Déontologie

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Protégé A

2018 DARD 5

Logo de la Gendarmerie royale du Canada

GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

DANS L’AFFAIRE D’UNE AUDIENCE DISCIPLINAIRE INTÉRESSANT LA

LOI SUR LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

ENTRE :

Commandant de la Division nationale

(autorité disciplinaire/intimée)

et

Sergente Regan Douglas

Matricule 47743

(membre visée/requérante)

Décision relative à une requête pour abus de procédure – retard déraisonnable

Article 17 des Consignes du commissaire (déontologie)

Inspecteur Al Ramey, comité de déontologie

Le 21 février 2018

Sergent d’état-major Jonathon Hart, représentant de l’autorité disciplinaire

M. David Jewitt, Jewitt McLuckie & Associates LLP, représentant de la membre



INTRODUCTION

[1]  La requérante fait face à une allégation de contravention au code de déontologie de la GRC. Elle demande que cette allégation soit suspendue de façon préliminaire au motif que son dépôt ne respecte pas le délai d’un an prévu au par. 41(2) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10 (la « Loi sur la GRC »).

[2]  Les présents motifs écrits reflètent la décision que j’ai rendue de vive voix à l’audience sur la requête qui s’est tenue le 9 février 2018.

HISTORIQUE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

[3]  Le 29 mars 2016, le/la commissaire adjoint(e) (comm. adj.) X a ordonné la tenue d’une enquête sur une contravention au code de déontologie de la GRC qu’aurait commise la requérante. Le 24 septembre 2016, le/la comm. adj. X a signé le dossier, qui comportait notamment l’avis d’audience disciplinaire et le rapport d’enquête, et le 30 septembre 2016, la requérante s’est vu signifier une copie du dossier. Cette dernière affirme que l’autorité disciplinaire (AD) a commencé son enquête sur l’affaire le ou vers le 26 novembre 2014, c’est-à- dire après l’expiration du délai prescrit au par. 41(2) de la Loi sur la GRC, d’où il ressort que l’AD a agi en retard.

[4]  À l’audience sur cette requête, qui s’est déroulée du 5 au 9 février 2018, les témoins suivants ont été entendus :

  1. le sergent d’état-major (s.é.-m.) Y, sous-officier responsable (s.-off. resp.) du Groupe responsable de la formation sur les explosifs (GFE) et officier(-ière) responsable (off. resp.) par intérim de la formation au Collège canadien de police (CCP), maintenant à la retraite;

  2. le/la surintendant(e) principal(e) (surint. pr.) Z, ancien(ne) off. resp. des Relations employeur-employés de la Division nationale;

  3. le surintendant (surint.) A, directeur de l’Apprentissage au CCP, maintenant à la retraite;

  4. le/la surint. pr. B, ancien(ne) directeur(-trice) général(e) du CCP;

  5. le/la surint. pr. C, ancien(ne) commandant(e) de la Division nationale.

[5]  La par. 41(2) de la Loi sur la GRC est libellé comme suit :

L’autorité disciplinaire ne peut convoquer une audience, relativement à une contravention au code de déontologie qui aurait été commise par un membre, plus d’un an après que la contravention et l’identité du membre en cause ont été portées à la connaissance de l’autorité disciplinaire qui tient ou fait tenir l’enquête.

[6]  Au paragraphe 63 du jugement Thériault c. Gendarmerie royale du Canada, 2006 CAF 61 (CanLII) [Thériault], le juge Letourneau, de la Cour d’appel fédérale, a déclaré ce qui suit au sujet de la disposition correspondante de l’ancienne Loi sur la GRC : « la prescription du paragraphe 43(8) sert le double objectif de protéger le public et la crédibilité de l’institution et d’accorder un traitement équitable aux membres de cette institution ». Ce commentaire vaut pour le par. 41(2) de la Loi sur la GRC actuellement en vigueur.

[7]  La requérante était affectée à un poste d’instructrice au sein du GFE du CCP, à Ottawa (Ont.). Le GFE offre de la formation ultraspécialisée à tous les groupes chargés de l’enlèvement d’explosifs partout au Canada. Cette formation présente des risques élevés, car le métier de technicien en explosifs est lui-même à risque élevé. Le GFE comportait plusieurs niveaux de direction, et le membre le plus près du terrain était le sergent d’état-major responsable. À l’époque, l’ensemble du CCP, et le GFE en particulier, avait des problèmes de ressources humaines. Le s.-off. resp. du GFE, le s.é.-m. D, avait, tout comme un membre civil (m.c.) instructeur, le m.c. E, été relevé de ses fonctions en raison des allégations de contravention au code de déontologie qui pesaient contre lui. Un autre instructeur était en congé de maladie et devait ne jamais revenir. Pour compliquer les choses, l’officier hiérarchique du GFE et off. resp. de la Formation, l’inspecteur F, a pris sa retraite.

[8]  Il y avait donc un grand vide dans le personnel de direction du GFE, de même qu’un grave manque de ressources au sein du groupe d’instructeurs. Le mandat du GFE demeurait cependant le même, et celui-ci avait des cours à donner. Le surint. A a fait appel au s.é.-m. Y pour assumer le double rôle de s.-off. resp. du GFE et d’off. resp. par intérim de la Formation (de lui relevaient quatre groupes au CCP).

[9]  Le s.é.-m. Y est entré en fonctions fort bien préparé. Il avait une très solide expérience en formation. Il avait récemment travaillé à l’Initiative de la réforme législative (IRL) ainsi qu’à la prestation de la formation relative à l’IRL et de celle des autorités disciplinaires sous le régime de la nouvelle Loi sur la GRC, qui est entrée en vigueur le 28 novembre 2014. Il avait pour mission d’assurer la formation des autorités disciplinaires de la GRC dans l’ensemble du pays. Il avait une bonne connaissance du rôle et des responsabilités des autorités disciplinaires et a pris ce travail très au sérieux. Passant de longues heures et de longues journées au sein du GFE, il a appris à en connaître le personnel. Il a tôt fait savoir qu’il était responsable du groupe et qu’il était tout disposé à écouter ceux qui avaient des préoccupations à exprimer. Il a pu se faire une bonne idée de la dynamique qui régnait au GFE.

[10]  À un certain moment, le commis du groupe, le fonctionnaire (fonct.) G, a souhaité s’entretenir avec un supérieur au sujet de trois employés du GFE, à savoir le s.é.-m. D, le m.c. E et la requérante. Accompagné de son représentant syndical, le fonct. G s’est rendu au bureau du/de la surint. pr. B, qui lui a dit de suivre la chaîne de commandement et de s’adresser à son supérieur immédiat, le s.é.-m. Y.

[11]  Le 26 novembre 2014, le fonct. G a rencontré le s.é.-m. Y, qui a tout de suite constaté la gravité des allégations formulées. Le s.é.-m. Y a enregistré la déclaration du fonct. G à l’aide d’un appareil numérique. Peu après, le fonct. G a rédigé une note de service dactylographiée de huit pages qu’il a remise au s.é.-m. Y et dans laquelle il avait ajouté des détails et élargi la portée de sa plainte. On ignore à quel moment exact cette note de service a été remise, mais c’était entre le 25 novembre et le 18 décembre 2014.

[12]  S’avisant que deux des trois employés visés par la plainte du fonct. G étaient passibles de sanctions dépassant celles qu’il était habilité à imposer, le s.é.-m. Y a consulté son officier hiérarchique, le surint. A. Après une longue discussion avec lui, le s.é.-m. Y a poursuivi ses investigations au sujet du s.é.-m. D et du m.c. E.

[13]  Les événements survenus dans le GFE ont, entre autres choses, donné lieu à une procédure devant la Cour fédérale. Au paragraphe 9 de l’affaire Caladrini v. Attorney General of Canada, 2018 CF 52, le juge Mosely a conclu que le délai de prescription applicable dans l’affaire de déontologie concernant le m.c. E a commencé à courir le 25 novembre 2014. C’est-à- dire que le juge a estimé que dès le dépôt de la plainte du fonct. G, le s.é.-m. Y avait une connaissance suffisante des allégations visant le m.c. E pour que le délai d’un an prévu au par. 41(2) de la Loi sur la GRC commence à s’écouler.

[14]  Le dossier qui m’a été remis est volumineux. Les trois pièces suivantes me paraissent particulièrement pertinentes :

  1. une note de service de 8 pages que le fonct. G a rédigée entre le 25 novembre 2014 et le 18 décembre 2014;

  2. une déclaration du fonct. G que le s.é.-m. Y a recueillie et enregistrée le 26 novembre 2014;

  3. un document intitulé [Traduction] « Résumé de la déclaration du fonct. G ».

Les deux derniers documents ne m’ont été fournis qu’à une date tardive par le représentant de la membre (RM).

[15]  Le s.é.-m. Y et le surint. A ont décidé, à la lumière des investigations menées jusque-là, que le s.é.-m. Y répondrait aux préoccupations formulées au sujet de la requérante en lui imposant une formation à caractère officiel, du mentorat et une supervision plus étroite. La requérante a déclaré qu’elle ignorait faire l’objet d’un mentorat; or le mentorat est un type d’accompagnement qui peut se passer de forme officielle. Pour aider la requérante et les autres membres du Groupe, le s.é.-m. Y a fait intervenir un psychologue organisationnel réputé et possédant de l’expérience au CCP. Les décisions et mesures prises par le s.é.-m. Y semblent avoir sporadiquement produit des résultats, car l’attitude de la requérante envers les autres s’est améliorée avec le temps, bien qu’elle soit à l’occasion retombée dans ses vieilles habitudes.

[16]  Le 9 février 2016, le m.c. H a écrit au commissaire de la GRC pour lui faire part de ses préoccupations au sujet du personnel du GFE. Les médias ont commencé à poser des questions, consécutivement à quoi il a été décidé d’effectuer plusieurs examens et de rouvrir plusieurs affaires disciplinaires. Le 29 mars 2016, le/la comm. adj. X a ordonné la tenue d’une enquête sur l’allégation voulant que la requérante ait contrevenu au code de déontologie. Le représentant de l’autorité disciplinaire (RAD) a reconnu que le/la comm. adj. X avait eu connaissance de l’allégation et de l’identité de la requérante quelque temps avant le 29 mars 2016, date d’attribution du mandat d’enquête. D’après le/la surint. pr. C, commandant(e) de la Division nationale à cette époque, ce fut le début d’une grande agitation au sein du GFE.

ÉTAT DU DROIT ET POLITIQUE DE LA GRC

[17]  Le RAD et le RM ont tous deux cité en référence plusieurs décisions, mais tout particulièrement celle rendue dans l’affaire Thériault, dont l’instruction a eu lieu sous le régime de l’ancienne Loi sur la GRC. Aux termes de celle-ci, le délai de prescription commence à courir au moment où la contravention alléguée et l’identité du membre mis en cause sont portées à la connaissance de l’officier compétent. Si l’on applique les dispositions de l’ancienne Loi sur la GRC, il ne fait aucun doute que l’écoulement du délai aurait été déclenché lorsque le fonct. G a fait sa déclaration ou transmis sa note de service de huit pages. La nouvelle Loi sur la GRC pose une condition supplémentaire : que l’AD mène ou fasse mener une enquête sur la contravention alléguée.

[18]  Voici la démarche simple que j’ai suivie pour déterminer à quel moment le délai de prescription prévu au par. 41(2) de la Loi sur la GRC a commencé à s’écouler :

  1. Qui était l’AD à l’égard de la requérante?

  2. L’AD a-t-elle eu connaissance d’une allégation selon laquelle un membre aurait contrevenu à une disposition du code de déontologie?

  3. L’AD a-t-elle eu connaissance de l’identité de la membre visée par l’allégation de contravention?

  4. L’AD a-t-elle mené ou fait mener une enquête sur l’allégation?

  5. Dans le cas où les conditions a) à d) ont été remplies, à quel moment le délai prescrit arrivait-il à échéance?

ANALYSE

a) Qui était l’AD à l’égard de la requérante?

[19]  La requérante était affectée au GFE. Après la suspension du s.é.-m. D, le s.é.-m. Y a pris le relais à titre de sous-off. resp. du GFE. Suivant l’art. 2 des Consignes du commissaire (déontologie), DORS 2014-291, c’est le s.é.-m. Y qui était l’AD. Ce dernier a agi en qualité d’AD lorsqu’il a amorcé la deuxième enquête déontologique visant le m.c. E. D’après l’organigramme en place, le s.é.-m. Y était l’AD. Le directeur de l’Apprentissage au CCP, le surint. A, l’a reconnu comme AD. Le/la directeur(-trice) général(e) du CCP, le/la surint. pr. B, de même que le/la surint. pr. C, commandant(e) de la Division nationale, en ont fait autant. De toute évidence, c’est le s.é.-m. Y qui était l’AD.

b) L’AD a-t-elle eu connaissance d’une allégation selon laquelle un membre aurait contrevenu à une disposition du code de déontologie?

[20]  Afin d’être le plus clair possible, je reproduis ici le point 9 de l’énoncé détaillé de l’avis d’audience disciplinaire [Traduction] :

9. Vous avez à maintes reprises posé des actes et fait preuve de comportements visant directement à faire échouer, à égarer ou à entraver l’enquête déontologique relevant de la partie IV de la Loi sur la GRC qui a été ouverte sur la conduite du s.é.-m. [D] et du m.c. [E]. En outre, vous avez à maintes reprises tenté d’intimider et de harceler les plaignants ou les témoins relativement à leur participation à cette enquête. Vos efforts répétés en ce sens ont notamment pris les formes suivantes :

a) Vous avez activement tenté de dissuader vos collègues du GFE de faire des déclarations dans le cadre de l’enquête de déontologie relevant de la partie IV de la Loi sur la GRC;

b) Vous avez informé le serg. [I] que, puisqu’il n’était pas membre de la GRC, il n’était pas obligé de faire de déclaration aux membres chargés de l’enquête déontologique;

c) Vous avez informé le m.c. [H] qu’il n’avait pas l’obligation de faire de déclaration aux membres chargés de l’enquête déontologique;

d) Vous avez dit au m.c. [J] qu’il était un « traître » (angl. « rat ») parce qu’il s’était plaint de ses collègues de la GRC et qu’il avait fait une déclaration aux membres chargés de l’enquête déontologique;

e) Vous avez dit ceci au serg. [I] et au m.c. [H] : « À la GRC, les traîtres ne font pas long feu. » Vous avez ensuite décrit aux deux hommes ce qu’était un « traître » et leur avez dit que quiconque faisait une déclaration aux enquêteurs ne travaillerait jamais plus pour la GRC;

f) Vous avez signifié au fonct. [G] qu’il avait eu tort de dire la vérité lors de son entretien avec les membres chargés de l’enquête déontologique, et vous aussi dit de lui qu’il était un « traître »;

g) Vous avez souligné au serg. [I] et au m.c. [H] que vous connaissiez des membres de la GRC haut placés, notamment [A], [C] et [nom caviardé], que vous alliez trouver qui était le « traître » et que vous vous arrangeriez pour faire rejeter ou retirer toutes les plaintes déposées contre le s.é.-m. [D] et le m.c. [E];

h) Vous avez délibérément ostracisé le serg. [I], le m.c.[H] et le fonct. [G], vos collègues du GFE;

i) Vous avez ouvertement critiqué la discipline de travail du serg. [I] et du m.c.[H] devant deux autres membres de la GRC ainsi que devant des membres d’autres services de police;

j) Une fois le s.é.-m [D] et le m.c. [E] suspendus, vous vous êtes présentée au bureau du fonct. [G] pour lui dire que les allégations pesant contre l’un et l’autre n’était que des « foutaises » et que tous ceux qui faisaient des déclarations qui leur étaient défavorables étaient des « menteurs ». Vous avez en outre essayé d’intimider le fonct. [G] en lui faisant savoir que si quelqu’un s’aventurait à faire des allégations contre vous, vous vous serviriez du fait que je vous êtes une femme et une lesbienne pour ruiner sa carrière.

k) Vous avez dit au fonct. [G] que le m.c. [H] était un « vieux crisse qui devrait prendre sa retraite »;

l) Vous avez cherché à intimider et à harceler le fonct. [G] en lui répétant que vous veniez de parler avec le s.é.-m [D] et le m.c. [E] et qu’ils retourneraient bientôt au travail. Vous avez de plus manifesté publiquement votre antipathie pour le fonct. [G] et avez à maintes reprises critiqué son manque de professionnalisme et la qualité de son travail devant des membres de la direction et d’autres personnes;

m) Vous avez cherché à intimider et à harceler le serg. [I] et le m.c. [H] en affirmant que le s.é.-m [D] et le m.c. [E] allaient retourner au travail, que les accusations pesant sur eux avaient été rejetées ou qu’ils n’allaient écoper que d’une légère pénalité financière;

n) Vous avez ouvertement critiqué le m.c. [J] après qu’il eut porté plainte en qualifiant ses dires de « simples divagations de vieux fou »;

o) Dans une tentative d’intimidation, vous avez déclaré que la « titularisation » ou le renouvellement de contrat du serg. [I] au sein du GFE était l’objet de discussions parmi les membres de la direction;

p) Vous avez dit au serg. [I] : « Pourquoi es-tu si sensible à ce sujet-là? C’est moi qui ai un vagin, pas toi. »

[Les lettres entre crochets remplacent les noms présents dans l’original]

[21]  Le fonct. G a formulé sa plainte dans une déclaration enregistrée et recueillie par le s.é.-m. Y et, peu après, dans une note de service de huit pages. Afin de déterminer si certains des faits rapportés ci-dessus ont été portés à la connaissance du s.é.-m. Y le 26 novembre 2014, je reproduis ci-dessous les passages pertinents du verbatim de la déclaration du fonct. G en précisant à quel segment de l’énoncé détaillé des faits ils correspondent. [Les extraits cités ci- dessous sont une traduction.]

  1. Page 5, ligne 14 : « lorsque [la requérante] est arrivée, c’était le statu quo »; « le parti de [D] était déjà en position de supériorité parce que c’est lui qui détenait le pouvoir, et les… les gars, on s’est tapis chacun dans son coin sans ouvrir la bouche, on n’a rien dit ». Ce passage correspond de manière générale au point 9 et à une partie du point 9 l).

  2. Page 5, ligne 20 : La requérante est entrée dans le bureau du fonct. G et a dit : « Si ces trous de cul entreprennent quelque chose contre moi, je me servirai du fait que je suis une femme et une lesbienne pour ruiner leur carrière ». C’est là presque mot pour mot ce qu’on trouve au point 9 j).

  3. Page 15, ligne 12 : « l’impression diffuse qu’on savait qu’il n’allait rien se passer s’est maintenue »; « [la requérante], qui était copain-copain avec eux, faisait ce qu’elle voulait »; « si on s’écartait moindrement de… de ce qu’on était censés faire, on en payait le prix ». C’est ce qu’on trouve décrit de manière générale au point 9, et qui pourrait se rapporter à une partie du point 9 l).

  4. Bas de la page 15 : « À part la fois où [la requérante] m’a menacé, c’était après janvier 2014. » Page 16, ligne 4 : « Elle m’a menacé, je vous en ai déjà parlé. » C’est semblable au point 9 en général, et pourrait se rapporter à une partie du point 9 l).

  5. Page 25, ligne 37 : « si [la requérante] débarque dans mon bureau et commence à y faire allusion, je ne lui répondrai même pas. Je vais sortir de mon bureau et venir m’asseoir ici pour vous attendre. » Cela correspond de manière générale au point 9 et à une partie du point 9 l).

  6. Page 26, ligne 15 : « si elle entre dans mon bureau pour me passer un savon, je compte partir. » Ce passage évoque l’antipathie de la requérante pour le fonct. G et pourrait se rapporter au point 9 l).

  7. Page 26, ligne 19 : « Si je me sens menacé, ou si elle se plante dans le cadre de porte et que j’ai le sentiment que je ne peux pas partir. » Ceci fait allusion à la requérante qui intimide un témoin ou qui l’empêche de passer, ce qui se retrouve de manière générale au point 9, et plus particulièrement au point 9 l).

  8. Page 27, ligne 6 : « Je ne vais pas la confronter. Si elle me confronte, je ne répondrai pas »; « je vais encaisser sans broncher tout ce qu’elle me balance. » Ceci fait allusion à la requérante qui intimide un témoin ou qui l’empêche de passer, ce qui se retrouve de manière générale au point 9, et plus particulièrement au point 9 l).

[22]  À ce stade-ci de l’analyse, il convient de faire remarquer que la déclaration enregistrée du fonct. G a été examinée par une enquêteuse du Groupe des normes professionnelles (GNP), la serg. K, qui a produit le résumé suivant [Traduction] :

  1. « [La requérante] entrait dans son bureau pour lui dire que s’ils tentaient de faire quelque chose contre elle, elle se servirait du fait qu’elle est une femme et une lesbienne pour détruire leurs carrières.

  2. « [La requérante] n’est pas timide; parler de sexe ne la gêne pas du tout. »

  3. « [La requérante], qui avait de bons rapports amicaux avec eux, faisait ce qu’elle voulait; quant aux autres, lui y compris, ils faisaient ce qu’ils avaient à faire, à défaut de quoi on les rappelait à l’ordre. »

  4. « Il avait parlé des incidents avec [la requérante] au surint. [A] et au s.é.-m. [Y] ».

[23]  Afin de déterminer si certains éléments de l’allégation pesant sur la requérante ont été portés à la connaissance du s.é.-m. Y, je cite ci-dessous, en indiquant à quels points de l’énoncé détaillé ils se rapportent, les passages pertinents de la note de service de huit pages dont le fonct. G a fait suivre sa déclaration. Cette note de service est parvenue au s.é.-m. Y entre le 25 novembre et le 18 décembre 2014. [Les passages cités sont une traduction.]

  1. Page 4, ligne 23 : « Au cours de cette période, [la requérante] parlait peu (ou aussi rarement que possible) au serg. [I], [au m.c. H] et à moi. » Cela, pour l’essentiel, correspond au point 9 h).

  2. Page 4, ligne 39 : « [Le m.c. E] est demeuré en contact permanent avec [la requérante] depuis sa suspension. Elle relaie ses messages depuis le début. Et si ce n’est pas le cas, c’est du moins ce qu’elle prétend, et elle dit être restée en contact avec [le m.c. E]. » Cela correspond au point 9 l).

  3. Page 5, ligne 34 : « [La requérante] est entrée dans mon bureau pour me dire que si quiconque disait quelque chose à son sujet, faisait des allégations la concernant ou faisait quoi que ce soit pour s’en prendre à elle, elle se servirait de son statut de femme et de lesbienne pour faire elle-même des allégations contre lui et détruire sa carrière… J’ai été abasourdi d’entendre ça… Je ne sais même plus si j’ai répondu quelque chose… ». Cela correspond à une partie du point 9 j).

  4. Page 6, ligne 4 : « [Le serg. I], [le m.c. H] et moi nous sommes fait traiter de « traîtres », entre autres choses… » Cela correspond à une partie des points 9 e), f), g) et k).

  5. Page 6, ligne 13 : « [La requérante] nous rappelait constamment, [le serg. I], [le m.c. H] et moi, que [D] et [E] reviendraient bientôt »; « pire encore, elle faisait ça pendant que [le serg. I] suivait un traitement contre le cancer, ce qui, à mon sens, augmentait évidemment son niveau de stress. » Il s’agit là, pour l’essentiel, de l’intimidation mentionnée aux points 9 l) et m).

[24]  Tous les faits relatés dans l’énoncé détaillé de l’allégation contenu dans l’avis d’audience disciplinaire de 2016 se retrouvent-ils dans la déclaration initiale que le fonct. G a faite devant le s.é.-m. Y et dans la note de service de huit pages qu’il lui a adressée? Non, et ils ne pouvaient pas l’être. Sont-ils un reflet exact du contenu de l’avis d’audience disciplinaire? Non plus, mais il n’était pas nécessaire qu’ils le soient. Le s.é.-m. Y avait une connaissance suffisante de la teneur de la plainte formulée par le fonct. G pour reconnaître qu’il y avait là une allégation de contravention au code de déontologie. De toute évidence, le s.é.-m. Y disposait de suffisamment d’information pour le contraindre à agir.

[25]  La déclaration enregistrée du fonct. G, le résumé de cette déclaration qu’a rédigé le GNP et la note de service de huit pages du fonct. G font partie du dossier de la deuxième affaire de déontologie mettant en cause le m.c. E, et ils ont été examinés par le s.é.-m. Y, le surint. A, le/la surint. pr. C et les enquêteurs du GNP.

c) L’AD a-t-elle eu connaissance de l’identité de la membre visée par l’allégation de contravention?

[26]  Le fonct. G a clairement nommé la requérante, ainsi que deux autres personnes, dans la conversation qu’il a eue avec le s.é.-m. Y avant de faire sa déclaration, dans sa déclaration enregistrée et dans sa note de service de huit pages. Il ne fait aucun doute que le s.é.-m. Y savait que la personne visée par les allégations était la requérante.

d) L’AD a-t-elle mené ou fait mener une enquête sur l’allégation?

[27]  Les policiers savent comment et quand mener une enquête. Le Black’s Law Dictionary, 9e édition, définit le verbe « enquêter » (en angl. « investigate ») comme suit [Traduction] : « procéder à des recherches méthodiques (sur une question, une affaire) ». Le Guide national – Déontologie contient de précieux renseignements sur la nécessité, la façon et le moment opportun de mener une enquête. Tous les officiers brevetés et bon nombre de sous-officiers ont reçu une formation sur l’exercice des fonctions dévolues aux autorités disciplinaires, et cette formation leur apprend notamment que la simple formulation d’une allégation suffit parfois à commander la tenue d’une rencontre disciplinaire. Dans les affaires d’une certaine gravité, une enquête de plus large portée s’avère nécessaire.

[28]  Comment le s.é.-m. Y a-t-il réagi quand le fonct. G est venu le trouver? Il a dit que le fonct. G s’est présenté à son bureau sans s’être annoncé et qu’ils avaient eu un entretien, à la suite de quoi le s.é.-m. Y a sorti son appareil enregistreur numérique et l’a mis en marche pour faire un enregistrement audio de la déclaration non dirigée du fonct. G. L’obtention ultérieure de renseignements complémentaires est une mesure d’enquête normale : il est fréquent qu’au terme d’une déclaration, l’enquêteur demande au témoin de communiquer avec lui si jamais il lui vient à l’esprit d’autres éléments d’information pertinents. On ignore au juste ce qui a motivé le fonct. G à rédiger sa note de service de huit pages, mais le fait est qu’il l’a rédigée et fait parvenir au s.é.-m. Y. Cette note développait dans un langage explicite les motifs de plainte qu’il avait contre les trois employés. Tout ceci indique incontestablement qu’une enquête a été menée.

[29]  Le par. 41(2) de la Loi sur la GRC ne précise pas l’ampleur, la profondeur ni le résultat censés caractériser l’enquête entreprise; celle-ci doit être suffisante dans les circonstances. La Loi sur la GRC parle simplement de l’« autorité disciplinaire qui fait tenir l’enquête ». Le par. 41(2) ne précise pas les mesures sur lesquelles doit déboucher l’enquête. Celle-ci peut donner lieu à une rencontre disciplinaire, à une audience disciplinaire ou à rien du tout. Le par. 41(2) n’exige pas qu’un mandat d’ouvrir une enquête déontologique soit signé pour que le délai de prescription commence à courir.

[30]  Le s.é.-m. Y a examiné l’information recueillie avec son officier hiérarchique, puis celle-ci a fait l’objet d’un examen et d’un résumé effectués par l’enquêteuse du GNP, la serg. K. Le s.é.-m. Y a fait en sorte que les enquêtes déontologiques visant les personnes les plus gravement mises en cause, à savoir le s.é.-m. D et le m.c. E, soient poursuivies. À l’évidence, le s.é.-m. Y a été à même de constater qu’il y avait sans doute contravention au code de déontologie, et il a agi en conséquence. À la suite de son enquête, le s.é.-m. Y a pris des mesures appropriées pour sanctionner ou corriger la conduite de la requérante. Le résultat de ces mesures n’a joué à peu près aucun rôle dans mon appréciation du bien-fondé de la requête ici à l’étude.

[31]  Les enquêteurs du GNP qui ont examiné la déclaration du fonct. G sont les experts en matière de contraventions au code de déontologie. Le GNP donne des conseils aux autorités disciplinaires. Or après qu’il eut procédé à l’examen attentif de la déclaration et de la note de service du fonct. G, ni lui ni le s.é.-m. Y n’ont jugé utile d’enquêter plus avant sur la conduite de la requérante. Je n’ai donc aucune raison de croire que le s.é.-m. Y ou le surint. A ont eu tort de ne pas pousser plus loin l’enquête concernant la requérante.

[32]  Le 26 novembre 2014, l’autorité disciplinaire avait un an pour poursuivre l’enquête, ou davantage, si elle demandait une prolongation en vertu de l’art. 47.4 de la Loi sur la GRC. Je constate que le s.é.-m. Y a amorcé une enquête à l’intérieur de ce délai et qu’il a réglé l’affaire de la manière qu’il jugeait indiquée.

[33]  Le RAD a argué que le délai de prescription ne devait commencer à courir qu’après que l’autorité disciplinaire eut parfait sa connaissance de l’affaire grâce aux résultats de l’enquête. Je constate que le par. 41(2) de la Loi sur la GRC dispose que l’autorité disciplinaire a un an pour mener son enquête à terme et convoquer une audience disciplinaire; si elle a besoin d’un délai supplémentaire pour achever son enquête, elle peut en faire la demande en vertu de l’art. 47.4 de la Loi sur la GRC.

e) Dans le cas où les conditions a) à d) ont été remplies, à quel moment le délai prescrit arrivait-il à échéance?

[34]  Comme les conditions a) à d) ont été remplies et que le s.é.-m. Y a amorcé son enquête sur la contravention au code de déontologie que la requérante aurait commise le 26 novembre 2014, le délai de prescription arrivait à échéance le 26 novembre 2015. L’avis d’audience disciplinaire a été signé le 24 septembre 2016, c’est-à-dire longtemps après l’expiration dudit délai.

DÉCISION

[35]  Le RAD m’invite à retrancher les segments de l’énoncé détaillé de l’allégation cités dans la présente décision et de laisser les autres à l’arbitrage. Procéder ainsi risquerait d’ouvrir la voie à une enquête ultérieure dans l’éventualité où un témoin se rappellerait de semblables « paroles dures » prononcées pendant la période à laquelle se rapporte l’allégation et où il régnait une atmosphère toxique au sein du GFE.

[36]  Tout en étant conscient qu’une suspension de l’instance aura pour conséquence de soustraire l’allégation à un jugement arbitral sur le fond, j’estime que l’intégrité du régime disciplinaire de la GRC sera mieux protégée par une suspension d’instance qu’en tolérant un retard inacceptable et en permettant que l’affaire fasse l’objet d’une audience disciplinaire.

[37]  La requête de la requérante est accueillie. La procédure liée à l’avis d’audience disciplinaire daté du 24 septembre 2016 est suspendue.

 

 

Le 21 février 2018

Inspecteur A.O. Ramey

Comité de déontologie

 

Date

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.