Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

Il est allégué que le gendarme Brown a touché une membre de la Gendarmerie à des fins sexuelles et sans son consentement. L’Avis d’audience disciplinaire contenait une allégation d’infraction à l’article 7.1 du Code de déontologie de la GRC décrivant quatre incidents d’attouchements de nature sexuelle non consensuels s’étant déroulés au cours de quelques heures. Il est allégué que ces incidents se sont déroulés en dehors des heures de service, lors d’une célébration entre collègues, alors que le gendarme Brown et une collègue rentraient chez eux à pied. Ils étaient tous le deux en état d’ébriété. À la suite d’une audience pendant laquelle cinq témoins, dont le gendarme Brown, ont présenté des éléments de preuve, le Comité de déontologie a conclu que l’allégation était fondée. Les mesures disciplinaires suivantes ont été imposées : a) une sanction pécuniaire de 40 jours déduite de la solde du gendarme Brown; b) l’inadmissibilité à toute promotion pour une période de deux ans commençant à la date de réintégration du gendarme Brown; c) l’ordre de travailler sous une surveillance étroite pour une période d’un an commençant à la date de réintégration du gendarme Brown.

Contenu de la décision

Protégé A

2019 DARD 15

Logo de la Gendarmerie royale du Canada

GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

DANS L’AFFAIRE D’UNE

audience disciplinaire au titre de la

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C., 1985, ch. R-10

ENTRE :

Le commandant de la Division K

(Autorité disciplinaire)

et

Le gendarme Kelly Brown

numéro de matricule 53241

(Membre visé)

Comité de déontologie de la GRC – Compte rendu de décision

Christine Sakiris

20 septembre 2019

Représentant de l’autorité disciplinaire : Sergent d’état-major Jon Hart

Représentants de la gendarme Brown : Monsieur Gordon Campbell et le sergent d’état-major Peter Hearty


TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ 4

INTRODUCTION 4

ALLÉGATION 6

Principes et critères juridiques applicables 8

La preuve 9

Faits non contestés 9

Les principes juridiques applicables 12

Témoignage du gendarme Pocock 13

Témoignage d’E. B. 14

Témoignage du gendarme B.S. 14

Témoignage de T.N. 15

Témoignage du gendarme Brown 17

Décision à propos de l’allégation 20

La première chute 20

La seconde chute 21

Sur le perron 22

Sur le sofa 24

Interactions après l’incident 26

Constatations sur l’allégation 26

MESURES DISCIPLINAIRES 28

Position des parties 28

Décision relative aux mesures disciplinaires 30

ANNEXE A – JURISPRUDENCE PRÉSENTÉE PAR LES PARTIES 34

Allégation 34

Mesures disciplinaires 35

 

 

RÉSUMÉ

Il est allégué que le gendarme Brown a touché une membre de la Gendarmerie à des fins sexuelles et sans son consentement. L’Avis d’audience disciplinaire contenait une allégation d’infraction à l’article 7.1 du Code de déontologie de la GRC décrivant quatre incidents d’attouchements de nature sexuelle non consensuels s’étant déroulés au cours de quelques heures. Il est allégué que ces incidents se sont déroulés en dehors des heures de service, lors d’une célébration entre collègues, alors que le gendarme Brown et une collègue rentraient chez eux à pied. Ils étaient tous le deux en état d’ébriété. À la suite d’une audience pendant laquelle cinq témoins, dont le gendarme Brown, ont présenté des éléments de preuve, le Comité de déontologie a conclu que l’allégation était fondée. Les mesures disciplinaires suivantes ont été imposées : a) une sanction pécuniaire de 40 jours déduite de la solde du gendarme Brown; b) l’inadmissibilité à toute promotion pour une période de deux ans commençant à la date de réintégration du gendarme Brown; c) l’ordre de travailler sous une surveillance étroite pour une période d’un an commençant à la date de réintégration du gendarme Brown.

INTRODUCTION

[1] Le 5 juillet 2017 ou environ à cette date, alors qu’ils n’étaient pas en service, le gendarme Kelly Brown et T.N. étaient présents lors d’une fête lors de laquelle ils ont tous deux consommé de l’alcool. Tôt le matin du 6 juillet 2017, le gendarme Brown et T.N. sont rentrés chez eux à pied vers leurs résidences respectives. Il est allégué que le gendarme Brown a fait des attouchements de nature sexuelle non consensuels sur T.N. pendant qu’ils rentraient chez eux à pied.

[2] Une enquête relative au code de déontologie, conformément à la Partie IV de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C., 1985, c R-10 [Loi sur la GRC], a été lancée le 24 juillet 2017. L’affaire a aussi été renvoyée à l’Équipe d’intervention de l’Alberta en cas d’incident grave (ASIRT). Aucune accusation criminelle n’a été déposée. [1]

[3] Le 10 mars 2018, le commandant divisionnaire et l’autorité disciplinaire de la Division K (l’autorité disciplinaire) ont signé un avis à l’officier désigné dans lequel il demandait la tenue d’une audience disciplinaire relativement à cette affaire. J’ai été désignée Comité de déontologie le 18 juillet 2018, au titre du paragraphe 43(1) de la Loi sur la GRC.

[4] Le gendarme Brown fait face à une allégation d’infraction à l’article 7.1 du Code de déontologie de la GRC. L’allégation décrit quatre incidents d’attouchements de nature sexuelle non consensuels. L’avis d’audience disciplinaire a été signé par l’autorité disciplinaire le 29 août 2018. Il a été signifié au gendarme Brown, avec la trousse d’enquête, le 11 septembre 2018.

[5] Le constable Brown a fourni sa réponse à l’avis d’audience disciplinaire initial, conformément au paragraphe 15(3) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014- 291 [CC (déontologie)], le 31 octobre 2018.

[6] Comme le processus l’exige, j’ai examiné une copie de l’avis d’audience disciplinaire et la trousse d’enquête, la réponse du gendarme Brown au titre du paragraphe 15(3) des CC (déontologie), ainsi que les documents supplémentaires admis lors des conférences préparatoires pour cette affaire. Ces documents seront appelés collectivement « le dossier ».

[7] Avant l’audience, le représentant du membre (RM) a déposé une motion pour demander une divulgation additionnelle du dossier des services de santé au travail pour T.N., pour la période allant de février 2017 jusqu’à son déploiement au détachement de Leduc. Le 22 mars 2019, j’ai fourni aux parties ma décision écrite, dans laquelle je rejette la motion.

[8] L’audience sur cette affaire a eu lieu à Edmonton, en Alberta, du 5 au 7 juin 2019. Le témoignage oral de cinq témoins, y compris le constable Brown, a été reçu. Les parties ont été convoquées à une nouvelle audience à Ottawa, en Ontario, le 11 juin 2019, pendant laquelle j’ai présenté ma décision à propos de l’allégation. Ayant déterminé que l’allégation était fondée, j’ai écouté les propositions des parties relatives aux mesures disciplinaires et j’ai rendu de vive voix ma décision relative aux mesures disciplinaires en fin d’après-midi. La présente décision écrite intègre et approfondit cette décision rendue de vive voix.

ALLÉGATION

[9] L’avis d’audience disciplinaire énonce l’allégation et les précisions de la façon suivante :

Allégation no 1

Le 6 juillet 2017 ou vers cette date, à Leduc, en Alberta, ou à proximité de cet endroit, le gendarme Brown s’est comporté de manière susceptible de jeter un discrédit sur la Gendarmerie, ce qui va à l’encontre de l’article 7.1 du Code de déontologie exposé de la Gendarmerie royale du Canada.

Détails

1. Pendant toute la période pertinente, vous étiez membre de la GRC et étiez affecté en Alberta, au détachement de Leduc, dans la Division K. Au sein du détachement de la GRC de Leduc, vous étiez affecté au quart de travail C.

2. Pendant toute la période pertinente, T.N. était membre de la GRC et était affectée elle aussi au quart de travail C. Votre résidence est située près de celle de T.N. dans la ville de Leduc. Il est reconnu que T.N. et vous, ainsi que vos conjoints respectifs, vous fréquentez régulièrement, en tant que collègues et en tant que voisins.

3. T.N. et vous n’étiez pas en service le soir du 5 juillet 2017; vous étiez réunis avec des collègues au restaurant-bar Original Joe’s, à Leduc. La soirée s’est poursuivie et le groupe s’est déplacé à la résidence du gendarme Morgan Kay, qui allait être transféré du quart de travail C. Il est reconnu que T.N. et vous avez consommé de l’alcool pendant cette rencontre sociale. À environ 2 h du matin le 6 juillet 2017, T.N. a constaté qu’il était temps de rentrer chez elle, et vous avez offert de l’accompagner à pied jusqu’à sa résidence. Il est également reconnu que personne n’était avec vous lors de ce retour à pied à vos résidences respectives.

4. Pendant que vous marchiez, T.N. a trébuché et tombé sur une pelouse et elle est restée par terre. T.N. vous a alors dit : « Laisse-moi ici, je vais dormir dehors. » Il est reconnu que vous étiez inquiet pour la sécurité de T.N. et que vous ne vouliez pas la laisser dormir dehors en état d’ébriété. Vous avez frotté le dos de T.N. Vous avez touché le sein droit de T.N. par-dessus sa chemise, d’une façon sexuelle. Vous n’aviez pas le consentement de T.N. pour lui toucher le sein d’une façon sexuelle. Vous avez profité du fait que T.N. était en état d’ébriété. T.N. s’est finalement relevée, et vous avez poursuivi votre chemin à pied vers vos résidences respectives.

5. T.N. a encore une fois trébuché et a fait la remarque suivante pendant qu’elle était couchée dans la cour d’une résidence indéterminée : « La télé est allumée, ça va aller. Laisse-moi ici pour la nuit. Je vais regarder la télé jusqu’à ce que je m’endorme. » Il est reconnu que vous étiez toujours inquiet pour la sécurité de T.N. et que vous ne vouliez pas la laisser dormir dehors en état d’ébriété dans la cour d’un inconnu. Vous avez glissé vos mains à l’intérieur de la chemise et du soutien-gorge de T.N. et vous avez touché son sein droit d’une façon sexuelle. Vous avez profité du fait que T.N. était en état d’ébriété. T.N. s’est finalement relevée, et vous avez poursuivi votre chemin à pied vers vos résidences respectives.

6. À l’arrivée de T.N. à sa résidence, elle n’avait pas ses clés et la porte était verrouillée. Vous avez cogné à la porte et fait sonner la sonnette, ce qui a fait aboyer les chiens qui se trouvaient dans la résidence. T.N. vous a dit qu’elle se sentait en sécurité à la maison et qu’elle resterait sur le perron à sa porte jusqu’à ce que son mari, le gendarme Benjamin Standish de la GRC, se réveille. Vous avez répondu que vous attendriez avec elle et vous vous êtes assis à côté d’elle sur le balcon. Vous avez glissé votre main sous sa chemise et vous avez commencé à lui toucher la poitrine. T.N. vous a dit : « Kelly, arrête. » Vous n’aviez pas le consentement de T.N. pour lui toucher le sein d’une façon sexuelle, ce qui faisait de votre geste une agression sexuelle. Vous avez profité du fait que T.N. était en état d’ébriété.

7. Le gendarme B.S. est finalement venu à la porte et a allumé la lumière. Il a constaté l’état d’ébriété de T.N. et a demandé votre aide pour la transporter dans la résidence. Vous avez transporté T.N. ensemble et l’avez déposée sur un divan. Le gendarme B.S. a quitté la pièce pour aller chercher de l’eau pour T.N. dans la cuisine. Vous vous êtes penché sur le divan et vous avez placé une main entre les jambes de T.N., sur la région vaginale, et l’autre main sous sa chemise pour lui toucher les seins. T.N. vous a clairement dit : « Kelly, arrête. » Votre geste a déplacé la chemise et le soutien-gorge de T.N. ce qui a exposé en grande partie son sein droit. Vous n’aviez pas le consentement de T.N. pour la toucher sur les seins ou entre les jambes d’une façon sexuelle, ce qui faisait de votre geste une agression sexuelle. Vous avez profité du fait que T.N. était en état d’ébriété. Le gendarme B.S. est finalement revenu au divan, et vous avez quitté leur résidence en vitesse.

8. Le 23 juillet 2017, T.N. a signalé à son superviseur, le sergent Shane Himmelmen, que vous l’aviez agressée sexuellement.

[Sic pour l’intégralité des citations]

[10] Conformément au paragraphe 20(1) des CC (déontologie), l’allégation et les précisions susmentionnées ont été lues au gendarme Brown au début de l’audience. Le gendarme Brown nie l’allégation.

Principes et critères juridiques applicables

[11] Il incombe au représentant de l’autorité disciplinaire (RAD) d’établir le bien-fondé de l’allégation selon la prépondérance des probabilités. En pratique, cela signifie que je dois déterminer si le RAD a trouvé qu’il est probable que le gendarme Brown a enfreint l’article 7.1 du Code de déontologie. Les deux parties ont judicieusement cité F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53 [McDougall], qui énonçait que la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire ce critère.

[12] La Cour suprême du Canada a également noté dans sa décision sur McDougall qu’il n’existe aucune norme objective qui permet de déterminer que la preuve est suffisamment claire et convaincante. Un juge des faits doit rendre une décision à partir de l’ensemble des éléments de preuve qui lui sont présentés. Dans le cadre du processus d’audiences disciplinaires de la GRC, l’ensemble des éléments de preuve qui m’ont été présentés comprend le dossier ainsi que les témoignages de vive voix entendus lors des audiences.

[13] On évalue si la conduite enfreint l’article 7.1 du Code de déontologie de la façon suivante. Le RAD doit prouver selon la prépondérance des probabilités les gestes posés dans le cadre de cette conduite, et prouver l’identité du membre qui a posé ces gestes. Si le RAD arrive à le prouver, je dois déterminer si une personne raisonnable en société, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris la réalité des services de police en général et, plus particulièrement, celle de la GRC, considérerait le comportement du gendarme Brown comme susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie. Enfin, je dois déterminer si le comportement est suffisamment lié aux tâches et fonctions du gendarme Brown pour que la Gendarmerie ait une raison légitime d’imposer des mesures disciplinaires.

[14] À plusieurs occasions dans ma décision, je fais référence à l’expression « agression sexuelle ». L’expression est utilisée dans les détails de l’allégation, et a été utilisée par les parties et les témoins pendant les audiences. Toute référence à l’agression sexuelle doit être interprétée comme une référence aux allégations d’agression sexuelle formulées dans une instance civile, comme c’est le cas dans McDougall. Les conclusions de la présente décision ne doivent pas être interprétées comme une détermination du bien-fondé d’une allégation d’agression sexuelle comme le décrit le Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

La preuve

[15] La question centrale à cette affaire est de déterminer si le gendarme Brown a touché T.N. de façon sexuelle sans son consentement. Quatre incidents d’attouchement sexuel non consensuel sont décrits dans les détails de l’allégation. Les quatre incidents comprennent un attouchement sexuel non consensuel d’un sein ou des seins de T.N. Deux des incidents comprennent possiblement l’attouchement sexuel non consensuel de la région vaginale de T.N.

[16] J’ai entendu le témoignage oral de cinq témoins : T.N., son mari à l’époque, le gendarme B.S., le gendarme Pocock (un collègue qui fait partie du même quart de travail que T.N. et le gendarme Brown et qui était à la même fête), le gendarme Brown et sa conjointe E. B.

Faits non contestés

[17] Les témoins s’entendent tous sur certains faits. Je conclus que les faits suivants sont établis :

  1. T.N. et le gendarme Brown étaient tous les deux membres du détachement de Leduc et étaient affectés au quart de travail C.

  2. T.N., le gendarme Brown et leurs conjoints respectifs étaient tous de bons amis. Ils se voyaient en dehors du travail et ils étaient proches.

  3. T.N. et le gendarme Brown ont soupé avec leurs conjoints et d’autres membres de leur quart de travail au restaurant Original Joe’s le soir du 5 juillet 2017.

  4. Après le repas, T.N., le gendarme B.S. et le gendarme Brown se sont rendus à une fête au domicile du gendarme Kay. La conjointe du gendarme Brown, E. B., n’a pas pris part à cette fête.

  5. Quand le gendarme B.S. a quitté la fête entre 22 h et 23 h, il a demandé au gendarme Brown de s’assurer que T.N. rentre chez elle en sécurité. Ce n’était pas une demande inhabituelle étant donnée la nature de leur amitié, et étant donnée la proximité de leurs résidences dans le quartier.

  6. Une grande quantité d’alcool a été consommée à la fête. Le gendarme B.S. a bu environ cinq consommations au cours de la soirée. T.N. a bu l’équivalent d’environ 15 consommations, et le gendarme Brown dit avoir bu l’équivalent d’environ 20 consommations. Quel que soit le nombre exact de consommations bues, il est convenu que T.N. et le gendarme Brown étaient tous les deux dans un été d’ébriété avancé.

  7. T.N. a quitté la résidence du gendarme Kay vers 2 h du matin le 6 juillet 2017. Le gendarme Brown est parti à peu près à la même heure, mais après T.N. Il a rattrapé T.N. pendant qu’elle marchait vers chez elle.

  8. T.N. et le gendarme Brown ont marché ensemble. Ils ont été seuls pendant toute la marche.

  9. T.N. n’avait pas ses clés et n’a pas pu entrer dans sa maison. Le gendarme Brown et elle ont cogné à la porte et ont sonné la sonnette. Les chiens de T.N. se sont mis à aboyer.

  10. Le gendarme Brown était sur le perron de la maison de T.N. quand le gendarme B.S. est venu ouvrir la porte.

  11. Le gendarme Brown a aidé le gendarme B.S. à transporter T.N. dans sa résidence. Ils l’ont couchée sur un sofa modulaire.

  12. Le gendarme Brown a quitté la résidence de T.N. et il est rentré chez lui. Le gendarme Brown a passé le reste de la nuit dans sa salle de bain, car il a été pris de vomissements.

  13. T.N. a signalé des incidents d’attouchements sexuels non consensuels au sergent Himmelman le 22 juillet 2017 ou environ à cette date.

[18] Les opinions des parties divergent sur ce qui s’est passé entre la fête et la résidence, sur le perron, et sur le sofa modulaire dans la résidence de T.N. Leurs opinions divergent également en ce qui a trait à ce qui s’est passé entre les incidents allégués du 6 juillet 2017 et le signalement des incidents d’attouchements sexuels non consensuels au sergent Himmelman le 22 juillet 2017 ou environ à cette date.

[19] Le RM précise qu’il n’est aucunement question de consentement dans cette affaire. Le gendarme Brown n’a jamais affirmé qu’il s’agissait d’attouchements sexuels consensuels. Le gendarme Brown affirme plutôt que ces gestes n’ont jamais eu lieu. Il a par ailleurs affirmé n’avoir aucun souvenir des incidents en question.

[20] L’allégation comprend quatre incidents d’attouchements sexuels non consensuels. Les deux premiers se seraient passés quand T.N. est tombée par terre pendant qu’elle rentrait chez elle à pied. Nous appellerons ces incidents la première et la seconde chute. Le troisième serait arrivé quand T.N. et le gendarme Brown étaient sur le perron de la maison de T.N. Le quatrième serait arrivé quand T.N. était couchée sur le sofa modulaire dans sa résidence.

[21] La question la plus importante dans cette affaire et de déterminer si les preuves fournies sont suffisamment claires et convaincantes pour prouver que le gendarme Brown a commis les attouchements sexuels non consensuels allégués. Pour arriver à faire cette détermination, je dois attentivement évaluer la crédibilité et la fiabilité des éléments de preuves apportés par chaque témoin, tout particulièrement ceux apportés par le gendarme Brown et T.N.

Les principes juridiques applicables

[22] Pour évaluer des éléments de preuve apportés par un témoin, je dois déterminer la sincérité du témoin et évaluer la fiabilité des éléments de preuve (si le témoin était bien placé pour percevoir ce qui s’est passé, et pour se rappeler ce qu’il a perçu). Il est possible que je considère les éléments de preuve offerts par un témoin sincères, mais non fiables. [2] Je suis aussi en position d’accepter à tout moment une partie, la totalité ou aucun des éléments de preuve apportés par un témoin.

[23] Les parties ont cité de nombreux cas [3] qui ont établi les principes fondamentaux que doit utiliser un juge de faits qui doit évaluer les éléments de preuve apportés par un témoin. Le RM affirme que le témoignage de T.N. est si incohérent qu’il rend ses éléments de preuve non crédibles et non fiables. J’ai pris note du passage suivant de la décision McDougall, au paragraphe 58, qui confirme que je dois évaluer les éléments de preuve apportés par un témoin dans le contexte de l’ensemble des éléments de preuve qui me sont présentés :

[58] […] lorsque la norme applicable est la prépondérance des probabilités, il n’y a pas non plus de règle quant aux circonstances dans lesquelles les contradictions relevées dans le témoignage du demandeur amèneront le juge du procès à conclure que le témoignage n’est pas crédible ou digne de foi. En première instance, le juge ne doit pas considérer le témoignage du demandeur en vase clos. Il doit plutôt examiner l’ensemble de la preuve pour déterminer l’incidence des contradictions sur les questions de crédibilité touchant au coeur du litige.

[24] Dans le contexte d’allégations d’agression sexuelle (au sens criminel du terme), le RAD a cité de nombreux cas qui expliquent clairement que le juge des faits ne peut pas tirer de conclusions négatives d’un retard de signalement (le principe abrogé de plainte immédiate), [4] d’un manque de comportement d’évitement [5] ou d’une conduite après l’incident qui comprend des stéréotypes et des présomptions à propos du comportement auquel on devrait s’attendre de la part d’une victime d’agression sexuelle. [6] Ces principes s’appliquent aussi bien aux allégations d’attouchement sexuel non consensuel dans le contexte du droit administratif. [7]

[25] Je souligne également que la corroboration n’est pas une obligation juridique dans les affaires au civil contenant des allégations d’agression sexuelle, mais son utilisation est admissible. Comme l’a fait remarquer La Cour suprême du Canada dans McDougall, la corroboration n’est pas requise, mais « un élément de corroboration est toujours utile et étoffe la preuve offerte ». [8]

[26] Enfin, le fait que le gendarme Brown affirme n’avoir gardé aucun souvenir de ces évènements ne change rien à la crédibilité de la version des faits de T.N. Toutefois, quand les témoignages sont contradictoires, conclure que le témoignage d’une partie est crédible peut fort bien être décisif. [9]

Témoignage du gendarme Pocock

[27] Le gendarme Pocock faisait partie du même quart de travail que T.N. et le gendarme Brown. Il était présent à la fête du 5 juillet 2017, et il a interagi avec le gendarme Brown et T.N. après les incidents allégués. Le témoignage livré par le gendarme Pocock me semble crédible dans l’ensemble. Toutefois, je ne le considère pas comme fiable. Sa mémoire a flanché pour plusieurs aspects de son témoignage, qui était pourtant plutôt limité.

Témoignage d’E. B.

[28] J’estime que le témoignage d’E. B. est crédible. Ses affirmations sont équitables et elle ne tente pas de faire paraître T.N. de façon négative. Elle a exprimé un sentiment de deuil pour la perte de son amitié avec T.N. Elle a décrit avec beaucoup de détails sa conversation avec T.N. le 6 juillet 2017 ainsi que ses interactions avec elle par la suite. Sa description des évènements dans l’ensemble concorde avec celle des autres témoins.

Témoignage du gendarme B.S.

[29] Les deux parties ont affirmé que le témoignage du gendarme B.S. était le plus crédible et le plus fiable. Je suis d’accord avec leur point de vue. Le gendarme B.S. n’est plus marié avec T.N., et si la dissolution de leur mariage a laissé le gendarme B.S. avec de la rancoeur envers T.N., cette rancoeur n’était pas évidente dans son témoignage. Il n’a pas essayé d’embellir des aspects de son témoignage. Il était sans équivoque quand ses souvenirs étaient clairs, et il a reconnu quand il était incertain de ce qu’il se rappelait. Son témoignage est cohérent en plus de correspondre à celui d’autres témoins, en particulier à celui de T.N.

[30] Il y a quelques contradictions entre son témoignage et celui d’autres témoins, en particulier celui du gendarme Brown, et j’aborderai ces contradictions dans mes conclusions et mon analyse. Pour l’instant, j’aborde la déclaration faite par le gendarme B.S. le 25 janvier 2019 au sergent Bellamy du Groupe de la responsabilité professionnelle (GRP) de la GRC à Edmonton, en Alberta. La déclaration a été soumise quand le gendarme B.S. a divulgué deux messages texte qu’il avait envoyés au gendarme Brown le 29 août 2018. Le gendarme Brown ne lui avait pas répondu.

[31] Dans ces messages, le gendarme B.S. a entre autres écrit :

[…] [T.N.] ne vivait que pour le drame et je déteste qu’elle ait détruit notre amitié. À ce moment-là je voulais croire ce qu’elle me disait sur ce qui est arrivé, mais j’y repense et je ne crois pas un mot de ce qu’elle dit. […]

[32] Dans sa déclaration au GRP, le gendarme B.S. a précisé qu’au moment où il a écrit ces messages texte, il remettait en question seulement les attouchements à la région vaginale. Il a maintenu tous les autres éléments de sa déclaration. Le gendarme a apporté davantage de précisions lors de son témoignage de vive voix. Il a affirmé que c’était une période de sa vie chargée d’émotion, car c’était presque le 1er anniversaire de l’incident et de la séparation qui a suivi avec T.N. Il a répété qu’il ne doutait d’aucun autre élément de sa déclaration. Il est important de souligner que, dès sa déclaration initiale à l’ASIRT, le gendarme B.S. a affirmé être incertain de quand et comment l’attouchement à la région vaginale aurait eu lieu. Il a aussi fait remarquer que T.N. elle-même a semblé incertaine à ce sujet. En bref, son témoignage est toujours resté le même sur ce point précis. Selon moi, les messages texte et la déclaration du gendarme B.S. au GRP ne révèlent aucune contradiction dans son témoignage.

Témoignage de T.N.

[33] J’ai des incertitudes sur la crédibilité et la fiabilité des témoignages de T.N. et du gendarme Brown. Ces incertitudes, pour les deux personnes, peuvent être regroupées dans les catégories suivantes : a) inconstances dans les témoignages; b) tendance à enjoliver; c) réponses insuffisantes, prise de position ou changement de sujet lorsqu’on pose des questions; d) affirmations sans fondement. J’utilise plusieurs exemples dans mes observations au sujet de ces incertitudes. Il s’agit simplement d’exemples et non d’une liste exhaustive.

a) Inconstances dans les témoignages

[34] T.N. a plusieurs fois changé son témoignage en ce qui a trait à un élément en particulier de l’allégation. T.N. a affirmé que le gendarme Brown a placé sa main deux fois près de son vagin, mais elle ne considère plus que les intentions du gendarme Brown étaient sexuelles. Le contact physique avec son vagin n’est donc plus un enjeu dans l’affaire. Le RAD a affirmé que T.N. tentait de clarifier son témoignage et non de retirer ce qu’elle avait déjà dit. Je fais remarquer que les affirmations de la gendarme au sujet des attouchements à sa région vaginale ne sont pas aussi sans appel que ses affirmations au sujet des attouchements à sa poitrine. Ses affirmations ont en fait été inconstantes et hésitantes pendant tout le processus.

b) Tendance à enjoliver

[35] T.N. a enjolivé son témoignage, en particulier au sujet de sa certitude à pouvoir se rappeler d’évènements qui ont eu lieu après les incidents de l’allégation.

c) Réponses insuffisantes

[36] T.N. a parfois profité des réponses pour prendre position, a évité la question ou a semblé sur la défensive. T.N. a par exemple fait des commentaires sur le fait que les gestes « étaient de l’agression sexuelle quand même ».

d) Affirmations sans fondement

[37] T.N. a fait des affirmations qui ne reposaient sur aucune preuve. T.N. affirme avoir reçu l’ordre d’un supérieur de supprimer ses messages texte. Cette affirmation surprenante ne se retrouve nulle part ailleurs dans le dossier. Aucune preuve ne vient appuyer cette affirmation qu’un supérieur a ordonné que les messages texte soient supprimés.

[38] J’ai aussi des incertitudes quant à la fiabilité du témoignage de T.N., plus particulièrement à cause de sa capacité à se rappeler les évènements. Elle avait consommé beaucoup d’alcool. Il me semble impossible que sa capacité à garder des souvenirs des évènements n’ait pas été affectée.

[39] Je remarque toutefois que les témoignages de vive voix de T.N. ont été constants pendant tout le dossier en ce qui a trait aux attouchements sexuels non consensuels sur sa poitrine. De plus, le gendarme B.S. a décrit de façon identique la révélation initiale de T.N. tôt le matin du 6 juillet 2016, puis sa description des faits plus tard la même journée.

[40] Le RM fait valoir qu’il y avait de nombreuses incohérences dans le témoignage de T.N. Certaines de ces incohérences concernent des éléments mineurs, comme l’a fait remarquer le RAD, mais le RM affirme que, dans l’ensemble, elles font douter de la crédibilité et de la fiabilité du témoignage. À ce sujet, le RM cite McDougall, au paragraphe 57, où la Cour fédérale cite elle-même Rowles J.A. dans l’affaire R. c. R.W.B. (1993), 24 B.C.A.C. 1 :

[traduction] En l’espèce, il existait un certain nombre de contradictions dans le témoignage de la plaignante de même qu’entre son témoignage et celui d’autres témoins. Bien que de légères contradictions n’entachent pas indûment la crédibilité d’un témoin, une suite de contradictions peut constituer un facteur non négligeable et semer un doute raisonnable dans l’esprit du juge des faits quant à la crédibilité du témoignage. Aucune règle ne permet de déterminer dans quels cas des contradictions susciteront un tel doute, mais le juge des faits doit à tout le moins les examiner dans leur ensemble pour déterminer si le témoignage en question est digne de foi. C’est particulièrement vrai en l’absence de corroboration sur la principale question en litige, comme c’était le cas en l’espèce [paragraphe 29].

[41] Dans l’ensemble de ses présentations, le RM a repéré une douzaine incohérences. Plusieurs d’entre elles ne sont pas, selon mon analyse du dossier, de réelles incohérences. Elles sont plutôt des interprétations différentes de ce qui a été dit ou n’a pas été dit. D’autres, par exemple la couleur du soutien-gorge de T.N., sont de nature mineure. Il est à noter que, dans cette affaire, de nombreux faits viennent corroborer « la principale question en litige ». Je conclus que les incohérences qu’on peut constater ne suffisent pas dans l’ensemble à rendre non fiable la totalité du témoignage de T.N.

Témoignage du gendarme Brown

a) Inconstances dans les témoignages

[42] Les souvenirs du gendarme Brown ont beaucoup changé entre sa déclaration à l’ASIRT le 11 octobre 2017, sa réponse relative à l’article 15 et son témoignage de vive voix. Le gendarme Brown a changé d’avis sur le nombre de chutes qu’a faites T.N., et sur le fait qu’il ait fait une chute ou non lui aussi. Dans sa déclaration écrite, il n’avait aucun souvenir d’avoir passé du temps sur le perron de la maison de T.N. Dans sa réponse relative à l’article 15, il s’est rappelé certains détails (le fait que la porte était verrouillée, et les aboiements des chiens). Lors de son témoignage de vive voix, il était catégorique quant à sa position par rapport à T.N. alors qu’ils étaient sur le perron, et quant à où il se trouvait quand le gendarme B.S. a ouvert la porte. Il me semble invraisemblable que le gendarme Brown puisse n’avoir aucun souvenir d’avoir été sur le perron, puis qu’il se rappelle exactement sa position par rapport à T.N.

[43] Le gendarme Brown a tenté de justifier les incohérences entre sa déclaration initiale à l’ASIRT et les témoignages qui ont suivi en expliquant qu’il avait confondu ses propres souvenirs et ce qu’il avait lu dans la trousse d’enquête. Cependant, il n’avait pas eu accès à la trousse d’enquête au moment de sa déclaration à l’ASIRT le 11 octobre 2017. Sa capacité et son incapacité à se souvenir des évènements semblent donc sélectives.

b) Tendance à enjoliver

[44] Le gendarme Brown semble exagérer son incapacité à se souvenir des évènements, en particulier l’absence totale de souvenirs du retour à pied à la maison.

c) Réponses insuffisantes

[45] Les réponses du gendarme Brown étaient souvent vagues ou formulées pour se présenter sous un jour favorable. Il a répondu à beaucoup de questions avec des phrases comme « Je ne crois pas que j’aurais fait ça » ou « Je ne pense pas être le genre de personne qui ferait ça ».

d) Affirmations sans fondement

[46] Le gendarme Brown a affirmé que T.N. avait déjà l’habitude de consommer de l’alcool fréquemment et en abondance avant l’incident. T.N. a reconnu que sa consommation d’alcool a été problématique après l’incident, mais elle nie avoir eu un problème auparavant. Le témoignage du gendarme B.S. et d’E. B. corroborent l’affirmation de T.N. à ce sujet.

[47] Ce qui est plus troublant encore est le fait que le gendarme Brown affirme ne rien savoir du tout des incidents allégués, et que l’allégation ait semblé s’empirer avec le temps. T.N. reconnait dans son témoignage avoir fourni peu de détails sur l’incident quand elle en a parlé au gendarme Brown pour la première fois. Elle lui a fourni ces détails plus tard lors de conversations et d’échanges de messages texte. L’affirmation du gendarme Brown selon laquelle T.N. ne lui aurait fourni aucun détail de l’allégation et il aurait seulement appris ces détails après avoir reçu la trousse d’enquête a été réfutée lors d’un contre-interrogatoire. Le gendarme Brown a admis en contre-interrogatoire que T.N. lui avait fourni des détails avant qu’elle en parle au sergent Himmelman. De plus, le déroulement des évènements décrit par le gendarme Brown dans sa déclaration écrite démontre clairement que T.N. l’a informé des détails de l’allégation dès le 7 juillet 2017.

[48] Il y a d’autres aspects du témoignage du gendarme Brown que je n’ai pas trouvés crédibles. Il y a entre autres son explication pour avoir supprimé certains messages texte de T.N. après l’incident, et sa théorie que T.N. ait inventé l’allégation de toutes pièces parce qu’elle souhaitait établir une relation amoureuse avec lui.

[49] Comme c’était le cas pour le témoignage de T.N., j’ai des inquiétudes au sujet de la fiabilité du témoignage du gendarme Brown. Il avait consommé une grande quantité d’alcool, et il a même affirmé n’avoir jamais été aussi ivre que ce soir-là. Sa capacité à garder des souvenirs de la soirée a clairement été affectée.

[50] Il m’incombe de déterminer la crédibilité de la totalité, d’une partie ou d’aucun des éléments des témoignages. Dans l’ensemble, je considère le témoignage de T.N. plus fiable que celui du gendarme Brown en ce qui a trait aux évènements qui se sont déroulés jusqu’au matin du 6 juillet 2017. Son témoignage sur sa conduite après l’incident me semble moins crédible quand il aborde certains sujets précis.

[51] Sur certains aspects, j’ai préféré me fier au témoignage du gendarme B.S. plutôt qu’aux témoignages des gendarmes N. et Brown. Ces aspects sont expliqués dans ma décision à propos de l’allégation.

Décision à propos de l’allégation

[52] Comme il a été mentionné plus tôt, le concept de consentement n’est pas pertinent dans ce cas-ci. Le gendarme Brown a soit nié que les attouchements de nature sexuelle ont eu lieu, soit affirmé n’avoir aucun souvenir d’avoir touché T.N. à des fins sexuelles. La principale question en litige est donc de déterminer si les incidents allégués ont eu lieu. Est-ce que le gendarme Brown a touché la poitrine de T.N.? Et si c’est le cas, est-ce que l’attouchement était de nature sexuelle?

[53] Voici mes conclusions et mon analyse pour chacun des incidents de l’allégation.

La première chute

[54] T.N. a quitté la résidence du gendarme Kay à environ 2 h du matin pour rentrer chez elle à pied. Le gendarme Brown a rattrapé T.N. pendant qu’elle marchait vers chez elle. T.N. marchait sans aide jusqu’au moment de sa première chute sur l’herbe. Dans son témoignage de vive voix, le gendarme Brown a affirmé n’avoir aucun souvenir de cette chute. Étant donnée mon évaluation de la crédibilité des témoins et de la réponse du gendarme Brown relative à l’article 15, dans laquelle il admet qu’une chute a eu lieu, je privilégie le témoignage de T.N. et je détermine que la chute a eu lieu.

[55] Il est allégué que le gendarme Brown a touché la poitrine de T.N. par-dessus sa chemise pendant qu’elle était par terre sur l’herbe. J’ai déterminé que cet attouchement à la poitrine, par-dessus la chemise, a eu lieu. Je juge cependant que le souvenir de l’évènement par T.N.. n’est pas assez fiable pour que je puisse établir selon la prépondérance des probabilités que l’attouchement était de nature sexuelle. T.N. a notamment affirmé dans son témoignage que, sur le coup, elle a cru qu’il était possible que l’attouchement ait simplement été une façon maladroite de tenter de la remuer pour qu’elle se relève.

La seconde chute

[56] J’ai déterminé que les gendarmes N. et Brown ont poursuivi leur marche, et que le gendarme Brown a placé le bras gauche de T.N. par-dessus son épaule et en plaçant son bras droit derrière le dos de T.N. pour l’aider à marcher.

[57] Je privilégie la description de la chute par T.N., car cette description correspond à sa déclaration à l’ASIRT et à son témoignage de vive voix, ainsi qu’à la déclaration écrite à l’ASIRT, à la réponse relative à l’article 15, et au témoignage de vive voix du constable Brown, dans lesquels il décrit être tombé en essayant d’aider T.N. à marcher. L’ensemble des preuves me permet d’établir que la chute est survenue comme T.N. l’a décrite.

[58] T.N. a affirmé que le gendarme Brown a glissé sa main sous sa chemise et sous son soutien-gorge et qu’il lui a touché la poitrine quand elle était couchée sur l’herbe. J’ai tenu compte du fait que le gendarme a d’abord nié tout autre contact physique, puis qu’il a affirmé n’avoir aucun souvenir de tout autre contact physique. Comme il a été mentionné plus tôt, je considère le témoignage de T.N. plus crédible quand on le compare à l’ensemble des éléments de preuve. Pour ce qui est de la fiabilité, T.N. a reconnu que sa mémoire n’était pas parfaite et qu’elle ne se rappelait pas tous les détails de son retour à la maison à pied. J’accepte toutefois son affirmation selon laquelle il y a des éléments de cette nuit-là, en particulier les attouchements non consensuels, qui se démarquent dans son esprit.

[59] J’ai remarqué de légères variations dans la façon de décrire les attouchements, en particulier si le gendarme Brown a appuyé sur sa poitrine avec toute sa main ou avec son pouce seulement. Dans un cas comme dans l’autre, la main du gendarme Brown se trouvait sur sa poitrine. Contrairement au premier incident de l’allégation, la main a été glissée sous la chemise, ce qui enlève toute ambiguïté à l’intention de l’attouchement. Dans les circonstances, il n’existe aucune explication plausible pour toucher la poitrine de quelqu’un sous leurs vêtements qui ne soit pas de nature sexuelle.

Sur le perron

[60] J’ai déterminé que, après la seconde chute, T.N. et le gendarme Brown ont poursuivi leur marche vers la maison de T.N. J’ai déterminé que les déclarations et témoignages de T.N., du gendarme B.S. et du gendarme Brown ont démontré que le gendarme Brown était avec T.N. quand elle est arrivée chez elle et qu’elle s’est retrouvée face à une porte verrouillée. Après avoir frappé à la porte et avoir sonné la sonnette, le gendarme Brown a attendu avec T.N. jusqu’à ce que le gendarme B.S. vienne lui ouvrir la porte.

[61] Il me semble invraisemblable que T.N. et le gendarme Brown soient restés immobiles durant les cinq à sept minutes pendant lesquelles ils ont attendu sur le perron. Il y a désaccord sur leur position exacte au moment où le gendarme Brown aurait glissé sa main sous la chemise et le soutien-gorge de T.N.

[62] T.N. a dit qu’elle était assise sur le perron, et qu’elle s’appuyait sur le garde- fou. Elle a décrit sa position de la même façon dans tout le dossier et lors de son témoignage de vive voix. Le souvenir de T.N. a maintenu qu’elle était dans cette position quand le gendarme Brown a glissé sa main sous sa chemise et son soutien-gorge pour lui toucher la poitrine. Elle se rappelle avoir dit « Arrête » ou « Kelly, arrête ».

[63] Dans sa déclaration à l’ASIRT, T.N. n’a pas décrit de façon claire la position du gendarme Brown par rapport à sa propre position. Lors de son témoignage de vive voix, elle a affirmé que le gendarme Brown était assis à côté d’elle, un peu à l’arrière d’elle mais pas complètement. Je crois que sa description de ces faits est crédible, mais pas complètement fiable.

[64] Quant au souvenir du gendarme Brown à ce sujet, je ne le trouve ni crédible ni fiable. Dans sa déclaration écrite à l’ASIRT, le gendarme Brown n’avait aucun souvenir d’avoir passé du temps sur le perron. Dans sa réponse relative à l’article 15, il s’est rappelé certaines choses qui s’étaient passées sur le perron, mais ne s’est pas rappelé avoir été assis à côté d’elle. Dans son témoignage de vive voix, il a dit qu’il était resté debout, et que T.N. était à côté de lui ou derrière lui. Lors d’un contre-interrogatoire, le gendarme Brown a admis qu’il se tenait derrière T.N. quand le gendarme B.S. est venu ouvrir la porte.

[65] J’ai déterminé que le témoignage le plus fiable à ce sujet est celui du gendarme B.S., qui a pu voir T.N. et le gendarme Brown par la fenêtre avant d’ouvrir la porte. Il a décrit avoir vu le gendarme Brown accroupi derrière T.N. avec ses bras autour d’elle, « [traduction] comme les sangles d’un sac à dos ». [10] Il a décrit avoir vu la main du gendarme Brown dans la région de la poitrine de T.N., et quand il a ouvert la porte, il a entendu T.N. dire « arrête » deux fois avant que T.N. et le gendarme Brown se rendent compte qu’il était à la porte. Le gendarme B.S. s’est rappelé que, quand sa présence est devenue claire, il a vu le gendarme Brown soudainement ramener sa main vers lui. Le gendarme Brown avait à ce moment l’expression faciale de quelqu’un qui s’est fait prendre à faire quelque chose de mal.

[66] Le gendarme Brown nie avoir touché T.N. Le RM affirme que l’intention de T.N. en disant le mot « arrête » aurait pu être de demander au gendarme Brown de ne plus l’aider à se tenir debout. Personne n’a nié que T.N. a dit plusieurs fois au gendarme Brown pendant leur retour à la maison à pied qu’il pouvait la laisser rentrer chez elle toute seule. Personne n’a non plus nié que le gendarme Brown a refusé de la laisser seule en état d’ébriété. Cependant, étant données les circonstances en général, tout particulièrement le témoignage du gendarme B.S., qui a vu la main du gendarme Brown dans la région de la poitrine de T.N. au moment où cette dernière disait « arrête », il me semble plus probable que le mot « arrête » exprimait clairement l’absence de consentement à un attouchement de nature sexuelle.

[67] En me fondant sur l’ensemble de la preuve, je conclus que le gendarme Brown a touché la poitrine de T.N., sous sa chemise et son soutien-gorge, de façon sexuelle et sans son consentement.

Sur le sofa

[68] Les différents témoignages du gendarme Brown dans le dossier ne sont pas constants, mais il a reconnu dans son témoignage de vive voix qu’il a aidé le gendarme B.S. à transporter T.N. dans la maison. Il a aussi admis que le gendarme B.S. et lui ont couché T.N. sur un sofa modulaire. Les témoignages ont établi que T.N. était couchée avec la tête en direction du comptoir de la cuisine et avec les pieds en direction de la porte d’entrée.

[69] T.N. s’est rappelé que le gendarme B.S. a laissé le gendarme Brown avec elle près du sofa pendant qu’il allait chercher un verre d’eau dans la cuisine. Elle a dit que le gendarme Brown était debout à l’arrière du sofa, et qu’il était penché au-dessus d’elle. Elle a affirmé que le gendarme Brown a glissé sa main sous sa chemise et son soutien-gorge pour toucher son sein. Elle s’est rappelé lui avoir dit d’arrêter.

[70] Le gendarme Brown affirme n’avoir aucun souvenir d’avoir passé du temps dans la résidence de T.N. Les trois témoins sont du même avis en ce qui a trait à la disposition des pièces de la maison et à la position de T.N. sur le sofa, et sur le fait que le gendarme B.S. aurait une vue directe du sofa pendant qu’il était dans la cuisine.

[71] Le témoignage du gendarme B.S. concorde dans l’ensemble avec celui de T.N. Le gendarme B.S. a clairement expliqué que, pendant qu’il allait chercher de l’eau dans le frigo, il tournait le dos au sofa. Le gendarme B.S. s’est rappelé avoir entendu T.N. dire « arrête ». Il s’est alors retourné pour regarder du côté du sofa, et il a vu le gendarme Brown retirer sa main de la région de la poitrine de T.N. Le gendarme B.S. a décrit l’expression du gendarme Brown comme celle de quelqu’un qui s’est fait prendre à faire quelque chose qu’il ne devait pas faire. Le gendarme Brown a quitté la maison immédiatement après ce moment.

[72] T.N. se rappelle avoir senti la main du gendarme Brown sous sa chemise et son soutien-gorge, et avoir repoussé cette main. Elle se rappelle avoir senti la main tripoter sa poitrine. Les témoignages du gendarme B.S. et de T.N. s’entendent sur le fait que la chemise et le soutien-gorge de T.N. n’étaient pas déplacés quand le gendarme Brown et le gendarme B.S. l’ont couchée sur le sofa. Le gendarme B.S. a fortement insisté sur ce point. Les vêtements de T.N. avaient été déplacés quand le gendarme Brown s’est éloigné du sofa et a quitté la résidence. Je n’accorde aucune importance aux contradictions dans les témoignages du gendarme B.S. et de T.N. quant à la couleur de son soutien- gorge. Il s’agit là d’une question négligeable. De plus, je remarque que T.N. ne s’est jamais contredite à ce sujet dans ses témoignages.

[73] Je reconnais les contradictions entre les déclarations de T.N. et celles du gendarme B.S. en ce qui a trait à la position du gendarme Brown quand les attouchements sexuels allégués ont eu lieu. T.N. affirme que le gendarme Brown était derrière le sofa, et le gendarme B.S. affirme qu’il se trouvait devant le sofa. Je considère que le témoignage du gendarme B.S. à ce sujet est le plus fiable. Il était relativement sobre et pouvait directement voir T.N. et le gendarme Brown. La contradiction n’affecte pas grandement la fiabilité du témoignage de T.N. quant à la nature sexuelle et non consensuelle de l’attouchement. Le témoignage du gendarme B.S. concorde avec les souvenirs de la gendarme N en général. Il l’a entendue dire : « Arrête ». Il a vu que le gendarme Brown avait placé sa main à la poitrine de T.N., puis l’a subitement retirée. Il a constaté que le sein de T.N. était exposé, et il a confirmé que T.N. s’est mise à pleurer et lui a dit que le gendarme Brown avait touché sa poitrine.

[74] J’ai établi que le mot « arrête », entendu par le gendarme B.S., renforce la fiabilité des souvenirs qu’a gardés T.N. des attouchements sexuels non consensuels allégués. Je ne suis pas d’accord avec le RM, qui suggérait que le mot « arrête » ait été en référence avec les efforts du gendarme Brown à aider T.N. à se relever. Ce n’est tout simplement pas plausible étant donné que T.N. était à ce moment arrivée chez elle. Il n’y avait aucune raison pour que le gendarme Brown l’aide à bouger une fois qu’elle était dans sa maison avec son conjoint.

[75] Je reconnais aussi que les témoignages de T.N. et du gendarme B.S. décrivent différemment quel sein de T.N. s’est retrouvé exposé, ou s’il était exposé complètement ou partiellement. T.N. a dit que son sein droit a été exposé, mais le gendarme B.S. a dit qu’il s’agissait du sein gauche. Je n’accorde pas une grande importance à cette contradiction dans mon évaluation de la crédibilité des témoignages de T.N. et du gendarme B.S.. En me fondant sur l’ensemble de la preuve, il me semble probable que le gendarme Brown a touché la poitrine de T.N. avec une intention sexuelle et sans son consentement, et que le sein de T.N. s’est retrouvé exposé en conséquence de cet attouchement sexuel.

Interactions après l’incident

[76] À divers moments de l’audience, on a présenté des éléments de preuve qui peuvent être catégorisés comme des « mythes du viol » ou comme des stéréotypes au sujet des agressions sexuelles. Certains témoignages contiennent des insinuations qu’il faudrait juger sévèrement le fait que certains faits ont été signalés un peu tard, et le fait qu’il n’y ait pas eu suffisamment de comportements d’évitement. Elles contiennent aussi des stéréotypes et des préjugés sur la réaction que devrait avoir la victime d’une agression sexuelle. Comme il est indiqué au paragraphe 24, un juge des faits ne peut pas tirer de conclusions négatives de tels éléments des témoignages. Je n’ai donc accordé aucune prépondérance aux faits de ce genre.

Constatations sur l’allégation

[77] Pendant l’ensemble de la procédure, T.N., le gendarme Brown, le gendarme B.S. E. B. ont exprimé un deuil pour la perte de l’amitié qui les unissait. Il n’existe aucune preuve venant appuyer l’idée que T.N. avait une intention malsaine pour mentir au sujet de l’allégation. Quand on a présenté au gendarme Brown l’allégation de T.N. pour la première fois, il a indiqué qu’il n’avait aucun souvenir de ce qui s’est passé, mais il a tout de même présenté ses excuses à T.N., car il n’avait aucune raison de ne pas la croire.

[78] Le gendarme Brown n’a pas été en mesure de nommer un motif plausible pour que T.N. ait inventé l’allégation de toutes pièces. Il a tout de même présenté deux motifs possibles. Il a d’abord proposé que l’allégation ait pris de l’ampleur avec le temps, à mesure que la relation se détériorait entre T.N. et le gendarme B.S.. Comme il est indiqué au paragraphe 47, la déclaration du gendarme Brown selon laquelle il n’était pas au courant du contenu de l’allégation a été prouvée comme fausse. De plus, le gendarme Brown a émis l’hypothèse que T.N. a été motivée par le désir d’établir une relation amoureuse avec lui. Il me semble invraisemblable qu’une personne tente d’établir une relation amoureuse avec quelqu’un en l’accusant d’inconduite sexuelle.

[79] En me fondant sur l’ensemble des preuves, je conclus que l’élément 4 de l’allégation est non établi selon la prépondérance des probabilités. Je conclus cependant que les éléments 1, 2, 3, 5, 6 et 7 sont établis selon la prépondérance des probabilités et que, tôt le matin du 6 juillet 2017, le gendarme Brown a touché les seins de T.N. avec une intention sexuelle, sans son consentement, à trois reprises. Le RAD a donc déterminé selon la prépondérance des probabilités les gestes posés dans le cadre de la conduite alléguée, et l’identité du membre qui a posé ces gestes.

[80] Les membres de la GRC sont tenus de respecter des normes plus élevées que le reste de la population. Ils doivent se conformer au Code de déontologie de la GRC, qu’ils soient en service ou non. J’ai déterminé qu’une personne raisonnable en société, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris la réalité des services de police en général et, plus particulièrement, celle de la GRC, considérerait le comportement du gendarme Brown comme susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie.

[81] Étant donné que la Gendarmerie a publié plusieurs documents à ses membres et au public expliquant que les inconduites sexuelles prouvées auraient des conséquences graves, j’ai déterminé que le comportement du gendarme Brown est suffisamment lié à ses tâches et fonctions pour que la Gendarmerie ait une raison légitime d’imposer des mesures disciplinaires. Par conséquent, je conclus que l’allégation est fondée selon la prépondérance des probabilités.

MESURES DISCIPLINAIRES

Position des parties

[82] L’autorité disciplinaire a demandé à ce que le gendarme Brown donne sa démission d’ici 14 jours. Le RAD a demandé à ce que les évaluations de rendement et lettres de recommandation du gendarme Brown ne soient pas considérées, car la nature de l’allégation n’a rien à voir avec sa capacité à bien faire son travail. Le RAD a ajouté que les gestes posés par le gendarme Brown étaient essentiellement de nature criminelle et qu’ils devaient être jugés aussi sévèrement que possible.

[83] Il estime que la Cour fédérale et les comités de déontologie ont reconnu que les inconduites sexuelles sont d’intérêt public, [11] en particulier dans un contexte où les agences et ministères sont encouragés à agir contre l’inconduite sexuelle et le harcèlement. Le public, a-t-il fait valoir, a intérêt à ce que la GRC traite les cas d’inconduite sexuelle d’une manière qui reflète la nature très grave de l’infraction. Il a souligné le besoin pressant de dissuader toute inconduite sexuelle en général si la GRC a le moindre espoir d’éradiquer ce comportement de son lieu de travail.

[84] Le gendarme Brown a demandé une sanction financière de 30 à 45 jours ainsi que toute sanction supplémentaire que le Comité de déontologie juge appropriée, à l’exception du congédiement. Le RM a fait valoir que les comportements contestés dans l’affaire Cooke, dans Officier compétent de la Division K c. le gendarme Pernell Cardinal, 17 D.A. (4e) 111 [Cardinal], et dans l’affaire Calandrini – DARD étaient plus flagrants que dans la présente affaire. Il a reconnu le besoin très réel de traiter les cas d’inconduite et de harcèlement sexuels au sein de la GRC. Il a toutefois fait valoir qu’il fallait distinguer les cas de harcèlement systémique à long terme sur le lieu de travail des cas en dehors des heures de travail impliquant une consommation excessive d’alcool lorsque les incidents se produisent sur une période de courte durée. Le RM a fait valoir que, dans les cas correspondant à la dernière catégorie, les comités de déontologie n’avaient pas recommandé le congédiement.

[85] Bien que les actions du gendarme Brown puissent être considérées comme une agression sexuelle au regard du droit pénal, le RM a concédé qu’aucune accusation n’avait été portée dans cette affaire. Le RM est d’accord avec le RAD en ce qui concerne l’intérêt public, mais il a noté que des considérations supplémentaires devaient être considérées dans cette analyse. Il faut notamment savoir si le gendarme Brown peut continuer à servir la GRC dans sa collectivité, si d’autres membres, et en particulier les femmes, seront à l’aise de travailler avec lui, et si la sécurité des femmes de la Gendarmerie et de la population en général sera compromise. Il a fait valoir que les lettres de soutien, y compris celles de son supérieur immédiat, témoignaient de son professionnalisme auprès de ses collègues et du public. Toutes décrivent le comportement allégué comme ne correspondant pas à sa personnalité.

[86] Le RM a suggéré que, si l’on considère tous ces facteurs, l’intérêt public à dénoncer le comportement du gendarme Brown ne l’emporte pas complètement sur l’intérêt public à le garder au sein de la Gendarmerie. Il a fait valoir que cette analyse était cohérente avec le raisonnement du comité de déontologie dans l’affaire Commandant de la Division E c. le gendarme Benjamin Caram, 2017 DARD 8 Corrigé, dans l’affaire Commandant de la Division H c. le gendarme Devin Pulsifer, 2019 DARD 09, et dans l’affaire Commandant de la Division H c. le gendarme Troy Allen, 2019 DARD 10, et qu’une ordonnance de renvoi ne respecterait pas le principe de proportionnalité.

[87] Dans sa réfutation, le RAD a cité Irvine pour le principe selon lequel un comité de déontologie ne devrait pas accorder de poids à la présence ou à l’absence d’accusations criminelles. Il a également noté que la déclaration du RM, selon laquelle un comité de déontologie n’avait jamais licencié un membre pour une inconduite sexuelle isolée ou de courte durée survenue en dehors des heures de service et impliquant de l’alcool, n’était pas tout à fait exacte. Il y a eu des cas dans lesquels des membres faisant l’objet de telles allégations ont démissionné avant de se présenter devant un comité de déontologie. Les précédents ne sont donc pas parfaitement représentatifs des résultats réels.

Décision relative aux mesures disciplinaires

[88] Pour prendre ma décision sur les mesures à prendre, je suis guidée par l’article 36.2 de la Loi sur la GRC, qui définit l’objectif du processus de déontologie. L’article comprend ce qui suit, au paragraphe e) :

de prévoir des mesures disciplinaires adaptées à la nature et aux circonstances des contraventions aux dispositions du code de déontologie et, s’il y a lieu, des mesures éducatives et correctives plutôt que punitives.

[89] Pour déterminer la sanction appropriée, je dois d’abord déterminer l’éventail des mesures de conduite possibles. Ensuite, je dois tenir compte des circonstances aggravantes et atténuantes. Je dois appliquer les principes juridiques appropriés, y compris le principe de proportionnalité, qui m’oblige nécessairement à tenir compte de l’intérêt public ainsi que de la parité. Bien que je puisse être guidée par les décisions antérieures du comité de déontologie, je ne suis pas limitée par ces décisions. Je dois tirer une conclusion à partir des faits de l’espèce.

[90] En ce qui concerne le principe de la dénonciation ou de la dissuasion générale et spécifique, la position de la Gendarmerie a été claire. Les allégations fondées d’inconduite sexuelle entraîneront de graves conséquences. L’éventail des sanctions pour inconduite sexuelle comprend le congédiement.

[91] Je ne suis pas d’avis qu’il existe une hiérarchie des comportements qui constituent une inconduite sexuelle. Je ne suis pas d’accord avec l’idée qu’il suffit d’examiner les mécanismes des attouchements sexuels non consensuels, de les placer sur une échelle et d’attribuer une mesure disciplinaire appropriée. Je ne suis pas non plus d’accord que le congédiement est la seule sanction qui puisse répondre aux objectifs de dissuasion spécifique et générale ainsi qu’au respect de l’intérêt public. Les gestes posés par un comité de déontologie ne doivent pas être arbitraires. Il faut tenir compte de l’ensemble des circonstances dans chaque cas.

[92] Comme j’ai déjà déterminé que la gamme des sanctions pour inconduite sexuelle comprend le congédiement, je vais maintenant examiner les facteurs aggravants et atténuants dans ce cas.

[93] J’estime que les éléments suivants constituent des circonstances aggravantes dans cette affaire :

  1. Le gendarme Brown a 12 ans de service et est un des membres les plus anciens de son quart de travail. Comme l’a fait remarquer le gendarme Pocock, le gendarme Brown est admiré par ses jeunes collègues. Il a fait preuve d’un mauvais jugement, ce qui ne correspond pas à ce que l’on attendrait d’un membre avec ses années de service.

  2. J’estime que le gendarme Brown, par ses actions, a violé une relation de confiance avec T.N. Cependant, je ne pense pas que les circonstances de cette affaire justifient que T.N. soit classée comme « personne vulnérable ». Cette désignation correspond davantage à une personne dont la sécurité personnelle ou le bien-être émotionnel est considérablement compromis, ou encore aux scénarios de rapport de force inégal. Bien que T.N. ait été très ivre, je ne pense pas qu’elle était « vulnérable » dans ce sens.

  3. Les actions du gendarme Brown ont eu un impact négatif sur T.N., tant dans sa vie personnelle que professionnelle. Le gendarme B.S. et elle ont déclaré qu’elle avait eu du mal à gérer ses sentiments après les incidents. Cela a eu un impact négatif sur sa santé personnelle et a ajouté un stress supplémentaire à son mariage, qui était déjà mis à l’épreuve. Elle a également dit s’être sentie ostracisée au travail après avoir signalé les incidents. Elle a depuis été transférée dans un autre détachement.

[94] J’estime que les éléments suivants constituent des circonstances atténuantes dans cette affaire :

  1. Le gendarme Brown a environ 12 ans de service productif au sein de la GRC. Son dossier ne contenait jusqu’alors aucune inconduite. Ses évaluations de rendement sont positives.

  2. Le gendarme Brown bénéficie du soutien continu de ses collègues et de son supérieur immédiat.

  3. Sur la base de toutes les preuves dont je dispose, le niveau d’intoxication du gendarme Brown était un incident isolé et inhabituel dans son cas. E. B. a déclaré qu’elle ne l’avait jamais vu aussi ivre, et ne l’a pas revu aussi ivre depuis cette date. Je fais remarquer ici qu’E. B. et le gendarme Brown sont en couple depuis plus de cinq ans. T.N. a également indiqué qu’elle n’avait jamais vu le gendarme Brown aussi ivre.

  4. Les actions du gendarme Brown envers le gendarme N. étaient un incident isolé et hors du commun. Je me réfère ici à la déposition de tous les témoins, qui ont confirmé qu’il n’y avait pas eu de problèmes de cette nature auparavant. D’après le dossier et les lettres de soutien que j’ai reçues en tant que Comité de déontologie, son comportement lors de l’incident allégué était contraire à son caractère et à son attitude habituelle, qu’on décrit comme respectueuse, aimable et professionnelle.

  5. Lorsque T.N. a confronté le gendarme Brown à propos de son comportement, la réaction spontanée de ce dernier a été d’exprimer des remords et un désir d’atténuer les conséquences négatives de ses actions. T.N. a reconnu que le gendarme Brown avait essayé de respecter ses souhaits lorsqu’ils ont discuté de la meilleure façon de faire face à la situation.

[95] L’inconduite sexuelle d’un membre de la GRC est un comportement qui ne peut pas être toléré. Cependant, ne pas tolérer ce comportement ne se traduit pas par un congédiement automatique dans chaque cas d’inconduite sexuelle. Les circonstances de chaque cas doivent être soigneusement évaluées afin de déterminer si la relation de travail a été irrévocablement endommagée.

[96] Je note que plusieurs des cas mentionnés par le RAD proviennent de l’« ancien système », soit le système antérieur à la mise en oeuvre de la nouvelle Loi sur la GRC en 2014. Dans cet « ancien système », les sanctions pouvant être imposées par les comités de déontologie étaient limitées. Une infraction qui justifiait plus de 10 jours de sanction financière entraînait nécessairement un congédiement. La législation actuelle offre une plus grande flexibilité et permet à un comité de déontologie d’être plus nuancé dans l’imposition des mesures disciplinaires. Par conséquent, les affaires plus anciennes citées n’ont qu’une valeur limitée pour l’évaluation de la proportionnalité.

[97] Le comportement en question s’est produit en dehors des heures de travail et était un incident isolé. C’est nettement différent des comportements répétés et prolongés décrits dans plusieurs des cas cités. [12] Dans le cas présent, j’estime que les facteurs atténuants sont suffisants pour justifier l’imposition de mesures disciplinaires graves n’allant pas jusqu’au congédiement. Collectivement, ces facteurs atténuants indiquent que le risque de récidive est minime.

[98] Compte tenu de l’ensemble des circonstances, j’estime qu’une perte d’emploi serait une mesure disproportionnée à l’inconduite du gendarme Brown. Toutefois, je constate que des mesures disciplinaires majeures sont nécessaires non seulement pour constituer une dissuasion spécifique et générale, mais aussi pour assurer une surveillance continue évitant que ce comportement se répète. En outre, à la lumière du manque de jugement démontré par le gendarme Brown, j’estime qu’une période de réintégration est nécessaire avant qu’il puisse prétendre à une quelconque promotion.

[99] Ayant conclu que l’allégation est fondée, et conformément à l’alinéa 45(4)(c) de la Loi sur la GRC, j’impose les mesures disciplinaires suivantes :

  1. Une sanction financière de 40 jours, à déduire de la solde du gendarme Brown;
  2. L’inadmissibilité à toute promotion pour une période de deux ans à compter de la date de réintégration du gendarme Brown;
  3. L’obligation de travailler sous étroite surveillance pendant une période d’un an, à compter de la date de réintégration du gendarme Brown.

[100] L’une ou l’autre des parties peut interjeter appel de cette décision en déposant une déclaration d’appel auprès de la commissaire dans le délai de prescription prévu au paragraphe 45.11 de la Loi sur la GRC et conformément aux règles énoncées dans les Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289.

 

 

20 septembre 2019

Christine Sakiris

Comité de déontologie de la GRC

 

Date

ANNEXE A – JURISPRUDENCE PRÉSENTÉE PAR LES PARTIES

Allégation

MacLeod c. Canada (Procureur général), 2013 CF 770

R. c. D. (D), 2000 CSC 43, [2000] 2 RCS 275.

R. c. Ewanchuk, [1999] 1 RCS 330.

R. c. Nyznik, 2017 ONSC 4392, [2017] OJ NO 4138

R. c. T.B., 2018 PESC 3

R. c. Ururyar, 2017 ONSC 4428

R. c. A.R.D., 2017 ABCA 237

R. c. ADG, 2015 ABCA 149

F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53.

Wallace c. Davis, [1926] OJ No 212 (OSC – HCD)

Faryna c. Chorny, [1951] BCJ No 152 (CA)

Ahmed c. College of Registered Nurses, 2017 MBCA 121

Autorité disciplinaire de la Division F et le gendarme Jonathan Tremblay, 2018 DARD 15

Mesures disciplinaires

Officier compétent de la Division K c. le gendarme Tyler Cooke, 15 D.A. (4e) 475

Officier compétent de la Division K c. le gendarme Pernell Cardinal, 17 D.A. (4e) 111

Commandant, Division « Administration central » c. le membre civil Marco Calandrini, 2018 DARD 10

Calandrini c. Canada (Procureur général), 2018 CF 52

Officier compétent de la Division E c. le gendarme Benjamin Caram, 2017 DARD 8 Corrigé

Officier compétent de la Division E c. le gendarme Jordan Irvine, 2019 DARD 03

Officier compétent de la Division H c. le gendarme Devin Pulsifer, 2019 DARD 09

Officier compétent de la Division H c. le gendarme Troy Allen, 2019 DARD 10



[1] Ce fait est indiqué dans les renseignements généraux uniquement. Aucun poids n’a été accordé à la décision de la Couronne de ne pas porter d’accusation dans cette affaire.

[2] Smith c. The Rover’s Rest, 2013 HRTO 700 (CanLII), paragraphe 61.

[3] Je n’ai pas nommé toutes les décisions citées par les parties. La liste complète de la jurisprudence citée par les parties se trouve dans l’annexe A de la présente décision. J’ai consulté toutes ces sources avant de rendre ma décision dans cette affaire.

[4] R. c. D.D., 2000 CSC 43, [2000] 2 RCS 275, à partir du paragraphe 58; R. c. ADG, 2015 ABCA 149, au paragraphe 30

[5] R. c. A.R.D., 2017 ABCA 237, aux paragraphes 39 et 43

[6] R. c. T.B., 2018 PEI SC; R. c. Ururyar, 2017 ONSC 4428; R. c. Nyznik, 2017 ONSC 4392

[7] Voir par exemple Commandant de la Division E c. le gendarme Jordan Irvine, 2019 DARD 03 [Irvine].

[8] McDougall, au paragraphe 80

[9] McDougall, au paragraphe 86

[10] Transcription, 5 juin 2019, page 35, ligne 16.

[11] Calandrini c. Canada (Procureur général), 2018 CF 52; Division « Administration centrale » c. le membre civil Marco Calandrini, 2018 DARD 10 [Calandrini – DARD]; Officier compétent de la Division K c. le gendarme Tyler Cooke, 15 D.A. (4e) 475 [Cooke]

[12] Par exemple : Calandrini – DARD; Cardinal

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