Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

Trois contraventions au code de déontologie ont été établies à l’encontre du membre visé relativement au harcèlement sexuel d’un employé de la fonction publique (EFP) en milieu de travail. À une occasion, l’EFP était au travail à un photocopieur lorsque le membre visé l’a approché par derrière, lui a saisi les fesses et a dit quelque chose comme « Tu as un beau cul ». À une autre occasion, l’EFP était assis avec des collègues à une table de la salle à manger lorsque le membre visé s’est assis à côté de lui, lui a saisi l’intérieur de la cuisse et a dit quelque chose comme « Tu as de belles jambes, n’est-ce pas les gars? ». À une troisième occasion, l’EFP était à son poste de travail lorsque le membre visé s’est approché de lui par derrière, a rentré sa main dans la chemise de l’EFP et a dit quelque chose comme « Oh, ce sont des beaux pectoraux que tu as là, ça ne se voit pas! » Le membre visé faisait des blagues, se livrait à des jeux physiques, mais tout le monde en milieu de travail savait que l’EFP n’aimait pas se faire toucher. En dépit de facteurs atténuants forts, la gravité de l’inconduite était telle que le congédiement du membre visé s’imposait.

Contenu de la décision

Protégé A

2018 DARD 10

Logo de la Gendarmerie royale du Canada

GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

AFFAIRE DISCIPLINAIRE INTÉRESSANT LA

LOI SUR LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

Entre :

Le commandant de la Direction générale

(l’autorité disciplinaire)

et

le membre civil Marco Calandrini, matricule C7996

(le membre visé)

Décision du comité de déontologie

Inspecteur James Robert Knopp

Le 12 juillet 2018

Sergent d’état-major Jon Hart, représentant de l’autorité disciplinaire

Mme Louise Morel, représentante du membre


Table des matières

CONTEXTE ET REQUÊTES PRÉLIMINAIRES  5

Requête en suspension d’instance  10

Conclusions relatives à la requête en suspension d’instance  16

TÉMOIGNAGES : Le membre visé, M. A et le sergent Marelic  18

Variantes dans les déclarations  21

Attente avant de porter plainte  24

ARGUMENTATIONS RELATIVES AUX ALLÉGATIONS : RAD  25

ARGUMENTATIONS RELATIVES AUX ALLÉGATIONS : RM  29

Réfutation par le RAD  32

Décision relative aux allégations  33

Étape 1 : Identité  34

Étape 2 : Preuve des actes allégués  34

Étape 3 : Les gestes et les mots du membre visé constituent-il du harcèlement sexuel en milieu de travail?  39

MESURES DISCIPLINAIRES  44

Observations du RAD  44

Preuve et argumentations par le RM  46

Décision relative aux mesures disciplinaires  49

 

 

Sommaire des constatations

Trois contraventions au code de déontologie ont été établies à l’encontre du membre visé relativement au harcèlement sexuel d’un employé de la fonction publique (EFP) en milieu de travail. À une occasion, l’EFP était au travail à un photocopieur lorsque le membre visé l’a approché par derrière, lui a saisi les fesses et a dit quelque chose comme « Tu as un beau cul ». À une autre occasion, l’EFP était assis avec des collègues à une table de la salle à manger lorsque le membre visé s’est assis à côté de lui, lui a saisi l’intérieur de la cuisse et a dit quelque chose comme « Tu as de belles jambes, n’est-ce pas les gars? ». À une troisième occasion, l’EFP était à son poste de travail lorsque le membre visé s’est approché de lui par derrière, a rentré sa main dans la chemise de l’EFP et a dit quelque chose comme « Oh, ce sont des beaux pectoraux que tu as là, ça ne se voit pas! » Le membre visé faisait des blagues, se livrait à des jeux physiques, mais tout le monde en milieu de travail savait que l’EFP n’aimait pas se faire toucher. En dépit de facteurs atténuants forts, la gravité de l’inconduite était telle que le congédiement du membre visé s’imposait.


CONTEXTE ET REQUÊTES PRÉLIMINAIRES

[1]  Pendant toute la période en cause, le membre visé et le plaignant étaient tous les deux à l’emploi de la GRC au Groupe de la formation aux explosifs (GFE) au Collège canadien de police (CCP). Le membre visé est un membre civil de la Gendarmerie et le plaignant est un employé de la fonction publique.

[2]  Des allégations d’inconduite ont été soulevées. Le 26 novembre 2014, l’officier responsable par intérim à la fois du membre visé et du plaignant a pris connaissance de l’identité du membre visé et de la nature des allégations d’inconduite formulées contre lui. La GRC avait donc l’obligation légale de lancer des procédures déontologiques dans un délai d’un an à compter de cette date.

[3]  Le 10 septembre 2015, l’autorité disciplinaire, le surintendant principal Marty Chesser, a tenu une rencontre disciplinaire avec le membre visé et a établi trois allégations de contravention au code de déontologie. Le 5 octobre 2015, des mesures disciplinaires consistant en la confiscation de sa solde ont été imposées au membre visé pour chacune des trois contraventions au code de déontologie.

[4]  Le 1er mars 2016, l’autorité de révision, le commissaire adjoint Craig MacMillan, a signifié au membre visé un avis de demande, en application du paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, ch. R-10 [Loi sur la GRC], pour obtenir rétroactivement la prorogation du délai prévu pour convoquer une audience devant le comité de déontologie. À titre d’autorité de révision dûment désignée, le commissaire adjoint MacMillan a rappelé au membre visé son pouvoir discrétionnaire de « réviser une décision pour établir si une conclusion est manifestement déraisonnable ou si les mesures disciplinaires sont vraisemblablement disproportionnées avec la nature et les circonstances de la contravention », prévu au paragraphe 9(2) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291.

[5]  Dans l’avis de demande, le commissaire adjoint MacMillan renvoie au paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC qui stipule ce qui suit :

L’autorité disciplinaire ne peut convoquer une audience, relativement à une contravention au code de déontologie qui aurait été commise par un membre, plus d’un an après que la contravention et l’identité du membre en cause ont été portées à la connaissance de l’autorité disciplinaire qui tient ou fait tenir l’enquête.

[6]  Le commissaire adjoint MacMillan renvoie au paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la GRC, dont les parties pertinentes se lisent ainsi :

Le commissaire, s’il est convaincu que les circonstances le justifient, peut, de sa propre initiative ou sur demande à cet effet, après en avoir dûment avisé les membres intéressés, proroger les délais prévus aux paragraphes […] 41(2) […] pour l’accomplissement d’un acte; il peut également spécifier les conditions applicables à cet égard.

[7]  Le surintendant principal Raj Gill était le décideur désigné pour la demande de prorogation du délai prévu pour convoquer une audience devant le comité de déontologie. Le membre visé a contesté la demande du commissaire adjoint MacMillan en faisant valoir que cette démarche était frappée de prescription, l’obligation étant de convoquer une audience dans un délai d’un an. Le membre visé a aussi fait valoir qu’une telle prorogation lui serait défavorable, le passage du temps pouvant rendre défaillante la mémoire des témoins. Dans sa contestation de la demande du commissaire adjoint MacMillan, le membre visé a fait valoir que les critiques des médias et les pressions politiques avaient joué dans la décision de la GRC de demander une prorogation rétroactive. Le membre visé a aussi signalé au décideur, le surintendant principal Gill, qu’une prorogation de délai n’était pas justifiée suivant le critère établi par la Cour fédérale dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Pentney, 2008 CF 96 [Pentney], au paragraphe 31 :

Ce qu’il faut, c’est

a) qu’il y ait eu et qu’il y ait une intention constante de la part de la partie qui présente la requête de poursuivre l’appel;

b) que les moyens d’appel révèlent une cause défendable;

c) qu’il y ait une explication raisonnable pour le retard de la partie défaillante;

d) que la prorogation de délai ne cause aucun préjudice à l’autre partie.

[8]  Le 30 mars 2016, le surintendant principal Gill a reconnu les nouveaux facteurs soulevés et a donné au commissaire adjoint MacMillan l’occasion d’y répliquer, ce qu’il a fait le 6 avril 2016, en répondant surtout au critère de l’affaire Pentney. À son tour, le membre visé a remis une réfutation le 7 avril 2016. Le commissaire adjoint MacMillan a répliqué à la réfutation du membre visé dans un courriel adressé au surintendant principal Gill le 8 avril 2016.

[9]  Dans sa décision datée du 12 mai 2016, le surintendant principal Gill a rappelé son mandat découlant de la délégation du pouvoir du commissaire en fonction de l’affaire entendue par la Cour d’appel fédérale Grewal c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1985) 2 C.F. 263 (C.A.). Par souci de clarté, le surintendant principal Gill a cité l’extrait de cette décision qui dit que le pouvoir de proroger certains délais ne doit pas s’exercer arbitrairement ni par caprice et que le délai ne doit être prorogé que s’il existe des raisons valables de le faire.

[10]  Au paragraphe 22 de sa décision, après avoir résumé les arguments des parties, le surintendant principal Gill a établi qu’il existe un pouvoir d’accorder une prorogation de délai, prévu aux paragraphes 41(2) et 42(2) de la Loi sur la GRC. Il a établi que le paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la GRC :

[TRADUCTION] […] montre clairement l’intention du législateur d’autoriser le commissaire (ou son délégué) à accorder la prorogation du délai prévu aux paragraphes 41(2) et 42(2), lorsqu’il est convaincu que la prorogation est justifiée dans les circonstances.

[11]  Le surintendant principal Gill conclut dans le paragraphe suivant de sa décision :

[TRADUCTION] […] que le pouvoir conféré au paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la GRC n’est pas limité comme il est mentionné dans le jugement Grewal cité ici, sauf pour l’obligation de servir au membre un avis adéquat, à moins que cela ne doive pas être fait conformément au paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la GRC.

[12]  Le surintendant principal Gill a conclu qu’il n’y avait pas d’atteinte au droit à l’équité procédurale ni aux principes de justice naturelle, et en tenant compte de l’ensemble des circonstances, il a jugé que la prorogation était justifiée. Par conséquent, il a accordé une prorogation du 25 novembre 2015 au 2 juin 2016.

[13]  Le 30 mai 2016, le commissaire adjoint Macmillan a signé un avis à l’officier désigné dans lequel il demandait la tenue d’une audience devant le comité de déontologie conformément au paragraphe 41(1) de la Loi sur la GRC. Le 23 juin 2016, un avis d’audience devant le comité de déontologie a été produit qui renfermait les trois allégations que voici [TRADUCTION] :

Allégation 1

Les ou entre les 31 août 2012 et 29 octobre 2013, au [CCP] à Ottawa, dans la province de l’Ontario, ou dans les environs, le [membre visé] a manqué à son devoir de traiter les autres avec respect et courtoisie et il s’est livré à un comportement discriminatoire ou harcelant, en contravention de l’article 2.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé de l’allégation 1

1. À l'époque des faits, vous étiez un membre civil de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté au [GFE] au [CCP], dans la Province de l’Ontario.

2. À l’époque des faits, [M. A] était un employé de la fonction publique qui agissait comme administrateur de bureau/de cours au [GFE]. Vous ne supervisiez pas [M. A], mais vous pouviez lui confier diverses tâches administratives en lien avec vos fonctions.

3. Vous avez eu à l’égard de [M. A] un comportement irrespectueux et humiliant de nature à le rabaisser sexuellement en milieu de travail.

4. À une occasion alors que [M. A] utilisait le photocopieur, vous vous êtes approché de lui par derrière et l’avez harcelé sexuellement en posant d’abord la main sur ses fesses, puis en faisant glisser votre main vers l’intérieur de sa cuisse. Puis vous avez dit à [M. A] de manière suggestive « Tu as un beau cul ». Immédiatement, [M. A] vous a dit que votre contact physique était non désiré et qu’il vous interdisait de le toucher jamais. Vous avez répondu que ce n’était qu’une blague.

Allégation 2

Les ou entre les 31 août 2012 et 29 octobre 2013, au [CCP] à Ottawa, dans la province de l’Ontario, ou dans les environs, le [membre visé] a manqué à son devoir de traiter les autres avec respect et courtoisie et il s’est livré à un comportement discriminatoire ou harcelant, en contravention de l’article 2.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé de l’allégation 2

1. À l'époque des faits, vous étiez un membre civil de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté au [GFE] au [CCP], dans la Province de l’Ontario.

2. À l’époque des faits, [M. A] était un employé de la fonction publique qui agissait comme administrateur de bureau/de cours au [GFE]. Vous ne supervisiez pas [M. A], mais vous pouviez lui confier diverses tâches administratives en lien avec vos fonctions.

3. Vous avez eu à l’égard de [M. A] un comportement irrespectueux et humiliant de nature à le rabaisser sexuellement en milieu de travail.

4. À une occasion alors que [M. A] était assis dans la salle à manger, vous vous êtes assis à côté de lui et l’avez harcelé sexuellement en glissant votre main vers l’intérieur de sa cuisse. Vous avez ajouté à l’humiliation de [M. A] en disant à voix haute aux autres employés présents dans la salle à manger : « Tu as de belles jambes, n’est-ce pas les gars? Ha ha ha ha » Immédiatement, [M. A] vous a dit que votre contact physique était non désiré et qu’il vous interdisait de le toucher jamais. Vous avez répondu que ce n’était qu’une blague.

Allégation 3

Les ou entre les 31 août 2012 et 29 octobre 2013, au [CCP] à Ottawa, dans la province de l’Ontario, ou dans les environs, le [membre visé] a manqué à son devoir de traiter les autres avec respect et courtoisie et il s’est livré à un comportement discriminatoire ou harcelant, en contravention de l’article 2.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé de l’allégation 3

1. À l'époque des faits, vous étiez un membre civil de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté au [GFE] au [CCP], dans la Province de l’Ontario.

2. À l’époque des faits, [M. A] était un employé de la fonction publique qui agissait comme administrateur de bureau/de cours au [GFE]. Vous ne supervisiez pas [M. A], mais vous pouviez lui confier diverses tâches administratives en lien avec vos fonctions.

3. Vous avez eu à l’égard de [M. A] un comportement irrespectueux et humiliant de nature à le rabaisser sexuellement en milieu de travail.

4. À une occasion alors que [M. A] était assis à son bureau et travaillait, vous vous êtes approché de lui subrepticement et l’avez harcelé sexuellement en glissant votre main à l’intérieur de sa chemise et sur son torse, vous arrêtant sur sa poitrine. Vous avez ajouté à l’humiliation de [M. A] en disant à voix haute : « Oh, ce sont des beaux pectoraux que tu as là, ça ne se voit pas! ». Immédiatement, [M. A] vous a dit que votre contact physique était non désiré et qu’il vous interdisait de le toucher jamais. Vous avez répondu que ce n’était qu’une blague.

[14]  Le 30 mai 2016, j’ai été désigné à titre de comité de déontologie. Cette désignation me confère la compétence pour entendre ces allégations.

Requête en suspension d’instance

[15]  Il y a eu demande de contrôle judiciaire de la décision du surintendant principal Gill d’accorder à l’autorité de révision une prorogation de délai rétroactive pour convoquer une audience devant le comité de déontologie, et de la décision du commissaire adjoint MacMillan de convoquer une audience devant le comité de déontologie. Ces requêtes ont été produites en juin et en juillet 2016. Le 19 juillet 2016, j’ai convenu avec les parties de suspendre l’audience, étant donné que la décision attendue de la Cour fédérale à l’égard du contrôle judiciaire demandé aura une grande incidence sur nos procédures.

[16]  L’affaire a été entendue par la Cour fédérale en octobre 2017.

[17]  Le 19 janvier 2018, le juge Mosley de la Cour fédérale a rendu sa décision, référencée 2018 CF 52. Au paragraphe 49, il indique :

Ayant pris en compte les présentations des parties, les questions que la Cour doit prendre en considération quant à cette demande sont :

A. Quelle est la norme de contrôle judiciaire?

B. S’agit-il d’une demande prématurée?

C. La décision d’accorder la prorogation était-elle frappée de prescription?

D. Dans le cas contraire, la décision était-elle raisonnable?

[18]  En ce qui concerne la question A, conformément à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], le juge Mosley a jugé que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique.

[19]  En ce qui concerne la question B, concluant que la demande est prématurée, le juge Mosley a jugé aux paragraphes 59 à 61 inclusivement :

(59) Comme je l’expliquerai ci-dessous, je suis convaincu que la demande de prorogation n’était pas prescrite. Je suis donc d’accord avec le défendeur pour dire que la décision de proroger le délai était une décision interlocutoire dans le cadre du processus disciplinaire de la GRC. Comme il était toujours possible que le comm. adj. MacMillan demande une prorogation pour convoquer une audience après la fin de la période prescrite, il y avait un processus administratif en cours qui n’aurait pas été épuisé jusqu’à ce que chaque étape ouverte aux parties soit achevée.

(60) Le retard de la demande de prorogation n’est pas une circonstance exceptionnelle qui nécessiterait que la Cour s’immisce dans le processus administratif en cours de la GRC : Powell, ci-dessus, au paragraphe 33. Le demandeur aura tout de même droit au contrôle judiciaire afin de contester les résultats à la fin du processus.

(61) Il est trop tôt pour prédire la décision finale du comité de déontologie en ce qui concerne les procédures qui ont été suivies ou le bien-fondé des manquements allégués, ou celle du commissaire dans le cadre de l’appel. Il faut laisser le processus disciplinaire suivre son cours. La décision d’accorder une prorogation ne lie pas les décisions à venir prises par le commissaire. Il est utile de souligner que le commissaire qui examinerait la possibilité d’un appel ne serait pas le même qui était en poste lorsque ces décisions ont été prises. Le comité de déontologie peut formuler des conclusions favorables pour le demandeur et ces conclusions peuvent être confirmées par le commissaire. Si le résultat donne gain de cause au demandeur, celui-ci n’aurait nullement besoin de s’adresser à la cour pour demander réparation.

[20]  En ce qui concerne la question C à savoir si la décision était frappée de prescription, le juge Mosley a jugé au paragraphe 83, après analyse, que « l’expiration de la date prescrite n’empêchait pas le délégué du commissaire de décider d’accorder la prorogation. » La question de la norme devient importante pour trancher si la requête a été faite prématurément à la Cour fédérale

[21]  En ce qui concerne la question D sur le caractère raisonnable de la décision du surintendant principal Gill d’accorder la prorogation, le juge Mosley écrit aux paragraphes 84 à 94 :

(84) Mes conclusions selon lesquelles cette demande de contrôle judiciaire est prématurée et que la Loi sur la GRC accorde une prorogation après l’expiration du délai prescrit sont suffisantes pour disposer de la première demande. Cependant, si on estime que j’ai commis une erreur en ce qui concerne la première question, je ferai part de mes motifs entourant la conclusion selon laquelle la décision était raisonnable.

(85) Le demandeur affirme que le décideur n’a pas précisé ou formulé de circonstances justifiant une prorogation du délai prescrit. Par conséquent, il soutient que les motifs sont insuffisants pour permettre à l’instance décisionnelle de comprendre la raison pour laquelle le décideur a pris cette décision et pour permettre à la Cour de déterminer si la conclusion fait partie de l’éventail des résultats raisonnables. Selon le demandeur, les motifs présentés ne comportent aucun ordre d’idées qui pourrait raisonnablement amener le tribunal, compte tenu de la preuve dont il est saisi, à formuler une telle conclusion : Ryan c Law Society (Nouveau-Brunswick), 2003 CSC 20 (CanLII), au paragraphe 55, [2003] 1 R.C.S. 247; Nfld Nurses, ci-dessus, aux paragraphes 16, 19 et 22.

(86) Le défendeur affirme que les motifs étaient adéquats, puisqu’ils sont fondés sur une multitude de documents qui ont été présentés au décideur et qui fournissent une justification claire et intelligible de la décision : Nfld Nurses, ci- dessus, au paragraphe 16. Il n’est pas nécessaire que les motifs soient parfaits ou exhaustifs et ils doivent être examinés dans le contexte de la preuve, des présentations des parties et de la procédure : Nfld Nurses, ci-dessus, au paragraphe 18.

(87) Je suis d’accord avec le défendeur qui affirme que le décideur a bien pris en considération le dossier chargé dont il est saisi, y compris les documents qui font état des événements et de l’historique des procédures. Il a pu examiner les présentations écrites exhaustives du comm. adj. MacMillan et du demandeur. Il était convaincu que les circonstances justifiaient la prorogation. La Cour doit accorder une retenue considérable à cette décision et prêter une attention respectueuse aux motifs formulés ou qui pourraient être formulés à l’appui de la décision : Dunsmuir, ci-dessus, aux paragraphes 47 et 48. La Cour doit d’abord tenter de compléter la décision, au besoin, avant de tenter de la contourner : Nfld Nurses, ci-dessus, au paragraphe 12.

(88) Lorsqu’il s’agit d’appliquer la norme de la décision raisonnable, le rôle de la Cour n’est pas d’entreprendre une analyse complète du bien-fondé de la décision, mais de déterminer si les motifs formulés sont intelligibles et transparents et s’ils font partie d’un éventail de résultats acceptables en fonction de la preuve dont le décideur est saisi. J’estime que cela est le cas.

(89) Les circonstances qui justifient une prorogation du délai, lorsque le législateur a choisi de n’en préciser aucune, doivent être interprétées de façon générale et le décideur doit obtenir une grande latitude dans le respect de la primauté du droit. Dans ce cas-ci, le décideur a pris en considération les facteurs établis dans Grewal, ci-dessus, en ce qui concerne l’exercice du pouvoir de discrétion. Il était convaincu de l’existence d’une intention continue d’examiner les mesures disciplinaires imposées contre le demandeur dans le contexte des nouvelles procédures mises en oeuvre récemment par la GRC, que le demandeur ne subirait aucun préjudice grave, qu’il y avait une explication raisonnable pour le retard, que la demande était fondée et que d’autres facteurs penchaient en faveur de la prorogation. Ces facteurs ne sont pas en conjonction, Grewal, ci-dessus, aux paragraphes 11 à 14, et une prorogation peut être accordée même si l’un de ces facteurs n’est pas respecté : Canada (ministre du Développement des ressources humaines) c Hogervorst, 2007 CAF 41 (CanLII), au paragraphe 33, 154 ACWS (3e) 1238.

(90) Les allégations de harcèlement sexuel dans le milieu de travail étaient graves et ont été formulées dans le contexte d’une autre enquête sur la conduite du demandeur et de son retour au travail. Le milieu de travail faisait partie du CCP et fournissait des services à la police nationale du Canada et à d’autres organismes d’application de la loi. L’intérêt public nécessitait un examen approfondi des événements au CCP. L’examen du défaut de la décision initiale en matière de déontologie était fondé pour tenir compte des facteurs aggravants pertinents.

(91) Le retard au chapitre du traitement de la question de l’examen n’était pas excessif, compte tenu de l’historique de la question et du temps qu’il a fallu pour mener l’enquête initiale, organiser la rencontre disciplinaire et prendre une décision. Le retard s’est produit dans le contexte de changements majeurs dans les procédures disciplinaires au sein de la GRC et d’une augmentation accrue du nombre de manquements qui seraient traités dans le cadre d’une rencontre disciplinaire dans le même délai, comme l’a expliqué le comm. adj. MacMillan dans ses présentations au surint. pr. Gill. Il ne s’agissait pas simplement d’un manque de diligence ou d’une inattention administrative, comme le prétend le demandeur. L’organisation au complet s’adaptait aux nouvelles procédures. Leur mise en oeuvre a nécessité beaucoup de temps. Par conséquent, il n’était pas surprenant que l’enquête ne soit pas achevée avant le 5 octobre 2015 et qu’elle n’ait pas été portée à l’attention de l’autorité de révision avant le 7 janvier 2016.

(92) Le comm. adj. MacMillan a demandé conseil sur les mesures disciplinaires imposées au demandeur le jour après qu’il ait été informé des rencontres disciplinaires à la Direction générale au cours de l’année précédente. Cette demande a été présentée avant les reportages de la CBC portant sur l’inconduite au CCP. Le comm. adj. MacMillan a entrepris un examen en vertu de l’article 9 des CC (déontologie) une fois qu’il est revenu de son congé et qu’il a pris connaissance du rapport qu’il avait reçu le 19 février 2016. Le temps qu’il a fallu par la suite pour déposer la demande de prorogation n’était pas excessif, dans les circonstances.

(93) Le demandeur soutient qu’il subit un préjudice simplement en raison du fait qu’il risque maintenant que le comité de déontologie conclut que son comportement justifie un congédiement ou l’ordre de démissionner. Cela dit, à mon avis, il ne s’agit pas du genre de préjudice envisagé par les autorités en ce qui concerne l’exercice du pouvoir de discrétion d’accorder une prorogation du délai. Son argument selon lequel une prorogation lui causerait un préjudice en raison du passage du temps, du départ à la retraite de témoins clés et de la mémoire défaillante serait plus pertinent.

(94) Je constate que le dossier d’enquête, y compris les déclarations des témoins, a été conservé et serait fourni au comité de déontologie, si le demandeur demande qu’il soit pris en considération. Dans le cas contraire, l’audience se tiendrait de novo. Les faits dans cette affaire ne sont pas complexes et plusieurs éléments contenus dans le dossier indiquent que le demandeur ne les a pas contestés lorsque l’enquête initiale a été menée par le SPO et le GRP. Il pourra toujours contester les allégations ou présenter des éléments de preuve atténuant au comité de déontologie. Le délégué du commissaire était persuadé que dans ces circonstances, il n’y aurait aucun préjudice. À mon avis, il pouvait raisonnablement formuler cette conclusion.

[22]  Le juge Mosley a ensuite jugé qu’il n’y avait pas de renonciation au secret professionnel liant l’avocat à son client dans un courriel renfermant des conseils adressé au surintendant principal Marty Chesser, et que l’autorité de révision avait raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire dans les circonstances, sans interférence du commissaire. Ces questions précises n’ont pas été soulevées prématurément.

[23]  Au moment d’écrire ces lignes, je crois comprendre que les décisions du juge Mosley font l’objet d’un appel et qu’elles seront portées devant la Cour d’appel fédérale. Je crois aussi comprendre qu’une date n’a pas encore été fixée pour l’examen du bien-fondé de cet appel.

[24]  Le lundi 23 avril 2018, le représentant du membre (RM) m’a transmis sa plaidoirie sur les affaires qui auraient été portées prématurément devant la Cour fédérale. Le représentant de l’autorité disciplinaire (RAD) y a répliqué le mardi 1er mai 2018. Conformément aux souhaits exprimés par les parties de présenter une argumentation orale sur la requête en suspension d’instance, j’ai autorisé chacune des parties à résumer sa plaidoirie devant moi le mardi 22 mai 2018. J’ai aussi autorisé le RM à présenter une brève réfutation.

[25]  Le membre visé maintient que je n’ai pas la compétence voulue pour entendre cette affaire en raison de l’expiration du délai le 25 novembre 2015. De plus, le membre visé fait valoir que l’octroi d’une prorogation de délai rétroactive pour convoquer l’audience était frappé de prescription en application du paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC.

[26]  Aussi le membre visé demande la suspension de l’instance en invoquant que la décision rendue le 12 mai 2016 par le surintendant principal Gill d’accorder la prorogation du délai pour convoquer l’audience disciplinaire n’était pas justifiée dans les circonstances. En particulier, le membre visé fait valoir ces arguments :

  • Il y a eu rupture dans l’intention de l’autorité de révision d’obtenir la révision des mesures disciplinaires imposées et de convoquer une audience devant le comité de déontologie.
  • La décision de convoquer une audience devant le comité de déontologie ne révèle pas d’arguments qui permettent d’accorder une prorogation.
  • L’autorité de révision n’a pas fourni d’explications raisonnables pour le temps qu’il a mis à demander la prorogation du délai pour convoquer une audience devant le comité de déontologie.
  • Permettre qu’une audience soit convoquée à ce stade-ci, plus de cinq ans après les incidents allégués et dans le contexte de pressions politiques exercées sur la GRC pour qu’elle fasse preuve d’une discipline robuste, nuirait fortement à la capacité du membre visé de répondre de ces allégations.

[27]  Le RAD et le RM ont tous deux traité ces questions dans leurs argumentations écrites ainsi que dans les plaidoiries qu’ils ont faites devant moi le 22 mai 2018. En ce qui a trait au délai prescrit, le RAD maintient que le surintendant principal Gill a bien tenu compte des arguments à la fois du membre visé et de l’autorité de révision dans sa décision du 12 mai 2016, qui était raisonnable dans le contexte et à la lumière de toutes les circonstances pertinentes. En particulier, pour ce qui est des éléments présentés dans la liste par points du paragraphe précédent, le RAD a répliqué au paragraphe 26 de sa plaidoirie que comme le montre la jurisprudence, il n’est pas nécessaire de couvrir tous les points, qu’essentiellement, comme il ressort de la décision Grewal, ce qui compte est que justice soit rendue entre les parties.

Conclusions relatives à la requête en suspension d’instance

[28]  Je considère qu’il y a une question de critère préliminaire, à savoir si un délai de prescription devait ou non empêcher la GRC de tenter d’obtenir une prorogation de délai, en application du paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la GRC. Le juge Mosely n’a pas examiné la question de savoir si la requête concernant la rétroactivité avait été soulevée prématurément avant de trancher définitivement ce critère particulier. Au paragraphe 62 de son jugement :

Comme il a été souligné, ma conclusion que le processus administratif n’avait pas été achevé repose grandement sur la question de savoir si la prorogation du délai en vertu du paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la GRC était frappée de prescription.

[29]  Le juge Mosely conclut, au paragraphe 83 que « l’expiration de la date prescrite n’empêchait pas le délégué du commissaire de décider d’accorder la prorogation. » Par conséquent, je considère que cette question relative au critère a déjà été tranchée par le juge Mosely. À l’ouverture de l’audience le 22 mai 2018, à Ottawa, j’ai avisé les parties que je n’avais pas à trancher cette question particulière.

[30]  J’ai aussi avisé les parties que, dans l’éventualité où l’on m’imputerait une erreur pour ne pas avoir rendu cette décision, je fais mien le raisonnement du juge Mosely concernant cette question précise à savoir si un délai de prescription empêchait ou pas la GRC d’obtenir une prorogation en application du paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la GRC. Le juge Mosely a procédé à une analyse complète et fouillée des dispositions aux paragraphes 62 à 82 de son jugement avant de tirer ce que je considère être la bonne conclusion. En arrivant à sa décision, le juge Mosely prend en considération les mêmes arguments qui ont été amenés devant moi.

[31]  Pour ce qui est de la question au coeur de la requête, j’estime que la norme de contrôle judiciaire que devait appliquer le surintendant principal Gill pour rendre sa décision est celle de la décision raisonnable, plutôt que de la décision correcte, suivant l’orientation fournie par la Cour suprême du Canada dans la décision Dunsmuir au paragraphe 60.

[32]  Le surintendant principal Gill a été désigné pour trancher l’affaire entre le commissaire adjoint MacMillan et le membre visé. À titre d’arbitre de la GRC chargé de trancher une question qui met en cause l’intégrité et le professionnalisme de la GRC, je dois accorder à la décision du surintendant principal Gill un degré considérable de déférence, comme le posent les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale Elhatton c. Canada (Procureur général), 2013 CF 71 (CanLII) et Canada (Procureur général) c. Gill, 2007 CAF 305 (CanLII).

[33]  Les motifs fournis par le surintendant principal Gill n’étaient pas nombreux, mais je considère qu’ils étaient transparents, rédigés clairement et suffisants pour me permettre d’en analyser le caractère raisonnable.

[34]  Après avoir examiné les argumentations abondantes à la fois du membre visé et du commissaire adjoint MacMillan (l’autorité de révision), le surintendant principal Gill a appliqué le cadre d’analyse suggéré par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Grewal et précisé plus tard par le juge Lemieux de la Cour fédérale dans la décision Pentney. Il s’agit d’un critère à quatre éléments :

  • il y a intention persistante de poursuivre la demande ou l’appel;
  • la cause est défendable;
  • le retard a été raisonnablement expliqué;
  • la prorogation du délai ne cause pas de préjudice à l’autre partie.

[35]  Le surintendant principal Gill a jugé qu’il y avait intention persistante de poursuivre les procédures étant donné l’argument évoqué par le commissaire adjoint MacMillan selon lequel tous les dossiers disciplinaires touchés par le régime de la Loi sur la GRC modifiée en novembre 2014 devaient faire l’objet d’une révision. Il s’agit d’une conclusion raisonnable : le commissaire adjoint MacMillan, à la demande de l’État-major supérieur de la GRC, procédait à la révision des affaires au regard de la Loi sur la GRC modifiée afin d’évaluer si les modifications apportées à la loi relativement aux procédures disciplinaires de la GRC s’appliquaient. L’imposant volume de dossiers à réviser constituait une explication raisonnable pour le délai, et je suis d’accord. Il n’est pas difficile d’imaginer qu’un dossier dans lequel la décision avait été rendue en octobre 2015 n’ait pas pu être examiné adéquatement avant janvier 2016. Le délai a malheureusement souffert aussi de l’absence du commissaire adjoint MacMillan pour des raisons personnelles alors même que le dossier du membre visé était en cours de révision.

[36]  Il pourrait être tentant de spéculer sur l’influence qu’ont pu avoir des enjeux politiques ou médiatiques sur la révision faite du dossier du membre visé, mais je n’en ai trouvé aucune preuve tangible. Le commissaire adjoint MacMillan avait déjà entrepris sa révision (et demandé conseil sur les mesures disciplinaires imposées par l’autorité disciplinaire) au moment où les reportages auxquels renvoie le membre visé ont été diffusés. Le commissaire adjoint MacMillan a carrément dit que le commissaire s’était fait une idée dans ce dossier. Je ne trouve rien qui laisse entendre que son jugement a été influencé de quelque façon que ce soit par le commissaire ou par qui que ce soit d’autre.

[37]  À raison, à mon avis, le surintendant principal Gill a jugé que de permettre à l’affaire d’être entendue par un comité de déontologie dûment nommé n’entraînait pas de préjudice.

[38]  Étant donné l’analyse faite ici, je considère que la décision du surintendant principal Gill d’accorder à l’autorité de révision la prorogation du délai pour amener l’affaire devant un comité de déontologie était raisonnable. Il n’y aura pas de suspension d’instance.

[39]  Une fois cette décision rendue, l’audience pour juger du fond des allégations formulées à l’encontre du membre visé s’est ouverte le mercredi 23 mai 2018, à Ottawa, en Ontario.

TÉMOIGNAGES : Le membre visé, M. A et le sergent Marelic

[40]  Pendant toute la période visée par les trois allégations, M. A travaillait comme adjoint administratif au Groupe de la formation aux explosifs (GFE) au Collège canadien de police (CCP) à Ottawa, en Ontario. Dès son arrivée en 2009, M. A a senti qu’il n’était pas à sa place dans ce milieu où typiquement les employés s’agaçaient et se faisaient des blagues, eux qui pour beaucoup avaient un passé policier ou militaire (ou les deux, comme le membre visé) et avaient l’habitude de cette atmosphère de « vestiaire ».

[41]  Le GFE donnait de la formation sur les explosifs à d’autres organismes accrédités, principalement des services de police. Il y avait au début neuf instructeurs, dont le membre visé. Le domaine de spécialisation du membre visé était l’accès forcé à l’aide d’explosifs.

[42]  Le travail de M. A consistait à fournir de l’aide et du soutien aux instructeurs qui en avaient besoin, pour les aider à préparer et à donner les programmes de formation du GFE. En raison de réductions budgétaires, le nombre d’instructeurs a été réduit de neuf à quatre, et pour rendre les choses plus difficiles encore, l’un des quatre n’était disponible qu’à temps partiel. Ces problèmes de ressources ont occasionné pas mal de tension en milieu de travail. Les témoins ont tous affirmé que les tours et les blagues constituaient une façon de soulager la tension.

[43]  M. A a subi une partie des blagues et commentaires faits en milieu de travail. On le visait notamment pour sa façon de s’habiller; on l’a, entre autres, accusé de porter des pantalons « à marée haute » parce que le rebord de ses pantalons était haut. On l’a appelé « supermodèle », peut-être parce qu’il est grand et mince. Bien qu’il ne se rappelle pas d’une blague ou d’un tour en particulier, M. A dit qu’il y en a eu à connotation sexuelle et que pour des raisons personnelles, les blagues de cette nature le rendaient mal à l’aise.

[44]  M. A a relaté trois incidents distincts qui se sont produits pendant l’été de 2012. À propos de l’incident qui constitue le fondement de l’allégation 1, M. A travaillait au photocopieur, situé dans le secteur de l’immeuble où tous les instructeurs ont leurs bureaux.

[45]  M. A a dit qu’étant à proximité du photocopieur au moment de l’incident, le membre visé s’est approché de lui par derrière, qu’il a moulé sa main sur une de ses fesses et qu’il l’a fait glisser vers l’intérieur de sa cuisse. Le membre visé a dit quelque chose comme « Tu as un beau cul ». M. A lui a crié après et l’a sommé d’arrêter. Plus tard, après s’être calmé, M. A est allé voir le membre visé et lui a dit que ce qu’il avait fait était inapproprié et indésirable. M. A a dit que le membre visé lui avait dit que c’était juste une blague et qu’il ne recommencerait pas. M. A n’a pas signalé l’incident à qui que ce soit à ce moment-là.

[46]  Il n’y a eu aucun autre témoin de l’incident au photocopieur. Le membre visé dit que cet incident ne s’est jamais produit.

[47]  Un autre incident s’est déroulé dans la salle à manger du lieu de travail. Cet incident constitue le fondement de l’allégation 2. Un cours se donnait à ce moment-là, il y avait donc des instructeurs invités présents dans la salle à manger, en plus du personnel habituel du GFE. M. A était assis à la table à dîner lorsque le membre visé est venu s’asseoir à côté de lui. Selon le témoignage de M. A, en s’assoyant, le membre visé a mis sa main sur l’intérieur de sa cuisse et a dit quelque chose comme « Tu as de belles jambes, n’est-ce pas les gars? » et les gens autour de la table se sont mis à rire. M. A dit avoir été en colère et avoir dit au membre visé, probablement en français, d’enlever sa main. M. A dit que le membre visé avait dit que c’était juste une blague.

[48]  Le sergent Marelic a été témoin de l’incident, il était dans la salle à manger à ce moment-là. Il a vu le membre visé aller s’asseoir à côté de M. A et ce faisant, mettre sa main sur l’intérieur de la cuisse de M. A. Le sergent Marelic dit que M. A a crié en sentant la main posée sur lui et les gens assis autour de la table ont ri en entendant la réaction de M. A. Le sergent Marelic a témoigné que tout le monde savait au bureau que M. A n’aimait pas qu’on le touche.

[49]  Le membre visé reconnaît que cet incident s’est produit, mais il dit avoir posé sa main juste au-dessus du genou de M. A, et pas sur l’intérieur de sa cuisse. Le membre visé dit ne pas se souvenir des mots exacts qu’il a dits, mais il pourrait avoir dit quelque chose comme « Hey, sexy » en posant la main sur M. A.

[50]  M. A ne savait plus trop bien lequel de ces deux incidents s’était produit le premier. Toutefois, il a raconté un troisième incident qui, il en est sûr, s’est produit après les deux premiers. Dans ce troisième incident, détaillé dans l’allégation 3, M. A était assis à son bureau et travaillait avec le sergent d’état-major B, le directeur du GFE, à un tableur de calcul des coûts. Le membre visé s’est approché de M. A par derrière, et par-dessus son épaule a glissé sa main à l’intérieur du col ouvert de sa chemise et flatté sa poitrine en disant quelque chose comme « Tu as une belle poitrine ». M. A dit que le membre visé et le sergent d’état-major B ont ri tous les deux. M. A dit avoir crié au membre visé d’enlever sa main de sur lui. M. A dit se rappeler avoir entendu le sergent d’état-major B avoir dit au membre visé qu’il n’aurait « probablement pas dû faire ça. »

[51]  Le sergent d’état-major B n’a pas témoigné à notre audience et a indiqué dans ses déclarations ne pas se souvenir de cet incident.

[52]  Le membre visé dit avoir vu la chemise de M. A en partie déboutonnée et ouverte, et il avoue avoir mis sa main à l’intérieur de la chemise de M. A pour faire une blague.

[53]  M. A dit avoir dédain d’être touché et n’avoir consenti à aucun attouchement. Chaque fois, il a dit au membre visé ne pas vouloir qu’on le touche et de ne jamais recommencer. M. A a dit des incidents qu’ils avaient été intrusifs, humiliants et dégradants. Selon M. A, l’ensemble de ces incidents ont eu des conséquences fâcheuses considérables sur son travail et sur sa vie personnelle.

Variantes dans les déclarations

[54]  En contre-interrogatoire, M. A reconnaît avoir donné des versions différentes des détails de ces trois incidents dans différentes déclarations. Le RM a produit un tableau qui fait état de ces variantes. Le tableau a été déposé en preuve.

[55]  Au sujet des gestes qui auraient été posés en lien avec l’allégation 1 (l’incident au photocopieur), dans sa déclaration du 26 novembre 2014, M. A a dit que le membre visé « [TRADUCTION] m’a pris le cul et a fait glisser sa main le long de ma cuisse ». Dans une déclaration qu’il a faite quelques jours plus tard, M. A a dit qu’il lui avait « [TRADUCTION] pris le postérieur et a déplacé sa main vers l’intérieur de ma cuisse ». Dans sa déclaration du 6 décembre 2015, M. A dit que le membre visé a « [TRADUCTION] pris sa main gauche, qu’il l’a fait glisser sur mes fesses, comme autour de ma cuisse, genre vers l’avant ». Dans une déclaration qu’il a faite le 8 mars 2016, M. A a dit « [TRADUCTION] J’ai marché jusqu’au photocopieur, je lui ai fait face, j’ai pris mes papiers et les ai regardés, puis j’ai senti une main sur mes fesses ».

[56]  En ce qui a trait aux mots qu’aurait prononcés le membre visé lors de l’incident au photocopieur, M. A n’en a rien dit dans ses déclarations du 6 janvier 2015 et du 8 mars 2016. Dans sa déclaration du 26 novembre, M. A a dit « [TRADUCTION] Je suis sûr qu’il a dit quelque chose d’offensant, que j’avais un beau cul, je ne me rappelle pas… C’est le genre de blague qu’il fait et c’est pourquoi je ne m’en rappelle pas, parce que c’est arrivé tellement souvent, je ne pourrais pas me rappeler quelle blague il a faite à ce moment-là. » Dans le résumé qu’il a fourni quelques jours après sa déclaration du 26 novembre 2014, M. A a dit « [TRADUCTION] Je ne pense pas qu’il ait dit quoi que ce soit en approchant, mais il a dit quelque chose de méprisant, dans le genre “Tu as un beau cul.” »

[57]  D’autres variantes ont été soulevées encore au regard de l’allégation 1, notées par le RM et résumées dans le tableau fourni, au sujet (notamment) des mots que M. A aurait pu dire au membre visé, de l’ordre de « Ne fais plus ça », et à l’effet que d’autres auraient pu ou non être présents ou à proximité du photocopieur.

[58]  De même, à l’égard des gestes qui auraient été posés en lien avec l’allégation 2 (l’incident de la salle à manger), dans sa déclaration du 26 novembre 2014, M. A a dit que le membre visé « [TRADUCTION] s’est assis à côté de moi et en s’assoyant, il a mis sa main sur ma cuisse ». Dans le résumé qu’il a produit quelques jours plus tard, M. A a dit « [TRADUCTION] il a mis sa main sur l’intérieur de ma cuisse, soit en s’assoyant à côté de moi ou une fois qu’il a été assis, depuis sa chaise ». Dans sa déclaration du 6 janvier 2015, M. A a dit « [TRADUCTION] c’était soit en s’assoyant, soit juste après s’être assis, [le membre visé] a tendu sa main gauche vers moi et m’a attrapé la cuisse. » Dans sa déclaration du 8 mars 2016, M. A a dit « [TRADUCTION] Il s’est assis et comme il s’assoyait, il a mis la main sur l’intérieur de ma cuisse ».

[59]  En ce qui a trait aux mots qu’aurait prononcés le membre visé lors de l’incident dans la salle à manger, M. A n’en a mentionné aucun dans sa déclaration du 26 novembre 2014. Dans le résumé qu’il a produit quelques jours après sa déclaration du 26 novembre 2014, M. A a dit que le membre visé aurait dit, en agissant, « [TRADUCTION] Tu as de si belles jambes, pas vrai les gars? Hahahaha. » Dans sa déclaration du 6 janvier 2015, M. A a dit que le membre visé aurait dit « [TRADUCTION] Oh wow, supermodèle, tu as des jambes fermes ou belles. » Dans sa déclaration du 8 mars 2016, M. A a dit que le membre visé aurait dit que « [TRADUCTION] j’avais de belles jambes. »

[60]  D’autres variantes ont été soulevées encore au regard de l’allégation 2, notées par le RM et résumées dans le tableau fourni, au sujet (notamment) des mots que M. A aurait pu dire au membre visé, de l’ordre de « Ne fais plus ça » ou « Ne me touche pas », et à l’effet que d’autres auraient pu ou non avoir vu le membre visé le toucher dans la salle à manger.

[61]  De même, au sujet des gestes reprochés dans l’allégation 3 (l’incident au bureau de M. A), dans sa déclaration du 26 novembre 2014, M. A a dit « [TRADUCTION] J’étais juste assis à mon bureau, sur ma chaise, et il est arrivé derrière moi et a glissé sa main gauche sur ma poitrine et l’a baissée jusqu’à toucher ma cage thoracique, au-dessus de mes abdominaux ». Dans le résumé qu’il a produit quelques jours plus tard, M. A a dit que le membre visé « [TRADUCTION] s’était avancé sournoisement derrière moi et avait plongé sa main à l’intérieur de ma chemise, à partir du col, et avait glissé sa main sur ma poitrine et mon torse jusqu’à ce que sa main soit complètement à l’intérieur de ma chemise, juste au-dessus de mon estomac ». Dans sa déclaration du 6 janvier 2015, M. A a dit « [TRADUCTION] Arrivé de nulle part, [le membre visé] est derrière moi, il glisse sa main gauche sous ma chemise. Quand il a mis sa main dans ma chemise… je… à ce jour, je sens encore sa main sur ma poitrine. » Dans sa déclaration du 8 mars 2016, M. A a dit « [TRADUCTION] Je travaille à mon bureau, assis […] et parce que [le sergent d’état-major B] est debout à ma gauche, je ne peux pas voir [le membre visé] entrer dans le bureau, mais il entre et il glisse sa main dans ma chemise. »

[62]  En ce qui a trait aux mots qu’aurait prononcés le membre visé lors de l’incident au bureau de M. A, dans sa déclaration du 26 novembre 2014, M. A a dit « [TRADUCTION] Il a dit quelque chose comme “Oh, tu es bien bâti” ». Dans le résumé qu’il a produit quelques jours après sa déclaration du 26 novembre 2014, M. A a dit « [TRADUCTION] Il a dit “Oh, ce sont des beaux pectoraux que tu as là, ça ne se voit pas!” ». Dans sa déclaration du 6 janvier 2015, M. A a dit « [TRADUCTION] Il a dit “Oh, mon Dieu! Tu as une belle poitrine!” » Dans sa déclaration du 8 mars 2016, M. A a dit « [TRADUCTION] Il a dit quelle belle poitrine, pas étonnant que tu sois un supermodèle.” »

[63]  D’autres variantes ont été soulevées encore au regard de l’allégation 3, notées par le RM et résumées dans le tableau fourni, au sujet (notamment) des mots que M. A aurait pu dire au membre visé, de l’ordre de « Ne fais plus ça » ou « Ne me touche pas », et à l’effet que ce soit le sergent d’état-major B qui était présent ou où celui-ci aurait pu se trouver exactement, ou si le sergent d’état- major B a dit ou non quelque chose au membre visé, à l’effet qu’il ne devrait pas toucher M. A.

Attente avant de porter plainte

[64]  M. A a dit qu’il n’avait pas signalé ces incidents parce qu’il savait qu’il aurait fallu les signaler à son superviseur, le sergent d’état-major B, qui lui semblait bien disposé à l’égard du membre visé. M. A estimait que le sergent d’état-major B participait volontiers aux jeux physiques au bureau, et certainement à l’incident qui s’est déroulé au bureau de M. A (allégation 3).

[65]  Une enquête interne (code de déontologie) a été ouverte sur le membre visé à propos d’incidents de nudité en milieu de travail et un enquêteur interne a rencontré M. A le 25 avril 2014 afin de prendre sa déclaration. M. A a dit que l’enquêteur interne l’avait averti qu’il était là pour enquêter uniquement sur les incidents de nudité et qu’ils ne pourraient pas parler de quoi que ce soit d’autre. C’est pourquoi, le 25 avril 2014, M. A dit ne rien avoir dit à propos des trois incidents qui ont fini par donner lieu à notre audience.

[66]  M. A a témoigné de ses efforts constants pour rationaliser le comportement du membre visé, au point d’en arriver à se demander si le membre visé pouvait être gay. Mais somme toute, M. A était d’avis que le comportement du membre visé correspondait au type d’humour obscène qui régnait typiquement au GFE et auquel participait fréquemment et activement le membre visé.

[67]  De temps à autre, pendant que le membre visé et M. A travaillaient ensemble, les deux allaient dîner ensemble dans des restaurants autour du CCP. Parfois, d’autres personnes les accompagnaient et parfois, ils étaient seuls tous les deux. Il n’y a pas eu de comportement inapproprié à ces occasions. Souvent, le membre visé a payé le lunch de M. A.

[68]  Le membre visé a fini par être suspendu en mai 2014; il ne travaillait donc plus dans le même milieu de travail que M. A. M. A. était au courant des allégations de contravention au code de déontologie formulées à l’encontre du membre visé pour nudité en milieu de travail. Il savait que des procédures disciplinaires avaient été entreprises et savait qu’une confiscation de sa solde avait été imposée au membre visé. M. A a dit qu’autour de lui en milieu de travail, il se trouvait toujours des gens pour lui rappeler que le membre visé serait bientôt de retour dans son milieu de travail. M. A était très mal à l’aise à l’idée de devoir retravailler avec le membre visé.

[69]  En fin de compte, à une assemblée générale à laquelle étaient présents certains membres d’un syndicat, M. A s’est convaincu qu’il devait signaler officiellement ce qu’il lui était arrivé. Il a approché un représentant syndical qui l’a conseillé et aiguillé. Le 25 novembre 2014, M. A a suivi ses conseils et s’est adressé à son superviseur au GFE, le sergent d’état-major Jean Séguin, à qui M. A a brièvement résumé ce que le membre visé avait fait. Puisque la journée de travail s’achevait, le sergent d’état-major Séguin a donné à M. A l’instruction de revenir le lendemain et c’est à ce moment-là qu’une version plus précise et détaillée des événements lui a été donnée.

[70]  M. A savait que la haute direction consultait les Services juridiques de la GRC pour décider des prochaines étapes. M. A s’est fait dire par la haute direction de se présenter au Service de police d’Ottawa (SPO) pour déposer une plainte officielle d’agression sexuelle. M. A a fait une déclaration le 6 janvier 2015 à un enquêteur du SPO parce qu’il s’est présenté en personne au quartier général du SPO et a demandé la tenue d’une enquête.

ARGUMENTATIONS RELATIVES AUX ALLÉGATIONS : RAD

[71]  Ces allégations ont été formulées conformément aux dispositions du code de déontologie qui traitent du harcèlement sexuel en milieu de travail plutôt qu’aux habituelles dispositions de conduite déshonorante. Par conséquent, pour établir une allégation de cette nature, il faut appliquer un critère un peu différent. Le Guide des mesures disciplinaires de la GRC adopte la définition du harcèlement du Conseil du Trésor :

« Harcèlement » s’entend d’un comportement inopportun et offensant, d’un individu envers un autre individu en milieu de travail, y compris pendant toute activité ou dans tout lieu associé au travail, et dont l’auteur savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’il pouvait offenser ou causer préjudice. Il comprend tout acte, propos ou exhibition inadmissible qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne, ou tout acte d’intimidation ou de menace. Il comprend également le harcèlement au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne. […]

[72]  Voici la définition que le Conseil du Trésor donne du harcèlement sexuel :

« harcèlement sexuel » Tout comportement, commentaire, geste ou contact à caractère sexuel susceptible d’offenser ou d’humilier un employé ou pouvant raisonnablement être perçu par cet employé comme posant une condition de nature sexuelle à l’obtention d’un emploi, d’une promotion ou d’une formation.

[73]  Voici ce que prévoit le code de déontologie de la GRC pour le harcèlement en milieu de travail :

Bien que le harcèlement se compose souvent d’une série d’incidents, un unique incident particulièrement grave ayant des répercussions durables sur la victime peut également se définir comme du harcèlement.

Le harcèlement à la GRC a fait l’objet de nombreux reportages ces dernières années, et la prévention, les enquêtes efficaces et l’élimination des comportements pouvant être perçus comme du harcèlement sont devenues une priorité nationale. Dans la nouvelle Loi, on prévoit l’établissement d’un processus propre à la GRC qui s’alignera sur la politique du Conseil du Trésor en matière de harcèlement et visera à éviter la dégradation des relations du milieu de travail. En outre, le Code de déontologie établit des attentes claires pour éviter, de la part des membres, tout comportement pouvant s’avérer du harcèlement ou de la discrimination.

La gravité du harcèlement dépend de divers facteurs, notamment :

  la fréquence du harcèlement;

  la nature sexuelle du harcèlement;

  le caractère persistant du harcèlement, en dépit du fait que le membre est mis au courant de la nature offensante de son comportement;

  l’abus d’autorité pour faire des avances de nature sexuelle non sollicitées;

  l’effet du harcèlement sur la victime.

Un examen du troisième recueil de décisions révèle que les comités d’arbitrage de la GRC ont imposé comme sanction la confiscation de la solde pour une période de 1 à 10 jours dans les cas de harcèlement jugés comme découlant d’un comportement disgracieux, la moyenne étant la confiscation de l’équivalent de 5,1 jours de solde. Les cas de harcèlement dans le quatrième recueil révèlent un accroissement de la fréquence de ce type d’inconduite, ce qui milite en faveur des sanctions plus importantes, à savoir la confiscation de la solde pour un période de 5 à 10 jours, la moyenne étant de 8,4 jours. Les données de la CCOP révèlent des cas de harcèlement punis par la confiscation de la solde pour une période de 2 à 5 jours.

L’intérêt constant du public dans ces types de dossiers, son effet négatif sur le moral et le bien-être des employés et la hausse apparente de cas rapportés justifient l’adoption d’une gamme élargie de mesures pour les cas de harcèlement en milieu de travail jugés suffisamment graves pour entraîner des mesures disciplinaires.

Pour les cas manifestes de harcèlement où l’on rapporte des incidents relativement fréquents, qui ont suscité le besoin d’apporter des modifications administratives au sein du détachement ou de l’unité, qui ont miné le moral des membres, la sanction suggérée pour les cas ordinaires est la confiscation de la solde pour une période de 11 à 20 jours.

Lorsque la conduite du membre est relativement isolée, qu’elle a peu de conséquences sur le moral du service et qu’elle n’est pas de nature sexuelle ou raciale, la sanction recommandée varie de l’imposition de mesures simples à la confiscation de la solde pour une période de 10 jours.

Lorsque le harcèlement persiste malgré les réprimandes ou les demandes répétées de cesser le comportement, qu’il comporte des pressions exercées envers un employé pour le pousser dans une relation intime ou qu’il se fonde sur l’origine ethnique, l’orientation sexuelle ou le bagage culturel de la personne, il s’agit d’un cas grave et des mesures disciplinaires allant de la confiscation de la solde pour une durée de 20 jours au congédiement s’imposent.

Le harcèlement sexuel doit être traité comme une forme particulièrement grave de harcèlement qui n’est nullement tolérée à la GRC. Tout employé reconnu coupable de harcèlement sexuel doit s’attendre à subir des mesures disciplinaires graves. À moins que des circonstances atténuantes importantes s’appliquent, un cas de harcèlement sexuel justifie des mesures disciplinaires dans l’échelle des cas graves.

[74]  La Cour suprême du Canada a accepté la définition du harcèlement formulée par le Conseil du Trésor dans l’affaire Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 RCS 1252.

[75]  Le RAD a produit des décisions récentes en droit du travail qui font jurisprudence : Foerderer v Nova Chemicals Corporation, 2007 ABQB 349 (CanLII) (Foerderer) et Calgary City and CUPE, Local 709 (Schmaltz), Re 2017 CarswellAlta 308 (CUPE). Ces affaires reprennent les propos de la Cour suprême du Canada en matière de harcèlement en général et de harcèlement sexuel en particulier. L’absence de l’intention de causer un préjudice ne soustrait pas l’individu à sa culpabilité : le critère consiste à voir si, aux yeux d’une personne raisonnable, l’individu savait ou aurait raisonnablement dû savoir que ses gestes pouvaient causer préjudice. On pourrait conclure à des gestes posés par témérité, le harcèlement sexuel en serait néanmoins la conséquence.

[76]  Le RAD invoque que la nature sexuelle des gestes doit être évaluée du point de vue de la personne raisonnable et établie suivant une norme objective. L’utilisation par le membre visé de mots comme « Hey, sexy » quand il a touché la jambe de M. A serait perçue par une personne raisonnable comme de nature sexuelle, quelles qu’aient été les intentions du membre visé. Dans chacune des allégations, qu’ils aient été ou non de nature sexuelle, les gestes constituent néanmoins du harcèlement en milieu de travail, selon le RAD.

[77]  Le RAD dit du témoignage de M. A qu’il est crédible et fiable, parce que sa version des événements n’a jamais changé. Les variantes mises en lumière par le RM ne constituent pas des contradictions, elles traduiraient peut-être plutôt une montée de frustration chez M. A et s’expliquent par ce qu’il se rappelle des événements à différents moments. Il n’y a pas eu de changements significatifs chaque fois que M. A a donné sa version des événements. Cela revêt une importance particulière au sujet de l’allégation 1, que nie le membre visé. Le membre visé admet essentiellement les allégations 2 et 3.

[78]  Chaque fois, M. A dit avoir réagi violemment et négativement aux attouchements. Il a dit au membre visé sans équivoque qu’il ne voulait pas qu’on le touche et de ne plus jamais le toucher.

[79]  Selon le RAD, M. A a fourni une explication crédible pour avoir tardé à formuler ses allégations. Son superviseur, le sergent d’état-major B, participait volontiers aux blagues en milieu de travail. Le sergent d’état-major B était censé être le protecteur, la personne qui aurait dû recevoir les plaintes, alors comment M. A pouvait-il se plaindre? M. A se trouvait dans une situation bien malheureuse.

ARGUMENTATIONS RELATIVES AUX ALLÉGATIONS : RM

[80]  Le RM fait valoir que le harcèlement est habituellement une série d’incidents qui surviennent sur une période de temps. Pour qu’un seul incident soit considéré comme du harcèlement, il doit être grave et de nature marquante. Aucun des trois incidents, prétend le RM, ne satisfait ce critère.

[81]  Le RM s’en remet à la décision CUPE pour faire valoir que les attitudes de la société à l’égard du harcèlement sexuel en milieu de travail ont évolué avec le temps. Ce qui était acceptable il y a cinq ou six ans ne l’est plus nécessairement aujourd’hui; il faut se rappeler que les événements en cause sont survenus au GFE il y a cinq ou six ans. Une évaluation objective du contexte dans lequel ces événements se sont produits doit tenir compte du milieu particulier que constitue le GFE, qu’on peut comparer à un groupe tactique d’intervention. Si l’on devait regarder ce milieu de travail et évaluer ce comportement, serait-il vraiment hors norme ou serait-il plus ou moins de l’ordre de ce à quoi une personne raisonnable s’attendrait?

[82]  Le RM prétend que le membre visé n’aurait pas pu savoir que ses commentaires ou ses gestes offensaient M. A. Les témoins ont parlé d’un milieu où les gestes de ce genre constituaient des blagues ou des tours : une façon de faire réagir les gens dans le bureau. Ils n’étaient pas de nature sexuelle.

[83]  Le RM prétend que M. A n’était pas un témoin crédible. Il était vague, combattif et affichait une mémoire sélective. Bien qu’il se soit plaint d’avoir fait l’objet de blagues quand il est arrivé au GFE, M. A n’a pas pu se rappeler d’un seul exemple.

[84]  M. A attribue à son état de détresse au moment de faire ses déclarations son manque de précision et les variantes dans le récit de ses mésaventures. Tout en reconnaissant que ses souvenirs auraient été meilleurs s’il en avait parlé plus tôt après les événements, M. A semble élaborer et fournir plus de détails à mesure que le temps passe.

[85]  Quand on lui demande pourquoi il n’a pas fait une plainte à la première occasion possible, soit à l’enquêteur interne qui venait poser des questions au sujet d’autres gestes en milieu de travail, M. A dit avoir reçu de l’enquêteur interne l’instruction de s’en tenir à cet autre comportement sans lien. Dans les faits, M. A dit qu’on ne lui a pas permis de faire les plaintes qui sont à la base des allégations qui nous occupent. Selon le RM, c’est très difficile à croire. Au contraire, l’enquêteur interne aurait vraisemblablement été très ouvert à prendre tout ce que les gens avaient à lui offrir et, au besoin, à revenir et à étendre le mandat de l’enquête interne. Cet aspect du témoignage de M. A entache sa crédibilité.

[86]  De même, la tendance qu’a M. A à décrire ce qui lui est arrivé en utilisant les mots pris dans les textes de loi entachent sa crédibilité. Il dit s’entre senti « rabaissé et humilié ». Ce ne sont pas des mots qu’on utilise tous les jours; ce sont des mots tirés de la définition du harcèlement, ce sont pourtant les mots utilisés délibérément par M. A dans son témoignage.

[87]  Selon le RM, on ne peut pas croire l’explication bizarre au sujet de ce qui se serait passé dans les bureau du SPO. M. A dit s’être présenté pour déposer une plainte d’agression sexuelle, mais il se serait fait dire que personne n’était disponible, « [TRADUCTION] laissez-nous votre nom et nous vous rappellerons ». Ça ne se peut tout simplement pas. Plus tard, M. A raconte que le détective du SPO lui aurait dit « [TRADUCTION] les chances d’obtenir une condamnation sont minces, puisqu’il n’y a pas de témoins. » En contre-interrogatoire à ce sujet, M. A a avoué qu’il ne voulait pas que des accusations criminelles soient portées, parce qu’il ne voulait pas de cette publicité. Il ne voulait pas que sa communauté sache ce qui se passait au travail.

[88]  En bref, le RM argue que M. A manque de crédibilité par rapport à ce qu’il dit s’être passé au SPO. Ce qu’il décrit ne cadre simplement pas avec ce qu’une personne raisonnable sait de ce qui se passe en milieu policier ou de la façon dont fonctionne un service de police.

[89]  Par rapport à l’allégation 1 (l’incident du photocopieur), les différentes façons dont M. A la décrit, ainsi que le temps qu’il a mis à la formuler laissent entendre que le membre visé a raison de dire que l’incident ne s’est jamais produit. Il est particulièrement troublant que M. A prétende s’être présenté au membre visé par la suite pour discuter de l’affaire, parce que c’est ce qu’il « avait appris à faire ». Ça n’a pas de sens qu’une personne qui prétend avoir été agressée sexuellement (un événement traumatisant au point où le témoin ne peut plus dormir) revienne vers l’agresseur pour avoir une belle petite discussion entre quatre yeux sur ce qui s’est passé et pourquoi elle n’a pas aimé ça. Ça n’a pas l’air vrai, estime le RM.

[90]  Il n’y avait pas de témoins de l’incident du photocopieur, ce qui selon le RM est difficile à croire, parce que cela se serait passé en plein milieu de journée. Le photocopieur se trouve là où sont tous les postes de travail et les bureaux des instructeurs. On ne parle pas d’un endroit confiné; si M. A avait crié, quelqu’un l’aurait sûrement entendu.

[91]  Le RM fait valoir que contrairement à M. A, le membre visé était constant dans ses réponses. De la même façon qu’il admet certains aspects des allégations 2 et 3, le membre visé insiste, chaque fois qu’on lui pose la question, que l’incident du photocopieur ne s’est jamais produit.

[92]  En regardant le contexte dans lequel tout ceci s’est produit, la version des événements de M. A au sujet de l’incident du photocopieur n’a pas de sens. Le membre visé joue des tours et fait des choses pour faire rire le monde autour de lui. Il fait des choses devant d’autres gens. L’incident du photocopieur, puisqu’il est censé s’être passé sans personne autour, n’a pas de sens.

[93]  Le RM avance qu’il n’y a pas de preuve crédible à l’appui de l’allégation 1 selon la prépondérance des probabilités.

[94]  En lien avec l’allégation 2 (l’incident de la salle à manger), M. A semble vouloir empirer la situation chaque fois qu’il raconte l’histoire. Il n’est jamais question de la main du membre visé près de ses parties génitales avant un long moment. Le membre visé avoue absolument avoir mis la main sur la jambe de M. A, près de son genou. Même M. A avoue, dans sa déclaration du 26 novembre 2014, « [TRADUCTION] Je suis sûr que [le membre visé] pensait – il faisait toujours des blagues – que c’était juste pour rire. »

[95]  Le RM prétend que ces gestes ne constituent pas une agression sexuelle. Le sergent Marelic a parlé d’une tendance à faire des blagues en s’assoyant aux places préférées de certaines personnes. Ce témoignage est conforme à la déclaration faite par M. A au SPO qui a dit « [TRADUCTION] J’aurais pu être assis à la place [du membre visé]. On jouait à la chaise musicale; certaines personnes étaient très possessives à propos des chaises. »

[96]  Le membre visé ne nie pas ce qu’il a fait, mais il n’a pas souvenir que M. A ait été particulièrement contrarié qu’il lui ait touché le genou. Si ça avait été le cas, il se serait excusé et aurait tâché de se racheter. Il veillait sur M. A et essayait de l’aider à s’adapter au groupe.

[97]  Relativement à l’allégation 3 (l’incident avec la chemise ouverte), même en l’absence de témoins indépendants, le membre visé avoue avoir mis la main dans la chemise de M. A parce qu’il lui semblait qu’ainsi déboutonné, M. A avait l’air débraillé. Il nie catégoriquement toute connotation sexuelle insinuée dans cette allégation, selon laquelle il aurait glissé sa main sur la poitrine de M. A. Encore une fois, quand on lit les déclarations de M. A, la description gagne en détails avec le temps, et devient de plus en plus offensante. Juste après l’incident, devant le superviseur, M. A ne nie pas qu’ils se sont probablement tous retrouvés pour dîner ensemble, ce qui n’est pas ce que font habituellement les gens après une agression sexuelle.

[98]  Le RM insiste que ce comportement ne relève pas du harcèlement sexuel. Le membre visé n’a jamais reçu de M. A la moindre indication que ce comportement l’offensait et le blessait. Le membre visé a été pris par surprise; ça a été un choc pour lui en décembre 2014 d’apprendre que M. A avait fait une plainte et formulé ces allégations. Il n’a jamais vu venir cette plainte. M. A a dit qu’il avait continué d’interagir de manière amicale avec le membre visé après les incidents, sortant même dîner au restaurant avec lui de temps en temps.

[99]  Ce sont des allégations de harcèlement sexuel, de 2012 à 2014. Le harcèlement sexuel est habituellement une série de gestes, et non deux incidents isolés survenus en cinq ans. Et pourtant, M. A continue de se placer en situation pour se retrouver seul à seul avec son supposé agresseur, au dîner ou dans un véhicule? Le RM prétend que les allégations n’ont pas été établies.

Réfutation par le RAD

[100]  Le RAD a attiré l’attention sur des dossiers qui exposent des raisons variées pour lesquelles les victimes n’ont pas parlé sur le coup. Par exemple, il pouvait y avoir un déséquilibre des pouvoirs, comme c’est le cas en l’occurrence. M. A l’a bien dit, c’est seulement après qu’on lui ait rappelé à répétition le retour imminent du membre visé à son lieu de travail que M. A a révélé ces incidents.

Décision relative aux allégations

[101]  Le jugement de la Cour suprême du Canada dans l’affaire F.H. c. McDougall, [2008] 3 RCS 41 [McDougall] est souvent cité pour sa position définitive quant au fardeau de la preuve dans des affaires civiles comme celles-ci. Bien que la décision doive être prise selon la prépondérance des probabilités, la Cour suprême a clairement énoncé que le juge des faits ne peut pas ne pas tenir compte des conséquences de sa décision. J’ai bien compris dès le début des procédures que le RAD essayait d’obtenir le congédiement du membre visé. L’enjeu est le plus lourd qu’il peut être dans de telles procédures.

[102]  Ces allégations n’ont pas été portées pour une conduite « scandaleuse » ou « déshonorante »; elles ont été portées en vertu de l’article 2.1, pour harcèlement sexuel en milieu de travail. Par conséquent, les éléments qu’ils faut prouver sont un peu différents.

[103]  Il y a toutefois des points communs avec les dossiers de « conduite déshonorante ». D’abord, il faut établir l’identité du membre. Ensuite, il faut établir si oui ou non les événements se sont produits comme il est allégué. Troisièmement, et vraisemblablement l’étape la plus importante, il faut établir si oui ou non les gestes traduisent un manque de respect et de courtoisie, constituant du harcèlement, sexuel ou autre. En ce sens, ces allégations ont un élément objectif connu. Pour reprendre cet élément dans des mots que nous connaissons tous bien, et pour y intégrer la définition admise du harcèlement en milieu de travail, voici l’énoncé du critère : Est-ce qu’une personne raisonnable ayant connaissance de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités du travail policier en général et celles du travail à la GRC en particulier, aurait su ou aurait dû savoir que ses gestes ou ses mots étaient de nature à rabaisser, à dégrader ou à humilier ou pouvaient offenser ou causer préjudice, et le harcèlement était-il de nature sexuelle?

Étape 1 : Identité

[104]  L’identité du membre visé n’a jamais été mise en cause dans ces procédures. Le membre visé lui-même, bien qu’il ait nié les allégations, a clairement indiqué être le mis en cause dans l’avis d’audience disciplinaire.

Étape 2 : Preuve des actes allégués

[105]  Les actes détaillés dans chacune des trois allégations doivent être prouvés selon la prépondérance des probabilités. Les représentants ont insisté, et je suis d’accord, que cette affaire doit être tranchée en fonction de la crédibilité des témoins.

[106]  L’arrêt McDougall nous éclaire sur l’évaluation de la crédibilité des témoins, qui s’avère d’un intérêt particulier pour des situations semblables à celle de l’allégation 3, où les versions des deux principaux témoins sont à l’opposé l’une de l’autre.

[107]  Le juge Rothstein a rédigé les motifs de la Cour suprême dans l’arrêt McDougall. Ce faisant, il a décrit l’approche à suivre par le juge des faits pour rendre une décision dans de telles circonstances :

[57] Au paragraphe 5 de ses motifs, la juge du procès tient compte du jugement de la juge Rowles dans l’affaire R. c. R.W.B. (1993), 24 B.C.A.C. 1, par. 28-29, portant sur la crédibilité d’un témoignage qui est entaché de contradictions et que la preuve n’étaye pas par ailleurs. Même si la juge Rowles se prononçait dans le contexte pénal, à l’instar de la juge du procès, j’estime que ses remarques sont pertinentes dans le cas présent :

[TRADUCTION] En l’espèce, il existait un certain nombre de contradictions dans le témoignage de la plaignante de même qu’entre son témoignage et celui d’autres témoins. Bien que de légères contradictions n’entachent pas indûment la crédibilité d’un témoin, une suite de contradictions peut constituer un facteur non négligeable et semer un doute raisonnable dans l’esprit du juge des faits quant à la crédibilité du témoignage. Aucune règle ne permet de déterminer dans quels cas des contradictions susciteront un tel doute, mais le juge des faits doit à tout le moins les examiner dans leur ensemble pour déterminer si le témoignage en question est digne de foi. C’est particulièrement vrai en l’absence de corroboration sur la principale question en litige, comme c’était le cas en l’espèce. [par. 29]

[58] Comme l’a estimé la juge Rowles à l’égard de la norme de preuve pénale, lorsque la norme applicable est la prépondérance des probabilités, il n’y a pas non plus de règle quant aux circonstances dans lesquelles les contradictions relevées dans le témoignage du demandeur amèneront le juge du procès à conclure que le témoignage n’est pas crédible ou digne de foi. En première instance, le juge ne doit pas considérer le témoignage du demandeur en vase clos. Il doit plutôt examiner l’ensemble de la preuve pour déterminer l’incidence des contradictions sur les questions de crédibilité touchant au coeur du litige.

[108]  Pour évaluer la crédibilité d’un témoin, il est coutume de se reporter à un trio de décisions judiciaires qui ne datent pas d’hier, mais qui continuent d’être citées par les tribunaux de toutes juridictions. Il y a d’abord l’affaire Wallace v. Davis, (1926) 31 O.W.N. 202, où le critère est décrit comme suit à la page 203 :

[TRADUCTION] . . . la crédibilité d’un témoin, au sens propre du mot, ne dépend pas uniquement de l’honnêteté de ses déclarations. Elle dépend aussi de ce qu’il a eu ou non la possibilité et la capacité de faire des observations exactes, de la fidélité de sa mémoire quant aux faits observés, de sa capacité de résistance aux pressions, dont il n’est souvent pas conscient et qui tendent à altérer ses souvenirs, de son aptitude à relater à la barre des témoins les faits observés, de son aptitude à s’exprimer avec clarté – autant de facteurs dont on doit tenir compte pour décider du poids à accorder au témoignage d’un témoin, quel qu’il soit.

[109]  Dans l’affaire MacDermid v. Rice (1939) R. de Jur. 208, le juge Archambault écrit ceci à la p. 210 :

[TRADUCTION] [...] lorsque la preuve testimoniale relative à un fait important s’avère contradictoire [...], le tribunal doit prendre en compte les motifs des témoins, leur relation ou leur lien d’amitié avec les parties, leur attitude et leur comportement à la barre des témoins, la façon dont ils livrent leur témoignage ainsi que la probabilité des faits relatés sous la foi du serment, et ensuite en venir à une conclusion quant à la version qu’il convient de tenir pour véridique.

[110]  Voici le critère exposé dans l’affaire Faryna v. Chorney [1952] 2 D.L.R. 354, à la p. 357 :

[TRADUCTION] On ne peut pas apprécier la crédibilité des témoins intéressés, en particulier lorsque la preuve est contradictoire, en se demandant uniquement si, par son comportement, le témoin donne l’impression de dire la vérité. Sa version des faits doit faire l’objet d’un examen raisonnable visant à établir si elle concorde avec les probabilités attachées aux conditions qui existent alors. Bref, le véritable critère de la véracité du récit d’un témoin tient, en pareil cas, à la mesure dans laquelle son témoignage est en harmonie avec la prépondérance des probabilités qu’une personne avisée et à l’esprit pratique reconnaîtrait aisément comme raisonnable en ce lieu et dans ces circonstances.

[111]  Cette dernière phrase, quoiqu’un peu alambiquée, révèle l’aspect le plus important de cette analyse. En termes simples, est-ce que l’histoire d’un témoin, étant donné l’ensemble des circonstances, a une nette consonance de vérité?

[112]  Les trois témoins ont tous témoigné clairement et sincèrement. Au sujet du témoignage de M. A, j’estime, comme le RM, qu’il y a plusieurs divergences dans sa narration de certains détails propres à chacun des trois événements. Je reconnais aussi que ses descriptions prenaient de plus en plus de couleurs et devenaient de plus en plus incriminantes pour le membre visé au fil du temps. Je considère aussi que ces divergences, collectivement, ne sont pas sans importance.

[113]  Toutefois, j’estime que les divergences ne sont pas assez importantes pour miner totalement la crédibilité de M. A. Il relate avec constance chacun des événements essentiels (au photocopieur, à la salle à manger, et à son bureau). Pour chacun des trois incidents, il raconte clairement ce que le membre visé lui a fait, ce que le membre visé a dit chaque fois, comment il recevait le fait d’être touché et surtout, son injonction de ne pas recommencer. M. A n’a pas hésité dans sa recension, chaque fois qu’il a été invité à raconter son histoire.

[114]  L’allégation 2 se passe dans la salle à manger. Les trois témoins ont décrit de façon remarquablement semblable ce qui s’est produit quand le membre visé s’est assis à côté de M. A à la table à dîner. Le membre visé dit avoir saisi la jambe de M. A juste au-dessus du genou, mais le sergent Marelic et M. A ont dit que le membre visé avait mis la main plus haut sur sa jambe, et à l’intérieur de la cuisse. Le membre visé reconnaît avoir pu dire quelque chose comme « Hey, sexy », mais M. A dit que les mots prononcés étaient plutôt de l’ordre de « Hey, il a de belles jambes, pas vrai? » Les trois témoins ont parlé d’une réaction physique nette de la part de M. A et les trois ont parler des rires qui ont fusé des autres personnes assises à table au moment où cela s’est produit.

[115]  Le sergent Marelic appuie les dires de M. A selon lequel il aurait dit au membre visé quelque chose comme « [TRADUCTION] Touche-moi pas, tabarnak ». J’estime leurs témoignages convaincants sur ce point.

[116]  Je conclus que les actes allégués dans l’allégation 2 ont été établis sur la foi de témoignages clairs, convaincants et incontestables.

[117]  De même, par rapport à l’allégation 3, le membre visé reconnaît avoir mis sa main dans la chemise ouverte de M. A. Le seul autre témoin potentiel de l’événement, le sergent d’état-major B, a dit aux enquêteurs ne pas de rappeler de cet événement et, de toutes façons, il n’a pas témoigné à notre audience.

[118]  On a longuement débattu à savoir si le membre visé avait « glissé » ou non sa main sur la poitrine de M. A. À moins que la chemise ait été entièrement déboutonnée et grande ouverte, il est difficile d’imaginer comment une main aurait pu s’y insérer et se déposer sur la poitrine sans qu’il y ait un tant soit peu de glissement. Par conséquent, je conclus que les actes allégués dans l’allégation 3 se sont produits selon la prépondérance des probabilités.

[119]  Je n’ai pas suivi l’ordre des allégations dans mon analyse parce que je tenais à faire ressortir que je ne me suis pas fié à mes conclusions à l’égard des allégations 2 et 3, pour lesquelles le membre visé a (plus ou moins) avoué les actes en cause, pour tirer des conclusions de faits relativement aux gestes allégués dans l’allégation 1.

[120]  En ce qui concerne l’allégation 1, je préfère la version des événements fournie par M. A. À partir de son témoignage, que je n’ai pas trouvé évasif du tout, et de la narration constante qu’il a faite des gestes chaque fois qu’il en a eu l’occasion, je considère que les gestes se sont produits tel qu’allégué. M. A travaillait au photocopieur et, sans avertissement ni provocation (intentionnellement, parce que je considère que ces gestes se voulaient une forme de jeu physique cru entre collègues), le membre visé s’est approché de lui par derrière, lui a saisi une fesse et a dit quelque chose comme « Tu as un beau cul ».

[121]  J’estime que la crédibilité de M. A n’est pas entachée du fait qu’il n’a pas déposé une plainte officielle au sujet de ces incidents à la première occasion. M. A n’est pas un policier, il ne connaît pas bien le protocole d’enquête. Il est absolument possible que lorsque l’enquêteur interne a présenté le mandat et les paramètres de la déclaration qu’il s’apprêtait à prendre (pour des affaires disciplinaires distinctes), M. A a compris que l’enquête ne concernait que la nudité en milieu de travail et rien d’autre. Quoi qu’il en soit, il n’était pas prêt à en parler encore. Cela mérite d’être mentionné parce que j’estime que la crédibilité de M. A n’est pas minée non plus du fait qu’il n’a parlé des incidents qu’au moment où on lui rappelait constamment le retour du membre visé à son milieu de travail, pour travailler à ses côtés. Si le membre visé avait été réaffecté de manière permanente, il est fort probable que personne n’aurait jamais entendu parler de ces événements. Je conclus que M. A était désespéré de devoir recommencer à travailler avec le membre visé, en raison de ce que le membre visé lui avait fait par le passé.

[122]  Contrairement aux allégations 2 et 3, il n’y a pas eu de témoins des événements qui constituent l’allégation 1. En concluant que les événements se sont produits tel qu’allégué, je préfère la version de M. A à celle du membre visé. M. A n’a aucune raison d’inventer cette histoire. Comme bien des victimes d’agression, il a eu beaucoup de difficulté à se manifester pour déposer une plainte officielle et comme beaucoup, il a souffert de l’avoir fait. Il a été obligé de se rappeler les événements à plusieurs reprises. Compte tenu du nombre de fois où il a dû en reparler, il était inévitable que des divergences ressortent, ce qui l’a obligé à subir un contre-interrogatoire au sujet de ces variantes. Comme bien des victimes, je suppose que M. A a eu des doutes, se demandant si cela valait vraiment la peine, s’il n’aurait pas été mieux de garder pour lui toutes ces histoires. Il n’avait certainement rien à gagner de se manifester pour déposer une plainte officielle. Au contraire, il avait beaucoup à perdre.

[123]  J’estime que M. A a agi avec beaucoup de courage en ce sens et je conclus que sa crédibilité est inattaquable.

[124]  Je conçois que les mots prononcés par le membre visé n’aient pas nécessairement été mot pour mot ceux consignés au paragraphe 4 de l’énoncé détaillé de chacune des trois allégations. Comme il ressort du témoignage de M. A et des récits qu’il a fournis, je considère que le membre visé a dit des mots de l’ordre de « Tu as un beau cul » (allégation 1), « Tu as de belles jambes, n’est- ce pas les gars? Ha ha ha ha » (allégation 2), et « Oh, ce sont des beaux pectoraux que tu as là, ça ne se voit pas! » (allégation 3).

[125]  Je conclus que sur la foi d’une preuve claire, convaincante et incontestable, les gestes décrits dans les énoncés détaillés de chacune des trois allégations se sont produits tel qu’allégué.

[126]  La prochaine étape de l’analyse devient maintenant la plus importante.

Étape 3 : Les gestes et les mots du membre visé constituent-il du harcèlement sexuel en milieu de travail?

[127]  On a beaucoup parlé en cours d’audience du contexte dans lequel ces événements se sont produits. Il y avait de l’instabilité dans l’air au GFE, la gestion faisait controverse, la tenue des séances de formation était incertaine, ce qui, bien sûr, était la raison d’être du groupe. On a appris que l’équipe d’instructeurs était passée des neuf habituels à quatre à un moment donné, de sorte qu’il était impossible de donner certaines séances de formation. Il était essentiel d’avoir le sens de l’humour pour composer avec autant d’incertitude.

[128]  Prenons connaissance d’office de l’importance de l’humour en milieu de travail. Il y a un lien direct entre le moral et la motivation, il est donc dans l’intérêt de tous d’avoir des moments de légèreté de temps à autre. On compte parmi les effets du rire la production d’endorphines, qui augmentent la capacité de composer avec une situation difficile. L’humour peut faire sauter des barrières : les témoins ont parlé de la mission que se donnait le membre visé de faire en sorte que tout le monde se sente à sa place. Une bonne blague peut devenir un terrain commun entre les gens.

[129]  Il y a aussi la question du milieu de travail particulier en soi. Les experts du GFE sont très spécialisés dans un domaine de travail très dangereux.

[130]  Des témoins ont comparé le milieu de travail du GFE à celui d’une équipe tactique d’intervention ou à un autre milieu où le stress est grand et où les membres doivent pouvoir évacuer les tensions inhérentes au travail. Prenons connaissance d’office de l’importance de l’humour relativement noir qui semble inhérent à certains milieux, par exemple les services d’incendie, l’armée, les services ambulanciers, la police. Je comprends que la vie au GFE s’en rapprochait et que le milieu était propice à une certaine forme d’humour noir ou limite.

[131]  Il y a une question préalable à trancher, à savoir si les gestes du membre visé constituaient vraiment des blagues ou s’ils trahissaient une fin sexuelle. Étant donné le témoignage des témoins et le contexte dépeint dans le matériel écrit versé au dossier, je ne conclus à aucune motivation sexuelle de la part du membre visé. Il ne voulait pas faire d’avances sexuelles à M. A et qu’il ait utilisé des mots comme « sexy » et « supermodèle » était une plaisanterie et ne traduisait pas un intérêt sexuel. Il est très facile de tirer cette conclusion de fait. En clair, il n’y a aucun doute dans mon esprit que le membre visé n’était pas attiré sexuellement par M. A. Il n’est cependant pas nécessaire de prouver une fin sexuelle pour que les gestes recouvrent une dimension sexuelle.

[132]  Je considère que le membre visé essayait simplement de provoquer une réaction chez M. A, ou de faire une blague devant un public aux dépens de M. A.

[133]  Il reste à savoir si les blagues ou les tours que faisait le membre visé étaient convenables, et si la nature de ces tours a franchi la ligne du comportement inacceptable en milieu de travail.

[134]  La jurisprudence présentée par le RAD a été instructive. Dans l’affaire Foerderer, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a entendu parlé de la culture bien établie de conduite sexuelle dans un milieu de travail où évoluent des techniciens et des ingénieurs (principalement masculins) dans une entreprise de pétrochimie du centre de l’Alberta. Aux paragraphes 31 à 43, on décrit un comportement de nature ouvertement sexuelle, que l’un des témoins a décrit (au paragraphe 37) comme une joyeuse plaisanterie. Certains des commentaires faits dans ce milieu de travail, par exemple « Elle a un beau corps » ou « Quel cul ce jean lui fait », ressemblent aux commentaires qu’a faits le membre visé dans l’affaire qui nous occupe.

[135]  En examinant si la conduite en question constituait ou non du harcèlement sexuel, la Cour du banc de la Reine de l’Alberta a trouvé huit facteurs qui sont pertinents (voir le paragraphe 91 de la décision Foerderer) [TRADUCTION] :

  1. La nature et le degré de la conduite;
  2. Si l’employé au comportement offensant s’est fait dire que la conduite reprochée était non désirée ou offensante;
  3. La poursuite du comportement non désiré ou offensant après s’être fait dire qu’il était non désiré;
  4. La nature du lien d’emploi entre l’employé offensant et la victime, surtout si l’employé offensant occupe un poste d’où il a autorité sur la victime;
  5. La nature du lien d’emploi entre l’employé offensant et l’employeur, notamment la durée du service et le poste occupé, et s’il existe un contrat d’emploi tacite ou expresse qui impose d’autres obligations à l’employeur, par exemple des avertissements ou l’occasion d’intervenir;
  6. Si l’employé a été averti que sa conduite était inappropriée et que le congédiement était une conséquence possible si une inconduite semblable se poursuivait;
  7. L’existence d’une politique officielle et connue sur le harcèlement sexuel appliquée par l’employeur;
  8. La tolérance de l’employeur devant le comportement.

[136]  Je suis d’accord avec le RAD, le critère à appliquer est objectif. Reformulons le critère objectif de la conduite scandaleuse ou déshonorante : Est-ce qu’une personne raisonnable ayant connaissance de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités du travail policier en général et celles du travail à la GRC en particulier, trouverait que les gestes ou les commentaires pouvaient offenser, humilier ou causer préjudice?

[137]  Il y a deux volets à cette évaluation objective. Le premier prend le point de vue de l’auteur de l’inconduite, puisqu’il est dit dans le Guide des mesures disciplinaires que « l’auteur savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice ». Le second est une évaluation objective des gestes comme tels, puisque la définition du Conseil du Trésor parle de « tout comportement, commentaire, geste ou contact à caractère sexuel susceptible d’offenser ou d’humilier un employé ».

[138]  Selon le témoignage livré par les trois témoins, j’estime que l’aversion de M. A d’être touché et sa sensibilité aux affaires de nature sexuelle étaient bien connues du personnel de bureau du GFE. Le membre visé a lui-même parlé de certains traits ou caractéristiques qui faisaient ressortir M. A du groupe. En fait, le membre visé a dit qu’il jouait ces tours dans le but de favoriser l’intégration de M. A au groupe.

[139]  Étant donné la nature physique et ouvertement sexuelle des tours, une personne raisonnable aurait facilement saisi qu’ils auraient l’effet contraire. L’allégation 2, l’incident de la salle à manger, a provoqué des rires au dépens de M. A chez les autres personnes assises à table.

[140]  Si ces trois incidents distincts n’avaient pas pour but d’embarrasser ou d’humilier M. A, c’est pourtant l’effet qu’ils ont eu. En fait, il est difficile d’imaginer un résultat différent, aussi bonnes qu’aient été les intentions avouées du membre visé. Une personne raisonnable verrait que ces gestes vont au-delà des bons tours, des blagues et de la plaisanterie. Ils étaient blessants et le membre visé aurait dû le savoir.

[141]  Quant au deuxième volet du critère objectif, j’estime qu’une personne raisonnable considérerait que de saisir une fesse, de toucher l’intérieur de la cuisse ou de toucher la poitrine d’une autre personne constitue un « contact à caractère sexuel susceptible d’offenser ou d’humilier. »

[142]  Rapprochons les faits de l’affaire qui nous occupe aux critères énoncés par la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta dans la décision Foerderer :

  1. La nature et le degré de la conduite

Comme il ressort de mon analyse ci-dessus, les actes en question seraient perçus par une personne raisonnable comme offensants, humiliants ou causant préjudice.

  1. Si l’employé au comportement offensant s’est fait dire que la conduite reprochée était non désirée ou offensante

Il ressort du témoignage de M. A qu’il a dit, à chaque occasion, au membre visé en termes on ne peut plus clairs qu’il n’aimait pas qu’on le touche.

  1. La poursuite du comportement non désiré ou offensant après s’être fait dire qu’il était non désiré

Bien que l’ordre chronologique exact des événements demeure un peu incertain, il est clair qu’à chaque occasion, le membre visé s’est fait dire de ne pas toucher M. A de nouveau.

  1. La nature du lien d’emploi entre l’employé offensant et la victime, surtout si l’employé offensant occupe un poste d’où il a autorité sur la victime

Le membre visé n’était peut-être pas le superviseur direct de M. A, mais la hiérarchie du Groupe était claire. Il y avait un groupe d’instructeurs dont le travail était de donner la formation, et il y avait un groupe d’employés dont le travail était de seconder les instructeurs. En ce sens, au moins, le membre visé était en position d’autorité sur M. A.

  1. La nature du lien d’emploi entre l’employé offensant et l’employeur, notamment la durée du service et le poste occupé, et s’il existe un contrat d’emploi tacite ou expresse qui impose d’autres obligations à l’employeur, par exemple des avertissements ou l’occasion d’intervenir

La GRC n’a pas de régime de convention collective qui renfermerait les termes tacites ou expresses d’un contrat d’emploi. L’obligation faite à tous les membres de traiter chacun avec respect et courtoisie est clairement énoncée dans le code de déontologie de la GRC ainsi que dans les valeurs fondamentales : honnêteté, intégrité, professionnalisme, compassion, responsabilisation et respect. Ne pas le faire entraîne des conséquences dont le code de déontologie fournit d’amples avertissements.

  1. Si l’employé a été averti que sa conduite était inappropriée et que le congédiement était une conséquence possible si une inconduite semblable se poursuivait

La Gendarmerie n’a pas servi d’avertissement parce que l’affaire n’a pas été portée à son attention immédiatement. L’absence d’avertissement n’interdit pas de conclure au harcèlement sexuel.

  1. L’existence d’une politique officielle et connue sur le harcèlement sexuel appliquée par l’employeur

Depuis l’accession du commissaire Paulson à ces fonctions en novembre 2011, il a clairement dit, dans une série de bulletins diffusés régulièrement à tous les employés, qu’il se préoccupait du harcèlement sexuel en milieu de travail et que celui-ci ne serait pas toléré.

  1. La tolérance de l’employeur devant le comportement

Encore une fois, la direction de la GRC n’a pas pu tolérer le comportement du membre visé, puisqu’elle n’en a été informée qu’après coup.

[143]  Sur la foi de cette analyse, je conclus que les mots et les gestes du membre visé détaillés dans les trois allégations, dans chaque cas et pris ensemble, constituent du harcèlement sexuel en milieu de travail.

[144]  Les trois allégations de contravention au code de déontologie sont ainsi établies selon la prépondérance des probabilités. Il faut maintenant examiner les mesures disciplinaires qui conviennent.

MESURES DISCIPLINAIRES

Observations du RAD

[145]  Le RAD fait valoir que le congédiement est une mesure appropriée étant donné la gravité des contraventions. Le harcèlement sexuel en milieu de travail est une forme d’inconduite grave. Les séquelles fâcheuses de ces événements sur M. A ont été clairement établies lors de son témoignage.

[146]  La jurisprudence montre la gamme des mesures disciplinaires applicables. On lit dans la décision Foerderer au paragraphe 162 :

[TRADUCTION] Il est clair dans la loi que, bien que tout harcèlement sexuel doive être pris très au sérieux, il y a tout un éventail d’inconduite. Le congédiement n’est pas justifié pour tout harcèlement sexuel. Le harcèlement sexuel qui comporte un élément physique non consensuel est à l’extrémité la plus grave de l’éventail. Puisqu’une telle inconduite est un acte criminel et qu’un employeur n’est pas tenu d’avertir ses employés de ne pas commettre d’actes criminels, une unique transgression peut justifier un congédiement sans préavis. À l’autre bout de l’éventail se trouvent les formes moins graves de harcèlement, notamment les remarques sexuelles, les blagues crues, les mots suggestifs et les gestes suggestifs.

[147]  De même, dans la décision CUPE, au paragraphe 129, on renvoie à une décision de 2001 de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta dans laquelle la cour a statué :

[TRADUCTION] Les cours et les tribunaux reconnaissent une limite entre les formes « graves » de harcèlement, dans lesquelles il y a eu contact physique déplacé (attouchement, frottement, baiser imposé, caresses) et les formes « moins graves » de harcèlement (remarques sexuelles, blagues crues, mots ou gestes suggestifs). De nombreux tribunaux et arbitres tirent rapidement la conclusion que le harcèlement doublé d’un élément physique constitue une forme d’agression sexuelle. Bien qu’il puisse y avoir des exceptions, le congédiement a été la peine retenue régulièrement dans les cas où il y a eu contact physique déplacé ou agression. Lorsque le harcèlement prend la forme par exemple de commentaires, d’insinuations, de blagues, de taquinerie, de gestes obscènes ou suggestifs, il est plus probable que l’arbitre ou la cour impose une peine inférieure au congédiement. Encore une fois, il peut y avoir des exceptions.

[148]  Dans le contexte du milieu de travail à la GRC, prétend le RAD, il y a un précédent de congédiement pour du harcèlement sexuel qui comporte un élément clairement physique. Le RAD renvoie explicitement à l’analyse présentée dans la décision du comité de déontologie de la GRC de 2017 dans l’affaire de l’officier compétent de la Division K et le gendarme [P.C.], 17 D.A. (4e) 111 [Gendarme P.C.]. Le RAD prétend qu’une personne raisonnable considérerait que la manière dont le membre visé a touché M. A revêtait un caractère sexuel. Suivant la décision rendue dans l’affaire Gendarme P.C., il devrait y avoir congédiement.

Preuve et argumentations par le RM

[149]  Le RM a appelé un témoin relativement aux mesures disciplinaires, le sergent d’état-major T. G., qui a fait la connaissance du membre visé en 2004 quand il a suivi le cours sur les explosifs à l’intention du Groupe tactique d’intervention que donnait le membre visé. Plus tard, ils ont travaillé ensemble à la formation. Le témoin a mis en lumière le statut particulier du membre visé à titre d’expert en matière tactique, surtout en technique d’accès forcé à l’aide d’explosifs. Le témoin a décrit le membre visé comme un partenaire clé dans ce domaine, une ressource précieuse non seulement pour les policiers de la GRC, mais pour tout technicien en enlèvement des explosifs dans le pays. Le membre visé est aussi réputé à l’international.

[150]  Après avoir travaillé dans l’armée, le membre visé est entré à la GRC, au GFE, qui relevait du commandement du témoin. Ayant côtoyé le membre visé, il n’a jamais reçu la moindre plainte au sujet de son comportement ni d’aucun incident de comportement inadéquat en milieu de travail.

[151]  Le témoin connaît bien la nature des contraventions au code de déontologie qui font l’objet de notre audience et il affirme sans équivoque qu’en dépit de ces allégations, il reprendrait le membre visé dans son équipe.

[152]  Le RM a produit les évaluations du rendement des deux années pendant lesquelles ces contraventions ont été commises, ainsi qu’un affidavit et une série de lettres de référence.

[153]  Le RM nous met en garde d’accorder du poids à la prétention de M. A selon laquelle il aurait souffert de stress post-traumatique à la suite de ces événements, étant donné qu’aucune preuve n’a été déposée à l’appui de cette prétention.

[154]  Le RM fait valoir qu’aucune accusation criminelle n’a été déposée dans cette affaire, malgré un examen rigoureux du dossier par le SPO.

[155]  Le RM précise que cette affaire est soulevée sous le nouveau régime déontologique. Toutefois, le principe de parité des peines doit être respecté, quel que soit le régime déontologique en place. Au soutien de mesures moindres que le congédiement, le RM renvoie à l’affaire de l’officier compétent de la DG et [le membre visé], 15 D.A. (4e) 322 (2015). Il s’agit de la décision d’un comité d’arbitrage au sujet du comportement inapproprié du membre visé en milieu de travail qui ne concernait pas M. A et qui s’est déroulé dans la même période que les allégations qui nous occupent. Dans cette affaire, le comité a noté le milieu de travail particulier : l’équipe de travail, entièrement masculine, tricotée serrée. Le comité a souligné que le membre visé était un farceur qui ne voudrait pas sciemment rendre quelqu’un mal à l’aise à cause de son humour. Le comité dans cette affaire particulière a imposé comme peine un avertissement assorti de la confiscation de la solde pour une période de cinq jours. Cette affaire appuie un point soulevé par les témoins dans notre affaire, savoir que la nature des tours qui se jouaient au GFE a dégénéré après l’arrivée du sergent d’état-major B.

[156]  D’autres dossiers traitent du principe de la parité des peines, notamment l’officier compétent de la Division C et la gendarme T-L.L., 14 D.A. (4e) 520 (2014). Dans cette affaire, la membre en cause s’est livrée à des contacts physiques sur une personne à quelques reprises. La nature du contact dans cette affaire était probablement de nature plus grave que dans l’affaire qui nous occupe, puisqu’il y avait une intention sexuelle. La membre visée est entrée dans le vestiaire des hommes pendant que le plaignant se douchait, elle a ouvert le rideau de douche et a posé la main dans son dos. Par ailleurs, à l’occasion de la prise d’une photo de groupe, les mains croisées dans le dos, elle a tendu la main pour toucher les organes génitaux du plaignant. À une réception officielle à laquelle participaient des dignitaires et des partenaires policiers, elle a saisi les organes génitaux du plaignant. Le comité dans cette affaire a accepté une proposition conjointe et imposé comme peine un avertissement assorti de la confiscation de la solde pour une période de dix jours pour chacun des trois incidents. En application des dispositions de l’ancienne loi, la confiscation de la solde pour un même avis d’audience disciplinaire était plafonnée à dix jours, de sorte que c’est, dans les faits, la peine qui a été imposée.

[157]  Dans l’affaire de l’officier compétent de la Division et le gendarme M (2011), 6 D.A. (4e) 250, le membre en cause, de service, a consommé de l’alcool dans un bar, s’est approché d’une consoeur par l’arrière et a posé ses mains sur ses hanches. Il a ensuite glissé sa main entre ses jambes et touché ses parties génitales et ses fesses, sans son consentement. Dans cette affaire, une proposition conjointe a été acceptée par le comité qui a imposé un avertissement assorti de la confiscation de sa solde pour une période de huit jours.

[158]  Plus récemment, dans le dossier de déontologie entre la commandante de la Division E et le gendarme B.C., 2017 DARD 8, le membre, très ivre à une fête privée, a balancé son bras autour des épaules d’une gendarme sans son consentement et a joué avec son mamelon. Plus tard, il l’a enlacée par derrière et a fait glisser ses mains par-dessus ses vêtements, de son ventre vers son pubis. Il a aussi touché les joues d’une autre invitée, fait des gestes suggestifs et dit qu’il voulait insérer ses doigts dans son vagin. Il a mis ses bras autour des épaules d’une autre gendarme et a effleuré son mamelon environ trois fois par-dessus ses vêtements. Le membre a dû répondre d’une accusation criminelle d’agression sexuelle pour ce dernier incident, qui s’est réglée finalement au programme des mesures de rechange. En tout, il y a eu quatre contraventions au code de déontologie, et il n’y a pas eu de congédiement. Le comité de déontologie a imposé la confiscation de la solde pour des périodes de 10, 10, 5 et 20 jours respectivement, et il a ordonné une mutation et la participation à un traitement de l’alcoolisme. (Dans sa réfutation, le RAD a souligné que cette affaire mettait en cause une unique fête bien arrosée qui se déroulait en dehors du milieu de travail, ce qui la distingue de l’affaire qui nous occupe.)

[159]  Dans l’affaire de l’officier compétent de la Division E et le membre civil R.B., (2009) 4 D.A. (4e) 293, le membre en cause a dit à ses subordonnés qu’ils lui avaient « touché les fesses ». Il a fixé une boîte de papier-mouchoirs à la fourche de son pantalon et s’est promené dans le bureau; il a montré à un subordonné des photos d’une femme nue dans un exposé PowerPoint; il utilisait un langage vulgaire devant ses subordonnés; il a fait des commentaires rabaissants et dégradants, souvent à connotation sexuelle; on l’a entendu parler d’une employée d’un autre service en l’appelant une « salope (cunt) »; et il a parlé des menstruations de sa fille. Le comité dans cette affaire a imposé comme peine globale un avertissement assorti de la confiscation de sa solde pour une période de dix jours pour une inconduite qui a duré une longue période et qui a profondément incommodé plusieurs employés.

[160]  Dans l’affaire qui nous occupe, il n’y a eu que trois incidents survenus en peu de temps. Le membre visé et M. A ont continué de travailler ensemble et d’aller dîner ensemble. Le membre visé a beaucoup changé son comportement depuis les événements en cause. Le RM a dit qu’il était important de garder les choses en perspective et d’imposer des mesures disciplinaires moins graves que le congédiement.

[161]  Le RM fait valoir que le membre visé a volontiers coopéré à tous les aspects des enquêtes. Il a contesté ces allégations parce qu’il avait le droit de le faire, mais il a admis les gestes qu’il a posés. Il n’a pas reçu l’ordre de se présenter au SPO pour faire une déclaration, il y est allé de son plein gré, sachant ce qui l’y attendait.

[162]  Le rendement du membre visé n’est rien de moins qu’excellent, ce qui doit constituer un facteur atténuant à prendre en considération dans le choix des mesures disciplinaires à imposer.

[163]  Bref, le RM prétend qu’il faudrait imposer une confiscation importante de la solde, plutôt que le congédiement.

Décision relative aux mesures disciplinaires

[164]  Le protocole pour déterminer des peines et des mesures disciplinaires à imposer est bien établi et doit être appliqué par tous les tribunaux disciplinaires. Premièrement, il faut évaluer l’éventail des peines et des mesures disciplinaires applicables. Deuxièmement, il faut tenir compte des facteurs aggravants et des facteurs atténuants. Il faut tenir compte aussi des principes applicables, par exemple le principe de la parité des peines et le principe de l’effet dissuasif sur le personnel en général et sur l’employé discipliné. Troisièmement, il faut imposer une peine juste et équitable, proportionnelle à l’inconduite.

[165]  Les affaires produites par les représentants le montrent clairement : lorsqu’il est question de harcèlement sexuel ou d’autres formes d’inconduite en milieu de travail, le congédiement fait partie des peines applicables.

[166]  Il est un principe bien établi qu’au moment d’imposer une peine pour inconduite professionnelle, un dossier qui fait état d’un rendement supérieur à la moyenne régulier joue en faveur de l’employé. J’admets que le GFE est une équipe très spécialisée, que son travail est extrêmement précieux non seulement pour la GRC mais pour d’autres organisations policières et militaires, canadiennes et étrangères. Au sein de cette équipe, le membre visé fait figure d’expert en la matière. Il apporte à son poste une vaste expérience, un grand dévouement et beaucoup de connaissances.

[167]  Ses évaluations du rendement reflètent l’estime qu’on lui porte. Pour l’exercice 2011-2012, il est écrit que son expertise fait de lui un grand atout pour le service. Sous la rubrique « Service axé sur la clientèle », on lit :

[TRADUCTION] [Le membre visé] dépasse toujours les besoins et les attentes des clients. Il porte le plus haut degré d’attention à la préparation et à la présentation de ses cours d’accès forcé à l’aide d’explosifs (AFE). L’AFE est un travail très spécialisé et [le membre visé] y excelle vraiment. Il est toujours prêt à faire le petit plus quand l’occasion se présente.

[168]  Sous la rubrique « Relations interpersonnelles », on lit :

[TRADUCTION] [Le membre visé] s’est doté d’un réseau solide et efficace d’experts en la matière prêts à aider le CCP pour la prestation des cours destinés aux instructeurs d’accès forcé à l’aide d’explosifs. Il a établi des relations de travail et des partenariats forts et constructifs avec la GRC, la Police provinciale de l’Ontario et la grande majorité des équipes tactiques à l’échelle du pays.

[169]  Ces brillants attributs figurent encore dans l’évaluation de l’exercice suivant. Dans le narratif sur le rendement de l’évaluation pour 2012-2013, on lit :

[TRADUCTION] [Le membre visé] est un atout important pour le GFE. Son expérience militaire lui confère une immense connaissance technique et opérationnelle. Il est aussi à l’aise pour enseigner les cours d’AFE que tout autre cours offert par notre service. On lui confie n’importe quelle facette d’un cours, que ce soit la planification, la préparation, la prestation ou le dépannage.

[Le membre visé] est plein de ressources et s’occupera du problème, quel qu’il soit. [Le membre visé] n’a pas besoin de supervision. Il est très bien organisé et tout son travail est très détaillé et exécuté à la perfection. Je compte souvent sur lui pour tester des idées sur plusieurs sujets qui concernent notre service.

Sa connaissance du GFE en fait une sommité. [Le membre visé] est toujours prêt à aider. L’été dernier, à la demande des IOTMP, il a aidé à faire l’évaluation de l’accès forcé d’établissements correctionnels au Québec. [Le membre visé] a visité environ 7 établissements au Québec et a produit un rapport sur les capacités de la police à mener une opération AFE réussie en cas d’incident. La qualité du rapport reflète les connaissances et l’engagement [du membre visé].

[170]  L’officier hiérarchique du membre visé a écrit un commentaire à la main dans son évaluation de 2012-2013 : [le membre visé] est un authentique expert dans le domaine et il est un atout pour nous. Continuez votre excellent travail. »

[171]  Au nombre des facteurs atténuants, mentionnons le soutien que ses superviseurs et ses pairs accordent au membre visé. Dans sa lettre, l’inspecteur K. F. parle de l’arrivée du membre visé au service comme d’une « [TRADUCTION] très bonne nouvelle pour le Programme d'expertise chimique, biologique, radiologique, nucléaire ou explosive ». Il parle de la constance de son bon travail lors de la planification et de la prestation des programmes de recertification et d’autres projets connexes.

[172]  Le lieutenant-colonel M. L. à la retraite a travaillé aux côtés du membre visé dans un groupe d’intervention tactique des Forces armées canadiennes. Il mentionne lui aussi l’expertise, le dévouement et la valeur du membre visé pour l’organisation. Ce sont des appréciations qui reviennent constamment. Le lieutenant-colonel M. L. reconnaît que « [TRADUCTION] dans ce milieu stressant, un bon sens de l’humour est une nécessité. »

[173]  La renommée du membre visé dans son domaine est aussi soulignée par le sergent D. W., coordonnateur du service de l’enlèvement des explosifs à la Police provinciale de l’Ontario, un poste qu’il occupe depuis 2005.

[174]  Un autre facteur atténuant est le potentiel de réhabilitation du membre visé. Toutes les lettres de référence font état d’une capacité de travailler avec les autres supérieure à la moyenne. Aucun autre incident semblable aux présentes contraventions n’a été signalé. On ne m’a donné aucune raison de croire que, si on lui permettait de rester dans l’organisation, le membre visé referait des contraventions de même nature. Par conséquent, je n’ai pas à analyser le principe de l’effet dissuasif sur le membre visé dans l’imposition d’une peine pour son inconduite.

[175]  Il y a, toutefois, un besoin connu d’effet dissuasif sur le personnel en général. Bien avant les dates en cause dans le présent avis d’audience disciplinaire, les questions de harcèlement sexuel à la GRC préoccupaient déjà le commissaire, qui a diffusé une série de bulletins internes à tous les employés et parlé ouvertement dans les médias de la politique de tolérance zéro à son égard. Les mesures disciplinaires pour des contraventions de cette nature doivent renforcer cette position. Ce sont des contraventions graves et elles doivent mériter une réponse sérieuse en termes de mesures disciplinaires. L’effet dissuasif pour le personnel en général est d’une importance particulière dans ce dossier.

[176]  Les facteurs aggravants sont peu nombreux, mais importants. Il y a premièrement le contexte organisationnel dans lequel ces événements se sont produits. Les appels se multipliaient pour la mise en place d’un milieu de travail empreint de respect et d’une tolérance zéro pour le harcèlement en milieu de travail alors même que ces incidents se produisaient. Il faut y voir un facteur aggravant dont il faut tenir compte dans le choix des mesures disciplinaires.

[177]  Le facteur aggravant le plus dommageable est la nature répétitive des attaques sur une personne qu’on savait vulnérable en ce sens. Les témoins ont bien dit que M. A ne cadrait pas vraiment bien dans ce milieu de travail particulier qu’est le GFE et qu’il avait une réelle aversion à l’égard du toucher. Si cela ne s’était produit qu’une fois, si après le premier incident, le membre visé avait respecté l’injonction que lui avait adressée M. A de ne plus jamais le toucher, la détermination des mesures disciplinaires se ferait sous un jour différent. Mais étant donné les faits, les attouchements multiples sur M. A doivent constituer un facteur aggravant.

[178]  Un dernier facteur aggravant est les séquelles qu’ont laissées ces événements à M. A. Le RAD a mentionné le « principe de la vulnérabilité de la victime » un principe bien établi en droit de la responsabilité délictuelle. Vous prenez votre victime telle que vous la trouvez : s’il s’avère que la personne qui reçoit l’attention non désirée est particulièrement vulnérable, les conséquences sont entièrement imputables à l’auteur des incidents. Je ne peux pas admettre que M. A ait souffert de stress post-traumatique par suite du comportement du membre visé, faute d’un authentique diagnostic en ce sens, mais je considère néanmoins que les gestes du membre visé ont laissé des séquelles profondes à M. A. Étant donné l’effet de ces attaques sur M. A, il n’est pas surprenant que la perspective de voir le membre visé réintégrer le milieu de travail ait été l’élément déclencheur du dépôt d’une plainte officielle.

[179]  Le principe de la parité des peines, qu’invoque le RM, est important dans l’imposition de peines pour inconduite professionnelle. Je ne suis pas lié par les décisions rendues dans des affaires antérieures, mais celles-ci peuvent fournir d’importantes lignes directrices. Ce principe incite le décideur à imposer des mesures disciplinaires proportionnelles à l’inconduite en cause, en tenant compte d’affaires similaires ayant fait l’objet de décisions semblables. C’est là un principe très important en droit administratif. Sans ce principe, il n’y aurait pas d’uniformité, pas de stabilité et pas de valeur aux décisions rendues antérieurement.

[180]  Je garde à l’esprit le critère visant à déterminer la parité, ainsi que le Comité externe d’examen de la GRC l’a exposé dans la recommandation répertoriée 2700 99 001 (D 067) :

Pour l’arbitre, il s’agira de déterminer si, dans le cadre d’une affaire donnée, la peine « s’écarte des mesures disciplinaires normalement imposées », pour reprendre la formule que l’on trouve dans l’affaire MacMillan Bloedel Ltd. (Powell River Division) et section locale 76 du C.E.P. (Lentz) (1997), 65 L.A.C. (4e) 240, page 249.

[181]  Les affaires que nous demande de prendre en compte le RM présentent pour la plupart un exposé conjoint des faits et une proposition conjointe; par conséquent, leur valeur de précédent est limitée. Je ne considère pas que l’imposition d’une confiscation de la solde fait figure de « mesures disciplinaires normalement imposées », comme il le fait valoir. C’est d’autant plus vrai quand la confiscation de la solde est imposée, plutôt qu’un congédiement, par application directe d’une proposition conjointe de peine.

[182]  Une proposition conjointe donne un ton particulier à l’audience. Premièrement, le décideur sait qu’on ne demande pas le congédiement, et ce fait important change complètement la teneur de la discussion. Deuxièmement, le décideur qui reçoit une proposition conjointe sait qu’il n’y est pas lié, mais qu’il doit la traiter avec une grande déférence. À moins de raisons inévitables de s’en écarter, le décideur doit accepter la proposition conjointe.

[183]  Une proposition conjointe est invariablement le fruit de longues négociations et d’importants compromis tenant compte de facteurs tangibles et intangibles connus seulement des parties et non du décideur. Elle constitue, au sens très propre du terme, un acte de foi. Comme l’a souligné la Cour d’appel de la Saskatchewan dans la décision Rault v. The Law Society of Saskatchewan, (2009) SKCA 81 (CanLII), si les parties ne sont pas en droit de s’attendre à ce que l’on respecte l’objet de leur accord, elles ont peu de motifs de vouloir négocier un règlement.

[184]  Pour ces raisons, je considère ne pouvoir accorder qu’un poids relativement faible aux peines imposées dans les affaires répertoriées L’officier compétent de la Division E et le membre civil R.B. (2009), 4 D.A. (4e) 293, L’officier compétent de la Division et le gendarme M (2011), 6 D.A. (4e) 250, et L’officier compétent de la Division C et la gendarme T-L.L., (2014), 14 D.A. (4e) 520.

[185]  L’affaire de La commandante de la Division E et le gendarme B.C., 2017 DARD 8, dont la décision est plus récente, présentait des similitudes avec l’affaire qui nous occupe, en ce qu’il était question de plusieurs gestes à caractère sexuel. Bien qu’ils n’aient pas été commis en milieu de travail, ces gestes ont été posés sur des collègues de travail à une fête privée. Dans cette affaire, on a imposé la confiscation de la solde plutôt que le congédiement. Je me range à l’argument du RAD, cependant, qui fait valoir que dans cette affaire particulière, il s’agissait des transgressions d’un fêtard ivre subies par plusieurs victimes au cours d’une soirée folle. Ces faits sont bien différents de la situation devant nous, où il y a eu une série d’incidents répétés aux dépens d’une même personne.

[186]  Le congédiement est une peine de dernier recours pour une inconduite professionnelle, et il ne doit être réservé qu’aux cas les plus outrageux. Le professeur Ferguson, dans un document de recherche du CEE appelé simplement le « Document de recherche no 8 du CEE » a eu l’occasion d’étudier la nature particulière du congédiement comme forme de peine. Aux pages 48 et 49, il écrit :

Le système de discipline de la police vise essentiellement à aider un service de police à réaliser son mandat, qui est de donner des services efficaces et efficients à la collectivité, en veillant à ce que toute sanction disciplinaire soit juste et équitable dans les circonstances. Le meilleur moyen d'atteindre cet objectif est de recourir à un système de discipline positive et progressive, visant à corriger le comportement déviant ainsi que les pratiques organisationnelles ou administratives qui peuvent contribuer à une inconduite. Reconnaître que la réhabilitation et le redressement sont les objectifs primordiaux des mesures disciplinaires, c'est aussi se rallier à la théorie actuelle de gestion selon laquelle les employés sont l'atout le plus précieux de toute organisation. Les sanctions punitives ne sont dans l'intérêt ni de l'employeur, ni de l'employé. Congédier un employé signifie généralement perdre un collaborateur précieux et expérimenté et assumer des frais pour recruter et former son remplaçant. Il faut donc privilégier l'optique corrective.

[187]  De même, dans la décision de la Cour d’appel de l’Ontario intitulée Trumbley v. Metropolitan Toronto Police (1986), 55 O.R. (2d) 570; 29 D.L.R. (4th) 577, la Cour a commenté [TRADUCTION] :

L'objet fondamental du congédiement d'un employé n'est pas de le punir au sens habituel de ce terme (pour le dissuader ou le corriger ou, peut-être, pour appliquer une certaine forme moderne de châtiment), mais plutôt de soulager l'employeur du fardeau que représente l'employé qui a démontré ne pas être à la hauteur de sa tâche.

[188]  L’une des décisions le plus souvent citées relativement aux circonstances dans lesquelles un employeur peut envisager le congédiement d’un employé est l’affaire Ennis v. The Canadian Imperial Bank of Commerce, (1986) BCJ 1742. On y lit [TRADUCTION] :

Il faut démontrer qu’il y a eu inconduite ou incompétence réelles. La conduite de l’employé, de même que le type de moralité qu’elle révèle, doit être telle qu’elle mine ou érode considérablement la confiance que l’employeur est en droit de placer dans l’employé eu égard au contexte de leur relation particulière. Il doit ressortir clairement du comportement de l’employé que celui-ci répudie le contrat de travail ou l’un de ses éléments essentiels.

[189]  Les valeurs fondamentales de la Gendarmerie font partie du contrat d’emploi. Ces valeurs comprennent le professionnalisme, la compassion et le respect, et toutes ont été bafouées par le membre visé dans le comportement qu’il a eu à l’égard de M. A à trois occasions.

[190]  Le harcèlement sexuel en milieu de travail est depuis longtemps un fléau à la Gendarmerie. Voici ce que le commissaire diffusait à tous les employés dans un communiqué le 4 juillet 2003, il y a 15 ans, plus de dix ans avant les événements qui ont donné lieu au présent avis d’audience disciplinaire :

Je vous écris aujourd’hui à propos de ce qui me semble être les défis les plus importants et les plus graves qui se posent à nous, à la GRC. J’observe un écart troublant entre les politiques et engagements que nous avons pris pour que notre milieu de travail soit exempt de harcèlement d’une part et le quotidien de certains de nos employés d’autre part. J’ai pris connaissance de situations où il y a eu harcèlement, voire inconduite sexuelle. Les rapports que j’ai reçus qui faisaient état des mesures prises à l’égard de ces situations m’ont inquiété encore davantage.

En tant que commissaire, j’ai pris l’engagement de faire de la GRC une organisation où les employés peuvent travailler dans un milieu sûr et exempt de harcèlement.

Cela signifie que ni le harcèlement, ni l’inconduite sexuelle ne seront tolérés dans notre organisation. Chaque employé doit veiller à avoir un comportement irréprochable à cet égard et je m’attends à ce que les gestionnaires agissent rapidement, judicieusement et sans équivoque lorsque des allégations de harcèlement, quel qu’il soit, sont portées à leur attention.

Le temps est venu pour nous de réfléchir honnêtement au problème épineux et potentiellement destructeur du harcèlement en milieu de travail. Nous devons nous pencher sur des questions graves. Comment pouvons-nous, nous qui sommes vus de l’extérieur comme la crème de la société canadienne, rater d’autant à l’interne les buts et objectifs que nous atteignons pourtant au quotidien dans l’exercice de nos tâches policières dans des scénarios semblables? Comment une organisation qui professe des valeurs d’intégrité, de transparence, de compassion, d’équité et d’excellence peut-elle manquer d’assurer à chacun de ses employés le plus grand respect et l’action nécessaire?

Je sais que ni une leçon émanant du Bureau du commissaire, ni une nouvelle politique, ni la menace de mesures disciplinaires n’obtiendront l’adhésion aux valeurs individuelles et organisationnelles. C’est au quotidien que les valeurs se vivent. Elles sont en chacun de nous. Quand nous unissons nos forces, que nous travaillons et évoluons dans un milieu imprégné de nos valeurs, le tout devient alors plus grand que la somme des parties. En nouant un dialogue et des échanges constructifs sur un sujet qui est au coeur de nos valeurs fondamentales, nous trouverons de meilleures façons de manifester nos valeurs, de les vivre et d’atteindre les buts que nous nous sommes fixés ces trois dernières années. En fin de compte, nous améliorerons nos systèmes internes, nous consoliderons pour notre organisation sa place d’employeur de choix, nous améliorerons notre capacité de gestion et nous accroîtrons notre capacité collective de servir le Canada.

Je conçois la GRC comme une maison, solide et sûre, dont les fondations sont les gens que nous servons et les employés qui ont travaillé à l’édifier depuis plus de 130 ans. Notre travail est l’exemple même du service public. Nous avons tous un amour inconditionnel pour le pays et une foi inébranlable dans le droit des citoyens et de nos employés à vivre dans la sécurité et dans la dignité.

Si nos employés ne peuvent pas compter sur la même sécurité, la même dignité et la même protection que ceux que nous servons, notre maison ne vacillera-t-elle pas sur ses fondations? Ne raterons-nous pas l’atteinte de nos buts?

Cette protection ne saurait être refusée à quiconque est associé à la GRC. Personne ne peut se soustraire à la responsabilité de contribuer à la vision selon laquelle notre travail doit nous attirer une confiance absolue. Je me suis engagé à maintenir à la GRC sa tradition de confiance et de sécurité. Je n’en attends pas moins de chacun des employés de cette organisation.

[191]  Tous les commissaires qui ont repris ces fonctions depuis ont aussi repris à leur compte ce même message. La réputation de la Gendarmerie souffrirait irrémédiablement de garder en poste un employé dans ces circonstances, puisque cela minerait tous les messages jamais distribués faisant état du caractère incontournable d’offrir un milieu de travail sûr et respectueux.

[192]  Il ne fait aucun doute que le membre visé est un employé très estimé et apprécié, un expert en la matière dans un domaine d’une importance vitale pour l’organisation et pour le pays. Rien n’indique que cette inconduite se répéterait. Ce sont des raisons qui militent fortement pour le garder au sein de l’organisation à titre de membre, mais il y a des obstacles qui sont tout simplement trop hauts pour les franchir. La gravité de l’inconduite dans cette affaire et les facteurs aggravants pèsent tout simplement plus lourd que les facteurs atténuants, aussi puissants soient-ils.

[193]  Le vendredi 25 mai 2018, j’ai eu le regret d’annoncer que j’avais le devoir solennel de congédier le membre visé de la Gendarmerie, sur-le-champ, mes motifs écrits étant à venir plus tard. La présente décision comprend mes motifs écrits.

[194]  L'une et l'autre parties peuvent interjeter appel de la présente décision, comme il est prévu dans la Loi sur la GRC.

 

 

Le 12 juillet 2018

James R. Knopp, inspecteur

Comité de déontologie

 

Ottawa (Ontario)

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.