Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

L’avis d’audience disciplinaire original portait sur deux allégations de conduite déshonorante en contravention de l’article 7.1 du Code de déontologie de la GRC. Il y était allégué que le gendarme Coulombe avait utilisé son téléphone intelligent pour filmer trois vidéos, d’une durée allant de 15 à 30 secondes environ, alors qu’il se livrait à des actes sexuels avec deux partenaires. Au moment où ces vidéos ont été filmées, les plaignantes et le gendarme Coulombe avaient des rapports sexuels consentants dans le cadre de relations amoureuses. Les vidéos ont été enregistrées à l’insu des plaignantes et sans leur consentement, pendant que le gendarme Coulombe n’était pas en service. Celui-ci a sauvegardé les vidéos sur son ordinateur pour son usage personnel seulement; il ne les a pas diffusées.
À la suite d’une audience disciplinaire contestée, le comité de déontologie a conclu que les deux allégations ont été établies selon la prépondérance des probabilités. Étant donné la nature des allégations et le fait que les incidents sont semblables, le comité a imposé une sanction générale comme suit :
a. Une pénalité financière équivalente à 30 jours de la solde du membre, à déduire de celui-ci;
b. L’inadmissibilité à toute promotion pour une période de deux ans, à partir du moment où le gendarme Coulombe réintégrera son emploi;
c. L’assujettissement du gendarme Coulombe à une stricte surveillance pendant le travail pour une période d’un an, à partir du moment où il réintégrera son emploi.

Contenu de la décision

Protégé A

2019 DARD 19

Logo de la Gendarmerie royale du Canada

GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

Dans l’affaire d’une

audience disciplinaire au titre de la

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C., 1985, ch. R-10

ENTRE :

le commandant divisionnaire, Division K

autorité disciplinaire

et

le gendarme Yannick Coulombe, matricule 58782

Membre visé

Décision du comité de déontologie

Josée Thibault

Le 21 novembre 2019

Sergent d’état-major Jonathan Hart, pour l’autorité disciplinaire

Sergent d’état-major Peter Hearty et sergent Joel Welch, pour le membre visé


Table des matières

SOMMAIRE  3

INTRODUCTION  4

ALLÉGATIONS  5

DÉCISION RELATIVE AUX ALLÉGATIONS  11

Résumé des faits établis  11

Crédibilité des témoins  13

Application du critère de conduite déshonorante  16

Allégation 1 – Vidéos de Mme C. F.  17

Allégation 2 – Vidéos de Mme J. S.  24

Lien avec les fonctions de l’emploi  26

MESURES DISCIPLINAIRES  29

Gamme des mesures disciplinaires  29

Facteurs aggravants  32

Facteurs atténuants  32

Parité des sanctions  33

Conclusion  34

 

SOMMAIRE

L’avis d’audience disciplinaire original portait sur deux allégations de conduite déshonorante en contravention de l’article 7.1 du Code de déontologie de la GRC. Il y était allégué que le gendarme Coulombe avait utilisé son téléphone intelligent pour filmer trois vidéos, d’une durée allant de 15 à 30 secondes environ, alors qu’il se livrait à des actes sexuels avec deux partenaires. Au moment où ces vidéos ont été filmées, les plaignantes et le gendarme Coulombe avaient des rapports sexuels consentants dans le cadre de relations amoureuses. Les vidéos ont été enregistrées à l’insu des plaignantes et sans leur consentement, pendant que le gendarme Coulombe n’était pas en service. Celui-ci a sauvegardé les vidéos sur son ordinateur pour son usage personnel seulement; il ne les a pas diffusées.

À la suite d’une audience disciplinaire contestée, le comité de déontologie a conclu que les deux allégations ont été établies selon la prépondérance des probabilités. Étant donné la nature des allégations et le fait que les incidents sont semblables, le comité a imposé une sanction générale comme suit :

  1. Une pénalité financière équivalente à 30 jours de la solde du membre, à déduire de celui-ci;
  2. L’inadmissibilité à toute promotion pour une période de deux ans, à partir du moment où le gendarme Coulombe réintégrera son emploi;
  3. L’assujettissement du gendarme Coulombe à une stricte surveillance pendant le travail pour une période d’un an, à partir du moment où il réintégrera son emploi.

INTRODUCTION

[1]  Le 18 décembre 2018, le commandant divisionnaire et l’autorité disciplinaire de la Division K (l’autorité disciplinaire) a signé un avis à l’officier désigné dans lequel il demandait la tenue d’une audience disciplinaire relativement à cette affaire. J’ai été désignée comité de déontologie le 21 décembre 2018, au titre du paragraphe 43(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10 [Loi sur la GRC].

[2]  L’avis d’audience disciplinaire contenait deux allégations de conduite déshonorante en violation de l’article 7.1 du Code de déontologie de la GRC. L’avis a été signé par l’autorité disciplinaire le 18 janvier 2019, et il a été signifié au gendarme Coulombe, avec la trousse d’enquête, le 7 février 2019. Les précisions des allégations concernées énoncent des versions contradictoires ayant trait à trois vidéos d’une durée allant de 15 à 30 secondes environ que le gendarme Coulombe aurait filmées avec son téléphone intelligent alors qu’il se livrait à des actes sexuels avec deux partenaires, soit Mme C. F. et Mme J. S. Au moment où ces vidéos ont été filmées, les plaignantes et le gendarme Coulombe avaient des rapports sexuels consentants dans le cadre de relations amoureuses.

[3]  Aucune accusation au criminel n’a été déposée contre le gendarme Coulombe pour l’infraction de voyeurisme. Contrairement à la portée de l’enquête en regard du Code de déontologie de la GRC, l’enquête de l’Alberta Serious Incident Response Team (ASIRT) n’a concerné que la plainte de Mme C. F.

[4]  Le gendarme Coulombe a fourni sa réponse à l’avis d’audience disciplinaire, conformément au paragraphe 15(3) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291, le 6 mars 2019.

[5]  L’audience sur cette affaire a eu lieu à Edmonton, en Alberta, du 9 au 12 septembre 2019. Le témoignage oral de trois témoins, y compris le gendarme Coulombe, a été reçu. La décision sur les allégations a été rendue de vive voix le 12 septembre 2019. Le bien-fondé des deux allégations a été établi et la décision portant sur les mesures disciplinaires a été rendue de vive voix le 19 septembre 2019. La présente décision écrite intègre et approfondit ces décisions rendues de vive voix.

ALLÉGATIONS

[6]  Les deux allégations dont est saisi le comité de déontologie sont les suivantes :

Première allégation

Entre le 1er juillet 2016 et le 4 août 2017, à Devon et à Spruce Grove dans la province de l’Alberta ou à proximité, le gendarme Yannick COULOMBE s’est comporté d’une manière à jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrairement à l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Précisions de la première allégation

1. Pendant toute la période pertinente, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et étiez affecté à la Direction des crimes graves de la Division K, à Edmonton.

2. Pendant toute la période pertinente, vous entreteniez une relation amoureuse avec Mme C. F., qui est devenue votre petite amie. Dans le cadre de cette relation, il est entendu que vous avez eu des rapports sexuels consentants. Votre résidence personnelle est située à Spruce Grove et celle de Mme C. F., à Devon. Vous fréquentiez chacun la résidence de l’autre personne, et vous aviez d’ailleurs donné une clé à Mme C. F. pour qu’elle ait entièrement accès à votre demeure. Mme C. F. avait aussi entièrement accès au contenu de votre résidence, dont votre ordinateur personnel, dans lequel aucun mot de passe n’était exigé pour ouvrir une session.

3. Le 4 août 2017, Mme C. F. a utilisé sa clé pour entrer chez vous pendant que vous n’y étiez pas. Une fois à l’intérieur, elle a utilisé votre ordinateur personnel et cliqué sur une icône nommée « iPhone photos » (photos iPhone). Cette icône contenait de nombreux fichiers identifiés par un prénom en lettres minuscules et un nom de famille en lettres majuscules. Les fichiers ainsi nommés comprennent des photos et des vidéos sexuellement explicites dans lesquelles figurent Mme C. F. et cinq autres femmes. Mme C. F. a pris en note les noms des cinq autres femmes et elle vous a immédiatement envoyé un message texte pour vous confronter au sujet de sa découverte.

4. Mme C. F. a découvert deux vidéos d’elle que vous aviez filmées sans son consentement ni sa permission :

i. À une de ces occasions, vous avez filmé Mme C. F. pendant qu’elle vous faisait une fellation, à sa résidence, dans sa cuisine. Mme C. F. a remarqué que la vidéo semblait avoir été filmée à partir d’un angle élevé, soit au-dessus de sa tête pendant qu’elle était agenouillée/penchée devant vous et que vous étiez debout. Mme C. F. n’a pas vu que vous étiez en train de la filmer avec votre iPhone pendant qu’elle vous faisait une fellation. Elle n’a pas consenti à se faire filmer alors qu’elle se livrait à cet acte sexuel ni à ce que vous sauvegardiez cette vidéo sur votre ordinateur personnel.

ii. À une autre occasion, vous avez filmé Mme C. F. pendant qu’elle vous faisait une fellation alors que vous étiez à votre résidence et que vous étiez tous les deux assis sur votre divan inclinable en cuir. Mme C. F. a une fois de plus remarqué que l’angle de la vidéo donnait l’impression qu’elle avait été filmée à partir d’un point au-dessus de sa tête; vous étiez incliné sur le dos et l’acte sexuel avait été filmé de côté. Mme C. F. ne vous a pas vu pendant que vous la filmiez avec votre iPhone. Elle n’a pas consenti à se faire filmer alors qu’elle se livrait à cet acte sexuel ni à ce que vous sauvegardiez cette vidéo sur votre ordinateur personnel.

5. Mme C. F. et vous avez échangé de nombreux messages texte le 4 août 2017 où elle vous a dit très clairement qu’elle n’avait jamais donné son consentement ou sa permission pour que vous la filmiez pendant qu’elle était en train de se livrer à un acte sexuel. Les messages texte qui suivent – ils n’y sont pas tous – portent précisément sur le problème de l’absence de consentement de la part de Mme C. F. :

X : « Tu m’as filmée pendant que je te faisais une pipe

Coulombe : Tu m’as vu

X : Non

Coulombe : Oui, tu m’as vu, quand j’ai sorti mon téléphone

X : Non, je ne t’ai pas vu, sinon je ne serais pas en train de pleurer comme une Madeleine; je suis complètement démolie

Coulombe : Pourquoi tu es démolie, tu m’as vu! Sinon, je suis désolé, tu peux l’effacer

X : Et plus d’une fois »

[Divulgation, messages texte, pages 181 et 182 de 412]

X : « Tu n’as jamais eu ma permission pour me filmer

Coulombe : Tu m’as vu

X : Non je ne t’ai pas vu, et je suis pas mal certaine de t’avoir déjà dit que mon ex me filmait sans ma permission et comment je me sentais quand il faisait ça

Coulombe : Mais pourquoi… tu ne m’as jamais dit ça

X : Je suis dégoûtée, j’ai le coeur brisé, je te faisais confiance »

[Divulgation, messages texte, pages 183 et 184 de 412]

X : « Qui est censé faire respecter la loi

Coulombe : Je n’ai rien fait de mal

X : Tu m’as filmée sans que je le sache »

[Divulgation, messages texte, page 188 de 412]

X : « Je n’ai jamais donné ma permission, je n’ai jamais vu ton téléphone ou cru que tu me trahirais comme ça; en tant que policier tu devrais être au courant des droits »

[Divulgation, messages texte, page 189 de 412] X : « La vidéo était gênante

Coulombe : Quelle vidéo

X : Celle de moi

Coulombe : Celle où ma blonde et moi on est intime et sexy?

X : Sans ma permission

Coulombe : Tu m’as vu, et je ne te crois pas

X : Sérieusement, Yannick, reviens à la maison tout de suite. Tu ne m’as jamais demandé si tu pouvais me filmer. »

[Divulgation, messages texte, pages 193 et 194 de 412]

X : « Je n’ai pas donné mon consentement, c’est un crime; tu devrais savoir ça mieux que tout le monde, Yannick

Coulombe : Laisse-moi t’apprendre quelque chose : dans l’exemple que tu m’as donné, il la faisait chanter en la menaçant de diffuser le vidéo; c’est de l’extorsion. Dans mon cas, j’étais dans ta cuisine où j’avais le droit d’être et toi tu as vu que j’avais mon téléphone dans les mains

X : Tu ne peux pas me filmer sans mon consentement, je ne t’ai pas vu et il y n’y avait pas seulement une vidéo de moi

Coulombe : Non je ne peux pas te filmer avec une vidéo comme un voyeur, c’est du voyeurisme

X : Je ne t’ai pas vu avec ton téléphone, reviens à la maison pour qu’on règle ça, s’il te plaît »

[Divulgation, messages texte, pages 200 et 201 de 412]

6. Vous avez nié avoir agi de façon non appropriée et vous avez tenté d’intimider Mme C. F. en lui disant qu’il y a, au sein de la GRC, une « […] forte culture de confrérie et de soutien mutuel » et qu’elle [Mme C. F.] « se ferait harceler ou qu’elle se ferait souvent arrêter sur la route pour toutes sortes de raisons, ce qu’elle ne voulait pas subir ». [Divulgation, page 64 de 412]

7. Le 1er mars 2018, vous avez fourni une déclaration après mise en garde aux enquêteurs de l’ASIRT qui menaient une enquête prévue par la loi sur une infraction de voyeurisme après que Mme C. F. ait déposé une plainte. Dans votre déclaration, vous avez confirmé l’existence des deux vidéos à caractère sexuel filmées avec Mme C. F. : « Elle a vu des vidéos, deux vidéos qu’elle savait qu’on avait filmées parce que, selon elle, notre vie sexuelle manquait de piquant et on avait parlé de regarder et de filmer des vidéos pour adultes. Elle m’a envoyé un message de chez moi; elle y était parce qu’on partait pour une longue fin de semaine, et elle m’a dit qu’elle avait trouvé les vidéos puis des photos d’autres filles sur mon ordinateur. Alors je lui ai demandé de quoi elle parlait, pour les vidéos, on savait tous les deux ce qui se passait, on en avait déjà parlé ». [Divulgation, page 256 de 412] Dans votre déclaration, vous avez reconnu avoir filmé les deux vidéos avec votre iPhone, mais vous avez refusé d’admettre que Mme C. F. n’était pas une participante à part entière et qu’elle n’était pas au courant que vous la filmiez : « Bien, je ne suis pas, je connais la loi et je ne ferais pas de vidéos sans consentement; ce sont deux adultes consentants qui font des vidéos ». [Divulgation, page 286 de 412].

8. Mme C. F. avait une attente raisonnable concernant la vie privée lorsqu’elle s’est livrée à des actes sexuels avec vous. Elle ne savait pas que vous la filmiez avec votre iPhone pendant qu’elle vous faisait une fellation. Le fait que Mme C. F. a consenti à se livrer à des actes sexuels avec vous ne justifie d’aucune façon ni n’autorise votre décision de la filmer à son insu et de sauvegarder l’enregistrement numérique.

Deuxième allégation

Entre le 1er janvier 2016 et le 27 septembre 2016, à Spruce Grove dans la province de l’Alberta ou à proximité, le gendarme Yannick COULOMBE s’est comporté d’une manière à jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrairement à l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Précisions de la deuxième allégation

1. Pendant toute la période pertinente, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et étiez affecté à la Direction des crimes graves de la Division K, à Edmonton.

2. Pendant toute la période pertinente, vous entreteniez une relation amoureuse/de fréquentation avec Mme J. S. Dans le cadre de cette relation, il est entendu que vous avez eu des rapports sexuels consentants. Mme J. S. a passé du temps dans votre résidence pendant votre relation amoureuse.

Coulombe : « (en même temps) Tout ce que Mme J. S. a envoyé, elle me l’a aussi envoyé, donc…

Anderson : (en même temps) C’est ça.

Coulombe : …aurait été de Mme J. S.

Anderson : Exact.

Coulombe : Oui.

Anderson : Et Mme J. S. est au courant?

Coulombe : Oh oui.

Anderson : Ça ne dérangerait pas Mme J. S. du tout si on communiquait avec elle, mais…

Coulombe : Non.

Anderson : …mais ça ne serait pas une grosse surprise pour elle…

Coulombe : Non.

Anderson : …à part de lui causer un certain embarras?

Coulombe : Non, non, elle ne sera pas surprise du tout. »

[Divulgation, pages 298 et 299 de 412]

Anderson : « D’accord. On a une vidéo sur laquelle on peut voir que vous êtes en train de vous livrer à un acte sexuel avec, je crois, une autre jeune femme qui…

Coulombe : (en même temps) Mme J. S.

Anderson : Possible. Mais, je crois qu’il est évident que vous êtes en train de la filmer.

Coulombe : Hmm.

Anderson : Est-ce que Mme J. S. serait au courant que vous la filmiez?

Coulombe : Oui.

Anderson : Vous souvenez-vous de cette vidéo?

Coulombe : Oui.

Anderson : Pouvez-vous me la décrire?

Coulombe : On avait des rapports sexuels.

Anderson : D’accord. Et est-ce que vous vous souvenez de vos positions, ou d’autre chose?

Coulombe : Pas de mémoire, non, mais c’est, c’est bien elle. Anderson : Donc la vidéo dont on pense parler tous les deux est bien celle où figure Mme J. S., c’est ça?

Coulombe : Oui.

Anderson : Et, il est évident que vous avez une sorte de moyen pour filmer parce que c’est une vidéo.

Coulombe : Oui, on…

Anderson : (en même temps) C’est bien ça?

Coulombe : …on est deux à avoir la vidéo, oui.

Anderson : D’accord. Avez-vous eu des conversations avec ces femmes sur les conditions, ou des choses du genre?

Coulombe : Oui, euh, Mme J. S. et moi, on a regardé ensemble la vidéo après l’avoir fait.

Anderson : D’accord. »

[Divulgation, pages 302 et 303 de 412]

3. Le 1er mars 2018, vous avez fourni une déclaration après mise en garde aux enquêteurs de l’ASIRT qui menaient une enquête prévue par la loi sur une infraction de voyeurisme après que Mme C. F., votre ancienne petite amie, ait déposé une plainte. Vous avez confirmé, pour les enquêteurs, l’existence d’une vidéo à caractère sexuel filmée avec Mme J. S. que Mme C. F. a trouvée dans votre ordinateur personnel. Vous avez informé les enquêteurs que si on lui posait la question, Mme J. S. confirmerait qu’elle savait très bien que vous étiez en train de filmer vos rapports sexuels et qu’elle y avait pleinement consenti.

4. Le 30 août 2018, Mme J. S. a fait une déclaration au sergent Bellamy du Groupe de la responsabilité professionnelle de la Division K, dans laquelle elle dit ne pas avoir consenti à ce que des vidéos ou des photos soient prises pendant qu’elle avait des rapports sexuels avec vous. En particulier, elle a déclaré n’avoir « jamais donné [son] consentement pour être filmée pendant [qu’elle avait] des rapports sexuels ». [Déclaration de Mme J. S., page 10] Elle a aussi déclaré qu’elle n’avait jamais regardé de vidéos de vous deux pendant vos ébats sexuels ou qu’elle était même au courant d’avoir été filmée pendant qu’elle avait des rapports sexuels avec vous.

5. Le 13 novembre 2018, Mme J. S. a fourni une déclaration au sergent d’état-major Paul Strader de la GRC dans laquelle elle a, une fois de plus, confirmé n’avoir jamais consenti à ce que des enregistrements numériques soient pris pendant qu’elle était en train d’avoir des rapports sexuels avec vous. Elle a aussi affirmé n’avoir jamais regardé de vidéo où vous étiez en train d’avoir de tels rapports. [Divulgation, pages 152 et 153 de 165]

6. Mme J. S. avait une attente raisonnable concernant la vie privée lorsqu’elle s’est livrée à des actes sexuels avec vous. Elle ne savait pas que vous utilisiez votre iPhone pour vous filmer pendant que vous aviez des rapports sexuels. Le fait que Mme J. S. a consenti à se livrer à des actes sexuels avec vous ne justifie d’aucune façon ni n’autorise votre décision de la filmer à son insu et de sauvegarder l’enregistrement numérique.

[Traduction]

DÉCISION RELATIVE AUX ALLÉGATIONS

Résumé des faits établis

[7]  Le gendarme Coulombe et Mme J. S. ont formé un couple de janvier 2016 à septembre 2016, soit environ neuf mois.

[8]  Alors qu’il fréquentait Mme J. S., le gendarme Coulombe entretenait également une relation amoureuse avec Mme C. F., de juin 2016 au 7 novembre 2017, ou environ 17 mois. Pendant qu’ils formaient un couple, le gendarme Coulombe a donné à Mme C. F. une clé de sa résidence. En mars 2017, alors qu’il était encore en couple avec Mme C. F., il a entamé une relation amoureuse avec celle qui est actuellement sa petite amie.

[9]  Le 4 août 2017, Mme C. F. se trouvait à la résidence du gendarme Coulombe. Pendant qu’elle utilisait son ordinateur, elle a ouvert un fichier intitulé « iPhone photos » (photos iPhone), qui contenait trois vidéos mettant en scène des actes sexuels qui auraient eu lieu en 2016. Dans deux de ces vidéos, elle faisait une fellation au gendarme Coulombe et, dans l’autre vidéo, celui-ci était en train d’avoir des rapports sexuels avec Mme J. S. Le fichier contenait aussi des photos montrant Mme J. S. et quatre autres femmes nues, toutes identifiées par leur nom et l’acte montré sur l’image.

[10]  Contrariée par sa découverte, Mme C. F. a immédiatement confronté le gendarme Coulombe en lui envoyant, par message texte, la photo d’un sein nu. À ce moment-là, le gendarme Coulombe était sorti avec un ami pour la soirée. Les parties ont ensuite échangé de nombreux messages texte à ce sujet (c.-à-d. quelque 243 messages texte en deux heures). Mme C. F. a insisté sur le fait qu’elle n’avait jamais donné au gendarme Coulombe la permission de la filmer. Le gendarme Coulombe continue de dire qu’elle avait vu le téléphone intelligent et que les vidéos ont été filmées par deux adultes consentants.

[11]  Mme C. F. a pris en note le nom des cinq autres femmes, et elle s’est envoyé par courriel une vidéo d’elle et une vidéo de Mme J. S. avant de supprimer le contenu du fichier qui était sauvegardé sur l’ordinateur du gendarme Coulombe. Seules la photo du sein nu envoyée par message texte au gendarme Coulombe et la vidéo sur laquelle figure Mme J. S. ont été récupérées par l’ASIRT. Toutefois, il convient de noter que ni l’ASIRT ni l’enquêteur chargé de l’enquête disciplinaire n’ont fouillé l’ordinateur personnel et le téléphone intelligent du gendarme Coulombe.

[12]  Malgré leur différend, et comme il avait déjà été prévu, le lendemain les parties sont allées visiter la famille de Mme C. F. en Saskatchewan pour la longue fin de semaine d’août 2017.

[13]  Le 7 novembre 2017, le gendarme Coulombe a mis fin à sa relation amoureuse avec Mme C. F.

[14]  Le 13 décembre 2017, Mme C. F. a écrit une lettre à la GRC pour dénoncer le comportement du gendarme Coulombe; dans cette lettre, elle disait n’avoir jamais consenti à ce qu’il la filme pendant qu’elle se livrait à des actes sexuels.

[15]  Le gendarme Coulombe a admis avoir filmé trois vidéos (deux de Mme C. F. et une de Mme J. S.). Deux des vidéos ont été filmées à la résidence du gendarme Coulombe et l’autre, à celle de Mme C. F.

[16]  Au moment où les vidéos ont été filmées, les deux plaignantes entretenaient une relation amoureuse avec le gendarme Coulombe, avec qui elles avaient des rapports sexuels consentants.

[17]  Les vidéos ont été enregistrées alors que toutes les parties étaient sobres et que le gendarme Coulombe n’était pas en service. Celui-ci a sauvegardé les vidéos sur son ordinateur personnel et il ne les a pas diffusées.

Crédibilité des témoins

[18]  J’ai entendu les témoignages oraux de trois témoins, soit Mme C. F., Mme J. S. et le gendarme Coulombe. J’estime que ce dernier se contredisait sur des éléments clés de cette affaire. Au bout du compte, mon appréciation de la crédibilité des témoins a été un élément déterminant de ma décision.

[19]  Pour apprécier la crédibilité des témoins et la fiabilité des éléments de preuve, j’ai pris en compte, par exemple, les motifs des personnes, si elles ont répondu à toutes mes questions de façon franche et cohérente ou si elles ont tenté de les esquiver. J’ai aussi pris en compte les principales incohérences et la capacité des témoins d’observer, de se rappeler et de raconter avec exactitude des détails des incidents dont il est question malgré le temps écoulé depuis (c.-à-d. environ de 2 à 3 ans dans l’affaire qui nous intéresse). Enfin, j’ai étudié l’ensemble de la preuve comprise dans le dossier comme l’avis d’audience disciplinaire, la trousse d’enquête, la réponse du gendarme Coulombe ainsi que les témoignages donnés de vive voix pendant l’audience.

[20]  Enfin, pour arriver à ma décision, je me suis fondée sur les pouvoirs prévus dans la décision du comité de déontologie Le Commandant de la Division E c. gendarme Irvine, 2019 DARD 03, fournie par les parties, et aussi sur le jugement de la Cour suprême du Canada dans l’affaire F.H. c. McDougall, [2008] 3 R.C.S. 41, dans lequel il est indiqué que « la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités ».

[21]  Dans la décision Faryna v Chorney, (1952) 2 DLR 354, la Cour a statué que le témoignage d’une personne ne peut pas être évalué seulement en fonction du fait qu’elle semble dire la vérité. Plus précisément, selon la Cour, une personne peut témoigner de ce qu’elle croit sincèrement être la vérité tout en étant honnêtement dans l’erreur.

[22]  Enfin, dans R. v T.B., 2018 PESC 3, paragraphe 56, la Cour donne l’avertissement suivant à propos de l’appréciation de la crédibilité d’une personne :

[...] L’appréciation de la crédibilité d’une personne ne relève pas de la science (R. c. Gagnon, [2006] 1 R. C. S. 621 (C.S.C.)). Selon la loi, pour apprécier la crédibilité, divers facteurs doivent être pris en compte comme le bon sens et la logique. Il peut être difficile d’articuler et de verbaliser l’appréciation de la crédibilité. Comme les tribunaux l’ont clairement établi, je dois faire preuve de prudence lorsque je me fonde sur mes « impressions » de la personne puisque je risque ainsi d’accorder une trop grande importance à l’« attitude », ce qui ne doit pas être considéré comme le facteur déterminant, comme l’ont établi les cours d’appel. […] [traduction]

[23]  J’estime que Mme J. S. est un témoin crédible et que son témoignage est fiable. En fait, Mme J. S. s’est exprimée de façon posée et elle n’a pas tenté de dépeindre le gendarme Coulombe de façon négative. Elle n’avait aucune raison d’inventer des éléments. Elle a même admis avoir envoyé au gendarme Coulombe des photos nues et des vidéos à contenu sexuel. Elle s’est exprimée franchement et de façon cohérente, et son témoignage oral est venu renforcer sa déclaration officielle. Elle a pu se souvenir de manière précise et cohérente de détails importants des incidents. J’estime aussi que rien ne permet de croire que les instructions données par le sergent Bellamy pendant l’enquête disciplinaire ont influencé le témoignage de Mme J. S., comme l’a fait valoir le représentant du membre visé.

[24]  Pour ce qui est de Mme C. F., la fin de sa relation avec le gendarme Coulombe l’a bel et bien dévastée, et elle s’est mal comportée. Par exemple, elle a dit au gendarme Coulombe qu’elle était enceinte. Lorsqu’elle est allée récupérer ses biens chez lui, elle a laissé la porte entrouverte, marché dans la maison avec ses souliers mouillés, brisé un vieil oreiller et pris des biens appartenant au gendarme Coulombe. Elle a même communiqué avec l’ancienne conjointe et avec la nouvelle petite amie du gendarme pour leur dire qu’il l’avait trompée.

[25]  Je suis d’accord avec le représentant du membre visé que la rupture entre le gendarme Coulombe et Mme C. F. a motivé celle-ci à écrire à la GRC pour dénoncer l’inconduite du gendarme à propos des vidéos. Toutefois, je ne suis pas d’accord pour dire qu’elle s’est lancée dans une campagne concertée ayant pour objectif de détruire la vie et la carrière du membre visé et que, pour cette raison, son témoignage devrait être assujetti à un examen minutieux.

[26]  Dans la lettre qu’elle a envoyée à la GRC, Mme C. F. a clairement dit qu’elle souhaitait faire connaître ses préoccupations à l’égard du comportement du gendarme Coulombe. Selon son témoignage, elle n’a jamais cru que sa démarche se rendrait aussi loin : « Je croyais sincèrement que ma lettre serait lue et que ça se terminerait là; j’avais dit ma vérité et je croyais que ça serait fini ensuite » [traduction].

[27]  Je ne suis pas non plus d’accord avec le représentant du membre visé quand il dit que Mme C. F. n’est pas crédible parce qu’elle n’a jamais mentionné à l’ancienne conjointe et à l’actuelle petite amie du gendarme Coulombe que celui-ci avait fait les deux vidéos. En fait, j’estime qu’une conclusion défavorable ne devrait pas être tirée parce que Mme C. F. n’a pas diffusé cette information privée et intime à toutes les personnes avec qui elle s’est entretenue avant et après la rupture.

[28]  À l’écoute du témoignage oral de Mme C. F., et en prenant en compte l’ensemble des éléments de preuve, je conclus qu’elle s’exprime clairement et que, dans l’ensemble, son témoignage oral correspondait à ses déclarations comprises au dossier. Elle n’a pas tenté d’embellir ses réponses ni de les améliorer au fil du temps. Elle a été un témoin crédible et ses éléments de preuve sont fiables.

[29]  Pour ce qui est du gendarme Coulombe, de nombreuses incohérences ont été soulevées pendant son témoignage. Par exemple, dans sa déclaration du 1er mars 2018 à l’ASIRT, il a affirmé que Mme C. F. et lui avaient regardé ensemble une vidéo pornographique sur son ordinateur avant de filmer la vidéo dans sa salle d’ordinateur. Cependant, pendant l’audience, il disait qu’il était en train de jouer à StarCraft sur son ordinateur avec un ami. Quand on lui a demandé d’expliquer cette incohérence, il a répondu que puisqu’il a reçu des fellations plus d’une fois dans cette pièce, il avait confondu certains faits.

[30]  Le gendarme Coulombe affirme avoir filmé les vidéos avec Mme C. F. pour améliorer leur vie sexuelle. Quand on lui a demandé pourquoi le couple n’avait jamais écouté les vidéos de 20 à 30 secondes qu’ils avaient filmées ensemble, il a répondu que l’occasion ne s’était jamais présentée, qu’ils passaient de moins en moins de temps ensemble parce qu’il avait commencé à fréquenter (sa petite amie actuelle) au début de 2017. Lorsque le représentant de l’autorité disciplinaire lui a demandé une fois de plus pourquoi ils n’avaient pas regardé les vidéos même si lui et Mme C. F. se voyaient encore environ une fois par semaine avant la rupture, il a répondu qu’ils avaient d’autres préoccupations, qu’ils faisaient des sorties et des activités et qu’ils travaillaient sur leur couple, mais que l’occasion de regarder les vidéos ne s’était pas présentée. Enfin, dans sa déclaration sous serment à l’ASIRT ou à l’enquêteur chargé de l’enquête disciplinaire, le gendarme Coulombe a dit avoir regardé la vidéo qu’il avait faite avec Mme J. S. Toutefois, celle-ci a fermement nié avoir regardé la vidéo, et à cet égard, je préfère de loin le témoignage de Mme J. S.

[31]  Enfin, plus le gendarme Coulombe essayait de s’expliquer, moins son témoignage était plausible et plus il devenait troublant. Après avoir examiné minutieusement l’ensemble des éléments de preuve, j’en suis venue à la conclusion que son témoignage pendant l’audience était intéressé et semblait faux. Par conséquent, j’estime qu’il n’est pas un témoin crédible et que ses éléments de preuve ne sont pas fiables.

Application du critère de conduite déshonorante

[32]  L’article 7.1 du Code de déontologie de la GRC exige que les « membres se comportent de manière à éviter de jeter le discrédit sur la Gendarmerie ». L’application du critère pour déterminer s’il y a eu « conduite déshonorante » a été élaborée par le Comité externe d’examen de la GRC, et elle comporte trois étapes. L’autorité disciplinaire doit d’abord prouver, selon la prépondérance des probabilités, les actes constituant le comportement allégué ainsi que l’identité du membre qui aurait commis ces actes. Ensuite, si la preuve a été démontrée, le comité de déontologie doit déterminer si une personne raisonnable en société, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris la réalité des services de police en général et, plus particulièrement, celle de la GRC, considérerait le comportement du gendarme Coulombe comme susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie. Enfin, le comité doit déterminer si le comportement est suffisamment lié aux devoirs et fonctions du gendarme Coulombe pour donner à la GRC un intérêt légitime à le discipliner.

Allégation 1 – Vidéos de Mme C. F.

[33]  Cette allégation concerne les deux vidéos filmées pendant que Mme C. F. faisait une fellation au gendarme Coulombe. Celui-ci a admis les précisions 1, 2, 3, 5 et 7, mais il a réfuté les précisions 4, 6 et 8.

[34]  Pour ce qui concerne la précision 2, le gendarme Coulombe a convenu que Mme C. F. avait une clé de sa résidence. Cependant, il dit qu’elle n’avait pas entièrement accès à sa résidence et qu’elle devait l’informer chaque fois qu’elle utilisait sa clé. Mme C. F. a toutefois témoigné qu’elle n’avait aucune limite concernant son accès à la résidence du gendarme Coulombe et qu’elle y allait pour nettoyer, lui apporter son épicerie, lui préparer des repas et ramasser les vêtements à envoyer au nettoyage à sec. Elle a aussi emménagé chez le gendarme Coulombe pour quelques jours lorsque les parents de ce dernier étaient venus lui rendre visite en février 2017 et qu’il avait dû aller travailler. Dans sa déclaration à l’ASIRT, le gendarme Coulombe a admis que lui aussi avait une clé de la résidence de Mme C. F.

[35]  Lors de son contre-interrogatoire par le représentant de l’autorité disciplinaire, le gendarme Coulombe s’est contredit. Au début, il disait avoir donné une clé à Mme C. F. à la fin d’août ou en septembre 2017 après que celle-ci soit restée enfermée dehors parce que la porte qui mène du garage à la maison était verrouillée. Après un questionnement plus approfondi par le représentant de l’autorité disciplinaire, le gendarme Coulombe a admis qu’en fait, Mme C. F. avait une clé de sa résidence lorsqu’elle a découvert les vidéos le 4 août 2017. À la lumière de ce qui précède, le comité de déontologie préfère la version de Mme C. F. et estime qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle avait réellement entièrement accès à la résidence du gendarme Coulombe, comme elle l’avait allégué.

[36]  En ce qui concerne l’utilisation de l’ordinateur du gendarme Coulombe par Mme C. F., les éléments de preuve démontrent que l’ordinateur n’a pas toujours été protégé par mot de passe et qu’elle s’en servait pour imprimer divers documents. Par conséquent, j’estime, une fois de plus, qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle avait réellement entièrement accès à la résidence du gendarme Coulombe, comme elle l’avait allégué.

[37]  En ce qui concerne la précision 6, le gendarme Coulombe dit n’avoir rien fait de mal et qu’il n’a pas tenté d’intimider Mme C. F. pour la convaincre de ne pas déposer une plainte. Il nie lui avoir dit qu’il y a, au sein de la GRC, une « […] forte culture de confrérie et de soutien mutuel » et qu’elle [Mme C. F.] « se ferait harceler ou qu’elle se ferait souvent arrêter sur la route pour toutes sortes de raisons, ce qu’elle ne voulait pas subir » [traduction].

[38]  Bien que les dossiers démontrent que le gendarme Coulombe pourrait avoir tenté de convaincre Mme C. F. qu’il n’avait rien fait de mal et qu’il est tout à fait normal, pour un couple, de faire des vidéos pornographiques, les éléments de preuve n’ont pas démontré qu’il avait tenté d’intimider Mme C. F. pour empêcher celle-ci de déposer une plainte à la GRC. En fait, Mme C. F. a elle-même précisé dans son témoignage qu’elle croyait, au vu des histoires racontées par le gendarme Coulombe au sujet de ses collègues, que d’autres membres de la GRC pourraient vouloir l’arrêterait ou la harceler si elle déposait une plainte. Cet élément de son témoignage correspond également au témoignage du gendarme Coulombe. Elle a aussi dit ne pas avoir subi de harcèlement, et que d’ailleurs, tous les membres de la GRC avec qui elle a eu affaire ont fait preuve de compréhension et d’empathie. Pour ces raisons, la précision 6 n’a pas été établie.

[39]  Comme les parties l’ont indiqué, le fondement de la première allégation réside dans les précisions 4 et 8. La précision 4 concerne les deux vidéos que le gendarme Coulombe a filmées pendant que Mme C. F. était en train de lui faire une fellation. Mme C. F. affirme qu’elle n’a pas vu que le gendarme Coulombe la filmait avec son téléphone intelligent et qu’elle n’a pas consenti à ce qu’il la filme pendant qu’elle se livrait à ces actes sexuels ou à ce que le gendarme Coulombe sauvegarde ces deux vidéos sur son ordinateur personnel. D’un autre côté, le gendarme Coulombe a admis avoir filmé les deux vidéos d’environ 15 à 30 secondes. Il dit être convaincu qu’il a obtenu le consentement explicite de Mme C. F. avant de la filmer et le consentement implicite de cette dernière pendant qu’il la filmait.

[40]  Malheureusement, Mme C. F. a supprimé les deux vidéos de l’ordinateur du gendarme Coulombe le 4 août 2018, soit le soir où elle les a découvertes. Les éléments de preuve confirment que le gendarme Coulombe voulait que Mme C. F. supprime les photos et les vidéos qui avaient été sauvegardées sur son ordinateur. Il s’inquiétait aussi des copies faites par Mme C. F. avec son téléphone intelligent et il lui avait demandé par message texte de les supprimer parce qu’il ne voulait pas que les vidéos soient diffusées. Par exemple, il lui a dit : « Maintenant que tout est effacé partout, je veux seulement savoir si tu as fait ce qu’il fallait et que tu les as supprimées. Aussi, je ne vois vraiment pas pourquoi tu les aurais dans ton téléphone. Commence par supprimer les photos » [traduction].

[41]  En ce qui concerne la première vidéo, les deux parties ont convenu qu’elle avait été filmée dans la cuisine de Mme C. F. Le gendarme Coulombe était debout et accoté sur le comptoir et Mme C. F. était agenouillée devant lui et lui faisait une fellation. Le gendarme Coulombe la filmait en tenant son téléphone intelligent dans sa main, au-dessus de la tête de Mme C. F.

[42]  En ce qui concerne la deuxième vidéo, les deux parties ont convenu qu’elle avait été filmée dans la résidence du gendarme Coulombe et que Mme C. F. avait été filmée pendant qu’elle lui faisait une fellation. Toutefois, elles ne s’entendent pas sur l’endroit où la vidéo a été filmée. Selon Mme C. F., la vidéo aurait été filmée pendant qu’ils étaient tous les deux assis sur le divan de cuir inclinable se trouvant à l’étage principal, alors que selon le gendarme Coulombe, elle aurait été filmée pendant qu’il était assis dans une chaise de sa salle d’ordinateur, au deuxième étage.

[43]  Pendant l’audience, dans son témoignage, le gendarme Coulombe s’est contredit sur les circonstances ayant mené à l’enregistrement de la vidéo. Comme il a été expliqué dans l’appréciation de la crédibilité de ce témoin, il a affirmé dans sa déclaration de mars 2018 à l’ASIRT qu’avant de filmer la vidéo, il regardait une vidéo pornographique avec Mme C. F., mais dans son témoignage à l’audience, il a dit qu’il jouait à StarCraft avec son ami. Une fois de plus, je préfère le compte rendu de Mme C. F., et j’ai donc déterminé que la deuxième vidéo avait été enregistrée sur le divan en cuir et non dans la salle d’ordinateur, comme le disait le gendarme Coulombe.

[44]  La question au coeur de cette précision consiste à savoir si Mme C. F. a donné ou non son consentement à se faire filmer. Pour les deux vidéos, celle-ci a témoigné ne pas avoir vu le téléphone intelligent ni avoir donné son consentement au gendarme Coulombe pour qu’il la filme. Elle a également ajouté que, même s’il avait le téléphone dans la main pendant qu’il la filmait, elle « n’aurait jamais au grand jamais pensé qu’il aurait pu [la] filmer et [lui] faire quelque chose d’aussi dévastateur » [traduction].

[45]  Pendant le contre-interrogatoire, Mme C. F. a convenu qu’il y a une différence entre le fait d’être en train d’envoyer un message texte et de simplement tenir le téléphone bien en vue pour filmer. Cependant, elle a réitéré que comme elle ne pensait pas qu’il filmait, elle n’a pas demandé de précisions. Enfin, selon elle, le gendarme Coulombe était toujours en train de regarder son téléphone intelligent pour son travail et que pour attirer son attention, Mme C. F. commençait parfois à l’embrasser ou même à se livrer à des actes sexuels.

[46]  Que Mme C. F. ait agi de façon non appropriée après la fin de leur relation n’est pas pertinent dans cette affaire. Le fait est que les vidéos ont été enregistrées pendant que les parties entretenaient une relation amoureuse qui a duré environ 17 mois. Mme C. F. a affirmé qu’elle faisait assez confiance au gendarme Coulombe pour arrêter d’utiliser des moyens de contraception et fonder une famille. Le gendarme Coulombe était aussi conscient que Mme C. F. travaille avec des familles, des jeunes et des enfants, à qui elle parle des dangers de diffuser des photos et des vidéos dans les médias sociaux. Comme elle l’a expliqué dans son témoignage, « une fois que du contenu est dans Internet, une fois qu’un enregistrement est fait, que vous savez qu’une photo a été envoyée, vous n’en avez plus le contrôle. Vous n’avez pas le contrôle sur l’endroit où elle se retrouve. Je n’ai jamais été à l’aise avec cette situation, et c’est ce que je leur montre » [traduction].

[47]  Le gendarme Coulombe a indiqué que dans de nombreuses conversations qu’il a eues avec Mme C. F. à ce sujet, celle-ci a explicitement consenti à se faire filmer, et elle aurait aussi donné son consentement implicite dans la première vidéo lorsqu’elle l’a regardé dans les yeux et souri pendant qu’il la filmait. Il a indiqué qu’elle avait aussi donné son consentement implicite dans la deuxième vidéo. Il a dit lui avoir demandé de regarder la caméra et de sourire, ce à quoi elle aurait répondu quelque chose comme « ça pourrait être difficile » [traduction]. Selon le gendarme Coulombe, la caméra était pleinement visible et il n’a absolument pas tenté de la dissimuler. Par contre, Mme C. F. a nié avoir établi un contact visuel et avoir souri.

[48]  Dans l’arrêt R. c. Ewanchuk, 1999 CarswellAlta 99, [1999], 1 R.C.S. 330, la Cour suprême du Canada a examiné la question du consentement dans une affaire portant sur une agression sexuelle, et elle a déterminé au paragraphe 49 que « la notion de «consentement» signifie que la plaignante avait, par ses paroles ou son comportement, manifesté son accord à l’activité sexuelle avec l’accusé ». Elle a également indiqué au paragraphe 31 que dans les cas où le consentement implicite est invoqué, le « juge des faits ne peut tirer que l’une ou l’autre des deux conclusions suivantes : la plaignante a consenti ou elle n’a pas consenti. Il n’y a pas de troisième possibilité ».

[49]  Je crois qu’il y a une très grande différence entre discuter de la possibilité de filmer une personne pendant qu’elle se livre à des actes sexuels et réellement filmer la personne. Il ne suffisait pas, pour passer à l’acte, que le gendarme Coulombe et Mme C. F. en aient déjà discuté. Les éléments de preuve confirment que Mme C. F. n’avait pas communiqué, soit de vive voix ou par ses actes, de façon affirmative, son consentement à faire ces vidéos. Je suis aussi certaine que le gendarme Coulombe a inventé le regard et le sourire de Mme C. F., non seulement pour la première vidéo mais aussi pour la deuxième, qui ont été filmées à différents moments. Dans sa déclaration après mise en garde à l’ASIRT, le gendarme Coulombe s’est contredit une fois de plus lorsqu’il a confirmé n’avoir jamais expressément dit à personne, y compris à Mme C. F., qu’il était en train de la filmer.

[50]  Enfin, je crois que si le gendarme Coulombe filmait vraiment ces vidéos pour améliorer leur vie sexuelle comme il le prétend, il aurait simplement dit ce qu’il faisait à Mme C. F. Il ne l’a pas fait parce qu’il savait qu’elle n’y consentirait pas.

[51]  De plus, comme l’a indiqué le représentant de l’autorité disciplinaire, on peut constater la réaction initiale de Mme C. F. à la découverte des vidéos dans l’ordinateur en lisant ses messages textes :

  • Texte 1 : « C’est quoi ça, Yannick », au sujet de la photo d’un sein nu et du visage du gendarme Coulombe dans le coin inférieur droit de la photo.
  • Texte 2 : « Tu m’as filmée pendant que je te faisais une pipe »
  • Texte 3 : « Non », en réponse au message texte du gendarme Coulombe disant « Tu m’as vu ».
  • Texte 4 : « Non, je ne t’ai pas vu », en réponse au message « Oui, tu m’as vu, quand j’ai sorti mon téléphone » du gendarme Coulombe.
  • Texte 5 : « Non, je ne t’ai pas vu »
  • Texte 6 : « sinon je ne serais pas en train de pleurer comme une Madeleine; je suis complètement démolie ».

[52]  Les éléments de preuve de Mme C. F. étaient clairs et convaincants. Elle n’a pas consenti à ce que ces deux vidéos soient filmées et elle n’a ni donné sa permission ni son consentement au gendarme Coulombe pour qu’il sauvegarde ces vidéos sur son ordinateur. Les éléments de preuve démontrent que Mme C. F. a découvert les vidéos par accident alors qu’elle utilisait l’ordinateur du gendarme Coulombe. Dans sa réponse au comité de déontologie et pendant son témoignage, le gendarme Coulombe a admis avoir supprimé les photos et les vidéos de son téléphone intelligent et les avoir sauvegardées sur son ordinateur personnel pour les protéger. En fait, il l’a fait pour que ses amis et sa famille ne les voient pas par inadvertance lorsqu’il regarde son téléphone intelligent en leur présence. Il n’a pas dit en avoir discuté avec Mme C. F.

[53]  Pour ces raisons, la précision 4 est établie selon la prépondérance des probabilités.

[54]  Enfin, en ce qui concerne la précision 8, le gendarme Coulombe a admis que Mme C. F. avait une attente raisonnable concernant la vie privée lorsqu’elle s’est livrée à des actes sexuels avec lui. Pour déterminer si le gendarme Coulombe l’a filmée à son insu, je me suis appuyée sur l’orientation donnée au paragraphe 46 de l’arrêt R. v Trinchi, 2019 ONCA 356 de la Cour d’appel de l’Ontario, qui indique :

[…] on retrouve la notion d’intention dans la définition du sens ordinaire du mot « subrepticement ». Une personne qui observe ou enregistre un acte volontairement à l’insu du sujet observé tente de ne pas attirer l’attention. […] [Non souligné dans l’original] [traduction]

[55]  À cet égard, selon le représentant du membre visé, le gendarme Coulombe n’a pas filmé les deux vidéos à l’insu de la plaignante parce que son téléphone intelligent était pleinement visible. Aussi, Mme C. F. l’a regardé dans les yeux et a souri, et le gendarme Coulombe n’a jamais tenté de dissimuler son téléphone intelligent.

[56]  Je ne suis pas d’accord avec le représentant du membre visé. Comme le gendarme Coulombe l’a dit dans son témoignage, l’objectif des vidéos était d’améliorer leur vie sexuelle. Toutefois, le couple ne les a jamais regardées ensemble parce que, selon lui, ils avaient d’autres préoccupations, ils faisaient des sorties et des activités et ils travaillaient sur leur couple, mais l’occasion de regarder les vidéos ne s’est pas présentée. De plus, la durée des vidéos est suspecte. Comme elles ne durent que de 15 à 30 secondes, il y a lieu de se poser des questions sur la motivation réelle du gendarme Coulombe pendant qu’il les filmait. Je conclus donc que l’explication de celui-ci semble fausse.

[57]  En fait, il a admis dans ses messages texte qu’il « utilise ces vidéos plutôt de la porno parce que c’est excitant… je regarde nos vidéos plutôt que de la porno » [traduction]. Il a aussi fait l’effort de supprimer les vidéos de son téléphone intelligent, de les sauvegarder sur son ordinateur personnel et d’identifier chaque vidéo par nom et acte, ce qui démontre qu’il a eu amplement l’occasion de regarder les vidéos avec Mme C. F. mais qu’il a choisi volontairement de ne pas lui montrer parce qu’il savait qu’elle n’était pas au courant qu’il l’avait filmée.

[58]  Pour toutes les raisons susmentionnées, je conclus que les deux fois où le gendarme Coulombe a filmé Mme C. F. alors qu’elle s’adonnait à des actes sexuels, il tentait d’éviter d’attirer l’attention de celle-ci sur ce qu’il faisait et que, ainsi, il le faisait à son insu, ou subrepticement. La précision 8 est donc établie selon la prépondérance des probabilités.

Allégation 2 – Vidéos de Mme J. S.

[59]  En ce qui concerne l’allégation 2, le gendarme Coulombe a admis les précisions 1, 2 et 3, mais il a réfuté les précisions 4, 5 et 6.

[60]  Pour ce qui concerne les précisions 4 et 5, Mme J. S. a nié avoir consenti à ce que des vidéos ou des photos d’elle soient faites pendant qu’elle se livrait à des actes sexuels avec le gendarme Coulombe. Elle a précisément déclaré n’avoir « jamais donné [son] consentement pour être filmée pendant [que j’avais] des rapports sexuels » [traduction]. Elle a aussi déclaré n’avoir jamais regardé de vidéos filmées pendant que le couple avait des rapports sexuels, comme l’a suggéré le gendarme Coulombe. De son côté, il était absolument certain d’en avoir discuté avec elle avant de la filmer et qu’elle y avait consenti à la condition que son visage en soit pas visible : « Je ne ferais jamais au grand jamais des vidéos d’une personne sans son consentement, et je n’ai jamais essayé de prendre des photos à l’insu d’une personne et sans son consentement. Ce n’est absolument pas quelque chose que je ferais » [traduction].

[61]  Dans son témoignage, Mme J. S. a été très claire. Aucune des photos ou des vidéos d’elle-même qu’elle a envoyées au gendarme Coulombe ne montre son visage, pour éviter d’être reconnue. Toutefois, elle n’a pas donné son consentement au gendarme Coulombe pour qu’il filme la vidéo et elle n’a pas regardé cette vidéo avec lui dans l’escalier, comme il le prétend.

[62]  Compte tenu de mon appréciation de la crédibilité et de la fiabilité de Mme J. S., je ne vois pas pourquoi elle ferait des déclarations publiques à propos de sa vie sexuelle personnelle et qu’elle témoignerait à cette audience si elle avait consenti à faire la vidéo. La fin de leur relation amoureuse ne l’a pas remplie d’animosité à l’égard du gendarme Coulombe, et elle n’a aucune raison de mentir. Ce n’est pas parce qu’elle a déjà envoyé des photos d’elle nue ou des vidéos d’elle au gendarme Coulombe qu’elle lui a donné son consentement, explicite ou implicite, pour qu’il l’a filme. Comme je l’ai déjà dit, il y a une très grande différence entre discuter de faire un film, et vraiment faire le film.

[63]  Dans le témoignage de Mme J. S., j’ai également trouvé révélateur le fait qu’elle dit avoir déjà fait une vidéo avec un autre partenaire mais qu’elle ne faisait pas assez confiance au gendarme Coulombe pour en faire un avec lui : « Jusqu’à maintenant, il y a une seule personne avec qui je me suis sentie assez à l’aise et en confiance pour filmer un moment aussi intime, et cette personne, ce n’est pas Yannick » [traduction].

[64]  En examinant l’ensemble des éléments de preuve, j’ai constaté que son témoignage correspond à celui de Mme C. F. Ces deux femmes, qui ne se connaissent pas et qui ne se sont jamais parlé, ont clairement affirmé qu’elles n’étaient pas au courant de l’existence des vidéos, qu’elles ne les ont pas regardées avec le gendarme Coulombe et qu’elles ne lui ont jamais donné la permission de les sauvegarder sur son ordinateur.

[65]  Pour ces raisons, je préfère de loin les éléments de preuve soumis par Mme J. S. à ceux du gendarme Coulombe, et j’estime que les précisions 4 et 5 sont établies selon la prépondérance des probabilités.

[66]  Pour ce qui concerne la précision 6, le gendarme Coulombe a admis que Mme J. S. avait une attente raisonnable concernant la vie privée lorsqu’elle s’est livrée à des actes sexuels avec lui.

[67]  Selon le témoignage du gendarme Coulombe, Mme J. S. aurait été totalement d’accord avec l’enregistrement de la vidéo. Il affirme aussi qu’ils ont regardé la vidéo ensemble dans l’escalier, et que Mme J. S. en avait une copie. Les éléments de preuve permettent de confirmer que Mme J. S. n’a jamais eu une copie de la vidéo et que le couple ne l’a jamais regardée ensemble. Mme J. S. a découvert l’existence de la vidéo lorsque le sergent Bellamy lui a posé des questions à ce sujet pendant l’enquête disciplinaire. Enfin, puisque la vidéo dure moins de 30 secondes, il y a lieu de se demander quelle était l’intention réelle du gendarme Coulombe en la filmant. J’estime qu’il tentait d’éviter d’attirer l’attention de Mme J. S. pendant qu’il l’a filmait alors qu’ils avaient des rapports sexuels.

[68]  En fait, les éléments de preuve indiquent que Mme J. S. n’avait pas conscience que le gendarme Coulombe était en train de les filmer avec son téléphone intelligent pendant qu’ils avaient des rapports sexuels ensemble, puisqu’à ce moment, elle était dans une position sexuelle où son visage pointait de l’autre côté. Pendant son contre-interrogatoire, lorsque le représentant du membre visé lui a demandé si elle aurait remarqué si le gendarme Coulombe avait pris son téléphone ou s’il avait le téléphone dans les mains, elle a répondu candidement : « Si je lui faisais face, oui, ce qui n’était clairement pas le cas dans la vidéo » [traduction].

[69]  Pour les raisons susmentionnées, j’estime que le gendarme Coulombe savait que Mme J. S. n’était pas au courant qu’elle se faisait filmer. Il avait l’intention de la filmer à son insu. Par conséquent, la précision 6 est établie.

Lien avec les fonctions de l’emploi

[70]  Comme il a été conclu que les plaignantes n’ont pas consenti à se faire filmer et qu’elles n’ont jamais donné leur permission pour que le gendarme Coulombe sauvegarde les vidéos sur son ordinateur, je dois maintenant déterminer si cette conduite déshonorable jette le discrédit sur la GRC et si elle est suffisamment liée aux fonctions du membre visé pour que des sanctions soient nécessaires.

[71]  Même s’il est généralement accepté que les membres de la GRC doivent respecter des normes de comportement plus strictes que le grand public, qu’ils soient en service ou non, on n’attend pas d’eux qu’ils soient parfaits (La Reine et Archer c. White [1956] R.C.S. 154 à 158).

[72]  Conformément au Guide des mesures disciplinaires (2014) :

[…] La conduite en dehors des heures de service qui ne constituerait pas normalement une infraction criminelle peut tout de même être jugée déshonorante s’il est raisonnable de s’attendre, dans les circonstances, que le comportement nuise à la réputation de la GRC ou à la capacité du membre de s’acquitter de ses fonctions de policier. […]

[73]  De plus, l’article 37 de la Loi sur la GRC stipule qu’il « incombe à tout membre de se conduire en tout temps d’une façon courtoise, respectueuse et honorable ».

[74]  Dans l’affaire en question, le représentant du membre visé a indiqué qu’à moins qu’elles soient de nature criminelle, les activités sexuelles auxquelles s’adonnent les membres de la GRC dans l’intimité de leur chambre à coucher lorsqu’ils ne sont pas en service n’ont aucun lien avec l’intérêt et les responsabilités de la GRC. Sinon, selon le représentant du membre visé, s’il est déterminé qu’il existe un lien entre celles-ci, on risque de se retrouver avec des situations « inutilement intrusives et [avec] la possibilité que des violations du code de déontologie soient soulevées chaque fois qu’une procédure de divorce devient acrimonieuse » [traduction]. Il a aussi cité l’Alberta Law Enforcement Review Board [1] , qui indique ce qui suit :

[…] Notre société libre et démocratique reconnaît depuis longtemps que les employés (tant au privé qu’au public) ont le droit d’avoir une vie privée lorsqu’ils ne sont pas en service. Pendant cette période, ils sont libres de choisir les activités auxquelles ils s’adonnent et de réglementer leur propre conduite respectueuse des lois comme bon leur semble, tant que cette conduite ne cause pas de tort d’une quelconque façon à leur employeur. Pour les employés qui ne sont pas en service, il existe une présomption prima facie en faveur du droit à la vie privée, de la non-ingérence et de l’absence de surveillance. […] [traduction]

[75]  Le représentant de l’autorité disciplinaire n’était pas d’accord et il estime que les actes du gendarme Coulombe relèvent du domaine de l’inconduite sexuelle parce qu’il a violé l’intégrité sexuelle des deux plaignantes et abusé de la confiance de ces femmes pendant les moments les plus intimes d’un couple. Cette inconduite a violé l’intégrité sexuelle et le droit à la vie privée de ces femmes. Le fait que les vidéos étaient très courtes n’a ni limité le traumatisme subi par les deux femmes ni atténué la gravité de la violation. On remarque une progression de la sensibilisation aux dommages que peut causer l’enregistrement non consenti d’images et de vidéos sexuellement explicites au moyen de nouvelles technologies, comme le téléphone intelligent. La violation de l’intégrité sexuelle des plaignantes ne concerne pas seulement le fait qu’elles ont été filmées, mais aussi que la personne peut réutiliser et diffuser les vidéos, ce qui, heureusement, n’a pas été le cas ici.

[76]  Le représentant de l’autorité disciplinaire a également cité la décision de septembre 2017 de la Commission civile des services policiers de l’Ontario rendue dans l’affaire Orser [2] , qui indique ce qui suit au paragraphe 58 de la version originale anglaise :

Avec les technologies sont survenues de nouvelles façons d’intimider, de dénigrer, d’humilier et de maltraiter autrui. On remarque une progression de la sensibilisation aux dommages que peut causer l’enregistrement non consenti d’images et de vidéos sexuellement explicites au moyen de nouvelles technologies, comme le téléphone intelligent. Nous devrions tous pouvoir profiter de notre droit au respect de la vie privée qui suppose que nos moments les plus personnels et intimes ne seront pas diffusés à d’autres personnes sans notre consentement. [traduction]

[77]  Enfin, le représentant de l’autorité disciplinaire a bien précisé que si le comité de déontologie déterminait que Mme C. F. et Mme J. S. avaient consenti à se faire filmer et qu’elles étaient des participantes consentantes, que le gendarme Coulombe ne devrait pas être tenu responsable dans le cadre de ces procédures.

[78]  Comme il a déjà été mentionné, les faits de l’espèce ont établi que Mme C. F. et Mme J. S. n’ont pas consenti à être filmées à leur insu par le gendarme Coulombe alors qu’elles s’adonnaient à des actes sexuels dans l’intimité de leur résidence. Elles n’ont pas non plus consenti à ce que les vidéos soient sauvegardées dans l’ordinateur personnel du gendarme Coulombe. Compte tenu de la nature de son inconduite, le gendarme Coulombe a violé la confiance et l’intégrité personnelle des plaignantes.

[79]  Bien que sa conduite en dehors de ses heures de service ne constitue pas une infraction criminelle comme du voyeurisme, elle est toutefois très grave. Il a agi de façon irresponsable et porté atteinte à la vie privée des plaignantes dans les circonstances les plus intimes qui soient, et il a exacerbé cette violation en sauvegardant les vidéos sur son ordinateur personnel. Même s’il n’a jamais diffusé ces vidéos, le gendarme Coulombe a tout de même agi de façon imprudente en les sauvegardant sur son ordinateur et en ne prenant aucune mesure pour empêcher quiconque d’y accéder. Son inconduite a violé les valeurs fondamentales de la GRC, soit l’intégrité, l’honnêteté, le professionnalisme, la compassion, le respect et la responsabilité. De plus, les circonstances entourant le comportement du gendarme Coulombe pourraient raisonnablement avoir une incidence défavorable sur la confiance du public à l’égard de la GRC et sur la réputation de celle-ci.

[80]  Pour ces raisons, j’estime qu’une personne raisonnable en société, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris la réalité des services de police en général et, plus particulièrement, celle de la GRC, considérerait le comportement du gendarme Coulombe comme susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie. Son comportement est donc suffisamment lié à ses devoirs et fonctions pour donner à la GRC un intérêt légitime à le discipliner.

[81]  L’autorité disciplinaire n’a pas eu besoin d’établir toutes les précisions; plutôt, il suffisait que celles qui ont été établies atteignent le seuil permettant de conclure qu’il y a eu conduite déshonorante. Bien que la précision 6 de la première allégation n’ait pas été établie, pour les raisons susmentionnées, je conclus que la première et la deuxième allégation sont fondées selon la prépondérance des probabilités.

MESURES DISCIPLINAIRES

[82]  Le Comité externe d’examen de la GRC a établi une analyse en trois étapes des mesures disciplinaires qui s’imposent. Premièrement, un comité de déontologie doit établir la gamme des mesures disciplinaires appropriées à l’inconduite en question. Il doit ensuite prendre en considération les facteurs aggravants et atténuants. Enfin, il doit imposer des mesures disciplinaires qui reflètent de façon juste et équitable la gravité de l’inconduite en question, en tenant compte du principe de la parité de la sanction.

Gamme des mesures disciplinaires

[83]  Comme le représentant du membre visé l’a indiqué, les deux allégations d’enregistrement non consenti des vidéos ne s’inscrivent dans aucune catégorie précise prévue dans le Guide des mesures disciplinaires (2014), qui fournit des lignes directrices quant aux éléments dont il faut tenir compte au moment d’imposer des mesures disciplinaires. Toutefois, bien qu’il s’agisse d’une référence utile, le Guide n’est ni déterminant ni contraignant pour ce qui a trait au comité de déontologie.

[84]  Pour appuyer sa position visant les mesures disciplinaires, le représentant de l’autorité disciplinaire s’est référé à la décision Le Commandant de la Division E c. gendarme Hedderson [3] pour faire valoir que la violation de l’intégrité sexuelle s’inscrit dans la catégorie des inconduites sexuelles. Compte tenu de la nature extrêmement grave de cette inconduite et du fait que la GRC reconnaît qu’un tel comportement devrait être sévèrement puni, le comité de déontologie demande dans ces cas que la mesure disciplinaire adoptée soit le congédiement.

[85]  Le représentant de l’autorité disciplinaire s’est également référé à une deuxième décision, soit celle de 2019 rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Jarvis [4] , dans laquelle un enseignant a été reconnu coupable de voyeurisme après avoir utilisé une caméra dissimulée dans un stylo pour enregistrer des images d’élèves de sexe féminin. Selon le représentant de l’autorité disciplinaire, cette décision montre à quel point une violation qui survient lorsqu’une personne est filmée à son insu répugne la société, en raison de l’état de vulnérabilité que cette infraction représente parce que le délinquant a trahi la confiance de la victime comme l’a fait le gendarme Coulombe.

[86]  Enfin, le représentant de l’autorité disciplinaire s’est référé à la décision de la Commission civile des services policiers de l’Ontario rendue dans l’affaire Orser, dans laquelle la décision de l’agent d’audience de la Police provinciale de l’Ontario ayant ordonné au membre de démissionner était maintenue. La Commission estimait que l’inconduite à l’examen était si grave et inacceptable que le membre n’était pas un candidat viable pour la réadaptation. Dans cette affaire, le policier avait filmé ses ébats sexuels avec son ancienne petite amie sans le consentement de cette dernière et, après leur rupture, il avait montré la vidéo à des collègues à deux occasions distinctes.

[87]  Même si cette affaire comporte certaines similitudes avec le cas actuellement à l’examen, elle comporte également d’importantes différences. Premièrement, la vidéo avait été diffusée sur les lieux de travail et l’agent avait déjà fait l’objet de mesures disciplinaires pour avoir fait des remarques à connotation sexuelle pendant l’exercice de ses fonctions. Deuxièmement, l’ancienne petite amie du policier s’était rendu compte qu’elle se faisait filmer malgré le fait qu’elle n’y avait pas consenti. Troisièmement, elle avait demandé au policier qu’il supprime la vidéo, mais il avait menti et l’avait gardée. Cette femme avait régulièrement affaire à des membres de la Police provinciale de l’Ontario dans le cadre de son emploi, dont des membres du détachement pour lequel le policier en question travaillait. Enfin, le policier avait déjà fait l’objet de mesures disciplinaires pour avoir déjà eu, avec une jeune femme, une interaction inappropriée décrite comme ayant des « connotations sexuelles » dans l’exercice de ses fonctions.

[88]  Le représentant du membre visé s’est référé aux décisions de 2019 rendues par des comités de déontologie antérieurs, notamment Pulsifer [5] , Allen [6] , Brown [7] et Little [8] , et la décision Caram [9] de 2017. Selon lui, toutes ces décisions concernaient des conclusions portant sur l’intégrité sexuelle et dans le cadre desquelles les comités de déontologie ont imposé des mesures disciplinaires moins sévères que le congédiement. Il a recommandé une sanction générale consistant en une confiscation de 30 jours de solde.

[89]  Même si je ne suis pas liée par les décisions antérieures des comités de déontologie ou par les autres affaires soumises par les parties, ces décisions et affaires sont tout de même très utiles pour établir la gamme des mesures disciplinaires qui est appropriée pour des inconduites de nature semblable, tout en garantissant l’uniformité et l’impartialité pour ce qui a trait aux questions disciplinaires ayant déjà été jugées. Je suis convaincue que le congédiement s’inscrit dans la gamme des mesures disciplinaires possibles pour cette contravention au Code de déontologie de la GRC.

[90]  Je reconnais que le congédiement est la mesure disciplinaire la plus sévère qui puisse être imposée. Pour déterminer si cette mesure est appropriée en l’occurrence, je dois considérer les facteurs aggravants et atténuants.

Facteurs aggravants

[91]  Je considère comme aggravants les facteurs suivants :

  1. L’enregistrement clandestin de ces trois vidéos par le gendarme Coulombe n’était pas un incident isolé.
  2. Ce comportement constitue une importante trahison et violation de la confiance de la part d’un partenaire intime, qui est aussi un policier et qui est responsable de faire respecter la loi.
  3. Les incidents ont eu des répercussions pour les plaignantes. Celles-ci ont toutes deux témoigné avoir ressenti de la honte et de la gêne concernant les vidéos, et par le fait qu’elles ont dû fournir des déclarations et parler de leurs actes sexuels intimes lors d’une audience publique.

Facteurs atténuants

[92]  Je considère comme atténuants les facteurs suivants :

  1. Le gendarme Coulombe compte environ neuf années de service productif au sein de la GRC. Ses évaluations du rendement sont toutes très positives, et il y est décrit comme une personne ayant une éthique de travail remarquable et un grand potentiel.
  2. Il n’a jamais fait l’objet d’une mesure disciplinaire.
  3. Selon les lettres de recommandation soumises par ses pairs, ses superviseurs et sa conjointe actuelle, le gendarme Coulombe a toujours été professionnel et fiable. Il n’a jamais eu de comportements irrespectueux ou désobligeants envers des collègues hommes ou femmes, ou envers des membres du public. Il continue d’avoir le soutien de ses pairs, de sa famille, de son superviseur immédiat et de ses superviseurs antérieurs.
  4. Le gendarme Coulombe a filmé les vidéos pendant qu’il n’était pas en service, alors qu’il était dans l’intimité de sa résidence ou de celle de Mme C. F.
  5. Les vidéos ont été filmées pour son usage personnel seulement. Il ne les a jamais diffusées (par exemple dans les médias sociaux ou par courriel, etc.), ni montrées à des amis ou à des collègues en milieu de travail. Le gendarme Coulombe n’a plus aucune copie des vidéos, qui ont été complètement supprimées par Mme C. F. Par conséquent, les plaignantes peuvent être certaines qu’aucune diffusion de ces vidéos n’est possible.

[93]  Pris ensemble, ces facteurs atténuants indiquent une probabilité de récidive minimale. Par conséquent, je n’ai aucune raison de soupçonner que le gendarme Coulombe commettrait d’autres infractions de nature similaire.

Parité des sanctions

[94]  L’alinéa 36.2(e) de la Loi sur la GRC statue que les mesures disciplinaires imposées doivent être adaptées à la nature et aux circonstances des contraventions aux dispositions du code de déontologie et, s’il y a lieu, des mesures éducatives et correctives plutôt que punitives doivent être prévues.

[95]  Après avoir examiné le dossier qui m’a été soumis, et compte tenu de la nature et de la gravité de l’inconduite et des cas soumis, je conclus que la gravité des actes commis par le gendarme Coulombe est atténuée au vu de l’existence d’importants facteurs atténuants. Pour cette raison, j’estime que le congédiement n’est pas une sanction proportionnelle dans cette affaire.

[96]  Toutefois, étant donné les circonstances précises de cette affaire, j’estime que des mesures disciplinaires strictes sont requises, non seulement pour dissuader le gendarme Coulombe de s’adonner de nouveau à de tels comportements, mais aussi pour avertir les autres membres de la Gendarmerie que ce type de comportement n’est pas approprié.

Conclusion

[97]  Compte tenu de la nature des deux allégations fondées et du caractère semblable des incidents décrits, j’estime que l’imposition d’une sanction générale est appropriée. Par conséquent, conformément à l’alinéa 45(4) de la Loi sur la GRC, j’impose les mesures disciplinaires suivantes :

  1. Une pénalité financière équivalente à 30 jours de la solde du gendarme Coulombe, à déduire de ce solde;
  2. L’inadmissibilité à toute promotion pour une période de deux ans, à partir du moment où le gendarme Coulombe réintégrera son emploi;
  3. L’assujettissement du gendarme Coulombe à une stricte surveillance pendant le travail pour une période d’un an, à partir du moment où il réintégrera son emploi.

[98]  L’une ou l’autre des parties peut interjeter appel de cette décision en déposant une déclaration d’appel auprès de la commissaire dans les 14 jours suivant la signification de la décision au membre visé, conformément à ce qui est prévu à l’article 45.11 de la Loi sur la GRC et à l’article 22 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-293.

 

 

Le 21 novembre 2019

Josée Thibault

Comité de déontologie de la GRC

 

Date

 



[1] Commandant de la Division E c. gendarme Marshall, 2015 DARD 1

[2] Orser c. Police provinciale de l’Ontario, 2018 CCSPO 7

[3] Le Commandant de la Division E c. gendarme Hedderson, 2018 DARD 19

[4] R. c. Jarvis, 2019 C.S.C. 10

[5] Le Commandant de la Division H c. gendarme Pulsifer, 2019 DARD 09

[6] Le Commandant de la Division H c. gendarme Allen, 2019 DARD 10

[7] Le Commandant de la Division K c. gendarme Brown, 2019 DARD 15

[8] Le Commandant de la Division E c. gendarme Little – utilisé la décision rendue oralement le 28 août 2019.

[9] Le Commandant de la Division E c. gendarme Caram, 2017 DARD 8

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