Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

Le membre visé, accompagné d’une autre membre, s’est présenté à un appartement à deux reprises en réponse à des plaintes de nuisance logées par une tierce partie. À la première intervention, le membre visé a parlé au plaignant et à la résidente, A.T. À la seconde intervention, près d’une heure plus tard, les membres ont parlé non seulement au plaignant et à A.T., mais aussi à un homme qui était dans l’appartement et qui s’est présenté sous un nom qui n’a pas donné de résultat dans le système du Centre d'information de la police canadienne (CIPC). À aucune des visites, A.T. n’a parlé de violence ni d’abus perpétré par un partenaire intime. Le membre visé a compris que le bébé de la femme dormait dans une chambre avec sa grand-mère maternelle.
De retour au Détachement, le membre visé a pris d’autres moyens pour identifier l’homme. Le membre visé a trouvé une photo qui semblait être de l’homme ainsi qu’une inscription électronique selon laquelle il avait signé un engagement qui lui interdisait de consommer de l’alcool, de se trouver à moins de 100 mètres de la résidence d’A.T. et de communiquer avec A.T, sauf par l’entremise d’un tiers pour exercer son droit de visite à son enfant. L’engagement n’a pas été localisé. Le membre visé et l’autre membre ont discuté à savoir s’ils avaient des motifs pour arrêter l’homme pour manquement à une ordonnance du tribunal, étant donné la présence de la grand-mère qui pouvait être vue comme caution pour une visite à son enfant. Le membre visé a travaillé à d’autres dossiers jusqu’à la fin de son quart, son dernier avant son congé hebdomadaire. Il n’a pas fermé le dossier, puisqu’il évaluait devoir poursuivre l’enquête.
Le membre visé a fait une déclaration à une équipe d'intervention en cas d'incident grave (EIIG) de l’extérieur de la province. Le membre visé devait répondre de deux allégations de ne pas s’être acquitté de ses fonctions avec diligence et d’avoir eu une conduite déshonorante en fournissant à l’EIIG des explications trompeuses et mensongères.
L’allégation de n’avoir pas enquêté diligemment a été annulée, pour avoir été formulée au-delà du délai de prescription d’un an prévu au paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC. Une prorogation de délai n’avait été obtenue que pour la tenue d’une rencontre disciplinaire, pas pour une audience disciplinaire. L’allégation portant sur les explications données à l’EIIG par le membre visé n’a pas été établie.

Contenu de la décision

Protégé A

2018 DARD 2

Logo de la Gendarmerie royale du Canada

GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

AFFAIRE DISCIPLINAIRE INTÉRESSANT LA

LOI SUR LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

ENTRE :

Le commandant de la Division D

(l’autorité disciplinaire)

et

le gendarme Bruce Verhaeghe, matricule 59094

(le membre visé)

Décision du comité de déontologie

John A. McKinlay

Le 15 janvier 2018

M. Denys Morel, représentant de l’autorité disciplinaire

M. Gordon Campbell, représentant du membre


 

TABLE DES MATIÈRES

SOMMAIRE  3

INTRODUCTION  5

Requêtes préliminaires  5

ALLÉGATION  7

Argumentations sur l’allégation 2  9

Déclaration à l’EIIG  12

Engagement (conditions au CIPC)  13

Pages 19, 24 et 25  13

Identifier R.S.  15

Page 20  15

Pages 23 et 24  15

État d’ébriété de R.S.  16

Pages 21 et 22  16

CONCLUSION À L’ÉGARD DE L’ALLÉGATION  17

CONCLUSION  18

 

 

SOMMAIRE

Le membre visé, accompagné d’une autre membre, s’est présenté à un appartement à deux reprises en réponse à des plaintes de nuisance logées par une tierce partie. À la première intervention, le membre visé a parlé au plaignant et à la résidente, A.T. À la seconde intervention, près d’une heure plus tard, les membres ont parlé non seulement au plaignant et à A.T., mais aussi à un homme qui était dans l’appartement et qui s’est présenté sous un nom qui n’a pas donné de résultat dans le système du Centre d'information de la police canadienne (CIPC). À aucune des visites, A.T. n’a parlé de violence ni d’abus perpétré par un partenaire intime. Le membre visé a compris que le bébé de la femme dormait dans une chambre avec sa grand-mère maternelle.

De retour au Détachement, le membre visé a pris d’autres moyens pour identifier l’homme. Le membre visé a trouvé une photo qui semblait être de l’homme ainsi qu’une inscription électronique selon laquelle il avait signé un engagement qui lui interdisait de consommer de l’alcool, de se trouver à moins de 100 mètres de la résidence d’A.T. et de communiquer avec A.T, sauf par l’entremise d’un tiers pour exercer son droit de visite à son enfant. L’engagement n’a pas été localisé. Le membre visé et l’autre membre ont discuté à savoir s’ils avaient des motifs pour arrêter l’homme pour manquement à une ordonnance du tribunal, étant donné la présence de la grand-mère qui pouvait être vue comme caution pour une visite à son enfant. Le membre visé a travaillé à d’autres dossiers jusqu’à la fin de son quart, son dernier avant son congé hebdomadaire. Il n’a pas fermé le dossier, puisqu’il évaluait devoir poursuivre l’enquête.

Le membre visé a fait une déclaration à une équipe d'intervention en cas d'incident grave (EIIG) de l’extérieur de la province. Le membre visé devait répondre de deux allégations de ne pas s’être acquitté de ses fonctions avec diligence et d’avoir eu une conduite déshonorante en fournissant à l’EIIG des explications trompeuses et mensongères.

L’allégation de n’avoir pas enquêté diligemment a été annulée, pour avoir été formulée au-delà du délai de prescription d’un an prévu au paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC. Une prorogation de délai n’avait été obtenue que pour la tenue d’une rencontre disciplinaire, pas pour une audience disciplinaire. L’allégation portant sur les explications données à l’EIIG par le membre visé n’a pas été établie.


MOTIFS DE LA DÉCISION

INTRODUCTION

[1]  Avec l’accord des parties, l’affaire a été jugée sur la foi du dossier présenté au comité de déontologie, constitué d’enregistrements audio des déclarations, des réponses du membre visé aux allégations conformément au paragraphe 15(3) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291 [CC (déontologie)], et d’autres documents présentés par le membre visé.

[2]  Le 26 avril 2016, j’ai été désigné à titre de comité de déontologie dans cette affaire. Le 15 novembre 2016, l’avis d’audience disciplinaire et les pièces de l’enquête ont été signifiés au membre visé. Dans le respect de la prorogation de délai accordée par le comité de déontologie, le membre visé a déposé ses réponses, conformément au paragraphe 15(3) des CC (déontologie) le 18 janvier 2017. Des conférences préparatoires ont été tenues les 8 février, 6 mars, 20 avril, 7 juin et 26 juin 2017. Avec l’accord de toutes les parties, toutes les conférences préparatoires après celle du 8 février 2017 ont aussi fait office de conférences préparatoires pour la collègue du membre visé, la gendarme P. (l’autre membre), dont l’affaire relevait d’un avis d’audience disciplinaire et d’un dossier d’enquête distincts, sur des allégations connexes. Une date d’audience commune a été fixée au 25 juillet 2017.

Requêtes préliminaires

[3]  À la conférence préparatoire du 6 mars 2017, j’ai donné au représentant de l’autorité disciplinaire (RAD) l’instruction de préciser les explications réputées mensongères et trompeuses dans l’énoncé détaillé de l’allégation 2. Le 19 avril 2017, le RAD a précisé par écrit quelles étaient les explications litigieuses, et ces précisions constituent une modification officielle de l’énoncé détaillé.

[4]  À la conférence préparatoire commune du 26 juin 2017, et après examen des arguments des parties sur la requête commune des membres visés pour que soit annulée l’allégation 1, j’ai jugé que l’allégation 1 de l’avis d’audience disciplinaire du membre visé devait être annulée. Le commissaire avait accordé la prorogation de délai demandée pour la tenue d’une rencontre disciplinaire, mais pas pour lancer une audience disciplinaire. J’ai résumé ainsi à l’écrit dans le procès-verbal de cette conférence préparatoire ma décision rendue alors oralement :

[TRADUCTION][…]

Je considère que la convocation d’un comité de déontologie pour juger l’allégation 1 formulée à l’encontre de chacun [des membres visés] date du 1er février 2016.

Je considère que relativement à l’allégation 1 telle que formulée à l’encontre de chacun [des membres visés], une prorogation de délai jusqu’au 2 mai 2016, n’a été accordée à l’autorité disciplinaire que pour imposer des mesures disciplinaires au moyen d’une rencontre disciplinaire.

Par conséquent, lorsque l’autorité disciplinaire a lancé la procédure du comité de déontologie contre chacun des membres visés le 26 avril 2016, en lien avec l’allégation 1 formulée à l’encontre de chacun des membres visés, je considère que cette mesure a été prise au-delà du délai prescrit d’un an pour ce faire, qui prenait fin le 1er février 2016.

Je considère que la prorogation accordée pour l’imposition de mesures disciplinaires par l’autorité disciplinaire du niveau voulu lors d’une rencontre disciplinaire ne constituait pas une prorogation pour entreprendre une procédure auprès d’un comité de déontologie au-delà du 1er février 2016. Il aurait fallu demander en vertu du paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (L.R.C. (1985), ch. R-10) la prorogation du 1er février 2016 au 26 avril 2016 du délai pour convoquer un comité de déontologie, délai prévu au paragraphe 41(2) de la Loi, ce qui n’a jamais été fait par l’autorité disciplinaire à l’égard de l’allégation 1 formulée contre chacun des membres visés. La prorogation demandée dans les dossiers de chacun des membres visés visait clairement une prorogation pour imposer des mesures disciplinaires, et on ne saurait invoquer ici une faute de frappe ou de transcription.

J’adhère au résumé que le RAD a fait de la situation, estimant que je ne saurais mieux dire : La convocation le 26 avril 2016 d’une audience pour l’allégation 1 excédait le délai prescrit d’un an, échu le 1er février 2016. De sorte qu’une audience devant le comité de déontologie ne pouvait pas être convoquée aux fins de l’allégation 1.

Donc quitte à recourir à la redondance dans mon choix de mots, je déclare nulle et non avenue, annulée et rayée :

- l’allégation 1 contenue dans l’avis d’audience disciplinaire signifié [au membre visé].

[…]

ALLÉGATION

[5]  Au terme d’une enquête relevant du code de déontologie, de la modification de l’énoncé détaillé afin de préciser ce que sont les explications trompeuses et mensongères alléguées et de ma décision d’annuler l’allégation 1, le membre visé devait répondre de l’allégation suivante [TRADUCTION] :

Allégation 2

Le ou vers le 18 juin 2015, à Thompson ou dans les environs, dans la province du Manitoba, [le membre visé] s’est comporté d’une manière déshonorante susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrevenant ainsi à l’art. 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé de l’allégation

1. Pendant toute la période en cause, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et affecté au Détachement de Thompson dans la Division D.

2. Le 18 juin 2015, vous avez fait une déclaration à l’équipe d'intervention en cas d'incident grave (EIIG) de la Nouvelle-Écosse au sujet de votre participation au dossier SIRP 2015-92139 (premier appel pour nuisance) et au dossier SIRP 2015-92294 (deuxième appel pour nuisance).

a) Dans votre déclaration, vous avez fourni des explications trompeuses et mensongères pour expliquer comment vous aviez décidé que vous ne pouviez pas arrêter [R.S.] et pour justifier votre décision de ne pas exécuter à son encontre l’ordonnance du tribunal du 8 janvier 2015, qui imposait les conditions suivantes à sa remise en liberté : qu’il s’abstienne de posséder et de consommer le moindre alcool; qu’il ne contacte pas ni ne communique avec [A.T.] sinon par l’entremise d’un tiers pour organiser une visite avec son enfant; et qu’il ne se trouve pas dans un rayon de 100 mètres de la résidence de [A.T.].

Voici les explications trompeuses et mensongères :

Page 19

« […] euh, j’ai fait sortir un imprimé du CIPC sur lui, qui en gros disait qu’il était accusé de voies de fait sur elle, qu’il n’était pas supposé avoir de contacts avec elle, euh, qu’il y avait, euh, des conditions sur l’endroit où il était censé résider, je crois, et je ne pense pas qu’il avait un couvre- feu ou quelque chose comme ça. Euh, la seule autre chose dont je me rappelle, c’est qu’il y avait quelque chose qui lui permettait d’être présent ou de communiquer par rapport à l’enfant […]. »

Pages 24-25

« Bien, nous, nous devions vraiment prouver que c’était lui, […] ok, il fallait aussi que nous sachions, euh, qu’il n’était pas là pour cette raison. En fait nous n’avions aucune raison de savoir pourquoi il était là ce soir- là. Alors nous ne savions pas s’il était là pour s’occuper du bébé, parce qu’elle ne se sentait pas bien, ou si la mère s’était arrangée pour qu’il soit là, […]

[…]

[…] ça ne disait pas qu’il ne pouvait pas se trouver à cet endroit, ça disait juste, il me semble, proche d’elle, n’est-ce pas?

Je pense à moins de cent mètres d’elle, n’est-ce pas?

[…] Je veux dire, ça se peut, vous savez, que ça puisse s’interpréter comme ça, n’est-ce pas?

Euh, il y a aussi toutes sortes de situations dans le Nord où les gens n’ont nulle part où aller vivre, […] alors ils pourraient s’être entendus qu’il viendrait à cet endroit, passer du temps avec les enfants, et qu’elle irait ailleurs, qu’ensuite elle reviendrait, quelque chose du genre.

Euh, elle, je ne pense pas qu’elle était en état pour aller ailleurs, juste à la voir et à lui parler, ce qu’elle disait. Elle avait beaucoup de douleur, elle ne se sentait pas bien. Elle, je, j’ai eu l’impression que c’est pour ça que sa mère était là, pour l’aider avec le bébé. »

Page 20

« Rendu là, il doit être, […] deux, trois heures du matin. Je finis à quatre heures.

Alors, je fais, je remplis le dossier, je dis que nous allons, nous allons devoir pousser l’enquête ici. Nous allons y retourner … euh, parler à la femme, … parler à l’homme, … l’identifier, prouver qu’il … est vraiment … ce [R.S.] en question, parce que tout ce qu’on a, c’est une photo qui ressemble à ce gars-là, … n’est-ce pas? Euh, ensuite, s’il vit là, ou s’il est en contact avec elle et qu’il n’est pas supposé, alors on l’arrêtera pour manquement à son engagement. »

Pages 23-24

[ENQUÊTEUR] « Mais vous pensiez que c’était [R.S.] »

[MEMBRE VISÉ] « Quand on a regardé la photo dans le SIRP … oui, oui.”

Pages 21-22

« Il avait l’air … saoul, oui. Bon, je n’ai, je n’ai pas senti d’alcool sur lui, … euh, je ne suis pas, je ne suis pas rentré bien loin dans l’appartement, j’étais … nous, il n’y avait, personne ne buvait.

Il n’y avait pas de preuve … euh, qu’il avait bu, euh, et nous n’avons absolument pas vu de boisson sur … lui … à ce moment-là. Oui, mais dans … mais dans mon rapport, oui,… ça, ça, vous savez, il avait l’air saoul.

Il avait l’air d’être … d’avoir consommé quelque chose. »

[6]  Avec l’accord des parties, j’ai jugé l’allégation 2 sur la foi du dossier qui m’a été présenté. Le représentant du membre (RM), dans son argumentation écrite, avait indiqué que si la preuve présentée en dossier me suffisait pour trouver l’allégation établie, il se réservait le droit de demander que le membre visé témoigne si sa crédibilité était mise en cause. Je n’ai pas eu à me prononcer sur l’à-propos de cette position, puisque le 10 juillet 2017, j’avisais les parties par courriel qu’après examen du dossier, je concluais que l’allégation 2 n’était pas établie. J’indiquais que mon courriel consignait par écrit ce qui autrement aurait probablement été une décision rendue oralement sur l’allégation 2, que la décision abrégée ne servait qu’à communiquer ma décision sur le fond des allégations, que les motifs restaient à venir. Par conséquent, le courriel était visé par la mise en garde que je me réservais le droit de fournir mes motifs et conclusions, de les étayer, de les clarifier et de les expliquer avec plus de détails dans la décision écrite que constitue la présente.

Argumentations sur l’allégation 2

[7]  Le RAD prétend que le membre visé, dans ses déclarations à l’EIIG, a fourni des explications trompeuses et mensongères pour expliquer comment il avait décidé qu’il ne pouvait pas arrêter l’homme rencontré le 24 janvier 2015 et pour justifier sa décision de ne pas exécuter à son encontre une ordonnance du tribunal. Le RAD prétend que d’avoir fourni ces explications contrevenait à l’article 7.1 du code de déontologie, une annexe au Règlement sur la Gendarmerie royale du Canada, 2014, DORS/2014-281.

[8]  Le Comité externe d’examen de la GRC (CEE) a proposé une analyse de la nature de la conduite qui évite de jeter le discrédit sur la Gendarmerie [ERC C 2015-001 (C 008), 22 février 2016], et j’adhère à son interprétation pour ce qui est de l’article 7.1 du code de déontologie.

[9]  Voici les commentaires du CEE formulés aux paragraphes 92 et 93 [TRADUCTION] :

Aux termes de l’art. 7 du code de déontologie, les « membres se comportent de manière à éviter de jeter le discrédit sur la Gendarmerie ». Cet article diffère, dans son libellé, de la disposition qu’il remplace, à savoir le par. 39(1) du Règlement de la GRC, qui interdisait aux membres d’agir ou de se comporter d’une façon scandaleuse ou désordonnée susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie. Le CEE et le commissaire ont établi que le critère dont le par. 39(1) commande l’application consiste à se demander si une personne raisonnable ayant connaissance de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités du travail policier en général et celles du travail à la GRC en particulier, serait d’avis que la conduite reprochée était a) scandaleuse et b) suffisamment liée à la situation professionnelle du membre pour justifier l’imposition de mesures disciplinaires contre lui. [...]

Dans l’art. 7 du code de déontologie, le fait de jeter le discrédit sur la Gendarmerie n’a plus pour condition l’adoption d’une conduite scandaleuse ou désordonnée. Toutefois, dans la version annotée 2014 du code de déontologie de la GRC, l’analyse de la conduite déshonorante visée à l’art. 7 reprend en bonne partie le critère établi sous le régime de l’ancien code; il y est dit en effet que le « comportement déshonorant est évalué à l’aide d’un test qui tient compte de la perception du comportement qu’aurait une personne raisonnable dans la société informée de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités policières en général et de celles de la GRC en particulier ». Les termes employés dans la version annotée 2014 du code concordent avec ceux dans lesquels d’autres services de police formulent le critère à appliquer pour déterminer qu’une inconduite est susceptible ou non de jeter le discrédit sur l’organisation. Comme le fait remarquer P. Ceyssens dans son ouvrage Legal Aspects of Policing, tome 2 [...], lorsque le libellé de la disposition législative ou réglementaire qui régit la conduite déshonorante renvoie à un comportement qui pourrait jeter ou est susceptible de jeter le discrédit sur le service de police, il n’est pas nécessaire de démontrer qu’un tel discrédit a effectivement été porté. La gravité de l’inconduite se mesure à la gravité de l’atteinte à la réputation et à l’image du service qu’entraînerait la mise au grand jour de la conduite reprochée. Pour effectuer une telle évaluation, il est nécessaire d’apprécier la conduite en fonction des attentes raisonnables de la population.

[10]  Le RM a repris bon nombre des arguments juridiques mis de l’avant dans l’affaire concernant sa collègue, l’autre membre. Le RM avance que le RAD a tort d’invoquer l’article 7.1 et que le membre visé aurait dû avoir à répondre d’une allégation de manquement à l’article 8.1 du code de déontologie, dont voici la teneur :

Les membres rendent compte en temps opportun, de manière exacte et détaillée, de l’exécution de leurs responsabilités, de l’exercice de leurs fonctions, du déroulement d’enquêtes, des agissements des autres employés et de l’administration et du fonctionnement de la Gendarmerie.

[11]  Il est vrai qu’on lit à la p. 49 du Guide des mesures disciplinaires (le Guide) de novembre 2014 que l’article 7.1 du code de déontologie est à invoquer pour une variété de comportements « qui ne sont pas prévus par les autres dispositions » du code de déontologie. Cela ne signifie pas qu’il faille conclure que l’allégation 2 est non établie, invalide ou inapplicable, simplement parce que les faits ou omissions reprochés au membre visé auraient pu ou auraient dû faire l’objet d’allégations en vertu de l’article 8.1, plus précis et applicable.

[12]  Se fondant sur les commentaires de la page 70 du Guide, le RM fait valoir que l’allégation d’inconduite en fonction de l’article 8.1 était indiquée, puisque le RAD alléguait finalement que l’inconduite en cause revenait à avoir menti à un supérieur dans une enquête interne, inconduite qui, selon le Guide, requiert la preuve que l’information fausse a été fournie délibérément ou intentionnellement. Je souligne que bien que le Guide mentionne l’exigence d’une intention, le libellé de l’article 8.1 ne le fait pas. En soi, un récit qui est incomplet, inexact ou périmé peut contrevenir à l’article 8.1, quelles qu’aient été les intentions du membre.

[13]  Cependant, puisque le RAD estime que les explications trompeuses et mensongères du membre visé ont jeté le discrédit sur la GRC en contravention de l’article 7.1, l’utilisation des mots « trompeuses » et « mensongères » exigent forcément du RAD qu’il prouve non seulement la déficience des explications, mais aussi leur caractère délibéré et intentionnel. Étant donné l’énoncé détaillé fait des actes et des omissions du membre visé, je ne crois pas avoir la liberté d’ignorer l’élément d’intention traduit par le choix des mots.

[14]  Le RAD fait valoir qu’en dépit des arguments du membre visé qui contextualise ses explications pour en faire ressortir l’exactitude, certaines explications sont déraisonnables au point de devoir être considérées comme trompeuses et mensongères, et donc elles jettent le discrédit sur la Gendarmerie.

Déclaration à l’EIIG

[15]  Aux petites heures, le matin du 31 janvier 2015, on a trouvé dans son appartement A.T qui perdait beaucoup de sang par des blessures infligées au couteau, qui se sont avérées fatales. R.S., l’homme rencontré le 24 janvier 2015 lors de la seconde intervention à l’appartement, a été accusé de son meurtre. (Il en a été acquitté en avril 2017; le juge d’instance a conclu que c’est probablement A.T. elle-même qui s’était infligé les blessures fatales que portait son corps.)

[16]  Après avoir signé un protocole d’entente, la Province du Manitoba a confié à l’EIIG de la Nouvelle-Écosse le mandat de mener un examen externe indépendant sur toutes les enquêtes liées à la violence conjugale mettant en cause A.T. et R.S., et de faire ressortir toute culpabilité criminelle potentielle ainsi que les éventuelles lacunes dans la politique, les interventions opérationnelles et la formation. À tort ou à raison, ce mandat ouvrait la voie à des observations et à des recommandations de nature disciplinaire.

[17]  L’EIIG ne constitue pas une « cour canadienne »; ses conclusions n’entraînent pas l’application du paragraphe 23(2) des CC (déontologie), ni ne limitent le rôle de notre comité de déontologie dans son jugement de l’affaire du membre visé. Il demeure nécessaire pour moi d’appliquer la norme de preuve de la prépondérance des probabilités dans l’évaluation à faire des renseignements en dossier. Les constatations et les opinions exprimées dans le rapport de l’EIIG n’ont pas pour effet d’obliger le comité de déontologie à expliquer pourquoi il ne partage pas ses opinions ni ne tire les mêmes conclusions que l’EIIG.

[18]  À la différence de l’EIIG lors de son enquête, le comité de déontologie a pu, pour ses fins, évaluer les explications du membre visé à un enquêteur de l’EIIG à la lumière des réponses qu’il a pu fournir conformément au paragraphe 15(3) des CC (déontologie), et des argumentations écrites fournies par son RM. De plus, la preuve médico-légale constituée pour le procès criminel de R.S. qui établissait qu’A.T. s’était infligée elle-même les blessures qui lui ont été fatales n’a pas été mise à la disposition de l’EIIG avant qu’elle produise son rapport le 13 novembre 2015.

[19]  Au moment où il a été produit, l’avis d’audience disciplinaire signifié au membre visé contenait l’allégation 1, soit une contravention à l’article 4.2 du code de déontologie pour avoir omis, le 24 janvier 2015, d’arrêter R.S. pour avoir manqué à son engagement. Pour les motifs donnés plus haut, cette allégation a été annulée, n’ayant pas été engagée dans la période prescrite. Donc, sauf dans la mesure où cela est nécessaire pour que je puisse trancher l’allégation 2 qui demeure, il n’est pas de mise pour moi de commenter la diligence du membre visé à enquêter le 24 janvier 2015, ni sur son intervention en lien avec l’appel reçu le 31 janvier 2015. L’enjeu qui demeure est de déterminer si les explications qu’il a données à l’enquêteur de l’EIIG étaient trompeuses et mensongères.

[20]  Le RAD a fourni des argumentations écrites détaillant en quoi des parties précises de la déclaration du membre visé à l’enquêteur de l’EIIG devaient être considérées trompeuses et mensongères.

Engagement (conditions au CIPC)

Pages 19, 24 et 25

[21]  Il importe de préciser que le membre visé a été interviewé par l’EIIG le 18 juin 2015, à propos d’événements qui ont commencé le soir du 24 janvier 2015. Lors de l’entrevue, il semble que le membre visé n’ait pas eu devant lui l’imprimé du CIPC où figuraient les conditions imposées à R.S. qui limitaient ses contacts et communications avec A.T. et qui lui permettaient de prendre des mesures par l’entremise d’un tiers pour voir son enfant.

[22]  Par conséquent, pris isolément, il n’y a rien de trompeur ou de mensonger dans la déclaration du membre visé telle que transcrite dans l’extrait litigieux de la page 19. C’est le souvenir qu’a gardé le membre visé de l’imprimé du CIPC, que R.S. était accusé de voies de fait sur la personne d’A.T., qu’il n’était pas supposé avoir de contacts avec elle et qu’il y avait des conditions imposées au lieu où il pouvait résider, mais pas de couvre-feu. Le membre visé se rappelait encore qu’il y avait quelque chose qui permettait à R.S. de communiquer avec elle par rapport à l’enfant. Ce dernier souvenir ne correspond pas exactement et entièrement à la condition imposée à R.S. pour avoir accès à son enfant, mais il est clair, de la façon dont ce souvenir est formulé, qu’il ne prétend pas décrire avec précision les conditions d’accès à l’enfant. Dans cet extrait, rien de ce que dit le membre visé n’est une explication de sa compréhension des conditions qui soit trompeuse ou mensongère.

[23]  Lorsque le membre visé fait ses déclarations rendues dans l’extrait litigieux des pages 24 et 25, il est évident qu’il ne se rappelle d’aucune condition qui interdisait à R.S. de se trouver à l’adresse de l’appartement, mais seulement de l’exigence pour lui de ne pas se trouver à moins de 100 mètres d’A.T. C’est important, pour l’éclairage que cela jette sur les autres explications du membre visé. Vu l’évidente difficulté à marcher qu’éprouvait A.T., le membre visé a compris que la mère d’A.T. était là pour l’aider à prendre soin de l’enfant. La difficulté à marcher d’A.T. rendait peu probable, aux yeux du membre visé, qu’A.T. irait ailleurs pendant la visite à l’enfant que pourrait avoir planifiée R.S. Que le membre visé ait ou non envisagé qu’un tel argument invoqué lors d’une audience pour manquement aux conditions de l’engagement aurait pu être admis, il disait simplement « ça se peut, vous savez, que ça puisse s’interpréter comme ça, n’est- ce pas? »

[24]  Il peut sembler que l’engagement pris par R.S. était formulé clairement et sans équivoque, mais il est clair d’après la déclaration du membre visé que celui-ci percevait une possible complication du fait qu’A.T. n’était pas en mesure de quitter l’appartement où se trouvait l’enfant, qu’A.T. semblait avoir besoin d’aide pour prendre soin de l’enfant, et que, compte tenu de ce que connaissait le membre visé des « situations dans le Nord », il était peu probable que R.S. ait eu un endroit où aller, où emmener l’enfant pour exercer son droit de visite. Contrairement à ce qu’en dit le RAD dans son argument sur l’allégation 2, le membre visé n’a pas tiré la « conclusion » que R.S. pouvait être en contact avec A.T. pour visiter l’enfant parce que la mère d’A.T. était présente, il a simplement décidé qu’il faudrait pousser l’enquête à cet égard. Il avait clairement l’intention d’arrêter R.S. pour manquement à son engagement s’il pouvait identifier l’homme présent à l’appartement comme R.S. et si l’accès à l’enfant ne pouvait pas être invoqué pour contrer une accusation de manquement à son engagement portée à l’encontre de R.S.

Identifier R.S.

Page 20

[25]  L’extrait litigieux de la page 20 correspond tout à fait à l’entrée notée par le membre visé dans le dossier avec l’acronyme « SUI » (still under investigation – en cours d’enquête). Il expose à l’EIIG ce que ce complément d’enquête comporterait : parler à A.T., parler à R.S., confirmer que l’homme dans la photo est bien R.S., et ensuite « s’il vit là, ou s’il est en contact avec elle et qu’il n’est pas supposé, alors on l’arrêtera pour manquement à son engagement. ». La question de savoir avec quelle urgence il aurait fallu que le membre visé fasse ces compléments d’enquête s’est éteinte avec l’annulation de l’allégation 1. Il n’y a rien de trompeur, de mensonger ni même de franchement déraisonnable dans l’explication du plan d’action envisagé par le membre visé, ni dans la nécessité, selon lui, de suivre ce plan d’action. La question de déterminer avec quelle urgence il aurait fallu pousser l’enquête ne joue pas sur la décision à prendre à l’égard de l’allégation 2.

Pages 23 et 24

[26]  Le RAD prétend que la réponse du membre visé – « Quand on a regardé la photo dans le SIRP », il a cru que c’était R.S. – mine le doute subit du membre visé et la nécessité de retourner à l’appartement pour pousser l’enquête, « l’identifier, prouver qu’il … est vraiment… ce [R.S.] en question, parce que tout ce qu’on a, c’est une photo qui ressemble à ce gars-là, ... n’est-ce pas? » J’ai écouté attentivement l’ensemble de la déclaration enregistrée du membre visé. Il faut traiter avec prudence la preuve de l’attitude, et certainement éviter d’en faire le seul facteur de détermination de la crédibilité du témoin, mais il reste que le membre visé reconnaît spontanément et sans hésitation croire qu’il s’agit de R.S. dans la photo. Il n’y a certainement pas un degré élevé de certitude dans la phrase « une photo qui ressemble à ce gars-là » et il faut bien en tenir compte dans l’évaluation de la réponse litigieuse qui suit. À quel point le membre visé était convaincu qu’il s’agissait bien de R.S. dans la photo du SIRP, ce peut être pertinent pour décider de l’urgence à retourner à l’appartement et à pousser l’enquête sur le manquement aux conditions de l’engagement, voire sur le dépôt d’accusations, mais cela ne fait pas de ses réponses sur l’identification de R.S. des tromperies ou des mensonges. Bien qu’en soi, l’inscription du membre visé au dossier traduise un degré de certitude plus grand et qu’elle fasse état de l’assentiment de l’autre membre, à savoir : « [TRADUCTION] le gendarme [V.] a trouvé une photo dans le SIRP et lui et [l’autre membre] y reconnaissent l’homme auquel ils ont eu affaire comme étant [R.S.] DDN : 19XX-XX-XX », cela ne rend pas ses réponses trompeuses ou mensongères.

État d’ébriété de R.S.

Pages 21 et 22

[27]  L’argument du RAD au sujet de cette réponse par le membre visé repose sur le principe qu’il y avait suffisamment de preuve pour accuser R.S. de manquement à la condition qui lui interdisait de posséder et de consommer de l’alcool, et que l’aspect suffisant de la preuve ressort clairement de l’entrée faite par le membre visé dans le dossier : « [TRADUCTION] l’homme était visiblement saoul, il avait les yeux rouges et vitreux, il parlait de manière empâtée, il était hostile envers la police et a demandé à répétition à la police de partir pour qu’il puisse aller se coucher. » Je ne considère pas la réponse du membre visé comme trompeuse ou mensongère. L’autre membre n’a même pas noté que R.S. était saoul ni n’a laissé entendre qu’elle avait senti l’odeur de l’alcool quand elle s’est présentée à l’appartement. Cela corrobore les dires du membre visé à l’effet qu’il n’a pas senti d’alcool. Le membre visé a ouvertement confirmé avoir perçu l’état de R.S. comme de l’ébriété, mais (dans ce qui me semble être un effort de franchise quant au peu d’information dont il disposait pour conclure à l’ébriété de R.S.) il a détaillé ce qu’il a observé dans l’appartement. Personne ne buvait, « nous n’avons absolument pas vu de boisson sur lui à ce moment-là », mais R.S avait l’air d’avoir consommé quelque chose. Faute de preuve suffisante de possession ou de consommation d’alcool, une accusation immédiate de manquement à son engagement ne semblait ni approprié, ni légal.

CONCLUSION À L’ÉGARD DE L’ALLÉGATION

[28]  Le membre visé s’est présenté à l’appartement d’A.T. à deux reprises le soir du 24 janvier 2015. Les deux appels étaient pour de la « nuisance » et avaient été logés par téléphone par le résident de l’appartement situé sous celui d’A.T. Sans faire l’inventaire de tous les renseignements obtenus par le membre visé lors de ces deux interventions, de ce qu’il y a observé et de l’idée qu’il en est venu à se faire de la situation, je conclus que le membre visé a raisonnablement cru qu’il n’y avait pas eu de violence ou d’abus perpétré par le partenaire de la femme ce soir-là dans l’appartement. Un autre membre qui aurait fait ces interventions aurait pu pousser l’enquête plus loin sur les lieux mêmes, quoiqu’un policier doit toujours pouvoir motiver en droit l’entrée dans une résidence privée.

[29]  Même si le membre visé comprenait que l’homme dans l’appartement d’A.T. avait crié, le membre visé a déterminé de bonne foi qu’il n’y avait pas eu de violence conjugale entre A.T. et R.S. Le membre visé s’est fié pour ce faire à l’apparence et à l’attitude d’A.T., à l’absence d’une plainte ou d’une crainte exprimée pour sa sécurité lors de ses deux interactions avec le membre visé et l’autre membre.

[30]  L’allégation 2 renvoie à certaines explications fournies par le membre visé dans ses déclarations aux enquêteurs de l’EIIG. Les extraits retenus constitueraient des explications trompeuses et mensongères du membre visé pour expliquer comment il a décidé qu’il ne pouvait pas arrêter [R.S.] et pour justifier sa décision de ne pas exécuter à son encontre l’ordonnance du tribunal du 8 janvier 2015, qui imposait des conditions à sa remise en liberté. Le RAD alléguait que d’avoir fourni ces explications constituait une conduite déshonorante, en contravention de l’article 7.1 du code de déontologie.

[31]  J’ai fourni dans ces pages mon analyse de chacune des déclarations reprochées au membre visé. Je confirme ma conclusion qu’aucune des déclarations litigieuses ne constitue une explication trompeuse ou mensongère; même prises ensemble, elles ne traduisent pas une intention trompeuse ou mensongère. Je ne considère aucune des déclarations reprochées si déraisonnable qu’elle doit être considérée comme trompeuse ou mensongère. Globalement, après avoir examiné la totalité du dossier, y compris l’évaluation des termes de l’engagement pris par R.S. et les circonstances dans lesquelles a travaillé le membre visé, selon la prépondérance des probabilités, je ne vois ni tromperie, ni mensonge dans sa manière d’expliquer ses actions ou son absence d’action dans l’enquête.

CONCLUSION

[32]  À l’égard de l’allégation 2, je conclus que l’allégation n’est pas établie.

 

 

Le 15 janvier 2018

John A. McKinlay

Comité de déontologie

 

Date

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.