crucial de noter que les mots « complot », « extorsion » ou « chantage » n’apparaissent nulle part dans les allégations ni dans les aveux du membre visé. Les détails des interactions entre A.A. et A.C. ne sont jamais expliqués, ni la mesure dans laquelle le membre visé connaissait ces détails. Les aveux du membre visé ne peuvent pas être le fondement d’une spéculation. Si on allègue une inconduite extrêmement grave, il faut expliquer clairement la nature précise de cette inconduite dans l’avis. Tout membre nommé dans un avis doit être informé de l’affaire qui le concerne. Il serait mal venu, moralement et légalement, de sanctionner une inconduite qui n’a jamais été alléguée.

[19]  Je limite délibérément l’inconduite à l’utilisation non autorisée d’équipement et d’information et à la divulgation non autorisée de cette information dans un contexte où le membre visé était au courant de l’intention d’A.A. d’utiliser cette information pour tenter de soutirer de l’argent à A.C.

[20]  Cela ne signifie toutefois pas que l’inconduite qui forme maintenant la base à partir de laquelle des mesures disciplinaires seront imposées n’est pas grave. Elle est grave. Mais il ne s’agit pas d’un complot pour faire du chantage ou de l’extorsion.

Audience relative aux mesures disciplinaires

[21]  Les parties se sont réunies à Vancouver (Colombie-Britannique) le mardi 6 décembre 2016, afin de faire des observations de vive voix au sujet des mesures disciplinaires. L’autorité disciplinaire demandait le renvoi du membre visé. Le membre visé a fait valoir que cette peine était trop sévère et qu’une confiscation de la solde serait plus appropriée dans les circonstances.

Observations du RAD relativement aux mesures disciplinaires

[22]  Le RAD a produit une pièce en preuve en lien avec les mesures disciplinaires, soit un antécédent de mesure disciplinaire simple. Le 2 juillet 2013, le membre visé a sciemment fait une déclaration fausse, trompeuse ou inexacte concernant un formulaire rempli par son médecin qu’il avait modifié. Le membre visé a été réprimandé et privé d’absence régulière permise. Puisque cet événement s’est produit pendant que le membre visé attendait le règlement de l’espèce, il ne peut pas être considéré comme un antécédent de mesure disciplinaire.

[23]  Le RAD a invoqué neuf affaires à l’appui du renvoi du membre visé. Parmi les trois premières, mentionnons l’affaire entre l’officier compétent de la Division K et le gendarme P : la décision du comité d’arbitrage est répertoriée (2002) 13 D.A. (3e) 108, les recommandations du CEE de la GRC sont répertoriées (2002) 16 D.A. (3e) 200 et la décision du commissaire est répertoriée (2003) 17 D.A. (3e) 65. Dans cette affaire, le membre avait fait des recherches non autorisées et non liées à son travail dans des banques de données au sujet de trois de ses amis d’enfance (S.B., R.A. et T.A.). Ces trois personnes étaient des personnes d’intérêt dans une affaire de meurtre sur laquelle le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) enquêtait. Le membre a admis les allégations.

[24]  Un élément de preuve a été produit en lien avec la peine. Celui-ci prouvait que le membre avait fait un appel téléphonique immédiatement après avoir fait les recherches non autorisées dans les banques de données. Il a appelé S.B., l’une des personnes dont il avait cherché le nom. L’officier compétent a fait valoir qu’il serait raisonnable de déduire que le membre a alors transmis à S.B. le fruit de ses recherches, ce dont le comité a convenu :

Le Comité d’arbitrage conclut que les consultations du CIPC faites le 11 septembre 1999 ont été motivées par de mauvaises fins et que les résultats ont été communiqués à [S.B.]. Le Comité d’arbitrage n’accepte pas l’affirmation du membre voulant que les consultations aient été faites par simple curiosité. La consultation au sujet de [R.A.], une simple connaissance selon [le membre], au milieu d’une conversation téléphonique avec S.B. ne peut s’expliquer autrement. La dernière consultation a été faite sur le dernier des cinq suspects d’un meurtre, toutes les consultations ayant été faites dans un intervalle de quelques minutes. Le Comité d’arbitrage convient avec le serg.-dét. « N ». qu’il serait rare que quelqu’un fasse des consultations sur précisément tous les suspects d’une affaire de meurtre. Le Comité d’arbitrage rejette tout particulièrement le témoignage [du membre] sur cette question.

[25]  Le comité d’arbitrage a congédié le gendarme P parce qu’il avait transmis les résultats de ses recherches à S.B., compromettant gravement l’enquête de la Police de Montréal. En appel, on considérait, entre autres choses, que le Comité d’arbitrage avait commis une erreur en fondant le choix de la peine sur des faits dont il n’était nullement fait état dans l’avis d’audience disciplinaire. Aux paragraphes (26) et (27), le président du CEE déclare ce qui suit :

(26) […] Pour ma part, j’estime que le Comité d’arbitrage n’a pas fait d’erreur de droit en décidant qu’il était permis à l’intimé de présenter en preuve des faits collatéraux lors de l’audience quant à la peine. Cette preuve risquait d’être utile au Comité d’arbitrage afin de lui permettre d’évaluer la gravité du comportement de l’appelant, car elle permettait d’établir les motifs pour lesquels les consultations du CIPC avaient eu lieu et les conséquences qui en ont découlé. J’estime également que la preuve des faits collatéraux était suffisamment convaincante pour qu’il soit justifié de la part du Comité d’arbitrage de conclure qu’il était plus probable que non que l’appelant avait divulgué des renseignements à S.B. concernant une opération de surveillance policière.

(27) Je n’ai aucune difficulté à comprendre la logique de la position adoptée par le Comité d’arbitrage à l’effet que la preuve des entretiens téléphoniques entre l’appelant et S.B. et celle de ses consultations du SRRJ était inadmissible lors de l’audience quant aux allégations mais admissible à l’audience quant à la peine. Il n’y a pas de contradiction dans la position adoptée par le Comité d’arbitrage car les deux audiences servaient à des fins complètement différentes. Le but de l’audience quant aux allégations était d’établir si l’appelant avait, tel qu’allégué, effectué des consultations non autorisées du CIPC le 16 mai 1999 et le 11 septembre 1999 et, le cas échéant, si ces consultations étaient susceptibles de jeter le discrédit sur la GRC […]. Le but de l’audience quant à la peine, cependant, était de permettre au Comité d’arbitrage d’évaluer la gravité du comportement reproché à l’appelant, ce qui veut dire qu’il devait pouvoir identifier l’ensemble des facteurs aggravants et atténuants.

[26]  Le CEE a recommandé le rejet de l’appel du membre. Le commissaire a accepté la recommendation du CEE et maintenu la décision du Comité d’arbitrage quant au renvoi du membre. Le RAD a soutenu que l’abus de confiance du gendarme P (lorsqu’il a effectué des recherches non autorisées dans les banques de données policières) était l’élément qui justifiait son renvoi, et que comme le membre visé a commis un abus de confiance similaire en l’espèce, il devrait lui aussi être renvoyé.

[27]  L’affaire suivante invoquée par le RAD à l’appui du licenciement du membre visé est une affaire soumise à la Section de première instance de la Cour suprême de Terre-Neuve, répertoriée Fox v. Chief of Police, RNC (1995) 127 Nfld & PEIR 340 (Fox). Cette affaire visait une gendarme stagiaire qui était la conjointe de fait de V.T. Celle-ci n’a pas effectué de recherches non autoritsées dans les banques de données au sujet de V.T. (son moniteur pratique l’a fait, puis lui en a transmis les résultats en précisant de ne pas les divulguer à V.T.). Elle a finalement transmis à V.T. les résultats des recherches non autorisées, et son statut de gendarme stagiaire a été révoqué. Le RAD a soumis cette affaire parce que, même si elle n’est pas récente, elle fait ressortir l’importance de la confidentialité absolue. Au paragraphe (49), il est indiqué ce qui suit :

(49) […] [L]orsqu’il est dûment prouvé qu’un policier a enfreint la règle de la confidentialité, celui-ci peut s’attendre à être congédié.

[28]  L’affaire suivante invoquée par le RAD, L’officier compétent de la Division E et la gendarme K, (2010) 5 D.A. (4e) 172 (Gendarme K), ne porte pas sur la confidentialité. Il s’agit plutôt d’une affaire de vol à l’étalage, mais elle a été soumise en raison des principes sous-jacents. On s’attend des membres qu’ils aient un comportement au-delà de ce qui est attendu de la population en général. Dans cette décision, les observations du commissaire dans l’affaire répertoriée (1990) 3 D.A. (2e) 62 (p. 67) sont les suivantes :

Il est raisonnable que les citoyens s'attendent à ce que les personnes chargées d'appliquer les lois les respectent eux-mêmes. Lorsque les membres contreviennent à la loi, cela mine la confiance du public qui est tellement essentielle pour la police. Lorsque les membres s'engagent dans la Gendarmerie, ils acceptent volontairement les restrictions que cela comporte : ils savent que leur comportement fera l'objet d'un examen scrupuleux et sera jugé selon des normes plus sévères que celles auxquelles est astreint le simple citoyen.

[29]  Le RAD a fait valoir que puisque l’abus de confiance du membre était délibéré, ce dernier devait être congédié.

[30]  Cette affaire (5 D.A. [4e] 172) a aussi été invoquée parce que le stress a été un facteur atténuant dans la détermination de la peine, et que le RAD anticipait qu’on proposerait de considérer le stress comme un facteur atténuant en l’espèce. Le stress, selon le RAD, fait partie du quotidien et nous devons tous apprendre à composer avec lui. Un bon sens moral comprend la capacité de faire face aux difficultés de la vie.

[31]  Le RAD a également invoqué la décision du CEE répertoriée 28 D.A. (2e) 213. Même si l’affaire en question ne portait pas sur les banques de données policières, elle contenait une analyse utile de la viabilité du bon rendement en guise de facteur atténuant dans la détermination de la peine. À la fin de la 21e page de la décision, la présidente intérimaire du CEE a fait observer ce qui suit :

De façon générale, l'éthique professionnelle et la conscience professionnelle peuvent être des indicateurs (parmi d'autres) de sens moral. Les indicateurs de sens moral sont en revanche pertinents pour la décision d'imposer une peine telle que le congédiement. En outre, on peut s'attendre d'un membre consciencieux qui a un bon dossier de service, mais qui a commis une inconduite, qu'il travaillera par la suite d'arrache-pied à s'acquitter comme il se doit de ses fonctions. Évidemment, l'éthique et la conscience professionnelle ne sont pas des indicateurs infaillibles du sens moral, mais aucun indicateur n'est entièrement fiable. Le sens moral ne peut s'établir de façon scientifique et avec certitude. Je me fie plutôt sur les principes reconnus de discipline professionnelle pour évaluer l'éthique et la conscience professionnelle comme des facteurs pertinents pour la détermination du sens moral.

[32]  Le RAD, anticipant que les évaluations du rendement seraient présentées comme des facteurs à prendre en compte pour définir les mesures disciplinaires appropritées en l’espèce, a souligné des aspects du rendement du membre visé qui n’étaient pas particulièrement flatteurs. Dans l’évaluation du membre visé portant sur la période du 1er avril 2012 au 31 mars 2013, l’évaluation des compétences que sont la conscience professionnelle et la fiabilité est la suivante :

Dans la prochaine année, [le membre visé] doit améliorer la documentation de ses dossiers et s’assurer que ses enquêtes sont terminées dans les délais voulus. Lors de l’évaluation de mi-année, j’ai remarqué une amélioration dans la documentation des dossiers, mais cela n’a pas été maintenu. [Le membre visé] devrait également s’efforcer d’accroître sa productivité. Dans ses fonctions aux services généraux, son travail proactif, plus précisément les contrôles de routine et les contrôles des véhicules, est une déception et pourrait être amélioré. Par ailleurs, [le membre visé] manque d’expérience dans les enquêtes sur la conduite avec les facultés affaiblies et les procédures de règlement à l’amiable. Au cours de la dernière année, il n’a effectué aucune enquête sur la conduite avec les facultés affaiblies et aucune procédure de règlement à l’amiable (215); le résultat était extrêmenent faible. Et on demande au (membre visé) de se concentrer sur son amélioration. (Le membre visé) pourrait avoir besoin de formation supplémentaire au sein de la Section de la sécurité routière pour acquérir de l’expérience dams ce domaine. [TRADUCTION LIBRE]

[33]  Le RAD a affirmé que le membre visé avait en fait un rendement médiocre.

[34]  Invoquant toujours l’affaire répertoriée 28 D.A. (2e) 213, le RAD a fait ressortir le point de vue du président du CEE quant aux facteurs qui doivent être pris en considération lorsque le congédiement est envisagé :

[L]e sens moral et le potentiel de réhabilitation sont des éléments normalement déterminants quant à la peine. Les principes de discipline [progressive] et positive pour un acte isolé d’inconduite exigent normalement une peine moindre que la cessation de l’emploi lorsque le sens moral et le potentiel de réhabilitation du membre sont établis. Toutefois, ce n’est pas parce que l’appelant compte ces deux qualités qu’il faut absolument lui infliger une peine moindre que le congédiement; ces facteurs doivent plutôt être évalués en fonction de la gravité de l’inconduite. Il peut y avoir des situations où ces qualités, bien que pertinentes, ne suffisent pas à compenser [… ] le droit de l’employeur de mettre fin à l’emploi.

[35]  Les mesures disciplinaires simples imposées au membre visé dans l’attente de la résolution de l’espèce remettent son sens moral en question.

[36]  Le RAD a invoqué l’affaire L’officier compétent de la Division K et le sergent B répertoriée (1990) 3 D.A. (2e) 62 pour illustrer que lorsque l’inconduite est grave, elle entraîne le congédiement du membre même si la preuve du stress est accueillie. Dans cette affaire, le membre comptait 27 années de bons et loyaux services et a vécu huit événements considérablement stressants distincts, mais il a tout de même été licencié pour avoir volé.

[37]  Dans l’affaire L’officier compétent de la Division K et le gendarme A répertoriée (1995) 23 D.A. (2e) 157, le commissaire a déclaré ce qui suit :

La seule circonstance atténuante, à mon avis, qu’il vaille la peine d’examiner [avec soin] est le caractère isolé de l’acte. Il faut [toutefois en] peser attentivement la gravité, à cause du poste de confiance qu’occupe le gend. A et des attentes du public vis-à-vis de la police. Je crois fermement que l’atteinte à la confiance du public dans cette affaire est beaucoup plus importante que les questions de réadaptation, de possibilité de récidive ou de remords. La peine imposée tient compte des attentes du public et de la réputation de la Gendarmerie et de ses membres. Toute peine moins sévère imposerait un fardeau réel, irrationnel et injuste à la Gendarmerie et [décevrait foncièrement] l’attente du public [voulant que] les membres de la Gendarmerie [soient] au-dessus de tout reproche.

[38]  Les facteurs aggravants mentionnés par le RAD sont les suivants :

  • · l’intervention d’un autre service de police;

  • · le manque de confiance du commandant;

  • · le fait que l’incident a donné lieu à des mesures disciplinaires simples, ce qui indique un sens moral déficient;

  • · la motivation du membre visé, soit la loyauté envers son ami plutôt qu’envers la Gendarmerie;

  • · le caractère répété des recherches (ce n’était pas un acte isolé);

  • · le fait que le membre visé a sciemment aidé A.A. à frauder A.C.

[39]  J’ai questionné le RAD au sujet du dernier facteur aggravant, soit le fait que le membre visé a sciemment aidé A.A. à commettre une fraude. Ce facteur n’a pas été détaillé dans l’avis d’audience disciplinaire, et l’imposition de mesures disciplinaires en lien avec un écart de conduite n’ayant fait l’objet d’aucune allégation contreviendrait aux principes énoncés par la Cour fédérale du Canada dans l’affaire Gill c. Procureur général du Canada [2006] CF 1106 (Gill).

[40]  Le RAD a indiqué qu’il n’était pas d’accord avec la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Gill. En tout état de cause, le membre visé était au courant des faits qui lui étaient reprochés et a eu l’occasion de s’expliquer. Le membre visé a admis qu’il savait que l’information tirée d’une base de données qu’il transmettait à A.A. servirait à ce dernier à soutirer de l’argent à A.C., accuse de conduite avec les facultés affaiblies. Peu importe de quelle façon l’argent devait être transféré, le membre visé n’aurait pas dû fournir l’information tirée d’une banque de données à A.A.

[41]  Compte tenu de tout ce qui précède, selon le RAD, le membre visé devrait être congédié de la Gendarmerie.

Observations de la RM relativement aux mesures disciplinaires

[42]  La RM a critiqué certains facteurs aggravants mentionnés par le RAD. La décision relative aux allégations limitait clairement l’inconduite en cause. La divulgation non autorisée d’information tirée de banques de données relevait davantage d’une erreur de jugement que d’un abus de confiance. Il n’y avait aucune activité criminelle sous-jacente, et aucune activité criminelle comme la fraude, l’extorsion ou le chantage n’a été alléguée et ne peut donc constituer de fondement pour l’imposition de mesures disciplinaires.

[43]  L’intervention d’un autre service de police était minime puisqu’elle s’est limitée au fait que le membre visé s’est rendu dans les locaux d’un autre service de police pour faire une déposition. Cela ne ternit pas la réputation de la Gendarmerie et ne peut pas être considéré comme un facteur aggravant.

[44]  La RM a également mentionné que si une quelconque importance devait être accordée aux mesures disciplinaires simples ayant été imposées au membre, le membre visé ainsi que l’officier hiérarchique ayant imposé les mesures disciplinaires simples devraient pouvoir témoigner relativement aux circonstances entourant l’incident. L’effet préjudiciable de cet élément l’emporte sur sa valeur probante et devrait être ignoré.

[45]  Pour ce qui est de la perte de confiance du commandant envers le membre visé, elle est implicite dans le nouveau régime déontologique lorsque le congédiement du membre est demandé. Cela ne peut donc pas être considéré comme un facteur aggravant.

[46]  La RM a critiqué la jurisprudence soumise par le RAD à l’appui du congédiement du membre visé. Les affaires, qui remontent presque toutes à très loin, portaient sur des écarts de conduite beaucoup plus graves, comme le vol ou l’agression sexuelle de femmes en cellule dont les facultés étaient affaiblies. Les affaires de vol comportaient des condamnations au criminel, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Même l’affaire du gendarme P, qui portait sur l’utilisation des banques de données policières à mauvais escient, était beaucoup plus grave que l’espèce parce que l’inconduite du membre a entravé une enquête sur un meurtre. De plus, de graves facteurs aggravants qui ont été pris en considération dans les affaires du gendarme P et du gendarme K, notamment l’absence de remords ou de volonté de rétablir la relation de confiance avec la GRC, sont tout simplement absents en l’espèce.

[47]  Il est facile de faire la distinction entre l’espèce et l’affaire Fox parce que cette denière impliquait une membre stagiaire. De plus, elle remonte à si loin que les principes qui la sous-tendent ne s’appliquent plus. Dans l’affaire Fox, il a été avancé que lorsqu’un policier enfreint la règle de la confidentialité, celui-ci peut s’attendre à être congédié. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, et il existe de nombreuses affaires dans le cadre desquelles des membres qui ont enfreint la règle de la confidentialité ont conservé leur emploi.

[48]  Les évaluations du rendement du membre visé, quoiqu’elles ne soient pas extrêmement positives, montrent qu’il a le potentiel nécessaire pour réussir. Ces évaluations reflètent la mauvaise décision du membre de retourner au travail trop rapidement après une blessure invalidante. Le membre visé a indiqué dans ses excuses écrites qu’alors qu’il ne comptait pas tout à fait un an de service, le véhicule de police qu’il conduisait a été heurté par un conducteur aux facultés affaiblies, et la collision a été si violente que les pinces de désincarcération ont été nécessaires pour le sortir du véhicule de police. Il a subi des blessures physiques et psychologiques persistantes, y compris le trouble du stress post-traumatique, mais à cause du manque de personnel dans son détachement, il s’est senti obligé de retourner au travail, ce qui s’est révélé beaucoup trop prématuré. Son rendement en a souffert.

[49]  Même si les allégations ont été établies en vertu de l’article 7.1 du code de déontologie (Conduite déshonorante), le Guide des mesures disciplinaires offre plus de précisions si l’on se penche sur l’article 4.6, qui porte sur l’utilisation non autorisée d’équipement policier. L’utilisation non autorisée d’un véhicule de police, qui est l’essence même de l’allégation 3, représente un cas grave et requiert l’imposition de mesures conséquentes, soit la confiscation de la solde pendant de un à dix jours. Pour ce qui est de l’utilisation à mauvais escient des banques de données policières, l’éventail des mesures disciplinaires est très large et exige une confiscation de solde à moins que les recherches aient été faites dans un but illégal ou infâme. Il a clairement été indiqué que le membre visé n’avait pas fait quoi que ce soit dans un but illégal.

[50]  Les affaires jurisprudencielles citées par la RM à l’appui de l’imposition de mesures disciplinaires moins sévères que le congédiement et consistant plutôt en une confiscation de solde sont les suivantes :

  • L’officier compétent de la Division K et le gendarme M (2007) 1 D.A. (4e) 103, affaire dans laquelle le membre a admis quatre allégations selon lesquelles il avait consulté des banques de données policières afin d’obtenir de l’information sur des personnes associées à son ancienne conjointe de fait. Une des allégations portait sur le fait qu’il avait divulgué de l’information tirée d’une banque de données à une personne non autorisée. Le comité d’arbitrage a accueilli la proposition conjointe de peine et a imposé au membre visé une peine globale consistant en un avertissement doublé d’une confiscation de solde pour cinq jours de travail.
  • L’officier compétent de la Division E et la gendarme K (2008) 2 D.A. (4e) 86, affaire dans laquelle la membre a admis une allégation selon laquelle, en tant que surveillante de communications privées interceptées, elle avait divulgué à une personne non autorisée des détails sur ces communications. Elle a également admis une autre allégation, selon laquelle elle avait effectué des recherches non autorisées dans les banques de données policières pour des raisons personnelles. Le comité d’arbitrage a accueilli la proposition conjointe de peine et a imposé à la membre visée une peine globale consistant en un avertissement doublé d’une confiscation de solde pour dix jours de travail. Un grave facteur aggravant était qu’elle avait effectué ces recherches même si elle avait récemment reçu des directives à l’effet contraire.
  • L’officier compétent de la Division E et le gendarme S (2009) 4 D.A. (4e) 284, affaire dans laquelle le membre a admis une allégation selon laquelle il avait effectué, à plusieurs reprises, des recherches dans des banques de données policières pour des raisons personnelles et avait communiqué à une occasion l’information obtenue. Le comité d’arbitrage a accueilli la proposition conjointe de peine et a imposé au membre visé un avertissement doublé d’une confiscation de solde pour cinq jours de travail.
  • L’officier compétent de la Division E et le gendarme G (2010) 10 D.A. (4e) 70, affaire dans laquelle le membre a admis une allégation selon laquelle il avait effectué une recherche sur un parent de son amie de coeur dans une banque de données policières et plus tard informé son amie de coeur du fruit de ses recherches. Le comité d’arbitrage a accueilli la proposition conjointe de peine et a imposé au membre visé un avertissement doublé d’une confiscation de solde pour deux jours de travail.
  • L’officier compétent de la Division C et le caporal P (2010) 6 D.A. (4e) 250, affaire dans laquelle le membre a admis une allégation selon laquelle il avait consulté des banques de données de la GRC, à plusieurs reprises, pour obtenir de l’information qu’il a plus tard communiquée à un détective privé. Le membre n’a reçu aucune rétribution financière de la part du détective privé pour avoir divulgué l’information tirée de la banque de données, mais il a admis une autre allégation de conduite scandaleuse, selon laquelle il avait permis au détective privé de l’inviter à dîner. Le comité d’arbitrage a accueilli la proposition conjointe de peine et a imposé au membre visé un avertissement doublé d’une confiscation de solde pour dix jours de travail pour l’allégation liée à la consultation non autorisée des banques de données.
  • L’officier compétent de la Division O et le gendarme E (2012) 10 D.A. (4e) 269, affaire dans laquelle le membre a admis une allégation selon laquelle, en trois ans, il avait effectué de nombreuses recherches dans des banques de données pour des raisons personnelles. Il a divulgué le fruit de ces recherches à des personnes non autorisées à plusieurs reprises. Le comité d’arbitrage a accueilli la proposition conjointe de peine et a imposé au membre visé un avertissement doublé d’une confiscation de solde pour sept jours de travail.

[51]  De plus, la RM a cité deux décisions rendues dans le cadre du nouveau régime déontologique, soit les décisions répertoriées 2016 RCAD 2 et 2016 RCAD 3, pour la proposition qui figure dans les deux affaires mais qui a d’abord figué au paragraphe [110] de la décision répertoriée 2016 RCAD 2 : « dans les cas où un manque d’intégrité ou un acte malhonnête a été imputé au mis en cause, ce dernier n’a été congédié, de manière générale, que lorsqu’il avait obtenu ou cherché à obtenir un profit personnel et qu’aucun facteur atténuant important n’avait été retenu. » La RM a soutenu que cela s’appliquait en l’espèce puisque le membre visé n’a pas obtenu ou cherché à obtenir un profit personnel. En outre, d’importants facteurs atténuants ont été retenus.

[52]  Le principal facteur atténuant émane de son accident de véhicule de police parce que les blessures physiques et psychologiques qui en ont découlé ont érodé sa relation avec sa femme. Ils ont fini par divorcer, et ils se partagent la garde de leur fille, qui avait trois ans au moment de leur séparation. Après le divorce, le membre visé a emménagé avec un ami de confiance, un ancient membre de sa troupe à la GRC, A.A., celui pour qui, dans les allégations, le membre visé a effectué les recherches non autorisées dans les banques de données policières.

[53]  Il est indiqué dans les rapports médicaux que le membre visé vivait de l’anxiété lorsqu’il se trouvait sur la route des suites de son traumatisme causé par son accident de voiture de police. De plus, on lui avait diagnostiqué un trouble du sommeil, ce qui nuisait aussi à son rendement et à son jugement. Dans le rapport le plus récent, le médecin du membre visé a indiqué ce qui suit : « J’estime que [le membre visé] était très déprimé, ce qui aurait limité ses capacités cognitives, son jugement et son raisonnement. Je soupçonne que son jugement n’ait pas été optimal pendant cette période, et que cela l’aurait amené à prendre de mauvaises décisions. Je crois qu’au moment où je l’ai vu, il souffrait déjà depuis plusieurs années de ces difficultés psychologiques. » [TRADUCTION]

[54]  Plus loin, le docteur conclut : « L’état de santé [du membre visé] s’est amélioré. Il dort mieux. Il n’a plus de sautes d’humeur. Il a moins de flash-back et de pensées intrusives. [Le membre visé] a indiqué qu’il était dans un état d’esprit bien meilleur. Il va mieux physiquement et mentalement, il est en meilleure santé et ses idées sont beaucoup plus claires quand vient le temps de prendre des décisions. » Il termine sa lettre en disant : « Je crois qu’il est peu probable qu’il récidive dans son état d’esprit actuel. » [TRADUCTION]

[55]  La RM n’a pas soumis ces observations du médecin pour excuser les actes du membre visé, mais plutôt pour faire connaître les circonstances particulières entourant sa vie personnelle à l’époque.

[56]  La RM a soumis un autre facteur atténuant, soit que le membre visé a collaboré dans le cadre de l’enquête interne et dans le cadre de la présente procédure. Il a admis les allégations dès le début et a reconnu son inconduite. Il a dit la vérité, ce qui prend beaucoup de courage et un bon sens moral.

[57]  Le membre visé n’a jamais fait l’objet de mesures discipliares. Les mesures disciplinaires simples ont été imposées après les allégations qui font l’objet de la présente procédure.

[58]  Le membre visé a cherché à consulter et a effectivement consulté un spécialiste pour traiter les problèmes ayant contribué à son inconduite.

[59]  La lettre de recommendation au dossier fait ressortir le désir du membre visé d’aider les autres. Ses compétences en encadrement et son leadership font de lui un membre utile de sa famille et de sa communauté.

[60]  Selon la RM, les recherches du membre visé dans les banques de données ne lui ressemblaient pas et découlaient d’un manque temporaire de jugement. La probabilité qu’il recommence est minime.

[61]  Selon la RM, la peine à imposer au membre visé devrait être une peine globale consistant en un avertissement doublé d’une confiscation de solde pour quinze jours de travail et de la confiscation de quinze jours de congé annuel. La confiscation touche la solde et les congés annuels de façon à réduire au minimum les répercussions financières sur le membre visé, qui doit verser une pension alimentaire chaque mois.

[62]  La RM a fait valoir qu’une telle peine serait conforme à l’esprit et à l’intention de la Loi sur la GRC ainsi qu’aux principes énoncés à la page 7 du Guide des mesures disciplinaires : « un maximum « souple » équivalant à la confiscation de la solde pour une période de 30 jours pour une infraction jumelée à des facteurs aggravants, mais lorsque les circonstances ne justifient pas un congédiement. La majorité des cas devraient entraîner une mesure de 30 jours ou moins. Il est suggéré qu’une sanction pécunière de 30 à 45 jours soit utilisée comme ligne directrice pour determiner une sanction maximale à imposer à un membre. »

Décision sur les mesures disciplinaires

[63]  Le CEE de la GRC a établi un cadre bien accepté pour l’analyse des mesures disciplinaires appropriées. D’abord, il faut se pencher sur l’éventail des mesures appropriées, puis sur les facteurs aggravants et atténuants. Finalement, les mesures disciplinaires à imposer doivent être justes et équitables et correspondre à la gravité de l’inconduite en cause.

[64]  Les affaires invoquées par les représentants des parties qui portaient sur des cas d’utilisation non autorisée de banques de données policières et de divulgation non autorisée des résultats de ces recherches ont toutes été entendues sous le régime de ce que nous appelons maintenant l’ancienne Loi sur la GRC. L’un des objectifs de la modification de la Loi était d’élargir l’éventail des peines, que l’on appelle aujourd’hui les mesures disciplinaires, pouvant être imposées en cas d’inconduite policière. En vertu de l’ancienne Loi sur la GRC, la peine maximale encourue, exception faite du congédiement (mettons de côté pour le moment la notion de rétrogradation), était un avertissement doublé d’une confiscation de solde pour dix jours de travail. Les comités d’arbitrage qui devaient sanctionner une inconduite qui méritait clairement plus qu’une confiscation de solde pour dix jours de travail n’avaient d’autre choix le congédiement.

[65]  Une telle limite n’existe plus dans la nouvelle Loi sur la GRC. Alors qu’en théorie, on pourrait confisquer la solde pour un nombre infini de jours de travail, il est fixé dans le Guide des mesures disciplinaires ce que je considère comme une limite réaliste. Pour paraphraser le Guide, lorsque pour sanctionner un écart de conduite, on envisage la confiscation de la solde pour environ 45 jours de travail, il faudrait envisager sérieusement le congédiement.

[66]  Comparativement à l’ancienne Loi sur la GRC, l’éventail des peines est plus de quatre fois plus vaste, ce qui élargit considérablement l’éventail des peines intermédiaires qui se situent entre une confiscation de solde (ou la suspension) et le congédiement. Je suis convaincu que ces modifications sont la manifestation du souhait du Parlement de permettre aux autorités disciplinaires d’imposer des mesures disciplinaires suffisamment graves pour refléter la gravité des inconduites tout en gardant les membres à l’emploi de l’organisation.

[67]  Les affaires d’utilisation non autorisée de banques de données et de divulgation des résultats des recherches invoquées par les représentants des parties révèlent une évolution certaine au fil des années. Les affaires invoquées par la RM sont beaucoup plus récentes que les vestiges d’une époque révolue mis au jour par le RAD, dont on pourrait s’attendre qu’il soumette une réflexion plus à jour sur la position de la Gendarmerie sur des sujets touchant à la confidentialité de l’information policière. L’organisation était certainement plus sensible à la protection de la vie privée au moment de l’affaire du gendarme P, mais à première vue, les affaires invoquées par la RM ne semblent pas le refléter puisque le congédiement n’a été demandé dans aucune d’elles. Elles ont toutes donné lieu à des audiences accélérées dans lesquelles des propositions conjointes de peine ont été faites, et dans toutes ces affaires sauf deux, on a convenu d’une confiscation de solde inférieure au maximum permis.

[68]  Malheureusement, les peines imposées à la suite d’un énoncé conjoint des faits et d’une proposition conjointe de peine ont peu de valeur jurisprudentielle. Le processus de négotiation est protégé par le secret professionnel, et les décideurs ont rarement accès aux facteurs ayant mené à la décision de soumettre une proposition conjointe de peine. Pour cette raison, les propositions conjointes de peine sont considérées comme étant pratiquement intouchables et ne peuvent être rejetées que dans les cas extrêmes.

[69]  Il arrive souvent que les propositions conjointes de peine orientent la définition de l’éventail des mesures disciplinaires appropriées. Malheureusement, les opinions des septs comités différents qui ont entendu les septs affaires de consultation non autorisée des baques de données soumises par la RM sont très différentes :

  • Dans l’affaire répertoriée 13 D.A. (4e) 302, le comité a établi que l’éventail des peines apropriées pour la consultation non autorisée des banques de données allait d’un avertissement simple à un avertissement assorti d’une confiscation de solde se situant dans la partie moyenne à supérieure de l’échelle des sanctions applicables, selon les circonstances de l’espèce.
  • Dans l’affaire répertoriée 10 D.A. (4e) 269, le comité était d’avis, comme les parties, que l’éventail des peines appropriées était un avertissement doublé d’une confiscation de la solde pour une période de cinq à dix jours.
  • Dans l’affaire répertoriée 10 D.A. (4e) 67, le comité a établi que l’éventail des peines appropriées allait d’un avertissement doublé d’une confiscation de la solde, dans le bas de l’échelle des sanctions accepables, jusqu’au congédiement.
  • Dans l’affaire répertoriée 2 D.A. (4e) 86, le comité a établi que l’éventail des peines appropriées allait d’un avertissement assorti d’une importante confiscation de la solde au congédiement, pour une conduite particulièrement extrême.
  • Dans l’affaire répertoriée 1 D.A. (4e) 103, le comité a considéré que l’éventail des peines appropriées allait d’une mesure disciplinaire simple à une confiscation de solde.
  • Dans l’affaire répertoriée 6 D.A. (4e) 250, le comité a considéré que la peine appropriée se situait dans la partie moyenne à supérieure de l’éventail des peines appropriées. Cet énoncé vague qui porte à confusion, à la lumière de la peine qui a été imposée (un avertissement doublé de la confiscation de la solde pour dix jours de travail), laisse entendre qu’il existe un éventail de peines moins sévères que le congédiement. Mais il est suprenant de lire les fermes propos du comité au sujet du caractère névralgique des inconduites liées aux banques de données. En effet, le comité d’arbitrage déclaire qu’à l’appui de ses activités d’application de la loi et de celles d’autres services de police canadiens, la GRC est le gardien du système du CIPC et l’administrateur de l’information qu’il contient. La GRC, tout comme les autres services de police du Canada et le public, est en droit de s’attendre à ce que ses employés respectent les conditions des ententes conclues par la Gendarmerie en tant qu’administrateur, c’est-à-dire que ses employés n’utilisent pas le système à mauvais escient. Le respect des conditions contribue à établir un lien de confiance entre la GRC, d’autres services de police canadiens et le public en ce qui concerne la gestion des renseignements personnels.
  • Finalement, dans l’affaire répertoriée 4 D.A. (4e) 284, le comité a considéré que l’éventail des peines appropriées allait d’un avertissement à une confiscation de la solde dans le milieu de l’échelle des sanctions applicables.

[70]  On ne suggère le congédiement que dans les cas extrêmes les plus graves. Si, en l’espèce, l’autorité disciplinaire avait allégué un complot pour faire du chantage, de la fraude ou de l’extorsion et qu’une telle allégation avait été démontrée par une preuve claire, convaincante et solide, cela aurait pu être considéré comme un cas extrême des plus graves. Il y a une très bonne raison pour laquelle le terme « complot en vue de faire du chantage » ou le mot « extorsion » n’ont pas été utilisés dans l’énoncé détaillé de l’allégation. Il n’y a simplement aucune preuve d’un tel plan.

[71]  Au pire, le membre visé a été irresponsable ou négligent avec l’information sous sa responsabilité, et même si cela représente un grave écart de conduite en soi, les peines appropriées selon la jurisprudence pour une inconduite de cette nature sont moins sévères que le congédiement.

[72]  Dans les deux affaires récentes invoquées par la RM, répertoriées respectivement 2016 RCAD 2 et 2016 RCAD 3, on peut lire : « […] dans les cas où un manque d’intégrité ou un acte malhonnête a été imputé au mis en cause, ce dernier n’a été congédié, de manière générale, que lorsqu’il avait ainsi obtenu ou cherché à obtenir un profit personnel et qu’aucun facteur atténuant important n’avait été retenu. » Je suis d’accord.

[73]  Le membre visé a reconnu avoir manqué d’intégrité lorsqu’il a consulté les banques de données et transmis les résultats de ces recherches à A.A. en étant au courant de l’intention d’A.A. d’obtenir illégalement de l’argent d’A.C. On ne connaît pas précisément la manière dont A.A. prévoyait soutirer illégalement un montant indéterminé d’argent à A.C., et j’estime qu’il y a une bonne raison pour cela. Ce n’est pas prouvé dans le rapport d’enquête. J’estime que la Cour fédérale, dans l’affaire Gill, fournit un précédent largement suffisant pour appuyer mon refus de sanctionner une inconduite qui n’a pas été alléguée.

[74]  Étant donné qu’il n’en est pas fait mention dans l’énoncé détaillé de l’allégation 3, le mot « illégalement » est particulièrement vague. Il n’y a qu’une seule personne qui puisse utiliser légalement l’information tirée des banques de données, et c’est le membre visé, et cela, dans le cadre de ses fonctions. A.A., même s’il est un ancien membre de la GRC, ne peut l’utiliser que de manière « illégale ». L’utilisation non qualifiée de ce mot dans l’allégation n’établit pas un degré de turpitude morale qui justifierait le congédiement du membre visé. Il convient de répéter que le membre n’a obtenu ou cherché à obtenir aucun profit personnel.

[75]  Le membre visé, tout au long de l’enquête et de la procédure disciplinaire, a toujours affirmé ne pas savoir ce qu’A.A. prévoyait faire avec l’information qu’il lui a fournie. Rien ne prouve le contraire. Au pire, alors, j’estime que le membre visé a été irresponsable ou négligent avec l’information tirée des banques de données, ce qui confère un caractère grave à l’inconduite. La protection de la vie privée est de plus en plus importante, et il est dans l’intérêt de la Gendarmerie de prendre fermement position sur l’administration de l’information contenue dans ses banques de données.

[76]  Je ne crois pas que les autres facteurs aggravants soumis par le RDA ont suffisamment de poids pour que les circonstances de l’espèce justifient de même envisager le congédiement du membre visé.

[77]  Un autre service de police n’était qu’indirectement au courant de la tenue d’une enquête interne à la GRC, et bien que toutes les enquêtes internes soient déplaisantes, elles font malheureusement partie de la réalité de tous les services de police. En soi, cela ne suffit pas pour que je conclue que le membre visé, par ses actes, a terni la réputation de la GRC aux yeux d’un autre service de police.

[78]  Je retiens comme facteur aggravant le manque de confiance que le commandant a envers le membre. Par effet de la loi, les seules affaires disciplinaires que j’entendrai en vertu de la nouvelle Loi sur la GRC sont les affaires dans le cadre desquelles le commandant d’une division, en tant qu’autorité disciplinaire, demande le congédiement du membre. Quelle plus grande marque de manque de confiance peut-il y avoir? Soumettre cet élément en tant que facteur aggravant n’est en fait qu’une tautologie.

[79]  Je retiens les mesures disciplinaires simples comme réfutation du sens moral du membre visé, mais puisqu’elles ont été imposées après le début de la présente procédure disciplinaire, je ne peux les retenir en guise de facteur aggravant dans le cadre de la détermination des mesures disciplinaires à imposer en l’espèce.

[80]  Je retiens en guise de facteur aggravant le fait que le membre visé a effectué plus d’une recherche dans les banques de données.

[81]  Les facteurs atténuants en l’espèce sont importants. D’abord et avant tout, mentionnons la série de facteurs sous-tendant le comportement du membre visé tout au long de la période au cours de laquelle les faits allégués se sont produits. Il est important de retenir qu’à sa première année de service, alors qu’il était en fonction, le membre visé a été heurté par le véhicule d’un conducteur ivre. L’impact a été si fort que les pinces de désincarcération ont dû être utilisées pour le sortir de son véhicule de police froissé. Cette collision l’a profondément marqué, physiologiquement et psychologiquement, à tel point qu’on lui a prescrit une forte médication et qu’on a diagnostiqué chez lui une dépression et le trouble du stress post-traumatique.

[82]  Ces éléments ont contribué à l’effritement de son mariage. Une séparation est un événement traumatisant en soi, surtout lorsque la garde d’une fillette de trois ans est en jeu. Vient ensuite dans cette suite d’événements malheureux la perte du domicile familial, qui a obligé le membre visé à se reloger. Il a emménagé avec un membre de sa troupe, M. A.A., que le membre visé connaissait et en qui il avait confiance. Peu après, M. A.A., profitant de la vulnérabilité du membre visé, lui a fait une demande qu’il n’aurait jamais dû lui faire, pour des raisons qui demeurent obscures.

[83]  C’est dans ces circonstances très difficiles que le membre visé a fait une grave erreur de jugement et effectué des recherches dans des banques de données, puis communiqué le fruit de ses recheches à A.A. Il ne s’agit pas d’un comportement répété, même s’il a fait plus d’une recherche. Je peux aisément établir une distinction entre ces faits et ceux qui ont été portés à mon attention et qui concernaient un membre qui faisait régulièrement des recherches pour un détective privé ou un membre qui faisaient des vérifications sur son ex-femme (ou des personnes associées à son ex- femme).

[84]  Même si les gestes posés représentent un grave écart de conduite, ils ne trahissent pas un foncier défaut de caractère. J’ai l’intention d’imposer une importante confiscation de solde et de congés annuels ayant valeur de dissuasion, générale et ponctuelle, mais je suis certain que le membre visé ne répétera jamais cette inconduite.

[85]  Le fait que le membre ait assumé la responsabilité de ses actes est un autre important facteur atténuant. Il a collaboré avec les enquêteurs internes. Il n’y avait aucune incohérence, ni interne ni externe, entre ses différentes déclarations, y compris les aveux qu’il m’a faits.

[86]  Je crois que le membre visé est humblement contrit et qu’il éprouve des remords. Son état de santé et les aléas de sa vie personnelle ne sont pas pour lui une excuse – car il reconnaît clairement qu’il est fautif – mais plutôt une explication.

[87]  L’affaire a été réglée de la manière la plus rapide possible compte tenu de la situation actuelle du groupe de la GRC chargé des affaires déontologiques et disciplinaires, les Services de recours. Par manque de ressources, l’affaire n’a pas pu être résolue plus rapidement, et les aveux du membre visé ont grandement facilité l’administration de la justice. Voilà un important facteur atténuant.

[88]  Je retiens également en guise de facteur atténuant le fait que le membre visé ait cherché à obtenir et obtenu des services pour les problèmes ayant contribué à son erreur de faire confiance à A.A. Son traitement se poursuit et jouera un rôle déterminant dans sa réadaptation.

[89]  L’une des anciennes affaires invoquées était si vieille qu’elle remonte avant l’adoption de la Loi sur la GRC en 1988, qui a récemment été remplacée par la loi en vigueur actuellement. L’affaire entre l’officier compétent de la Division K et le sergent A, répertoriée (1990) 3 D.A. (2e) 62, rappelle ce qui était appelé à la GRC le « tribunal de police ». C’était un processus disciplinaire archaïque et très militarisé qui permettait d’incarcérer un membre ayant commis une inconduite grave. Les membres visés étaient escortés au tribunal de police en portant leur tunique rouge, leurs bottes hautes et leur pantalon, mais leurs éperons à la main pour illustrer qu’ils étaient temporairement tombés en disgrâce au sein de la Gendarmerie.

[90]  Les choses ont beaucoup changé depuis, particulièrement la façon de concevoir le processus disciplinaire. À la fin de la deuxième page de cette décision (les paragraphes n’étant pas numérotés), le commissaire fait référence à des arguments de l’autorité de poursuite, le représenant de l’officier compétent : « Le représentant de l’officier compétent a ensuite déclaré que l’emploi continu du sergent A, dans des fonctions opérationnelles ou administratives, entraînerait des problèmes. Il a expliqué que la GRC n’est pas un institut de réinsertion. » [TRADUCTION LIBRE]

[91]  Je le répète, les choses ont bien changé depuis l’époque du tribunal de police. Je ne pourrais pas être plus en désaccord avec la dernière phrase du paragraphe précédent. La GRC est tout à fait une institution de réinsertion lorsque les circonstances le permettent, et la plupart des affaires disciplinaires entrent dans cette catégorie. Lorsque les membres, comme le membre visé, sont prêts à assumer les conséquences de leurs actes et que leur inconduite n’est pas suffisamment grave pour justifier le congédiement, la GRC est prête à en faire beaucoup pour les aider dans leur démarche de réinsertion. Notre personnel demeure notre plus précieux atout, et le congédiement ne doit être considéré que comme un dernier recours.

[92]  Conformément au Guide des mesures disciplinaires, j’impose au membre visé pour l’allégation 1, qui porte sur la consultation non autorisée de banques de données, un avertissement doublé d’une confiscation de solde pour cinq jours de travail et de la confiscation de cinq jours de congé annuel.

[93]  Pour la deuxième allégation, qui consiste en la divulgation des réultats de ces recherches avec une personne non autorisée à des fins non liées à ses fonctions, j’impose les mêmes mesures disciplinaires, soit un avertissement doublé d’une confiscation de solde pour cinq jours de travail et de la confiscation de cinq jours de congé annuel.

[94]  Pour la troisième allégation, qui consiste en l’utilisation non autorisée d’un véhicule de police pour commettre les inconduites étant l’objet des deux premières allégations, j’impose également un avertissement doublé d’une confiscation de solde pour cinq jours de travail et de la confiscation de cinq jours de congé annuel.

[95]  Je retiens les arguments de la RM concernant la situation financière du membre visé et l’obligation de ce dernier de verser une pension alimentaire pour sa fille. Le total de trente jours est donc divisé également en confiscations de congé annuel et de solde, de façon à réduire les répercussions financières des mesures disciplinaires sur le membre visé.

 

 

janvier 21, 2020

Inspecteur James Robert Knopp

Autorité disciplinaire

 

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