Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

Le membre visé a admis avoir eu une conduite déshonorante en vertu de l’article 7.1 du Code de déontologie de la GRC. Le Comité de déontologie a conclu que l’allégation est établie selon la prépondérance des probabilités. Il a aussi accepté la proposition conjointe sur les mesures disciplinaires des parties et a imposé ce qui suit :
a. une réduction de la banque de congé de 20 jours (160 heures);
b. une pénalité financière de cinq jours de paye, prélevée à raison d'un jour par mois durant cinq mois;
c. une mutation;
d. l’inadmissibilité à toute promotion pour une période de trois ans;
e. l’assujettissement à une stricte surveillance pendant le travail, par un sous-officier supérieur (senior Non-Commissioned Officer), pour une période d’un an;
f. l’obligation de compléter toute formation obligatoire avant de retourner au service actif;
g. l’obligation de suivre toute formation supplémentaire jugée nécessaire par son supérieur hiérarchique; et
h. l’obligation de rencontrer le médecin-chef des Services de santé de la Division J avant de retourner au service actif et l’obligation de suivre tout plan de traitement recommandé par le médecin-chef des Services de santé.

Contenu de la décision

Protégé A

2018 DARD 17

Logo de la Gendarmerie royale du Canada

GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

AUDIENCE DISCIPLINAIRE

DANS L’AFFAIRE INTÉRESSANT LA

LOI SUR LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

ENTRE :

Commandant de la Division J

Autorité disciplinaire

et

Gendarme Carl Poulin, numéro de matricule 58111

Membre visé

Décision du Comité de déontologie

Josée Thibault

Le 19 décembre 2018

Maître France Saint-Denis, pour l’autorité disciplinaire

Maître Sabine Georges, pour le membre visé


TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ DE LA DÉCISION  3

INTRODUCTION  4

ANALYSE DE LA REQUÊTE PRÉLIMINAIRE 1  5

Modifications de l’allégation et des énoncés détaillés  5

ANALYSE DE LA REQUÊTE PRÉLIMINAIRE 2  7

Ordonnance de mise sous scellés de l’antécédent disciplinaire  7

Principe de la publicité des débats  7

Renseignements protégés lors d’une audience à huis clos  9

Le critère Dagenais/Mentuck lors d’une ordonnance de mise sous scellés  10

ALLÉGATIONS  12

RÉSUMÉ DES FAITS  14

DÉCISION RELATIVE À L’ALLÉGATION  15

Principe de la conduite déshonorante – article 7.1 du Code de déontologie  15

DÉCISION RELATIVE AUX MESURES DISCIPLINAIRES  17

Analyse des mesures disciplinaires  17

Gamme des mesures disciplinaires  17

Facteur aggravant  17

Facteurs atténuants  18

Imposition des mesures disciplinaires  18

CONCLUSION  19

 

RÉSUMÉ DE LA DÉCISION

Le membre visé a admis avoir eu une conduite déshonorante en vertu de l’article 7.1 du Code de déontologie de la GRC. Le Comité de déontologie a conclu que l’allégation est établie selon la prépondérance des probabilités. Il a aussi accepté la proposition conjointe sur les mesures disciplinaires des parties et a imposé ce qui suit :

  1. une réduction de la banque de congé de 20 jours (160 heures);
  2. une pénalité financière de cinq jours de paye, prélevée à raison d'un jour par mois durant cinq mois;
  3. une mutation;
  4. l’inadmissibilité à toute promotion pour une période de trois ans;
  5. l’assujettissement à une stricte surveillance pendant le travail, par un sous-officier supérieur (senior Non-Commissioned Officer), pour une période d’un an;
  6. l’obligation de compléter toute formation obligatoire avant de retourner au service actif;
  7. l’obligation de suivre toute formation supplémentaire jugée nécessaire par son supérieur hiérarchique; et
  8. l’obligation de rencontrer le médecin-chef des Services de santé de la Division J avant de retourner au service actif et l’obligation de suivre tout plan de traitement recommandé par le médecin-chef des Services de santé.

INTRODUCTION

[1]  L’Avis d’audience disciplinaire a été signé par le commandant de la Division J le 31 mai 2017 et a été signifié au membre visé le 12 juin 2017.

[2]  Le 31 août 2018, les parties ont soumis au Comité de déontologie une requête conjointe des modifications de l’allégation et des énoncés détaillés, une proposition conjointe sur les mesures disciplinaires ainsi qu’une demande de décision sur l’allégation admis par le membre.

[3]  En fait, l’Avis d’audience disciplinaire contient une allégation d’usage excessif de la force en vertu de l’article 5.1 du Code de déontologie de la GRC. Les parties demandent de remplacer l’article 5.1 par l’article 7.1, qui est une contravention pour une conduite déshonorante.

[4]  Plus spécifiquement, les parties demandent ce qui suit :

  1. D’accueillir la présente requête en modification de l’allégation et des précisions :
  2. De prendre acte des admissions et des explications du membre visé et,
  3. De rendre une décision sur les faits concernant l’allégation 1 admis par le membre et,
  4. D’accueillir la proposition conjointe de mesures disciplinaires.

[5]  En raison de la requête, j’ai annulé l’audience disciplinaire prévue pour la semaine du 22 octobre 2018.

[6]  La présente décision accueille la requête conjointe des modifications de l’allégation 1 et des énoncés détaillés. De plus, elle contient les conclusions du Comité quant à l’allégation 1 ainsi que les mesures disciplinaires imposées.

ANALYSE DE LA REQUÊTE PRÉLIMINAIRE 1

Modifications de l’allégation et des énoncés détaillés

[7]  Les parties allèguent que la situation du membre visé est unique et que le Guide des mesures disciplinaires de la GRC 2014 (le Guide) ne fournit pas une gamme de mesures disciplinaires applicable au cas en l’espèce. Par exemple, la « mauvaise utilisation des véhicules de la Gendarmerie » est visée par l’article 4.6 du Code de déontologie. Les mesures disciplinaires applicables pour cette inconduite entraînent une confiscation de la solde de 1 à 10 jours et non le congédiement. De plus, l’article ne traite pas de situation où le membre a utilisé une manoeuvre dangereuse lors de l’opération d’une auto-patrouille, causant des lésions corporelles graves comme en l’espèce. Par conséquent, les deux parties sont d’accord que cet article du Code de déontologie ne s’applique pas à la situation du membre visé.

[8]  Pour ce qui est de l’application de l’article 5.1 concernant l’usage excessif de la force, cette contravention au Code de déontologie s’étend jusqu’au congédiement. L’enjeu est de déterminer si le membre visé a fait un usage excessif de la force en utilisant son auto-patrouille en guise d’arme pour bloquer le passage à la motocyclette qui se dirigeait vers lui, rendant ainsi l’accident inévitable. Les rapports d’experts soumis par les parties indiquent que le dossier du membre visé n’est pas relié à une application typique de l’utilisation de la force parce qu’elle n’implique pas une confrontation physique entre le membre et le chauffeur de la motocyclette. De plus, aucun outil commun d’intervention policière n’a été utilisé. L’expert de l’autorité disciplinaire est d’avis que l’incident du membre visé est, selon le Modèle d’intervention pour la gestion d’incidents, lié à l’usage excessif de la force tandis que l’expert du représentant du membre est en désaccord. Essentiellement, les experts ont des opinions divergentes sur la méthode d’intervention utilisée par le membre, soit le déplacement de son auto-patrouille, pour montrer sa présence et dissuader Monsieur X de poursuivre sa conduite négligente.

[9]  Pour ce qui est de l’article 7.1 du Code de déontologie, celui-ci concerne la conduite déshonorante d’un membre et, tout comme l’article 5.1, l’éventail de mesures dans les cas graves s’étend jusqu’au congédiement. Selon le Guide, cet article « vise à englober une variété de comportements qui ne sont pas prévus par les autres dispositions du Code de déontologie. »

[10]  En ce qui a trait à la preuve au dossier, je note que le rapport d’enquête indépendant du Service de police de la Ville de Bathurst recommande que, selon les circonstances de l’incident, aucune accusation criminelle ne soit portée contre le membre visé.

[11]  De plus, le 2 janvier 2018, monsieur X a plaidé coupable d’avoir conduit sa motocyclette, un véhicule hors route, à l’intérieur de 7,5 mètres de la partie utilisée d’une route contrairement à l’article 16 de la Loi sur les véhicules hors route, L.N.-B. 1985, c O-1.5.

[12]  Enfin, le sergent Y, qui était le superviseur du membre visé au moment de l’incident, admet dans sa déclaration supplémentaire du 6 décembre 2017, que sa description des faits dans le rapport du 6 août 2016 intitulé « Supplementary Occurrence Report » peut avoir nuit au membre et induit les gens en erreur. Le sergent Y précise qu’il n’a pas modifié son rapport à la suite du visionnement de la vidéo de l’incident parce qu’il croyait que la situation avait été réglée à la suite du rapport d’enquête du Service de police de la Ville de Bathurst qui ne recommandait pas le dépôt d’accusations criminelles contre le membre. Il fut donc étonné d’apprendre que ce dernier était suspendu à la suite d’une contravention au Code de déontologie.

[13]  J’ai examiné soigneusement les explications données par le membre visé, les deux rapports d’experts, le rapport d’enquête indépendant du Service de police de la Ville de Bathurst ainsi que les clarifications du sergent Y. En raison de l’ensemble de la preuve au dossier et des circonstances particulières de l’incident, de même que ma révision approfondie des articles 4.6 (mauvaise utilisation de véhicule), 5.1 (usage excessif de la force) et 7.1 (conduite déshonorante) dans le Guide, j’accueille la requête conjointe des parties de remplacer l’allégation 1 et ses énoncés détaillés.

[14]  Par conséquent, l’allégation d’usage excessif de la force en vertu de l’article 5.1 du Code de déontologie sera modifiée par l’article 7.1 pour conduite déshonorante.

[15]  Je prends aussi acte des admissions et des explications faites par le membre visé.

ANALYSE DE LA REQUÊTE PRÉLIMINAIRE 2

Ordonnance de mise sous scellés de l’antécédent disciplinaire

[16]  Les parties ont demandé au Comité d’émettre une ordonnance de mise sous scellés de l’antécédent disciplinaire du membre visé, sauf pour les renseignements génériques inclus dans leur courriel du 6 septembre 2016. La requête a été rejetée.

[17]  Les parties ont soulevé plusieurs éléments dans leur requête que j’ai adressés lors de ma réponse du 29 novembre 2018. J’inclus dans cette décision un sommaire de mon analyse qui traite du processus administratif du Comité incluant le principe de la publicité des débats, les renseignements protégés lors d’une ordonnance à huis clos et l’application du critère Dagenais/Mentuck lors d’une ordonnance de mise sous scellés.

Principe de la publicité des débats

[18]  Pour ce qui est du principe de la publicité des débats, les parties ont allégué que conformément au nouveau processus disciplinaire, le Comité peut soit tenir ses audiences en public ou rendre une décision sur dossier sans audience. Ainsi, le fait que le Comité tient habituellement ses audiences en public est théorique dans ce dossier parce qu’il n’y a pas d’audience.

[19]  Dans leur requête, les parties font référence à la décision Goodyer 2018 RCAD 13. Je tiens à préciser que ce dossier se distingue de celui en l’espèce parce qu’il s’agissait d’une audience disciplinaire contestée dans laquelle le Comité a rendu sa décision basée sur la preuve documentaire au dossier.

[20]  Par contre, dans le dossier devant moi, le membre visé a admis l’allégation et donc aucun témoin ne devait être entendu pour me permettre de rendre une décision sur l’allégation. De plus, les parties ont soumis une proposition conjointe sur les mesures disciplinaires. Enfin, tel que proposé par les parties, j’ai conclus qu’une audience disciplinaire n’était pas requise dans les circonstances.

[21]  Comme indiqué dans ma réponse aux parties, la réforme législative de novembre 2014 a mis en place un processus disciplinaire modernisé. Selon le paragraphe 46(2) de la Loi sur la GRC, le Comité peut traiter des questions aussi informellement et rapidement que le permettent les circonstances et les principes d’équité procédurale. Il peut aussi adapter les règles de procédure si les principes d’équité procédurale le permettent (Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014- 291, article 13). De plus, conformément au paragraphe 45.1(2) de la Loi sur la GRC, les audiences du Comité sont publiques. Ainsi, même si le Comité utilise un processus administratif plus souple et moins formaliste en rendant sa décision comme en l’espèce, le droit à la transparence lors des instances judiciaires et l’accessibilité au public sont des éléments qui priment.

[22]  En fait, le principe de la publicité des débats est appuyé par la jurisprudence et dans la décision Southam Inc. v Canada (Attorney General), 1997 CarswellOnt 4376, qui indique clairement que le processus disciplinaire de la GRC est un processus quasi judiciaire qui est public. Dans sa décision, le juge Rutherford explique qu’en raison de la nature publique des fonctions d’un policier, des vastes pouvoirs que lui confère la loi dans l’exécution de ses fonctions et d’autant plus que les procédures du Comité peuvent influer de façon significative sur les droits d’un membre de la GRC, le public a un vif intérêt dans les audiences.

[23]  Ainsi, lorsque l’antécédent disciplinaire du membre visé est remis au Comité comme preuve documentaire au processus disciplinaire en cours par les parties, il est généralement accessible au public sous réserve de l’application de la Loi sur l’accès à l’information, LRC (1985), c A-1et la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC (1985), c P-21. Par contre, il n’est pas de mon ressort de déterminer quels renseignements seront communiqués à une tierce personne qui demande accès à l’antécédent disciplinaire du membre visé. Cette demande sera traitée par le coordinateur responsable de la GRC conformément aux lois respectives.

Renseignements protégés lors d’une audience à huis clos

[24]  Les parties ont aussi allégué que pour le public, l’effet pratique est le même qu’il s’agisse d’une audience complète à huis clos ou si le Comité rend une décision sur dossier sans audience.

[25]  Dans ma réponse, j’ai indiqué aux parties que je n’étais d’accord avec cette affirmation. En fait, une ordonnance à huis clos n’est pas une disposition générale de protection de renseignements, mais bien une exception au principe de la publicité des débats qui est sous le pouvoir discrétionnaire du Comité. Le paragraphe 45.1(2) de la Loi sur la GRC prescrit que le Comité peut de sa propre initiative ou sur demande de toute partie ordonner une audience à huis clos lorsqu’il estime qu’une telle ordonnance est nécessaire afin d’empêcher que certains renseignements soient révélés au cours de l’audience. Ces renseignements doivent entre autres porter préjudice à la défense du Canada, entraver le contrôle de l’application de la loi ou dévoiler des renseignements concernant les ressources pécuniaires ou la vie privée d’une personne dont l’intérêt ou la sécurité l’emporte sur l’intérêt public. J’ai précisé que les parties n’ont pas demandé une telle ordonnance et que les renseignements contenus dans l’antécédent disciplinaire du membre ne répondent pas à ces critères.

Le critère Dagenais/Mentuck lors d’une ordonnance de mise sous scellés

[26]  Enfin, les parties ont soumis que l’antécédent disciplinaire du membre devrait entre autres être exclu parce que la nature des faits du premier antécédent est bien différente des faits en l’espèce; la valeur du premier antécédent n’est pas déterminante dans l’ensemble du dossier; la non- divulgation du premier antécédent a une répercussion minime sur l’intérêt public alors que sa publication aurait des conséquences néfastes pour les parties impliquées; et le public doit seulement être avisé qu’un antécédent disciplinaire existe. Il n’a pas besoin de connaître les détails de l’antécédent disciplinaire.

[27]  Dans ma réponse j’ai indiqué que la Loi sur la GRC prescrit que le Comité peut émettre une ordonnance à huis clos et une ordonnance de non-publication. Pour ce qui est de l’ordonnance de mise sous scellés, cette mesure a été utilisée de façon limitée dans des décisions antérieures rendues par des comités de déontologie de la GRC. Par exemple, dans l’affaire Caram (2017 DARD 8), une ordonnance de mise sous scellés du dossier de l’audience disciplinaire a été émise de façon temporaire jusqu’à l’issue de l’affaire criminelle du membre. Dans la décision Officier compétent de la Division E et le Sergent R.F. Blair, 8 D.A. (3e) 83, soumise par les parties, le comité de déontologie a émis une ordonnance de mise sous scellés d’un document qui contenait des commentaires sur le rendement au travail de la plaignante. Le comité était d’avis que rendre le document accessible au public pourrait porter préjudice à la vie privée de la plaignante et ne servirait pas les intérêts de la justice. De plus, celle-ci n’avait pas l’occasion de contester le contenu des documents qui n’étaient pas pertinents aux allégations déposées contre le membre. Ces deux décisions diffèrent du cas en l’espèce parce que les parties demandent de sceller, pour une période indéfinie, l’antécédent disciplinaire du membre qui fait l’objet du processus administratif en cours.

[28]  Une ordonnance de mise sous scellés doit être justifiée en fonction du critère Dagenais/Mentuck (Dagenais c Société Radio-Canada, [1994] 3 RCS 835; et R. c Mentuck, [2001] 3 RCS 442). Dans la décision Société Radio-Canada c La Reine, 2011 CSC 3, la Cour Suprême du Canada a conclu que ce critère est applicable à toutes décisions discrétionnaires touchant le principe de la publicité des débats. Il fut également appliqué dans des décisions administratives rendues par la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Selon le critère Dagenais/Mentuck, une ordonnance de mise sous scellés est rendue lorsque :

a. nécessaire pour écarter un risque sérieux à la bonne administration de la justice, vu l’absence d’autres mesures raisonnables pouvant écarter ce risque;

b. ses effets bénéfiques sont plus importants que ses effets préjudiciables sur les droits et les intérêts des parties et du public, notamment ses effets sur le droit à la libre expression, sur le droit de l’accusé à un procès équitable, et sur l’efficacité de l’administration de la justice.

[29]  Le critère exigeait que j’examine attentivement la question à savoir si la confidentialité des renseignements contenus dans l’antécédent disciplinaire du membre visé l’emporte sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

[30]  J’ai indiqué dans ma réponse aux parties que le fait que l’antécédent du membre contient des renseignements qui pourraient mettre le membre dans l’embarras s’ils étaient publiés ne comporte pas un risque sérieux à la bonne administration de la justice. D’ailleurs, selon le Code de déontologie de la GRC, le policier, qu’il soit de service ou non, se doit de songer à l’incidence de ses actes et de son comportement sur sa capacité de préserver sa crédibilité et la confiance du public. En tant que membre de la GRC, il a choisi une profession unique pour laquelle les normes de conduite sont élevées et cette responsabilité est constante.

[31]  De plus, selon l’arrêt R. c McNeil, [2009] 1 RCS 66, 2009 CSC 3 (CanLII), l’antécédent disciplinaire d’un membre peut désormais être divulgué au public parce que celui-ci a une obligation de communication particulière à l’égard du procureur de la Couronne dans toutes les affaires où il est susceptible d’être cité à comparaître comme témoin. Dans ce cas, c’est la Couronne qui détermine si l’antécédent disciplinaire est pertinent et s’il doit être communiqué à la défense. Il est aussi important de noter que si dans l’avenir le membre est impliqué dans un autre processus disciplinaire devant un comité de déontologie de la GRC, son antécédent disciplinaire pourrait une fois de plus être accessible au public.

[32]  Pour ces raisons, j’ai conclus que l’intérêt du membre visé à protéger les renseignements de son antécédent disciplinaire ne l’emporte pas sur l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires. J’ai rejeté la requête visant à obtenir une ordonnance de mise sous scellés de l’antécédent disciplinaire du membre.

ALLÉGATIONS

[33]  Comme indiqué précédemment, j’accueille la requête conjointe des parties de remplacer l’allégation 1 et ses énoncés détaillés. Par conséquent, la nouvelle allégation, les énoncés détaillés et les réponses du membre visé se lisent maintenant comme suit :

Allégation 1

Le ou vers le 6 août 2016, à [nom caviardé], dans la province du Nouveau- Brunswick, ou dans les environs, le [membre visé] a eu une conduite déshonorante en contravention à l’article 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada. – Le membre visé est en accord avec l’allégation 1.

Énoncés détaillés de l’allégation :

1. À l’époque des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté au Détachement de [nom caviardé], dans la Division J. – Le membre visé est en accord avec la précision 1.

2. Alors que vous étiez en service, vous avez amorcé une enquête sur la conduite irrégulière d’une motocyclette tout terrain (« motocyclette ») qui, comme vous l’avez appris plus tard, était conduite par [Monsieur X]. Il est accepté que [Monsieur X] conduisait la motocyclette tout-terrain dans différentes rues résidentielles du village de [nom caviardé], au Nouveau- Brunswick. Il est également accepté que la façon dont [Monsieur X] conduisait la motocyclette tout-terrain dans un secteur résidentiel n’était pas conforme à la Loi sur les véhicules hors route 2003, c. 7, art.1, du Nouveau-Brunswick. – Le membre visé est en accord avec la précision 2.

Explications du membre visé :

Selon les observations du membre visé, non seulement Monsieur X conduisait le [motocyclette] sur une route de grande communication, il conduisait de manière négligente. Monsieur X circulait sur la rue principale du village de [nom caviardé] (rue Canada) à haute vitesse et faisait des cabrés (« wheelies ») en dépassant les autos (entre les autos; entre les autos et le trottoir). À ce moment de la journée, en période estivale, la rue Canada était achalandée avec des autos et des piétons sur les trottoirs. Selon le membre visé, la conduite du [motocyclette] par Monsieur X mettait en risque la sécurité du public.

Par conséquent, concernant sa conduite cette journée-là, le rapport sur les antécédents de Monsieur X démontre que le 2 janvier 2018, Monsieur X a plaidé coupable à une infraction à l’article 16 de la Loi sur les véhicules hors route, L.N.-B. 1985, ch. O-1.5, (conduire à l’intérieur de 7,5 mètres d’une route).

3. Vous conduisiez un PC 30 CII (aujourd’hui 2A4), une voiture de police identifiée de marque Ford équipée d’une caméra d’enregistrement vidéo. Il est accepté que l’heure affichée dans l’enregistrement vidéo précède l’heure réelle d’environ une heure (fuseau horaire de l’Atlantique). Par conséquent, cela contredit les heures indiquées dans votre rapport général destiné au Système d’incidents et de rapports de police (dossier 2016- 1024404). Pour les besoins du présent avis d’audience disciplinaire, les heures indiquées correspondent aux heures affichées dans le document vidéo enregistré par la caméra. –Le membre visé est en accord avec la précision 3.

4. Vers 12 h 9, vous avez décidé d’interpeller [Monsieur X] en lien avec sa conduite irrégulière. À quelques reprises pendant que vous conduisiez, vous avez activé les gyrophares et la sirène du véhicule de police – Le membre visé est en accord avec la précision 4.

5. Vers 12 h12, la motocyclette tout-terrain se dirigeait vers le sud de la rue Martel tandis que votre autopatrouille aillait en direction nord. Vous avez délibérément braqué votre véhicule de police en angle sur la voie de la [motocyclette] à l’intersection des rues Martel et Gagnon. Ce faisant, vous avez causé une collision qui a entraîné, pour [Monsieur X], de graves blessures qui ont nécessité des soins médicaux. – Le membre visé est en accord avec la précision 5.

Explications du membre visé :

Le membre visé reconnaît qu’il s’est positionné en angle de 45 degrés dans l’intersection des rues Martel et Gagnon dans le but de montrer sa présence et de dissuader Monsieur X.

Alors qu’il se positionnait dans l’intersection, le devant de son véhicule de police se dirigeant vers la gauche (en allant vers la rue Gagnon), le membre visé a aperçu le [motocyclette] s’approcher rapidement et effectuer un cabré (« wheelie »). Le membre visé reconnaît qu’il a sous-évalué la vitesse à laquelle Monsieur X conduisait. Au moment que le membre visé a réalisé qu’une collision était imminente, celui-ci avait très peu de temps de réaction pour éviter la collision.

Le membre visé reconnaît que sa manoeuvre effectuée en positionnant son véhicule en angle de 45 degrés et le fait qu’il a mal évalué la vitesse dont conduisait Monsieur X ont contribué à la collision et celui-ci accepte de prendre ses responsabilités face à cette contribution.

Cependant, il est pertinent de noter qu’il n’est pas entièrement responsable de la collision. Monsieur X a une grande part de responsabilité dans cette collision importune. Celui-ci conduisait à une vitesse deux fois plus élevée que la vitesse légale tout en effectuant des cabrés (« wheelies »). De plus, il a omis de faire son arrêt obligatoire à l’intersection des rues Martel et Gagnon. La conduite dangereuse de Monsieur X est un fait irréfutable qui ressort du dossier en général, notamment des rapports d’experts ([Caporal (nom caviardé)] et M. [nom caviardé]).

6. Dans les circonstances, cette manoeuvre n’était pas appropriée et était dangereuse. Ceci démontre un manque de jugement de votre part et constitue une conduite déshonorante. – Le membre visé est en accord avec la précision 6.

[Cité textuellement]

RÉSUMÉ DES FAITS

[34]  Le 6 août 2016, le membre visé était affecté à un détachement dans la Division J, au Nouveau-Brunswick.

[35]  Alors qu’il était en service, son auto-patrouille est entrée en collision avec une motocyclette qui était conduite par Monsieur X. L’auto-patrouille était équipée d’une caméra d’enregistrement vidéo qui a filmé l’accident.

[36]  Plus précisément, vers 11 h 15, le samedi 6 août 2016, le membre se trouvait dans le stationnement faisant face à la rue Canada, qui est la rue principale du village en question. Il a observé Monsieur X conduire sa motocyclette de façon irrégulière sur la rue, et ce, contrairement à la Loi sur les véhicules hors route 2003, c7, art.1, du Nouveau-Brunswick. Plus précisément, Monsieur X faisait des cabrés en dépassant les autos et conduisait à haute vitesse.

[37]  Le membre a tenté d’interpeller Monsieur X au sujet de sa conduite irrégulière. Malgré le fait que les gyrophares et la sirène de l’auto-patrouille étaient allumés, Monsieur X ne s’est pas arrêté. Il a plutôt croisé l’auto-patrouille qui se dirigeait en sens inverse sur la route.

[38]  Ayant perdu de vu la motocyclette, le membre a brièvement placé l’auto-patrouille sur l’accotement de la rue Martel en direction sud. Quelques secondes après, le membre a aperçu à une certaine distance la motocyclette faire un cabré et se diriger à grande vitesse directement vers lui. La motocyclette était sur le même côté de la rue, en direction nord.

[39]  Ayant environ 3,5 secondes pour évaluer la situation et réagir, le membre a déplacé l’auto- patrouille à un angle de 45 degrés dans la voie de gauche, en direction de la rue Gagnon. Au même moment, la motocyclette avait également changé de voie et se dirigeait encore une fois en direction de l’auto-patrouille. Monsieur X a perdu contrôle de la motocyclette qui a glissé dans l’auto- patrouille près du panneau de quart droit avant. La collision a eu lieu à l’intersection des rues Martel et Gagnon.

[40]  Le membre visé n’a pas été blessé, mais Monsieur X a subi de graves blessures nécessitant des soins médicaux.

DÉCISION RELATIVE À L’ALLÉGATION

[41]  Après avoir examiné tous les documents au dossier, je dois maintenant décider si la contravention dans l’allégation 1 est établie selon la prépondérance des probabilités.

Principe de la conduite déshonorante – article 7.1 du Code de déontologie

[42]  Dans le Code de déontologie, la conduite déshonorante est évaluée à l’aide d’un critère qui tient compte de la perception qu’une personne raisonnable dans la société et informée de toutes les circonstances pertinentes, y compris des réalités du métier de policier en général et de celles de la GRC en particulier.

[43]  Pour déterminer si l’allégation 1 est établie selon la prépondérance des probabilités, j’ai appliqué un critère similaire à celui élaboré par le Comité externe d’examen de la GRC dans la recommandation (1991), 4 A.D. (2d) 103, en ce qui a trait à la conduite scandaleuse selon le paragraphe 39(1) du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (1988), DORS/88-361, en vigueur avant la réforme législative de novembre 2014.

[44]  Le critère exige premièrement que l’autorité disciplinaire prouve les actes constituant le comportement allégué ainsi que l’identité du membre ayant commis ces actes. Deuxièmement, le Comité doit conclure que le comportement du membre est susceptible de jeter le discrédit sur la GRC. Troisièmement, le comportement doit être suffisamment lié aux devoirs et fonctions du membre pour donner à la GRC un intérêt légitime à le discipliner.

[45]  Compte tenu des aveux du membre visé dans sa réponse aux allégations mentionné ci-haut ainsi que la preuve documentaire au dossier, je conclus que l’identité du membre et les actes constitutifs de l’allégation 1 sont établis par l’autorité disciplinaire selon la prépondérance des probabilités.

[46]  L’autorité disciplinaire a aussi établi que le membre visé a interpellé Monsieur X qui conduisait sa motocyclette en contravention à l’article 16 de la Loi sur les véhicules hors route, L.N.-B. 1985, c O-1.5. Le membre a délibérément braqué son autopatrouille en angle sur la voie de la motocyclette tout-terrain à l’intersection des rues Martel et Gagnon. À la suite de la collision entre les deux véhicules, Monsieur X a subi des blessures graves. Cette manoeuvre était dangereuse et non appropriée dans les circonstances constituant ainsi un manque de jugement de la part du membre dans les circonstances.

[47]  Au moment de l’incident le 6 août 2016, le membre avait presque sept ans d’expérience au sein de la GRC. Je suis d’avis que compte tenu de la nature de ses fonctions et de ses responsabilités, le membre devait évaluer le risque et l’urgence rattachés à l’arrestation de la motocyclette qui contrevenait à une infraction de la route comparativement à sa propre sécurité, celle de Monsieur X et du public en général.

[48]  Je conclus alors qu’une personne raisonnable dans la société informée de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités du travail policier en général et de la GRC en particulier, serait d’avis que le comportement du membre est déshonorant et qu’il jette le discrédit sur la GRC. Des mesures disciplinaires s’imposent contre lui étant donné que son comportement est lié à ses devoirs et ses fonctions en tant que membre de la GRC.

DÉCISION RELATIVE AUX MESURES DISCIPLINAIRES

Analyse des mesures disciplinaires

[49]  Le Comité externe d’examen de la GRC a établi que l’analyse des mesures disciplinaires par le comité de déontologie doit se faire en trois étapes. :

  1. Établir la gamme des mesures disciplinaires appropriée;

  2. Tenir compte des facteurs aggravants et des facteurs atténuants afin d’évaluer la gravité de l’inconduite; et

  3. imposer une mesure disciplinaire juste et équitable qui reflète la gravité de l’inconduite en question tout en tenant compte des principes de parité de la sanction et de dissuasion.

Gamme des mesures disciplinaires

[50]  Tout comme indiqué par les deux parties dans leur courriel du 31 août 2018, je suis d’accord que la gamme de mesures disciplinaires appropriée pour l’inconduite du membre visé en contravention à l’article 7.1 du Code de déontologie est un cas grave qui s’étend jusqu’au congédiement.

Facteur aggravant

[51]  Comme facteur aggravant, les parties ont soumis l’antécédent disciplinaire récent du membre visé daté du 4 janvier 2016 pour une contravention aux articles 7.1 et 4.6 du Code de déontologie. La contravention à l’article 7.1 était liée à une relation intime entretenue avec un membre du public alors qu’il était en position d’autorité. Par conséquent, l’autorité disciplinaire a ordonné une mutation à un autre lieu de travail, une pénalité financière de 15 jours, une réduction de la banque de congés annuels de 120 jours et une inadmissibilité à toute promotion pour une période de trois ans – terminant en janvier 2019. La contravention à l’article 4.6 est liée à l’utilisation inappropriée des biens de la GRC pour des raisons personnelles. Pour cette contravention, l’autorité disciplinaire a imposé une pénalité financière de 10 jours de la solde et une réduction de la banque de congé annuel de 80 heures.

Facteurs atténuants

[52]  Le commandant divisionnaire ne recherche plus le congédiement du membre visé. Ceci est un facteur important étant donné que le dossier est présentement devant le Comité parce qu’au départ l’autorité disciplinaire demandait le congédiement.

[53]  J’ajoute également que le membre visé a admis l’allégation 1, il a reconnu son inconduite et il a renoncé à une audience disciplinaire contestée.

Imposition des mesures disciplinaires

[54]  La troisième et dernière étape est de déterminer la peine appropriée dans le cas en espèce.

[55]  Conformément à l’alinéa 36.2e) de la Loi sur la GRC, les mesures disciplinaires doivent être adaptées à la nature et aux circonstances des contraventions et, s’il y a lieu, elles doivent être éducatives et correctives plutôt que punitives.

[56]  En l’espèce, les parties ont soumis une proposition conjointe sur les mesures disciplinaires et s’appuient sur les décisions suivantes concernant la déférence du Comité face aux propositions conjointes des parties :

  1. Constable Coleman and Appropriate Officer, “F” Division, (2018) 18 A.D. (4th) 270, commissaire par intérim Daniel G.J. Dubeau;

  2. Appropriate Officer for “E” Division and Special Constable Bedi, (2017), 17 A.D. (4th) 88, D.A. (3e) 228 (2005);

  3. R. c Anthony-Cook, 2016 CSC 43 [Cook]; et

  4. Rault v Law Society (Saskatchewan), 2009 SKCA 81 [Rault].

[57]  Dans l’arrêt Cook, la Cour suprême du Canada a déclaré à l’unanimité au paragraphe 32 :

[…] que selon le critère de l’intérêt public, un juge de procès ne devrait pas écarter une recommandation conjointe relative à la peine, à moins que la peine propos[ée] soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit par ailleurs contraire à l’intérêt public.

[58]  De plus, au paragraphe 34 la Cour ajoute qu’une proposition conjointe ne doit pas être rejetée trop facilement parce que :

[…] le rejet dénote une recommandation à ce point dissociée des circonstances de l’infraction et de la situation du contrevenant que son acceptation amènerait les personnes renseignées et raisonnables, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris l’importance de favoriser la certitude dans les discussions en vue d’un règlement, à croire que le système de justice avait cessé de bien fonctionner.

[59]  Le critère de l’intérêt public a été adopté dans le contexte de la discipline professionnelle dans l’arrêt Rault, y compris dans la décision récente du Commissaire de la GRC dans la décision Constable Coleman and Appropriate Officer, “F” Division, (2018) 18 A.D. (4th) 270. Selon Rault, une proposition conjointe doit être sérieusement considérée par le Comité à moins d’être inapte ou déraisonnable; ou contraire à l’intérêt public.

CONCLUSION

[60]  Après avoir examiné la preuve au dossier, la nature de l’inconduite du membre, les facteurs aggravants et atténuants, les décisions soumises par les parties et les conditions de l’antécédent disciplinaire récent du membre (2016) je ne peux conclure que la proposition conjointe sur les mesures disciplinaires soumise par les parties est contraire à l’intérêt public.

[61]  Par conséquent, j’accepte la proposition conjointe sur les mesures disciplinaires proposée par les parties et j’impose ce qui suit :

  1. une réduction de la banque de congé de 20 jours (160 heures);
  2. une pénalité financière de cinq jours de paye, prélevée à raison d'un jour par mois durant cinq mois;
  3. une mutation;
  4. l’inadmissibilité à toute promotion pour une période de trois ans;
  5. l’assujettissement à une stricte surveillance pendant le travail, par un sous-officier supérieur (senior Non-Commissioned Officer), pour une période d’un an;
  6. l’obligation de compléter toute formation obligatoire avant de retourner au service actif;
  7. l’obligation de suivre toute formation supplémentaire jugée nécessaire par son supérieur hiérarchique; et
  8. l’obligation de rencontrer le médecin-chef des Services de santé de la Division J avant de retourner au service actif et l’obligation de suivre tout plan de traitement recommandé par le médecin-chef des Services de santé.

[62]  Les parties peuvent faire appel de cette décision devant la commissaire en déposant une déclaration d’appel dans les 14 jours suivant la signification de la présente décision écrite au membre visé (article 45.11 de la Loi sur la GRC; article 22 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289).

 

 

Le 19 décembre 2018

Josée Thibault

Arbitre en matière de déontologie

 

Date

 

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