Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

Le membre visé faisait face à deux allégations pour conduite déshonorante en vertu de l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada. À l’exception de la date du 18 juin 2012 dans la première allégation et de quelques parties qu’il nie dans les énoncés détaillés, le membre visé a admis l’allégation 1 liée à la consommation de cocaïne pour des fins personnelles alors qu’il était hors service. Il a aussi admis l’allégation 2 concernant l’utilisation inappropriée de son BlackBerry de travail. Le membre échangeait des messages textes avec des amis qui faisaient allusion à la consommation de cocaïne. Le Comité de déontologie a conclu que les deux allégations étaient établies selon la prépondérance des probabilités et le membre a été congédié.

Contenu de la décision

Protégé A

2018DRAD12

Interdiction de publication : Sur ordre du Comité de déontologie, les informations susceptibles d’identifier les témoins civils décrits dans cette décision ne peuvent être publiées, diffusées ou  transmises de quelque manière que ce soit.

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GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

AUDIENCE DISCIPLINAIRE

DANS L’AFFAIRE INTÉRESSANT LA

LOI SUR LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

ENTRE :

Commandant de la Division C

Autorité disciplinaire

et

Gendarme Philippe Raymond, matricule 48229

Membre visé

Décision du Comité de déontologie

Josée Thibault

Le 17 septembre 2018

Maître France Saint-Denis, pour l’autorité disciplinaire

Maître Marc Gaggino, pour le membre visé


TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ DE LA DÉCISION  3

INTRODUCTION  5

ALLÉGATIONS  5

REQUÊTE PRÉLIMINAIRE  7

RÉSUMÉ DES FAITS  9

DÉCISION RELATIVE AUX ALLÉGATIONS  11

Preuve documentaire et témoins  11

Crédibilité des témoins  11

Principe de la conduite déshonorante – article 7.1 du Code de déontologie  18

Analyse de l’allégation 1 – Consommation de cocaïne  19

Analyse de l’allégation 2 – Utilisation inappropriée d’un BlackBerry  20

DÉCISION RELATIVE AUX MESURES DISCIPLINAIRES  21

Preuve documentaire et témoignages des experts  21

Représentations sur sanction par les parties  22

Autorités à l’appui des mesures disciplinaires demandées  23

Analyse des mesures disciplinaires  26

Gamme des mesures disciplinaires  27

Allégation 1 – Facteurs aggravants  28

Allégation 1 – Facteurs atténuants  30

Allégation 2 – Facteurs aggravants et atténuants  32

Imposition des mesures disciplinaires  33

CONCLUSION  34

 

RÉSUMÉ DE LA DÉCISION

Le membre visé faisait face à deux allégations pour conduite déshonorante en vertu de l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada. À l’exception de la date du 18 juin 2012 dans la première allégation et de quelques parties qu’il nie dans les énoncés détaillés, le membre visé a admis l’allégation 1 liée à la consommation de cocaïne pour des fins personnelles alors qu’il était hors service. Il a aussi admis l’allégation 2 concernant l’utilisation inappropriée de son BlackBerry de travail. Le membre échangeait des messages textes avec des amis qui faisaient allusion à la consommation de cocaïne. Le Comité de déontologie a conclu que les deux allégations étaient établies selon la prépondérance des probabilités et le membre a été congédié.


INTRODUCTION

[1]  L’Avis d’audience disciplinaire a été signé par le Commandant de la Division C le 6 février 2017. Il a été et signifié au membre visé le 27 février 2017 et contient deux allégations de contravention au Code de déontologie de la GRC. L’audience disciplinaire a eu lieu en mai 2018, à Brossard (Québec). Le Comité de déontologie (le Comité) a conclu que les deux allégations sont établies. Ceci est la décision écrite.

[2]  Lors de la requête orale de l’autorité disciplinaire faite le 22 mai 2018, sans opposition du représentant du membre et conformément au paragraphe 45.1(7) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC (1985), c R-10 [Loi sur la GRC], j’ai ordonné ce qui suit :

Sur ordre du Comité de déontologie, les informations susceptibles d’identifier les témoins civils décrits dans cette décision ne peuvent être publiées, diffusées ou transmises de quelque manière que ce soit.

ALLÉGATIONS

[3]  À la suite d’une enquête déontologique, les deux allégations suivantes ont été déposées contre le membre :

Allégation 1

Entre le 18 juin 2012 et le 1er janvier 2015, à ou près de Montréal et à ou près de Trois-Rivières, et ailleurs dans la province de Québec, le [membre visé] a eu une conduite déshonorante en contravention à l’article 7.1 du Code de déontologie de la GRC. – Admet avec précision : la date devrait être le printemps 2013 et non le 18 juin 2012, qui est sa date d’entrée en fonction dans son nouveau poste au sein de la Division C à Montréal.

Énoncés détaillés de l’allégation :

1. À toutes les époques pertinentes, vous étiez et vous êtes toujours un membre de la GRC, affecté à la Division « C » dans la province de Québec. – Admet

2. Lorsque vous étiez hors service, vous fréquentiez des personnes impliquées dans la consommation de drogues illégales ; à plusieurs reprises, vous étiez présent lorsque ces personnes, membres du public, consommaient des drogues illégales telles que de la cocaïne. – Admet avec précisions : Il a fréquenté certaines personnes qui consommaient ; il était présent, à quelques reprises, lorsque ces personnes consommaient de la cocaïne ; ces personnes n’étaient pas des individus criminalisés ou issus du milieu criminalisé.

3. À plus d’une reprise, en présence de votre amie [A. G.-B.], vous avez consommé des drogues illégales telles que de la cocaïne. – Admet avec précisions : il a consommé de la cocaïne, et non d’autres drogues illégales.

4. À une occasion, lors d’un « after party » à Trois-Rivières, auquel vous accompagnait le gendarme C, [admet] ce dernier vous a observé dans la salle de bain en compagnie de deux autres individus et en présence d’une ligne de poudre blanche sur le comptoir. Dans ce contexte, [D. D.-G.] croit que c’était de la cocaïne. – Nie cette partie avec précisions : il est allé dans un « after party » à Trois-Rivières où il ne connaissait personne, accompagné du gendarme C. Lors de cette soirée, tous deux étaient en état d’ébriété. À cette occasion, le membre visé n’a pas mémoire d’avoir consommé de la cocaïne ou d’autres drogues illégales.

5. Vous étiez au courant que l’usage de drogues illégales était un comportement inapproprié pour un policier. [Admet] Le gendarme C en a discuté avec vous à plus d’une reprise, incluant le 1er janvier 2015, où il a eu une vive discussion avec vous, vous implorant de mettre fin à vos habitudes de consommation de drogues illégales. – Nie cette partie avec précisions : Il admet avoir eu une discussion avec le gendarme C le 1er janvier 2015, mais précise que lors de cette conversation, où lui et le gendarme C étaient en état d’ébriété, il n’a pas été question de ses habitudes de consommation de drogues illégales mais de celles d’une tierce personne. Il est à noter que cette personne n’était pas un ami du membre visé, mais une connaissance qu’il ne fréquentait pas et qu’il n’a pas fréquentée par la suite.

6. Vos fréquentations de personnes qui consomment des drogues illégales sont un comportement inapproprié pour un policier. – Admet

7. Votre participation ou votre association à des activités de consommation de drogues illégales est un comportement inapproprié pour un policier. – Admet

8. Votre consommation de drogues illégales est un comportement inapproprié pour un policier. – Admet

Allégation 2

Entre le 1er août 2013 et le 30 septembre 2013, à ou près de Montréal, dans la province de Québec, le [membre visé] a eu une conduite déshonorante en contravention à l’article 7.1 du Code de déontologie de la GRC. – Admet

Énoncés détaillés de l’allégation :

1. À toutes les époques pertinentes, vous étiez et vous êtes toujours un membre de la GRC, affecté à la Division « C » dans la province de Québec. – Admet

2. Le 11 juillet 2012, un appareil de type BlackBerry portant le numéro d’utilisateur [numéro caviardé] vous a été assigné par la GRC. Ce BlackBerry vous a été assigné pour l’exercice de vos fonctions. Admet

3. À des fins personnelles, vous avez échangé, à plusieurs reprises avec des tierces personnes, des messages textes faisant allusion à la consommation de drogues illégales telles : « une p’tite ligne », drogue du viol, héroïne, crack, joint, « eeee » – Admet avec précisions : les messages textes échangés comportent du contenu inapproprié, mais ceux-ci doivent être compris dans un sens figuratif, à titre d’humour, et non au sens littéral.

4. Vous avez utilisé de façon inappropriée votre BlackBerry, un bien appartenant à la GRC. – Admet

[Cité textuellement]

REQUÊTE PRÉLIMINAIRE

[4]  Dans sa requête préliminaire du 17 mai 2018, l’autorité disciplinaire a demandé au Comité d’exclure de la preuve le rapport d’expert de la Dre M.-C. C. parce qu’il ne contient pas les 11 éléments précisés au paragraphe 19(2) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291 [CC (déontologie)]. Selon les consignes, le rapport doit, entre autres, contenir une description des compétences de l’expert quant aux questions traitées et le curriculum vitae doit être annexé. L’autorité disciplinaire était d’avis qu’en vertu des mots utilisés au paragraphe 19(2), soit « le rapport contient » en français ou encore « the expert report must contain » en anglais, que le Comité n’a pas de discrétion et doit exclure le rapport d’expert parce qu’il manque des éléments.

[5]  Dans sa requête, l’autorité disciplinaire a aussi affirmé que le représentant du membre n’a pas démontré que l’expertise de la Dre M.-C. C. satisfait aux quatre critères d’admissibilité énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c Mohan, 1994 2 CSC 9 [Mohan], et qu’elle ne peut donc pas témoigner à l’audience. Ces critères sont la pertinence, la nécessité, l’absence de toute règle d’exclusion ainsi que la qualification suffisante de l’expert.

[6]  Dans sa réponse à la requête, le représentant du membre a soumis qu’une demande de rejet du rapport de la Dre M.-C. C. à ce stade des procédures constitue non seulement un abus de procédure, mais de plus un préjudice irréparable au membre qui porterait atteinte à l’équité procédurale.

[7]  Pour ce qui est de la qualité de l’expert, le représentant du membre a indiqué que bien que le rapport de la Dre M.-C. C. ne contient pas une description en soi de sa compétence à répondre aux questions posées par le rapport, son curriculum vitae y étant annexé illustre, prima facie, qu’elle détient une compétence en matière d’expertise médico-légale, et plus particulièrement en toxicomanie, alors qu’elle a notamment agi à titre de psychiatre au Service de psychiatrie des toxicomanies du Département de psychiatrie du Centre hospitalier de l’Université de Montréal.

[8]  Dans ma décision rendue au début de l’audience, j’ai indiqué que le Comité est tenu en vertu du paragraphe 13(1) des CC (déontologie) de mener l’instance avec célérité et sans formalisme tout en tenant compte des principes d’équité procédurale. Il peut également, selon le paragraphe 13(2) des CC (déontologie), adapter les présentes règles de procédure en tenant compte de l’équité procédurale.

[9]  La preuve au dossier a démontré que le rapport initial contient plusieurs éléments clés des CC (déontologie). De plus, la Déclaration d’habileté de l’expert comprenant la biographie professionnelle de la Dre M.-C. C. a été fournie au Comité et à l’autorité disciplinaire dans un document distinct en même temps que le rapport d’expert initial, soit le 3 novembre 2017. Le curriculum vitae de l’expert a ensuite été fourni le 7 novembre 2017, soit quatre jours après le dépôt du rapport initial. Enfin, à la suite de l’approbation du Comité, un complément au rapport d’expert a été soumis le 11 mai 2018.

[10]  À la lumière des circonstances de cette affaire et de la discrétion offerte au Comité dans les CC (déontologie), j’ai rejeté la requête de l’autorité disciplinaire pour les raisons suivantes : Exclure pour un vice de forme le rapport initial de la Dre M.-C. C. et le rapport complémentaire, à ce moment tardif des procédures, causerait un préjudice beaucoup plus grand au membre visé qu’à l’autorité disciplinaire. De plus, ceci irait à l’encontre du principe directeur du paragraphe 46(2) de la Loi sur la GRC qui permet au Comité de donner « suite aux procédures engagées devant lui d’une façon aussi simple et rapide que le permettent les circonstances et l’équité ».

[11]  Pour ce qui est de la qualité d’expertise de la Dre M.-C. C., les documents fournis en l’espèce ont clairement démontré qu’elle a pratiqué auprès d’une clientèle souffrant de problèmes de toxicomanie et qu’elle possède une expertise en psychiatrie et en toxicomanie. Son expertise satisfait les quatre critères d’admissibilité de l’arrêt Mohan et celle-ci peut témoigner à l’audience.

RÉSUMÉ DES FAITS

[12]  Le membre visé fait partie de la GRC depuis 2001. Le 18 juin 2012, il est affecté à la Division C, dans la province de Québec, dans la Section des transporteurs aériens canadiens.

[13]  Le 11 juillet 2012, un appareil de type BlackBerry lui est assigné par la GRC pour l’exercice de ses fonctions.

[14]  À l’automne 2012, il vit une rupture amoureuse. Durant ses fins de semaine de congés, il commence à visiter de vieilles connaissances à Trois-Rivières. Il fréquente les bars du coin et il consomme de l’alcool de façon immodérée avec certains moments de perte de mémoire et de gueule de bois.

[15]  Il commence également à fréquenter amoureusement ou amicalement des membres du public impliqués dans la consommation de cocaïne dont, entre autres, Madame X, Madame Y et Monsieur B. Ces gens sont tous des professionnels ou des personnes d’affaires. À ce jour, Monsieur B et le membre visé se rencontrent parfois pour célébrer les anniversaires de fête de certains amis qu’ils ont en commun.

[16]  Vers le printemps 2013, le membre visé consomme de la cocaïne avec son ami Monsieur B et sa nouvelle conjointe, Madame X. Il prend de la cocaïne pour des fins personnelles récréatives alors qu’il est hors service.

[17]  La consommation de cocaïne a lieu lors de rencontres sociales arrosées d’alcool qui sont organisées au domicile du membre à Montréal ou encore lors des sorties à Trois-Rivières. Lorsqu’il consomme avec Madame X, c’est majoritairement le membre qui prépare les lignes de cocaïne.

[18]  Le membre visé n’achète pas de cocaïne. Il l’obtient généreusement de son ami Monsieur B ou encore des inconnus qu’il invite chez lui à la fermeture des restaurants ou bar à Montréal afin de continuer la fête. Le membre sait que la cocaïne est associée au milieu criminalisé.

[19]  À une occasion entre 2012 ou 2013, le membre visé invite son grand ami et collègue de la GRC, le gendarme C, à fêter avec lui à Trois-Rivières. À la fin de la soirée, les deux amis sont hautement intoxiqués et le gendarme C croit avoir vu le membre visé consommer de la cocaïne dans la salle de bain.

[20]  Durant les mois d’août et septembre 2013, le membre visé échange des messages textes personnels avec ses amis Madame X, Madame Y, Monsieur Z, Monsieur A et Monsieur B, en utilisant son BlackBerry de travail. Les messages contiennent des expressions qui font allusion à la consommation de cocaïne comme « d’la patente » et « le ptit sac cadeau ».

[21]  Le 18 septembre 2013, le membre visé est suspendu de ses fonctions à la suite d’une contravention au Code de déontologie dans un dossier complètement distinct à celui en l’espèce. À l’exception des renseignements fournis dans le rapport d’enquête, je n’ai pas été informé des faits et des allégations entourant ladite suspension.

[22]  Le 29 janvier et le 5 février 2014, le membre visé participe à deux sessions de thérapie avec une psychologue. Il est également suivi environ deux ou trois fois par année par son médecin de famille. Depuis le mois de mai ou juin 2017, le membre participe à quelques rencontres mensuelles des Alcooliques Anonymes pour traiter sa consommation d’alcool.

[23]  Lors de son évaluation clinique avec le Dr L. B. le 17 janvier 2018, le membre visé admet qu’il n’a pas dévoilé l’ampleur de sa consommation de drogue à sa psychologue. De plus, il n’a jamais informé son docteur de famille de sa consommation.

[24]  Le membre visé affirme avoir cessé sa consommation de cocaïne en juillet 2014.

[25]  Le 1er janvier 2015, un incident relié à la consommation de cocaïne d’une tierce personne qui est présente chez le membre visé lors de la célébration de la veille du jour de l’An, provoque le gendarme C a confronté le membre visé au sujet de sa consommation. Le membre visé banalise son inconduite.

DÉCISION RELATIVE AUX ALLÉGATIONS

Preuve documentaire et témoins

[26]  En vertu de la Loi sur la GRC et des CC (déontologie), tout le matériel pertinent à cette affaire, incluant le rapport d’enquête et la réponse du membre visé, a été transmis au Comité avant le début de l’audience. Lors de l’audience sur les allégations, l’autorité disciplinaire avait six témoins. Le membre visé a également témoigné à l’audience.

Crédibilité des témoins

[27]  Je reconnais que les six témoins de l’autorité disciplinaire sont des amis du membre visé et qu’ils ne voulaient pas témoigner à l’audience. Trois d’entre eux, Monsieur A, Monsieur B et Monsieur Z ont même refusé de faire une déclaration à l’enquêteur en matière de déontologie alors que Madame X a fait une déclaration téléphonique d’environ sept minutes.

[28]  J’ai également pris en considération le fait que les événements ont eu lieu principalement en 2013, soit cinq ans passés, et que la mémoire des témoins, ainsi que celle du membre, manquait de fiabilité quant à certains éléments de preuve.

[29]  Malgré ceci, il y a des divergences importantes entre le témoignage du membre visé et celui du gendarme C, Madame X et Madame Y. Alors, j’ai évalué la crédibilité des témoins en appliquant les principes qui se dégagent de trois arrêts de jurisprudence suivants :

[30]  Dans Wallace v Davis, (1926) 31 OWN 202, la Cour indique à la page 203 :

[TRADUCTION]

[...] la crédibilité d’un témoin au sens propre ne dépend pas seulement de son honnêteté dans l’expression de son opinion. Elle dépend aussi de l’occasion qu’a eue le témoin d’observer la situation avec exactitude, de sa capacité d’observer avec précision, la fermeté de sa mémoire à conserver les faits observés, sa capacité à résister aux influences, souvent inconscientes, des intérêts à modifier son souvenir, sa capacité à reproduire dans la barre des témoins les faits observés, sa capacité d’exprimer clairement ses idées […] tous ces éléments doivent être pris en considération lors de la détermination de l’effet à donner à la preuve d’un témoin.

[31]  Dans MacDermid v Rice, (1939) R de Jur 208, le juge Archambault précise à la page 210 :

[TRADUCTION]

[...] lorsque la preuve d’un fait important est contradictoire […] la Cour doit peser les motifs des témoins, leurs relations ou leurs amitiés avec les parties, leurs attitudes et leurs comportements dans la barre des témoins, la façon dont ils ont témoigné, la probabilité des faits assermentés, et en arriver à une conclusion concernant la version à prendre comme étant la vraie.

[32]  Enfin, dans Faryna v Chorny, [1952] 2 DLR 354, la Cour d’appel de la Colombie- Britannique statue à la page 357 :

[TRADUCTION]

[...] La crédibilité des témoins intéressés ne peut être évaluée, surtout en cas de contradiction des dépositions, en fonction du seul critère consistant à se demander si le comportement du témoin permet de penser qu’il dit la vérité. Le critère applicable consiste plutôt à examiner si son récit est compatible avec les probabilités qui caractérisent les faits de l’espèce. Disons, pour résumer, que le véritable critère de la véracité de ce que raconte un témoin dans une affaire déterminée doit être la compatibilité de ses dires avec la prépondérance des probabilités qu’une personne éclairée et douée de sens pratique peut d’emblée reconnaître comme raisonnable dans une telle situation et dans de telles circonstances.

[33]  À la suite de tous les témoignages, je conclus que le gendarme C et Madame Y ont témoigné de façon franche et directe à l’audience et qu’ils sont crédibles. En fait, le gendarme C n’a pas tenté de minimiser ses actions ou son comportement lorsqu’il décrit les diverses occasions où il s’enivre avec le membre visé. Il a précisé avec fermeté qu’il n’a jamais consommé de drogue et qu’il a choisi de ne plus retourner fêter à Trois-Rivières avec le membre visé parce qu’il n’était pas confortable dans ce genre d’environnement. Selon lui « […] j’ai associé que, ce groupe là, c’est les gros partys, les grosses fins de semaine. Quand ça arrive, la drogue est associée à ça. » Les deux membres de la GRC étaient de très grands amis en 2012-2013. D’ailleurs, le gendarme C avait les clés de la maison du membre visé. Le gendarme C n’avait rien à gagner en mentant. En fait, il a témoigné avec sincérité pour son collègue et il affirme lui avoir dit en janvier 2015 : « Tsé, ça va te coûter ta job un jour. Il faudrait que tu arrêtes. Consulte. » Pour sa part, le membre visé n’a pas nié à l’audience les propos du gendarme C. Il l’a plutôt remercié pour lui avoir mis ses « quatre vérités en pleine face » lors de leur vive discussion en janvier 2015.

[34]  Pour sa part, Madame Y a indiqué à l’audience qu’elle avait fréquenté amoureusement ou amicalement le membre visé pendant une période d’environ huit ans. Celle-ci était très claire qu’elle n’avait jamais vu le membre visé consommé de la cocaïne et qu’elle n’avait pas consommé devant lui. Madame Y exprimait clairement ses idées avec un franc-parler. Elle a témoigné que tous les gens de son entourage, incluant sa mère et le membre visé, savaient qu’elle consommait de la cocaïne lorsqu’elle vivait à Trois-Rivières en 2012-2013.

[35]  En ce qui concerne Madame X, celle-ci était plus réservée dans ses propos. Elle a cependant confirmé qu’elle a fréquenté amoureusement le membre visé pour une période d’environ un an. Durant cette période, elle a consommé de la cocaïne au moins cinq fois avec le membre visé. Enfin, elle a avoué qu’elle consommait de la cocaïne avant de rencontrer le membre.

[36]  Bref, les trois témoins mentionnés précédemment ont indiqué clairement qu’ils n’avaient aucune rancune envers le membre visé et qu’ils ne le fréquentent plus aujourd’hui.

[37]  Pour ce qui est des trois autres témoins de l’autorité disciplinaire, soient Monsieur A, Monsieur B et Monsieur Z, le membre visé a dû rectifier une partie de leurs témoignages afin de les rendre conformes à la vérité. Il a dû entre autres préciser que les expressions « le ptit sac cadeau » et « de la patente » référaient à de la cocaïne. Il a aussi confirmé qu’il avait consommé de la cocaïne avec Monsieur B au moins 10 fois et non trois fois comme affirmé par ce dernier. En raison de ces contradictions importantes et du lien d’amitié ou professionnel qui existe entre le membre et les trois témoins, je conclus que leurs témoignages ne sont pas crédibles.

[38]  Même si le membre visé à tenter de rehausser sa crédibilité en rectifiant par exemple le témoignage de certains témoins, les éléments suivants lui ont nui:

  1. La contradiction qui existe entre son témoignage et celui de Madame Y concernant la consommation de cette dernière. À l’audience, le membre visé affirme qu’il a seulement appris que Madame Y consommait de la cocaïne en novembre 2016 lorsqu’elle l’a appelé pour lui parler de sa déclaration à l’enquêteur en matière de déontologie dans cette affaire :

Moi, je n’étais pas au courant qu’elle consommait des drogues. La journée où je l’ai appris c’est assez clair dans ma mémoire, c’est quand l’agente, Madame [F.], … s’était présentée chez elle pour obtenir une déclaration. […]

Puis vous le ne saviez pas du tout avant ça? Non.

Pour sa part, Madame Y a témoigné que le membre visé le savait bien avant novembre 2016 lorsqu’elle répond comme suit :

Est-ce qu’il savait que vous consommiez de la drogue? Oui.

Puis- il pensait que vous consommiez ou vous lui avez dit? Moi, j’ai été claire, nette et précise, j’en ai parlé. […] ma propre mère le sait. […] la problématique pour moi, c’était en 2012 et 2013 parce que j’étais encore à Trois-Rivières. […]

En contre-interrogatoire, Madame Y précise une fois de plus que le membre savait qu’elle consommait avant 2016 lorsque le représentant du membre lui demande :

Pour ce qui est de la cocaïne, j’ai compris que vous, vous en preniez, mais que ça aussi, [le membre visé] s’en doutait, c’est ça? Non, il le savait; moi, j’ai été très claire.

  1. La fiabilité de sa mémoire quant aux noms des gens qui lui procuraient de la cocaïne chez lui à Montréal est douteuse. En voici des exemples :

Exemple 1

Membre :

[…] Il y a une fois dont je me souviens – c’est pour ça que je vous dis que j’ai mémoire qu’il y a des personnes qui étaient revenues avec nous – c’était peut-être, je ne connais pas du tout, c’est une personne que je n’avais jamais rencontrée auparavant, puis je ne l’ai jamais rencontrée après. C’est un ami d’un ami de personne que j’avais vu dans un bar. Je ne pourrais même pas dire c’était l’ami de qui. Cette personne là en avait et au retour je n’étais même pas au courant, mais elle en avait offert, bien, à moi et à Madame [X] aussi. »

 

[…] Bien, la personne – c’est un homme – m’a donnée le sachet de cocaïne. On est allé dans la salle de bain. Parce que j’ai mémoire très claire d’avec Madame [X] d’être dans la salle de bain.

Exemple 2

Membre :

[…] La deuxième fois, c’était exactement les mêmes circonstances. Par contre, la personne qui en avait, de mémoire, c’était une amie, je ne dirais peut-être pas une amie, mais une connaissance de Madame [X].

Représentant :

Est-ce que vous vous souvenez du nom?

Membre :

J’ai envie de dire Marie, Mary, mais je… Oui, j’ai envie de dire [Mary], mais ça me parait, je dis [Mary] puis ça me paraît générique comme nom. Je peux me tromper, mais j’ai mémoire que c’était [Mary].

Exemple 3

Membre :

[…] C’est sûr que moi je n’en ai jamais acheté, donc je n’aurais pas pu en obtenir. Dans les autres circonstances, je sais que c’est arrivé, mais je n’ai pas de mémoire exactement de qui m’en aurait procuré, ou de qui m’en avait donné.

  1. Ses réponses en contre-interrogatoire concernant l’étendue de sa consommation étaient prudentes et évasives. Par exemple, lorsque la représentante de l’autorité disciplinaire (RAD) lui demande combien de fois il a consommé avec sa conjointe, Madame X, qui venait de témoigné qu’ils ont consommé ensemble cinq fois, le membre visé répond ce qui suit :

Membre :

De mémoire, oui, je me souviens seulement de deux fois. Mais c’était… c’est fort possible qu’on en ait consommé plus que ça.

RAD :

[…] Est-ce que c’est possible que ça soit plus que cinq fois, avec Madame [X]?

Membre :

Je ne pourrais pas vous dire de chiffre précis, mais… pas plus que cinq fois.

RAD :

Vous êtes absolument certain de ça?

Membre :

Ce que je vous dis, c’est que je sais que c’est possible que… j’ai justement expliqué que je n’avais pas la certitude du nombre de fois. Donc, je peux vous dire le nombre de fois que je pense que c’est possible, ça serait moins de cinq fois.

RAD :

Mais c’est parce que si vous ne vous en souvenez pas, comment vous pouvez me dire que c’est absolument sûr que ce n’est pas plus que cinq fois?

Membre :

Parce que si c’était tout le temps, je me souviendrais que c’est arrivé souvent. Puis je me souviens que ce n’est pratiquement jamais arrivé pas souvent. Je ne me souviens pas, par contre, du nombre de fois, mais je peux dire qu’approximativement, c’est moins que cinq fois.

[39]  La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt F.H. c McDougall, 2008 CSC 53, s’est prononcée sur les questions de crédibilité et de fiabilité des témoins. Elle a énoncé que « la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. »

[40]  J’ai évalué soigneusement chaque témoignage à la lumière de la preuve recueillie ainsi que des contradictions. La version des faits du membre visé était nébuleuse et a soulevé des doutes importants sur la teneur de sa consommation et sur la façon dont il obtenait la cocaïne. Ainsi, j’ai préféré la version des faits décrite par Madame X, Madame Y et le gendarme C, parce qu’elle était plus claire, précise et convaincante.

Principe de la conduite déshonorante – article 7.1 du Code de déontologie

[41]  En vertu de l’article 7.1 du Code de déontologie, la conduite déshonorante est évaluée à l’aide d’un test qui tient compte de la perception qu’une personne raisonnable dans la société et informée de toutes les circonstances pertinentes, y compris des réalités du métier de policier en général et de celles de la GRC en particulier.

[42]  De plus, pour déterminer si les allégations sont établies selon la prépondérance des probabilités, j’ai appliqué un test similaire à celui élaboré par le Comité externe d’examen de la GRC dans la recommandation (1991), 4 A.D. (2d) 103, en ce qui a trait à la conduite scandaleuse selon le paragraphe 39(1) du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (1988), DORS/88-361, en vigueur avant la réforme législative de novembre 2014. Premièrement, l’autorité disciplinaire doit prouver l’identité du membre et les actes constituant le comportement allégué. Deuxièmement, le Comité doit conclure que le comportement du membre est susceptible de jeter le discrédit sur la GRC et qu’il est suffisamment lié aux devoirs et fonctions du membre pour donner à la GRC un intérêt légitime à le discipliner.

[43]  Compte tenu des aveux du membre visé et des faits que j’ai retenus, je conclus que l’identité du membre et les actes constitutifs des inconduites alléguées pour les deux allégations ont été établis par l’autorité disciplinaire selon la prépondérance des probabilités.

[44]  J’ai également conclu qu’une personne raisonnable dans la société informée de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités du travail policier en général et de la GRC en particulier, serait d’avis que le comportement déshonorant du membre dans les deux allégations jette le discrédit sur la GRC. Enfin, le comportement est lié à ses devoirs et ses fonctions en tant que membre de la GRC, ce qui justifie donc l’imposition de mesures disciplinaires.

Analyse de l’allégation 1 – Consommation de cocaïne

[45]  Je tiens à préciser qu’aucune preuve au dossier n’a démontré que le membre visé a acheté de la cocaïne auprès de trafiquants, qu’il en avait des réserves ou encore qu’il en a fait le trafic durant la période en question. D’ailleurs, ces éléments ne faisaient pas partie des allégations déposées contre le membre visé et je n’en ai pas tenu compte dans ma décision.

[46]  L’allégation 1 contient huit énoncés détaillés. L’autorité disciplinaire a établi selon la prépondérance des probabilités tous les énoncés sauf le quatrième, où le gendarme C disait avoir observé, lors de leur sortie à Trois-Rivières, le membre visé dans la salle de bain en compagnie de deux autres individus en train de consommer de la cocaïne sur le comptoir. En fait, comme je l’ai indiqué dans ma décision orale à l’audience, le gendarme C, qui était un témoin crédible, ne pouvait plus affirmer avec certitude combien de personnes étaient dans la salle de bain avec le membre visé. De plus, il ne pouvait confirmer s’il y avait une ligne de poudre blanche sur le comptoir et s’il croyait toujours que c’était de la cocaïne. En raison de l’incertitude du témoin quant aux événements de la soirée en question, l’énoncé détaillé 4 n’a pas été établi.

[47]  Conformément à ce qui est allégué, la preuve a démontré que le membre visé a contrevenu à l’article 7.1 du Code de déontologie en fréquentant, amoureusement ou amicalement, des personnes impliquées dans la consommation de cocaïne alors qu’il était hors service. Parmi ces gens, on y retrouve entre autres Madame X, Madame Y, Monsieur A et Monsieur B. Il était aussi présent lorsque Madame X et Monsieur B consommaient de la cocaïne et il en consommait avec eux.

[48]  Enfin, le membre visé a admis qu’il savait que l’usage de drogues illégales était un comportement inapproprié pour un policier. De plus, il a admis que ses fréquentations, sa participation ou association à des activités de consommation ainsi que sa propre consommation était un comportement inapproprié pour un policier.

[49]  Pour ce qui est de la période de consommation, l’autorité disciplinaire a allégué à l’audience que le membre visé a consommé de la cocaïne pour une période prolongée de 22 mois, soit de mars 2013 au 1er janvier 2015. Pour sa part, le représentant du membre a indiqué que la période de consommation du membre était pour une période limitée de 15 mois, soit de mars 2013 à juillet 2014.

[50]  L’autorité disciplinaire n’a pu démontrer selon la prépondérance des probabilités que le membre consommait toujours en janvier 2015, lorsque le gendarme C l’a confronté lors de la célébration du jour de l’An au sujet de sa consommation de cocaïne. Par conséquent, je conclus que le membre a consommé de la cocaïne pour une période d’au moins 15 mois, soit de mars 2013 à juillet 2014. Contrairement aux représentations faites par le représentant du membre, je considère que 15 mois constituent une période prolongée et non limitée.

[51]  Pour ce qui est de la fréquence de consommation, je conclus en raison des témoignages de Madame X et du membre visé que ce dernier a consommé au moins 15 fois en 15 mois. Plus particulièrement, il a consommé au moins cinq fois avec Madame X et 10 fois avec Monsieur B. Contrairement aux représentations faites par le représentant du membre, je conclus que la période de consommation n’était pas un incident isolé ou un manque de jugement ponctuel de la part du membre visé. En fait, la consommation a persisté pendant une période prolongée et répétée.

[52]  En tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, je conclus selon la prépondérance des probabilités que le comportement du membre a jeté le discrédit sur la GRC. Son comportement déshonorant est lié à ses devoirs et ses fonctions et est donc en contravention de l’article 7.1 du Code de déontologie.

Analyse de l’allégation 2 – Utilisation inappropriée d’un BlackBerry

[53]  L’autorité disciplinaire a prouvé les quatre précisions de l’Allégation 2.

[54]  Conformément à ce qui est allégué, la preuve a démontré que le membre visé a contrevenu à l’article 7.1 du Code de déontologie en utilisant de façon inappropriée son BlackBerry, un bien appartenant à la GRC. Le membre visé a admis que les messages textes échangés avec ses amis pour des fins personnelles contenaient du contenu inapproprié parce qu’ils faisaient allusion à la consommation de drogues illégales. Tout comme je l’ai indiqué dans ma décision orale sur les allégations, le membre visé a également avoué que les expressions « D’la patente » et « le ptit sac cadeau », qui faisaient partie des messages textes échangés avec Monsieur A et Monsieur Z, faisaient référence à de la cocaïne.

[55]  En tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, je conclus selon la prépondérance des probabilités que le comportement du membre a jeté le discrédit sur la GRC. Son comportement déshonorant est lié à ses devoirs et ses fonctions et est donc en contravention de l’article 7.1 du Code de déontologie.

[56]  L’Allégation 2 est établie selon la prépondérance des probabilités.

DÉCISION RELATIVE AUX MESURES DISCIPLINAIRES

Preuve documentaire et témoignages des experts

[57]  L’autorité disciplinaire a présenté le rapport d’expert du Dr L. B. Le représentant du membre a présenté le rapport d’expert de la Dre M.-C. C., des lettres d’appui et les évaluations de rendement du membre visé.

[58]  Dans leur rapport et leur témoignage à l’audience, les deux témoins experts ont confirmé que la consommation de drogue du membre visé, ainsi que sa consommation d’alcool, n’étaient aucunement liées à une dépendance. Or, les témoins avaient une opinion divergente quant au pronostic de réhabilitation du membre.

[59]  Pour sa part, la Dre M.-C. C. a indiqué que le membre était complètement réhabilité lorsqu’elle dit :

[…] Vos risques de récidive sont bien faibles, voir même nuls en ce qui a trait à la consommation de cocaïne. […] Le facteur temps est également un bon pronostic, monsieur n’a jamais reconsommé de cocaïne depuis la mi-année 2014 et n’a pas non plus refait utilisation régulière d’alcool comme ce fut le cas pendant la même période de temps.

[60]  De son côté, le pronostic du Dr L. B. n’est pas aussi optimiste que la Dre M.-C. C. quant à la pleine réhabilitation du membre visé en raison d’une consommation persistante d’alcool et l’absence de suivi professionnel. Dans son rapport, il indique ceci :

Monsieur est clairement en rémission d’un problème de consommation d’alcool, mais son pattern actuel de consommation est risqué. En effet, écluser toute une bouteille à lui tout seul, ne serait-ce qu’un seul soir par semaine, n’est pas une consommation saine ou responsable et se reconnaître comme « signal d’alarme » le fait d’avoir des pertes de mémoire le lendemain n’est pas mettre la barre très haute. En ce sens, s’il n’y [a] pas vraiment de diagnostic à retenir actuellement, il y a tout de même une histoire pas si lointaine de consommation problématique d’alcool et de consommation illégale de cocaïne et un pronostic qui, sans être sombre, est tout de même réservé vu la dite consommation persistante et l’absence de suivi professionnel. [Cité textuellement]

[61]  Le pronostic de réhabilitation des deux experts est basé principalement sur la version des faits donnée par le membre lors des évaluations cliniques. Pour sa part, le Dr L. B. a indiqué dans son rapport d’expert qu’en plus d’une entrevue clinique il s’avère qu’en situation médicolégale, « il est impératif que les allégations d’une personne évaluée soient corroborées par des personnes raisonnablement neutres ou à tout le moins fiables ».

[62]  À l’audience, le Dr L. B. a précisé qu’il avait demandé au membre visé s’il pouvait communiquer avec des personnes de son choix pour obtenir l’information à l’appui nécessaire pour son pronostic. Le membre a refusé à deux reprises et par conséquent, le Dr L. B. n’a pu corroborer les dires du membre concernant sa consommation. Enfin, le Dr L. B. a expliqué qu’il n’existait pas non plus de tests de laboratoire de son médecin de famille qui auraient permis de voir « s’il y avait des anomalies et que ces anomalies-là, au fil du temps, avec la réduction de la consommation, se seraient atténuées. »

Représentations sur sanction par les parties

[63]  L’autorité disciplinaire demande le congédiement comme sanction globale pour les deux allégations. Selon elle, l’inconduite du membre visé est grave parce que durant la période de consommation de cocaïne, il devient vulnérable au chantage et à la corruption. De plus, la période de consommation prolongée démontre un manque de jugement qui est incompatible avec la profession de policier.

[64]  Pour sa part, le représentant du membre a indiqué que le membre visé « est prêt à se soumettre à toute mesure alternative qui permettrait de rassurer la GRC de l’absence de danger de récidive de consommation de cocaïne ou autre drogue illégales [cité textuellement] » et demande les mesures disciplinaires suivantes pour l’allégation 1 concernant la consommation de cocaïne :

  1. une pénalité financière de la solde de 45 jours de travail;

  2. une réduction de la banque de congés annuels d’un minimum de 10 jours jusqu’à un maximum de 20 jours;

  3. une ordonnance du Comité que le membre se soumette à un suivi thérapeutique approprié, par exemple une thérapie pour la prévention de rechute avec un accompagnateur pour une durée que le Comité jugera appropriée; et

  4. une ordonnance de se soumettre à des tests de dépistage pour l’alcool et la drogue pendant les heures de travail ainsi qu’à l’extérieur des heures de travail, pour une durée que le Comité jugera appropriée.

[65]  Pour l’allégation 2 concernant l’utilisation inappropriée du BlackBerry, le représentant du membre demande une réprimande et 10 jours de pénalité financière.

Autorités à l’appui des mesures disciplinaires demandées

[66]  L’autorité disciplinaire s’appuie de décisions provenant des comités de déontologie de la GRC et de la communauté policière pour demander le congédiement du membre :

  1. 27 D.A. (3e) 228 (2005), dans l’affaire Melano, le membre avait fait deux ordonnances pour se prescrire des stéroïdes – sanction : ordre de démissionner dans les 14 jours ou, à défaut, le congédiement. La décision énonce les principes de congédiement.

  2. 2017, RCAD 5, dans l’affaire Greene, le membre avait entre autres proféré des menaces de morts ou de lésions corporelles – sanction : ordre de démissionner. La décision aborde les éléments essentiels d’un contrat d’emploi d’un membre de la GRC.

  3. 31 D.A. (2e) 84 – (1997) Comité externe d’examen de la GRC, la décision est reliée à une situation de violence domestique – sanction : ordre de démissionner dans les 14 jours ou, à défaut, le congédiement. La décision indique que la réhabilitation du membre n’est pas suffisante pour surmonter le droit de l’employeur de mettre fin à la relation d’emploi.

  4. Dionne v Canada (Treasury Board - Solicitor General - Correctional Service), 2003 CarswellNat 6144, 2003 CarswellNat 6460, 2003 PSSRB 69, 2003 CRTFP 69, 121 LAC (4th) 268, 75 CLAS 46. Dans cette décision, le plaignant est un agent de corrections de Service correctionnel Canada qui a été mis en état d’arrestation lorsqu’un policier a découvert 0,2 gramme de cocaïne dans son véhicule. Des accusations criminelles ont été déposées contre lui pour possession simple – sanction : congédiement. La décision indique que même si l’inconduite était un événement isolé, les actions commises vont à l’encontre du mandat d’application de la loi de l’organisation.

  5. (2013) The matter of Cst. Jeremy Bordas, 1076, Waterloo Regional Waterloo Police Service. Dans cette affaire, le gendarme a essentiellement consommé du cannabis à quatre reprises, procuré du cannabis à d’autres membres à trois reprises, demandé à un collègue de lui procurer du cannabis à une reprise, etc.; le tout sur une période de cinq ans – sanction : congédiement. La décision discute de l’importance du serment de policier et le fait que le public s’attend à ce que le service de police maintienne les membres au niveau le plus élevé de la responsabilité.

[67]  Le représentant du membre s’appuie principalement sur les décisions suivantes des comités de déontologie de la GRC pour l’allégation 1 :

  1. 1 D.A. (3e) 168 (1998), dans l’affaire Rodgers, le membre a consommé du haschich et a mis fin à son inconduite de son propre gré quatre ans avant la décision du comité et était complètement réadapté – sanction : réprimande et confiscation de la solde de 10 jours. L’autorité disciplinaire ne demandait pas le congédiement, mais plutôt une confiscation de la solde de huit jours.

  2. 7 D.A. (4e) 242 (2005), dans l’affaire Veillette, le membre a consommé à plusieurs reprises et a acheté de la cocaïne alors qu’il était hors service – sanction provenant d’une proposition conjointe : confiscation de la solde pendant huit jours pour avoir obtenu et consommé illégalement de la cocaïne, avertissement et une recommandation de continuer de bénéficier des conseils d’un spécialiste.

  3. 2016 RCAD 4, dans l’affaire Wyant, le membre a acheté et importé des stéroïdes – sanction provenant d’une proposition conjointe : confiscation de la solde pendant 25 jours, réduction de la banque de congés annuels de 20 jours, réprimande, ordre de s’astreindre à un suivi thérapeutique.

  4. 2017 RCAD 6, dans l’affaire Wilson, le membre a de façon répétée conduit avec facultés affaiblies – sanction provenant d’une proposition conjointe : réprimande, rétrogradation de deux grades, ordonnance de se soumettre à un test de dépistage d’alcool et de drogue en fonction et hors fonction, mutation dans un autre lieu de travail.

[68]  Pour l’allégation 2 concernant l’utilisation du BlackBerry, les décisions suivantes ont été présentées par le représentant du membre :

  1. 3 D.A. (4e) 249, utilisation de l’ordinateur pour accéder à de la pornographie pendant les heures de travail – sanction provenant d’une proposition conjointe : confiscation de cinq jours de solde et avertissement.

  2. 9 D.A. (4e) 384, utilisation de l’ordinateur pour télécharger, visionner et enregistrer du matériel pornographique et pour enregistrer et envoyer des photos et vidéos explicites de lui-même qu’il a envoyées à sa petite amie – sanction provenant d’une proposition conjointe : confiscation de dix jours de solde et avertissement.

  3. 16 D.A. (4e) 57, utilisation de l’ordinateur pour visionner de la pornographie – sanction provenant d’une proposition conjointe : confiscation de six jours de la solde et réprimande.

  4. 11 D.A. (4e) 327, utilisation du matériel de la GRC (BlackBerry) a des fins inappropriées pour envoyer des messages personnels à un autre membre avec qui le membre entretenait une liaison extraconjugale – sanction provenant d’une proposition conjointe : un avertissement et la confiscation de dix jours de solde assortis d’une recommandation à poursuivre la thérapie amorcée.

Analyse des mesures disciplinaires

[69]  Conformément à l’alinéa 36.2(e) de la Loi sur la GRC, les mesures disciplinaires doivent être adaptées à la nature et aux circonstances des contraventions et, s’il y a lieu, elles doivent être éducatives et correctives plutôt que punitives.

[70]  Le Comité doit donc déterminer s’il existe des facteurs atténuants probants qui démontrent que le membre s’est réhabilité et qu’il pourrait donc être digne de confiance à l’avenir. Le congédiement doit être réservé pour les cas les plus graves, en tant que dernier recours dans le cadre d’un programme disciplinaire positif et progressif.

[71]  Je tiens à préciser que le Guide des mesures disciplinaires (Guide) de la GRC est un outil qui aide le Comité à évaluer la gamme des mesures disciplinaires appropriées dans les circonstances données. Le Comité, à titre de décideur administratif, n’est pas strictement lié au cadre suggéré dans le Guide. Il doit plutôt rendre sa décision en considérant l’ensemble des circonstances entourant l’allégation de même que la liste des facteurs aggravants et atténuants énumérés dans le Guide.

[72]  Le Comité externe d’examen de la GRC a établi que l’analyse des mesures disciplinaires par le Comité de déontologie doit se faire en trois étapes. :

  1. Établir la gamme des mesures disciplinaires appropriée

  2. Tenir compte des facteurs aggravants et des facteurs atténuants afin d’évaluer la gravité de l’inconduite

  3. Imposer une mesure disciplinaire juste et équitable qui reflète la gravité de l’inconduite en question tout en tenant compte des principes de parité de la sanction et de dissuasion.

Gamme des mesures disciplinaires

[73]  Les précédents en matière de consommation de drogue de la GRC sont peu abondants. Je remarque également que certaines décisions soumises par le représentant du membre proviennent de l’ancien régime disciplinaire où la pénalité financière maximale était une confiscation de la solde de 10 jours, puis le congédiement. Ainsi, le Comité accepte ces décisions sous réserve parce que la gamme des mesures disciplinaires imposées avant la réforme législative de novembre 2014 était plus limitée. En fait, la majorité des affaires portées devant l’ancien comité disciplinaire n’étaient pas des cas de congédiement.

[74]  Dans trois décisions soumises par le représentant du membre, le Comité n’a pas ordonné le congédiement parce que les parties avaient une proposition conjointe de sanction; ce qui n’est pas le cas en l’espèce. En fait, lorsqu’une telle demande existe, le comité de déontologie doit normalement l’accepter même s’il considère que la mesure n’est pas la plus appropriée dans les circonstances. Comme l’indique la décision 2017, RCAD 6, la Cour suprême du Canada dans l’affaire Cook, R. c Anthony-Cook, 2016 CSC 43, paragraphe 32, « un juge de procès ne devrait pas écarter une recommandation conjointe relative à la peine, à moins que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit par ailleurs contraire à l’intérêt public ». Ainsi, « [TRADUCTION] Bien que la décision Cook traite d’une demande conjointe dans le contexte pénal, le critère de l’intérêt public a déjà été invoqué et adopté dans le contexte de la discipline professionnelle dans l’arrêt Rault v. Law Society (Saskatchewan), 2009 SKCA 81 et l’ancienne mesure disciplinaire 17, D.A. (4e) 88). »

[75]  De plus, je tiens également à souligner qu’il existait, dans les décisions soumises par le représentant du membre, des facteurs atténuants importants qui n’étaient pas présents dans ce dossier. Par exemple, dans l’affaire Veillette, le membre visé a consommé pendant une période de trois mois; il avait un problème de dépendance et il a suivi un programme de réhabilitation. Dans l’affaire Wyant, le membre avait aussi suivi un programme de réhabilitation, il avait un trouble de stress post-traumatique, il voyait un psychologue et il avait été en congé de maladie pendant 10 ans. Pour ce qui est de l’affaire Rodgers, le membre avait consommé du haschich cinq fois, les membres du public n’étaient pas impliqués, il jouissait toujours de l’appui de l’officier compétent et l’autorité disciplinaire ne demandait pas le congédiement. Enfin, dans l’affaire Wilson, le membre a rapidement obtenu de l’aide pour ses problèmes de consommation d’alcool, il était abstinent, il s’était déjà soumis à des tests de dépistage d’alcool et l’autorité disciplinaire était d’avis que le membre méritait une autre chance.

[76]  J’ai bien examiné les décisions qui ont été soumises et je conclus que la mesure disciplinaire globale appropriée pour les deux allégations se situe entre une confiscation de la solde d’un nombre de jours de travail au milieu de l’échelle allant jusqu’au congédiement.

Allégation 1 – Facteurs aggravants

[77]  Dans l’allégation 1, il est question d’une conduite déshonorante en dehors des heures de service, qui est liée à la consommation de cocaïne. Voici donc les facteurs aggravants que j’ai retenus.

[78]  Le membre visé a consommé de la cocaïne, une substance inscrite à l’annexe 1 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, c 19, ce qui constitue une infraction criminelle grave au Code de déontologie. L’inconduite associe le membre à une activité incompatible avec le travail de policer et pour laquelle la société a peu de tolérance.

[79]  Le membre a consommé à des fins personnelles récréatives pour une période d’au moins 15 mois, soit de mars 2013 à juillet 2014, ce qui constitue une période prolongée.

[80]  Cette consommation avait lieu au domicile du membre à Montréal ou à Trois-Rivières avec des gens du public qui lui donnaient gratuitement une drogue illicite alors qu’il avait la responsabilité de faire respecter la loi. De plus, c’est lui qui majoritairement préparait les lignes de cocaïne qu’il prenait avec sa conjointe, ce qui est en contradiction avec le rôle de policier.

[81]  La consommation n’était pas un incident isolé ou un manque de jugement ponctuel comme il a été soumis par le représentant du membre. C’est-à-dire « a one-time lapse in judgement » comme l’indique la version anglaise du Guide des mesures disciplinaires. En fait, il a consommé de la cocaïne au moins 15 fois en 15 mois, ce qui démontre un comportement fréquent et prolongé.

[82]  Bien que la consommation se faisait dans des lieux privés, l’inconduite du membre visé se produisait dans la présence des gens du public. Il savait que la cocaïne était associée au milieu criminel. Son manque d’intégrité entachait la perception et la confiance du public envers la GRC de même que l’administration de la justice.

[83]  Même si la consommation d’alcool ne faisait pas l’objet des allégations déposées contre le membre, la preuve au dossier démontre que sa consommation de cocaïne était liée à une consommation immodérée d’alcool. Je considère donc cet élément comme un facteur aggravant dans les circonstances.

[84]  Le 18 septembre 2013, le membre visé a été suspendu de la GRC pour une contravention au Code de déontologie dans un autre dossier distinct de celui-ci. Selon ses déclarations aux deux témoins experts, le membre visé n’a pas cessé sa consommation. En fait, il a consommé de la cocaïne pendant au moins 10 mois, soit de septembre 2013 à juillet 2014, et il a augmenté excessivement sa consommation d’alcool, sachant que son employeur lui reprochait une inconduite. Comme je l’ai indiqué dans ma décision orale à l’audience, je reconnais qu’être suspendu de son emploi est habituellement un moment extrêmement difficile pour un membre de la GRC. Par contre, le membre visé a continué pendant une période prolongée à poser des gestes illégaux sans se soucier des conséquences néfastes sur son emploi. À mon avis, ceci démontre un manque de jugement flagrant et d’acceptation de responsabilité.

[85]  Le dossier du membre visé touche l’honnêteté, l’intégrité et la consommation fréquente de drogue illicite et pour une période prolongée. En vertu de l’arrêt R. c McNeil, [2009] 1 RCS 66, 2009 CSC 3 (CanLII) [McNeil] de la Cour suprême du Canada, l’inconduite du membre de la GRC pourrait dorénavant être divulguée s’il est impliqué dans une enquête et que la GRC est dans l’obligation de divulguer la preuve à la poursuite. Même si le membre n’occupe présentement pas une fonction d’enquêteur aux stupéfiants, comme l’a précisé le représentant du membre, il reste à voir si les principes de l’arrêt McNeil auront une incidence sur la capacité de Division C de la GRC de muter le membre dans un poste opérationnel dans le futur. Ce dossier déontologique constitue en soi un fardeau pour la GRC et je le considère donc comme un facteur aggravant.

Allégation 1 – Facteurs atténuants

[86]  Le membre admet l’allégation 1 et les principaux faits à la base de celle-ci.

[87]  Le membre reconnaît son inconduite et exprime des remords pour ses actions lors de son témoignage. Cependant, le témoignage laisse des incertitudes concernant l’étendue réelle de sa consommation et sur les personnes qui lui donnaient de la cocaïne gratuitement, ce qui atténue considérablement l’ampleur de ce facteur.

[88]  Le membre a présenté des excuses et il a reconnu lors de son témoignage que ses gestes illégaux étaient inappropriés pour un policier et allaient à l’encontre de ses valeurs personnelles.

[89]  Le membre n’a jamais fait l’objet de mesures disciplinaires antérieurement.

[90]  Les évaluations de rendement du membre visé sont positives, incluant un prix de distinction pour son service exemplaire. De même, les lettres de recommandation déposées font preuve de son professionnalisme, son esprit d’équipe, son dévouement et son travail consciencieux. L’ampleur de ce facteur est par contre atténuée par le fait que le membre consommait lorsqu’il a signé son évaluation de rendement en mars 2013, de même que le document intitulé l’Exposé sur le code de déontologie et les conflits d’intérêts. Ce document mentionne que la consommation d’alcool et de drogue « indique souvent que l’employé est incapable de faire face au travail et au stress extérieur. Il faut cerner ces problèmes et les régler avant qu’ils ne s’aggravent. » Je suis d’avis que le membre a manqué d’honnêteté et de transparence envers son employeur. Il aurait pu également demander de l’aide et il ne l’a pas fait.

[91]  À l’automne 2012, le membre visé a vécu des facteurs de stress émotionnel à la suite d’une rupture amoureuse. Je reconnais que cet élément peut fournir une explication valable aux actions du membre visé, mais il n’est pas une justification ou une excuse raisonnable pour enfreindre la loi de façon répétée sur une période prolongée comme il l’a fait. Dans la décision (1990) 3 D.A. (2e) 62, qui a été citée dans l’affaire Melano, l’ancien commissaire Inkster confirme l’importance pour un policier d’avoir un bon tempérament face aux difficultés quotidiennes. Bien que cette décision remonte dans le temps de plusieurs années, je suis d’avis que les observations de l’ancien commissaire s’appliquent encore aujourd’hui et, plus particulièrement, aux faits en l’espèce et je cite :

Les événements stressants ne [suffisent] pas à atténuer un comportement inadapté. Après tout, c’est l’aptitude à résister aux difficultés de la vie qui constitue l’essence de ce qu’on appelle un bon tempérament et l’intégrité.

Pour ces raisons, je conclus que l’ampleur de ce facteur atténuant est considérablement réduite.

[92]  Le membre a reçu certains soins médicaux pour sa consommation de drogue et d’alcool. Or, la preuve au dossier ne démontre pas que le membre s’est engagé pleinement à sa réhabilitation. En fait, il n’a pas dévoilé à sa psychologue et son médecin de famille l’ampleur de ses problèmes de consommation. Selon le Dr L. B., le membre aurait « au plus mentionné [à sa psychologue] qu’il allait à des partys ».

[93]  De plus, depuis mai ou juin 2017, il a participé à quelques rencontres mensuelles des Alcooliques Anonymes pour traiter ses problèmes de consommation d’alcool, sauf qu’il se sent « un peu malhonnête » parce qu’il privilégie une « consommation contrôlée plutôt que l’abstinence » comme l’indique le rapport d’expert du Dr L. B. Ce manque de transparence et d’intégrité envers les spécialistes de la santé diminue considérablement l’ampleur de ce facteur. En fait, ceci démontre plutôt un type de comportement récurrent de la part du membre qui met en doute son acceptation de responsabilité et sa reconnaissance d’inconduite.

[94]  Le représentant du membre a soumis que l’inconduite du membre découle d’un manque de jugement momentané. Je ne suis pas d’accord avec cette affirmation parce que, tel que je l’ai mentionné précédemment, la preuve au dossier démontre que le membre visé a consommé de la cocaïne au moins 15 fois en 15 mois avec des gens du public qu’il invitait chez lui à Montréal ou qu’il fréquentait à Trois-Rivières. De plus, sur une période prolongée d’environ deux ans, soit de l’automne 2012 à janvier 2015, il a sciemment choisi de fréquenter amoureusement ou amicalement des personnes impliquées dans la consommation de drogues illégales. À mon avis, le membre a manqué de façon continue d’intégrité et d’honnêteté envers son employeur en changeant de conduite selon ses intérêts : d’un côté il jouait le rôle du bon policier au travail, et de l’autre côté, il consommait, de façon insouciante, de la cocaïne avec des gens du public lorsqu’il était hors service. Même si les consommateurs qu’il côtoyait ne savaient pas nécessairement qu’il était un policier, il le savait. Je suis d’avis que ce comportement augmente la gravité de l’inconduite et démontre un défaut de caractère de la part d’un policier qui nuit à la confiance du public et à sa capacité de s’acquitter proprement de ses fonctions comme membre de la GRC.

[95]  Le membre a possiblement cessé de consommer de la cocaïne en juillet 2014, environ 18 mois avant d’être avisé en janvier 2016 de l’enquête disciplinaire dans ce dossier. Cependant, à l’exception des dires du membre visé, il n’y a pas de preuve au dossier qui démontre qu’il a effectivement cessé de consommer en juillet 2014, ce qui atténue considérablement ce facteur.

Allégation 2 – Facteurs aggravants et atténuants

[96]  L’allégation 2 concerne l’utilisation inappropriée d’un BlackBerry.

[97]  Je retiens comme facteurs aggravants que l’utilisation de l’équipement était pour des fins personnelles et qu’elle n’était pas liée aux fonctions de policier. De plus, l’utilisation constituait un comportement répréhensible qui décevrait les membres du public qui s’attendent à ce qu’un membre de la GRC agisse de façon exemplaire qu’il soit en service ou non.

[98]  Pour ce qui est des facteurs atténuants, le membre admet que les messages textes échangés avec ses amis pour des fins personnelles contenaient du contenu inapproprié. Le représentant du membre a soumis que « les messages textes doivent être compris dans un sens figuratif, à titre d’humour et non au sens littéral ». Je reconnais effectivement que les messages avaient un ton humoristique entre amis. Or, le membre a avoué que les mots « le ptit sac cadeau » et « d’la patente » faisaient référence à de la cocaïne. Ainsi, l’idée sous-jacente des messages faisait tout de même référence à la consommation de drogues illégales, ce qui est inapproprié pour un policier, peu importe les motifs.

Imposition des mesures disciplinaires

[99]  La troisième et dernière étape est de déterminer la peine appropriée dans le cas en espèce.

[100]  Dans l’arrêt Ennis v Canadian Imperial Bank of Commerce, 1986 CanLii 1208 (BCSC), le juge Finch dit ceci à propos du congédiement d’un employé :

[TRADUCTION]

La norme exacte de comportement à démontrer varie selon la nature de l’activité commerciale exercée par l’employeur ainsi que le poste de responsabilité et de confiance détenus par l’employé. Il faut démontrer l’inconduite ou l’incompétence réelle. La conduite de l’employé et le défaut de caractère qu’elle révèle doivent être tels qu’ils minent ou entravent gravement à la confiance essentielle que l’employeur est en droit de mettre dans l’employé dans les circonstances de leur relation particulière. Le comportement doit montrer que l’employé répudie le contrat d’emploi et l’un de ses éléments essentiels.

[101]  Dans l’affaire Greene (2017 RCAD 5), le comité de déontologie indique que « Les éléments essentiels d’un contrat d’emploi d’un membre de la GRC se retrouvent dans les valeurs fondamentales de la GRC comme la responsabilisation, le respect, le professionnalisme, l’honnêteté et l’intégrité. » À la lumière de la preuve au dossier, je conclus que ces dernières ont été enfreintes par le membre de façon continue.

[102]  Le membre visé avait le devoir, qu’il soit en service ou non, de songer en tout temps à l’incidence de ses actes et de son comportement, et ce, afin de préserver sa crédibilité et la confiance du public. Ces deux éléments sont nécessaires pour qu’un membre de la GRC exécute efficacement les fonctions relatives au maintien de l’ordre; le membre visé y a manqué de façon flagrante pendant une période prolongée.

[103]  À la suite de mon évaluation de la gamme des mesures disciplinaires possibles, du principe de dissuasion générale et du principe de parité de la sanction, je suis d’avis qu’il existe de nombreux facteurs aggravants qui militent en faveur du congédiement du membre visé. De plus, je ne vois pas de facteurs atténuants importants qui justifient une peine moins sévère pour l’ensemble des deux allégations.

[104]  Les témoins experts ont une opinion divergente quant au pronostic de réhabilitation du membre visé. En l’absence de preuves qui corroborent les dires du membre, je ne suis pas convaincue que ce dernier est tout à fait réhabilité et aussi digne de confiance qu’il le prétend. Le risque pour l’employeur de maintenir la relation de travail est grand.

[105]  Les erreurs de jugement du membre sont graves et elles ont été répétées sur une période prolongée. Son inconduite est une infraction flagrante à la loi et un manquement à son devoir, ce qui remet en question son intégrité et la confiance que la société lui accorde. Il a répudié le contrat d’emploi et son lien de confiance avec l’employeur.

[106]  Par conséquent, je conclus qu’une personne raisonnable, connaissant toutes les circonstances de cette affaire, verrait le maintien en poste du membre comme minant la confiance du public et les valeurs véhiculées par la GRC.

CONCLUSION

[107]  Le Comité de déontologie a conclu que les deux allégations déposées contre le membre visé sont établies selon la prépondérance des probabilités et le membre est congédié.

[108]  Les parties peuvent faire appel de cette décision devant la commissaire en déposant un mémoire d’appel dans les 14 jours suivant la signification de la présente décision écrite au membre visé (article 45.11 de la Loi sur la GRC; article 22 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289).

 

 

Le 17 septembre 2018

Josée Thibault

Arbitre en matière de déontologie

 

Date

 

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