Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

Le membre visé a présenté deux requêtes préliminaires distinctes pour rejeter la première allégation au motif qu’elle avait été présentée hors délai. La première, présentée avant l’audience, a été rejetée. La seconde, qui était fondée sur de nouveaux renseignements provenant de la première demande de requête préliminaire, a été présentée le premier jour de l’audience prévue. Celle-ci a été accueillie et, par conséquent, la première allégation a été rejetée par le Comité pour défaut de compétence.
En ce qui concerne la deuxième allégation, le membre visé a été avisé qu’il allait faire l’objet d’une enquête relative au code de déontologie et savait qu’on lui ordonnerait bientôt de ne pas communiquer avec le témoin principal de l’allégation à laquelle il faisait face. Malgré cela, il l’a contactée et lui a clairement fait savoir qu’il ne voulait pas qu’elle collabore à l’enquête, tentant ainsi d’entraver une enquête relative au code de déontologie.
La troisième allégation concernait une enquête antérieure relative au code de déontologie impliquant le membre visé. Lorsqu’il a fourni une déclaration écrite à l’enquêteur dans le cadre de cette enquête, il a menti sur le fait qu’il n’était pas en possession d’un téléphone cellulaire fonctionnel fourni par la GRC pendant la période en question. Il a répété ce mensonge dans les observations écrites qu’il a présentées à l’autorité disciplinaire avant la tenue de la réunion disciplinaire.
Le Comité de déontologie a donné l’ordre au membre visé de démissionner dans un délai de 14 jours.

Contenu de la décision

Protégé A

2019 DARD 05

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GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

DANS L’AFFAIRE D’UNE

audience disciplinaire conforme à la

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C., 1985, ch. R-10

ENTRE

Le commandant de la Division « E »

Autorité disciplinaire

et

le gendarme Konstantinos Xanthopoulos

Matricule no 60852

Membre visé

Décision du Comité de déontologie

Gerald Annetts

9 avril 2019

Shahana Khan, pour l’autorité disciplinaire

Barry Carter, pour le membre visé


Table des matières

SYNOPSIS  3

INTRODUCTION  5

ALLÉGATIONS  5

PREUVES ET CONSTATATIONS RELATIVES À LA REQUÊTE PRÉLIMINAIRE  9

PREUVES ET CONSTATATIONS RELATIVES AUX ALLÉGATIONS  15

Allégation no 2  15

Constatation  20

Allégation no 3  21

MESURES DISCIPLINAIRES  23

Éventail approprié des mesures  24

Facteurs atténuants  25

Facteurs aggravants  25

Décision  27

 

 

SYNOPSIS

Le membre visé a présenté deux requêtes préliminaires distinctes pour rejeter la première allégation au motif qu’elle avait été présentée hors délai. La première, présentée avant l’audience, a été rejetée. La seconde, qui était fondée sur de nouveaux renseignements provenant de la première demande de requête préliminaire, a été présentée le premier jour de l’audience prévue. Celle-ci a été accueillie et, par conséquent, la première allégation a été rejetée par le Comité pour défaut de compétence.

En ce qui concerne la deuxième allégation, le membre visé a été avisé qu’il allait faire l’objet d’une enquête relative au code de déontologie et savait qu’on lui ordonnerait bientôt de ne pas communiquer avec le témoin principal de l’allégation à laquelle il faisait face. Malgré cela, il l’a contactée et lui a clairement fait savoir qu’il ne voulait pas qu’elle collabore à l’enquête, tentant ainsi d’entraver une enquête relative au code de déontologie.

La troisième allégation concernait une enquête antérieure relative au code de déontologie impliquant le membre visé. Lorsqu’il a fourni une déclaration écrite à l’enquêteur dans le cadre de cette enquête, il a menti sur le fait qu’il n’était pas en possession d’un téléphone cellulaire fonctionnel fourni par la GRC pendant la période en question. Il a répété ce mensonge dans les observations écrites qu’il a présentées à l’autorité disciplinaire avant la tenue de la réunion disciplinaire.

Le Comité de déontologie a donné l’ordre au membre visé de démissionner dans un délai de 14 jours.


INTRODUCTION

[1]  Le 20 septembre 2017, le commandant de la division « E » a envoyé un Avis à l’officier désigné, qui contenait trois allégations contre le membre visé. Le 22 septembre 2017, le Comité de déontologie m’a désigné pour entendre l’affaire. La comparution a été reportée en raison de lacunes dans les renseignements et d’une requête préliminaire déposée par le membre visé dans le but de faire rejeter les trois accusations. J’ai produit une décision écrite dans laquelle je rejetais cette requête le 23 octobre 2018.

[2]  Cependant, en raison d’autres renseignements reçus par le membre visé lorsqu’il préparait la requête, une deuxième requête préliminaire a été déposée pour demander le rejet de l’allégation no 1 étant donné que la période limite n’avait pas été respectée. L’audience disciplinaire a été tenue du 19 au 21 mars 2019, à Vancouver (Colombie-Britannique). J’ai d’abord entendu la preuve et les observations relatives à la requête préliminaire visant l’allégation no 1. Après avoir rendu ma décision au sujet de la requête, j’ai ensuite entendu la preuve concernant les allégations nos 2 et 3. Une décision de vive voix a été rendue le 21 mars 2019. La présente constitue la décision écrite.

ALLÉGATIONS

[3]  À la suite d’une enquête relative au code de déontologie, le membre visé a fait l’objet des allégations et des précisions suivantes :

Allégation no 1

Entre le 23 juillet 2016 et le 23 septembre 2016, à [S.] ou à proximité, en Colombie-Britannique, [le membre visé] a adopté une conduite déshonorante, ce qui va à l’encontre de l’article 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Précisions

1. Durant toute la période indiquée, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) à la Division « E », en Colombie-Britannique.

2. Le 22 juillet 2016, la GRC de [S.] a reçu de Mme [M. M.] un signalement selon lequel son ex-petit ami, M. [G. B.], avait peut-être enlevé leur fils de 19 mois. Le dossier numéro 2016-104985 de [S.] a été créé, et des membres ont été envoyés sur les lieux. Vous n’avez pas participé à cette affaire, au terme de laquelle M. [G. B.] a été arrêté.

3. Le 23 juillet 2016, M. [G. B.] a communiqué avec la GRC de [S.] et demandé à ce qu’on l’aide à récupérer ses effets personnels au domicile de Mme [M. M.]. Le dossier numéro 2016-105620 de [S.] a été créé, et vous avez été désigné comme enquêteur responsable. Mme [M. M.], qui était absente, avait laissé les effets personnels de M. [G. B.] à l’extérieur du domicile, mais avait oublié le carnet de soudeur de M. [G. B.], dont il avait besoin pour son travail. Vous avez tenté de communiquer avec Mme [M. M.], mais n’avez pas réussi à la joindre.

4. En soirée, vous vous êtes présenté au domicile de Mme [M. M.] pour faire le suivi du dossier numéro 2016-105620 de [S.]. Vous y êtes resté environ 20 minutes et lui avez remis une carte professionnelle de la GRC sur laquelle vous aviez inscrit votre numéro de téléphone cellulaire personnel. Le numéro écrit à la main était le [numéro censuré].

5. Au cours des deux semaines suivantes, pendant que vous étiez en service, vous êtes allé chez Mme [M. M.] ou avez passé devant sa résidence à plusieurs reprises avec un véhicule de la GRC identifié. Plus précisément, vous êtes allé à sa résidence ou avez passé devant aux dates suivantes :

a. [12 h] le 28 juillet 2016;

b. [17 h 34] le 30 juillet 2016;

c. [21 h 11] le 30 juillet 2016;

d. [19 h 02] le 31 juillet 2016;

e. [21 h 39] le 8 août 2016.

Aucune raison professionnelle ne justifiait que vous vous rendiez chez Mme [M. M.] ces jours-là.

6. Durant une de vos visites, vous avez demandé à [M. M.] pourquoi elle ne vous avait pas téléphoné. Vous lui avez aussi mentionné que le numéro figurant sur la carte professionnelle de la GRC que vous lui aviez remise était votre numéro personnel.

7. Vous avez commencé à échanger des messages textes personnels avec Mme [M. M.]. Lorsque vous n’étiez pas en service, vous avez eu un rendez-vous avec elle, vous êtes rentré chez elle et vous vous êtes livré à des activités sexuelles consentantes avec elle.

8. Vous saviez ou deviez savoir que Mme [M. M.] était victime de violence familiale et qu’elle avait appelé la GRC le jour avant que vous ne la rencontriez pour signaler l’enlèvement de son fils par son ex-petit ami, M. [G. B.].

9. Lorsque vous étiez en position de confiance et d’autorité, vous avez rencontré Mme [M M.], une personne vulnérable et une plaignante du dossier numéro 2016-104985 de [S.], et vous avez eu une relation sexuelle avec elle.

Allégation no 2

Entre le 20 septembre 2016 et le 5 avril 2017, à [S.] ou à proximité, en Colombie-Britannique, [le membre visé] a adopté une conduite déshonorante, ce qui va à l’encontre de l’article 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Précisions

1. Durant toute la période indiquée, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) à la Division « E », en Colombie-Britannique.

2. Le 12 août 2016, Mme [M. M.] s’est présentée au détachement de [F. N.] pour déposer une plainte pour manquement à un engagement contre son ex-petit ami, M. [G. B.], dossier numéro 2016-1856 du [F. N.]. Durant la déposition, Mme [M. M.] a révélé à l’enquêteur qu’elle avait eu une relation avec un officier de la GRC de [S.] qui avait répondu à un appel de service à son domicile. Elle n’a pas divulgué le nom de l’officier.

3. Le 23 août 2016, l’Unité des normes professionnelles (UNP) de [S.] a été mise au courant de la déclaration de Mme [M. M.] et a fait quelques recherches pour tenter de découvrir l’identité du membre auquel Mme [M. M.] a fait allusion.

4. Le 22 septembre 2016, on vous a informé que vous faisiez l’objet d’une enquête pour infraction au code de déontologie de la GRC. Vous avez communiqué avec Mme [M. M.] et lui avez demandé si elle avait parlé de votre relation à quelqu’un.

5. Vous avez ensuite demandé à Mme [M. M.] ce qu’elle avait dit parce que vous vouliez vous assurer que vos deux histoires concordent. Vos agissements ont porté Mme [M. M.] à croire que vous ne vouliez pas qu’elle parle de votre relation à l’enquêteur.

6. Vous avez donc tenté d’entraver une enquête relative au code de déontologie.

Allégation no 3

Entre le 21 juillet 2016 et le 21 décembre 2016, à [S.] ou à proximité, en Colombie-Britannique, [le membre visé] n’a pas rendu compte de manière exacte et détaillée de l’exécution de ses responsabilités, de l’exercice de ses fonctions et de l’administration et du fonctionnement de la Gendarmerie, ce qui va à l’encontre de l’article 8.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Précisions

1. Durant toute la période indiquée, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) à la Division « E », en Colombie-Britannique.

2. Le 13 décembre 2016, on vous a remis un « avis de rencontre disciplinaire » devant avoir lieu le 20 décembre 2016 avec votre officier hiérarchique [le surintendant M. L.], dossier numéro 2016-336373 de l’OGCA. L’avis présentait deux allégations relatives à la violation des articles 3.2 et 7.1, soit d’avoir intercepté le véhicule d’une femme sans motif, puis de lui avoir donné votre numéro de téléphone cellulaire personnel.

3. La rencontre disciplinaire portait sur les faits allégués survenus le 16 janvier 2016. D’après le compte rendu de décision, l’allégation relative à la violation de l’article 3.2 a été établie, et il a été conclu que l’allégation relative à l’article 7.1 était déjà traitée dans la première allégation et elle n’a donc pas été établie.

4. Le 3 janvier 2017, vous avez déposé une déclaration d’appel de cette décision au Bureau de la coordination des griefs et des appels (BCGA). Votre déclaration comprenait un document que vous aviez préparé pour la rencontre disciplinaire et que vous aviez remis à votre officier hiérarchique au moment de cette rencontre. Le document était intitulé « Written Submission in Response to Final Report – File No. 2016- 336373 » (Observations écrites en réponse au rapport final – dossier no2016-336373.

5. À la suite d’une enquête sur les déclarations faites dans votre déclaration d’appel, il a été déterminé que les renseignements fournis dans vos observations écrites étaient faux ou trompeurs. C’est le cas notamment des deux observations suivantes :

a. « Comme je l’ai indiqué dans ma déclaration écrite [datée du 21 juillet 2016], mon numéro de cellulaire personnel était inscrit sur ma carte parce que je n’avais pas de téléphone de la GRC à ce moment-là. » [traduction]

b. « Comme je l’ai indiqué dans ma déclaration écrite [datée du 21 juillet 2016], en octobre, j’ai envoyé au Bureau d’assistance central le formulaire approprié (ED12) signé par l’inspecteur [M.] pour faire remplacer mon téléphone. [G. T.] m’a informé en février ou en mars que mon nouveau téléphone était arrivé. Je suis donc allé le chercher à [G. T.]. Dans l’intervalle, j’ai principalement utilisé mon cellulaire personnel pendant que j’étais en service, comme l’ont fait beaucoup d’agents à différents moments. » [traduction]

6. D’après votre relevé d’appels pour le numéro de téléphone cellulaire [numéro censuré] de la GRC, en décembre 2015 et en janvier 2016, vous aviez un appareil BlackBerry de la GRC fonctionnel, que vous utilisiez pour faire et recevoir des appels.

7. D’après les dossiers du Bureau d’assistance central, vous avez reçu un nouvel appareil BlackBerry que vous avez activé le 22 octobre 2015.

8. Dans les données que vous avez entrées manuellement dans les commentaires d’inscription à PRIME, on y trouvait d’octobre 2015 à février 2016 votre numéro de téléphone [numéro censuré] de la GRC. Lorsque vous n’entriez pas votre numéro de BlackBerry du travail, soit le champ restait vide, soit vous étiez le deuxième agent inscrit au véhicule. Votre numéro de téléphone cellulaire personnel, [numéro censuré], ne figurait pas dans les commentaires d’inscription à PRIME pendant cette période.

9. Vous avez donc fourni des renseignements trompeurs dans votre déclaration écrite du 21 juillet 2016 à l’enquêteur chargé de l’enquête disciplinaire et vous avez menti au surintendant [M. L.], votre officier hiérarchique, dans les observations écrites que vous lui avez fournies à la rencontre disciplinaire.

[sic]

PREUVES ET CONSTATATIONS RELATIVES À LA REQUÊTE PRÉLIMINAIRE

[4]  Le membre visé a présenté une requête préliminaire dans laquelle il demandait le rejet de l’allégation no 1 au motif qu’au moment où le processus a été lancé le 20 septembre 2017, la date limite avait déjà été dépassée. Afin de déterminer si c’est le cas, j’examinerai d’abord les dispositions législatives liées à la responsabilité de gérer les questions disciplinaires. Je commence par l’article 40 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C., 1985, ch. R- 10 [Loi sur la GRC], qui prévoit ce qui suit :

40 (1) Lorsqu’il apparaît à l’autorité disciplinaire d’un membre que celui-ci a contrevenu à l’une des dispositions du code de déontologie, elle tient ou fait tenir l’enquête qu’elle estime nécessaire pour lui permettre d’établir s’il y a réellement contravention.

[5]  Ainsi, il incombe à l’autorité disciplinaire de faire tenir l’enquête qu’elle estime nécessaire pour lui permettre d’établir s’il y a réellement eu contravention au code de déontologie.

[6]  Dans les Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291, le commissaire a désigné à titre d’autorités disciplinaires les personnes suivantes :

2 (1) Les personnes ci-après, sous réserve des exigences établies, le cas échéant, par le commissaire en vertu du paragraphe (2), sont désignées à titre d’autorités disciplinaires à l’égard des membres placés sous leur commandement :

a) les membres commandant un détachement et les personnes qui relèvent directement d’un officier ou d’une personne occupant un poste de direction équivalent;

b) les officiers ou les personnes occupant un poste de direction équivalent;

c) les officiers commandant une division.

[7]  Aucune disposition de la Loi sur le SCRS, du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada, 2014, DORS/2014-281 ni des Consignes du commissaire ne permet de désigner à titre d’autorités disciplinaires d’autres membres de la GRC. De plus, aucune politique (nationale, division, détachement) ne peut prévoir une telle désignation et avoir préséance sur les dispositions des textes de loi. Le pouvoir de délégation est reconnu par les tribunaux depuis le début de la confédération, Hodge c. La Reine (1883-84), 9 A.C. 117, mais ce pouvoir ne peut être délégué qu’en vertu de lois habilitantes. Ce sont donc les autorités disciplinaires qui ont la responsabilité de tenir les enquêtes disciplinaires sur des allégations contre des membres de la GRC dans le but de déterminer si les membres visés par les allégations ont contrevenu au code de déontologie.

[8]  En réalité, dans l’ensemble de la GRC, ces enquêtes sont effectuées par l’Unité des normes professionnelles pour le compte des autorités disciplinaires, pour la simple raison que les autorités disciplinaires n’ont pas la capacité de le faire elles-mêmes. Normalement, l’UNP commence une enquête disciplinaire lorsqu’elle reçoit une lettre de mandat de la part d’une autorité disciplinaire, dans laquelle cette dernière lui fournit les directives nécessaires. Le pouvoir de demander à quelqu’un d’autre de mener l’enquête vient du paragraphe 31(2) de la Loi d’interprétation, L.R.C, 1985, ch. I-21 :

31(2) Le pouvoir donné à quiconque, notamment à un agent ou fonctionnaire, de prendre des mesures ou de les faire exécuter comporte les pouvoirs nécessaires à l’exercice de celui-ci.

[9]  Toutefois, ce pouvoir ne change pas le fait que, légalement, la responsabilité et le pouvoir de faire enquête reviennent à l’autorité disciplinaire. L’UNP de la Division « E » n’a elle-même pas le pouvoir de tenir une enquête disciplinaire en vertu de la Loi sur la GRC. Ce pouvoir relève des diverses autorités disciplinaires de la Division. De mon point de vue, l’UNP agit à titre d’agent de l’autorité disciplinaire, ce qui fait que chacune des mesures qu’elle prend en ce qui a trait à une allégation selon laquelle un membre a contrevenu au code de déontologie est prise au nom de l’autorité disciplinaire.

[10]  Qu’advient-il alors dans les situations suivantes?

  1. L’UNP reçoit une plainte et réalise une « enquête préliminaire » pour déterminer s’il est justifié de tenir une enquête relative au code de déontologie dirigée par une autorité disciplinaire.
  2. L’UNP attend d’avoir les motifs nécessaires pour justifier une enquête relative au code de déontologie avant d’envoyer l’avis à l’autorité disciplinaire.

[11]  Conformément au droit des mandats, dans les circonstances présentes, on estime que la connaissance de l’enquêteur ou du gestionnaire de l’UNP est aussi celle de l’autorité disciplinaire. La prescription doit être amorcée au moment où l’information que détient l’UNP est suffisante pour lui donner les motifs raisonnables de croire qu’un membre a enfreint le code de déontologie et qu’il y a lieu de tenir une enquête (paragraphes 204 et 208 de la décision du comité de déontologie de la GRC no 2018 RCAD 20183382 [Phillips]). On juge qu’il y a connaissance lorsque l’information est suffisante pour lancer une enquête et non lorsque tous les détails de la mauvaise conduite alléguée ont été vérifiés. C’est au cours du délai de prescription d’un an que ces détails doivent être obtenus et confirmés dans le cadre de l’enquête, qui permettra aussi de déterminer s’il y a lieu d’imposer des mesures disciplinaires ou de tenir une audience disciplinaire (Thériault c. L’officier compétent de la division C de la Gendarmerie royale du Canada, 2006 CAF 61 (CanLii) [Thériault]).

[12]  Je prête attention aux commentaires du comité de déontologie formulés au paragraphe 190 de l’affaire Phillips selon lesquels c’est la connaissance de l’autorité disciplinaire pertinente qui marque le début du délai et non la connaissance de tiers au sein de la GRC ou de subalternes. Je ne considère toutefois pas les enquêteurs de l’UNP comme les « tiers » des autorités disciplinaires étant donné que ces dernières leur ont confié le mandat d’enquêter sur les questions disciplinaires et de les gérer en leur nom. On considère que l’information que l’UNP obtient dans l’exercice de ce mandat est aussi connue de l’autorité disciplinaire pour le compte de qui elle agit. C’est la connaissance de cette information qui marque le début du délai de prescription prévu au paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC.

[13]  Ce que j’avance est aussi implicite dans une politique, soit au point 4.1.1 du chapitre XII.1 « déontologie » du Manuel d’administration.

4.1.1. Lorsqu’on apprend qu’un membre aurait enfreint une disposition du code de déontologie, l’autorité disciplinaire au niveau le plus approprié par rapport au membre visé doit recevoir et étudier l’information dans le but d’évaluer et de déterminer les meilleurs moyens de traiter l’incident, ce qui peut comprendre le renvoi au prochain niveau d’autorité disciplinaire lorsqu’il est clairement établi, le cas échéant, que la contravention alléguée ne peut être traitée adéquatement par le présent niveau d’autorité disciplinaire.

[14]  Une autorité disciplinaire ne peut réaliser ces fonctions avant d’avoir été avisée de la réception d’une information selon laquelle un membre aurait enfreint une disposition du code de déontologie. Selon la politique, l’autorité disciplinaire ne doit pas nécessairement avoir reçu elle-même l’information. On indique seulement « lorsqu’on apprend », ce qui implique que peu importe qui reçoit l’information (l’UNP), celle-ci doit être immédiatement transmise à l’autorité disciplinaire. Si ce n’est pas le cas, on considérera quand même que l’autorité disciplinaire l’a reçue.

[15]  À la deuxième question, je réponds qu’il importe peu si l’UNP attend d’avoir les motifs nécessaires pour justifier une enquête relative au code de déontologie avant d’envoyer l’avis à l’autorité disciplinaire. Si on estime que la connaissance de l’UNP est aussi celle de l’autorité disciplinaire, le délai de prescription commence dès que l’UNP a obtenu l’information suffisante pour amorcer la prescription (contestation dans l’affaire Thériault). Il importe donc peu si l’information a été transmise à l’autorité disciplinaire ou non, ou le moment auquel elle a été transmise.

[16]  Le paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC s’applique :

41 (2) L’autorité disciplinaire ne peut convoquer une audience, relativement à une contravention au code de déontologie qui aurait été commise par un membre, plus d’un an après que la contravention et l’identité du membre en cause ont été portées à la connaissance de l’autorité disciplinaire qui tient ou fait tenir l’enquête.

[17]  Compte tenu des preuves fournies dans l’affidavit avant l’audience et des preuves de vive voix entendues sur cette affaire, je tire les conclusions de fait suivantes. Le 5 août 2016, l’UNP de S. a reçu un courriel d’un membre du détachement de S. selon lequel un membre aurait fait des avances inappropriées à une plaignante liée à un dossier. Le 9 août 2016, le caporal P (à l’époque) et le caporal G de l’UNP de S. avaient suffisamment enquêté pour déterminer que l’allégation était grave, car il était question d’un membre ayant exploité la vulnérabilité probable d’une présumée victime de violence familiale d’origine autochtone. Ils avaient aussi déterminé à ce moment-là qu’il s’agissait probablement du membre visé, car ils avaient constaté dans son registre du système de répartition PRIME qu’il était allé chez Mme M. M. au moins cinq fois les jours suivant l’appel de service.

[18]  Ce qu’ils ignoraient à l’époque, c’était la nature de la relation entre le membre visé et Mme M. M. Le 23 août 2016, l’officier responsable de l’UNP de S., l’inspecteur L., a toutefois eu la réponse à cette question du gendarme S. du détachement de F. N. Il a appris ce jour-là que Mme M. M. avait déposé une plainte au détachement de F. N. au sujet de son ex-petit ami et qu’à ce moment-là, elle a indiqué ce qui suit au gendarme S. :

  • Un membre a effectivement assuré une garde et le maintien de la paix à son domicile de S.;
  • Ce membre lui a par la suite laissé une carte sur laquelle figurait son nom, mais elle ne lui a pas téléphoné;
  • Le membre est revenu un autre jour, a cogné à la porte et lui a demandé pourquoi elle ne lui avait pas téléphoné, et il l’a invitée à sortir avec lui;
  • Ils ont fait une sortie à W. R.;
  • Ils ne sont plus ensemble.

[19]  Une fois cette information jumelée à celle datant du 9 août 2019, l’information était suffisante, selon toute norme objective, pour marquer le début du délai de prescription prévu au paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC. J’appuie aussi cette conclusion sur le fait qu’aucun autre élément de preuve supplémentaire n’a été obtenu entre le 23 août 2016 et le 22 septembre 2016, date à laquelle le surintendant M. L. a « officiellement » été mis au courant et à laquelle la lettre de mandat relative au code de déontologie a été envoyée. Je conclus donc que le délai de prescription a commencé le 23 août 2016 et que le délai d’un an était donc dépassé lors du lancement de l’audience disciplinaire le 20 septembre 2017.

[20]  Si je me trompe dans mon interprétation et l’exécution du droit des mandats selon cette situation, je constate aussi que deux autres autorités disciplinaires convenablement désignées avaient une connaissance suffisante le 7 septembre 2016 pour que le délai de prescription soit amorcé. L’inspecteur T. a témoigné qu’à la suite d’une conversation qu’il a eue avec le surintendant M. L. ce jour-là, il savait que le membre visé allait faire l’objet d’une autre enquête relative au code de déontologie, qui était liée à une enquête en cours, car il avait convoité une femme qu’il a rencontrée dans l’exercice de ses fonctions dans le but de développer une relation personnelle, ce qui est inapproprié. À son avis, c’était suffisamment grave pour que le membre visé soit relevé de ses fonctions.

[21]  J’appuie cette constatation du témoignage du surintendant M. L., selon lequel il rencontrait la direction de l’UNP de S. toutes les deux semaines pour une séance d’information ou de mise à jour au sujet des affaires liées au code de déontologie en cours. Qu’il ait été question ou non des détails du dossier, il fait peu de doute dans mon esprit que le surintendant M. L. a été informé de l’identité du membre visé et qu’il a obtenu l’information suffisante pour avoir des motifs raisonnables de croire que le membre visé avait contrevenu au code de déontologie. Ces rencontres n’auraient pas vraiment de raison d’être si ce n’était pas le cas.

[22]  J’ai aussi un commentaire à formuler sur une autre question relative à l’exécution de la prescription. J’ai reçu des preuves par affidavit et de vive voix à l’effet qu’il y avait une politique au détachement de S. qui limitait la « gestion » des questions disciplinaires à l’officier responsable du Détachement et au surintendant. Cependant, les dirigeants du Détachement devraient savoir que, peu importe leur intention, les politiques de ce genre n’ont pas préséance sur les lois pertinentes. D’après le paragraphe 40(1) de la Loi sur la GRC, une autorité disciplinaire est tenue d’agir lorsqu’elle reçoit une information selon laquelle il y aurait eu contravention au code de déontologie. Cette disposition est impérative et non permissive. De plus, voici ce qu’indique le paragraphe 31(3) de la Loi d’interprétation :

31(3) Les pouvoirs conférés peuvent s’exercer, et les obligations imposées sont à exécuter, en tant que de besoin.

[23]  Lorsqu’on associe les paragraphes 40(1) de la Loi sur la GRC et 31(3) de la Loi sur l’interprétation, il est évident qu’une autorité disciplinaire qui apprend une telle information doit agir. Le renvoi de la question à une autorité disciplinaire plus haut placée conformément à la politique du Détachement ne l’exonère pas de sa responsabilité d’autorité disciplinaire convenablement désignée et ne repousse pas le début du délai de prescription.

[24]  Je détermine que l’allégation no 1 a été déposée après la fin du délai, et je n’ai pas la compétence de l’entendre. Par conséquent, l’allégation no 1 contre le membre visé est rejetée.

PREUVES ET CONSTATATIONS RELATIVES AUX ALLÉGATIONS

Allégation no 2

[25]  L’allégation no 2 porte sur une conduite déshonorante aux termes de l’article 7.1 du code de déontologie. Pour prouver la conduite déshonorante, l’autorité disciplinaire doit d’abord prouver, selon la prépondérance des probabilités, que c’est le membre visé qui a commis les actes en question. L’identité n’est pas en cause dans le cas présent.

[26]  L’autorité disciplinaire doit ensuite déterminer, selon la prépondérance des probabilités, F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53 (CanLii), si les actes allégués ont bel et bien été commis. À cet effet, et compte tenu des aveux faits par le membre visé, des éléments de preuve fournis dans les documents et la preuve de vive voix entendue, j’effectue les constatations de fait qui suivent.

[27]  Le membre visé a rencontré Mme M. M. le 23 juillet 2016 au domicile de cette dernière alors qu’il répondait à un appel de service visant à aider son ex-petit ami, M. G. B. a récupéré ses effets personnels. Il devait apporter son aide parce que M. G. B. avait l’interdiction de se présenter au domicile. Avant de quitter le domicile, le membre visé à remis à Mme M. M. une carte professionnelle de la GRC sur laquelle il avait écrit son surnom et son numéro de téléphone cellulaire personnel.

[28]  Au cours des deux semaines suivantes et pendant qu’il était en service, le membre visé s’est rendu chez Mme M. M. à au moins cinq autres reprises. Il a donné comme explication qu’il faisait un suivi à savoir si M. G. B. avait récupéré ses effets personnels cachés à l’extérieur de la résidence pour pouvoir l’aider à le faire. Selon l’autorité disciplinaire, il tentait de nouer une relation personnelle avec Mme M. M.

[29]  Une relation personnelle s’est en effet développée entre eux, ce que le membre visé reconnaît, mais il nie qu’il s’agissait d’une relation de nature sexuelle. Même s’il ne s’agit pas de l’objet de l’allégation, la nature de la relation est pertinente pour les motifs, la crédibilité d’autres affaires en jeu et mes constatations relatives à certaines précisions, donc je tire ma conclusion ici. Je détermine que, conformément au témoignage de Mme M. M., le membre visé et elle ont eu des relations sexuelles à une reprise, le 2 août 2016 ou vers cette date, après avoir soupé ensemble à W. R.

[30]  Une partie du témoignage de Mme M. M. était hésitante et incertaine, en raison, selon elle, du temps qui s’était écoulé. Elle a été toutefois très explicite sur ce point, un détail qui, on le comprend, est plus clair dans son esprit que le nombre de conversations téléphoniques entre eux ou les dates précises de ces conversations. De plus, il est peu probable, selon moi, qu’elle inventerait ce détail, compte tenu de sa réticence à participer au processus au départ. Si elle avait eu l’intention de mentir, il aurait été plus facile et moins embarrassant pour elle de dire qu’ils n’avaient pas eu de relation sexuelle.

[31]  L’attitude de Mme M. M. à la barre des témoins était celle d’une personne placée dans la position inconfortable d’avoir à témoigner dans le cadre d’un processus auquel elle ne voulait pas prendre part. Son témoignage concordait à l’interne avec les détails importants qu’elle a donnés dans la déclaration enregistrée qu’elle a faite à l’UNP de S., et il concordait à l’externe avec les autres éléments de preuve, comme le nombre d’occasions où le membre visé s’est présenté chez elle, les raisons de ses visites, la façon dont la relation a commencé et la raison pour laquelle elle s’est terminée. Son témoignage sur les questions en jeu n’a pas été ébranlé lors du contre-interrogatoire.

[32]  Mme M. M. a aussi été équitable avec le membre visé dans son témoignage au sujet de la convenance de leur relation. Elle a affirmé qu’elle n’avait pas eu l’impression qu’il faisait quelque chose de mal et qu’elle était totalement consentante à la relation. Mme M. M. n’a pas semblé avoir des comptes à régler avec le membre visé ni n’a semblé malhonnête d’une quelconque façon. J’ai trouvé qu’elle était un témoin crédible et que son témoignage était fiable.

[33]  Mes constatations au sujet du membre visé ne sont pas les mêmes. Je le décrirais, de façon générale, comme évasif et trop sur la défensive. Je fournirai plus de détails sur ce point au fur et à mesure que je continuerai de présenter mes constatations de fait.

[34]  Une série de messages textes ont été échangés entre le membre visé et Mme M. M. à compter du 31 juillet 2016 jusqu’au 5 août 2016 (à l’exception d’un de plus). L’échange a pris fin quelques jours avant que Mme M. M. retourne à F. N. pour assister à des funérailles et que le membre visé ne parte en vacances.

[35]  Le membre visé est rentré de vacances le 21 septembre 2016 et est retourné au travail le jour suivant. Ce jour-là, il a été appelé à retourner au Détachement et a rencontré l’inspecteur T. Ce dernier lui a alors indiqué qu’une autre enquête relative au code de déontologie était « en cours de préparation » à son sujet. J’indique « une autre » parce que le membre visé faisait déjà l’objet d’une enquête relative au code de déontologie à ce moment-là au sujet d’une allégation selon laquelle il aurait intercepté un véhicule pour une raison non opérationnelle afin de remettre sa carte professionnelle à la conductrice. Après sa rencontre avec l’inspecteur T., il a eu la permission de retourner à la maison pour le reste de la journée.

[36]  Rien ne prouve l’heure qu’il était, mais à 14 h 31, il a téléphoné à Mme M. M., et ils ont conversé pendant 22 minutes. Il a reconnu avoir communiqué avec elle parce qu’il savait qu’à la réception de l’ordonnance disciplinaire le jour suivant, il aurait l’ordre de ne pas lui parler ni de parler à d’autres témoins pendant l’enquête.

[37]  En tant qu’agent de police et, plus précisément, d’officier de la GRC faisant déjà l’objet d’une enquête relative au code de déontologie, le membre visé était bien conscient de la raison de l’ordonnance imminente : protéger l’intégrité de la preuve provenant du témoin et empêcher toute entrave à l’enquête. Il a quand même communiqué avec Mme M. M., même s’il n’avait eu aucun contact avec elle depuis le 5 août 2016, pendant qu’il était en vacances et, selon sa version des faits, après n’avoir été que des connaissances récentes qui sont seulement sorties souper à une reprise. Je trouve difficile de comprendre pourquoi il l’aurait appelée, elle, si l’appel n’était, selon lui, que pour comprendre les raisons pour lesquelles une enquête relative au code de déontologie allait être lancée, surtout si on tient compte de son témoignage à l’effet qu’il croyait que cultiver une relation personnelle avec une personne dans les circonstances dans lesquelles il l’a rencontrée était parfaitement acceptable. Son témoignage et ses actes se contredisent. S’il avait vraiment cru qu’il n’avait rien fait de mal, il n’aurait eu aucune raison de communiquer avec Mme M. M.

[38]  Le membre visé a affirmé qu’il avait communiqué avec elle pour lui demander si elle était au courant de quelque chose au sujet de l’ordonnance d’enquête relevant du code de déontologie qui allait être rendue contre lui. Selon son témoignage, il avait l’impression qu’il s’agirait d’une enquête pour harcèlement à son endroit. Encore une fois, je trouve difficile de comprendre pourquoi il aurait eu cette impression si, selon ce qu’il a dit, personne d’autre à qui il a parlé ne pouvait lui fournir d’information sur l’objet de l’enquête. Je juge que sa raison la plus probable d’avoir communiqué avec Mme M. M. est qu’il savait qu’il s’était livré à une relation sexuelle inappropriée avec une cliente qu’il savait dans un possible état de vulnérabilité.

[39]  Pour les aspects du témoignage du membre visé qui diffèrent du témoignage de Mme M. M., je me fie aux dires de Mme M. M. Dans les affaires comme la présente, lorsque les témoignages sont contradictoires, il est nécessaire d’évaluer la preuve en se fondant sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire F.H. c. McDougall, [2008] 3 R.C.S. 41 [McDougall], dans laquelle il est indiqué ce qui suit :

[86] Toutefois, au civil, lorsque les témoignages sont contradictoires, le juge est appelé à se prononcer sur la véracité du fait allégué selon la prépondérance des probabilités. S’il tient compte de tous les éléments de preuve, sa conclusion que le témoignage d’une partie est crédible peut fort bien être décisive, ce témoignage étant incompatible avec celui de l’autre partie. Aussi, croire une partie suppose explicitement ou non que l’on ne croit pas l’autre sur le point important en litige. C’est particulièrement le cas lorsque, comme en l’espèce, le demandeur formule des allégations que le défendeur nie en bloc. La démarche préconisée dans l’arrêt W. (D.) ne convient pas pour évaluer la preuve au regard de la prépondérance des probabilités dans une instance civile.

[40]  La Cour d’appel de l’Ontario a fait un suivi de ces déclarations dans Law Society of Upper Canada c. Neinstein, 2010 ONCA 193:

[21] L’argument de l’appelant selon lequel l’approche en trois étapes dans l’arrêt W.(D.), ou son équivalent intentionnel doit être utilisée pour évaluer les témoignages contradictoires dans les affaires non criminelles a été abandonné dans McDougall, une décision rendue après que la Cour divisionnaire a publié ses motifs dans cette affaire. Devant la Cour suprême du Canada, la Cour a conclu à l’unanimité qu’une analyse de type W.(D.) était inappropriée dans une affaire civile. […] [traduction]

[22] McDougall s’applique directement à cette affaire. Le comité présidant l’audience devait déterminer si les allégations avaient été formulées selon la prépondérance des probabilités. Ce faisant, le comité présidant l’audience a été tenu d’examiner l’ensemble de la preuve et d’évaluer la crédibilité dans le contexte de l’ensemble de la preuve. Comme dans l’affaire McDougall, une conclusion du comité d’audience selon laquelle les plaignants étaient crédibles pourrait être déterminante pour le résultat. À la lumière de l’affaire McDougall, l’application par le comité présidant l’audience d’une analyse W.(D.) modifiée ne convenait pas à l’enquête qu’il était tenu de faire. [...][traduction]

[41]  Les autorités ont clairement indiqué que dans les procédures comme la présente, aucune analyse de type W.(D.) est nécessaire et qu’une conclusion selon laquelle Mme M. M. a été crédible, son témoignage fiable et conforme aux éléments de preuve connexes, est déterminante pour ces questions.

[42]  De plus, la conversation avec Mme M. M. a duré 22 minutes et, durant cette conversation, le membre visé a reconnu qu’il était fâché et troublé par la situation. Compte tenu de la durée de l’appel, il ne s’est sans doute pas limité à lui demander si elle savait quelque chose au sujet de l’enquête imminente relative au code de déontologie. Au minimum, il lui a demandé, à cette personne qu’il savait être témoin dans l’affaire contre lui, si elle s’était plainte à la GRC et d’où venait la plainte et a discuté du fait qu’elle a parlé à la GRC et de l’insistance de la GRC à obtenir une déclaration de sa part. Il s’agit des seuls sujets de conversation qu’il a reconnu avoir eus à la barre des témoins. Il y en a peut-être eu d’autres, mais il n’est pas nécessaire de les avancer aux fins de la présente affaire.

Constatation

[43]  Si j’applique ces constatations de fait aux précisions de l’allégation no 2, je détermine que :

  1. La précision no 1 a été admise et est établie.
  2. La précision no 2 est établie.
  3. La précision no 3 a été retirée par l’autorité disciplinaire.
  4. La précision no 4 a été admise par le membre visé dans son témoignage et est établie.
  5. La précision no 5 est fondée. Étant donné la nature de sa relation avec Mme M. M., les circonstances dans lesquelles il a communiqué avec elle et la nature de la conversation, je n’ai aucune hésitation à conclure qu’il voulait savoir ce qu’elle avait dit à d’autres membres pour pouvoir préparer sa version des faits. Il est peu probable qu’il ait eu une autre raison de communiquer avec elle. Je constate aussi que les questions qu’il a posées la porteraient logiquement à croire qu’il ne voulait pas qu’elle parle à l’enquêteur de leur relation.
  6. La précision no 6 est fondée compte tenu de mes constatations susmentionnées. Le membre visé a bel et bien tenté d’entraver une enquête relative au code de déontologie.

[44]  L’autorité disciplinaire n’a pas besoin d’établir toutes les précisions, mais suffisamment pour que celles qui ont été établies atteignent le seuil pour conclure qu’il y a eu conduite déshonorante relative à l’allégation générale. Le retrait de la précision no 3 par l’autorité disciplinaire n’a aucune incidence sur la conclusion concernant l’allégation.

[45]  La décision selon laquelle un comportement est déshonorant est fondée sur un critère qui tient compte de la façon dont la personne raisonnable dans la société, qui connaît toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités du maintien de l’ordre en général, et de la GRC en particulier, verrait le comportement. Le seuil est atteint lorsque cette personne raisonnable estime que les actions du membre visé sont susceptibles de discréditer la Gendarmerie. Selon moi, une telle personne raisonnable déterminerait que c’est le cas dans la présente affaire. Comme le membre visé est un agent de la GRC ayant prêté le serment d’assurer le respect de la loi, une personne raisonnable considérerait sa tentative d’entraver l’enquête relative au code de déontologie comme une conduite susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie. Par conséquent, je conclus que l’allégation no 2 est fondée.

Allégation no 3

[46]  Selon la troisième allégation contre le membre visé, celui-ci aurait contrevenu à l’article 8.1 du code de déontologie, car il n’a pas rendu compte de manière exacte et détaillée de l’exécution de ses responsabilités et de l’exercice de ses fonctions dans l’administration et le fonctionnement de la Gendarmerie.

[47]  Comme il a avoué les précisions nos 1, 2, 3, 4, 7 et 8, et avoué en partie la précision no 6, mes constatations de fait sur cette allégation seront relativement brèves.

[48]  Je constate que, le 16 janvier 2016, et au moins un mois avant et un mois après cette date, le membre visé avait en sa possession un BlackBerry de la GRC pleinement fonctionnel. Ce fait est évident selon les relevés d’appels téléphoniques fournis parmi les documents et sur lesquels s’est fondée l’autorité disciplinaire au cours de l’audience. Le membre visé a utilisé ce téléphone quotidiennement dans le cadre de ses fonctions, y compris le 16 janvier 2016, date à laquelle il a remis sa carte professionnelle de la GRC sur laquelle il avait inscrit son numéro de téléphone cellulaire personnel à Mme F. à la suite d’un contrôle routier. Il fournissait aussi le numéro de son BlackBerry de la GRC lorsqu’il s’inscrit au début de ses quarts de travail, et ce numéro de téléphone est celui auquel les autres membres l’auraient joint s’ils en avaient eu besoin.

[49]  Le membre visé a affirmé qu’il faisait suffisamment confiance à de parfaits étrangers, comme Mme F. et Mme M. M., pour leur donner son numéro de téléphone personnel, mais pas à ses collègues. C’est ce qu’il a donné comme explication lors du contre-interrogatoire sur la raison pour laquelle il avait fourni son numéro de téléphone cellulaire à ces femmes. Je ne le crois pas. Je considère ce témoignage comme une tentative absurde d’expliquer une autre incohérence entre ses actes et ce que dicte le bon sens.

[50]  En outre, je ne crois pas son explication voulant qu’il ait simplement fait une erreur quant à la période à laquelle il n’avait pas de téléphone cellulaire de la GRC. Il est difficile d’imaginer qu’un policier, qui fait l’objet d’une enquête relative au code de déontologie, ne réalise pas l’importance de vérifier les faits qu’il avance pour se défendre. Par conséquent, je détermine que l’information fournie dans ses observations écrites au surintendant M. L. pour la rencontre disciplinaire est erronée et trompeuse, et je considère que la précision no 5 est établie.

[51]  En ce qui a trait à la précision no 6, les relevés d’appels téléphoniques consultés par l’autorité disciplinaire montrent que, au cours des mois de décembre 2015 et de janvier 2016, le membre visé était en possession d’un BlackBerry de la GRC, qu’il fonctionnait et qu’il l’a utilisé souvent dans l’exercice de ses fonctions. Par conséquent, cette précision est aussi établie.

[52]  En ce qui a trait à la précision no 9, j’estime que le membre visé a fourni des renseignements trompeurs dans la déclaration écrite du 21 juillet 2016 qu’il a fournie à l’enquêteur disciplinaire, et qu’il a menti au surintendant M. L., son supérieur hiérarchique, dans ses observations écrites présentées dans le cadre d’un processus relatif au code de déontologie. Par conséquent, cette précision est aussi établie. Le membre visé n’était pas obligé de fournir une déclaration. Il a toutefois pris la décision de le faire. Il était donc tenu de s’assurer que ses déclarations étaient exactes, et aucune ne l’était.

[53]  Le membre visé a soutenu que le surintendant M. L. s’était déjà occupé de cette affaire dans le cadre d’une réunion disciplinaire et du processus d’appel qui a suivi. Ainsi, il a déclaré que l’allégation no 3 devait être rejetée. Il a affirmé que le recours qui s’offrait au surintendant M. L. était de présenter des observations au BCGA durant le processus d’appel s’il estimait que les observations présentées par le membre visé étaient fausses ou inexactes.

[54]  Je n’accepte pas cet argument. L’objet de la rencontre disciplinaire avec le surintendant M. L. le 20 ou le 21 décembre 2016 consistait à déterminer si le membre visé avait abusé de son pouvoir en interceptant sans motif un véhicule conduit par Mme F. pour lui remettre son numéro de téléphone cellulaire personnel. Deux allégations ont été articulées autour de la mauvaise conduite, dont une que le surintendant M. L. a jugé fondée. Cette enquête et cette réunion disciplinaires ne portaient uniquement que sur cette mauvaise conduite. Aucune allégation ne portait encore sur un mensonge formulé à l’enquêteur disciplinaire dans le cadre de cette enquête ou au surintendant M. L. dans le cadre de la réunion disciplinaire. Cette allégation n’existait pas, car personne ne savait qu’il s’agissait d’une fausse déclaration jusqu’à ce que d’autres préparatifs soient effectués en vue de répondre à l’appel par le membre visé de la décision prise par le surintendant M. L. dans le cadre de cette affaire.

[55]  Lorsque les fausses déclarations ont été découvertes, l’allégation a été ajoutée à la présente audience disciplinaire. Cette allégation n’a pas été traitée auparavant par le surintendant M. L. ni par quelqu’un d’autre. Elle m’est dûment instruite à titre de comité de déontologie dans le cadre des procédures actuelles. Comme j’ai la compétence de traiter l’allégation no 3, et pour les raisons susmentionnées, je conclus que cette allégation est fondée.

MESURES DISCIPLINAIRES

[56]  Comme j’ai déterminé que le membre visé a enfreint le code de déontologie de la GRC dans deux situations différentes, je suis tenu, conformément au paragraphe 45(4) de la Loi sur la GRC, de prendre des mesures disciplinaires appropriées. L’autorité disciplinaire demande la démission forcée du membre visé, et le membre visé se défend en disant qu’une confiscation de la solde conviendrait mieux pour chacune des allégations.

Éventail approprié des mesures

[57]  Dans ma prise de décision quant à la sanction appropriée, je dois d’abord prendre en considération l’éventail approprié des mesures possibles ainsi que les facteurs aggravants et atténuants. Je n’ai pas à fonder ma décision sur les décisions prises par d’autres comités de déontologie, mais les décisions sur les cas antérieurs de nature semblable sont utiles pour établir l’éventail approprié des mesures disciplinaires. Le principe de la parité des sanctions vise à garantir l’équité, c’est-à-dire à garantir que les formes semblables d’inconduite sont traitées de la même façon, ce qui donne de la prévisibilité aux affaires disciplinaires. De plus, le Guide des mesures disciplinaires fournit des lignes directrices quant aux points à prendre en considération au moment d’imposer des mesures disciplinaires. Il n’est toutefois ni contraignant ni déterminant.

[58]  Les allégations jugées fondées contre le membre visé sont liées entre elles du fait qu’elles portent toutes deux sur des actes répréhensibles commis dans le but de se déresponsabiliser d’un cas d’inconduite antérieur. Les actes visés par les allégations sont survenus dans un court laps de temps. Le 21 juillet 2016, le membre visé a présenté une déclaration écrite à l’enquêteur disciplinaire dans le cadre d’une enquête relative au code de déontologie. Dans cette déclaration, il a menti lorsqu’il a indiqué ne pas avoir eu en sa possession un téléphone cellulaire de la GRC pendant la période visée, quand il en avait manifestement un. Le 22 septembre 2016, il a communiqué avec Mme M. M. pour tenter d’entraver une deuxième enquête relative au code de déontologie. Entre le 13 et le 20 décembre 2016, il a rédigé des observations qu’il a remises au surintendant M. L. en prévision de la rencontre disciplinaire liée à la première enquête relevant du code de déontologie. Dans ces observations, il a fait allusion à la déclaration mensongère qu’il avait faite le 21 juillet 2016, et a ajouté qu’il utilisait surtout son téléphone cellulaire personnel dans l’exercice de ses fonctions, ce qui était également faux. Compte tenu de la similarité des deux cas d’inconduite et du court intervalle dans lequel ils sont survenus, je conviens qu’il est approprié d’imposer des mesures disciplinaires d’une nature générale.

[59]  Les contraventions aux dispositions du code de déontologie établies sont très sérieuses et se caractérisent, à mon avis, par la malhonnêteté. J’ai étudié les cas pertinents et, pour ce qui est des cas d’inconduite de la sorte, l’éventail des mesures disciplinaires est assez limité, allant de la confiscation importante de la solde au congédiement. L’éventail est limité parce qu’un policier qui ne fait pas preuve d’une intégrité irréprochable dans le cadre d’un processus disciplinaire nuit considérablement à l’efficacité de ce processus et mine la confiance du public envers le service de police. Dans le Guide des mesures disciplinaires, les mesures proposées sont semblables, allant d’une confiscation importante de la solde au congédiement. Selon ce guide, le congédiement est pris en considération lorsqu’il y a tentative, comme dans le cas présent, de se déresponsabiliser.

Facteurs atténuants

[60]  En ce qui a trait aux facteurs atténuants dans le cas présent, je reconnais que le membre visé n’a aucun antécédent disciplinaire. Je reconnais également que, de sa graduation de Dépôt le 20 mai 2014 au 21 décembre 2016, date à laquelle le surintendant M. L. a rendu sa décision dans le cadre de la première procédure, le membre visé a été un membre productif, surtout pour ce qui est de la proactivité. Je n’ai aucune preuve de son rendement entre cette date et la date à laquelle il a été suspendu de ses fonctions en raison de cette affaire.

Facteurs aggravants

[61]  Les facteurs atténuants consistant à ne pas avoir d’antécédents disciplinaires et à avoir été un membre productif pendant au moins deux ans et demi doivent contrebalancer une mauvaise conduite très grave. À trois reprises, le membre visé s’est mal conduit dans l’effort de se déresponsabiliser pour de mauvais choix qu’il a faits. Comme c’est fréquemment le cas, ses actes pour tenter d’éviter la responsabilité sont beaucoup plus graves que l’inconduite initiale, ce qui témoigne d’un important manque de jugement de la part du membre visé.

[62]  Il y a aussi plusieurs facteurs aggravants à prendre en considération. Premièrement, son inconduite liée à l’allégation no 2 impliquait des interactions avec des membres du public, ce qui est susceptible de considérablement ternir la réputation de la GRC aux yeux de la collectivité.

[63]  Deuxièmement, ses actes ne peuvent être considérés comme des actes isolés de sa part. Les trois incidents semblables qui constituent les allégations sont survenus sur une période totale de six mois. Il ne s’agit pas d’un manque de jugement ponctuel. Ces actes témoignent plutôt d’une propension au mensonge et à la manipulation dans l’objectif de se déresponsabiliser de ses erreurs. En outre, on pourrait dire que ses fausses déclarations relatives à l’allégation no 3 étaient planifiées et délibérées. Les circonstances entourant son contact avec Mme M. M. ne dénotent pas la même planification et la même délibération. Toutefois, du même coup, on ne peut pas dire qu’il a agi sous l’impulsion du moment, sans réfléchir aux conséquences du fait qu’il a indiqué dans son témoignage qu’il savait qu’une ordonnance lui interdisant de communiquer avec Mme M. M était imminente, mais qu’il a communiqué avec elle quand même.

[64]  Troisièmement, en raison des contraventions au code de déontologie qui ont maintenant été établies contre lui, et de la preuve de sa propension au mensonge et à la déresponsabilisation de ses actes, il aura un dossier McNeil qui devra être divulgué de façon anticipée aux accusés dans les affaires pénales auxquelles il sera appelé à participer comme enquêteur. Le fardeau que représente ce dossier ne sera pas porté que par lui, mais aussi par la Gendarmerie et la Couronne. Compte tenu de la nature de sa mauvaise conduite, sa crédibilité à titre de témoin risque dorénavant de constituer une question litigieuse chaque fois qu’il sera témoin de la Couronne dans une affaire.

[65]  Cette réalité engendre nécessairement un fardeau administratif éventuel pour la GRC au moment d’envisager une affectation. Le membre visé a été embauché à titre de policier, et son expérience à ce jour se limite à celle d’enquêteur des services généraux. Compte tenu de cette expérience limitée, je doute qu’il soit déjà qualifié pour effectuer beaucoup d’autres tâches. Si je décidais de le garder à titre de membre de la GRC, l’organisation devrait tenter de placer une personne dont le témoignage dans le cadre de poursuites judiciaires pourrait être compromis en raison de sa malhonnêteté et de son manque de jugement.

[66]  L’autorité disciplinaire m’a demandé de prendre en considération à titre de facteur aggravant le fait que Mme M. M. était une jeune et vulnérable Autochtone victime de violence familiale. Cependant, je n’impose pas de mesures disciplinaires pour la relation inappropriée qui fait l’objet de l’allégation no 1, car cette allégation a été rejetée et n’est maintenant plus de mon ressort. La vulnérabilité de Mme M. M est beaucoup moins pertinente en ce qui a trait à l’allégation no 2, et je refuse de la prendre en considération à titre de facteur aggravant.

Décision

[67]  C’est un principe bien établi en droit du travail que le congédiement ne doit être envisagé que dans les cas les plus extrêmes et que la réhabilitation est l’objectif premier de l’imposition de mesures disciplinaires. Le tribunal fait état de ce principe dans l’arrêt Ennis c. la Canadian Imperial Bank of Commerce, (1986) BCJ 1742, qui traite du congédiement d’un employé :

L’inconduite ou l’incompétence réelle doit être démontrée. La conduite de l’employé et la réputation qu’elle révèle doivent être de nature à miner ou à compromettre gravement la confiance essentielle que l’employeur est en droit d’accorder à un employé dans les circonstances de leur relation particulière. Le comportement de l’employeur doit démontrer que l’employé répudie le contrat de travail ou l’un de ses éléments essentiels. [traduction]

Deux de nombreuses affaires antérieures qui traitent de bonne réputation et de potentiel de réhabilitation sont Le Commandant de la Division « E » c. gendarme Vellani, 2017 RCAD 3 et 28 AD (2d) 213(ERC). Ces affaires confirment que le potentiel de réhabilitation est un facteur important à prendre en considération, mais qu’il ne l’emporte pas sur le droit de mettre fin à l’emploi lorsque la violation touche le coeur de la relation employeur-employé. Dans le cas présent, je n’ai entendu aucune preuve d’un potentiel de réhabilitation et ce n’est ni une évidence pour moi. À mon avis, l’inconduite du membre visé touche le coeur de la relation employeur- employé. Sa conduite ne cadre pas avec ses conditions d’emploi et est incompatible avec l’exercice fidèle et convenable de ses fonctions. Je crois que sa conduite révèle de la malhonnêteté, un jugement extrêmement mauvais et une détermination à rejeter la responsabilité de ses actes. Je ne suis pas convaincu que sa réputation a été rétablie ni qu’elle peut l’être, car il a jusqu’à maintenant refusé d’accepter la responsabilité de ses actes.

[68]  J’estime qu’en se conduisant comme il l’a fait, le membre visé a répudié plusieurs aspects essentiels de son contrat de travail avec la GRC : les valeurs principales d’honnêteté, d’intégrité et de responsabilité. Le régime disciplinaire de la police joue un rôle essentiel au maintien de la confiance du public dans les services policiers. Les policiers se font attribuer des pouvoirs extraordinaires sur les citoyens, et le processus disciplinaire sert à assurer un contrôle de ces pouvoirs de différentes façons. Si un policier se conduit mal dans l’exercice de ses fonctions, les membres du public ont le droit de déposer une plainte. Si l’enquête relative à cette plainte permet de déterminer que des accusations et une audience sont justifiées, le policier est appelé à rendre compte de ses actes. Un policier qui ment dans sa déclaration à un enquêteur et qui tente d’entraver une enquête compromet le processus disciplinaire et entrave ainsi le processus de contrôle, qui est essentiel à la confiance du public. Pour maintenir la confiance du public, un policier qui ne participe pas au processus disciplinaire de la police avec une intégrité exemplaire doit absolument faire l’objet d’une sanction des plus sévères.

[69]  Je crois que le congédiement n’a pas été imposé dans d’autres affaires semblables parce que les comités de déontologie ont déterminé que les facteurs atténuants étaient suffisants pour justifier une mesure disciplinaire moins sévère ou parce que des observations présentées conjointement demandaient une sanction moins sévère. Comme je l’ai déjà écrit, il y a peu de facteurs atténuants liés à la présente affaire.

[70]  De toute évidence, il manque comme facteur atténuant toute indication que le membre visé a tiré une leçon de ses erreurs et toute assurance que ce type de comportement ne se reproduira plus. Le membre visé a choisi de ne pas se présenter à la barre à l’étape des mesures disciplinaires de l’audience. Toutefois, durant son témoignage à l’étape des allégations de l’audience, j’ai eu la nette impression qu’il se voyait comme une victime de mauvais traitement de la part de la GRC plutôt que comme le responsable d’une mauvaise conduite. Rien dans la preuve qui m’a été fournie ne m’indique qu’il a été maltraité d’une quelconque façon dans le cadre de l’enquête ou de la procédure disciplinaire. Je constate un manque important de conscience de soi dans les circonstances, ce qui me préoccupe beaucoup compte tenu de son rôle de policier.

[71]  Il manque aussi comme facteur atténuant toute forme d’explication médicale à ses gestes, une explication qui est donnée dans de nombreuses affaires relatives à un comportement semblable et qui n’ont pas conduit à un congédiement. De plus, il convient de noter que le membre visé vient de commencer à travailler au sein de la GRC et qu’il n’a pas encore accumulé suffisamment de bons coups auxquels il peut se reporter lorsqu’il se trouve en situation difficile comme en ce moment.

[72]  Compte tenu de ces circonstances et du poste de responsabilité et de confiance qu’il occupe à titre de policier ayant fait le serment d’appliquer la loi, je ne peux simplement pas justifier son maintien au sein de l’effectif de la GRC. Son retrait serait dans le plus grand intérêt du public ou de la GRC. Ainsi, j’ordonne au membre visé de démissionner. S’il ne le fait d’ici 14 jours, j’ordonne alors son congédiement.

[73]  Je rappelle aux parties que les dispositions relatives à un appel de cette décision se trouvent à l’article 45.11 de la Loi sur la GRC et que les règles qui régissent un tel appel se trouvent dans les Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289.

 

 

Avril XX, 2019

Gerald Annetts

Comité de déontologie

 

Date

 

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