Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

Un avis d’audience disciplinaire en vertu de la partie IVde la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, a été produit le 23 janvier 2018 par le commandant et l’autorité disciplinaire de la Division F (Saskatchewan). L’avis contenait quatre allégations : trois allégations de conduite déshonorante et une allégation d’utilisation non autorisée de matériel appartenant au gouvernement. Deux allégations ont été retirées et le membre a reconnu les faits qui lui étaient reprochés dans une allégation de conduite déshonorante. Une audience disciplinaire ayant pour but de statuer sur l’allégation restante de conduite déshonorante a eu lieu à Saskatoon, en Saskatchewan, du 16 au 18 octobre inclusivement. Cette allégation n’a pas été établie. L’allégation relativement à laquelle le membre a reconnu les faits qui lui étaient reprochés a été établie, et le comité de déontologie a imposé au membre une réprimande, une mutation et une pénalité financière correspondant à 12 jours de salaire.

Contenu de la décision

Protégé A

2018 DARD 15

Logo de la Gendarmerie royale du Canada

GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

DANS L’AFFAIRE INTÉRESSANT LA

LOI SUR LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

ENTRE :

le commandant de la Division F

(l’« autorité disciplinaire »)

et

le gendarme Jonathan Tremblay

Matricule 60681

(le « membre visé »)

Décision du comité de déontologie

Inspecteur Al Ramey, comité de déontologie

Le 31 octobre 2018

Représentant de l’autorité disciplinaire, Division F :

Sergent d’état-major Jonathon Hart

Représentante du membre :

Me Nicole Jedlinski


Table des matières

RÉSUMÉ  3

INTRODUCTION  5

LA PREUVE  7

Allégation 1  7

Description du bloc cellulaire  8

Activités au bloc cellulaire  9

Raisons pour lesquelles Mme A s’est vu offrir une cigarette  12

Possibilité d’inviter la prisonnière à s’exhiber  13

Témoignage de Mme K  15

Témoignage de M. H.  16

Analyse de la crédibilité des témoins – Possibilité d’avoir fait une observation exacte  17

Le briquet dans la cellule 1  21

DÉCISION RELATIVE AUX ALLÉGATIONS  22

Allégation 1  22

Allégation 2  22

PEINE  23

Argumentations relatives à la peine  23

Argumentations du RAD  23

Argumentations de la RM  23

Décision relative à la peine  24

 

 

RÉSUMÉ

Un avis d’audience disciplinaire en vertu de la partie IVde la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, a été produit le 23 janvier 2018 par le commandant et l’autorité disciplinaire de la Division F (Saskatchewan). L’avis contenait quatre allégations : trois allégations de conduite déshonorante et une allégation d’utilisation non autorisée de matériel appartenant au gouvernement. Deux allégations ont été retirées et le membre a reconnu les faits qui lui étaient reprochés dans une allégation de conduite déshonorante. Une audience disciplinaire ayant pour but de statuer sur l’allégation restante de conduite déshonorante a eu lieu à Saskatoon, en Saskatchewan, du 16 au 18 octobre inclusivement. Cette allégation n’a pas été établie. L’allégation relativement à laquelle le membre a reconnu les faits qui lui étaient reprochés a été établie, et le comité de déontologie a imposé au membre une réprimande, une mutation et une pénalité financière correspondant à 12 jours de salaire.


INTRODUCTION

[1]  Le 4 mai 2018, la représentante du membre (RM) a présenté la réponse du membre visé, dans laquelle il niait les trois allégations et fournissait des précisions à cet égard. L’allégation 4 avait été retirée par le représentant de l’autorité disciplinaire (RAD) avant le 2 mai 2018. À l’audience, la RM et le RAD ont présenté un exposé conjoint des faits dans lequel l’énoncé détaillé de l’allégation 2 avait été modifié, à la suite de quoi le membre visé a reconnu les faits qui lui étaient reprochés. Le RAD a retiré l’allégation 3. Seule l’allégation 1 a été contestée à l’audience :

Allégation 1

Entre le 3 et le 4 août 2015, à Meadow Lake, dans la province de la Saskatchewan, ou dans ses environs, [le membre visé] s’est comporté d’une manière susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrevenant ainsi à l’art. 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé de la contravention :

1. À l’époque des faits, vous étiez de service à titre de membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division F, dans la province de la Saskatchewan.

2. Le 27 juillet 2015, [Mme A] a été arrêtée relativement à des mandats non exécutés et amenée au détachement de la GRC à Meadow Lake, où elle est demeurée détenue jusqu’au 4 août 2015. Mme [A] a été placée dans la cellule numéro un.

3. Vous vous êtes rendu au bloc cellulaire et avez commencé à agir d’une manière non professionnelle, notamment à flirter avec Mme [A] en faisant des gestes à caractère sexuel. Alors que vous vous teniez devant la porte de la cellule de Mme [A.] et que vous portiez l’uniforme complet, vous vous êtes mis à danser et à faire semblant d’enlever votre gilet pare-balles. Mme [A.] a pu voir vos manoeuvres de séduction par les ouvertures de la porte qui permettent de voir et d’avoir accès à l’extérieur ou de sortir de la cellule numéro un. Vous avez ensuite fait des gestes de la main à l’intention de Mme [A] pour qu’elle vous montre ses seins en échange d’une cigarette.

4. Mme [A.] a fait ce que vous lui avez demandé et vous a montré ses seins. Vous avez vu Mme [A] vous montrer ses seins en regardant la transmission vidéo de la cellule numéro un sur le moniteur. Vous avez continué d’encourager Mme [A] à montrer ses seins.

5. Plus tard, vous avez récompensé Mme [A] en l’amenant au garage de stationnement du détachement pour lui donner une cigarette. Mme [A] n’a pas signalé l’incident en raison de votre statut de policier, qui vous place en situation d’autorité.

6. Vous avez également remis un briquet à Mme [A] et vous l’avez autorisée à le garder au moment où elle est retournée dans la cellule numéro un. Le fait que Mme [A] avait un briquet en sa possession dans le bloc cellulaire risquait inutilement de compromettre non seulement sa propre sécurité, mais également celle de sa partenaire de cellule, Mme [K].

Allégation 2 [modifiée conformément à une entente conclue entre la RM et le RAD]

Entre le 2 et le 17 janvier 2016 inclusivement, à Meadow Lake, dans la province de la Saskatchewan, ou dans ses environs, [le membre visé] s’est comporté d’une manière susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrevenant ainsi à l’art. 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé de la contravention :

1. À l’époque des faits, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et affecté à la Division F, dans la province de la Saskatchewan.

2. Le 2 janvier 2016, [Mme H] a communiqué avec le Détachement de la GRC à Meadow Lake pour qu’on emmène son cousin en état d’ébriété hors de sa propriété. Le dossier 2016-7273 a été créé dans le SIRP, et le membre visé s’est rendu sur les lieux en compagnie du [gendarme (gend.) A. G.]. Dans le cadre de ses fonctions, le membre a obtenu les coordonnées de Mme [H], y compris son numéro de téléphone cellulaire personnel. Le membre a obtenu le numéro de téléphone cellulaire personnel de Mme [H] auprès du service de répartition, car Mme [H] ne voulait pas ouvrir la porte aux membres.

3. Plus tard ce soir-là, le membre visé a envoyé à Mme [H] un message texte pour lui dire où en était son dossier, l’informant que son cousin était en détention, et pour lui demander si les policiers pouvaient faire autre chose pour elle.

4. Peu de temps après l’incident, le membre visé a envoyé par message texte à Mme [H] une photo de lui habillé.

5. Quelque temps après l’incident susmentionné et les échanges de messages textes entre le membre visé et Mme [H], le membre a fait monter cette dernière dans un véhicule de police identifié alors qu’il était de service et l’a conduite jusqu’à sa résidence.

6. Le membre visé est retourné à la résidence de Mme [H] après son quart de travail. Il est arrivé à la résidence vers 4 h et il était toujours en uniforme, ce qui aurait pu faire croire à Mme [H] qu’il était toujours de service. Le membre et Mme [H] ont eu une relation sexuelle consensuelle. Mme [H] avait consommé de l’alcool, mais elle n’était pas en état d’ébriété.

[En gras dans l’original; les éléments entre crochets ont été ajoutés au document original.]

LA PREUVE

Allégation 1

[2]  Le comité de déontologie a examiné le dossier en entier et a reçu plusieurs pièces à conviction des représentants. Il a entendu quatre témoins : Mme A, Mme K., le gardien W. C. et le membre visé.

[3]  L’identité du membre visé est établie. Le membre visé a été affecté au Détachement de Meadow Lake le 21 décembre 2013. Il s’agissait de sa première affectation. Le sous-officier responsable (s.-off. resp.) du Détachement de Meadow Lake est un sergent d’état-major.

[4]  Le 27 juillet 2015, à 13 h 45, Mme A a été mise en état d’arrestation en vertu d’un mandat selon la formule 7 et mise en détention au bloc cellulaire du détachement de Meadow Lake. Elle devait être condamnée relativement à une affaire grave de possession ou de distribution de drogue. Elle n’était pas heureuse de la situation dans laquelle elle se trouvait et pleurait souvent. Les gardiens de bloc cellulaire sont tenus, conformément à la politique en vigueur, de jeter un oeil sur les détenus toutes les 20 minutes. Ils doivent consigner dans un registre des prisonniers leurs observations au sujet des détenus ainsi que les activités dans le bloc cellulaire. Le registre des prisonniers a été créé conformément à la politique de la GRC et est tenu à jour en temps réel par les gardiens pendant leur quart de travail. Les gardiens de bloc cellulaire sont des employés du Corps des commissionnaires. Les quarts de travail des gardiens sont d’une durée de huit heures, et des gardiens sont sur place 24 heures sur 24.

[5]  En prévision de sa comparution devant le tribunal pour le prononcé de sa sentence, Mme A a dû enfiler une combinaison orange. Sous la combinaison, elle portait ses sous- vêtements. Comme il est interdit aux prisonnières de porter un soutien-gorge, Mme A s’est vu remettre un t-shirt pour respecter sa pudeur. Le jeudi 30 juillet 2015, à 9 h 16, Mme A s’est rendue au palais de justice. Elle est retournée au bloc cellulaire la même journée, à 15 h 50; elle pleurait et était en colère. Dans le registre des prisonniers, il est écrit que Mme A a pleuré la majeure partie du temps passé au palais de justice.

[6]  Peu après son retour du palais de justice, des membres sont allés voir Mme A pour lui parler. On lui a permis de faire des appels pour parler aux membres de sa famille. Le gend. W. A. l’a accompagnée à la baie de sécurité, qui est attenante au garage de stationnement. La porte extérieure de la baie de sécurité peut être fermée et verrouillée avant qu’un prisonnier ne sorte du véhicule de police et n’entre dans le bloc cellulaire. Mme A a eu l’autorisation de faire un autre appel avant de retourner à sa cellule. Dans l’heure qui a suivi, des vêtements ont été livrés à Mme A et elle a été escortée par un autre gendarme jusqu’à la salle de téléphone. Quelques minutes après être retournée à sa cellule, elle a reçu un autre appel d’un membre de sa famille. À 21 h ce soir-là, Mme K a rejoint Mme A dans sa cellule, et les deux femmes ont partagé la cellule 1 pendant toute la durée de leur détention au détachement de Meadow Lake. Il va sans dire que la journée a été bien remplie.

Description du bloc cellulaire

[7]  Le bloc cellulaire du détachement de Meadow Lake se compose de cellules aménagées le long d’un couloir linéaire. À une extrémité se trouve la baie de sécurité, à côté de laquelle se trouve une cuisine, puis des douches, puis la cellule 1. Cette cellule est la première de neuf cellules dans le couloir. La plupart des cellules peuvent accueillir deux prisonniers, à l’exception d’une cellule de dégrisement, qui peut en accueillir plus. À côté de la cellule 1 se trouve la cellule 2, et ainsi de suite. La cellule 2 est située directement en face du poste de garde, de l’autre côté du couloir. Les sept autres cellules se trouvent à la droite du poste de garde, des deux côtés du couloir. Il y a une sortie de secours à l’extrémité de la rangée. La salle de téléphone pour les prisonniers se trouve de l’autre côté du couloir, en face de la cabine de douche. Entre la salle de téléphone et le poste de garde se trouve une porte qui mène aux bureaux du détachement. Cette porte fait face aux cellules 1 et 2. Les cellules sont munies de portes de métal lourd dotées d’une fenêtre dans la partie supérieure et d’une fente destinée à la distribution des repas dans la partie inférieure. La fente se trouve à environ 50 cm du sol et est munie d’une porte à battants qui s’ouvre vers le bas et vers le couloir et qui permet d’y glisser des plateaux de repas. La fenêtre et la fente sont sécurisées depuis l’extérieur. Ni l’une ni l’autre ne peuvent être ouvertes à partir de l’intérieur de la cellule, et on les garde généralement fermées.

[8]  Le poste de garde comprend un bureau placé près d’un mur à peu près à la hauteur de la taille. Si le gardien était assis, on ne pourrait vraisemblablement pas le voir depuis le couloir. S’il était debout, il pourrait voir la plupart des cellules en s’étirant vers l’avant. Plus important encore, s’il s’étirait pour regarder de l’autre côté d’un mur, il serait en mesure de voir la porte de la cellule 1. La salle de bains du gardien se trouve à l’intérieur du poste de garde.

[9]  Des caméras sont installées dans chaque cellule et offrent une vue panoramique de l’intérieur de celle-ci. Il y a au moins quatre caméras le long du bloc cellulaire, une dans la baie de sécurité et une autre derrière le poste de garde. Les vidéos captées par ces caméras sont conservées pendant une certaine période pour le cas où elles seraient nécessaires à des fins d’enquête. Le poste de garde est doté d’une série de moniteurs vidéo, un pour chaque caméra du bloc. Grâce à ces moniteurs, le gardien de service peut surveiller les mouvements et assurer la sécurité des prisonniers. On y trouve deux séries de moniteurs, ce qui permet à deux gardiens de travailler au bloc en même temps. Pendant la période où Mme A était détenue au bloc cellulaire, un seul gardien était de service à la fois.

Activités au bloc cellulaire

[10]  Les quatre jours suivants ont été tranquilles pour Mme A et Mme K. Dans le registre des prisonniers, on y a écrit que leurs activités se résumaient à être assises ou couchées, à dormir, à lire ou à jouer aux cartes. Mme A prenait des médicaments et plusieurs notes portaient sur le fait qu’elle devait prendre la bonne médication. Les cellules de police sont ennuyantes pour les prisonniers. Pour pouvoir parler à d’autres prisonniers, ils doivent crier d’une cellule à l’autre. S’ils sont deux dans une cellule, ils ont plus l’occasion de parler. L’entrée d’un policier et surtout d’un nouveau prisonnier dans le bloc cellulaire procure une certaine distraction aux détenus.

[11]  Le samedi 1er août 2015, à 21 h 5, le membre visé a amené une femme en état d’ébriété dans le bloc cellulaire. La femme a refusé d’enlever son soutien-gorge et avait un comportement très difficile. Le s.-off. resp. du Détachement de Meadow Lake avait interdit le port du soutien- gorge dans les cellulaires en raison du risque qu’il présentait pour la sécurité des prisonnières. On craignait qu’une prisonnière s’en serve pour se pendre. Le membre visé a décidé de laisser la femme porter son soutien-gorge, mais il a demandé au gardien de la surveiller de près. Témoins de l’incident, les autres prisonniers ont bruyamment fait part de leurs opinions au membre visé. Mme A et Mme K auraient entendu ce remue-ménage. À 21 h 25, le membre visé a eu une conversation avec Mme A à travers la porte ouverte de la cellule 1. On ne sait pas de quoi ils ont discuté.

[12]  Le dimanche 2 août 2015, à 12 h 20, Mme K a parlé au gardien de service. Dans le registre des prisonniers, il est écrit [Traduction] : « il semblerait que son avocat va communiquer avec le s. é.-m. pour parler de ʺharcèlement sexuelʺ ». Ni l’un ni l’autre des représentants ne s’est penché sur cet élément, qui est fourni à des fins de mise en contexte. Le reste de la journée a été plutôt tranquille; dans le registre des prisonniers, il est écrit que Mme A a dormi, était étendue, a joué aux cartes, etc.

[13]  Le membre visé a travaillé du 30 juillet au 5 août 2015, avec le gendarme supérieur B. Selon le registre des prisonniers, ils sont entrés à divers moments avec des prisonniers dans le bloc cellulaire et se sont occupés de certains dossiers dans le bloc.

[14]  Le lundi 3 août 2015, le membre visé a commencé son quart de travail à 16 h, et celui-ci devait se terminer à 4 h le lendemain matin. Le gardien W. C. a également commencé son quart à 16 h. Neuf prisonniers se trouvaient dans le bloc cellulaire, dont Mme A et Mme K. Ils occupaient les cellules 1, 2, 3, 4, 5 et 8. Toutes les cellules situées de l’autre côté du couloir par rapport au poste de garde étaient occupées. La période visée par l’allégation se situe entre 16 h, soit le début du quart de travail du membre visé, et minuit, l’heure à laquelle le membre visé a accompagné Mme A dans la baie de sécurité pour qu’elle y fume une cigarette.

[15]  J’ai examiné les déclarations des témoins obtenues pendant l’enquête et j’ai entendu les témoignages à l’audience. Je me suis reporté au registre des prisonniers. Ni les notes manuscrites prises au cours de la soirée par le membre visé, ni les dossiers de police qu’il a créés pendant son quart, ni les coordonnées GPS de son véhicule de police ne figurent dans le registre ou n’ont été présentés en preuve à l’audience.

[16]  À 15 h 11, le gardien a donné deux comprimés d’acétaminophène à Mme A. Il a été noté que celle-ci était étendue ou assise ou qu’elle jouait aux cartes. Mme A a reçu deux autres comprimés d’acétaminophène à 17 h 45. À 19 h 20, le gardien W. C. a pris les effets personnels et les vêtements civils de Mme A qui se trouvaient dans un casier de rangement pour les mettre dans le couloir en vue de son départ prévu le lendemain. Le gardien W. C. a remarqué que son sac à main avait été saisi par les enquêteurs et qu’il avait été remis dans le casier avec le reste de ses effets. Selon la note du gardien, le sac à main de Mme A contenait beaucoup d’objets. Aucune liste des articles qui se trouvaient dans le sac à main n’a été présentée en preuve; une telle liste n’a probablement pas été dressée.

[17]  Jusque-là, rien n’indiquait dans le registre des prisonniers qu’un policier était entré au bloc cellulaire depuis le début du quart de travail, soit 16 h. Même si les notes prises par le gardien W. C. étaient détaillées, le membre visé aurait pu être entré au bloc cellulaire sans que cela ait été consigné au registre.

[18]  À 20 h, le membre visé a commencé à faire prendre des douches aux prisonniers. Mme A a été la première à prendre sa douche. Comme elle devait quitter le bloc le lendemain, elle devait enlever sa combinaison orange et enfiler ses vêtements en vue de sa sortie. Pendant que les prisonniers prenaient leur douche, le membre visé s’occupait d’amener ces derniers aux douches et jusqu’à leur cellule par la suite. Pendant ce temps, le gardien W. C. consignait les déplacements des prisonniers. Pendant la période des douches, le gardien W. C. a noté à plusieurs occasions que Mme K et Mme A étaient assises dans leur cellule. À 21 h 35, les douches étaient terminées. À 21 h 50, le membre visé a accompagné Mme A jusqu’à la salle de téléphone pour qu’elle puisse faire un appel, à sa demande. Elle est retournée à sa cellule à 21 h 55.

[19]  Le gardien W. C. a consigné ses activités dans le bloc cellulaire, comme le nettoyage après les douches. À 22 h 45, il a inscrit au registre qu’il quittait le bloc cellulaire pour apporter le livre de paye au comptoir avant. Il semble que ce geste n’a pas pris plus d’une minute, car à 22 h 46, il a écrit une note au sujet du lave-vaisselle. Le gend. B. est entré dans le bloc cellulaire à 22 h 50 et s’est occupé d’un prisonnier pendant cinq minutes. À 23 h 6, Mme A était assise, puis elle s’est couchée, et elle dormait à 23 h 35, selon le registre. À minuit, le gardien W. C. a terminé son quart de travail et a été remplacé par le gardien S. C’est à cette heure-là que le membre visé a accompagné Mme A de sa cellule jusqu’à la baie de sécurité pour qu’elle fume une cigarette. L’heure à laquelle la prisonnière est allée fumer n’a rien d’inhabituel. Les membres qui font des quarts de nuit insèrent des activités dans leur horaire de pauses quand ils le peuvent. Les prisonniers qui dorment la majeure partie de la journée dans leur cellule sont faciles à réveiller la nuit.

Raisons pour lesquelles Mme A s’est vu offrir une cigarette

[20]  C’est ici que les témoignages divergent. Le membre visé a laissé entendre qu’à un certain moment pendant son quart de travail, Mme A avait exprimé le désir de parler à un membre. Comme elle s’en allait en prison le lendemain pour y purger une peine relativement à une condamnation pour une infraction importante liée à la drogue, le membre avait le sentiment qu’il pourrait être utile de discuter avec elle. Il croyait qu’elle était peut-être prête à lui donner de l’information qui pourrait mener à une enquête fructueuse. Pendant la pause-cigarette dans la baie de sécurité, Mme A n’était pas disposée à donner de l’information sur la drogue, elle a simplement cherché à se renseigner au sujet de son fils aîné. Ce récit est vraisemblable en ce sens qu’elle ne faisait pas confiance au membre visé, qu’elle avait été condamnée à une longue peine d’emprisonnement et qu’elle s’inquiétait pour son fils.

[21]  Le membre visé a constamment nié s’être mal conduit dans les déclarations qu’il a faites aux enquêteurs du service de police de Moose Jaw, et ce, malgré le fait qu’il a été interrogé par un enquêteur très compétent spécialisé dans les crimes graves qui a utilisé de nombreuses ruses pendant l’interrogatoire. Le membre visé a continué de nier les faits qui lui étaient reprochés lors de son témoignage devant le comité de déontologie. Sa version des faits était en grande partie cohérente.

[22]  Dans sa déclaration aux enquêteurs et lors de son témoignage devant le comité de déontologie, Mme A a affirmé que le membre visé l’a encouragée, par des gestes que l’on peut qualifier d’explicites, à lui montrer ses seins en échange de la possibilité de fumer une cigarette. Elle a relaté qu’il s’était mis à faire une danse qui ressemblait à un numéro d’effeuillage, à ouvrir la fermeture éclair de son gilet pare-balles et à faire semblant de montrer sa poitrine. Elle a dit qu’il avait ensuite formé un « V » avec l’index et le majeur et qu’il les avait portés à sa bouche pour faire semblant de fumer une cigarette. Elle a compris que si elle montrait ses seins au membre visé, il lui permettrait de fumer une cigarette. Mme A est une fumeuse. Elle a déclaré qu’aucun mot n’avait été prononcé. Elle a dit avoir vu les gestes provocants du membre visé à travers une fissure autour de la fente pour les repas, fermée, de la porte de sa cellule. Comme il a été décrit plus tôt, la porte de la cellule 1 est munie d’une fenêtre et d’une fente destinée à la distribution des repas. Je constate que, pour la durée de l’épisode en question, la fenêtre et la fente étaient fermées depuis l’extérieur et ne pouvaient pas être ouvertes par les prisonnières.

[23]  Pour que Mme A ait pu voir le membre visé dans le couloir, il lui aurait fallu s’asseoir par terre ou s’accroupir et pencher la tête à quelque 50 cm du sol, puis regarder à travers l’étroite fissure qui entourait, selon ses dires, la fente dans la porte. Mme A a déclaré que, pendant la danse provocante du membre visé, celui-ci se trouvait dans le couloir attenant à la cellule 1, à environ un mètre d’où elle était.

Possibilité d’inviter la prisonnière à s’exhiber

[24]  Durant son témoignage, Mme A a déclaré que l’invitation à montrer ses seins est survenue après les douches, soit après 21 h 25. Elle a dit avoir attendu entre une et deux heures avant de pouvoir fumer, ce qui signifie que la demande a pu être faite entre 21 h 25 et 22 h ou 23 h. Le membre visé aurait pu faire les gestes à connotation sexuelle au moment où le gardien W. C. s’était absenté de son poste ou lorsqu’il était en train de travailler ailleurs dans le bloc cellulaire. Dans le cas contraire, le membre aurait risqué de se faire prendre. Le gardien W. C. a affirmé qu’il consignerait toute activité inhabituelle de la part d’un prisonnier ou survenant dans le bloc cellulaire. Il était le gardien en chef du bloc et détenait le grade de sergent. Dans le cadre de ses fonctions, il devait parfois se rendre dans la cuisine et les douches du bloc, mais ces pièces n’étaient pas grandes et se trouvaient à quelques pas seulement du couloir du bloc attenant à la cellule 1.

[25]  Le membre visé aurait exécuté la danse à la vue des huit autres prisonniers du bloc. Toutes les cellules situées du côté opposé au poste de garde étaient occupées. Mme A a affirmé qu’elle pouvait voir le membre par la fente pour les repas. Si tel a été le cas, les autres prisonniers des cellules situées de son côté du couloir auraient eux aussi pu voir à travers la fente de leur porte, ou la fenêtre ou la fente de la porte de l’une des cellules aurait pu être ouverte. De plus, le gend. B aurait pu entrer dans le bloc sans que le membre visé ne s’y attende pendant qu’il exécutait la danse. La porte d’entrée du bloc cellulaire se trouve juste en face des cellules 1 et 2.

[26]  La surveillance vidéo constante constituait le risque le plus important de détection dans le bloc cellulaire. Le membre visé aurait fait sa danse suggestive à la vue des quatre caméras installées le long du couloir du bloc cellulaire. Ces caméras auraient capté les gestes du membre visé et les images auraient été conservées pendant des mois. Le membre visé savait qu’il y avait de la vidéosurveillance dans le bloc cellulaire et que les images captées étaient conservées, car il avait déjà utilisé ce système vidéo pour télécharger des images dans le cadre d’enquêtes pour conduite avec les capacités affaiblies. Immédiatement après avoir exécuté la danse et invité Mme A à montrer ses seins, le membre visé, qui se trouvait en face de la cellule 1, se serait déplacé jusqu’au poste de garde pour voir les seins de Mme A sur les moniteurs vidéo montrant les images de la cellule. Il aurait fallu que le gardien ne soit pas au poste de garde. Une caméra vidéo était installée dans le poste de garde et elle aurait capté les images du membre visé en train de regarder les moniteurs.

[27]  Mme A a dit qu’elle pouvait également voir par la fissure de la fente pour les repas de la porte de sa cellule le membre visé en train de la regarder sur les moniteurs vidéo du poste de garde, ou à tout le moins, rire d’elle pendant qu’elle s’exhibait. J’ai conclu précédemment qu’une personne se trouvant au poste de garde devait s’étirer pour pouvoir voir la porte de la cellule 1. Il est donc difficile de croire qu’une personne puisse voir le poste de garde à travers les fissures de la fente dans la porte depuis l’intérieur de sa cellule, qui offraient vraisemblablement une vue beaucoup plus restreinte. Selon Mme A, le membre visé ne l’a pas vue la première fois qu’elle a montré ses seins, alors il est retourné faire sa petite danse suggestive devant sa cellule et l’a encouragée à montrer ses seins de nouveau. Le membre visé a invité Mme A à montrer ses seins et celle-ci a obtempéré au moins deux fois avant que le membre ne soit apparemment satisfait. Si cela avait été le cas, le membre visé aurait dû passer plus de temps devant la cellule 1, ce qui aurait augmenté les risques qu’il se fasse prendre et aurait restreint davantage le temps dont il disposait pour réussir son stratagème.

[28]  Selon le RAD, il aurait fallu quelques secondes à peine pour que le membre visé invite Mme A à montrer ses seins et qu’elle s’exhibe. J’estime qu’il aurait fallu plusieurs minutes pour que le membre exécute les danses suggestives de façon répétée et se déplace vers les moniteurs vidéo. Le membre visé ne disposait que de 35 à 95 minutes, période durant laquelle le gardien W. C. aurait été occupé ou absent, pour faire sa danse sans que le gardien, les autres prisonniers ou le gend. B ne le voient. Le membre visé savait que les caméras de surveillance du bloc cellulaire captaient tous ses faits et gestes et que les images enregistrées étaient conservées pendant des mois. Il importe de noter que lorsque cette allégation a été formulée, en raison du temps écoulé, les enregistrements vidéo de la cellule avaient été détruits et n’étaient donc plus disponibles.

Témoignage de Mme K

[29]  La description de l’incident par Mme A a été corroborée par sa compagne de cellule, Mme K, avec qui elle avait passé les quelques jours précédant l’incident allégué. Cette dernière a témoigné devant le comité de déontologie et a déclaré avoir vu Mme A montrer ses seins devant la caméra de leur cellule à plusieurs reprises. Mme K a affirmé que Mme A lui avait dit qu’elle agissait ainsi pour répondre à l’invitation du membre visé. Mme K a raconté qu’elle avait elle aussi regardé à travers la fissure de la fente fermée dans la porte de la cellule et qu’elle avait vu le membre visé en train de faire bander son biceps. Elle regardait par la fente, la joue contre celle de Mme A, ou elles jetaient un oeil tour à tour. Mme K a signalé que ce que faisait Mme A ne la regardait pas.

[30]  Mme K a été incarcérée avec Mme A pendant quelques jours, et elles ont eu l’occasion de discuter de nombreuses heures ensemble. Comme il a été noté dans le registre des prisonniers, Mme K avait informé le gardien, la veille de l’incident, qu’elle allait demander à son avocat de communiquer avec le sergent d’état-major pour parler de « harcèlement sexuel ». Elle a décrit au comité de déontologie l’incident du lendemain impliquant le membre visé et Mme A comme étant du harcèlement sexuel.

[31]  Mme K a signalé de son plein gré au comité de déontologie qu’au cours de la période où l’incident a eu lieu, elle avait subi une blessure qui l’a plongée dans le coma pendant plusieurs jours, et que pour cette raison, elle éprouvait des problèmes de mémoire. Cela dit, elle a insisté sur le fait qu’elle se souvient de tout ce qui concerne l’incident. J’ai trouvé que lors de son témoignage, elle se disait rapidement d’accord avec les questions suggestives que lui posait l’avocat.

[32]  Si le membre visé a réellement dansé devant la cellule 1, Mme K aurait été contrainte de s’agenouiller par terre, juste à côté de Mme A, afin de pouvoir voir par la fissure de la fente destinée à la distribution des repas. Il est plus probable que Mme K ne faisait que répéter ce que Mme A a pu lui avoir dit. Je n’estime pas que Mme K soit un témoin très crédible; par conséquent, je n’accorde pas beaucoup de poids à son témoignage.

Témoignage de M. H.

[33]  Pendant son transport de Meadow Lake à l’établissement correctionnel pour femmes de Pine Grove le lendemain, Mme A se trouvait en compagnie de M. H dans le fourgon cellulaire. Dans sa déclaration aux enquêteurs, M. H a affirmé qu’il avait posé des questions à Mme A sur la façon dont elle s’y était prise pour obtenir une cigarette la veille, à minuit. Mme A allait être incarcérée pendant plusieurs années, et M. H insinuait que Mme A agissait peut-être comme informatrice pour la police du fait que le membre visé lui avait donné une cigarette. La prison est un milieu difficile, et aucun détenu ne voudrait qu’on croie qu’il est un informateur. C’est alors que Mme A lui a raconté l’incident où le membre visé l’aurait invité à lui montrer ses seins et où elle se serait exhibée. Bien qu’il s’agisse d’un ouï-dire, cette révélation pourrait être considérée comme une « première divulgation » de Mme A à M. H. Le scénario où un policier fait du harcèlement sexuel à l’endroit d’une femme en l’encourageant à se dévêtir en échange d’une cigarette était crédible aux yeux de M. H. En fait, celui-ci était satisfait d’entendre ce genre de récit et a dit qu’il aimerait se servir de cet incident comme moyen de pression à l’endroit d’un policier. Il a déclaré que Mme A lui avait demandé de ne pas répéter le récit qu’elle venait de faire et qu’elle a fini par lui dire [Traduction] : « […] “On s’en sacre, qu’elle a dit, je vais m’en servir”. C’est ce qu’elle m’a dit. “On s’en sacre, je vais m’en servir”. » [Transcription de la déclaration de M. H aux enquêteurs, page 20 de 42]

[34]  M. H. n’a pas été lui-même témoin de l’un ou l’autre des faits litigieux. Son témoignage au sujet de l’incident où le membre visé a invité Mme A à montrer ses seins et où elle a accédé à sa demande était fondé sur un ouï-dire et consistait seulement à relater le récit que lui avait rapporté Mme A. Son témoignage est aussi crédible que celui de Mme A, et j’y accorde peu de poids. Son témoignage selon lequel l’incident pourrait être utilisé comme moyen de pression exercé à l’endroit d’un policier semble vraisemblable, et j’y accorde plus de poids.

Analyse de la crédibilité des témoins – Possibilité d’avoir fait une observation exacte

[35]  Les deux représentants ont constaté que la crédibilité des témoins revêt une importance cruciale en ce qui concerne cette allégation. Pour évaluer la crédibilité d’un témoin, il est coutume de se référer à un trio de décisions judiciaires; bien qu’elles remontent à un passé assez lointain, elles sont toujours citées avec approbation par les différents tribunaux du pays.

  1. Ilyad’abordl’affaire Wallace v. Davis (1926) 31 OWN 202, où le critère est décrit comme suit à la page 203 [Traduction] :

[...] la crédibilité d’un témoin, au sens propre du mot, ne dépend pas uniquement de l’honnêteté de ses déclarations. Elle dépend aussi de ce qu’il a eu ou non la possibilité et la capacité de faire des observations exactes, de la fidélité de sa mémoire quant aux faits observés, de sa capacité de résistance aux pressions, dont il n’est souvent pas conscient et qui tendent à altérer ses souvenirs, de son aptitude à relater à la barre des témoins les faits observés, de son aptitude à s’exprimer avec clarté – autant de facteurs dont on doit tenir compte pour décider du poids à accorder au témoignage d’un témoin, quel qu’il soit. [Caractères gras ajoutés]

  1. Dans l’affaire MacDermid v. Rice (1939) R. de Jur. 208, le juge Archambault écrit ceci à la page 210 [Traduction] :

[...] lorsque la preuve testimoniale relative à un fait important s’avère contradictoire [...], le tribunal doit prendre en compte les motifs des témoins, leur relation ou leur lien d’amitié avec les parties, leur attitude et leur comportement à la barre des témoins, la façon dont ils livrent leur témoignage ainsi que la probabilité des faits relatés sous la foi du serment, et ensuite en venir à une conclusion quant à la version qu’il convient de tenir pour véridique.

  1. Voicilecritèreexposédansl’affaireFaryna v. Chorney [1952] 2 D.L.R. 354, à la page 357 [Traduction] :

On ne peut pas apprécier la crédibilité des témoins intéressés, en particulier lorsque la preuve est contradictoire, en se demandant uniquement si, par son comportement, le témoin donne l’impression de dire la vérité. Sa version des faits doit faire l’objet d’un examen raisonnable visant à établir si elle concorde avec les probabilités attachées aux conditions qui existent alors. Bref, le véritable critère de la véracité du récit d’un témoin tient, en pareil cas, à la mesure dans laquelle son témoignage est en harmonie avec la prépondérance des probabilités qu’une personne avisée et à l’esprit pratique reconnaîtrait aisément comme raisonnable en ce lieu et dans ces circonstances.

[36]  Mme A a passé plusieurs jours dans une cellule avec Mme K. Le 1er août, elles ont toutes deux entendu le membre visé lorsqu’il se disputait avec une prisonnière en état d’ébriété qui ne voulait pas enlever son soutien-gorge. Le 2 août, Mme K a dit au gardien que son avocat allait communiquer avec le s.-off. resp. en ce qui concerne un cas de harcèlement sexuel. Mme K a décrit au comité de déontologie l’incident du 3 août où le membre visé avait invité Mme A à montrer ses seins et où elle a accédé à sa demande comme étant du harcèlement sexuel. Pendant qu’elles étaient dans la cellule, les deux femmes ont eu l’occasion de discuter de sujets de toutes sortes. Mme A allait demeurer incarcérée pendant une longue période. Lorsque M. H lui a demandé comment elle s’y était prise pour obtenir une cigarette du membre visé, elle lui a raconté, pour réduire le risque qu’on la soupçonne de jouer le rôle d’informatrice, que le membre l’avait invitée à montrer ses seins et qu’elle avait acquiescé à sa demande. Mme A avait une bonne explication à fournir à M. H lorsqu’il lui posait des questions. La possibilité que l’incident ait été inventé par Mme A est examinée de plus près ci-après.

[37]  La possibilité que Mme A ait pu voir ce qu’elle affirme avoir vu est l’élément qui met le plus en doute sa crédibilité. Elle a déclaré avoir regardé la danse suggestive du membre visé à travers la fissure autour de la fente pour la distribution des repas dans la porte de sa cellule. Elle a affirmé qu’elle était également en mesure de le voir lorsqu’il se trouvait au poste de garde. À l’audience, la RM a présenté trois images au comité de déontologie : la première (1) montrant la porte de la cellule 1 lorsque la fenêtre est ouverte, la deuxième (2) montrant la porte de la cellule 1 lorsque la fenêtre est fermée et la troisième (3) étant une image pleine longueur de l’intérieur de la porte de la cellule 1 sur laquelle on peut voir la fente pour les repas. Ces images n’ont pas été très utiles au comité de déontologie. Cependant, dans le dossier électronique présenté par le RAD figuraient d’autres images, soit des plans rapprochés de la fente depuis l’intérieur de la cellule 1 : sur une image, la fente était ouverte et sur l’autre, elle était fermée. Ces images représentaient la perspective que Mme A et Mme K devaient avoir. Sur l’image montrant la fente fermée, on peut voir une ligne ou une ombre noire qui correspondrait, selon la description faite par Mme A, à la fissure autour de la fente à travers laquelle elle a affirmé avoir été en mesure de voir dans le couloir du bloc cellulaire. L’élément le plus évocateur selon le comité de déontologie était l’image montrant la fente ouverte et la porte de la fente. Cette porte consiste en une pièce de métal plate et rectangulaire dont la partie inférieure est munie de charnières et qui s’ouvre vers l’extérieur, dans le couloir du bloc cellulaire. La porte est faite de deux pièces de métal lourd fixées ensemble; la pièce extérieure dépasse la pièce intérieure d’environ un centimètre tout le long de son contour. Sur la partie intérieure de la porte de la cellule, la fente pour la distribution des repas est entourée d’un cadre de métal lourd qui ressemble à un cadre plat. Quand la porte de la fente est fermée, la pièce de métal intérieure, plus petite, s’insère étroitement dans le cadre de métal. La pièce de métal extérieure dépasse le cadre de métal d’un centimètre environ, ce qui élimine la possibilité de voir à travers la fente fermée. Le gardien W. C. a affirmé que la fente pour les repas était toujours fermée, et Mme A et Mme K ont toutes deux dit que la fenêtre et la fente pour les repas étaient fermées. Il n’y avait aucune fissure par laquelle on pouvait voir de l’autre côté de la porte. Mme A et Mme K n’ont pas pu voir ce qu’elles ont déclaré avoir vu.

[38]  Compte tenu de l’écart entre ce qu’on voit sur les images montrant la porte de la cellule 1 figurant au registre et ce qu’ont déclaré les témoins dans leurs dépositions, je n’accorde aucun poids aux témoignages de Mme A et de Mme K à cet égard. Ces dernières n’auraient pas pu voir le membre visé en train de danser ou de faire bander ses muscles à travers la fente pour les repas, qui était fermée.

[39]  Si j’ai tort, je vous fais part des observations suivantes. M. H. n’a pas eu l’occasion de voir le membre visé inviter Mme A à lui montrer ses seins ni de voir Mme A en train de s’exhiber. Son témoignage reposait sur un ouï-dire, et il a répété ce que Mme A lui avait raconté. Je ne peux pas accorder beaucoup de poids à son témoignage à cet égard. Mme K a avoué avoir subi un traumatisme crânien, avoir été plusieurs jours dans le coma et avoir éprouvé des troubles de mémoire par la suite. Il est possible que Mme K ait bien vu ce qu’elle a déclaré avoir vu, mais il est plus probable qu’elle n’ait que répété ce que Mme A lui a raconté. Mme K a dit que Mme A portait une combinaison orange pendant l’incident, ce que Mme A a également déclaré. Cette description ne correspond pas aux vêtements que Mme A portait après avoir pris sa douche en prévision de son départ le lendemain (ses vêtements civils). Je dois donc accorder moins de poids au témoignage de Mme K. Mme A, Mme K et M. H étaient des connaissances qui se voyaient occasionnellement à l’intérieur et à l’extérieur des établissements correctionnels. Tous trois éprouvaient un profond mépris pour le membre visé, affirmant qu’il avait une mauvaise réputation à Meadow Lake. L’histoire que Mme A a racontée à M. H, qui lui avait demandé comment elle s’y était prise pour avoir une cigarette au bloc cellulaire, se tenait selon M. H, qui avait l’intention de s’en servir contre la police plus tard. Mme A ne voulait pas qu’on croie qu’elle était une informatrice en prison. Le membre visé a constamment nié l’allégation 1, mais il a reconnu les faits liés à l’allégation 2. Le gardien du bloc cellulaire a passé la majeure partie de son quart de travail dans le bloc, ce qui laissait très peu de temps pour que le membre visé invite Mme A à montrer ses seins et que celle-ci s’exhibe à l’intention du membre. Compte tenu de ce qui précède et du fait que le système de vidéosurveillance aurait certainement capté l’incident allégué, il ne semble tout simplement pas vraisemblable que cet incident ait bien eu lieu.

Le briquet dans la cellule 1

[40]  Au point 6 de l’énoncé détaillé de l’allégation 1, il est allégué que le membre visé avait permis à Mme A d’apporter un briquet dans sa cellule. Il n’a pas été contesté qu’à minuit, le membre visé a amené Mme A jusqu’à la baie de sécurité pour qu’elle puisse fumer une cigarette. Deux situations pourraient expliquer l’apparition de la cigarette et du briquet. Soit le membre visé avait un paquet de cigarettes et un briquet sur lui, soit Mme A avait récupéré les cigarettes et le briquet dans ses effets personnels qui se trouvaient dans le couloir en prévision de son départ le lendemain.

[41]  Même si des cigarettes et un briquet ne figuraient pas sur le formulaire C-13 (Rapport sur le prisonnier), le gardien W. C. avait noté que son sac à main avait été saisi à des fins d’enquête et, lorsque le sac à main était de retour dans le sac des effets personnels, qu’il était « rempli d’objets ». On ne sait pas exactement quand le sac à main a été saisi ou si une liste des articles qu’il contenait avait été dressée. Quoi qu’il en soit, cette information n’est pas pertinente en l’espèce. Le membre visé a expliqué que pendant la pause-cigarette, il a permis à Mme A d’allumer sa propre cigarette. Celle-ci a signalé que le membre visé et elle n’ont pas parlé beaucoup et qu’il y avait un malaise pendant la pause-cigarette. Le membre visé a dit qu’il espérait obtenir de l’information sur des crimes liés à la drogue de la part de Mme A, mais celle-ci ne lui a rien dit à cet égard. Mme A a fumé sa cigarette et elle est restée dans la baie de sécurité entre cinq et quinze minutes. Sur le chemin du retour vers sa cellule, le membre visé a déclaré avoir demandé à Mme A de remettre ses cigarettes et son briquet dans ses effets personnels. Mme A a affirmé avoir été en mesure de garder le briquet, qu’elle a rapporté dans sa cellule, puis caché dans ses sous-vêtements. Mme K a confirmé que Mme A avait un briquet quand elle est revenue dans leur cellule.

[42]  Rien n’indique dans le registre qu’un briquet a été trouvé durant les fouilles corporelles subséquentes et inévitables sur Mme A, pendant son transport assuré par des shérifs le lendemain et durant son incarcération à l’établissement correctionnel pour femmes de Pine Grove (à Prince Albert). Le fait que Mme A et Mme K ont affirmé durant leur témoignage qu’elles pouvaient voir à travers la fente pour les repas fermée de la porte de leur cellule met en doute la véracité de l’ensemble de leur témoignage. Je conclus que Mme A n’avait pas de briquet dans sa cellule.

[43]  Le membre visé a affirmé ne pas avoir donné de cigarettes à beaucoup de prisonniers au cours de sa carrière. Le fait de permettre à un prisonnier d’allumer sa propre cigarette ne constitue pas une pratique exemplaire, pas plus que de demander à un prisonnier de simplement remettre un briquet dans ses effets. Le fait de permettre à un prisonnier de garder un briquet dans sa cellule est considéré comme une mauvaise pratique en matière de traitement d’un prisonnier de la part du membre visé et aurait présenté un risque pour la sécurité des occupants de la cellule. Si j’ai tort et que Mme A a bel et bien rapporté un briquet dans sa cellule, j’estime que ce manquement relève d’un mauvais rendement de la part du membre visé plutôt que d’une pratique répréhensible.

DÉCISION RELATIVE AUX ALLÉGATIONS

Allégation 1

[44]  J’ai examiné le dossier, entendu les dépositions des témoins, reçu et passé en revue les pièces à conviction et entendu les argumentations des représentants. Les points 3 à 6 de l’énoncé détaillé n’ont pas été établis; par conséquent, je conclus que l’allégation 1 n’a pas été établie selon la prépondérance des probabilités.

Allégation 2

[45]  De même, j’ai examiné le dossier et l’allégation 2, qui a été modifiée. Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que tous les points de l’énoncé détaillé de l’allégation ont été établis. Je crois qu’une personne raisonnable connaissant toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités du travail policier en général et de la GRC en particulier, estimerait que les actes commis par un policier tels que ceux décrits dans cette allégation constituent une conduite déshonorante. Étant donné que les actes ont été commis alors que le membre visé était en uniforme, la GRC a intérêt à sévir à l’égard de cette inconduite.

PEINE

[46]  Le Comité externe d’examen de la GRC a établi de façon définitive la marche à suivre pour l’imposition de mesures disciplinaires. Cette démarche a résisté à l’examen attentif des tribunaux d’instance supérieure et veut qu’on définisse d’abord l’éventail des mesures appropriées pour sanctionner la contravention alléguée. Vient ensuite l’évaluation des facteurs aggravants et des facteurs atténuants. Finalement, il faut s’assurer que les mesures disciplinaires mettent en évidence de façon fidèle et honnête la gravité de l’inconduite, en tenant compte du principe de la parité des peines. En l’espèce, en ce qui concerne l’allégation 2, il a été convenu de modifier l’énoncé détaillé, le membre visé a reconnu les faits qui lui étaient reprochés et les parties ont fait une proposition conjointe de peine. Bien que je ne sois lié par aucune entente conclue entre les représentants, il convient que j’y accorde une certaine considération.

Argumentations relatives à la peine

[47]  L’allégation 2 ayant été établie, je me suis penché sur les argumentations des représentants.

Argumentations du RAD

[48]  Le RAD a réitéré que la relation était consensuelle, mais qu’elle a existé du fait que le membre visé était à l’emploi de la GRC. Les éléments qui peuvent l’expliquer sont la présence de l’uniforme et le tour en voiture de police. Mme H a très bien pu croire que le membre visé était de service pendant leur brève aventure.

Argumentations de la RM

[49]  La RM a présenté une série d’arguments au comité de déontologie sur lesquels je formule les commentaires suivants :

  1. Le membre visé a fini par assumer la responsabilité de ses actes.
  2. Il a dit regretter ses actes et a présenté ses excuses.
  3. Le membre visé n’avait fait l’objet d’aucune mesure disciplinaire grave auparavant.
  4. J’ai pris connaissance des évaluations de rendement du membre visé. Selon ces documents officiels, le membre visé donne un bon rendement, ce à quoi la GRC s’attend de tous les employés.
  5. Les auteurs des lettres de référence soumises ont affirmé que cet écart de conduite ne lui ressemblait pas.
  6. Le membre visé a assuré au comité que cet écart de conduite ne se reproduirait pas.

[50]  Le membre visé a informé le comité de déontologie de la mesure dans laquelle les procédures disciplinaires avaient eu des effets nuisibles sur lui. Le membre est entièrement responsable de ce qui lui arrive. Dans les excuses et la lettre du membre visé à mon intention, je n’ai pas perçu qu’il saisissait bien le tort que ses actes ont causé à la Gendarmerie et à la victime.

Décision relative à la peine

[51]  Les représentants ont présenté une proposition conjointe de peine consistant en une pénalité financière correspondant à entre 10 et 12 jours de salaire assortie d’une réprimande et d’un ordre de mutation. Aucune proposition contenant un éventail adéquat de peines n’a été présentée au comité. Depuis que la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10 a été modifiée en novembre 2014, le nombre de décisions disciplinaires sur lesquelles on peut se fonder pour établir un éventail de peines n’est pas élevé. Je me suis reporté au Guide des mesures disciplinaires afin d’établir un éventail moderne de peines. Bien qu’il s’agisse d’un document instructif très utile, je comprends qu’il s’agit d’un guide et que je ne suis pas dans l’obligation de m’y conformer.

[52]  Les représentants ont fait valoir que la section 29 du guide, qui portait sur les activités sexuelles dans l’exercice des fonctions – relation préexistante, était celle qui était la plus pertinente relativement aux faits reprochés à l’allégation 2, et je suis d’accord. Alors que le membre visé n’était plus, en théorie, de service, il portait l’uniforme de la GRC au début de l’inconduite et il a donc pu donner l’impression à Mme H qu’il était de service. Ils s’étaient rencontrés plusieurs semaines plus tôt et avaient échangé une série de messages textes, y compris des photos d’eux-mêmes. Dans le monde d’aujourd’hui, ces échanges pourraient être considérés comme une relation préexistante. L’éventail normal de peines serait une pénalité financière équivalant à entre 11 et 15 jours de salaire, tandis qu’il s’étend de 7 à 10 jours dans le cas d’un incident isolé, et de 16 à 30 jours dans les cas les plus graves (par exemple si le membre aurait pu se faire prendre sur le fait alors qu’il portait l’uniforme ou si plusieurs incidents avaient eu lieu). Je reconnais le fait que, avant la tenue de l’audience en l’espèce, le membre visé a reconnu les faits qui lui sont reprochés à l’allégation 2 modifiée, ce qui a évité la nécessité que d’autres témoins se déplacent et a fait épargner à la GRC les dépenses associées à une audience prolongée. Par conséquent, une pénalité financière correspondant à l’éventail normal de peines est appropriée en l’espèce.

[53]  Parce qu’il s’est comporté de façon déshonorante, ce qui constitue une infraction à l’article 7.1 du code de déontologie, j’impose les mesures disciplinaires suivantes au membre visé :

  1. une confiscation de la solde équivalant à 12 jours de travail;
  2. comme la capacité du membre visé à continuer d’exercer ses fonctions au Détachement de Meadow Lake a été compromise, j’ordonne sa mutation à la discrétion du commandant de la Division F;
  3. une réprimande.

[54]  Cette peine a été imposée au membre visé en raison d’une contravention grave au code de déontologie. Il doit agir avec un professionnalisme sans faille et de façon exemplaire en tout temps. S’il doit comparaître de nouveau devant un comité de déontologie, je propose que la peine imposée soit moins indulgente. J’espère que le membre visé aura tiré une leçon de cette expérience difficile et qu’il continuera d’être un membre productif de la GRC.

[55]  Chacune des parties à l’audience peut interjeter appel de la présente décision en déposant un mémoire d’appel auprès de la commissaire dans le délai prescrit au paragraphe 45.11 de la Loi sur la GRC, L.R.C. (1985), ch. R-10.

 

 

Le 31 octobre 2018

Inspecteur A.O. Ramey

Comité de déontologie

 

Date

 

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