Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

La membre visée, accompagnée d’un autre membre, s’est présentée à un appartement à deux reprises en réponse à des plaintes de nuisance logées par une tierce partie. À la première intervention, la membre visée a parlé au plaignant et à la résidente, A.T. À la seconde intervention, près d’une heure plus tard, les membres ont parlé non seulement au plaignant et à A.T., mais aussi à un homme qui était dans l’appartement et qui s’est présenté sous un nom qui n’a pas donné de résultat dans le système du Centre d'information de la police canadienne (CIPC). À aucune des visites, A.T. n’a parlé de violence ni d’abus perpétré par un partenaire intime. La membre visée a compris que le bébé de la femme dormait dans une chambre avec sa grand-mère maternelle.
De retour au Détachement, l’autre membre a pris d’autres moyens pour identifier l’homme. L’autre membre a trouvé une photo qui semblait être de l’homme ainsi qu’une inscription électronique selon laquelle il avait signé un engagement qui lui interdisait de consommer de l’alcool, de se trouver à moins de 100 mètres de la résidence d’A.T. et de communiquer avec A.T, sauf par l’entremise d’un tiers pour exercer son droit de visite à son enfant. L’engagement n’a pas été localisé. La membre visée et l’autre membre ont discuté à savoir s’ils avaient des motifs pour arrêter l’homme pour manquement à une ordonnance du tribunal, étant donné la présence de la grand-mère qui pouvait être vue comme caution pour une visite à son enfant. La membre visée a travaillé à d’autres dossiers jusqu’à la fin de son quart, son dernier avant son congé hebdomadaire.
La membre visée a fait des déclarations à une équipe d'intervention en cas d'incident grave (EIIG) de l’extérieur de la province ainsi qu’à un enquêteur interne de la GRC. La membre visée devait répondre d’une allégation de ne pas s’être acquittée de ses fonctions avec diligence et de deux allégations d’avoir eu une conduite déshonorante en fournissant à chacune des enquêtes des explications trompeuses et mensongères.
L’allégation de n’avoir pas enquêté diligemment a été annulée, pour avoir été formulée au-delà du délai de prescription d’un an prévu au paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC. Une prorogation de délai n’avait été obtenue que pour la tenue d’une rencontre disciplinaire, pas pour une audience disciplinaire. Les deux allégations portant sur les explications données aux enquêteurs par la membre visée n’ont pas été établies.

Contenu de la décision

Protégé A

2018 DARD 1

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GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

AFFAIRE DISCIPLINAIRE INTÉRESSANT LA

LOI SUR LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

ENTRE :

Le commandant de la Division D

(l’autorité disciplinaire)

et

la gendarme Amber Patel, matricule 59787

(la membre visée)

Décision du Comité de déontologie

John A. McKinlay

Le 15 janvier 2018

M. Denys Morel, représentant de l’autorité disciplinaire

La sergente d’état-major Brigitte Gauvin, représentante de la membre visée


TABLE DES MATIÈRES

SOMMAIRE  2

INTRODUCTION  4

Requêtes préliminaires  4

ALLÉGATIONS  6

Argumentations sur les allégations 2 et 3  9

Déclaration à l’EIIG  11

Engagement (conditions au CIPC) / R.S. pouvait-il être arrêté?  13

Page 76  13

Pages 42 et 44  15

Page 44  16

Page 50  16

Déclaration au GRP  18

Page 24  18

Page 30  21

CONCLUSION À L’ÉGARD DES ALLÉGATIONS  23

CONCLUSION  24

 

 

SOMMAIRE

La membre visée, accompagnée d’un autre membre, s’est présentée à un appartement à deux reprises en réponse à des plaintes de nuisance logées par une tierce partie. À la première intervention, la membre visée a parlé au plaignant et à la résidente, A.T. À la seconde intervention, près d’une heure plus tard, les membres ont parlé non seulement au plaignant et à A.T., mais aussi à un homme qui était dans l’appartement et qui s’est présenté sous un nom qui n’a pas donné de résultat dans le système du Centre d'information de la police canadienne (CIPC). À aucune des visites, A.T. n’a parlé de violence ni d’abus perpétré par un partenaire intime. La membre visée a compris que le bébé de la femme dormait dans une chambre avec sa grand-mère maternelle.

De retour au Détachement, l’autre membre a pris d’autres moyens pour identifier l’homme. L’autre membre a trouvé une photo qui semblait être de l’homme ainsi qu’une inscription électronique selon laquelle il avait signé un engagement qui lui interdisait de consommer de l’alcool, de se trouver à moins de 100 mètres de la résidence d’A.T. et de communiquer avec A.T, sauf par l’entremise d’un tiers pour exercer son droit de visite à son enfant. L’engagement n’a pas été localisé. La membre visée et l’autre membre ont discuté à savoir s’ils avaient des motifs pour arrêter l’homme pour manquement à une ordonnance du tribunal, étant donné la présence de la grand-mère qui pouvait être vue comme caution pour une visite à son enfant. La membre visée a travaillé à d’autres dossiers jusqu’à la fin de son quart, son dernier avant son congé hebdomadaire.

La membre visée a fait des déclarations à une équipe d'intervention en cas d'incident grave (EIIG) de l’extérieur de la province ainsi qu’à un enquêteur interne de la GRC. La membre visée devait répondre d’une allégation de ne pas s’être acquittée de ses fonctions avec diligence et de deux allégations d’avoir eu une conduite déshonorante en fournissant à chacune des enquêtes des explications trompeuses et mensongères.

L’allégation de n’avoir pas enquêté diligemment a été annulée, pour avoir été formulée au-delà du délai de prescription d’un an prévu au paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC. Une prorogation de délai n’avait été obtenue que pour la tenue d’une rencontre disciplinaire, pas pour une audience disciplinaire. Les deux allégations portant sur les explications données aux enquêteurs par la membre visée n’ont pas été établies.


MOTIFS DE LA DÉCISION

INTRODUCTION

[1]  Avec l’accord des parties, l’affaire a été jugée sur la foi du dossier présenté au comité de déontologie, constitué d’enregistrements audio des déclarations, des réponses de la membre visée aux allégations conformément au paragraphe 15(3) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291 [CC (déontologie)], et d’autres documents présentés par la membre visée.

[2]  Le 26 avril 2016, j’ai été désigné à titre de comité de déontologie dans cette affaire. La représentante de la membre visée (RM) a reçu copie de l’avis d’audience disciplinaire et des pièces de l’enquête le 2 décembre 2016. Dans le respect de la prorogation de délai accordée par le comité de déontologie, la membre visée a déposé ses réponses, conformément au paragraphe 15(3) et à l’article 18 des CC (déontologie), le 9 janvier 2017. Des conférences préparatoires ont été tenues les 8 février, 6 mars, 20 avril, 7 juin et 26 juin 2017. Avec l’accord de toutes les parties, toutes les conférences préparatoires après celle du 8 février 2017 ont aussi fait office de conférences préparatoires pour le collègue de la membre visée, le gendarme V. (l’autre membre), dont l’affaire relevait d’un avis d’audience disciplinaire et d’un dossier d’enquête distincts, sur des allégations connexes. Une date d’audience commune a été fixée au 25 juillet 2017.

Requêtes préliminaires

[3]  À la conférence préparatoire du 6 mars 2017, j’ai donné au représentant de l’autorité disciplinaire (RAD) l’instruction de préciser les explications réputées mensongères et trompeuses dans l’énoncé détaillé des allégations 2 et 3. Le 19 avril 2017, le RAD a précisé par écrit quelles étaient les explications litigieuses, et ces précisions constituent une modification officielle de l’énoncé détaillé. Il a été confirmé auprès des parties et décidé par le comité de déontologie que les incohérences mentionnées par le RAD le 5 mars 2017 ne seraient pas prises en compte et ne joueraient pas dans la décision à rendre relativement aux allégations 2 et 3.

[4]  À la conférence préparatoire commune du 26 juin 2017, après examen des arguments des parties sur la requête commune des membres visés pour que soit annulée l’allégation 1, j’ai jugé que l’allégation 1 de l’avis d’audience disciplinaire de la membre visée devait être annulée. Le commissaire avait accordé la prorogation de délai demandée pour la tenue d’une rencontre disciplinaire, mais pas pour lancer une audience disciplinaire. J’ai résumé ainsi à l’écrit dans le procès-verbal de cette conférence préparatoire ma décision rendue alors oralement :

[TRADUCTION][…]

Je considère que la convocation d’un comité de déontologie pour juger l’allégation 1 formulée à l’encontre de chacun [des membres visés] date du 1er février 2016.

Je considère que relativement à l’allégation 1 telle que formulée à l’encontre de chacun [des membres visés], une prorogation de délai jusqu’au 2 mai 2016, n’a été accordée à l’autorité disciplinaire que pour imposer des mesures disciplinaires au moyen d’une rencontre disciplinaire.

Par conséquent, lorsque l’autorité disciplinaire a lancé la procédure du comité de déontologie contre chacun des membres visés le 26 avril 2016, en lien avec l’allégation 1 formulée à l’encontre de chacun des membres visés, je considère que cette mesure a été prise au-delà du délai prescrit d’un an pour ce faire, qui prenait fin le 1er février 2016.

Je considère que la prorogation accordée pour l’imposition de mesures disciplinaires par l’autorité disciplinaire du niveau voulu lors d’une rencontre disciplinaire ne constituait pas une prorogation pour entreprendre une procédure auprès d’un comité de déontologie au-delà du 1er février 2016. Il aurait fallu demander en vertu du paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (L.R.C. (1985), ch. R-10) la prorogation du 1er février 2016 au 26 avril 2016 du délai pour convoquer un comité de déontologie, délai prévu au paragraphe 41(2) de la Loi, ce qui n’a jamais été fait par l’autorité disciplinaire à l’égard de l’allégation 1 formulée contre chacun des membres visés. La prorogation demandée dans les dossiers de chacun des membres visés visait clairement une prorogation pour imposer des mesures disciplinaires, et on ne saurait invoquer ici une faute de frappe ou de transcription.

J’adhère au résumé que le RAD a fait de la situation, estimant que je ne saurais mieux dire : La convocation le 26 avril 2016 d’une audience pour l’allégation 1 excédait le délai prescrit d’un an, échu le 1er février 2016. De sorte qu’une audience devant le comité de déontologie ne pouvait pas être convoquée aux fins de l’allégation 1.

Donc quitte à recourir à la redondance dans mon choix de mots, je déclare nulle et non avenue, annulée et rayée :

- l’allégation 1 contenue dans l’avis d’audience disciplinaire signifié à [la membre visée].

[…]

ALLÉGATIONS

[5]  Au terme d’une enquête relevant du code de déontologie, de la modification de l’énoncé détaillé afin de préciser ce que sont les explications trompeuses et mensongères alléguées et de ma décision d’annuler l’allégation 1, la membre visée devait répondre des allégations suivantes [TRADUCTION] :

Allégation 2

Le ou vers le 17 juin 2015, à Thompson ou dans les environs, dans la province du Manitoba, [la membre visée] s’est comportée d’une manière déshonorante susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrevenant ainsi à l’art. 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé de l’allégation

1. Pendant toute la période en cause, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et affectée au Détachement de Thompson dans la Division D.

2. Le 17 juin 2015, vous avez fait une déclaration à l’équipe d'intervention en cas d'incident grave (EIIG) de la Nouvelle-Écosse au sujet de votre participation au dossier SIRP 2015-92139 (premier appel pour nuisance) et au dossier SIRP 2015-92294 (deuxième appel pour nuisance).

3. Dans votre déclaration, vous avez fourni des explications trompeuses et mensongères pour expliquer comment vous aviez décidé que vous ne pouviez pas arrêter [R.S.] et pour justifier votre décision de ne pas exécuter à son encontre l’ordonnance du tribunal du 8 janvier 2015, qui imposait les conditions suivantes à sa remise en liberté : qu’il s’abstienne de posséder et de consommer le moindre alcool; qu’il ne contacte pas ni ne communique avec [A.T.] sinon par l’entremise d’un tiers pour organiser une visite avec son enfant; et qu’il ne se trouve pas dans un rayon de 100 mètres de la résidence de [A.T.].

Voici les explications trompeuses et mensongères :

Page 76

« C’est ça que c’est, ça ne veut pas dire qu’on peut l’arrêter, à mon avis ce soir-là, dans le dossier dont on parle […]

Parce que si j’avais senti qu’on pouvait l’arrêter et, oui, vous savez quoi, on peut y aller. Maman n’est pas là, euh, je n’ai pas entendu pleurer un bébé. Oui, allons l’arrêter, je crois qu’on a des motifs raisonnables et probables et ça a rapport à la violence conjugale, ça serait différent. Mais ce qu’on, ça n’était pas ça, les circonstances que […] nous avions. »

Page 42

« […] OK? Euh, et ça, euh ça dit, euh, aucun contact ni communication avec [A.T.], sauf par l’entremise d’un tiers pour prendre des dispositions pour voir son enfant. Alors ça, et ensuite, il y en a d’autres là, mais euh, et ça dit aussi qu’il ne doit pas se trouver dans un rayon de 110 mètres de la résidence de la plaignante, […] lieu de travail, lieu de culte ou établissement d’enseignement. Alors c’est là que nous, [B.] et moi, le gendarme [V.] et moi avons eu la discussion, avons-vous vraiment des motifs pour l’arrêter? Y a-t-il vraiment ici un manquement, après qu’on a trouvé cette information. Et j’ai dit, je pense que c’est pas mal difficile de, comment peux-tu justifier d’arrêter quelqu’un quand il y a une tierce partie. […]

Page 44

« C’est là, et c’est là que nous en avons parlé, et j’ai dit je pense que c’est pas mal difficile, il est, il peut avoir, où sont les mots ici, accès, la tierce partie, peu importe, euh, pour avoir accès, vous avez la présence d’une tierce partie, et la tierce partie, la tierce partie est là. Ça ne me semblait pas raisonnable de dire qu’il prenne le bébé de trois mois, qu’il parte avec son bébé, qu’il prenne du temps avec le bébé, c’est un bébé de trois mois, en réalité, un bébé de trois mois d’habitude est allaité, la mère ne sera pas bien loin d’un bébé de trois mois. C’est juste l’instinct. Étant donné les éléments ce soir-là, ça n’aurait pas été une attente raisonnable. »

Page 50

« Le dossier du manquement était pour le weekend suivant, parce qu’on s’attendait d’y retourner [...]

[…] et on voulait aussi faire clarifier par la Couronne comment interpréter ça, avant de partir faire l’arrestation.

J’ai dit la dernière chose que je veux faire est de partir, de faire l’arrestation, alors qu’on est finalement, peut-être qu’on n’a pas de motifs, malgré ce qui est écrit ici, il y a [...]

(inaudible)

[...] cette exception pour s’occuper de l’enfant. Qu’il peut avoir accès si c’est organisé pour s’occuper de l’enfant. Étant donné l’état de sa cheville, il fait moins 30. Est-ce que j’aime ça? »

Allégation 3

Le ou vers le 16 décembre 2015, à Thompson ou dans les environs, dans la province du Manitoba, [la membre visée] s’est comportée d’une manière déshonorante susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrevenant ainsi à l’art. 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé de l’allégation

1. Pendant toute la période en cause, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et affectée au Détachement de Thompson dans la Division D.

2. Le 16 décembre 2015, vous avez fait une déclaration au Groupe de la responsabilité professionnelle [GRP] au sujet de votre participation au dossier SIRP 2015-92139 (premier appel pour nuisance) et au dossier SIRP 2015- 92294 (deuxième appel pour nuisance).

3. Dans votre déclaration, vous avez fourni des explications trompeuses et mensongères pour expliquer comment vous aviez décidé que vous ne pouviez pas arrêter [R.S.] et pour justifier votre décision de ne pas exécuter à son encontre l’ordonnance du tribunal du 8 janvier 2015, qui imposait les conditions suivantes à sa remise en liberté : qu’il s’abstienne de posséder et de consommer le moindre alcool; qu’il ne contacte pas ni ne communique avec [A.T.] sinon par l’entremise d’un tiers pour organiser une visite avec son enfant; et qu’il ne se trouve pas dans un rayon de 100 mètres de la résidence de [A.T.].

Voici les explications trompeuses et mensongères :

Page 25

« […] une discussion. Alors à un moment donné j’ai mis qu’il, il a, a comme refusé d’ouvrir la porte. Il a dit, vous savez, nous allons nous coucher, nous n’avons pas besoin de vous, tout va bien. En gros, tout va bien, allez-vous-en […]

Page 24

« Alors le bébé devait, oui, et pour autant que je sache, il partait. »

Page 30

« Oui, maman avait, non, elle ne restait que quelques jours, et les bottes qu’on voyait à la porte, c’étaient celles de la mère, c’est ça, ça n’était pas là, ça n’était pas dans l’appartement. »

[6]  Avec l’accord des parties, j’ai jugé les allégations 2 et 3 sur la foi du dossier qui m’a été présenté, ni l’une ni l’autre des parties n’ayant demandé à faire entendre des témoins. Le 10 juillet 2017, j’avisais les parties par courriel qu’après examen du dossier, je concluais que les allégations 2 et 3 n’étaient pas établies. J’indiquais que mon courriel consignait par écrit ce qui autrement aurait probablement été une décision rendue oralement sur les allégations 2 et 3, que la décision abrégée ne servait qu’à communiquer ma décision sur le fond des allégations, que les motifs restaient à venir. Par conséquent, le courriel était visé par la mise en garde que je me réservais le droit de fournir mes motifs et conclusions, de les étayer, de les clarifier et de les expliquer avec plus de détails dans la décision écrite que constitue la présente.

Argumentations sur les allégations 2 et 3

[7]  Le RAD prétend que la membre visée, dans ses déclarations à l’EIIG et au GRP, a fourni des explications trompeuses et mensongères pour expliquer comment elle avait décidé qu’elle ne pouvait pas arrêter l’homme rencontré le 24 janvier 2015 et pour justifier sa décision de ne pas exécuter à son encontre une ordonnance du tribunal. Le RAD prétend que d’avoir fourni ces explications contrevenait à l’article 7.1 du code de déontologie, une annexe au Règlement sur la Gendarmerie royale du Canada, 2014, DORS/2014-281.

[8]  Le Comité externe d’examen de la GRC (CEE) a proposé une analyse de la nature de la conduite qui évite de jeter le discrédit sur la Gendarmerie [ERC C 2015-001 (C 008), 22 février 2016], et j’adhère à son interprétation pour ce qui est de l’article 7.1 du code de déontologie.

[9]  Voici les commentaires du CEE formulés aux paragraphes 92 et 93 [TRADUCTION] :

Aux termes de l’art. 7 du code de déontologie, les « membres se comportent de manière à éviter de jeter le discrédit sur la Gendarmerie ». Cet article diffère, dans son libellé, de la disposition qu’il remplace, à savoir le par. 39(1) du Règlement de la GRC, qui interdisait aux membres d’agir ou de se comporter d’une façon scandaleuse ou désordonnée susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie. Le CEE et le commissaire ont établi que le critère dont le par. 39(1) commande l’application consiste à se demander si une personne raisonnable ayant connaissance de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités du travail policier en général et celles du travail à la GRC en particulier, serait d’avis que la conduite reprochée était a) scandaleuse et b) suffisamment liée à la situation professionnelle du membre pour justifier l’imposition de mesures disciplinaires contre lui. [...]

Dans l’art. 7 du code de déontologie, le fait de jeter le discrédit sur la Gendarmerie n’a plus pour condition l’adoption d’une conduite scandaleuse ou désordonnée. Toutefois, dans la version annotée 2014 du code de déontologie de la GRC, l’analyse de la conduite déshonorante visée à l’art. 7 reprend en bonne partie le critère établi sous le régime de l’ancien code; il y est dit en effet que le « comportement déshonorant est évalué à l’aide d’un test qui tient compte de la perception du comportement qu’aurait une personne raisonnable dans la société informée de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités policières en général et de celles de la GRC en particulier ». Les termes employés dans la version annotée 2014 du code concordent avec ceux dans lesquels d’autres services de police formulent le critère à appliquer pour déterminer qu’une inconduite est susceptible ou non de jeter le discrédit sur l’organisation. Comme le fait remarquer P. Ceyssens dans son ouvrage Legal Aspects of Policing, tome 2 [...], lorsque le libellé de la disposition législative ou réglementaire qui régit la conduite déshonorante renvoie à un comportement qui pourrait jeter ou est susceptible de jeter le discrédit sur le service de police, il n’est pas nécessaire de démontrer qu’un tel discrédit a effectivement été porté. La gravité de l’inconduite se mesure à la gravité de l’atteinte à la réputation et à l’image du service qu’entraînerait la mise au grand jour de la conduite reprochée. Pour effectuer une telle évaluation, il est nécessaire d’apprécier la conduite en fonction des attentes raisonnables de la population.

[10]  La RM avance que le RAD a tort d’invoquer l’article 7.1 et que la membre visée aurait dû avoir à répondre d’une allégation de manquement à l’article 8.1 du code de déontologie, dont voici la teneur :

Les membres rendent compte en temps opportun, de manière exacte et détaillée, de l’exécution de leurs responsabilités, de l’exercice de leurs fonctions, du déroulement d’enquêtes, des agissements des autres employés et de l’administration et du fonctionnement de la Gendarmerie.

[11]  Il est vrai qu’on lit à la p. 49 du Guide des mesures disciplinaires (le Guide) de novembre 2014 que l’article 7.1 du code de déontologie est à invoquer pour une variété de comportements « qui ne sont pas prévus par les autres dispositions » du code de déontologie. Cela ne signifie pas qu’il faille conclure que les allégations 2 et 3 sont non établies, invalides ou inapplicables, simplement parce que les faits ou omissions reprochés à la membre visée auraient pu ou auraient dû faire l’objet d’allégations en vertu de l’article 8.1, plus précis et applicable.

[12]  Se fondant sur les commentaires de la page 70 du Guide, la RM fait valoir que l’allégation d’inconduite en fonction de l’article 8.1 était indiquée, puisque le RAD alléguait finalement que l’inconduite en cause revenait à avoir menti à un supérieur dans une enquête interne, inconduite qui, selon le Guide, requiert la preuve que l’information fausse a été fournie délibérément ou intentionnellement. Je souligne que bien que le Guide mentionne l’exigence d’une intention, le libellé de l’article 8.1 ne le fait pas. En soi, un récit qui est incomplet, inexact ou périmé peut contrevenir à l’article 8.1, quelles qu’aient été les intentions du membre.

[13]  Cependant, puisque le RAD estime que les explications trompeuses et mensongères de la membre visée ont jeté le discrédit sur la GRC en contravention de l’article 7.1, l’utilisation des mots « trompeuses » et « mensongères » exigent forcément du RAD qu’il prouve non seulement la déficience des explications, mais aussi leur caractère délibéré et intentionnel. Étant donné l’énoncé détaillé fait des actes et des omissions de la membre visée, je ne crois pas avoir la liberté d’ignorer l’élément d’intention traduit par le choix des mots.

[14]  Le RAD fait valoir qu’en dépit des arguments de la membre visée qui contextualise ses explications pour en faire ressortir l’exactitude, certaines explications sont déraisonnables au point de devoir être considérées comme trompeuses et mensongères, et donc elles jettent le discrédit sur la Gendarmerie.

Déclaration à l’EIIG

[15]  Aux petites heures, le matin du 31 janvier 2015, on a trouvé dans son appartement A.T qui perdait beaucoup de sang par des blessures infligées au couteau, qui se sont avérées fatales. R.S., l’homme rencontré le 24 janvier 2015 lors de la seconde intervention à l’appartement, a été accusé de son meurtre. (Il en a été acquitté en avril 2017; le juge d’instance a conclu que c’est probablement A.T. elle-même qui s’était infligé les blessures fatales que portait son corps.)

[16]  Après avoir signé un protocole d’entente, la Province du Manitoba a confié à l’EIIG de la Nouvelle-Écosse le mandat de mener un examen externe indépendant sur toutes les enquêtes liées à la violence conjugale mettant en cause A.T. et R.S., et de faire ressortir toute culpabilité criminelle potentielle ainsi que les éventuelles lacunes dans la politique, les interventions opérationnelles et la formation. À tort ou à raison, ce mandat ouvrait la voie à des observations et à des recommandations de nature disciplinaire.

[17]  L’EIIG ne constitue pas une « cour canadienne »; ses conclusions n’entraînent pas l’application du paragraphe 23(2) des CC (déontologie), ni ne limitent le rôle de notre comité de déontologie dans son jugement de l’affaire de la membre visée. Il demeure nécessaire pour moi d’appliquer la norme de preuve de la prépondérance des probabilités dans l’évaluation à faire des renseignements en dossier. Les constatations et les opinions exprimées dans le rapport de l’EIIG n’ont pas pour effet d’obliger le comité de déontologie à expliquer pourquoi il ne partage pas ses opinions ni ne tire les mêmes conclusions que l’EIIG.

[18]  À la différence de l’EIIG lors de son enquête, le comité de déontologie a pu, pour ses fins, évaluer les explications de la membre visée à un enquêteur de l’EIIG à la lumière des réponses qu’elle a pu fournir conformément au paragraphe 15(3) des CC (déontologie), et des argumentations écrites fournies par sa RM. De plus, la preuve médico-légale constituée pour le procès criminel de R.S. qui établissait qu’A.T. s’était infligée elle-même les blessures qui lui ont été fatales n’a pas été mise à la disposition de l’EIIG avant qu’elle produise son rapport le 13 novembre 2015.

[19]  Au moment où il a été produit, l’avis d’audience disciplinaire signifié à la membre visée contenait l’allégation 1, soit une contravention à l’article 4.2 du code de déontologie pour avoir, le 24 janvier 2015, omis d’enquêter diligemment sur un autre incident de violence conjugale et omis d’arrêter R.S. pour manquement à son engagement. Pour les motifs donnés plus haut, cette allégation a été annulée, n’ayant pas été engagée dans la période prescrite. Donc, sauf dans la mesure où cela est nécessaire pour que je puisse trancher les allégations 2 et 3 qui demeurent, il n’est pas de mise pour moi de commenter la diligence de la membre visée à enquêter le 24 janvier 2015. L’enjeu qui demeure est de déterminer si les explications qu’elle a données à l’enquêteur de l’EIIG, et plus tard à celui du GRP, étaient trompeuses et mensongères.

[20]  Le RAD a fourni des argumentations écrites détaillant en quoi des parties précises de la déclaration de la membre visée à l’enquêteur de l’EIIG, auxquelles il est renvoyé par numéro de page, devaient être considérées trompeuses et mensongères.

Engagement (conditions au CIPC) / R.S. pouvait-il être arrêté?

Page 76

[21]  L’insuffisance alléguée de cet extrait semble prendre racine dans la déclaration de la membre visée qui dit avoir cru que le bébé et la mère d’A.T. étaient ensemble dans une chambre de la résidence lors des deux interactions avec A.T. L’argument du RAD met en cause l’importance accordée par la membre visée aux bottes qu’elle aurait vues dans la résidence et précise 1) que ni la grand-mère maternelle ni le bébé n’ont été vus dans la résidence; 2) qu’A.T. avait une blessure évidente à la cheville et 3) qu’il y avait des antécédents de violence conjugale.

[22]  Je ne vois rien de trompeur ni de mensonger dans cet extrait. Qu’elle ait eu raison ou non, la membre visée a exprimé son opinion : « […] ça ne veut pas dire qu’on peut l’arrêter, à mon avis ce soir-là, dans le dossier dont on parle. » Elle explique ensuite que si la grand-mère et le bébé n’avaient pas été là, les circonstances auraient été différentes, de la même manière qu’elles l’auraient été si la membre avait eu des motifs raisonnables et probables de croire à une agression par le conjoint. Quand elle a observé A.T., la membre visée n’a pas vu de signes de pleurs ou de contrariété. Bien qu’elle ne se soit pas informée de la cause de sa blessure à la cheville en discutant avec A.T., la membre visée a mentionné que d’après elle, la couleur des ecchymoses ne traduisait pas une blessure fraîche.

[23]  Les pièces déposées avec la réponse de la membre visée, conformément au paragraphe 15(3) des CC (déontologie), comportaient la preuve des qualifications professionnelles obtenues par la membre visée avant qu’elle n’entre au service de la GRC. Le RAD n’a pas contesté ces qualifications. J’admets que la membre visée a travaillé comme infirmière et qu’elle a des certificats en soins infirmiers critiques et d’urgence. J’admets aussi qu’à la vue des ecchymoses à la cheville d’A.T., elle a pu déterminer que la blessure était survenue entre 24 et 48 heures plus tôt, et qu’elle avait des raisons de conclure à l’absence de lien entre le blessure et l’appel auquel elle répondait.

[24]  D’autre part, étant donné la difficulté qu’A.T. avait à marcher, il était tout à fait raisonnable que la membre visée croie que la mère d’A.T. était présente pour l’aider à prendre soin du bébé.

[25]  Dans ses reproches relativement à cet extrait de la page 76, le RAD laisse presque entendre que les déclarations de la membre visée quand elle dit croire que la grand-mère et le bébé étaient présents sont carrément des mensonges – une affirmation qui ne tiendrait pas compte de la description détaillée faite par la membre visée de ses échanges avec A.T., et qui sous- entendrait aussi que le récit enregistré de l’autre membre, dans lequel il dit lui aussi avoir cru que la grand-mère et l’enfant étaient présents dans l’appartement, présentait des mensonges flagrants et délibérés. Au contraire, il est clairement établi selon la prépondérance des probabilités que la membre visée et l’autre membre, qu’après avoir pris connaissance des conditions qui semblaient avoir été imposées à R.S. selon le dossier électronique, ont discuté au bureau du Détachement de la difficulté que présenterait la présence de la mère et de l’enfant d’A.T. pour arrêter R.S. pour manquement à son engagement parce qu’il était en contact avec A.T. à une adresse où il lui était interdit de se trouver.

[26]  Il semble aussi que, du point de vue de la membre visée le soir en question, elle n’était pas prête à procéder à l’arrestation immédiate de R.S. pour manquement aux conditions de son engagement parce que la présence de la grand-mère et de l’enfant soulevait, selon elle, une possible justification légale que pourrait faire valoir R.S. et qui pourrait rendre l’arrestation illégale.

[27]  De manière générale, le RAD affirme que les explications de la membre visée sont déraisonnables et intéressées au point d’être trompeuses et mensongères. Qu’elles soient ou non conformes à la loi ou qu’elles reflètent ou non une juste application de la politique de la GRC en matière d’enquête sur la violence conjugale, je dois conclure que ce que la membre visée a dit dans cet extrait n’est ni déraisonnable ni intéressé au point d’être considéré trompeur et mensonger, selon la prépondérance des probabilités. Après avoir examiné l’ensemble du dossier, je ne suis pas convaincu que cet extrait constitue même une déclaration déraisonnable, surtout qu’il s’agit clairement de l’expression d’une opinion ou d’un degré de doute qu’elle avait à ce moment-là, et non du souvenir de faits ou de la description d’un comportement qui clairement serait sans fondement.

Pages 42 et 44

[28]  La première partie de l’extrait laisse entendre que la membre visée avait devant elle les conditions écrites de l’engagement pendant son entrevue et les paraphrasait, notamment l’interdiction pour R.S. d’être en contact ou de communiquer avec A.T. « sauf par l’entremise d’un tiers » pour pouvoir voir son enfant, et l’interdiction de se trouver dans un rayon de 100 mètres de la résidence d’A.T. La membre visée indique ensuite qu’elle et l’autre membre ont discuté à savoir s’ils avaient des motifs pour l’arrêter, compte tenu des conditions fixées pour voir l’enfant. « Comment peux-tu justifier d’arrêter quelqu’un quand il y a une tierce partie » semble être le problème que la membre visée se rappelait avoir pris en considération. Le RAD fait valoir que les termes des deux conditions (s’abstenir de communiquer et ne pas se trouver là) étaient tellement clairs que le moindre doute exprimé par la membre visée quant à son application, ou ses raisons pour hésiter à arrêter R.S. pour manquement aux conditions, ne pouvaient que constituer des explications trompeuses et mensongères. Je n’adhère pas à cette argumentation.

[29]  J’ai eu l’occasion d’examiner soigneusement l’enregistrement audio de la déclaration de la membre visée aux enquêteurs de l’EIIG et de la comparer à la transcription qui en a été faite. J’ai bien pris soin, dans mon évaluation de sa fiabilité et de sa crédibilité, de garder en tête l’utilisation limitée de l’attitude pour tirer des conclusions, et la nécessité d’examiner la cohérence interne et externe d’une narration et sa conformité à la prépondérance de la preuve. Cela dit, je n’ai trouvé aucune partie de sa déclaration, saisie dans l’enregistrement audio, que ce soit la manière de parler, l’intention, l’hésitation, l’intonation de la membre visée ou tout autre aspect possible de son attitude, qui traduise une stratégie visant à être évasive ou à tromper. Par ailleurs, comme je l’ai dit plus tôt, je considère que la membre visée et l’autre membre ont discuté de la façon dont l’exception prévue pour avoir accès à l’enfant pourrait compliquer le dépôt d’accusations de manquement aux conditions de son engagement à l’encontre de R.S.; c’est entre autres parce qu’ils percevaient cette complication et qu’ils n’ont pas pu trouver l’ordonnance du tribunal où figuraient les conditions qu’ils en sont venus à décider de ne pas retourner à l’appartement ce soir- là pour arrêter R.S. pour manquement aux conditions de son engagement.

Page 44

[30]  La membre visée exprime son opinion, à savoir qu’étant donné le froid et l’âge de l’enfant (la membre visée estime raisonnablement que le bébé est encore allaité par A.T.), il ne serait pas raisonnable de penser que l’enfant serait emmené ailleurs par R.S. pour sa visite. D’exprimer son opinion n’est ni trompeur, ni mensonger. Étant donné l’heure tardive à laquelle la membre visée et l’autre membre se sont rendus à l’appartement d’A.T. la deuxième fois, l’état d’ébriété de R.S. (mentionné seulement par l’autre membre) et son habillement (il portait seulement un caleçon boxeur), sa déclaration qu’ils s’en allaient se coucher, j’estime qu’il était improbable que R.S. allait quitter l’appartement ce soir-là, mais la membre visée ne dit jamais que c’est ce à quoi elle s’attend au moment où elle et l’autre membre ont quitté l’appartement la deuxième fois.

Page 50

[31]  Cet extrait comporte la déclaration de la membre visée que « le dossier du manquement était pour le weekend suivant, parce qu’on s’attendait d’y retourner […] et on voulait aussi faire clarifier par la Couronne comment interpréter ça, avant de partir faire l’arrestation. » Je ne considère pas que l’absence d’une inscription dans le dossier électronique ou d’une note manuscrite dans le carnet de la membre visée (faisant état de son désir de consulter la Couronne pour clarifier l’accès à l’enfant par l’entremise d’un tiers qui risquait, à ses yeux, de compliquer l’arrestation de R.S.) contredise sa réelle intention de retourner à l’appartement et d’arrêter R.S. s’il s’y trouvait et que la grand-mère, tierce partie, ne s’y trouvait plus, ou si elle était convaincue que la présence de la grand-mère et de l’enfant ne pouvait pas devenir une excuse que R.S. pourrait faire valoir afin de prévenir son arrestation légitime pour manquement aux conditions de son engagement.

[32]  Le Détachement venait d’adopter une règle selon laquelle toutes les demandes de conseil à la Couronne devaient être formulées par un superviseur plutôt que par les enquêteurs. Cette règle semblait liée aux conseils d’un procureur de la Couronne concernant surtout les décisions de demander la détention provisoire à l’arrestation. Certes, son désir d’obtenir une clarification aurait été corroboré si elle avait noté dans le dossier ou dans son carnet l’aspect qui la préoccupait, mais l’absence d’une telle note ne rend pas son explication trompeuse ou mensongère. De même, le fait qu’elle n’ait pas officiellement demandé conseil à la Couronne par l’entremise d’un superviseur ne rend ni trompeuse ni mensongère son explication qu’elle voyait une possible complication dans la manière d’appliquer les conditions d’interdiction de contact et d’accès à l’enfant imposées à R.S.

[33]  Je trouve raisonnable l’explication de la membre visée selon laquelle l’inscription qu’elle a faite dans son carnet ([TRADUCTION] « des vérifications au bureau montrent des manquements qui appellent un suivi – arrestation ») ne contredisent pas sa déclaration, à savoir que ce soir-là, elle ne croyait réellement pas avoir les motifs raisonnables et probables pour arrêter R.S. La membre visée donne une explication raisonnable pour cette inscription – elle ne signifiait pas qu’il existait des motifs pour arrêter R.S. pour manquement à ses conditions, elle signifiait qu’il fallait faire un suivi avant de procéder à une telle arrestation.

[34]  Le fait qu’on commence à travailler à un dossier pour le manquement avant de procéder à l’arrestation de R.S. n’établit pas que la membre visée avait trouvé des motifs pour l’arrestation immédiate de R.S. au retour au Détachement, après avoir discuté avec l’autre membre et après qu’il a trouvé dans le CIPC la trace des conditions imposées à R.S. Bien sûr, le fait que les supposées conditions imposées à R.S. n’aient été trouvées que dans une inscription au CIPC, et qu’on ait pas trouvé l’authentique document de cour qui formulait les conditions de son engagement signifiait qu’il manquait à la membre visée et à l’autre membre un élément essentiel pour procéder à l’arrestation de R.S. pour manquement aux conditions de son engagement. La politique de la GRC exige la copie de l’engagement officiel. La membre visée aurait pu demander à un superviseur ou à un collègue de trouver au tribunal même le document de cour énonçant les conditions imposées à R.S. pendant qu’elle était en congé ou en formation, mais l’absence d’une telle demande ne rend pas ses explications trompeuses ni mensongères.

[35]  Dans son entrevue, la membre visée avoue franchement qu’à ses quarts suivants, des quarts de jour typiquement occupés et assumés par les membres opérationnels d’une unique équipe de veille, elle ne s’est pas fait une priorité absolue de retourner à l’appartement d’A.T. pour mettre la main au collet de R.S. s’il contrevenait visiblement aux conditions de son engagement. Cet aveu n’est pas intéressé et ne rend pas ses explications litigieuses trompeuses ou mensongères.

Déclaration au GRP

[36]  Le RAD a fait ressortir certaines parties de la déclaration de la membre visée au GPR. Il a argumenté par écrit en quoi il les considère comme des explications trompeuses et mensongères.

Page 24

[37]  L’extrait tiré de la page 24 de la déclaration de la membre visée à un enquêteur interne de la GRC doit être remis en contexte, il faut prendre un extrait plus long de l’échange entre la membre visée et l’enquêteur à la page 24 :

[TRADUCTION]

 

[ENQUÊTEUR] :

Oui, mais ils vont demander pourquoi vous n’avez pas parlé à la mère deux fois, euh, avez-vous vu le bébé?

[MEMBRE VISÉE] :

Non, le bébé était dans la chambre, bébé dans la chambre avec la mère.

[ENQUÊTEUR] :

Ouais.

[MEMBRE VISÉE] :

Nous n’avions pas de raison de ne pas le croire, ça avait du sens.

[ENQUÊTEUR] :

Mais ensuite, ils vont demander, si le bébé dormait, pourquoi [R.S.] était-il là. [R.S.] n’a pas de défense comme la défense que vous soulevez...

[MEMBRE VISÉE] :

Um-hmm.

[ENQUÊTEUR] :

Il est là pour une visite avec le bébé, mais si le bébé dort, alors il devrait être parti.

[MEMBRE VISÉE] :

Alors le bébé oui, et pour autant que je sache, il partait.

[ENQUÊTEUR] :

Ok.

[MEMBRE VISÉE] :

Je, je ne peux pas dire ce qu’il allait faire après que nous soyons partis.

[ENQUÊTEUR] :

Ouais.

[MEMBRE VISÉE] :

Ce que je sais, c’est que pour nous, les raisons de notre présence là, de ce que j’ai vu, ça ne correspondait pas, pas même un peu, à un incident de violence conjugale, avec un film d’action à la télévision. Ça n’avait pas de sens. Quand on entend les gens crier et gueuler et c’est ça...

[ENQUÊTEUR] :

Mais ils regardent la télé tout le temps, alors ça n’est pas la première fois probablement qu’ils regardent un film d’action avec la télé forte, non, et, et

[MEMBRE VISÉE] :

Mais nous sommes à la porte et c’est tout ce qu’on entend.

[c’est moi qui souligne]

 

[38]  Remise en contexte, la déclaration de la membre visée selon laquelle pour autant qu’elle sache, R.S. allait quitter l’appartement n’est ni délibérément trompeuse ni mensongère. Elle poursuit pour préciser qu’elle ne pouvait pas dire ce qu’il ferait après qu’elle et l’autre membre allaient avoir quitté l’appartement. Il est vrai que la deuxième fois qu’elle s’est présentée à l’appartement avec l’autre membre, la membre visée a dit à l’enquêteur de l’EIIG que R.S. avait dit sans ouvrir la porte de l’appartement qu’ils s’en allaient se coucher, que tout allait bien et qu’ils pouvaient s’en aller. Une fois la porte ouverte, après que R.S. a baissé le volume de la télé, du film ou du programme qu’ils regardaient, il est vrai que la membre visée a dit à l’enquêteur de l’EIIG qu’A.T. aussi avait dit qu’ils allaient se coucher.

[39]  Mais que la membre visée se soit souvenue que R.S. et A.T. avaient mentionné leur intention d’aller se coucher ne rend pas sa déclaration litigieuse de la page 24 trompeuse ou mensongère.

[40]  Le RAD fait valoir que la déclaration litigieuse de la page 24 est trompeuse ou mensongère parce que la membre visée a fait une déclaration différente plus tôt à l’enquêteur de l’EIIG et dans sa réponse conforme au paragraphe 15(3) des CC (déontologie). Mais cette position ne tient pas compte de la précision que fait la membre visée à la page 24. Elle ne tient pas compte non plus du degré de scepticisme d’enquête que tous les policiers éprouvent quand on leur dit quelque chose pour les faire partir et mettre fin à leur intervention.

[41]  Il est certainement raisonnable d’interpréter la phrase « et pour autant que je sache, il partait » comme la manière pour la membre visée d’indiquer à l’enquêteur de la GRC qu’elle n’avait aucun indice fiable de ce que R.S. avait fait après qu’elle et l’autre membre ont quitté l’appartement la deuxième fois. Le fait que la membre visée ait ensuite indiqué dans sa réponse conforme au paragraphe 15(3) qu’elle avait vu R.S. en caleçon boxeur et qu’elle n’avait pas vu le tatouage mentionné dans le dossier électronique trouvé par l’autre membre une fois de retour au Détachement ne rend pas l’extrait litigieux trompeur ou mensonger. Il peut sembler contradictoire de dire « et pour autant que je sache, il partait » quand on observe de quelle manière R.S. était vêtu et qu’il ait dit avoir l’intention d’aller se coucher, mais même si c’est contradictoire, ça ne constitue pas une conduite déshonorante, surtout que la membre visée a fait une précision importante dans l’extrait litigieux.

[42]  Quand on comprend bien le contexte, cette déclaration litigieuse n’est pas une justification trompeuse ou mensongère offerte par la membre visée au soutien de son estimation qu’elle ne pouvait pas arrêter R.S. sur-le-champ pour manquement aux conditions. Il s’agit d’un commentaire spontané, fait en passant, qui a été suivi d’une importante précision dans un échange avec l’enquêteur interne sur la possibilité que R.S. puisse invoquer l’exercice légitime de son droit de visite à son enfant si le bébé dormait.

Page 30

[43]  Le RAD prétend que la membre visée a conclu sans justification que la mère d’[A.T.] ne resterait que quelques jours, que ce n’était qu’une présomption de sa part pour essayer de justifier ce qu’elle a fait le 24 janvier 2015. Au moment où la membre visée a parlé à l’enquêteur interne, elle avait déjà été interviewée pour les besoins de l’enquête de l’EIIG. Dans cette première déclaration à l’EIIG, la membre visée et l’enquêteur ont eu l’échange suivant, qui explique la déclaration litigieuse ultérieure de la membre visée et la met en contexte :

[TRADUCTION]

 

[MEMBRE VISÉE] :

Une fois qu’on a interprété ça, ...

[ENQUÊTEUR] :

Oui.

[MEMBRE VISÉE] :

... étant donné ce qu’on avait trouvé, j’ai, là-dessus, c’est moi qui ai dit au ...

[ENQUÊTEUR] :

Oui.

[MEMBRE VISÉE] :

... gendarme [V.], j’ai dit maman ne va pas être ...

[ENQUÊTEUR] :

(fait du bruit)

[MEMBRE VISÉE] :

là ...

[ENQUÊTEUR] :

Oui.

[MEMBRE VISÉE] :

... rendu à la fin de semaine.

[ENQUÊTEUR] :

Oui.

[MEMBRE VISÉE] :

Elle ne va pas rester pour toujours.

[ENQUÊTEUR] :

Oui.

[…]

 

[MEMBRE VISÉE] :

La maman est là. Ça ne me plaît pas, mais je pense que c’est ce qu’on peut faire de mieux pour le moment. On attend, jusqu’au week-end, on attend de revenir ...

[ENQUÊTEUR] :

Oui.

[MEMBRE VISÉE] :

... on va pouvoir l’accuser de bris de conditions.

[ENQUÊTEUR] :

Ok.

[MEMBRE VISÉE] :

Ils vont faire une erreur et ils vont ...

[ENQUÊTEUR] :

(fait du bruit)

[MEMBRE VISÉE] :

... en bris de conditions. Et ça va être clair ...

[ENQUÊTEUR] :

Oui.

[MEMBRE VISÉE] :

... à ce moment-là.

[44]  En prenant tout le contexte, la membre visée n’a jamais prétendu dans l’extrait litigieux avec le GRP que sa conclusion d’un séjour de quelques jours de la mère d’A.T. n’était rien de plus que sa perception que la présence de la grand-mère auprès du bébé dans l’appartement pourrait être vue comme une entrave à l’arrestation légitime de R.S. pour manquement à ses conditions. Que cette perception soutienne la stratégie de remettre un retour à l’appartement aux prochains quarts de la membre visée ne la rend ni trompeuse ni mensongère. Il ne m’est tout simplement pas possible de conclure, au terme de l’examen de tous les renseignements du dossier, que cette perception qu’avait la membre visée était déraisonnable, ni que de faire part de sa perception à l’EIIG et de l’invoquer dans sa déclaration au GPR, était trompeur et mensonger.

CONCLUSION À L’ÉGARD DES ALLÉGATIONS

[45]  La membre visée s’est présentée à l’appartement d’A.T. à deux reprises le soir du 24 janvier 2015. Les deux appels étaient pour de la « nuisance » et avaient été logés par téléphone par le résident de l’appartement situé sous celui d’A.T. Sans faire l’inventaire de tous les renseignements obtenus par la membre visée lors de ces deux interventions, de ce qu’elle y a observé et de l’idée qu’elle en est venue à se faire de la situation, je conclus que la membre visée a raisonnablement cru qu’il n’y avait pas eu de violence ou d’abus perpétré par le partenaire de la femme ce soir-là dans l’appartement. Un autre membre qui aurait fait ces interventions aurait pu pousser l’enquête plus loin sur les lieux mêmes, quoiqu’un policier doit toujours pouvoir motiver en droit l’entrée dans une résidence privée.

[46]  La membre visée a pu déterminer, de bonne foi, que les cris, les pleurs et les injonctions d’appeler la police décrits par le plaignant ne provenaient pas d’A.T. et de R.S., étant donné, à tout le moins, le volume fort des dialogues émanant de la télé à l’intérieur de l’appartement d’A.T. lors des deux visites, et étant donné l’apparence physique et l’attitude d’A.T., l’absence d’une plainte ou d’une crainte exprimée pour sa sécurité lors de ses deux interactions avec la membre visée et l’autre membre.

[47]  Les allégations 2 et 3 renvoient à certaines explications fournies par la membre visée dans ses déclarations aux enquêteurs de l’EIIG et du GRP. Pour chacune de ces allégations, les extraits retenus constitueraient des explications trompeuses et mensongères de la membre visée pour expliquer comment elle a décidé qu’elle ne pouvait pas arrêter [R.S.] et pour justifier sa décision de ne pas exécuter à son encontre l’ordonnance du tribunal du 8 janvier 2015, qui imposait des conditions à sa remise en liberté. Le RAD alléguait que d’avoir fourni ces explications constituait une conduite déshonorante, en contravention de l’article 7.1 du code de déontologie.

[48]  J’ai fourni dans ces pages mon analyse de chacune des déclarations reprochées à la membre visée. Je confirme ma conclusion qu’aucune des déclarations litigieuses ne constitue une explication trompeuse ou mensongère; même prises ensemble, elles ne traduisent pas une intention trompeuse ou mensongère. Je ne considère aucune des déclarations reprochées si déraisonnable qu’elle doit être considérée comme trompeuse ou mensongère. Globalement, après avoir examiné la totalité du dossier, y compris l’évaluation des termes de l’engagement pris par R.S. et les circonstances dans lesquelles a travaillé la membre visée, selon la prépondérance des probabilités, je ne vois ni tromperie, ni mensonge dans sa manière d’expliquer ses actions ou son absence d’action dans l’enquête.

CONCLUSION

[49]  À l’égard de l’allégation 2, je conclus que l’allégation n’est pas établie.

[50]  À l’égard de l’allégation 3, je conclus que l’allégation n’est pas établie.

 

 

Le 15 janvier 2018

John A. McKinlay

Comité de déontologie

 

 

 

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