Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

Dans son avis d’audience disciplinaire émis le 29 mars 2017 en vertu de la Partie IV de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), chap. R-10, le commandant, autorité disciplinaire, de la Division D (Manitoba) formule une seule allégation de conduite déshonorante. Une audience disciplinaire a été tenue à Winnipeg (Manitoba) du 3 au 6 juillet 2018. L’allégation a été établie. Le comité de déontologie a imposé un avertissement et la confiscation de la solde pour une durée de 20 jours.

Contenu de la décision

Protégé A

Dossier 2019 DARD 01

OGCA 2017-3390

Logo de la Gendarmerie royale du Canada

GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

AUDIENCE DISCIPLINAIRE

dans l’affaire intéressant

la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10

ENTRE :

le commandant de la Division D

(Autorité disciplinaire)

et

le gendarme Trevor Ens

(matricule 47713)

(Membre visé)

Décision du Comité de déontologie

Inspecteur Al Ramey, comité de déontologie

11 janvier 2019

Représentant de l’autorité disciplinaire :

Sergent d’état-major Jonathon Hart

Représentant du membre visé :

Caporal Joel Welch


TABLE DES MATIÈRES

SOMMAIRE  3

INTRODUCTION  4

ALLÉGATION  4

Analyse de l’allégation  10

Décision relative à l’allégation  16

PEINE  20

Éventail des peines  20

Facteurs aggravants  21

Facteurs atténuants  23

Commentaires sur l’allégation  24

Décision concernant la peine  26

 

SOMMAIRE

Dans son avis d’audience disciplinaire émis le 29 mars 2017 en vertu de la Partie IV de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), chap. R-10, le commandant, autorité disciplinaire, de la Division D (Manitoba) formule une seule allégation de conduite déshonorante. Une audience disciplinaire a été tenue à Winnipeg (Manitoba) du 3 au 6 juillet 2018. L’allégation a été établie. Le comité de déontologie a imposé un avertissement et la confiscation de la solde pour une durée de 20 jours.


INTRODUCTION

[1]  Le 13 mars 2017, un avis à l’officier désigné a été signé par le commandant de la Division D (Manitoba), autorité disciplinaire (AD) en l’espèce. Le 21 mars 2017, j’ai été nommé comité de déontologie. L’avis d’audience disciplinaire a été émis par l’AD le 29 mars 2017 et signifié au membre visé le 5 avril 2017.

[2]  Avant l’émission de l’avis à l’officier désigné, un avis de rencontre disciplinaire a été signifié au membre visé par son officière hiérarchique le 20 mai 2016. La rencontre a eu lieu quelque temps après. Ayant pris connaissance de nouveaux éléments, l’officière hiérarchique s’est rendu compte que les peines applicables dépassaient ses pouvoirs et a renvoyé l’affaire à une autorité disciplinaire de niveau supérieur.

[3]  Le 7 juillet 2017, le comité a examiné une requête pour abus de procédure déposée par le représentant du membre (RM) dans laquelle ce dernier indiquait qu’une décision avait déjà été prise lors de la rencontre disciplinaire de 2016. Une réponse a été formulée, et la requête examinée lors d’une conférence préparatoire. Une décision écrite a été acheminée aux parties par courriel le 26 juillet 2017. J’estime que l’officière hiérarchique n’a pas rendu de décision sur l’allégation puisqu’elle n’a pas transmis de rapport à ce sujet au membre visé. L’affaire n’était donc pas close.

ALLÉGATION

[4]  Le 28 juillet 2017, le RM a déposé la réponse du membre visé à l’allégation. Ce dernier admet seulement le premier énoncé détaillé. Par souci de commodité, j’ai copié en gras la réponse à chaque énoncé (le commentaire en gras entre crochets figurait en note de bas de page dans la réponse du membre) :

Allégation 1

Entre le 10 juillet 2015 et le 13 avril 2016 inclusivement, à [lieux retirés] ou dans les environs, dans la province du Manitoba, [le membre visé] s’est comporté d’une manière déshonorante susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrevenant ainsi à l’article 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Le membre visé rejette l’allégation 1. Il admet avoir utilisé sa carte de fidélité Co-op personnelle lors d’achats de carburant légitimes au moyen de la carte de crédit Automobile Resource International (ARI), mais ne reconnaît pas que sa conduite (déshonorante) allait à l’encontre de l’article 7.1 du code de déontologie de la GRC.

Énoncés détaillés de l’allégation :

1. À l’époque des faits, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté aux Services de la circulation de la GRC à [H.].

Le membre visé admet l’énoncé détaillé 1.

2. Vous avez, par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif, frustré le gouvernement du Canada. Vos actes constituent à la fois un abus de confiance et un vol de votre employeur.

Le membre visé conteste l’énoncé détaillé 2.

Arguments :

Selon les principes énoncés par la Cour fédérale du Canada dans l’affaire Gill c. le Procureur général du Canada [2006] CF 1106, l’allégation doit être suffisamment précise pour permettre au policier de préparer sa défense en conséquence. [Le membre visé] doit recevoir un préavis suffisant des preuves à réfuter.

Ces principes sont mentionnés au paragraphe 43(4) de la [Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C., 1985, ch. R-10 (Loi sur la GRC)] :

« L’énoncé détaillé des allégations doit contenir suffisamment de précisions – notamment, dans la mesure du possible, le lieu et la date de chaque contravention alléguée dans l’avis – pour permettre au membre à qui cet avis est signifié de prendre connaissance de chacune des contraventions qui lui sont imputées et de préparer une réponse qui renvoie explicitement aux faits et événements rapportés dans l’avis. »

Compte tenu de l’avis d’audience disciplinaire, [le membre visé] sait que les faits qui lui sont reprochés concernent l’utilisation non autorisée alléguée de sa carte de fidélité Co-op personnelle lors d’achats de carburant pour des véhicules de police au moyen de la carte ARI. Cela dit, l’[AD] n’a pas suffisamment expliqué en quoi les actes du [membre visé] constituaient d’abord une tromperie ou une fraude, ensuite un abus de confiance et un vol de son employeur.

3. Une carte d’essence ARI propre à un véhicule vous a été confiée pour l’achat de carburant (essence) pour le véhicule de police que vous conduisiez alors que vous étiez de service. Vous avez en toute légitimité acheté du carburant (essence) pour ce même véhicule. Cependant, vous l’avez délibérément acheté dans des stations-service Co-op qui ne connaissaient pas le numéro de réduction pour membres que Co-op a émis aux Services de la circulation de la GRC à [H.]. Vous avez acheté du carburant (essence) dans diverses stations Co-op dans le but de tirer un gain personnel ou financier en présentant au pompiste votre numéro de membre Co-op. Vous avez tiré un avantage financier personnel directement lié à vos activités trompeuses. De plus, vous avez intentionnellement altéré ou modifié plusieurs reçus Co-op afin de dissimuler vos actes au personnel de la GRC à [H.] chargé d’examiner les achats de carburant (essence).

Le membre visé ne peut ni admettre ni nier l’énoncé détaillé 3.

Arguments :

[Le membre visé] reconnaît avoir en toute légitimité acheté du carburant pour les véhicules de police qu’il conduisait alors qu’il était de service. Par conséquent, l’utilisation qu’il a faite de la carte ARI était autorisée.

Tel qu’il a été mentionné précédemment, l’[AD] n’a pas suffisamment expliqué les « activités trompeuses » du [membre visé].

La station Co-op située à [lieu retiré], [H.], est la seule à avoir conservé le numéro de membre des Services de la circulation de la GRC (« Services de la circulation ») en dossier. Toutefois, les membres ne sont pas obligés d’acheter de l’essence précisément à cette station. À ce sujet, [l’employée de la fonction publique M. B.] explique :

« [TRADUCTION LIBRE] ... Faut pas faire tout un plat avec ça. On ne dit pas aux membres qu’ils doivent acheter de l’essence à une station Co-op, ils peuvent le faire à une station Shell. Ils peuvent obtenir les plaques à Domo. Nous ne tenons pas de registre… » (Page 3 de la transcription de sa déclaration).

« [TRADUCTION LIBRE] Mais comme j’ai dit, j’ai eu une discussion avec [le sergent (serg.) D.L.] [note : le membre visé suppose que M. B. parle du serg. D. L.] et j’ai appris qu’il n’y avait pas de directive selon laquelle les membres doivent acheter de l’essence à des stations Co-op. S’ils vont ailleurs, cela n’a aucune importance. […] Qu’ils aillent à une station Esso, Domo ou ailleurs, on n’accorde aucune importance aux récompenses qu’ils obtiennent, alors je ne suis pas sûre à quel point la situation est grave. » (Page 12 de la transcription de sa déclaration).

En outre, les membres de la GRC ne sont pas tenus d’utiliser le numéro de membre des Services de la circulation dans d’autres stations Co-op. [Le membre visé] ne pouvait pas raisonnablement mémoriser ce numéro. On n’a pas remis aux membres des cartes de fidélité portant le numéro de membre des Services de la circulation et on n’en a pas laissé à leur disposition dans les véhicules de police.

[Le membre visé] n’a pas délibérément acheté de l’essence dans des stations Co-op qui ne connaissaient pas le numéro de membre des Services de la circulation. Les stations Co-op auxquelles [le membre visé] s’est rendu se trouvaient à l’intérieur de son secteur de service et son choix de station dépendait de son emplacement au moment où il devait faire le plein. C’est pourquoi il lui arrivait d’acheter de l’essence à d’autres stations comme Husky et Shell. [Le membre visé] n’a pas utilisé de carte de fidélité personnelle dans ces autres stations.

[Le membre visé] achetait souvent de l’essence pour son véhicule de police à la station Co-op située à [lieu retiré], qui avait le numéro de membre des Services de la circulation en dossier. Il n’a jamais tenté d’utiliser sa carte de fidélité personnelle dans cette station au lieu de faire appliquer au compte des Services de la circulation les récompenses obtenues.

[Le membre visé] a déchiré la partie des reçus où apparaissaient son nom et le numéro de sa carte de fidélité Co-op personnelle. Il a agi de la sorte car il se doutait qu’il était inapproprié d’utiliser sa carte de fidélité personnelle, sans savoir exactement que sa conduite allait à l’encontre de la politique de la GRC. À la rigueur, il avait un soupçon. De plus, déchirer une partie des reçus ne constitue pas une modification ou une altération qui se répercute sur la nature légitime des achats de carburant ou de l’utilisation et de la responsabilité de la carte ARI.

4. Vos actes constituent une infraction à la politique de la GRC. Le paragr. 6.1 Cartes de fidélité du chap. 2.7 Gestion de l’information et cartes de crédit du parc du Manuel de la gestion des transports se lit comme suit : « Un employé ne peut pas recevoir des récompenses ou accumuler des points de récompense sur sa carte de fidélité personnelle (milles aériens, points pour l’essence) ou retirer de l’argent liquide en utilisant la carte de crédit du parc automobile. Toute réduction qu’offre une station-service ou une installation d’entretien doit être appliquée directement à l’achat. »

Arguments :

[Le membre visé] est d’avis qu’utiliser sa carte de fidélité Co-op personnelle pour des achats de carburant effectués au moyen de la carte ARI est contraire à la politique de la GRC. Cependant, une infraction à la politique n’est pas nécessairement une contravention au code de déontologie. Une politique n’a pas force de loi. Pour la rendre exécutoire, il faut prouver que le membre visé a été avisé de l’énoncé de la politique et qu’il a reçu l’ordre légitime de le respecter. En l’espèce, rien dans la preuve ne permet de conclure raisonnablement qu’un avis a été signifié ou qu’un ordre légitime a été adressé au [membre visé] et qu’il n’a pas été respecté.

La preuve au dossier montre que [le membre visé] n’était pas au courant de ladite politique avant le 12 avril 2016, date à laquelle [le sergent d’état-major S. F.] l’en a avisé. À partir de ce moment-là, [le membre visé] n’a plus utilisé sa carte de fidélité Co-op personnelle lorsqu’il achetait du carburant pour les véhicules de police au moyen de la carte ARI. Par conséquent, une procédure disciplinaire fondée sur la violation d’une politique n’a pas lieu d’être.

5. Bien que votre superviseur, le caporal [(cap.) R. M.], vous ait rappelé que vous deviez respecter la politique de la GRC relative à l’utilisation des cartes ARI, vous avez continué à frauder le gouvernement du Canada dans le but de tirer un avantage financier personnel.

Le membre visé conteste l’énoncé détaillé 5.

Arguments :

Tel que l’a mentionné l’[AD] dans l’énoncé détaillé 3, les achats de carburant effectués par [le membre visé] au moyen de la carte ARI étaient légitimes. Par conséquent, il n’y a pas eu de mauvaise utilisation de cette carte.

Le cap. [R. M.] n’a pas rappelé au [membre visé] qu’il devait respecter la politique de la GRC relative à l’utilisation des cartes de fidélité. Le cap. [R. M.] a confirmé n’avoir jamais abordé directement la question avec [le membre visé] :

« [TRADUCTION LIBRE] Je n’ai pas pris le [membre visé] à part pour lui parler de l’incident, donc rien n’a été dit. » (Page 2 de la transcription de la déclaration)

[Le membre visé] ne se souvient pas si le cap. [R. M.] a soulevé la question lors d’une réunion d’équipe, et rien au dossier ne prouve que le cap. [R. M.] l’a fait.

Comme il a été mentionné dans la réponse à l’énoncé détaillé 2, l’[AD] n’a pas suffisamment expliqué en quoi les actes du [membre visé] constituaient une « fraude ». En outre, aucune preuve au dossier ne montre que les récompenses de fidélité sont ou peuvent devenir une propriété de l’État. Ainsi, il est impossible d’établir qu’il y a eu fraude ou vol de l’État.

6. Le 14 septembre 2016, vous avez fait une déclaration volontaire contraire à vos propres intérêts. Vous avez admis avoir cherché à profiter du programme de remise en argent Co-op pour les membres afin d’en tirer un gain financier personnel. Vous avez reconnu avoir déchiré la partie supérieure des reçus de carburant (essence) Co-op dans le but de dissimuler vos actes, car vous étiez « …conscient d’avoir mal agi ». Vous avez volontairement attribué vos actes à votre « …cupidité » et déclaré ce qui suit : « J’ai vu là une occasion de me remplir les poches ».

Le membre visé ne peut ni admettre ni rejeter l’énoncé détaillé 6.

Arguments :

Tel qu’il a été mentionné dans la réponse à l’énoncé détaillé 3, [le membre visé] a déchiré la partie des reçus où apparaissaient son nom et le numéro de sa carte de fidélité Co-op personnelle car il se doutait que ce qu’il faisait était inapproprié, sans savoir exactement que sa conduite allait à l’encontre de la politique de la GRC. À la rigueur, il avait un soupçon. De plus, déchirer une partie des reçus ne rend pas illégitimes ses achats de carburant ou mauvaise l’utilisation de la carte ARI.

[Le membre visé] a utilisé sa carte de fidélité Co-op personnelle à l’occasion pour obtenir des récompenses et non dans l’intention de priver la GRC d’un bien ou de voler son employeur. Rien au dossier ne prouve que l’État a le droit d’obtenir des récompenses ou de bénéficier des avantages connexes.

Les aveux du [membre visé] ne peuvent pas servir de fondement à des fins de spéculation en ce qui concerne des allégations de fraude, d’abus de confiance et de vol.

Conclusion :

L’[AD] n’a pas suffisamment expliqué ou montré en quoi les actes du [membre visé] constituaient une supercherie ou une fraude, un abus de confiance ou un vol à l’endroit de son employeur.

[Le membre visé] n’était pas au courant de la politique de la GRC lorsqu’il a utilisé sa carte de fidélité Co-op personnelle.

Dans les circonstances, l’utilisation d’une carte de fidélité personnelle au moment d’acheter en toute légitimité du carburant au moyen de la carte ARI ne contrevient pas au code de déontologie.

Analyse de l’allégation

[5]  J’ai examiné et évalué l’information au dossier préalablement à l’audience. L’identité du membre visé a été établie.

[6]  En juin 2015, le membre visé a repris ses pleines fonctions opérationnelles comme membre de la sécurité routière aux Services de la circulation de H. après une période d’absence. Les membres des Services de la circulation de H. patrouillent l’autoroute autour de la ville de Winnipeg et les zones rurales avoisinantes sept jours sur sept. Entre autres, ils interviennent lors d’accidents, font respecter le Code de la route, CPLM c H60, et repèrent les conducteurs aux facultés affaiblies. Les Services de la circulation de H. se composent de deux équipes, chacune dirigée par un caporal et un sergent sous-officier responsable. Il y a un inspecteur qui est l’officier responsable des Services de la circulation de la Division D et un sergent d’état-major responsable des opérations.

[7]  Les membres de la sécurité routière bénéficient d’une certaine liberté lors des patrouilles. La plupart sont des membres de la GRC expérimentés qui connaissent leur métier. Pour appliquer le code de la route, ils doivent forcément travailler sur la route et passent la majorité de leurs quarts dans un véhicule de police. Une de leurs responsabilités consiste à faire le plein de carburant au véhicule chaque fois qu’il est nécessaire de le faire. À chaque véhicule est associée une carte de crédit pour les achats de carburant et l’entretien, aussi connue sous le nom de carte ARI. Une station-service Co-op Red River se trouvait de l’autre côté de l’autoroute, en face du bureau des Services de la circulation de H. Ces derniers possédaient une carte Co-op portant un numéro de membre de la Co-op Red River. Il s’agit essentiellement d’une carte de fidélité. Lorsque la carte ou le numéro de membre Co-op est présenté au moment de l’achat de carburant, le nom du titulaire de la carte et son numéro Co-op sont imprimés sur la partie supérieure du reçu. Les employés de la station-service Co-op à H. connaissaient le numéro de membre Co-op de la GRC et attribuaient automatiquement les achats de carburant aux Services de la circulation de H.

[8]  Aucune directive ni aucun supplément de service n’ont été présentés pour prouver que les membres avaient reçu l’ordre d’acheter du carburant à un endroit désigné. Rien non plus ne prouvait que les membres devaient fournir le numéro Co-op des Services de la circulation de H. à l’achat de carburant. Il n’y avait pas de copies des cartes Co-op dans les véhicules de police, alors les membres devaient soit copier le numéro de la carte ou le mémoriser pour pouvoir le présenter à l’achat de carburant dans des stations Co-op autres que celle de H.

[9]  Une fois par an, la Co-op fait le total des achats attribués aux détenteurs de cartes de membre et émet des chèques de remise. Le montant de la remise varie, mais correspond à 3 % du montant des achats effectués durant l’année précédente. Bien des membres fournissent le numéro de membre Co-op des Services de la circulation de H., ce qui permet à la GRC d’obtenir une remise annuelle de plusieurs milliers de dollars. Lorsque les Services de la circulation de H. recevaient le chèque de remise, ils le faisaient parvenir au Receveur général conformément aux pratiques comptables en vigueur. La somme était ensuite portée au crédit de leur budget.

[10]  Le membre visé et sa conjointe avaient un numéro de membre Co-op personnel, tout comme les autres membres. Le membre visé admet avoir utilisé son numéro de membre Co-op personnel à l’achat de carburant dans des stations Co-op au moyen de la carte ARI dès le premier jour où il a repris ses fonctions opérationnelles en juin 2015. Il a retiré la moitié supérieure de la plupart des reçus de carburant Co-op – la partie où apparaissaient son nom et celui de son épouse ainsi que leur numéro Co-op personnel. Certains reçus sont restés intacts. Au total, on dénombrait près de 60 reçus déchirés et intacts.

[11]  En tant que membre actif de la sécurité routière, le membre visé faisait le plein au moins une fois et, occasionnellement, deux fois par quart. L’enquête relevant du code de déontologie a permis de découvrir des reçus de carte de crédit ARI déchirés qui portaient le numéro Co-op personnel du membre visé et dont les dates correspondaient à des jours où il devait travailler. Aucun reçu d’essence Co-op n’a été trouvé pour certains jours travaillés. J’en déduis que, ces jours-là, le membre visé n’a pas présenté sa carte Co-op ou a acheté du carburant à une station autre que Co-op, ou a dû accomplir des tâches administratives et n’a pas acheté de carburant. L’utilisation par le membre visé de son numéro Co-op personnel pour des achats effectués au moyen d’une carte de crédit ARI va clairement à l’encontre de la politique de la GRC (Manuel de la gestion des transports, paragraphe 2.7.6.1) :

6. 1. Un employé ne peut pas recevoir des récompenses ou accumuler des points de récompense sur sa carte de fidélité personnelle (milles aériens, points pour l’essence) ou retirer de l’argent liquide en utilisant la carte de crédit du parc automobile. Toute réduction qu’offre une station-service ou une installation d’entretien doit être appliquée directement à l’achat.

La carte de crédit ARI est une carte du parc automobile.

[12]  À l’époque en cause, Mme M. B. était employée de la fonction publique au poste de commis aux Services de la circulation de H. L’une de ses fonctions consistait à comparer les reçus d’entretien et de carburant des véhicules de police aux relevés provenant des fournisseurs. Vers la fin de juillet 2015, elle comparait les achats de carburant du mois précédent lorsqu’elle a constaté que trois reçus d’essence Co-op portaient le nom du membre visé et celui de sa conjointe. Les reçus concernaient des achats pour le véhicule de police que le membre visé était le seul à conduire « 2 Bravo 12 ». Elle a déchiré la partie supérieure des reçus où figurait le nom du membre visé et a placé les parties déchirées dans la boîte postale du bureau du membre visé. Elle a conclu que le membre visé utilisait sa carte de membre Co-op personnelle. Consciente qu’il s’agissait d’un acte inapproprié, elle a porté les reçus à l’attention du superviseur immédiat du membre visé, le cap. R. M. De ce qu’elle se souvient, ce dernier lui a répondu : « C’est une question de combien? 31 cents? » À mon avis, le cap. R. M. n’a pas reconnu ou a choisi de ne pas reconnaître la gravité de la situation. Il l’a minimisée en sous-entendant que la remise de la Co-op était une question de cents.

[13]  Le cap. R. M. a déclaré avoir abordé la question avec son équipe lors d’une réunion informelle peu de temps après. Il garde un souvenir flou de ce qu’il aurait dit. Le comité n’a jamais su avec certitude ce contre quoi le cap. R. M. aurait mis ses membres en garde. Le cap. R. M. ne pouvait pas confirmer qui était présent à la réunion, à part Mme M. B. et le membre visé. Le comité a entendu Mme M. B., le membre visé et des membres de l’équipe, les gendarmes (gend.) H. et B. Personne ne se rappelait que le cap. R. M. avait soulevé la question du numéro Co-op. Par conséquent, le comité estime que le cap. R. M. n’a pas abordé la question lors d’une réunion informelle et qu’il n’en a certainement pas discuté directement avec le membre visé.

[14]  Selon son témoignage, le cap. R. M. croyait avoir envoyé un courriel à son équipe au sujet du numéro Co-op personnel. Ledit courriel n’a jamais été présenté en preuve. Le comité sait que les courriels de la GRC sont archivés et que si le courriel du cap. R. M. existait, les enquêteurs des Normes professionnelles l’auraient trouvé. Aucun témoin, autre que le cap. R.M., ne se souvient de ce courriel. Le comité juge que le courriel n’a jamais été envoyé. Le cap. R. M. n’a pas pris les mesures qui s’imposaient, ce qui a permis au membre visé de continuer à travailler et à utiliser son numéro Co-op personnel à l’achat de carburant pour son véhicule de police.

[15]  Plusieurs mois plus tard, Mme M. B. a remarqué que le membre visé utilisait toujours sa carte de fidélité Co-op personnelle pour les achats de carburant pour le véhicule « 2 Bravo 12 », car la partie supérieure de plusieurs reçus était déchirée, partie où figuraient le nom du membre et son numéro de membre Co-op. Mme M. B. a de nouveau signalé le problème au cap. R. M. Dans sa déclaration, elle se souvient que ce dernier lui a répondu : « Et alors? » Dans son témoignage oral devant le comité, Mme M. B. a relaté les propos du cap. R. M. : « Ces récompenses ne valent pas grand-chose. Pourquoi en faire toute une histoire? » Le cap. R. M., quant à lui, a déclaré ne pas se souvenir d’avoir rencontré Mme M. B. une seconde fois. Dans son témoignage oral devant le comité, il s’est souvenu de cette rencontre et a affirmé ne pas avoir soulevé la question avec le membre visé ni avoir demandé à Mme M. B. de s’adresser à la haute direction. Je constate donc que même après le second signalement de la part de Mme M. B., le cap. R. M. n’a pris aucune mesure.

[16]  Le membre visé a continué à travailler et à utiliser son numéro Co-op personnel à l’achat de carburant pour son véhicule de police. Vers le mois de mars 2016, Mme M. B. a fini par s’adresser au nouveau superviseur du membre visé. Comme elle n’était pas satisfaite de cette rencontre, elle a parlé au serg. L., s.-off. resp. des Services de la circulation de l’utilisation de la carte Co-op du membre visé.

[17]  Au cours de la période visée, le serg. L. était chef des Services de la circulation de H. Les Services se composaient alors de deux équipes comptant chacune un caporal et cinq gendarmes. Il a déclaré que lorsque les membres achetaient du carburant à la station Co-op de H., le numéro Co-op des Services de la circulation de H. était automatiquement attribué à l’achat. Cependant, il a précisé que les autres stations Co-op ne possédaient pas ce numéro et ne faisaient pas d’attribution automatique. Il a ajouté que les membres n’avaient pas la directive d’acheter du carburant à une station-service désignée; ils pouvaient faire le plein peu importe où ils se trouvaient en cas de besoin.

[18]  Interrogé sur les préoccupations de Mme M. B., le serg. L. a reconnu savoir que cette pratique « n’était pas dans les normes », mais qu’il devait confirmer auprès d’un s.-off. supérieur dans un centre de décision de la Division D qu’elle était contraire à la politique. Il a donc ouvert une enquête et avisé la haute direction. Le membre visé a reçu l’ordre du sergent d’état-major responsable en second des Services de la circulation de la Division D de cesser d’utiliser sa carte de membre Co-op personnelle, ordre qu’il a immédiatement exécuté.

[19]  Au total, le membre visé a remboursé 102,78 $ à la GRC. Ce montant représente les remises en argent de la Co-op que la GRC aurait obtenues si le membre visé avait présenté le numéro Co-op des Services de la circulation de H.

[20]  Le membre visé connaissait-il la politique de la GRC énoncée dans le Manuel de la gestion des transports interdisant l’utilisation de cartes de fidélité personnelles à l’achat de carburant au moyen d’une carte ARI? De toute évidence, le cap. R. M. n’a pas porté la question à son attention. Le membre visé connaissait le fonctionnement des cartes Co-op. Il savait que les Services de la circulation de H. possédaient une carte Co-op, mais il a jugé trop difficile d’en mémoriser le numéro. Dans sa déclaration après mise en garde, il dit ne pas avoir été au courant des détails de la politique, mais qu’il était conscient de mal agir. S’il savait que ce qu’il faisait était inapproprié, il devait être au courant de la politique ou avoir entendu dire que cette pratique était inappropriée, ou avoir compris qu’il était inacceptable de recevoir une remise pour des sommes qu’on n’a pas soi-même déboursées. Selon la preuve présentée au comité, le gend. H. a fait circuler un courriel en 2014 dans lequel on lisait les détails de la politique sur les cartes de fidélité. À l’époque, le membre visé était absent, mais ses collègues étaient présents et savaient bien qu’il était interdit d’utiliser son numéro Co-op personnel pour les paiements effectués au moyen de la carte ARI. Personne d’autre dans les Services n’a agi de la même manière que le membre visé.

[21]  Le gend. H. travaillait aux Services de la circulation de H. avec le membre visé. Le cap. R. M. était son superviseur. Selon le gend. H, ce dernier avait des faiblesses sur le plan administratif, ne donnait pas beaucoup de commentaires et ne convoquait pas de réunions régulièrement; il leur laissait la liberté de faire leur travail. Le gend. H ne se souvenait pas d’un courriel ou d’une réunion où le cap. R. M. a abordé l’interdiction d’utiliser les cartes de fidélité Co-op personnelles.

[22]  Le gend. B. travaillait aux Services de la circulation de H. avec le membre visé. Le cap. R. M. était son superviseur. Le gend. B. ne se souvenait pas d’une réunion où le cap. R. M. a abordé la politique sur l’utilisation des cartes de fidélité pour les achats de carburant.

[23]  Le gend. K. à la retraite était l’agent de liaison avec les tribunaux aux Services de la circulation de H. Il a déclaré n’avoir eu connaissance d’aucune consigne sur les lieux où faire le plein d’essence des véhicules de police. Il possédait une carte de fidélité Co-op personnelle, mais, comme la plupart des employés, il ne l’utilisait pas pour acheter du carburant pour les véhicules de police, sachant que les Services de circulation de H. possédaient leur propre numéro Co-op et recevaient la remise en argent.

[24]  Mme P. est employée de la fonction publique aux Services de la circulation de H. Elle fournissait du soutien administratif à l’équipe du membre visé. Elle a déclaré que le cap. R. M. tenait à l’occasion des réunions informelles avec l’équipe dans la salle de réunion, mais plus souvent dans leur espace de travail. Son bureau se situait justement dans cet espace, ce qui lui permettait d’entendre et de voir tout ce qui s’y déroulait. Elle ne se rappelait pas avoir entendu le cap. R. M. discuter de la pratique consistant à accumuler des points de fidélité sur la cartes de crédit servant aux achats de carburant pour les véhicules de police ni avoir lu un courriel à ce sujet. Le cap. R. M. ne lui a jamais demandé de prendre des notes d’une réunion.

Décision relative à l’allégation

[25]  Le comité a demandé aux représentants de se pencher sur la question préoccupante de la tolérance du comportement inapproprié. Les actions du membre visé ont-elles été encouragées par l’inaction de son superviseur immédiat? Le cap. R. M. était sous-officier subalterne dans les Services et n’avait pas de pouvoir financier. Il était certainement mal placé pour tolérer la contravention à la politique sur l’utilisation de la carte ARI. L’AD ne peut être tenue responsable d’avoir toléré les actions du membre visé par l’intermédiaire du cap. R. M. Le membre visé ignorait que Mme M. B. et le cap. R. M. étaient au courant de ses activités; par conséquent, il ne peut pas affirmer qu’on lui a donné un faux sentiment de sécurité. Je n’admets pas la défense de l’inaction relativement à cette allégation.

[26]  Selon ses propres aveux et la preuve entendue des autres témoins, le cap. R. M. se souciait peu des politiques administratives de la GRC. Le serg. L. a déclaré que le cap. R. M., bien qu’il soit expert de la circulation, faisait preuve de laxisme sur les affaires disciplinaires et qu’il y avait lieu d’améliorer ses compétences de supervision. Le manque de discernement du cap. R. M. à l’égard de cette question est déconcertant étant donné son expérience, son ancienneté et sa responsabilité envers ses subalternes.

[27]  Les représentants ont invoqué plusieurs affaires à l’appui des délibérations :

  1. R. c. Boulanger, 2006 CSC 32

  2. R. v. Krdzalic, 2011 ONCJ 793

  3. R. v. Read, 2016 BCCA 111

  4. R. c. Théroux, [1993] 2 RCS 5

  5. R. v. Tiller, 2016 BCSC 187

  6. R. v. Whitney, 2015 BCJ No. 327

  7. R. c. Zlatic, [1993] 2 RCS 29

  8. R.W.D.S.U., Local 414 v. Dominion Stores Ltd., 1961 CarswellOnt 307, Ontario Arbitration

  9. Lumber & Sawmill Workers’ Union, Local 2537 v. KVP Co., 1965 CarswellOnt 618, Ontario Arbitration

  10. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34

  11. Association des juristes de justice c. Canada (Procureur général), 2017 CSC 55

[28]  Il existe de nombreuses politiques à la GRC. La plupart des membres ne les ont pas toutes lues, mais ils doivent tout de même les respecter. Si un membre a des doutes au sujet d’une politique, il la consulte ou consulte un sous-officier. De toute évidence, le membre visé avait des doutes sur la politique relative à la carte de fidélité Co-op, car il savait que ce qu’il faisait n’était pas correct. Il a montré au comité qu’il était plus intelligent que cela et qu’il aurait pu consulter la politique. Il était pleinement en mesure de le faire. On ne peut pas avoir le sentiment de faire quelque chose d’incorrect, fermer les yeux et plaider l’aveuglement volontaire si on est pris en flagrant délit. J’estime que le membre visé a utilisé sa carte de fidélité personnelle à l’achat d’essence dans des stations Co-op autre que celle de H. soit en sachant que son acte était contraire à la politique soit en faisant volontairement fi de cette politique, et ce, dans l’intention d’obtenir un avantage, ce qu’il a bel et bien obtenu.

[29]  Le comité a ensuite appris que le membre visé avait retiré la partie supérieure des reçus. Le comité a accordé peu d’importance à la preuve du membre visé selon laquelle ses collègues jouaient à un concours de celui qui obtiendrait le plus d’argent en remises Co-op ou qu’il avait retiré la partie supérieure des reçus pour éviter de causer de la jalousie et des problèmes. Le comité estime que le membre visé a agi de la sorte dans une tentative bâclée de dissimuler ses actes.

[30]  J’ai examiné la preuve, les pièces à conviction et l’information au dossier, y compris les arguments et les aveux du membre visé. Pour établir l’allégation formulée contre le membre visé, le représentant de l’autorité disciplinaire (RAD) doit prouver la plupart des énoncés détaillés :

  • Énoncé détaillé 1 : Le membre a confirmé son identité.
  • Énoncé détaillé 2 : Action frauduleuse constituant un abus de confiance et un vol de son employeur. Dans les faits, le membre visé a abusé de la confiance de l’employeur. Mais cet abus a été atténué par les circonstances ci-après. La tentative de dissimuler ses actes en retirant la partie supérieure de certains reçus constitue effectivement un élément de vol; cependant, il ne m’a jamais été montré que la GRC était vivement intéressée à obtenir le rabais. On ne m’a pas clairement prouvé quel « droit de propriété » la GRC avait sur un possible rabaos. Si les Services de la circulation de H. avaient pris soin de communiquer le numéro Co-op à ses membres et de publier ou de diffuser une politique, j’aurais pu avoir une opinion différente.
  • Énoncé détaillé 3 : Acheter délibérément du carburant dans une station-service où le numéro Co-op des Services de la circulation était inconnu et altérer les reçus d’essence pour tirer un avantage personnel. Une partie de l’énoncé a été prouvée, sauf le fait d’avoir délibérément acheté du carburant de stations-service qui ne possédaient pas le numéro de carte Co-op des Services de la circulation. Il n’a pas été établi que le membre visé avait choisi les stations-service dans cette intention précise. Cela dit, le RAD n’est pas obligé de prouver la totalité de l’énoncé.
  • Énoncé détaillé 4 : Contravention à la politique de la GRC. Le membre visé a clairement contrevenu à la politique sur les cartes de fidélité, un élément que j’ai pris en considération pour juger ses actions dans leur globalité.
  • Énoncé détaillé 5 : Défaut de se conformer à la politique malgré l’avertissement. Je trouve que cet énoncé n’a pas été établi étant donné l’inaction du cap. R. M.
  • Énoncé détaillé 6 : Aveux contre ses propres intérêts durant une déclaration après mise en garde. Même si je trouve que cet énoncé a été établi, il n’a pas influencé mes délibérations. Confronté à l’allégation, le membre visé a présenté des excuses sincères. L’allégation se fonde uniquement sur l’action elle-même. Le fait que le membre visé s’attache à la justification de son acte n’a pas contribué à mon analyse.

[31]  Le membre visé a avoué avoir utilisé sa carte client Co-op personnelle pour des achats de carburant pour un véhicule de police et avoir obtenu un avantage qui ne lui revenait pas. Ses actes constituent une infraction à la politique de la GRC énoncée dans le Manuel de la gestion des transports. Je trouve qu’il existe suffisamment de preuves évidentes, solides et convaincantes pour établir tous les énoncés détaillés de l’allégation sauf l’énoncé 5.

[32]  Le comité doit déterminer à présent si la conduite du membre visé était déshonorante. Les actes du membre visé s’écartaient de la norme des Services de la circulation de H. Le membre visé était le seul membre à utiliser son numéro Co-op personnel. Il aurait dû reconnaître que son comportement était inapproprié et risqué. Tout policier ayant autant d’ancienneté devrait pouvoir comprendre le caractère répréhensible de sa conduite; mais là n’est pas le test. En raison de leur statut au sein de la société, les policiers sont tenus de respecter une norme de conduite beaucoup plus rigoureuse que les citoyens ordinaires. Le public n’accepterait pas un tel comportement de la part de ses agents de police. Conformément au test du Comité externe d’examen, je crois qu’une personne raisonnable connaissant toutes les circonstances de l’affaire ainsi que les réalités du travail policier en général et le contexte particulier de la GRC, serait d’avis que la conduite du membre visé est déshonorante.

[33]  Par conséquent, j’estime que, selon la prépondérance des probabilités, le membre visé s’est comporté d’une manière déshonorante, contrevenant ainsi à l’article 7.1 du code de déontologie. L’inconduite s’est produite alors que le membre visé était de service. La GRC a donc un intérêt dans l’imposition de mesures disciplinaires.

PEINE

[34]  Le Comité externe d’examen de la GRC a défini la marche à suivre officielle pour l’imposition de mesures disciplinaires. Cette marche à suivre a résisté à l’examen attentif de cours supérieures. Il s’agit en premier lieu de déterminer l’éventail des mesures applicables à l’inconduite en question; ensuite de considérer les facteurs aggravants et les facteurs atténuants et, enfin, d’imposer des mesures qui reflètent exactement et justement la gravité de l’inconduite, en ne perdant pas de vue le principe de la parité des peines.

Éventail des peines

[35]  L’AD demande le renvoi du membre visé. Sans suggérer de peine particulière, le RM indique qu’une peine moins sévère que le renvoi serait appropriée. Aucune affaire ne m’a été invoquée dans laquelle l’éventail des peines proposées s’appliquait directement à l’inconduite en question. En effet, le RM a fait observer qu’il pouvait s’agir de la première affaire dans laquelle un comité a dû se pencher sur la mauvaise utilisation d’une carte de fidélité. De ce fait, j’estime qu’il m’est offert un large éventail de peines allant jusqu’au renvoi.

[36]  Dans le cadre du nouveau régime disciplinaire, et particulièrement devant des faits inhabituels semblables, je me suis reporté au Guide des mesures disciplinaires de la GRC. Celui-ci est un document constructif et très utile, qui reste, selon moi, un guide auquel je ne suis pas tenu de me plier. La situation en l’espèce se rapporte à l’article 7.1 (Conduite qui discrédite la Gendarmerie). D’après le guide, la conduite consiste principalement en des actes criminels et non criminels commis alors que le membre n’est pas de service ainsi qu’en des actes d’inconduite sexuelle. Tel n’est pas le cas ici.

[37]  Le paragraphe 7.1.23 (vol ou fraude) a attiré mon attention, mais j’estime qu’il n’y avait pas d’acte de fraude ou de vol de l’employeur. J’ai examiné les peines suggérées et les commentaires au paragraphe 4.14 (mauvaise utilisation de la carte AMEX et des cartes ARI). J’ai également envisagé les peines et les commentaires au paragraphe 8.32 (mentir à un supérieur - incident non opérationnel) et au paragraphe 8.34 (demandes de remboursement de dépenses falsifiées).

[38]  À la lumière de mon examen des mesures qui précèdent, j’estime que l’éventail des peines appropriées se situe entre la confiscation de la solde pour une période de 20 jours et le renvoi.

Facteurs aggravants

[39]  Le RAD n’a pas exposé de facteurs aggravants, mais il m’a fourni des commentaires sur la tromperie et la malhonnêteté, laissant entendre une certaine turpitude morale de la part du membre visé. Il a fait valoir ce qui suit :

  1. Le manque d’honnêteté et d’intégrité (tromperie), comme en témoigne la tentative du membre visé de dissimuler son comportement en retirant la partie supérieure des reçus.
  2. Il a nécessairement fallu faire appel à des employés civils des Co-op Federated et Red River pour aider dans l’enquête.
  3. L’action était délibérée, car le membre visé l’a planifiée et préméditée.
  4. La conduite s’est répétée sur une longue période. Cependant, je crois que l’inconduite réside essentiellement dans la décision du membre visé d’utiliser sa carte de fidélité dès le départ.
  5. Le membre visé a voulu tirer un avantage personnel de son action.
  6. Le RAD a indiqué qu’une inconduite mettant en jeu l’honnêteté et l’intégrité donnera lieu à des divulgations en vertu de l’arrêt McNeil si le membre visé est maintenu en poste. Les membres de la GRC ayant fait l’objet de mesures disciplinaires graves ou simples en vertu du code de déontologie doivent le déclarer de la manière prescrite et le faire savoir à l’avocat de la Couronne lors de la préparation d’éléments de preuve à présenter dans des affaires criminelles. Les membres ayant des antécédents disciplinaires graves pourraient se voir discréditer par la défense. L’exigence de divulgation est laissée à la discrétion de la Couronne et sera examinée par un tribunal qui en déterminera la pertinence, l’ampleur et l’incidence. Dans le cas qui nous occupe, la fausse information que le membre visé a fournie concerne une affaire administrative. L’étendue de l’incidence anticipée d’une divulgation en vertu de l’arrêt McNeil est inconnue, et ni le RAD ni le RM n’ont fourni de preuve à l’appui. Je ne dispose d’aucune information sur les effets à long terme d’une divulgation en vertu de l’arrêt McNeil sur la viabilité d’un membre devant un tribunal ni solution possible, qu’elle soit par le passage du temps, par l’examen rigoureux d’un tribunal ou par l’action d’un futur syndicat des membres de la GRC. Cela n’exclut pas la possibilité de subir une enquête criminelle.
  7. Enfin, le facteur aggravant plus important serait probablement le dossier disciplinaire du membre visé, qui comprend deux mesures simples et une mesure grave :
  1. En 2007, il a pris une voiture de police pour se rendre à un match de baseball pendant une fin de semaine. La voiture aurait été heurtée dans un stationnement et a subi des dommages d’une valeur de 3 600 $. Il a ensuite menti au sujet de l’incident à un commis garagiste de poste et à son inspecteur. Cette mauvaise décision lui avait coûté plusieurs jours de solde.

  2. En 2008, il s’est rendu en voiture de police à une fête qui avait lieu dans un détachement voisin. On avait besoin de la voiture pour des fonctions opérationnelles, car il n’y avait que trois voitures disponibles pour cinq membres de service. Encore une fois, le membre visé a pris une mauvaise décision qui lui a coûté huit jours de solde et lui a valu un avertissement du comité de déontologie le prévenant qu’une autre inconduite ne serait pas prise à la légère.

  3. En 2012, le membre visé a omis d’obtenir une autorisation de prendre un congé d’une semaine durant sa suspension à la suite de l’affaire criminelle annulée en appel. Cet acte lui a valu un avertissement.

[40]  Je vois un point commun entre les deux affaires disciplinaires graves et l’affaire en l’espèce, point qui a été soulevé par le membre visé lui-même : sa nature de grippe-sous ou pingre. Le RAD m’a recommandé de tenir compte des antécédents disciplinaires et d’envisager l’accumulation des inconduites : la présente affaire est l’incident culminant qui devrait entraîner un renvoi. Bien qu’environ 10 années se soient écoulées, je prends en considération le point de vue du RAD.

Facteurs atténuants

[41]  J’ai pris note des facteurs suivants, même s’ils ne sont pas clairement énumérés par le RM :

  1. Le membre visé s’est empressé d’assumer la responsabilité de son inconduite. Dans sa lettre d’excuses, il n’a tenté de rejeter la responsabilité de ses actions sur rien ni personne.
  2. Dans sa lettre, il s’est excusé et a exprimé des remords, remords que je n’ai pas autant décelé dans son témoignage oral devant moi. Cependant, son caractère apparemment stoïque m’empêche de tirer un avis défavorable de sa déclaration.
  3. Les évaluations du rendement du membre visé sont bonnes, et c’est ce qui est attendu de tout membre de la GRC. Son éthique professionnelle a fait l’objet de commentaires positifs de la part du serg. L. Cela dit, je suis d’avis que son rendement n’a pas atteint un niveau qui permettrait de le considérer comme un facteur atténuant important.
  4. Le RM a fait allusion à certains problèmes liés au trouble de stress post-traumatique et autres, mais aucune preuve médicale ne m’a été présentée portant à croire que l’inconduite pourrait être attribuée à ces problèmes.
  5. Bien que certains facteurs de stress personnels dans la vie du membre visé aient été signalés au comité, au risque de sembler indifférent, ce sont des difficultés que de nombreux membres éprouvent au cours de leur carrière. Je reconnais que le membre visé a fait l’objet d’une suspension de plusieurs années dans une affaire criminelle dont il a fini par être blanchi. Je dois dire tout de même qu’il a rebondi et s’est rapidement mis au travail dans les Services de la circulation de H.
  6. Je reconnais également que le membre visé a reçu et continue à recevoir les services d’un conseiller. Je l’encourage à recourir à ces services.
  7. J’ai été impressionné par les lettres de référence de ses pairs, de ses superviseurs et de membres de la communauté. Ces lettres m’ont renseigné sur la personnalité du membre visé. J’en conclus que l’inconduite est attribuable non pas à un défaut de caractère mais à la frugalité et au piètre jugement.
  8. Un formulaire 1004 – Fiche de rendement, daté du 30 juin 2016 et signé par l’insp. E. M., off. resp. des Services de la circulation de la Division D, a été présenté. Le membre visé y est félicité pour avoir lancé et réussi une poursuite dangereuse.
  9. Le membre visé a coopéré au cours de l’enquête.

Commentaires sur l’allégation

[42]  Je dois réfléchir à la tentative du membre visé de dissimuler ses actions en déchirant la partie supérieure des reçus. S’il n’avait pas agi de la sorte, j’aurais pu conclure qu’il n’était pas moralement coupable. S’il avait déchiré la partie supérieure de la totalité, et non d’une partie, des reçus, ce geste aurait joué fortement en sa défaveur. Si son superviseur immédiat lui avait donné un avertissement, j’aurais sérieusement envisagé le renvoi.

[43]  Je souhaite aborder un facteur que je n’ai pas trouvé sur la liste des facteurs atténuants considérés par les comités disciplinaires antérieurs. L’élément suivant n’a pas été mentionné par les représentants, mais figure au dossier : les actions du superviseur immédiat du membre visé, le cap. R. M. Selon ses propres aveux et la preuve entendue des autres témoins, le cap. R. M. se souciait peu des politiques administratives de la GRC. Le serg. L. a déclaré que le cap. R. M., bien qu’il soit expert de la circulation, faisait preuve de laxisme sur les affaires disciplinaires et qu’il y avait lieu d’améliorer ses compétences de supervision. Le manque de discernement du cap. R. M. à l’égard de cette question est déconcertant étant donné son expérience, son ancienneté et sa responsabilité envers ses subalternes.

[44]  Mme M. B. a porté à l’attention du cap. R. M. la question de la carte Co-op personnelle du membre visé quelques semaines après l’arrivée de ce dernier au sein de l’équipe. À l’époque, il y avait quelques reçus – peut-être huit, certains avaient la partie supérieure déchirée et d’autres étaient intacts. Tous les reçus concernaient des achats effectués pour le véhicule de police du membre visé. En toute réponse, le cap. R. M. a minimisé la situation et affirmé que la remise Co-op n’était qu’une question de cents. Mme M. B. a laissé celui-ci s’occuper du problème. Le cap. R. M. avait plusieurs options : a) trouver la politique applicable s’il avait des doutes; b) parler directement au membre visé; c) signifier au membre visé un formulaire 1004; d) aborder le sujet avec l’équipe; e) envoyer un courriel à toute l’équipe; ou f) consulter la haute direction. Au contraire, il a choisi de ne prendre aucune mesure.

[45]  Frustrée de savoir que le membre visé continuait à utiliser son numéro Co-op personnel, Mme M. B. s’est adressée au cap. R. M. une seconde fois. À l’époque, il était peut-être le serg. s.-off. resp. intérimaire des Services. Le cap. R. M. lui a répondu en ces termes : « Et alors? » et « Ces récompenses ne valent pas grand-chose. Pourquoi en faire toute une histoire? » Je trouve qu’après une seconde communication, le cap. R. M. n’a toujours pas réagi. En ne prenant aucune mesure, il a : a) fait preuve d’irrespect envers Mme M. B. car il n’a pas pris ses préoccupations au sérieux; b) manqué à son devoir de fournir des conseils raisonnables et une supervision à un subalterne qui s’était mis dans une situation précaire; et c) n’a pas accompli le travail attendu par la GRC de ses superviseurs de première ligne. Déconcerté, le comité a déploré qu’un enquêteur et superviseur chevronné, ancien à la GRC, ait fait fi du terrain dangereux sur lequel il a permis au membre visé de s’aventurer. Le cap. R. M. a dit avoir supposé que Mme M. B. se serait adressée au sergent responsable des Services. En réalité, c’était à lui de le faire. Le cap. R. M. a renoncé à son rôle de superviseur du membre visé. Il aurait pu mettre fin plus tôt à l’inconduite du membre visé avec une tape sur l’épaule et une courte conversation.

[46]  Une autre obligation incombait au cap. R. M. en vertu du paragraphe 37e) de la Loi sur la GRC, qui se lit comme suit : « Il incombe à chaque membre [...] e) de veiller à ce que l’inconduite des membres ne soit pas cachée ou ne se répète pas; [...] » Le cap. R. M. avait donc l’obligation de prendre des mesures pour régler la situation. Cette obligation est d’autant plus grande qu’il assumait un rôle de supervision. Le membre visé a été déçu par son superviseur. Sans vouloir faire porter le chapeau de l’inconduite du membre visé au cap. R. M., nous ne serions pas ici si ce dernier s’était intéressé au problème.

Décision concernant la peine

[47]  Selon les principes généraux, si un policier doit être renvoyé, il faut établir qu’il n’est pas apte à conserver son emploi à la Gendarmerie. Lorsque les circonstances s’y prêtent, il faut privilégier la discipline corrective à la discipline punitive et envisager la peine la moins sévère possible, allant de l’avertissement au renvoi. Le comité doit infliger une peine appropriée de sorte à renforcer la confiance du public dans la Gendarmerie. Je dois imposer des mesures disciplinaires qui sont proportionnées à la nature et aux circonstances de la contravention au code de déontologie.

[48]  Le membre visé est un membre de la GRC chevronné et ne peut tenir personne responsable de ses actions. Étant donné la supervision de première ligne inadéquate qu’il a reçue, j’ai de la difficulté à acquiescer à la demande de l’AD de renvoyer le membre visé. L’effet conjugué des faits en cause et des mesures disciplinaires graves imposées en 2007 et en 2008 me porte à croire que le membre visé doit résoudre ses problèmes de frugalité et de dédain pour la politique de la GRC. Compte tenu des circonstances de l’affaire, de la preuve présentée, de la jurisprudence invoquée et des arguments des représentants, des facteurs aggravants et atténuants ainsi que de l’inaction du superviseur du membre visé, j’impose un avertissement et la confiscation de la solde pour une durée de 20 jours.

[49]  J’ose espérer que la peine infligée dissuadera les autres membres d’utiliser leurs cartes de fidélité personnelles lorsque la politique l’interdit. Je recommande à l’administration divisionnaire, si ce n’est déjà fait, de diffuser la politique pertinente à tous les membres.

[50]  Le membre visé a écopé d’une peine pour contravention grave au code de déontologie. S’il comparaît de nouveau devant un comité de déontologie, je suggère une peine moins clémente.

[51]  Les deux parties peuvent appeler de la présente décision en produisant un mémoire d’appel devant le commissaire dans les délais prescrits au paragraphe 45.11. de la Loi sur la GRC.

 

 

Le XX janvier 2019

Inspecteur A.O. Ramey

Comité de déontologie

 

Date

 

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