Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

Le 1er février 2017, le commandant de la Division H a, en sa qualité d’autorité disciplinaire, produit un avis d’audience disciplinaire en application de la partie IV de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada. L.R.C. (1985) c. R-10, avec ses modifications. L’avis contenait cinq allégations : quatre de conduite de déshonorante, et une concernant l’omission de rendre compte en temps opportun et de manière exacte et détaillée de l’exécution de ses responsabilités, de l’exercice de ses fonctions et du déroulement d’enquêtes. Le membre visé a nié les cinq allégations. L’audience disciplinaire s’est tenue à Sydney (Nouvelle-Écosse) du 6 au 8 septembre 2017 inclusivement. Les cinq contraventions alléguées ayant été établies, le comité de déontologie a ordonné le congédiement immédiat du membre visé. 

Contenu de la décision

Protégé A

2017 DARD 5

Logo de la Gendarmerie royale du Canada

GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

AFFAIRE DISCIPLINAIRE INTÉRESSANT LA

LOI SUR LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

ENTRE :

Le commandant de la Division H

(autorité disciplinaire)

et

Le gendarme Shawn Greene

Matricule 54966

(membre visé)

Décision du comité de déontologie

Inspecteur James Robert Knopp, comité de déontologie

Le 9 avril 2018

Représentants de l’autorité disciplinaire de la Division H :

Sergente d’état-major Caroline Drolet

Membre civile France Saint-Denis

Représentant du membre visé :

Sergent d’état-major Colin Miller


TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ  3

INTRODUCTION  4

TÉMOIGNAGES  13

Le membre visé  13

M. W.O.  18

Gendarme Jeffrey MacFarlane  19

OBSERVATIONS RELATIVES AUX CINQ ALLÉGATIONS  20

Observations de la représentante de l’autorité disciplinaire  20

Observations du représentant du membre  24

Décision sur chacune des cinq allégations  26

MESURES DISCIPLINAIRES  40

Observations de la représentante de l’autorité disciplinaire  40

Observations du représentant du membre  44

Réfutation de la représentante de l’autorité disciplinaire  48

Décision sur les mesures disciplinaires  49

 

 

RÉSUMÉ

Le 1er février 2017, le commandant de la Division H a, en sa qualité d’autorité disciplinaire, produit un avis d’audience disciplinaire en application de la partie IV de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada. L.R.C. (1985) c. R-10, avec ses modifications. L’avis contenait cinq allégations : quatre de conduite de déshonorante, et une concernant l’omission de rendre compte en temps opportun et de manière exacte et détaillée de l’exécution de ses responsabilités, de l’exercice de ses fonctions et du déroulement d’enquêtes. Le membre visé a nié les cinq allégations. L’audience disciplinaire s’est tenue à Sydney (Nouvelle-Écosse) du 6 au 8 septembre 2017 inclusivement. Les cinq contraventions alléguées ayant été établies, le comité de déontologie a ordonné le congédiement immédiat du membre visé.


INTRODUCTION

[1]  Le 13 avril 2017, le représentant du membre (RM) a déposé en preuve les réponses que le membre visé a fournies aux cinq allégations. À des fins de clarté et d’exhaustivité, chacune de ces réponses est reproduite ici telle quelle, dans son intégralité et en italique, sous l’énoncé des faits auxquels elle se rapporte.

[Traduction]

Allégation 1

Le ou vers le 29 janvier 2016, à St. Peter’s ou dans ses environs (Nouvelle- Écosse), [le membre visé] a fait preuve d’une conduite déshonorante, contrevenant ainsi à l’art. 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

[Le membre visé] nie l’allégation 1. Il admet la véracité de certains faits, mais nie que ses actes constituent une conduite déshonorante.

Énoncé détaillé

1. À l’époque des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté au Détachement de St. Peter’s de la Division H, en Nouvelle-Écosse.

Fait admis.

2. Le 3 septembre 2015, vous avez été accusé de méfait ainsi que d’avoir proféré des menaces de causer la mort ou des lésions corporelles à [M. W.O.], infractions prévues respectivement aux par. 430(4) et 264.1(1) du Code criminel.

Fait admis.

3. Le 3 septembre 2015, vous avez signé une promesse remise à un juge de paix ou à un juge par laquelle vous vous êtes engagé à ne pas troubler l’ordre public, à observer une bonne conduite, à ne pas entrer en contact ni communiquer, directement ou indirectement, avec [M. W.O.], à ne pas cerner ni surveiller la maison d’habitation de [M. W.O.] et à ne pas suivre ce dernier dans ses déplacements. Vous vous êtes également engagé à résider au [adresse].

Fait admis.

4. Le 15 septembre 2015, vous avez été arrêté sous deux chefs d’accusation de manquement à la condition prescrite dans la promesse contractée le 3 septembre 2015 qui vous interdisait de communiquer directement ou indirectement avec [M. W.O.].

Fait admis.

5. Le 18 septembre 2015, vous avez signé un engagement contracté devant un juge de paix par lequel vous vous êtes engagé à ne pas troubler l’ordre public, à observer une bonne conduite, à ne pas entrer en contact ni communiquer ni tenter d’entrer en contact ou de communiquer, directement ou indirectement, avec [M. W.O.], à ne pas cerner ni surveiller la maison d’habitation de [M. W.O.] et à ne pas suivre ce dernier dans ses déplacements. Vous vous êtes également engagé à résider chez vos parents, au [adresse].

Fait admis.

6. Le ou vers le 29 janvier 2016, vous étiez toujours lié par les conditions prescrites dans la promesse signée le 3 septembre 2015 et dans l’engagement signé le 18 septembre 2015.

Explication : L’engagement ayant remplacé la promesse, celui-là et celle-ci ne s’appliquaient pas en même temps.

7. Vous savez quel est le véhicule que [M. W.O.] conduit habituellement.

Explication : [M. W.O.] utilise plusieurs véhicules, que le membre saurait à peu près tous reconnaître. Ce n’est cependant qu’au moment où [M. W.O.] est sorti du magasin que le membre a su avec certitude que le véhicule en question était le sien.

8. Ce jour-là, vous vous êtes rendu au Needs Convenience Store (le « magasin »), sis au 9982 Grenville Street, à St. Peter’s (Nouvelle- Écosse). À votre arrivée, vous avez aperçu et reconnu la camionnette de [M. W.O.], qui était garée devant le magasin.

Explication : [M. W.O.] utilise plusieurs véhicules, que le membre saurait à peu près tous reconnaître. Ce n’est cependant qu’au moment où [M. W.O.] est sorti du magasin que le membre a su avec certitude que le véhicule en question était le sien. Le membre ne peut être sûr qu’il s’agit de la camionnette de [M. W.O.] que s’il voit sa plaque d’immatriculation de pompier. Ce point est corroboré par les mots que le membre a prononcés, à savoir « j’espère que c’est toi », qui témoignent du fait que le membre n’était pas sûr qu’il s’agissait du véhicule de [M. W.O.]

9. Vous avez alors dit, en ces termes exacts ou en d’autres : « J’espère que c’est toi. [pause] Mon hostie. »

Explication : Le membre prétend que [M. W.O.] ne cessait pas de le provoquer, p. ex. en faisant des gestes de la main, en prenant des photos de lui ou en passant à répétition devant lui au volant de son véhicule. C’est la raison pour laquelle le membre s’est acheté une caméra-témoin. Lorsque le membre a aperçu le véhicule, il a pensé qu’il pouvait s’agir de celui de [M. W.O.] et a cru que c’était une bonne occasion de filmer les agissements de ce dernier. Après un certain temps d’attente, le membre a aperçu [M. W.O.], et la première réaction qu’il a eu en reconnaissant ce dernier a été de dire, en pensant à haute voix : « Mon hostie. »

10. Vous avez aperçu [M. W.O.] sortir du magasin.

Fait admis.

11. Vous avez délibérément cherché à vous mettre en contact direct ou indirect avec [M. W.O.] ou à tenter de vous mettre en contact direct ou indirect avec [M. W.O.] en choisissant de garer votre véhicule devant le magasin au moment où [M. W.O.] en sortait et descendait la rampe d’accès qui y menait.

Dénégation : Comme le montre l’enregistrement vidéo de l’incident, [M. W.O.] est presque arrivé au bout de la rampe d’accès au moment où le membre gare son véhicule. Lorsque le membre sort de son véhicule, [M. W.O.] est déjà en dehors du champ de la caméra. Le membre n’entre pas en contact ni ne communique avec [M. W.O.] de quelconque façon.

12. Vous avez remarqué que [M. W.O.] vous regardait pendant qu’il descendait la rampe d’accès du magasin.

Fait admis.

13. Vous avez délibérément cherché à vous mettre en contact direct ou indirect avec [M. W.O.] ou à tenter de vous mettre en contact direct ou indirect avec [M. W.O.] en sortant de votre véhicule et en marchant vers le magasin.

Dénégation : Comme le montre l’enregistrement vidéo de l’incident, [M. W.O.] est presque arrivé au bout de la rampe d’accès au moment où le membre gare son véhicule. Lorsque le membre sort de son véhicule, [M. W.O.] est déjà en dehors du champ de la caméra. Le membre n’entre pas en contact ni ne communique avec [M. W.O.] de quelconque façon.

14. Vous avez fait preuve d’une conduite déshonorante en violant les conditions de la promesse et de l’engagement que vous avez contractés.

Dénégation : Le membre fait valoir qu’il n’a pas violé les conditions de son engagement (voir à ce propos le point 6 du présent énoncé détaillé).

Allégation 2

Le ou vers le 30 janvier 2016, à St. Peter’s ou dans ses environs (Nouvelle- Écosse), [le membre visé] a fait preuve d’une conduite déshonorante, contrevenant ainsi à l’art. 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

[Le membre visé] nie l’allégation 2. Il admet la véracité de certains faits, mais nie que ses actes constituent une conduite déshonorante. 

Énoncé détaillé

1. À l’époque des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté au Détachement de St. Peter’s de la Division H, en Nouvelle-Écosse.

Fait admis.

2. Le 3 septembre 2015, vous avez été accusé de méfait ainsi que d’avoir proféré des menaces de causer la mort ou des lésions corporelles à [M. W.O.], infractions prévues respectivement aux par. 430(4) et 264.1(1) du Code criminel.

Fait admis.

3. Le 3 septembre 2015, vous avez signé une promesse remise à un juge de paix ou à un juge par laquelle vous vous êtes engagé à ne pas troubler l’ordre public, à observer une bonne conduite, à ne pas entrer en contact ni communiquer, directement ou indirectement, avec [M. W.O.], à ne pas cerner ni surveiller la maison d’habitation de [M. W.O.] et à ne pas suivre ce dernier dans ses déplacements. Vous vous êtes également engagé à résider au [adresse].

Fait admis.

4. Le 15 septembre 2015, vous avez été arrêté sous deux chefs d’accusation de manquement à la condition prescrite dans la promesse contractée le 3 septembre 2015 qui vous interdisait de communiquer directement ou indirectement avec [M. W.O.].

Fait admis.

5. Le 18 septembre 2015, vous avez signé un engagement contracté devant un juge de paix par lequel vous vous êtes engagé à ne pas troubler l’ordre public, à observer une bonne conduite, à ne pas entrer en contact ou communiquer ni tenter d’entrer en contact ou de communiquer, directement ou indirectement, avec [M. W.O.], à ne pas cerner ni surveiller la maison d’habitation de [M. W.O.] et à ne pas suivre ce dernier dans ses déplacements. Vous vous êtes également engagé à résider chez vos parents, au [adresse].

Fait admis.

6. Le ou vers le 30 janvier 2016, vous étiez toujours lié par les conditions prescrites dans la promesse signée le 3 septembre 2015 et dans l’engagement signé le 18 septembre 2015.

Explication : L’engagement ayant remplacé la promesse, celui-là et celle-ci ne s’appliquaient pas en même temps.

7. Le ou vers le 30 janvier 2016, tandis que nous n’étiez pas de service, vous vous êtes rendu dans les locaux du Détachement de St. Peter’s et avez signalé avoir, le 29 janvier 2015, été menacé par [M. W.O.] (le « signalement »).

Fait admis.

8. Le ou vers le 30 janvier 2016, vous avez fait une déclaration enregistrée sur bande vidéo (la « déclaration ») devant le gend. Stanley Boudreau, un policier de la GRC chargé d’enquêter sur votre plainte, et avez à cette occasion affirmé que le 29 janvier 2016, [M. W.O.] vous a dit ceci lorsque vous vous trouviez à l’extérieur du magasin : « Je vais t’arracher la tête, mon crisse! » (la « menace »).

Fait admis.

9. Vous avez précisé au gend. Boudreau qu’au moment où la menace a été proférée, vous étiez sorti de votre véhicule et vous apprêtiez à monter les marches menant au magasin, tandis que [M. W.O.], qui avait fini de descendre la rampe, se trouvait à côté du capot de sa camionnette.

Fait admis.

10. À l’appui de votre plainte, vous avez remis au gend. Boudreau un disque compact CD-R inscriptible (le « disque ») contenant une copie de la séquence vidéo captée par votre caméra-témoin.

Fait admis.

11. Le ou vers le 30 janvier 2016, une enquête criminelle a été ouverte sur l’infraction de profération de menaces imputée à [M. W.O.].

Fait admis.

12. Dans le but d’amener le gend. Boudreau, que ce soit par persuasion, duperie ou subterfuge, à amorcer une enquête criminelle sur l’infraction de profération de menaces imputée à [M. W.O.], vous avez fait le signalement, fourni la déclaration et remis le disque en sachant que les renseignements transmis étaient faux et trompeurs.

Dénégation : Le membre soutient que [M. W.O.] l’a menacé.

Allégation 3

Le ou vers le 30 janvier 2016, à St. Peter’s ou dans ses environs (Nouvelle- Écosse), [le membre visé] a fait preuve d’une conduite déshonorante, contrevenant ainsi à l’art. 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

[Le membre visé] nie l’allégation 3. Il admet la véracité de certains faits, mais nie que ses actes constituent une conduite déshonorante.

Énoncé détaillé

1. À l’époque des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté au Détachement de St. Peter’s de la Division H, en Nouvelle-Écosse.

Fait admis.

2. Le 3 septembre 2015, vous avez été accusé de méfait ainsi que d’avoir proféré des menaces de causer la mort ou des lésions corporelles à [M. W.O.], infractions prévues respectivement aux par. 430(4) et 264.1(1) du Code criminel.

Fait admis.

3. Le 3 septembre 2015, vous avez signé une promesse remise à un juge de paix ou à un juge par laquelle vous vous êtes engagé à ne pas troubler l’ordre public, à observer une bonne conduite, à ne pas entrer en contact ni communiquer, directement ou indirectement, avec [M. W.O.], à ne pas cerner ni surveiller la maison d’habitation de [M. W.O.] et à ne pas suivre ce dernier dans ses déplacements. Vous vous êtes également engagé à résider au [adresse].

Fait admis.

4. Le 15 septembre 2015, vous avez été arrêté sous deux chefs d’accusation de manquement à la condition prescrite dans la promesse signée le 3 septembre 2015 qui vous interdisait de communiquer directement ou indirectement avec [M. W.O.].

Fait admis.

5. Le 18 septembre 2015, vous avez signé un engagement contracté devant un juge de paix par lequel vous vous êtes engagé à ne pas troubler l’ordre public, à observer une bonne conduite, à ne pas entrer en contact ou communiquer ni tenter d’entrer en contact ou de communiquer, directement ou indirectement, avec [M. W.O.], à ne pas cerner ni surveiller la maison d’habitation de [M. W.O.] et à ne pas suivre ce dernier dans ses déplacements. Vous vous êtes également engagé à résider chez vos parents, au [adresse].

Fait admis.

6. Le ou vers le 30 janvier 2016, tandis que nous n’étiez pas de service, vous vous êtes rendu dans les locaux du Détachement de St. Peter’s et avez signalé avoir, le 29 janvier 2015, été menacé par [M. W.O.] (le « signalement »).

Fait admis.

7. Le ou vers le 30 janvier 2016, vous avez fait une déclaration enregistrée sur bande vidéo (la « déclaration ») devant le gend. Stanley Boudreau, un policier de la GRC chargé d’enquêter sur votre plainte, et avez à cette occasion affirmé que le 29 janvier 2016, [M. W.O.] vous a dit ceci lorsque vous vous trouviez à l’extérieur du magasin : « Je vais t’arracher la tête, mon crisse! » (la « menace »).

Fait admis.

8. Vous avez précisé au gend. Boudreau qu’au moment où la menace a été proférée, vous étiez sorti de votre véhicule et vous apprêtiez à monter les marches menant au magasin, tandis que [M. W.O.], qui avait fini de descendre la rampe, se trouvait à côté du capot de sa camionnette.

Fait admis.

9. À l’appui de votre plainte, vous avez remis au gend. Boudreau un disque compact CD-R inscriptible (le « disque ») contenant une copie de la séquence vidéo captée par votre caméra-témoin.

Fait admis.

10. Le ou vers le 30 janvier 2016, une enquête criminelle a été ouverte sur l’infraction de profération de menaces imputée à [M. W.O.].

Fait admis.

11. Dans le but d’amener le gend. Boudreau, que ce soit par persuasion, duperie ou subterfuge, à amorcer une enquête criminelle sur l’infraction de profération de menaces imputée à [M. W.O.], vous avez fait le signalement, fourni la déclaration et remis le disque en sachant que les renseignements transmis étaient faux et trompeurs.

Dénégation : Le membre visé soutient avoir été menacé par [M. W.O.] et avoir dit la vérité quand il a signalé l’incident au gend. Boudreau.

12. Vous vous êtes conduit de façon déshonorante en violant la condition, prescrite par la promesse et l’engagement contractés, qui vous enjoignait de ne pas troubler l’ordre public et d’observer une bonne conduite.

Dénégation : En plus de soutenir que [M. W.O.] l’a menacé, le membre visé a réitéré que l’engagement avait remplacé la promesse, de sorte que celui- là et celle-ci n’étaient pas applicables en même temps.

Allégation 4

Le ou vers le 1er décembre 2016, à St. Peter’s (Nouvelle-Écosse), [le membre visé] a omis de rendre compte en temps opportun, de manière exacte et détaillée, de l’exécution de ses responsabilités, de l’exercice de ses fonctions et du déroulement d’enquêtes, contrevenant ainsi à l’art. 8.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

[Le membre visé] nie l’allégation 4.

Énoncé détaillé

1. À l’époque des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté au Détachement de St. Peter’s de la Division H, en Nouvelle-Écosse.

Fait admis.

2. Le 26 septembre 2016, le surint. Peter Puszka a signé une lettre de mandat pour la tenue d’une enquête déontologique visant à déterminer si vous aviez ou non commis la contravention suivante : « Le ou vers le 30 janvier 2016, [le membre visé] a transmis de faux renseignements accusant [M. W.O.] d’avoir proféré des menaces. Il est donc allégué que [le membre visé] a contrevenu à l’art. 8.3 du code de déontologie ». Copie de cette lettre de mandat vous a été signifiée le 7 octobre 2016.

Explication : En réalité, c’est le 6 octobre 2016 que le membre s’est vu signifier copie de la lettre de mandat.

3. Le 23 novembre 2016, le surint. Peter Puszka a signé une version modifiée de la lettre de mandat pour la tenue d’une enquête déontologique visant à déterminer si vous aviez ou non commis la contravention suivante : « Le ou vers le 30 janvier 2016, [le membre visé] a transmis de faux renseignements accusant [M. W.O.] d’avoir proféré des menaces. Il est donc allégué que [le membre visé] a contrevenu à l’art. 8.1 du code de déontologie ». Copie de cette lettre de mandat vous a été signifiée le 7 décembre 2016.

Explication : En réalité, c’est le 1er décembre 2016 que le membre s’est vu signifier copie de la lettre de mandat.

4. Le ou vers le 1er décembre 2016, dans le cadre de l’enquête déontologique vous concernant, vous avez fait une déclaration que le serg. Gary White a recueillie et dans laquelle vous affirmez que, le 29 janvier 2016, [M. W.O.] vous a menacé. Vous saviez que ce renseignement était faux.

Dénégation : Le membre visé soutient avoir été menacé par [M. W.O.] et avoir dit la vérité quand il a fait sa déclaration devant le serg. Gary White.

Allégation 5

Le ou vers le 1er décembre 2016, à St. Peter’s (Nouvelle-Écosse), [le membre visé] a fait preuve d’une conduite déshonorante, contrevenant ainsi à l’art. 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

[Le membre visé] nie l’allégation 5. Il admet la véracité de certains faits, mais nie que ses actes constituent une conduite déshonorante.

Énoncé détaillé

1. À l’époque des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté au Détachement de St. Peter’s de la Division H, en Nouvelle-Écosse.

Fait admis.

2. Le 26 septembre 2016, le surint. Peter Puszka a signé une lettre de mandat pour la tenue d’une enquête déontologique visant à déterminer si vous aviez ou non commis la contravention suivante : « Le ou vers le 30 janvier 2016, [le membre visé] a transmis de faux renseignements accusant [M. W.O.] d’avoir proféré des menaces. Il est donc allégué que [le membre visé] a contrevenu à l’art. 8.3 du code de déontologie ». Copie de cette lettre de mandat vous a été signifiée le 7 octobre 2016.

Explication : En réalité, c’est le 6 octobre 2016 que le membre s’est vu signifier copie de la lettre de mandat.

3. Le 23 novembre 2016, le surint. Peter Puszka a signé une version modifiée de la lettre de mandat pour la tenue d’une enquête déontologique visant à déterminer si vous aviez ou non commis la contravention suivante : « Le ou vers le 30 janvier 2016, [le membre visé] a transmis de faux renseignements accusant [M. W.O.] d’avoir proféré des menaces. Il est donc allégué que [le membre visé] a contrevenu à l’art. 8.1 du code de déontologie ». Copie de cette lettre de mandat vous a été signifiée le 7 décembre 2016.

Explication : En réalité, c’est le 1er décembre 2016 que le membre s’est vu signifier copie de la lettre de mandat.

4. Le 30 mai 2016, une ordonnance de probation a été rendue qui vous enjoignait de respecter les conditions suivantes : ne pas troubler l’ordre public et observer une bonne conduite. Par votre signature, vous avez attesté avoir compris le sens de cette ordonnance.

Fait admis.

5. Le ou vers le 1er décembre 2016, dans le cadre de l’enquête déontologique vous concernant, vous avez fait une déclaration que le serg. Gary White a recueillie et dans laquelle vous affirmez que, le 29 janvier 2016, [M. W.O.] vous a menacé. Vous saviez que ce renseignement était faux.

Dénégation : Le membre visé soutient avoir été menacé par [M. W.O.] et avoir dit la vérité quand il a fait sa déclaration devant le serg. Gary White.

6. En violant la condition de l’ordonnance de probation qui vous enjoignait de ne pas troubler l’ordre public et d’observer une bonne conduite, vous vous êtes conduit de façon déshonorante.

Dénégation : Le membre visé soutient avoir été menacé par [M. W.O.] et avoir dit la vérité quand il a fait sa déclaration devant le serg. Gary White.

[Les mots entre crochets remplacent ceux présents dans l’original]

TÉMOIGNAGES

[2]  Trois témoins ont comparu à l’audience, à savoir le membre visé, le gend. Jeffrey MacFarlane et M. W.O.

Le membre visé

[3]  Le membre visé et M. W.O. se sont connus plusieurs années avant l’incident. Dans l’exercice de ses fonctions, le membre faisait de temps à autre appel aux services de remorqueur de M. W.O. pour la mise en fourrière de véhicules. À une certaine époque, le membre visé s’est joint aux pompiers volontaires, et comme M. W.O. en faisait partie lui aussi, ils se sont fréquentés dans ce contexte-là. À cette époque, donc, les deux hommes s’entendaient plutôt bien et se voyaient de temps en temps en dehors du cadre de leur devoir.

[4]  Le membre visé a commencé à avoir de l’antipathie pour M. W.O après avoir découvert des textos échangés entre sa propre femme et ce dernier, textos qui l’invitaient à penser qu’ils avaient une liaison amoureuse.

[5]  Il a souvent été fait référence, au cours de cette audience, aux événements survenus à l’été et à l’automne 2015. Puisque le rapport de décision daté du 3 mai 2016 et se rattachant à l’audience disciplinaire qui s’est tenue le 22 avril 2016 contient un résumé clair et succinct de ces événements, et puisque ce qui est arrivé le 2 septembre 2015 permet de contextualiser les faits rapportés dans l’avis d’audience disciplinaire, j’estime opportun de citer in extenso la partie du rapport de décision où se trouve l’énoncé détaillé des allégations de contravention (référence : rapport d’enquête déontologique daté du 28 septembre 2015; rencontre disciplinaire avec le membre visé tenue le 22 avril 2016) [Traduction] :

Contraventions alléguées au code de déontologie

1. Le ou vers le 2 septembre 2015, à St. Peters ou dans ses environs, dans la province de la Nouvelle-Écosse, [le membre visé], s’est comporté d’une façon susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie en adressant des menaces de mort ou de lésions corporelles à [M. W.O.], menaces qu’il a proférées dans l’intention d’être pris au sérieux, ce qui contrevient à l’art. 7.1 du code de déontologie de la GRC.

2. Le ou vers le 12 juillet 2015, à St. Peters ou dans ses environs, dans la province de la Nouvelle-Écosse, [le membre visé] s’est comporté d’une façon susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie en commettant un méfait à l’endroit d’un bien de [sa femme, Mme D.G.], ce qui contrevient à l’art. 7.1 du code de déontologie de la GRC.

3. Le ou vers le 12 juillet 2015, à St. Peters ou dans ses environs, dans la province de la Nouvelle-Écosse, [le membre visé] a, en communiquant indirectement avec [Mme D.G.], enfreint la condition dont était assortie la promesse qu’un tribunal provincial lui avait imposée le 3 septembre 2015, se comportant ainsi d’une façon susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, ce qui contrevient à l’art. 7.1 du code de déontologie.

4. Le ou vers le 13 septembre 2015, à St. Peters ou dans ses environs, dans la province de la Nouvelle-Écosse, [le membre visé] a, en communiquant indirectement avec [Mme D.G.], enfreint la condition dont était assortie la promesse qu’un tribunal provincial lui avait imposée le 3 septembre 2015, se comportant ainsi d’une façon susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, ce qui contrevient à l’art. 7.1 du code de déontologie.

Énoncé détaillé

Les quatre allégations formulées dans cette affaire se rapportent toutes, de près ou de loin, aux problèmes conjugaux que le membre visé avait avec [Mme D.G.].

Allégation 1: Quand il a découvert sur le téléphone cellulaire de [Mme D.G.] des messages texte qu’elle et [M. W.O.] s’étaient envoyés et qui laissaient deviner l’existence d’une liaison amoureuse entre eux, [le membre visé] s’est mis en colère et est sorti de chez lui pour aller confronter [M. W.O.] sur son lieu de travail. Cherchant à se protéger contre [le membre visé], qu’il croyait bien capable de l’agresser, [M. W.O.] a refusé de sortir de son véhicule. Plus tard, [le membre visé] a appelé sa femme, [Mme D.G.], et lui a dit « qu’elle avait signé l’arrêt de mort de [M. W.O.] ». De son côté, [M. W.O.] a reçu un appel de sa petite amie l’informant que [le membre visé] s’était rendu à leur résidence. Ce dernier a été arrêté pour ce geste, puis, sur signature d’une promesse, a été relâché par le juge de la Cour provinciale. Lors de la rencontre disciplinaire, [le membre visé] a reconnu avoir été en colère contre [M. W.O.] et s’être rendu en voiture sur son lieu de travail pour le confronter, mais il nie l’avoir menacé.

Allégation 2 : À l’époque, le couple que [le membre visé] formait avec sa femme, [Mme D.G.], traversait une passe difficile. Cette soirée-là, [Mme D.G.] était sortie avec des amis, et à son retour, [le membre visé] a voulu lui parler de leur mariage. [Mme D.G.] n’ayant aucune envie d’en parler, [le membre visé] s’est fâché et, en sortant de la chambre, a fait un trou dans le mur en y donnant un coup de poing. Lors de la rencontre disciplinaire, [le membre visé] a reconnu avoir été en colère et avoir fait un trou dans le mur en y donnant un coup de poing.

Allégation 3 : Consécutivement à l’accusation déposée contre lui, mentionnée dans l’énoncé détaillé de l’allégation 1, [le membre visé] a été arrêté, puis, sur signature d’une promesse, relâché par un juge de la Cour provinciale. L’une des conditions prescrites par cette promesse interdisait [au membre visé] de communiquer avec [Mme D.G.], aussi bien directement qu’indirectement. Le [12 septembre 2015], la mère [du membre visé] a remis à [Mme D.G.] une lettre écrite par [le membre visé]. Lors de la rencontre disciplinaire, [le membre visé] a reconnu avoir écrit la lettre, mais il nie avoir demandé à sa mère d’aller la livrer à [Mme D.G.].

Allégation 4 : Consécutivement à l’accusation déposée contre lui, mentionnée dans l’énoncé détaillé de l’allégation 1, [le membre visé] a été arrêté, puis, sur signature d’une promesse, relâché par un juge de la Cour provinciale. L’une des conditions prescrites par cette promesse interdisait [au membre visé] de communiquer avec [Mme D.G.], aussi bien directement qu’indirectement. Le [13 septembre 2015], [Mme D.G.] a reçu un courriel provenant d’une adresse qu’elle a reconnue comme l’adresse personnelle [du membre visé]. Elle ne l’a pas ouverte immédiatement, mais plus tard, en présence [du gend.] MacKay, au cours de l’enquête sur la violation des conditions de la promesse. Le courriel a effectivement été envoyé par [le membre visé]. Lors de la rencontre disciplinaire, [le membre visé] a reconnu avoir envoyé le courriel à [Mme D.G.].

Au cours de la rencontre disciplinaire, vous avez dit avec franchise et transparence qu’à l’époque des faits, votre mariage avec [Mme D.G.] battait de l’aile. Vous avez reconnu le bien-fondé de toutes les allégations, sauf celle voulant que vous ayez menacé directement [M. W.O.]

Conclusions

Après avoir soigneusement examiné les renseignements mis à ma disposition dans le rapport d’enquête et dans les observations que vous avez présentées lors de la rencontre disciplinaire [du 22 avril 2016], je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations 1, 2, 3 et 4 sont bien fondées. Cette conclusion s’appuie sur les déclarations des témoins, les éléments de confirmation fournis dans le rapport d’enquête ainsi que sur les aveux que vous avez faits au cours de la rencontre disciplinaire. Je note que les actes qui vous sont reprochés par les allégations 1, 2, 3 et 4 ont été posés à une époque où vos ennuis conjugaux étaient une source de stress et où vous étiez aux prises avec des problèmes de santé, ce qui est toujours le cas.

Proférer des menaces, commettre un méfait contre la propriété et enfreindre à deux occasions les conditions d’une promesse imposée par un juge de la Cour provinciale sont des gestes graves qui ne cadrent pas du tout avec ce qu’on attend d’un membre de la Gendarmerie royale du Canada et qui ne sauraient être tolérés.

[Les mots entre crochets remplacent ceux présents dans l’original]

[6]  Dans la suite du document, l’autorité disciplinaire détaille les mesures disciplinaires qu’elle impose relativement à chacune des quatre allégations.

[7]  Après les événements de septembre 2015, le membre visé a été remis en liberté sur signature d’une promesse, puis, le 18 septembre 2015, sur celle d’un engagement. Le membre visé a témoigné savoir qu’il était accusé de méfait ainsi que d’avoir proféré des menaces de mort ou de lésions graves contre M. W.O., événements qui, d’après ce qui est rapporté dans l’avis d’audience disciplinaire, remontent au 29 janvier 2016.

[8]  Le membre visé a témoigné qu’aucune confusion, ambiguïté ni incertitude ne gênait sa compréhension des conditions prescrites dans l’engagement daté du 18 septembre 2015. Il a déclaré qu’il savait avoir reçu l’interdiction de tenter de communiquer avec M. W.O. Il a dit avoir installé une caméra-témoin sur le tableau de bord de son véhicule un jour ou deux avant les événements du 29 janvier 2016 pour cette raison, dit-il, qu’il voulait obtenir une preuve vidéo des railleries et gesticulations provocatrices dont l’accablait M. W.O.

[9]  Le soir du 29 janvier 2016, le membre visé préparait le souper pour les enfants. Souhaitant se procurer quelque chose à boire pour accompagner le repas, il est sorti pour se rendre au Needs Convenience Store et y acheter des boissons gazeuses. Au dire du membre visé, c’est le seul dépanneur du village. Comme une violente tempête de neige faisait rage, peu de véhicules circulaient sur la route. À son arrivée au magasin, il n’y avait qu’un seul véhicule dans le stationnement, une camionnette qui lui a semblé pouvoir être l’une de celles que M. W.O. utilise régulièrement.

[10]  Comme il l’a indiqué dans sa réponse aux allégations, le membre visé a prononcé les mots « j’espère que c’est toi », en voulant dire « j’espère que c’est M. W.O. ». Quelques secondes plus tard, quand il aperçoit M. W.O. sortir du magasin par la porte vitrée, le membre visé, pensant à haute voix, a dit « mon hostie » – premiers mots qui lui viennent à l’esprit quand il voit M. W.O., qu’il n’aime pas. Le membre visé a témoigné que c’est à ce moment précis qu’il a su que la camionnette était celle de M. W.O., et que ce dernier était [Traduction] « la dernière personne au monde [qu’il] avai[t] envie de voir ».

[11]  La camionnette de M. W.O. était garée au pied de la rampe d’accès pour handicapés qui menait à la porte principale du magasin. Le membre visé a garé sa voiture directement devant l’escalier, en est sorti, puis a monté l’escalier pendant que M. W. O. descendait la rampe en direction de sa camionnette. Le membre visé a témoigné que, au moment où il montait les marches et où M. W.O. était devant son véhicule, ce dernier lui a dit « Je vais t’arracher la tête, mon crisse! »

[12]  Le membre s’est alors mis en colère, mais n’a pas réagi. Il est simplement entré dans le magasin pour faire ce qu’il avait à faire. À l’intérieur, rapporte-t-il, il serrait tellement les poings de rage qu’il en avait mal au mains. Arrivé à la caisse, il s’est rendu compte qu’il avait laissé son portefeuille sur le siège de passager de sa voiture, et il est sorti pour le chercher. C’est à ce moment qu’il a vu M. W.O. s’éloigner dans sa camionnette zigzaguant sur la route.

[13]  Le membre visé a effectué l’achat voulu et est retourné à sa voiture. Il s’est rendu au site du détachement pour déposer une plainte, mais l’édifice était fermé à clé, et il ne semblait y avoir personne à l’intérieur. Il a ensuite composé le numéro du détachement, mais est tombé sur le répondeur automatique. Il n’a pris aucune note des événements, ni le soir même, ni ultérieurement.

[14]  Le membre visé a témoigné avoir raconté ce qui était arrivé à une amie, Mme E.M., dès son retour à la maison ce soir-là. Il a dit à la barre qu’il n’avait pas informé les enquêteurs qu’il avait eu cette conversation avec Mme E.M.

[15]  Le lendemain, le membre visé s’est rendu au détachement et a signalé au gend. Stan Boudreau que M. W.O. l’avait menacé par ces paroles : « Je vais t’arracher la tête, mon crisse! » Il s’est dit disposé à lui apporter, sur support informatique, les images captées par sa caméra- témoin (ce qu’il a effectivement fait ultérieurement), et il l’a informé que le Needs Convenience Store était muni de caméras de surveillance.

[16]  Le 1er décembre 2016, dans le cadre de l’enquête déontologique ouverte sur cette affaire, le membre visé a répété sa version des événements au serg. Gary White.

M. W.O.

[17]  M. W.O. est né à St. Peters et y a grandi. Il manoeuvre de temps à autre des véhicules lourds et une remorqueuse, et c’est dans ces circonstances, étant épisodiquement appelé par les membres du détachement pour remorquer un véhicule, qu’il a rencontré le membre visé.

[18]  M. W.O. a affirmé avoir eu des liens d’amitié avec le membre visé et sa femme, Mme D.G., qu’il fréquentait dans ses loisirs. Il a reconnu avoir eu une brève liaison avec Mme D.G., mais seulement après les événements de septembre 2015, époque à laquelle lui et Mme D.G. ne faisaient que flirter et n’étaient pas encore intimes.

[19]  M. W.O. a déclaré être au courant des accusations au criminel portées contre le membre visé consécutivement aux événements de septembre 2015.

[20]  Un certain temps après ces événements, Mme D.G. et M. W.O. sont devenus amants. Cette relation intime, de courte durée, était déjà terminée à la fin de janvier 2016, c’est-à-dire à l’époque des faits à l’origine de la présente affaire.

[21]  M. W.O. a témoigné avoir eu des sentiments pour Mme D.G. et avoir désapprouvé la façon dont le membre visé traitait celle-ci et leurs enfants. Il a déclaré avoir à l’époque été préoccupé par la possibilité que Mme D.G. choisisse de retourner vivre avec le membre visé.

[22]  Après l’incident de septembre 2015, M. W.O. a tout fait pour éviter de croiser le membre visé. Vivre ainsi était désagréable, a-t-il déclaré, surtout dans cette ville qui est celle où il est né. Il lui fallait continuer à travailler dans cette localité, mais il devait désormais, avant de mettre le pied quelque part, toujours vérifier que le membre visé n’y était pas.

[23]  M. W.O. a témoigné qu’il recevait de temps en temps des messages texte de sa petite amie au sujet des allées et venues du membre visé. Ces textos, a-t-il dit, servaient à l’informer de l’endroit où se trouvait le membre visé, de sorte qu’il pût éviter de s’y rendre. Ces textos n’ont pas été montrés aux enquêteurs ni n’ont été introduits en preuve dans la présente procédure.

[24]  C’est en s’appuyant sur des souvenirs précis que M. W.O., lors de son témoignage, a fait le récit des événements survenus le soir du 29 janvier 2016. Après avoir remorqué quelques véhicules mis en difficulté par la tempête de neige, il a pris le chemin du retour et s’est arrêté au Needs Convenience Store pour y acheter un billet de loterie. Il a bavardé un peu avec la caissière, qu’il connaissait bien. En sortant du magasin, il a aperçu le membre visé qui arrivait dans sa voiture. Sans rien dire à ce dernier mais tout en le surveillant du coin de l’oeil, M. W.O a descendu la rampe en direction de sa camionnette. M. W.O a marché sans s’arrêter jusqu’à la portière de son véhicule. Il a témoigné n’avoir absolument rien dit au membre visé. Il est monté dans sa camionnette et est rentré chez lui.

[25]  Peu de temps après, M. W.O. a appris que le membre visé avait porté plainte, et il a, comme il lui était demandé, fait une déclaration relative à l’incident. Il a également subi un test polygraphique, qu’il a passé avec succès.

[26]  M. W.O. a nié avoir faire quelconque geste obscène en direction du membre visé et a nié avoir agacé ou raillé celui-ci de la manière décrite dans son témoignage.

Gendarme Jeffrey MacFarlane

[27]  Le gend. MacFarlane était l’un des membres chargés de l’enquête sur la plainte contre M. W.O. L’une des mesures d’enquête à prendre consistait à déterminer si les caméras de surveillance du Needs Convenience Store avaient capté des images pertinentes. Le gend. MacFarlane a visionné l’intégralité des enregistrements effectués par toutes les caméras du magasin. Les images captées par les caméras placées à l’intérieur du magasin attestent la présence sur les lieux de M. W.O. et du membre visé; ces enregistrements ont été téléchargés. Quant à la caméra placée à l’extérieur du magasin, qui faisait face à la rampe d’accès, à l’escalier avant et au stationnement, elle aurait pu capter des images utiles, puisque c’est précisément devant le magasin que l’incident, au dire du membre visé, se serait produit. Cependant, en raison de l’abondante chute de neige ce soir-là, l’enregistrement vidéo ne montrait qu’un écran noir : la neige voilant la lentille, rien n’avait pu être filmé. Estimant ces images vidéo inutiles, le gend. MacFarlane n’a téléchargé aucune des données enregistrées par la caméra extérieure.

[28]  Le gend. MacFarlane a convenu que si cette caméra extérieure avait filmé M. W.O. et le membre visé pendant qu’ils étaient dehors, l’enregistrement obtenu aurait sans doute permis de déterminer si M. W.O. avait menacé le membre visé.

[29]  Au cours du contre-interrogatoire du gend. MacFarlane a été avancée l’hypothèse que ce dernier, parce qu’il n’a jamais cru au récit du membre visé, ait fait preuve de partialité dans son enquête. Le gend. MacFarlane a nié cette insinuation et soutenu qu’il avait mené une enquête exhaustive et impartiale. Il était au courant des démêlés entre le membre visé et M. W.O., comme l’étaient, du reste, tous les membres du détachement, car celui-ci avait déjà reçu de nombreuses plaintes concernant le membre visé et M. W.O.

[30]  C’est dans la cuisine de la résidence de M. W.O que le gend. MacFarlane a recueilli la déclaration après mise en garde de ce dernier. Cette mesure d’enquête n’avait rien d’inconvenant ou d’incongru : n’ayant pas de motifs suffisants pour procéder à une arrestation, il a voulu connaître la version de l’histoire de M. W.O. Dans sa déclaration après mise en garde, M. W.O. a reconnu qu’il avait vu le membre visé se garer devant le magasin et sortir de sa voiture. Il l’a vu monter l’escalier et entrer dans le magasin pendant que lui descendait par la rampe et montait dans sa camionnette. M. W.O. nie avoir dit quoi que ce soit au membre visé tout le temps qu’a duré la rencontre, c’est-à-dire pas plus de quelques secondes.

OBSERVATIONS RELATIVES AUX CINQ ALLÉGATIONS

Observations de la représentante de l’autorité disciplinaire

[31]  La représentante de l’autorité disciplinaire (RAD) a clairement fait savoir qu’à son avis, l’affaire ne pouvait être réglée qu’en fonction de la crédibilité accordée aux deux témoins principaux, à savoir M. W.O. et le membre visé. La RAD a fait valoir que la crédibilité du membre visé avait été mise à mal par les divergences constatées dans le récit des événements qu’il a fait au gend. Boudreau, au serg. White et dans le cadre de la présente instance. Au serg. White, le membre visé a dit que M. W.O. avait menacé de [Traduction] « lui arracher la tête ou le cou », ce qui diffère de ce qu’il a dit à d’autres occasions où M. W.O. aurait dit « Je vais t’arracher la tête, mon crisse! »

[32]  Une autre incohérence relevée concerne le moment exact où le membre visé a reconnu la camionnette de M. W.O. Dans la déclaration qu’il a faite devant le serg. White le 1er décembre 2016, le membre visé a dit qu’il avait reconnu la camionnette, tandis que dans sa réponse aux allégations et lors de son témoignage à l’audience, il a dit que ce n’est qu’au moment où il a vu M. W.O sortir du magasin qu’il a acquis la certitude qu’il s’agissait de son véhicule.

[33]  Le fait que le membre visé n’a pas pris de notes sur les événements survenus le soir du 29 janvier 2016 trahit l’état d’esprit dans lequel il était et porte atteinte à sa crédibilité. Un tel comportement n’est pas celui qu’on attend d’un policier expérimenté.

[34]  La RAD a fait valoir que les raisons invoquées par le membre visé pour expliquer son non-signalement de l’incident immédiatement étaient absurdes. Il a bien appelé au détachement, mais est tombé sur un répondeur automatique, et au lieu d’appuyer sur « 0 », il a simplement raccroché. Il n’a pas appelé le 9-1-1 et n’a fait aucun signalement ce soir-là. S’il a, le soir même, effectivement parlé à Mme E.M. de ce qui lui était arrivé, n’aurait-il pas dû lui venir à l’esprit que cette information pouvait être utile à l’enquête et contribuerait à étayer sa version des faits? Pourquoi n’a-t-il pas communiqué cette information aux enquêteurs, et pourquoi est-ce seulement dans le cadre de la présente instance que cette information est présentée pour la première fois? Tout cela, a soutenu la RAD, mine la crédibilité du membre visé.

[35]  La RAD a laissé entendre que la façon dont le membre visé s’est conduit le soir du 29 janvier 2016 ne concordait pas avec son témoignage. Tandis que le membre visé a affirmé à la barre des témoins que « M. W.O. était la dernière personne au monde [qu’il] avai[t] envie de voir », on l’entend marmonner « j’espère que c’est toi » dans l’enregistrement effectué par la caméra-témoin installée sur le tableau de bord de sa voiture. En réalité, le membre visé souhaitait que ce soit M. W.O. et désirait entrer en contact avec lui malgré les conditions prescrites dans la promesse signée. Quand il s’est rendu compte qu’il avait oublié son portefeuille sur le siège avant de la voiture, le membre visé est ressorti en sachant que M. W.O. n’était pas loin. Ce fait, selon la RAD, montre une fois de plus que le membre visé voulait entrer en contact avec M. W.O. et cherchait à s’adresser à lui.

[36]  L’enregistrement effectué par la caméra-témoin est incompatible avec le compte rendu que le membre visé a donné de la menace que M. W.O. lui aurait lancée. Sur cet enregistrement, on n’entend qu’un long silence, finalement brisé par un bruit qui pourrait être celui d’un moteur qui démarre, en l’occurrence celui de la camionnette de M. W.O.

[37]  En un deuxième temps, la RAD a fait valoir que M. W.O. était un témoin crédible. Il a livré un témoignage convaincant et parfaitement cohérent. Aucune source n’indique que M. W.O. ait fait quoi que ce soit d’autre que ce qu’il témoigne avoir fait. La meilleure source disponible semble être l’enregistrement effectué par la caméra-témoin, où l’on voit M. W.O. qui, en sortant du magasin, remarque la présence du membre visé, puis descend la rampe en jetant un coup d’oeil en direction du membre visé. Selon toute apparence, M. W.O. s’est contenté de monter dans sa camionnette et de rentrer chez lui. Il ne semble pas que M. W.O. ait dit quoi que ce soit.

[38]  M. W.O. s’est volontairement prêté à un test polygraphique et y a réussi. Non seulement cela affermit-il sa crédibilité, mais en outre, avance la RAD, les résultats de ce test, d’après les politiques établies, constituent un élément de preuve recevable et pourraient servir à établir la véracité de la version des faits de M. W.O.

[39]  L’allégation 1 porte sur l’inobservation d’une des conditions de la promesse, à savoir celle interdisant au membre visé toute tentative de contact avec M. W.O. Les tribunaux criminels ont déjà eu à se pencher sur les éléments de mens rea et d’actus reus propres à la violation d’une condition d’interdiction de communication, notamment dans l’affaire R. v. Lofstrom, 2016 ABPC 197 (CanLII) [ci-après « Lofstrom »].

[40]  L’accusé, M. Lofstrom, était assujetti aux conditions prescrites par une ordonnance rendue en vertu de la Protection Against Family Violence Act, R.S.A 2000, c P-27, laquelle lui interdisait de s’approcher à moins de 200 m de la plaignante. Violant cette condition, il s’est rendu dans une église où se célébrait un office religieux auquel il savait qu’assisteraient aussi la plaignante et ses enfants. Une trentaine ou une quarantaine de fidèles étaient alors présents, ce qui était normal. L’accusé s’est assis sur un banc situé de l’autre côté de la nef, plusieurs rangées derrière celui où se trouvait la plaignante. Celle-ci en a été tellement incommodée qu’elle a fini par se lever et partir, avec ses enfants, avant la fin de l’office.

[41]  Dans cette affaire, le juge de la Cour provinciale a analysé le terme anglais « contact » [mot que l’on trouve dans le terme « no-contact condition », qui est rendu ici par « condition d’interdiction de communication »; N.D.T.] et déterminé que la question de fond ne pouvait être tranchée qu’au regard du contexte et de la totalité de la preuve. S’appuyant sur la jurisprudence, le juge saisi de l’affaire Lofstrom a conclu que [Traduction] l’« actus reus de l’infraction de “contact” ne nécessitait pas de “communication” effective » (par. 54).

[42]  Ainsi s’exprime la Cour provinciale dans l’affaire Lofstrom (par. 65) :

[…] la jurisprudence établit que la question de l’intention ne se pose pas à l’égard de la contravention alléguée, mais qu’elle revient à demander si l’accusé a, oui ou non, eu l’intention de commettre l’actus reus de l’infraction. Dans le cas d’une rencontre fortuite ou accidentelle, on conclura à la présence ou à l’absence de mens rea selon que l’accusé a choisi de mettre immédiatement fin à la rencontre ou qu’il a plutôt cherché, sciemment et volontairement ou imprudemment, à « rester en contact » avec la partie plaignante.

[43]  La RAD a fait valoir que l’affaire Lofstrom était une décision de poids et particulièrement instructive pour les besoins de l’espèce. Selon la RAD, les actes volontaires que le membre visé a posés, tels que les montre l’enregistrement effectué par la caméra-témoin et tels que le membre visé lui-même les décrit dans son témoignage, suffisent à établir la mens rea. Le membre visé était tellement préoccupé par la présence de M. W.O. qu’il a choisi de s’arrêter plutôt que de simplement passer tout droit, et, incapable d’attendre dans sa voiture jusqu’au départ de M. W.O. (ce qu’il était pourtant en train de faire), il a bondi hors de sa voiture et grimpé les marches deux à deux en oubliant son portefeuille sur le siège du passager, portefeuille qu’il est revenu chercher quelques instants plus tard en sachant que M. W.O. était encore à proximité. S’appuyant sur l’analyse de la Cour provinciale dans Lofstrom, la RAD a soutenu que le membre visé avait manifestement tenté d’entrer en contact avec M. W.O. et que cette contravention alléguée devait être établie selon la prépondérance des probabilités.

[44]  La preuve présentée, conjuguée à la crédibilité de M. W.O. et au manque de crédibilité du membre visé, permet d’établir que M. W.O. n’a rien dit au membre visé. Il s’ensuit que l’allégation 2 (relative à la plainte déposée devant le gend. Boudreau), l’allégation 3 (relative à l’inobservation des conditions de l’engagement contracté), l’allégation 4 (relative à la fausse déclaration faite au serg. White) et l’allégation 5 (relative à l’obligation de ne pas troubler l’ordre public et d’observer une bonne conduite imposée par l’ordonnance de probation) devraient toutes être reconnues bien fondées selon la prépondérance des probabilités.

Observations du représentant du membre

[45]  Le RM a soutenu que le membre visé était un témoin plus crédible que M. W.O. Ce dernier aurait pu produire en preuve les messages texte qui lui auraient été transmis pour l’avertir de la présence du membre visé en tel ou tel autre endroit. Notons l’ambiguïté relative au moment auquel M. W.O. aurait ou n’aurait pas reçu le texto ce soir-là, moment qui correspond à celui où le membre visé se trouvait au magasin. Des éléments de preuve palpables sur ces mystérieux textos auraient pu renforcer la crédibilité de M. W.O., mais ce dernier n’a pas pris la peine de les montrer à qui que ce soit ni de les produire à l’audience. Le RM a laissé entendre que M. W.O. pouvait avoir tout bonnement inventé cette histoire de textos pour donner l’impression qu’il était la victime dans cette affaire.

[46]  Il n’a été produit aucune preuve des raisons que M. W.O. aurait eues de craindre le membre visé et de s’en cacher, ni aucune preuve que le membre visé lui ait causé quelque ennui que ce soit. M. W.O. a reconnu s’être inquiété du sort de l’épouse et des enfants du membre visé, a reconnu ne pas aimer le membre visé et avoir craint que Mme D.G. le quitte pour rejoindre ce dernier.

[47]  Autre point à éclaircir : M. W.O a-t-il simplement « jeté un oeil » en direction du membre visé ou l’a-t-il « dévisagé » tout le temps qu’il descendait la rampe? Notons par ailleurs l’hésitation de M. W.O., lors de son témoignage, sur la question de savoir s’il avait vu le membre visé qui, devant la porte vitrée du magasin, le regardait.

[48]  Personne n’a pris la plainte du membre visé au sérieux avant que surgisse l’idée d’utiliser celle-ci contre ce dernier dans le cadre d’une procédure disciplinaire. Dès le départ, l’enquête était entachée de partialité. Le RM a émis l’hypothèse que le gend. MacFarlane ait décidé de ne pas télécharger l’enregistrement effectué par la caméra extérieure pour cette raison que le film corroborait la version des faits livrée par le membre visé. Le RM a de plus argué que l’animosité du gend. MacFarlane envers le membre visé l’avait empêché d’être impartial.

[49]  Le technicien qui a examiné l’enregistrement effectué par la caméra-témoin du membre visé a admis comme possible que les bruits entendus dans les cinq dernières secondes du segment vidéo soient ceux d’une voix humaine. Le RM a prétendu que c’était bien une voix, comme en a témoigné le membre visé, et que cette voix était celle de M. W.O. qui le menaçait.

[50]  Dans l’arrêt F.H. c. McDougall, [2008] 3 R.C.S. 41 [ci-après « McDougall »], la Cour suprême du Canada a statué que la norme de la prépondérance des probabilités exigeait que la preuve soit claire et convaincante. La preuve fournie en l’espèce, a soutenu le RM, ne satisfait pas à ce critère. Les allégations 2, 3, 4 et 5, qui se rapportent toutes aux déclarations du membre visé selon lesquelles M. W.O. l’aurait menacé, doivent être rejetées.

[51]  En ce qui a trait à l’allégation 1, la preuve ne permet pas d’établir qu’il y ait eu quelque contact que ce soit entre le membre visé et M. W.O. Le membre visé n’a pas cerné ni surveillé la maison d’habitation de [M. W.O.] et n’a pas suivi ce dernier dans ses déplacements. Le membre visé n’a pas eu l’occasion de quitter le magasin et n’en a pas eu besoin. Les images captées par l’une des caméras placées à l’intérieur montrent clairement M. W.O. en train de s’en aller au volant de sa camionnette pendant que le membre visé sort brièvement du magasin pour aller chercher son portefeuille; aucun contact n’a pu avoir lieu à cette occasion. L’allégation 1 doit être rejetée.

Décision sur chacune des cinq allégations

[52]  Cinq contraventions ont été alléguées : quatre de conduite déshonorante (art. 7.1 du code de déontologie de la GRC), et une pour avoir livré un compte rendu inexact dans le cadre d’une enquête (art. 8.1 de ce même code). Les premières allégations doivent être jugées selon la norme objective de la « personne raisonnable », tandis que la dernière exige une analyse subjective de l’intention de tromper que le membre visé a ou n’a pas eue.

[53]  Soit dit relativement aux quatre allégations de conduite déshonorante, il n’y a, quant au fond, aucune différence juridique entre la conduite « déshonorante » et la conduite « scandaleuse ». C’est-à-dire que le critère établi et appliqué de longue date pour apprécier le caractère « scandaleux » d’une conduite sous le régime de la loi précédente s’applique avec une égale vigueur sous le régime de la dernière version de la Loi sur la GRC.

[54]  Ce critère, tel que défini par le Comité externe d’examen (CEE) de la GRC, a été examiné et approuvé par les juridictions supérieures, et j’estime qu’il demeure un outil intellectuel pertinent.

[55]  Le premier volet de ce critère concerne l’établissement de l’identité du membre mis en cause. En l’espèce, l’identité du membre visé n’a jamais été en litige.

[56]  Le deuxième volet vise à permettre d’établir dans les faits si, oui ou non, les actes allégués ont été posés. La norme de preuve applicable aux instances administratives était une question centrale dans l’affaire McDougall. La preuve, à établir selon la prépondérance des probabilités, doit être claire et convaincante.

[57]  Le troisième volet du critère concerne la question de savoir si les actes qui ont été posés ont jeté le discrédit sur la GRC. Ce volet implique une analyse qui prend pour guide, selon l’expression de Lord Denning, l’opinion de « la personne raisonnable de l’omnibus de Clapham », c’est-à-dire une analyse qui vise à déterminer, selon la formule adoptée par le CEE, si une personne raisonnable ayant connaissance de tous les faits de l’espèce, ainsi que des réalités du travail policier en général et de celles du travail à la GRC en particulier, serait d’avis que la conduite reprochée est scandaleuse et jette le discrédit sur la GRC.

[58]  L’analyse que Lord Devlin fait du terme « scandaleux » (« disgraceful ») dans l’affaire Hughes v. Architects Registration Council of the United Kingdom, 1957, 2 All ER 436, est fort instructive. Ce terme n’a rien de technique : il doit être pris dans son sens habituel et courant. Les actes reprochés doivent apparaître aux yeux de la personne raisonnable comme étant de nature à couvrir de honte le membre en sa qualité de policier.

[59]  Comme les actes allégués auraient tous été posés tandis que le membre visé n’était pas de service, un verdict de conduite déshonorante nécessite l’existence d’un lien suffisant entre ces actes et la situation d’emploi du membre visé.

[60]  Ayant à déterminer si les actes allégués ont effectivement été commis, j’ai à différentes reprises été invité, au cours de la procédure, à accepter le résultat du test polygraphique comme une preuve ferme que M. W.O. a dit la vérité sur la question de savoir s’il avait, le soir en question, lancé des menaces ou adressé quelque paroles que ce soient au membre visé.

[61]  Ma réaction, à chaque fois, a été la même. En près de quarante ans d’expérience policière, j’en suis venu à apprécier toute la valeur du polygraphe comme instrument scientifique, et à nourrir un grand respect et une profonde admiration pour les policiers qui s’en servent à bon escient dans le cadre d’enquêtes criminelles. Je conviens que, dans certaines circonstances, le polygraphe peut indiquer de façon fiable si le sujet qui passe le test dit ou non la vérité sur un sujet précis. Il faut cependant souligner que les tribunaux sont réticents à accepter les résultats des tests polygraphiques comme des preuves fermes.

[62]  J’ai visionné l’enregistrement vidéo de l’examen polygraphique auquel M. W.O. a été soumis. L’expert en polygraphie qui a mené l’entretien, le serg. Greg Vardy, y donne un parfait exemple de l’attitude calme et professionnelle que j’en suis venu à attendre de la part de ces techniciens hautement qualifiés et spécialisés. C’est avec le plus grand respect pour l’expérience et le savoir-faire du serg. Vardy en sa qualité d’expert en polygraphie et d’agent chargé de l’application de la loi que j’ai décidé de ne pas accepter son évaluation de la véridicité des réponses de M. W.O. comme une preuve permettant de déterminer si les allégations ici examinées sont bien fondées ou non. La crédibilité des témoins est un point capital dont l’appréciation appartient au juge des faits, c’est-à-dire moi-même.

[63]  Il serait toutefois négligent de ma part de ne tenir aucun compte de l’effet psychologique général qu’a eu le test polygraphique sur M. W.O. Pour les gens ordinaires, le polygraphe reste un « détecteur de mensonges ». Le simple fait que M. W.O. a voulu passer un test polygraphique, indépendamment du résultat de celui-ci, renforce sa crédibilité. En outre, les réponses que M. W.O. a données au serg. Vardy concordaient avec celles qu’il a données à d’autres interrogateurs en d’autres occasions. Cela aussi contribue à asseoir sa crédibilité. C’est cependant à ces deux considérations que se limite, en l’espèce, l’utilité du test polygraphique réalisé.

[64]  Je précise en passant qu’aucune observation ne m’a été présentée qui atteste que le membre visé a ou n’a pas été invité à se prêter à un test polygraphique. Par esprit d’exhaustivité, je me sens tenu d’ajouter que mon appréciation de la crédibilité du membre visé n’a été aucunement influencée par le fait que ce dernier n’a pas passé de test polygraphique.

[65]  J’ai donc dû, pour apprécier la crédibilité des témoins, me contenter d’analyser l’attitude de ceux-ci à la barre et de mesurer le degré de vraisemblance qui se dégageait de leur version respective des événements.

[66]  Mon analyse a été facilitée par la consultation de certaines décisions judiciaires habituellement citées en semblables circonstances.

[67]  C’est avec raison que le RM a cité l’arrêt McDougall comme la décision faisant autorité sur la question du fardeau de la preuve dans les causes civiles, comme en l’espèce. Bien que la décision doive être rendue selon la prépondérance des probabilités, la Cour suprême du Canada a clairement affirmé que le décideur devait tenir compte des conséquences d’une telle décision. J’ai, tout au long de l’instance, gardé à l’esprit que le commandant divisionnaire réclamait le congédiement du membre visé – l’enjeu de la procédure ne pouvait être plus élevé.

[68]  L’arrêt McDougall donne aussi d’utiles indications pour évaluer la crédibilité des témoins, en particulier lorsque les témoins, comme c’est le cas en l’espèce, ont des positions diamétralement opposées.

[69]  Dans McDougall, les motifs de la Cour ont été rédigés par le juge Rothstein, qui précise l’angle d’approche que devrait adopter le juge des faits lorsqu’il doit rendre une telle décision en pareille circonstance. Il écrit ceci aux paragraphes 57 et 58 :

[57] Au paragraphe 5 de ses motifs, la juge du procès tient compte du jugement de la juge Rowles dans l’affaire R. c. R.W.B. (1993), 24 B.C.A.C. 1, par. 28-29, portant sur la crédibilité d’un témoignage qui est entaché de contradictions et que la preuve n’étaye pas par ailleurs. Même si la juge Rowles se prononçait dans le contexte pénal, à l’instar de la juge du procès, j’estime que ses remarques sont pertinentes dans le cas présent :

[traduction] En l’espèce, il existait un certain nombre de contradictions dans le témoignage de la plaignante de même qu’entre son témoignage et celui d’autres témoins. Bien que de légères contradictions n’entachent pas indûment la crédibilité d’un témoin, une suite de contradictions peut constituer un facteur non négligeable et semer un doute raisonnable dans l’esprit du juge des faits quant à la crédibilité du témoignage. Aucune règle ne permet de déterminer dans quels cas des contradictions susciteront un tel doute, mais le juge des faits doit à tout le moins les examiner dans leur ensemble pour déterminer si le témoignage en question est digne de foi. C’est particulièrement vrai en l’absence de corroboration sur la principale question en litige, comme c’était le cas en l’espèce. [par. 29]

[58] Comme l’a estimé la juge Rowles à l’égard de la norme de preuve pénale, lorsque la norme applicable est la prépondérance des probabilités, il n’y a pas non plus de règle quant aux circonstances dans lesquelles les contradictions relevées dans le témoignage du demandeur amèneront le juge du procès à conclure que le témoignage n’est pas crédible ou digne de foi. En première instance, le juge ne doit pas considérer le témoignage du demandeur en vase clos. Il doit plutôt examiner l’ensemble de la preuve pour déterminer l’incidence des contradictions sur les questions de crédibilité touchant au coeur du litige.

[70]  J’ai effectivement relevé quelques incohérences dans les témoignages de M. W.O. et du membre visé, mais la plupart d’entre elles étaient attribuables au long laps de temps écoulé depuis les événements ainsi qu’au fait que ceux-ci, survenus devant le magasin Needs Convenience Store, n’ont pas duré plus de six ou sept secondes. M. W.O. s’est contredit sur la question de savoir si le membre visé l’avait regardé par la porte vitrée du magasin. Quant au membre visé, il a toujours dit, sauf à une occasion, en l’occurrence devant le serg. White, que M. W.O. lui avait adressé les paroles suivantes : « Je vais t’arracher la tête, mon crisse! »

[71]  Mes conclusions sur la crédibilité des témoins découlent moins de la prise en compte de ces incohérences mineures que de l’impression de vérité qui se dégage de chacun des témoignages. Quelle est la motivation du témoin? Si le témoin dit vrai, sa conduite correspond- elle à ce qu’une personne raisonnable trouverait normal dans les mêmes circonstances?

[72]  Le cadre de mon analyse dérive au premier chef de l’arrêt McDougall, qui remonte à un passé récent. Je constate par ailleurs que le critère de crédibilité auquel la Cour suprême fait référence dans McDougall renvoie à trois décisions qui demeurent éclairantes malgré leur âge.

[73]  Voici le critère exposé dans la décision Wallace v. Davis (1926) 31 OWN 202, p. 203 [Traduction] :

[...] la crédibilité d’un témoin, au sens propre du mot, ne dépend pas uniquement de l’honnêteté de ses déclarations. Elle dépend aussi de ce qu’il a eu ou non la possibilité et la capacité de faire des observations exactes, de la fidélité de sa mémoire quant aux faits observés, de sa capacité de résistance aux pressions, dont il n’est souvent pas conscient et qui tendent à altérer ses souvenirs, de son aptitude à relater à la barre des témoins les faits observés, de son aptitude à s’exprimer avec clarté – autant de facteurs dont on doit tenir compte pour décider du poids à accorder au témoignage d’un témoin, quel qu’il soit.

[74]  Dans l’affaire MacDermid v. Rice (1939) R. de Jur. 208, le juge Archambault écrit ceci (p. 210) [Traduction] :

[...] lorsque la preuve testimoniale relative à un fait important s’avère contradictoire [...], le tribunal doit prendre en compte les motifs des témoins, leur relation ou leur lien d’amitié avec les parties, leur attitude et leur comportement à la barre des témoins, la façon dont ils livrent leur témoignage ainsi que la probabilité des faits relatés sous la foi du serment, et ensuite en venir à une conclusion quant à la version qu’il convient de tenir pour véridique.

[75]  Voici le critère exposé dans l’affaire Faryna v. Chorney [1952] 2 DLR 354 (p. 357) [Traduction] :

On ne peut pas apprécier la crédibilité des témoins intéressés, en particulier lorsque la preuve est contradictoire, en se demandant uniquement si, par son comportement, le témoin donne l’impression de dire la vérité. Sa version des faits doit faire l’objet d’un examen raisonnable visant à établir si elle concorde avec les probabilités attachées aux conditions qui existent alors. Bref, le véritable critère de la véracité du récit d’un témoin tient, en pareil cas, à la mesure dans laquelle son témoignage est en harmonie avec la prépondérance des probabilités qu’une personne avisée et à l’esprit pratique reconnaîtrait aisément comme raisonnable en ce lieu et dans ces circonstances.

[76]  Cette dernière phrase, d’allure savante, contient l’élément le plus important de cette analyse. Pour le dire simplement, il s’agit de déterminer si, compte tenu de l’ensemble des circonstances, le récit du témoin « sonne juste ».

[77]  À quelle réaction la personne raisonnable s’attendrait-elle de la part de M. W.O. lorsque celui-ci aperçoit le membre visé garer sa voiture devant le magasin au moment même où il en sort? J’ai soigneusement étudié la situation de M. W.O. avant d’en arriver à une conclusion sur sa crédibilité dans les circonstances. À peine quatre ou cinq mois plus tôt, M. W.O. avait vu la réaction qu’avait suscitée chez le membre visé le simple soupçon qu’il couchait avec Mme D.G. D’après son témoignage relatif à la conduite du membre visé ce jour-là, la peur de M. W.O. était tangible, et je le crois quand il dit avoir craint pour sa sécurité. À la suite de cet incident, les services d’urgence ont été appelés, le membre visé a été arrêté et inculpé, puis finalement remis en liberté sous diverses conditions formelles d’interdiction de communication, conditions qu’il a violées quelques semaines plus tard.

[78]  Pour compliquer les choses, c’est environ à cette époque (c’est-à-dire à la fin de septembre 2015) que M. W.O. entame une liaison amoureuse avec Mme D.G. Tout cela a eu lieu pendant que M. W.O. vivait sous le même toit que sa petite amie, quoique leur relation de couple, d’après M. W.O., fût déjà rompue.

[79]  Dans ces circonstances, la personne raisonnable s’attendrait-elle à ce que M. W.O., après avoir réellement cocufié le membre visé, commence à faire de l’esclandre, lui faire des grimaces, lui faire un doigt d’honneur et le talonner jusqu’à ce qu’il accepte de se battre en plein jour devant un magasin? C’est un scénario peu réaliste. La personne raisonnable qui aurait pleinement connaissance de la rage dont le membre visé a montré qu’il était capable aurait pris toutes sortes de précautions pour éviter de se trouver nez à nez avec lui. Elle aurait plutôt cherché à se faire discrète, invisible, et c’est exactement ce que M. W.O. a dit avoir fait jusqu’au 29 janvier 2016 inclusivement. Voilà qui semble être une ligne de conduite raisonnable (et prudente).

[80]  Aucune preuve directe de l’existence des textos que M. W.O. dit avoir reçus au sujet des déplacements du membre visé n’a été produite. Il ne semble pas tiré par les cheveux de penser que M. W.O., qui a grandi dans la petite ville de St. Peters et qui y travaille toujours, a recouru à ce moyen particulier d’échange d’informations pour être averti de l’endroit où se trouvait le membre visé et ainsi éviter de s’y rendre lui aussi. Ce comportement semble raisonnable, et c’est le comportement que M. W.O. a témoigné avoir adopté.

[81]  Maintenant, à quelle réaction la personne raisonnable s’attendrait-elle de la part du membre visé? Ce dernier a été inculpé pour avoir proféré des menaces de mort ou de lésions corporelles. Peu après sa mise en liberté, assortie de la condition de rester à distance de certaines personnes touchées par les événements, il a enfreint cette condition. De nouveau arrêté, il a été remis en liberté moyennant la signature d’un engagement comportant des conditions encore plus strictes. Que fait-il alors? Il s’achète une caméra-témoin. La raison de cet achat, au dire du membre visé, était de surprendre M. W.O. en train de faire ce qui a été dit plus haut (c.-à-d. faire un doigt d’honneur au membre visé, l’entraîner dans une bagarre aux poings, lui jeter des regards malveillants, le photographier), comportement qu’il était déraisonnable, comme je l’ai établi, d’attendre de la part de M. W.O. Si l’on en croit l’hypothèse de la RAD, l’une des raisons pour lesquelles le membre visé a acheté la caméra-témoin était simplement de coincer M. W.O. dans un coup monté. Compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce, j’estime déraisonnables les explications que le membre visé a fournies au sujet de sa conduite.

[82]  L’allégation 1 diffère des quatre autres en ceci qu’elle ne se rapporte pas aux menaces que M. W.O aurait ou non proférées. Le fondement factuel de l’allégation 1 est la violation d’une condition imposée par une promesse contractée devant le tribunal, condition ensuite renforcée par la signature d’un engagement. La question, ici, est donc celle de savoir si le membre visé a pris contact ou tenté de prendre contact avec M. W.O., directement ou indirectement, au cours des événements survenus le soir du 29 janvier 2016 à l’extérieur du Needs Convenience Store.

[83]  Près de cinq mois plus tôt, le 3 septembre 2015, le membre visé avait été mis en liberté moyennant la signature d’un engagement. Parmi les conditions contenues dans cet engagement, il était prescrit au membre visé de [Traduction] « ne pas entrer en contact ni communiquer avec [M. W.O.] ou [S.L.] ».

[84]  Le membre visé n’a pas respecté cette condition. Quelques semaines plus tard, le 18 septembre 2015, après que le membre visé eut été remis en liberté (cette fois selon les modalités d’un engagement), le tribunal a inclus trois autres personnes parmi celles visées par les conditions de non-communication, et il a renforcé la teneur de cette obligation en ajoutant la notion de « tentative ». L’engagement était ainsi libellé [Traduction] :

Ne pas entrer en contact ou communiquer, ni tenter d’entrer en contact ou de communiquer, directement ou indirectement, avec [Mme D.G.], [M. W.O.], [Mme S.L.], [Mme M.S.] [ainsi qu’une autre personne, nommée [Mme E.M.], qui semble, d’après les indications manuscrites, avoir été exclue des conditions le 22 septembre 2015], sauf de la manière suivante :

Contact indirect par l’entremise d’un avocat

Contact indirect avec [Mme D.G.] par l’entremise d’un tiers aux seules fins de prévoir et d’organiser des rencontres avec mon/mes enfant(s)

[85]  Dans ses observations, la RAD m’incite à faire mienne l’analyse de la Cour provinciale de l’Alberta dans l’affaire Lofstrom. Cette affaire est instructive en ce qu’elle fournit un bon résumé de la jurisprudence relative à l’interprétation du terme « contact/communication » (angl. « contact »).

[86]  Au paragraphe 44 du jugement Lofstrom, il est fait référence à l’affaire H.B.T. v. Her Majesty the Queen (aussi connue sous le titre R. v. Timmons), 2004 NSSC 56 (CanLII) (ci-après « H.B.T. ») [Traduction] :

[44] Dans H.B.T., l’accusé était lié par une obligation de « non-communication », imposée par une ordonnance de probation, qui lui interdisait tout contact avec R.W.T., la personne qu’il a agressée sexuellement. L’inculpé a ultérieurement été accusé et déclaré coupable d’avoir violé ses conditions de probation en demeurant un certain temps assis dans la salle d’audience pendant que R.W.T. témoignait contre son frère (celui de H.B.T.), qui faisait face à des accusations semblables. Sur la question de savoir s’il s’agissait là d’un contact interdit, le juge de première instance a statué comme suit :

[…] lorsqu’une personne se place en un endroit où elle peut être vue par une autre, qu’elle est effectivement vue par cette autre personne et qu’elle choisit de rester à cet endroit, alors il y a contact… Même si les intéressés n’ont échangé aucune parole ni aucun signe, il y a là contact… [H.B.T., par. 21]

[87]  Je souscris à l’opinion que le juge exprime au paragraphe 54 de l’affaire Lofstrom [Traduction] : « Je conclus qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait échange verbal direct pour constater l’actus reus du “contact” ».

[88]  En ce qui a trait à la mens rea de la violation de l’ordonnance de non-communication, je fais mienne l’analyse exposée aux paragraphes 55 et 56 du jugement Lofstrom ainsi que la confirmation donnée par le tribunal au paragraphe 65, où l’on peut lire ce qui suit [Traduction] :

[...] la différence essentielle entre un contact « coupable » et un contact « non coupable » tient à la faculté qu’a la Couronne de prouver hors de tout doute raisonnable l’existence de l’élément intentionnel de l’infraction après une rencontre fortuite; il s’agit en somme de déterminer si, une fois que le « contact » a été établi, l’accusé y a immédiatement mis fin ou s’il est, sciemment et volontairement ou imprudemment, « resté en contact » avec la partie plaignante.

[89]  Pour établir la présence de la mens rea, le juge des faits bénéficie rarement d’une fenêtre ouverte sur la pensée de l’accusé. Le plus souvent, il faut analyser les actes commis et en inférer l’intention subjective de l’intéressé. En l’espèce, cependant, nous disposons de l’enregistrement audiovisuel effectué par la caméra-témoin, et force est de se demander si le membre visé savait comment manipuler cet appareil (ou s’il avait oublié qu’il avait installé la caméra dans son véhicule, ou encore s’il avait oublié que celle-ci était en marche) lorsqu’il est arrivé devant le magasin. Apercevant dans le stationnement la seule camionnette qui s’y trouvait, il a prononcé ces mots fatidiques : « J’espère que c’est toi. »

[90]  J’ai écouté l’enregistrement audio un nombre incalculable de fois en prêtant une attention particulière aux inflexions et au ton de voix du membre visé afin de bien saisir l’importance de ces mots : « J’espère que c’est toi. » Sa colère est palpable; on croirait entendre un prédateur. À quelles paroles la personne raisonnable s’attendrait-elle de la part d’un gendarme comptant neuf années de service et faisant l’objet d’une ordonnance judiciaire lui interdisant d’approcher une certaine personne? Non pas « j’espère que c’est toi », mais plutôt quelque chose comme ceci : « J’espère que ce n’est pas toi. N’importe qui sauf toi. Je suis juste venu chercher des boissons gazeuses pour mes enfants. Faut-il vraiment que ce soit toi? »

[91]  Cet énoncé du membre visé, distinctement audible, mais presque marmonné entre les dents au moment où il s’approche du véhicule de M. W.O., révèle la plus flagrante incohérence dans les témoignages et plaidoiries entendus à l’audience. Lorsque le membre visé témoigne que « [M. W.O.] était la dernière personne au monde [qu’il] avai[t] envie de voir », il perd absolument toute crédibilité, car rien n’est plus éloigné de la vérité. On a l’impression, au son de sa voix, qu’il est en fait enchanté de tomber sur M. W.O. au Needs Convenience Store.

[92]  Retournons à la scène de l’incident. La caméra enregistre toujours. Presque immédiatement après avoir marmonné « j’espère que c’est toi », le membre visé voit M. W.O. sortir du magasin et prononce alors le mot d’insulte « mon hostie ». D’après la réponse aux allégations que le membre visé a présentée, ce gros mot lâché n’est rien d’autre que sa réaction instinctive à la vue de M. W.O. Il le déteste vraiment. À visionner la vidéo, on sent bien, ne serait-ce qu’à cause du ton employé, que le membre visé n’entend aucunement patienter dans sa voiture durant les six ou sept secondes qu’il faudrait à M. W.O. pour descendre la rampe et monter dans sa camionnette. Le membre visé décide plutôt de sortir de son auto et de grimper l’escalier en trombe, gravissant deux marches à la fois. Il est si exalté à la vue de M. W.O. qu’il en oublie son portefeuille sur le siège avant de sa voiture.

[93]  Comment le membre visé explique-t-il sa conduite? Son explication est-elle raisonnable? Voici ce qu’il a dit au serg. White [Traduction] :

J’avais envie d’aller le trouver pour lui casser la gueule, puis je me suis dit « et merde! non », et j’ai… vous pouvez le voir sur la vidéo, j’ai monté les marches deux à deux pour entrer directement dans le magasin, parce que je savais que si je commençais à le cogner, je serais incapable d’arrêter.

[94]  La personne raisonnable est en droit de se demander ce que le membre visé avait voulu dire au juste quand, parlant avec le serg. White de sa réaction à la vue de M. W.O., il a prononcé les mots « et merde! ». Cela reflète-t-il fidèlement ce qu’il pense de son obligation de ne pas s’approcher de M. W.O.? Cela reflète-t-il son attitude à l’égard de l’engagement contracté ou à l’égard de l’administration de la justice en général? Ce n’est pas là une réaction raisonnable. De toute évidence, le membre visé s’est mis à bouillir d’envie de se bagarrer dès qu’il a vu M. W.O.

[95]  L’installation de la caméra-témoin n’a rien de cohérent. Comment le membre visé espérait-il filmer M. W.O. sans d’abord le repérer et s’en être suffisamment rapproché pour obtenir un bonne prise de vues? Si le membre visé a installé la caméra dans le but de se protéger, comme il le prétend, son plan était mal conçu.

[96]  Le membre visé est un policier qui a prêté serment de faire appliquer la loi et de protéger, de respecter et de soutenir l’administration de la justice. Les membres de la Gendarmerie royale du Canada ont volontairement accepté d’obéir à une norme de conduite supérieure à celle valable pour le simple citoyen. Cela ne veut pas dire que cette norme exige la perfection, comme l’explique la Cour suprême du Canada dans l’arrêt The Queen and Archer v. White, [1956] R.C.S. 154, 158. Nulle part cette norme de conduite plus stricte s’applique-t-elle plus impérieusement qu’en ce qui a trait à l’administration de la justice. Ayant enfreint les conditions de sa promesse, le membre visé aurait dû se montrer extrêmement scrupuleux dans le respect des conditions de son engagement. Il semble qu’il ait adopté l’attitude inverse.

[97]  Je constate que le membre visé a tenté d’entrer en contact ou de communiquer avec M. W.O. le soir du 29 janvier 2016 à l’extérieur du magasin Needs Convenience Store. Ayant vu la camionnette, il a formulé le voeu secret mais audible qu’il s’agît de celle de M. W.O. Il n’a pas fait preuve de prudence et décidé de passer tout droit dans l’éventualité où la camionnette aurait effectivement été celle de M. W.O. Il ne s’est pas non plus contenté d’attendre que M. W.O. s’en aille. Bien plutôt, quand il a vu M. W.O. sortir du magasin, il a complété sa manoeuvre de stationnement, est sorti de sa voiture tandis que M. W.O. était toujours en train de descendre la rampe, a gravi les marches deux à deux et a croisé le regard de ce dernier. Il est même ressorti du magasin, sachant que M. W.O. n’était pas loin, pour aller chercher le portefeuille qu’il avait, dans son énervement, oublié dans son auto. Le contact établi s’est limité à un contact visuel, et bien que ce contact fût fugitif, il a été activement et impatiemment recherché par le membre visé. Il découle de ce qui précède que la contravention visée par l’allégation 1 est établie selon la prépondérance des probabilités.

[98]  Les autres allégations touchent à la question de savoir si M. W.O. a prononcé les mots « Je vais t’arracher la tête, mon crisse! », ainsi qu’il est allégué.

[99]  Pour reprendre mon analyse de la crédibilité des témoins en évaluant dans quelle mesure les actes commis concordent avec la prépondérance des probabilités que le citoyen ordinaire estimerait raisonnable dans les circonstances, je vais maintenant examiner ce que le membre visé a fait après avoir reçu les prétendues menaces. Il est directement entré dans le magasin en sachant qu’il y avait des caméras de surveillance partout. Il n’a pas mentionné l’incident à la caissière, ce qu’il justifie, dans son témoignage, par le fait qu’il savait que celle-ci était l’amie de M. W.O. (ce qui est effectivement le cas). Il aurait pu tout au moins la prier de s’assurer que les images captées par les caméras soient conservées, car elles auraient constitué une preuve déterminante dans le cadre d’une instance criminelle. Il n’en a rien fait. Il n’a pris aucune mesure pour que soient conservés les enregistrements effectués par les caméras placées à l’intérieur comme à l’extérieur du magasin. Il n’est pas anodin que le membre n’ait pas cherché à obtenir des éléments de preuve qui, s’il dit vrai, auraient corroboré sa version des faits. De même, la RAD fait remarquer qu’il n’a pris aucune mesure pour que soit conservé l’enregistrement effectué par la caméra extérieure, lequel, s’il a menti, aurait prouvé ce point une fois pour toutes.

[100]  Or la position adoptée par le membre visé sur la question des enregistrements vidéo a plutôt consisté à remettre en cause l’intégrité des agents chargés de mener l’enquête. Je peux dire, pour avoir examiné les rapports d’enquête, qu’ils ne m’ont pas paru manquer de substance au point d’être suspects, bien au contraire. Le gend. Boudreau a écouté jusqu’au bout le récit du membre visé, et le gend. MacFarlane a rédigé deux pages complètes de notes à simple interligne. Si l’un ou l’autre de ces membres a voulu se débarrasser de l’enquête, cela ne ressort nullement de leur conduite initiale.

[101]  Puisque le membre a argué de l’existence de mauvaises pratiques policières, il est opportun d’observer qu’il n’a lui-même pris aucune note sur l’incident après coup, ce qui me semble pour le moins étrange.

[102]  Lorsqu’un acte criminel est commis sous les yeux d’un membre qui n’est pas de service, il est normal que ce dernier prenne des notes à ce sujet dès qu’il en a l’occasion. Quel est en définitive le critère, consacré de longue date, de la validité des notes de police? Sont-elles contemporaines des événements, et ont-elles été écrites par la main de leur auteur présumé (ou au moins entrées par ce dernier sur support informatique)?

[103]  Le policier raisonnable qui n’est pas de service n’aurait-il pas essayé d’aviser les membres de service qu’il avait reçu une menace de mort? Certes, le membre visé a dit qu’il avait essayé, mais il a raccroché au moment où s’enclenchait la messagerie vocale. Aurait-il fait de même s’il avait été témoin d’un vol à main armé, d’un mortel accident de la route ou d’une conduite avec facultés affaiblies? Il est toujours possible de joindre la police. Un appel 9-1-1 reçoit toujours une réponse.

[104]  Qui plus est, si c’est vous qui êtes la victime de l’acte criminel, n’auriez-vous pas des raisons d’autant plus pressantes d’alerter la police?

[105]  Le membre visé a témoigné avoir dit à sa petite amie ce qui s’était passé dès son retour à la maison. La doctrine de la plainte immédiate peut fournir un indicateur fiable de légitimité. C’est ainsi que les gens raisonnables agissent lorsqu’il leur arrive malheur. N’aurait-il pas également été raisonnable que le membre visé fît au moins mention aux enquêteurs de cette importante conversation? Comment se fait-il que ce soit seulement au cours de la présente audience, une fois conclu l’argumentaire de l’autorité disciplinaire, que cette information soit pour la première fois rendue publique?

[106]  Peu nombreuses sont les explications plausibles pour la conduite du membre visé. Selon l’une d’entre elles, les prétendues menaces n’ont jamais été proférées.

[107]  M. W.O. n’avait aucune raison de menacer le membre visé. Il a témoigné qu’il souhaitait s’occuper de Mme D.G. et de ses enfants. Or en quoi menacer d’« arracher la tête » de leur « hostie » de père allait-il l’aider en ce sens? Cela ne tient pas debout.

[108]  Le membre visé, par contre, était incontestablement motivé par la haine. Il ne fait aucun doute qu’il avait la motivation requise pour violer l’ordonnance de probation et inventer l’incident où M. W.O. aurait proféré des menaces.

[109]  Voilà ce que, selon la prépondérance des probabilités, et sur la base des éléments de preuve clairs et convaincants produits à l’audience, je conclus qu’il a fait.

[110]  M’appuyant sur cette analyse, je conclus que la contravention visée par l’allégation 2 est établie au moyen d’une preuve claire et convaincante. Les dires du membre visé à propos des menaces proférées étaient faux et trompeurs, et ils ont suscité l’ouverture d’une enquête criminelle contre son ennemi juré, M. W.O.

[111]  La contravention visée par l’allégation 3 est également établie. Tenter de faire croire à l’existence de menaces fictives n’est pas conforme au maintien de l’ordre public et d’une bonne conduite, ce que justement lui imposait l’engagement contracté.

[112]  L’allégation 4 se rapporte au fait d’avoir rendu compte de manière inexacte de l’exécution de ses responsabilités. Le fondement de l’allégation 4 tient aux renseignements faux ou trompeurs que le membre visé a fournis au serg. Gary White, alors chargé de mener une enquête déontologique sur ses agissements. Le membre visé a dit au serg. White qu’il avait été menacé par M. W.O., ce qui était faux, trompeur et contraire à la vérité. Pour les motifs susmentionnés, je conclus que la contravention visée par l’allégation 4 est établie selon la prépondérance des probabilités.

[113]  Le fondement de l’allégation 5 est la violation de l’ordonnance de probation, qui imposait au membre visé l’obligation de ne pas troubler l’ordre public et d’observer une bonne conduite. Continuer à prétendre, cette fois devant le serg. White, qu’il avait reçu des menaces de M. W.O. constitue un manquement à cette obligation. J’estime donc qu’il a enfreint l’ordonnance de probation à cet égard, et je conclus que la contravention visée à l’allégation 5 est établie selon la prépondérance des probabilités.

[114]  Tous ces actes ont été commis alors que le membre visé n’était pas de service, mais leur lien avec la situation d’emploi de ce dernier est manifeste : les allégations 1, 3 et 5 touchent à l’administration de la justice, qui est de toute évidence liée à la situation d’emploi de l’intéressé, et les allégations 2 et 4 se rapportent à de fausses déclarations faites à des confrères de la Gendarmerie.

[115]  Il incombe à tout membre, en tout temps, qu’il soit de service ou non, de veiller à la bonne administration de la justice et de faire preuve de respect envers autrui. La violation impudente des conditions prescrites par les ordonnances judiciaires rendues contre lui et l’imputation à M. W.O. d’une grave conduite criminelle totalement fictive suffisent à établir clairement le lien avec la situation d’emploi du membre visé.

MESURES DISCIPLINAIRES

[116]  Les cinq contraventions au code de déontologie appartiennent à la même séquence d’événements; la plupart ont été commises à moins de 24 heures d’intervalle. Il est donc opportun d’imposer des mesures disciplinaires pour l’ensemble d’entre elles plutôt que pour chacune séparément.

Observations de la représentante de l’autorité disciplinaire

[117]  La RAD a soutenu qu’un congédiement était approprié et, pour appuyer sa position, a cité des décisions antérieures où le congédiement était compris dans l’éventail des peines applicables à une inconduite liée à un manque d’honnêteté et d’intégrité.

  • (2007) 1 D.A. (4e) 145 – Décision rendue par le commissaire dans laquelle ce dernier souscrit à la recommandation du CEE de confirmer la décision du comité d’arbitrage de congédier le mis en cause pour avoir fabriqué deux fausses ordonnances de stéroïdes anabolisants.
  • 2010 C.F. 20 – Ce jugement de la Cour fédérale porte sur le congédiement d’un membre pour cause de fraude en matière d’assurances, mais il contient aussi d’utiles indications sur les paramètres suivant lesquels la preuve d’expertise médicale doit être utilisée.
  • 2017 DARD 3 – Audience disciplinaire ayant abouti au congédiement du membre visé pour cause de fraude en matière d’assurances. Cette décision est actuellement en appel.

[118]  La RAD a également introduit en preuve trois incidents disciplinaires antérieurs qu’elle considère comme des facteurs aggravants devant être pris en compte dans la détermination des mesures disciplinaires adéquates. Les trois incidents sont les suivants :

  • Le 19 mars 2014, le membre visé s’est vu imposer une séance de counselling après avoir manqué à son devoir. Il avait, en l’occurrence, omis d’enquêter dûment et dans un délai raisonnable sur un cas de harcèlement.
  • Le 22 avril 2016, le membre visé a participé à une rencontre disciplinaire où il a été question des mesures disciplinaires à imposer relativement aux quatre contraventions au code de déontologie mentionnées aux paragraphes 5 et 6 de la présente décision.
  • Le 18 avril 2017, le membre visé a participé à une rencontre disciplinaire où il a été question des mesures disciplinaires à imposer relativement à une contravention au code de déontologie décrite comme suit : entre le 22 décembre 2015 et le 2 juin 2016, à St. Peters ou dans ses environs, dans la province de la Nouvelle-Écosse, le membre visé a omis de se conformer à une ordonnance judiciaire rendue par la juge Moira Legere-Sers, de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse (Division de la famille), en n’effectuant pas tous les versements de pension alimentaire qu’il lui était ordonné de faire.

[119]  Autre facteur aggravant : la difficulté qu’aurait à l’avenir la GRC de laisser le membre visé exercer des fonctions d’enquêteur compte tenu de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. McNeil, [2009] CSC 3 (ci-après « McNeil »). Cet arrêt fait obligation à la Gendarmerie de communiquer à la défense, en première instance, les antécédents disciplinaires pertinents de tout membre ayant participé à la constitution du dossier de poursuite dans une affaire criminelle.

[120]  Il faut aussi retenir comme facteur aggravant le fait que le membre visé n’a exprimé aucun remords et a refusé d’assumer la responsabilité de ses actes.

[121]  La RAD a en outre argué qu’il fallait considérer comme un facteur aggravant la gravité des contraventions, lesquelles consistent en la violation d’une ordonnance de non- communication et en l’invention d’une histoire conçue pour forcer l’ouverture d’une enquête criminelle qui n’avait pas lieu d’être.

[122]  Les circonstances dans lesquelles un employeur peut congédier un employé (y compris pour des raisons médicales) ont été examinées dans le cadre de plusieurs affaires soumises à notre attention, dont les suivantes :

  • Ennis v. The Canadian Imperial Bank of Commerce, 1986 CanLII 1208, [1986] BCJ 1742;
  • Cadbury Adams Canada and United Food v. Commercial Workers Union, Local 175 (référence manquante);
  • Cambridge Memorial Hospital v. Ontario Nurses’ Association, 2017 CanLII 2305 (Ontario Labour Arbitration);
  • McKinley c. BC Tel, [2001] 2 R.C.S. 161, 2001 CSC 38;
  • Stewart c. Elk Valley Coal Corp., [2017] 1 R.C.S. 591, 2017 CSC 30.

[123]  La RAD a contesté la pertinence de la lettre présentée par le médecin traitant du membre visé, le Dr J.G., un psychologue clinicien, et datée du 6 juillet 2017. La lettre se lisait comme suit [Traduction] :

Pour faire suite à notre entretien téléphonique et à votre lettre datée du 5 juillet 2017, je confirme que j’ai rencontré [le membre visé] qui m’avait été adressé par les Services de santé de la GRC à Halifax. La première consultation a eu lieu le 4 août 2015. Des consultations ont eu lieu régulièrement depuis cette date, et de futurs rendez-vous ont déjà été fixés. Je lui a diagnostiqué un trouble de stress post-traumatique (TSPT) doublé d’une sévère anxiété dépressive. Le TSPT, diagnostic confirmé et lié au travail, résulte essentiellement d’un incident survenu en septembre 2013 à l’occasion duquel [le membre visé] a tenté d’appréhender un individu résistant à son arrestation et décrit comme se trouvant dans un « état high » induit par le speed. Au cours de l’altercation avec l’individu, qui a duré un certain temps, [le membre visé] a été poussé au milieu de la route et a failli se faire heurter par des véhicules à trois ou quatre reprises. Les symptômes occasionnés étaient les suivants : flash-backs, cauchemars, anxiété réflexive, attaques paniques, hypervigilance, émoussement affectif, réflexes de sursaut exagéré, appréhension et sentiment d’être menacé, réduction de la tolérance à la frustration, irritabilité, insomnia persistante associée à de l’épuisement et à de la somnolence diurne, humeur dépressive et réactions phobiques diverses.

[Le membre visé] a également consulté [le Dr I.S.] pour subir un examen psychiatrique et un traitement pharmacologique.

[Le membre visé] a dûment suivi toutes les recommandations de traitement. Son état clinique s’est grandement amélioré.

J’espère que ceci répond à vos questions avec suffisamment de détails. Je serai à l’extérieur du pays jusqu’au début d’août, mais il me fera plaisir de vous fournir davantage d’informations ou d’éclaircissements sur demande.

[Les mots entre crochets remplacent ceux présents dans l’original]

[124]  La RAD a soulevé la question de savoir si le TSPT était bien le diagnostic du Dr J.G., et elle a souligné l’absence de lien causal entre les symptômes et la nature de l’inconduite. En effet, les symptômes relevés de comprennent ni la malhonnêteté, ni la fabrication de preuves. Pour cette raison, la RAD a soutenu qu’il ne fallait accorder aucun poids, ou qu’un poids limité, aux observations du Dr J.G.

[125]  La RAD a avancé qu’aucun élément de preuve n’étayait le potentiel de réadaptation du membre visé, de sorte qu’il n’y avait aucune raison de croire que ce dernier n’allait pas, à l’avenir, faire preuve d’une inconduite semblable ou de quelque autre inconduite grave.

[126]  Tenant compte de tous les facteurs susmentionnés, la RAD a argué que le membre visé devait être congédié de la Gendarmerie.

Observations du représentant du membre

[127]  Le membre visé est retourné à la barre des témoins pour parler en détail de sa vie et de son parcours à la GRC, de même que de son engagement communautaire.

[128]  Le membre visé a déclaré consulter le Dr J.G. régulièrement. Au début, il le voyait une fois par semaine, puis, au bout d’environ un an, une fois toutes les deux semaines. Depuis peu, il le voit environ une fois par mois. Les médicaments qu’il prend actuellement semblent soulager plus efficacement certains de ses symptômes.

[129]  Le 30 mai 2016, le membre visé a reconnu avoir commis un méfait public et une violation d’ordonnance à l’occasion des incidents de l’été et de l’automne 2015 d’où procédaient les contraventions au code de déontologie ici examinées. En échange de son plaidoyer de culpabilité relativement à ces deux chefs d’accusation, les autres accusations ont été retirées.

[130]  Le RM a attiré l’attention sur ce qui ressortait d’une des évaluations dont le membre visé a fait l’objet, à savoir que l’incident à l’origine de son TSPT était lié au travail. Ces mêmes évaluations contiennent plusieurs passages faisant l’éloge du membre visé pour sa souplesse, sa discipline dans le travail, sa façon de contrôler des sources humaines et son savoir-faire professionnel.

[131]  Une lettre de recommandation introduite en preuve se terminait par cette phrase [Traduction] :

[Le membre visé] est un homme intègre et au sens moral aiguisé. Il est l’illustration même de ce dont l’organisation a besoin pour connaître du succès. Je le prendrais sans hésiter pour partenaire de travail.

[132]  Invoquant le principe formulé dans la Loi sur la GRC selon lequel les mesures disciplinaires doivent être proportionnées à la nature de l’inconduite, le RM a fait valoir qu’une confiscation de solde serait plus appropriée qu’un congédiement.

[133]  Voici la jurisprudence citée par le RM à l’appui de mesures disciplinaires consistant en une confiscation de solde plutôt qu’en un congédiement :

  • L’officier compétent de la Division D et le gendarme « E », (2007) 1 D.A. (4e) 246 – Dans cette affaire, deux allégations pesaient contre le membre : avoir utilisé un véhicule de police sans autorisation, et avoir fait des déclarations fausses ou trompeuses. Acceptant la proposition conjointe de peine, le comité d’arbitrage a imposé un avertissement doublé de la confiscation de cinq jours de solde relativement à la première allégation (utilisation non autorisée d’un véhicule de police), et un avertissement doublé de la confiscation de quatre jours de solde relativement à la deuxième (déclarations fausses ou trompeuses).
  • L’officier compétent de la Division E et le gendarme « H », (2008) 1 A.D. (4e) 382 – Dans cette affaire, le membre a admis l’allégation selon laquelle il avait, en sa qualité de conservateur des pièces à conviction pour le détachement, informé erronément un confrère qu’une certaine pièce à conviction, en l’occurrence un fusil, avait été détruite. Il avait en outre corrélativement falsifié une entrée dans la base de données de la police. Acceptant la proposition conjointe de peine, le comité d’arbitrage a imposé une sanction globale consistant en un avertissement doublé de la confiscation de cinq jours de solde.
  • L’officier compétent de la Division D et la gendarme « R », (2008) 3 D.A. (4e) 257 – Dans cette affaire, la membre a admis l’allégation selon laquelle elle avait, en sa qualité de spécialiste d’identification judiciaire examinant les lieux d’un double homicide, falsifié son carnet de notes pour attester la présence de cartouches chargées dans une arme trouvée sur place. Interrogée au sujet de son carnet de notes, la membre a prétendu que son premier carnet avait été contaminé sur les lieux du crime et que des taches de sang masquaient les notes qu’elle avait prises. Acceptant la proposition conjointe de peine, le comité d’arbitrage n’a imposé qu’un avertissement doublé de la confiscation d’un jour de solde pour cette raison que la membre avait, en conséquence de ses actes, consenti à être rétrogradée du rang de caporal à celui de gendarme, et été mutée hors du groupe spécialisé de l’identification judiciaire.
  • L’officier compétent de la Division C et le gendarme « L », (2009) 4 D.A. (4e) 322 – Dans cette affaire, le membre a admis quatre allégations. Une passante l’avait vu se masturber dans une voiture garée et avait signalé la chose à la police municipale. Au moment de l’incident, le membre était de service, en tenue civile, dans une voiture banalisée et en train de participer à une opération de surveillance. Il a essayé de berner les agents de la police municipale par des déclarations fausses, trompeuses et inexactes. Il a aussi effectué des vérifications dans la base de données de la police et obtenu des renseignements à des fins non autorisées. Acceptant la proposition conjointe de peine, le comité d’arbitrage a imposé un avertissement doublé de la confiscation de dix jours de solde et a recommandé que le membre consulte un spécialiste.
  • L’officier compétent de la Division F et le gendarme « M », (2010) 5 D.A. (4e) 69 – Au terme d’une audience contradictoire, le membre a été reconnu coupable d’avoir consulté des images de pornographie juvénile enregistrées sur un ordinateur portable saisi lors de la perquisition menée dans la résidence d’un présumé pédophile. Le membre était le conservateur désigné des pièces à conviction saisies au cours de la perquisition. Acceptant la proposition conjointe de peine, le comité d’arbitrage a imposé un avertissement doublé de la confiscation de dix jours de solde et a tenu à faire remarquer que, selon la proposition conjointe de peine, le mis en cause n’avait pas consulté les images à des fins de satisfaction personnelle.
  • L’officier compétent de la Division O et la gendarme « B », (2010) 7 D.A. (4e) 202 – Dans cette affaire, la membre a admis une allégation selon laquelle elle avait, à trois occasions distinctes, fait des déclarations fausses, trompeuses ou inexactes à des policiers de la GRC et du Service de police d’Ottawa chargés des enquêtes internes. Acceptant la proposition conjointe de peine, le comité d’arbitrage a imposé un avertissement doublé de la confiscation de cinq jours de solde.
  • L’officier compétent de la Direction générale et la gendarme « N », (2012) 13 D.A. (4e) 246 – Dans cette affaire, la gendarme a admis deux allégations selon lesquelles elle avait fait des déclarations fausses, trompeuses ou inexactes à un membre chargé de l’enquête déontologique dont elle faisait l’objet. À l’issue d’une audience contradictoire relative à la peine, le comité d’arbitrage a imposé un avertissement doublé de la confiscation de six jours de solde.
  • L’officier compétent de la Division H et le gendarme « E », (2014) 15 D.A. (4e) 331 – Dans cette affaire, conduite dans le cadre d’une audience contradictoire, le membre a été reconnu coupable d’avoir fait des déclarations fausses, trompeuses ou inexactes au sujet de ses heures de travail et de son utilisation non autorisée d’un véhicule de police avec lequel il a été impliqué dans un accident de la route. Acceptant la proposition conjointe de peine relative aux six contraventions au code de déontologie, le comité d’arbitrage a imposé un avertissement doublé de deux confiscations de solde pour deux jours de travail et de quatre confiscations de solde pour dix jours de travail. L’officier compétent, qui ne réclamait pas le congédiement du membre, a pris des mesures constructives pour soutenir et ménager le membre tout au long du processus disciplinaire.
  • L’officier compétent de la Division F et le gendarme « B », (2005) 28 D.A. (3e) 283 – Dans cette affaire, le membre s’était vu signifier deux avis d’audience disciplinaire distincts. Le premier contenait une allégation de déclaration fausse, trompeuse ou inexacte faite au chef de détachement pour dissimuler une liaison extraconjugale, tandis que le second contenait deux allégations : l’une concernait un rapport falsifié relatif à l’aliénation de biens, et l’autre, une déclaration fausse, trompeuse ou inexacte faite au chef de détachement au sujet de ces mêmes biens. À l’issue d’une audience contradictoire, les trois contraventions alléguées ont été établies. L’officier compétent réclamait le congédiement. Relativement au premier avis d’audience disciplinaire, le comité d’arbitrage a imposé un avertissement, et relativement au second, une sanction globale consistant en un avertissement doublé de la confiscation de dix jours de solde.

[134]  En conclusion, le RM a fait valoir que le solide engagement communautaire du membre visé, sa discipline dans le travail et les mesures qu’il a prises pour lutter contre les sources de stress présentes dans sa vie témoignaient de sa capacité à se réadapter. Au lieu du congédiement, il serait raisonnable de lui imposer des confiscations de solde substantielles.

Réfutation de la représentante de l’autorité disciplinaire

[135]  Contrairement à l’opinion exprimée par le RM, il se trouve que le membre visé, d’après ses évaluations de rendement, est un employé dont le travail est de qualité moyenne, tout au plus. À la page 2 de l’évaluation de rendement couvrant la période comprise entre avril 2010 et mars 2011, il est dit, après que les aspects positifs du travail du membre visé eurent été soulignés, qu’[Traduction]« il y avait place à amélioration ».

[136]  Dans l’évaluation de couvrant la période comprise entre avril et octobre 2011, il est écrit que le membre visé [Traduction] « a pris des mesures pour mieux étoffer ses dossiers par des notes écrites, ce qui s’imposait grandement », mais il est dit à la page 3 que « la rédaction de documents de procédure est un aspect de son travail qui mérite d’être amélioré ».

[137]  À la page 3 de l’évaluation couvrant la période comprise entre septembre 2013 et avril 2014, il est dit que le membre visé [Traduction] « effectue un travail préliminaire de qualité, mais éprouve de la difficulté à produire des rapports suffisamment détaillés. »

[138]  La RAD a par ailleurs fait remarquer qu’aucune des affaires citées à l’appui d’une peine moins sévère que le congédiement ne portait sur une inconduite aussi grave que celle considérée en l’espèce. En outre, dans la plupart de ces affaires, la sanction imposée faisait suite à un exposé conjoint des faits et à une proposition conjointe de peine.

Décision sur les mesures disciplinaires

[139]  Le CEE a défini la marche à suivre pour l’imposition de mesure disciplinaires. Suivant cette démarche, dont la solidité juridique a été confirmée par les tribunaux, la première chose à faire consiste à déterminer l’éventail des mesures disciplinaires appropriées à l’inconduite considérée. Ensuite doivent être pris en compte les facteurs atténuants et aggravants applicables. Enfin, tout en gardant à l’esprit le principe de la parité des peines, le décideur choisit les mesures disciplinaires les plus adéquates et équitables eu égard à la gravité de l’inconduite.

[140]  La jurisprudence citée par les parties reflète avec justesse l’éventail des peines (appelées désormais « mesures disciplinaires ») applicables à une inconduite se caractérisant par un manque d’honnêteté et d’intégrité. Cet éventail comprend le congédiement. Il ne saurait en être autrement, car l’honnêteté et l’intégrité sont des valeurs fondamentales de la GRC et sont des éléments essentiels du contrat de travail.

[141]  Après un examen minutieux, j’estime que plusieurs des facteurs aggravants avancés par la RAD ne peuvent être retenus comme tels.

[142]  Je ne peux pas accepter la gravité de l’inconduite comme un facteur aggravant. Certes, les contraventions établies en l’espèce sont graves, mais tenir la gravité de l’inconduite pour un facteur aggravant relève de la tautologie. Les facteurs aggravants, par définition, sont des facteurs extérieurs à l’inconduite qui forcent la prise en considération d’une peine plus sévère. La gravité de l’inconduite n’est pas un facteur aggravant.

[143]  Je ne peux pas non plus, dans les circonstances, accepter l’absence de remords comme un facteur aggravant. Toute personne accusée d’un acte répréhensible est en droit d’exiger de son accusateur qu’il prouve ses allégations. Qui nie catégoriquement les allégations formulées contre lui ne peut pas en même temps exprimer de remords ou de regrets. Cela pourrait, au mieux, valoir comme l’absence d’un facteur atténuant. Je refuse de considérer l’absence de remords comme un facteur aggravant.

[144]  Des antécédents disciplinaires peuvent constituer un lourd facteur aggravant, mais ils doivent être bien fondés et, à la conscience du membre, avoir une teneur aggravante. Cela suppose, au risque d’énoncer une lapalissade, que le membre mis en cause savait qu’il avait déjà officiellement fait l’objet de mesures disciplinaires au moment où il a commis les actes ayant donné lieu à l’avis d’audience disciplinaire.

[145]  À l’époque des faits, c’est-à-dire les 29 et 30 janvier 2016, une seule mesure disciplinaire répondait à cette condition, en l’occurrence celle, simple, imposée le 19 mars 2014 pour négligence dans l’exercice de ses fonctions. Je retiens cette mesure disciplinaire à titre de facteur aggravant dans la présente affaire.

[146]  En date du 29 et du 30 janvier 2016, les événements survenus à l’été et à l’automne 2015 relevaient d’affaires déontologiques toujours pendantes et n’ayant pas encore débouché sur l’imposition de mesures disciplinaires. Pour cette raison, les sanctions prononcées le 22 avril 2016 relativement aux quatre contraventions au code de déontologie (qui sont on ne peut plus pertinentes en l’espèce) ne sauraient être retenues comme facteurs aggravants à l’égard des trois premières contraventions visées par la présente procédure.

[147]  Toutefois, à l’époque où le membre visé s’est entretenu avec le serg. White, le 1er décembre 2016, il avait déjà comparu devant une autorité disciplinaire et s’était déjà vu infliger des mesures disciplinaires, imposées le 22 avril 2016, lesquelles sont directement liées aux événements qu’il était sur le point de relater au serg. White. Il me faut donc distinguer entre les trois premières contraventions et les deux dernières.

[148]  Le 1er décembre 2016, le membre visé a délibérément présenté au serg. White un récit qu’il savait être erroné; or la figure centrale de ce récit, M. W.O., était aussi l’une des personnes directement concernées par les faits auxquels se rapportaient les mesures imposées le 22 avril 2016. Je suis d’avis que la décision du membre visé de persévérer dans son mensonge constitue un facteur aggravant dont il faut tenir compte dans la détermination de la sanction appropriée. Le membre visé accorde peu de valeur soit à l’ensemble du processus disciplinaire (allégation 4), soit aux conditions prescrites par l’ordonnance de probation rendue contre lui (allégation 5); ou alors peut-être qu’il considère un tel processus comme secondaire par rapport à son désir obstiné de vengeance contre M. W.O.

[149]  La troisième mesure disciplinaire antérieure présentée comme facteur aggravant, à savoir celle imposée au cours de l’année civile 2017 et se rapportant au défaut de paiement d’une pension alimentaire, a été prononcée bien après les dates figurant dans l’avis d’audience disciplinaire et ne peut aucunement être prise en considération.

[150]  Je retiens comme facteur aggravant le caractère « duratif » de la conduite répréhensible. Bien que les événements auxquels se rapportent les allégations contenues dans l’avis d’audience disciplinaire procèdent tous d’une seule et même situation, l’inconduite ne saurait être considérée comme découlant d’une erreur de jugement ponctuelle, car cette inconduite implique la perpétration de plusieurs contraventions en l’espace de plusieurs mois.

[151]  Les conséquences de l’arrêt McNeil constituent un facteur aggravant. Le membre visé a maintenant un dossier disciplinaire signalant sa fabrication d’éléments de preuve relatifs à un acte criminel ainsi que son inobservation d’ordonnances judiciaires. L’arrêt McNeil ne contraint qu’à la communication des renseignements pertinents, mais il est difficile d’imaginer une procédure criminelle dans le cadre de laquelle ces renseignements ne seraient pas pertinents. Les antécédents disciplinaires du membre visé forment un obstacle de taille au déploiement du membre visé à quelconque titre opérationnel, que ce soit dans sa division ou dans une autre.

[152]  Eu égard aux facteurs atténuants, il me faut d’abord contester l’opportunité d’y inclure le rendement du membre visé. Il est établi de longue date que le maintien prolongé d’un rendement supérieur à la moyenne peut être retenu à titre de facteur atténuant au moment de sanctionner une inconduite professionnelle. La Gendarmerie est en droit d’attendre de ses membres un rendement au moins moyen. Il me faut conclure à cet égard que le dossier de rendement du membre visé, malgré quelques réussites, peut au mieux être qualifié de moyen. Ses évaluations font état de manière récurrente de son manque d’attention au détail, ce que la RAD a bien mis en relief dans sa réfutation, où elle en cite plusieurs passages.

[153]  Le fait que le membre visé s’est déjà vu imposer des mesures disciplinaires pour avoir négligé ses fonctions illustre les insuffisances de son travail en tant que policier.

[154]  Ses évaluations de rendement contiennent néanmoins des commentaires positifs sur sa discipline dans le travail, son esprit d’équipe et le sérieux de son engagement communautaire. Il est digne de mention que cette appréciation se reflète dans les lettres de recommandations présentées à sa décharge. Nul doute que ces qualités seront utiles au membre à l’avenir.

[155]  Je suis d’accord avec le RM pour dire que le diagnostic de TSPT concorde avec ce qui transparaît des évaluations de rendement du membre visé, sans pour autant affirmer qu’il y ait un lien direct de cause à effet entre ce trouble et la conduite reprochée en l’espèce, raison pour laquelle je ne peux attribuer un grand poids à ce diagnostic comme facteur atténuant.

[156]  Les symptômes du TSPT sont nombreux et variés, mais aucun d’eux n’a provoqué la conduite reprochée ni ne peut expliquer ou excuser celle-ci.

[157]  L’un des symptômes diagnostiqués, toutefois, à savoir la « réduction de la tolérance à la frustration », semble bien avoir quelque chose à voir avec l’hostilité durable et disproportionnée du membre visé envers M. W.O. Peut-être cette tolérance réduite à la frustration a-t-elle fait sortir de ses gonds le membre visé, mais la retenir comme important facteur atténuant sans disposer d’une preuve d’expert attestant son lien avec l’inconduite ici examinée serait purement conjectural de ma part.

[158]  La parité des peines est un principe phare en matière de discipline. Les causes semblables doivent être jugées de manière semblable. Sans parité des peines, il ne saurait y avoir de stabilité, de cohérence ou de prévisibilité, et l’administration de la justice s’en trouverait affaiblie. C’est pourquoi j’ai examiné soigneusement chacune des décisions citées à l’appui.

[159]  À titre préliminaire, je souhaite exprimer mon accord avec la RAD quand elle souligne l’importante différence entre les inconduites auxquelles se rapporte la jurisprudence citée par le RM et les faits de l’espèce : les inconduites visées par ces affaires étaient moins graves que celle ici considérée. Dans ces affaires, le mis en cause a fabriqué des éléments de preuve ou a fait des déclarations fausses, inexactes ou trompeuses dans le but de se sortir du pétrin. En l’espèce, le membre visé a fabriqué des éléments de preuve destinés à mettre quelqu’un dans le pétrin, ce qui est très différent et beaucoup plus grave.

[160]  Je souscris également à l’opinion de la RAD en ce qui a trait à la valeur jurisprudentielle des affaires conduites selon un mode non contradictoire, c’est-à-dire des affaires dans le cadre desquelles les allégations ont été admises et où une proposition conjointe de peine a été présentée par les parties et acceptée comme telle par le comité d’arbitrage.

[161]  La présentation d’une proposition conjointe de peine entraîne des conséquences particulières. Dans la décision unanime qu’elle a rendue dans l’affaire Rault v. The Law Society of Saskatchewan, [2009] S.J. No. 436 (« Rault »), la Cour d’appel de la Saskatchewan a déclaré que les propositions conjointes méritaient, de la part des comités de discipline, une étude minutieuse et fondée en raison, qu’elles commandaient la plus grande déférence et que le décideur n’était habilité à les écarter que si elles étaient déraisonnables. Compte tenu des nombreuses variables qui entrent en jeu dans le processus de transaction, et compte tenu du fait que ces variables sont rarement portées à la connaissance du décideur, la valeur jurisprudentielle des décisions rendues après la présentation d’une proposition conjointe demeure limitée.

[162]  Plusieurs des affaires citées par la RAD traitent du poids à accorder aux troubles de santé quand le congédiement est la sanction réclamée. Étant donné mes conclusions, j’estime que ces décisions ne sont pas pertinentes en l’espèce.

[163]  Les circonstances dans lesquelles un employeur peut envisager le congédiement d’un employé ont été examinées dans l’affaire Ennis v. The Canadian Imperial Bank of Commerce, (1986) BCJ 1742 [Traduction] :

Il faut démontrer l’inconduite ou l’incompétence réelle. La conduite de l’employé et le trait de caractère qu’elle révèle doivent être de nature à miner ou à éroder considérablement la confiance que l’employeur est en droit de placer en ce dernier eu égard au contexte de leur relation particulière. Il faut que l’employé, par son comportement, montre son refus de respecter le contrat de travail ou l’un de ses éléments essentiels.

[164]  Les « éléments essentiels » du contrat de travail d’un employé de la GRC se reflètent dans les valeurs fondamentales de celle-ci, qui sont l’honnêteté, l’intégrité, le professionnalisme, la compassion, la responsabilisation et le respect. Or le comportement du membre visé dans les cinq contraventions bafoue la plupart de ces valeurs.

[165]  L’inobservation des conditions de non-communication dont l’engagement contracté était assorti (allégation 1), la violation connexe des modalités de l’engagement (allégation 3) et l’omission de « ne pas troubler l’ordre public » et d’« observer une bonne conduite », comme lui enjoignait l’ordonnance de probation (allégation 5), trahissent un manque évident de professionnalisme de la part du membre visé. Il incombe à tout membre de veiller à la bonne administration de la justice, et cela comprend le respect des modalités et conditions prescrites par des documents ou actes juridiques comme ceux auxquels renvoient les allégations 1, 3 et 5.

[166]  La fabrication d’éléments de preuve par le membre visé (allégations 2 et 4) témoigne d’un manque d’honnêteté et d’intégrité en plus d’un manque de professionnalisme. Deux décisions que j’ai rendues sous le régime de la version modifiée de la Loi sur la GRC ont été citées. Ces décisions, répertoriées 2016 DARD 3 et 2017 DARD 3, faisaient référence à une affaire antérieure répertoriée 2016 DARD 2. Ces affaires, où étaient mises en cause l’honnêteté et l’intégrité du membre visé, soulevaient la question fondamentale de savoir si ce dernier avait, par ses actes répréhensibles, obtenu quelque profit personnel.

[167]  Cette question a été éloquemment analysée par mon collègue M. John McKinlay, qui, dans la décision répertoriée 2016 DARD 2, a examiné essentiellement la même jurisprudence que celle portée ici à mon attention. Voici les deux paragraphes pertinents de cette décision :

[109] Il importe toutefois de souligner que dans toutes les affaires citées, le ou les actes malhonnêtes visaient ou procuraient au mis en cause quelque forme de gain ou d’avantage, qu’il s’agît, pour ce dernier, d’obtenir un avantage ou un gain pécuniaire personnel, de dissimuler ses insuffisances professionnelles, de contrecarrer une enquête dont il faisait l’objet ou de falsifier des documents en vue de faire progresser une enquête. Ainsi constate- t-on que des actes malhonnêtes profitant à leur auteur se trouvent à la source d’affaires d’inconduite dans lesquelles :

la GRC s’est fait escroquer de l’essence;

des fonds opérationnels ont été détournés à des fins personnelles et ont servi à cautionner une demande de prêt falsifiée;

des ordonnances falsifiées ont été produites en vue de l’obtention de stéroïdes anabolisants;

de nombreuses déclarations fausses et trompeuses ont été faites à répétition à des enquêteurs et à des superviseurs avant d’être reconnues comme telles à l’issue d’une audience contradictoire;

un jour d’emprisonnement a été imposé au membre qui avait tenté de frauder un régime provincial d’assurance automobile;

un verdict de culpabilité a été rendu contre un membre ayant fait une fausse déclaration à un régime provincial d’assurance automobile;

un rapport de continuation, différent du rapport initial ayant servi à l’obtention d’un mandat de perquisition, a été créé deux ans après les faits pour réfuter des allégations selon lesquelles des mandats avaient été obtenus sur la foi d’assertions inexactes;

des notes sur les lieux d’un homicide ont été dissimulées et de fausses notes ont été communiquées;

de nombreuses fausses déclarations ont été faites à répétition dans le but de dissimuler la négligence dont le membre avait délibérément fait preuve dans le cadre d’une enquête;

le membre mis en cause, après avoir été vu se masturber dans un véhicule de surveillance, a tenté d’influer sur le traitement de la plainte par un autre corps de police, a fait des déclarations fausses et trompeuses et a demandé que soient effectuées des vérifications illégitimes dans des banques de données.

[110] Cela étant dit, dans les cas où un manque d’intégrité ou un acte malhonnête a été imputé au mis en cause, ce dernier n’a été congédié, de manière générale, que lorsqu’il avait ainsi obtenu ou cherché à obtenir un profit personnel et qu’aucun facteur atténuant important n’avait été retenu.

[168]  En l’espèce, le comportement du membre visé n’était pas motivé par des raisons pécuniaires, mais par la poursuite d’objectifs personnels. J’estime que le « profit personnel » recherché par le membre visé était de se venger de M. W.O. Les fausses déclarations du membre visé étaient destinées à impliquer M. W.O. dans une conduite criminelle très grave. Les contraventions établies sont d’une gravité qui justifie le congédiement de leur auteur, surtout en l’absence d’important facteur atténuant. Je suis d’avis que les facteurs atténuants retenus en l’espèce ne suffisent pas à compenser la gravité de l’inconduite.

[169]  Quoique les cinq contraventions doivent être considérées globalement pour la détermination des mesures disciplinaires appropriées, il n’est pas inutile de mentionner que les allégations 1, 3 et 5, qui se rapportent à la violation de l’engagement contracté, sont tout aussi propres à justifier le congédiement que les allégations 2 et 4.

[170]  Je ne trouve dans la documentation qui m’a été présentée aucun élément de preuve attestant clairement de la capacité de réadaptation du membre visé, et rien n’indique, notamment, que les sentiments de ce dernier envers M. W.O. aient changé.

[171]  À la lumière de mon analyse des facteurs aggravants et atténuants, et compte tenu de la gravité de l’inconduite en cause, j’ordonne le congédiement du membre visé de la Gendarmerie, avec prise d’effet immédiate.

 

 

 

Inspecteur James R. Knopp

Comité de déontologie

 

Date

 

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