Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

Le 13 septembre 2017, le commandant de la Division « E » a envoyé un Avis à l’officier désigné, qui contenait sept allégations contre l’inspecteur Manj. Avant le début de l’audience disciplinaire, l’une de ces allégations a été rejetée puisqu’elle a été déposée après la fin du délai (2019 DARD 16) et deux autres ont été rejetées par l’autorité disciplinaire. L’audience disciplinaire a été tenue du 30 septembre au 4 octobre 2019, à Richmond, en Colombie-Britannique. J’ai entendu la preuve et les observations relatives aux allégations restantes, puis j’ai rendu, le 4 octobre 2019, une décision de vive voix dans laquelle j’ai rejeté les quatre allégations restantes. La présente constitue la décision écrite.

Contenu de la décision

Protégé A

2019 DARD 20

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GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

Dans l’affaire d’une audience disciplinaire au titre de la

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C., 1985, ch. R-10

ENTRE :

Commandant de la Division E

Autorité disciplinaire

et

Inspecteur Sukhjit Manj

Matricule O2922

Membre visé

Décision du Comité de déontologie (corrigée)

Gerald Annetts

8 novembre 2019

Sergent d’état-major Jonathon Hart et Jordan Levis-Leduc, pour l’autorité disciplinaire

Stephen Rogers et Allison Tremblay, pour l’inspecteur Manj


Table des matières

SOMMAIRE  3

INTRODUCTION  4

ALLÉGATION NO 3  6

Analyse  8

Y avait-il un ordre ou une directive légitime?  8

ALLÉGATION NO 6  13

Analyse  15

ALLÉGATION NO 4  22

Analyse  23

ALLÉGATION NO 7  27

Analyse  29

OBERVATIONS S FINALES  29

CONCLUSION  31

 

SOMMAIRE

Le 13 septembre 2017, le commandant de la Division « E » a envoyé un Avis à l’officier désigné, qui contenait sept allégations contre l’inspecteur Manj. Avant le début de l’audience disciplinaire, l’une de ces allégations a été rejetée puisqu’elle a été déposée après la fin du délai (2019 DARD 16) et deux autres ont été rejetées par l’autorité disciplinaire. L’audience disciplinaire a été tenue du 30 septembre au 4 octobre 2019, à Richmond, en Colombie-Britannique. J’ai entendu la preuve et les observations relatives aux allégations restantes, puis j’ai rendu, le 4 octobre 2019, une décision de vive voix dans laquelle j’ai rejeté les quatre allégations restantes. La présente constitue la décision écrite.


INTRODUCTION

[1]  Certains événements antérieurs menant aux problèmes présentés dans les allégations doivent être expliqués afin de bien comprendre le contexte de l’ensemble du présent processus relatif au Code de déontologie. J’établirai d’abord les faits non contestés avant d’examiner les allégations.

[2]  L’inspecteur Manj a été nommé officier responsable du détachement de Lloydminster pendant l’été 2014. Il s’agissait de sa première affectation à titre d’officier breveté. Il relevait du surintendant Wendell Reimer, l’officier responsable des Opérations du district, qui était aussi l’agent de district par intérim à ce moment. Au début de mars 2016, le surintendant principal, Shahin Mehdizadeh, a pris la relève à titre d’agent de district, et l’inspecteur Manj relevait de lui, par l’intermédiaire du surintendant Reimer.

[3]  Pendant les douze à dix-huit premiers mois de son affectation à titre d’officier responsable du détachement de Lloydminster, tous s’entendaient pour dire que l’inspecteur Manj gérait les opérations du détachement de façon admirable. Cependant, certains conflits entre employés sont survenus au bureau, et certaines relations se sont détériorées au point où l’un des sous-officiers consultatifs du district de l’Est de l’Alberta a mené un « examen du bien-être » en février 2016. Cet examen a permis de découvrir une division au sein du détachement, ou il en a été la cause partielle, et de fortes opinions se sont formées en faveur du leadership de l’inspecteur Manj ou contre celui-ci. Je ne connais pas officiellement les résultats de cet examen, et ils ne sont pas pertinents à ma décision concernant les allégations.

[4]  À la fin de novembre 2015, le détachement de Lloydminster a organisé une « réception de Noël », suivie d’une rencontre sociale tenue au domicile de l’inspecteur Manj. Pendant cette rencontre, l’inspecteur Manj a fait quelques remarques qui l’ont mené à croire que sa gestionnaire de bureau, l’employée municipale D.R., fréquentait un membre de son détachement, le gendarme F. L’inspecteur Manj croyait que cette relation devait être signalée en vertu de la Politique sur les relations interpersonnelles en milieu de travail de la GRC. À la fin de décembre 2015 ou au début de janvier 2016, il a demandé à Mme D.R. si elle fréquentait le gendarme F., ce qu’elle a nié. Il en a ensuite parlé à d’autres membres du détachement, dont la sergente Knelsen et le sergent Walker. Le fait qu’il ait abordé le sujet avec eux et avec Mme D.R. a mené à la détérioration de ses relations avec cette dernière et a contribué au conflit au sein du milieu de travail au détachement de Lloydminster. Avant cette rencontre, la famille de l’inspecteur Manj et celle de Mme D.R. passaient beaucoup de temps ensemble, socialement, à l’extérieur du travail. À la fin de mai 2016, Mme D.R. est partie en congé de maladie. Les doutes de l’inspecteur Manj au sujet de sa relation avec le gendarme F. ont peut-être contribué à cette situation, mais aucun élément de preuve n’a été présenté précisément à ce sujet. Cela a mené à une rencontre entre Mme D.R., le surintendant principal Mehdizadeh et le surintendant Reimer le 30 mai 2016. Pendant cette rencontre, elle a exprimé sa frustration en raison de ce qu’elle percevait comme de l’ingérence dans sa vie personnelle de la part de l’inspecteur Manj, qui se préoccupait de sa relation, dont elle niait l’existence. Ce déni était faux, puisqu’elle et le gendarme F. entretenaient bel et bien une relation amoureuse ou sexuelle pendant la période visée par les allégations.

[5]  La même journée, dans l’après-midi, le surintendant principal Mehdizadeh et le surintendant Reimer ont rencontré l’inspecteur Manj. Cette relation a été l’un des nombreux sujets de conversation pendant cette rencontre, où l’autorité disciplinaire a soutenu que le surintendant principal Mehdizadeh avait demandé précisément à l’inspecteur Manj de cesser de tenter d’en savoir davantage sur la relation. L’allégation no 3 est fondée sur l’omission de l’inspecteur Manj de se conformer à cette directive légitime.

[6]  Vers la fin de l’après-midi du 20 juillet 2016, l’ex-épouse du gendarme F., Mme V.F., a été informée par la propriétaire de l’appartement du gendarme F. et/ou par la femme de l’inspecteur Manj, la caporale Tammy Hollingsworth, qu’une femme que l’on croyait être son amoureuse était à se appartement. Mme V.F. s’est rendue à la résidence du gendarme F. en voiture. Lorsque ce dernier a ouvert la porte, elle a tenté d’entrer et de monter l’escalier afin de voir qui était sur les lieux. Le gendarme F. a refusé de la laisser entrer et l’a fait sortir de force en l’agrippant par les bras et en l’éloignant de la porte. Elle avait une petite égratignure et/ou une ecchymose sur le bras à la suite de cet événement. Mme D.R. se trouvait au domicile du gendarme F. à ce moment, mais elle y est demeurée et elle n’est pas intervenue lors de l’altercation. L’allégation no 6 est fondée sur l’omission de l’inspecteur Manj de prendre les mesures nécessaires pour que cet incident fasse l’objet d’une enquête appropriée et sur le fait qu’il n’a pas veillé à la sécurité de Mme V.F.

[7]  Immédiatement après l’altercation survenue à son domicile le 20 juillet 2016, entre 18 h 15 et 18 h 30, le gendarme F. a téléphoné à son superviseur, la sergente Knelsen, pour l’informer de ce qui s’était produit. Elle a indiqué qu’elle a écouté son explication et lui a conseillé de téléphoner au détachement de Kitscoty afin de « le faire consigner », mais que c’était son choix. Le domicile du gendarme F. fait partie du territoire dont le détachement de Kitscoty est responsable. La sergente Knelsen a ensuite téléphoné immédiatement à l’inspecteur Manj pour l’informer de l’incident. Le lendemain, le 21 juillet 2016, la sergente Knelsen se rendait à l’étranger pour un voyage lié au travail et l’inspecteur Manj partait en vacances. Le sergent Walker était l’officier responsable par intérim depuis la fin du quart de travail de l’inspecteur Manj le 20 juillet 2016.

[8]  Lorsque la sergente Knelsen et l’inspecteur Manj sont retournés au travail, l’inspecteur Manj aurait téléphoné à la sergente Knelsen et lui aurait demandé de rencontrer le superviseur de la Ville de Lloydminster au nom de Mme D.R. et de lui dire qu’elle ne pouvait plus travailler avec elle et que Mme D.R. devait être congédiée puisqu’elle mentait. Il aurait aussi abordé la sergente Knelsen au travail et lui aurait indiqué qu’il allait détruire Mme D.R. parce qu’elle avait détruit sa vie. C’est là le fondement de l’allégation no 4.

[9]  La dernière allégation, l’allégation no 7, est constituée de huit cas où, selon l’autorité disciplinaire, l’inspecteur Manj a menti dans une déclaration fournie à l’enquêteur du Code de déontologie, le 3 juillet 2017, au sujet des événements présentés plus haut.

ALLÉGATION NO 3

[10]  L’allégation no 3 est libellée ainsi dans l’Avis d’audience disciplinaire :

Allégation no 3

Le 30 mai 2016 ou entre le 30 mai 2016 et le 13 août 2016, à Lloydminster dans les provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan, ou près de cet endroit, l’inspecteur Sukhjit MANJ a omis de se conformer aux ordres et aux directives légitimes, en violation du paragraphe 3.3 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Sous-détails relatifs à la contravention

1. À toutes les dates pertinentes, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en poste au sein de la division K du détachement de la GRC à Lloydminster à titre d’officier responsable.

2. Mme [D.R.] était une employée municipale au détachement de la GRC à Lloydminster. Votre femme, (caporale [cap.]) Tammy Hollingsworth (« cap. Hollingsworth »), était une amie proche de Mme [V.F.]. Avec la caporale Hollingsworth, vous avez décidé, de façon délibérée, de vous mêler des problèmes matrimoniaux de Mme V.F. [Mme V.F.] est l’ex-épouse du [gendarme F.], le maître-chien de la GRC affecté au détachement de Lloydminster, où il est supervisé par la sergente Sarah Knelsen.

3. Le [gendarme F.] habitait dans une chambre louée sur la propriété de M. [G.M.] et de Mme [D.M.]. Le motif sous-jacent pour lequel vous vous êtes mêlé de la vie privée du [gendarme F.] et de Mme [D.R.] était simplement que vous ne pouviez pas accepter que lui et Mme [D.R.] entretenaient des liens personnels étroits. De plus, vous croyiez que Mme [D.R.] avait l’obligation professionnelle de vous signaler, en tant qu’officier responsable du détachement, qu’elle entretenait une relation personnelle avec le [gendarme F.]. Quand Mme [D.R.] a refusé de reconnaître qu’elle entretenait bel et bien une relation personnelle avec le [gendarme F.], vous en avez fait une mission personnelle de recueillir des éléments de preuve démontrant l’existence de la relation.

4. Le surintendant principal [(surint./pr.)] Shahin Mehdizadeh (« Mehdizadeh ») et le surintendant Wendell Reimer ont tous les deux pris connaissance de votre tentative de recueillir de l’information sur les liens personnels étroits qu’entretenaient le [gendarme F.] et Mme [D.R.], et ils vont ont demandé de vous rencontrer en personne, puisqu’ils étaient vos superviseurs. Pendant cette rencontre, le surint. pr. Mehdizadeh vous a informé qu’il n’existait aucun lien hiérarchique entre Mme [D.R.] et le [gendarme F.]. Il vous a aussi mentionné que ce n’était pas votre problème et que vous ne deviez pas vous en mêler. Le surint. pr. Mehdizadeh vous a informé que ni le [gendarme F.] ni Mme [D.R.] n’avait l’obligation de vous signaler cette relation, et il vous a ordonné de cesser tout ce que vous faisiez pour la mettre au jour. Vous avez omis de vous conformer à cette directive et vous avez continué de chercher activement des éléments de preuve pour révéler l’existence de la relation, même si vos superviseurs vous ont ordonné d’arrêter à plus d’une reprise.

[Traduit tel que reproduit dans la version anglaise.]

Analyse

[11]  Le contexte est quelque peu expliqué dans les trois premières allégations, mais la majeure partie de l’allégation est contenue dans le sous-détail 4. Essentiellement, l’allégation est que le surintendant principal Mehdizadeh a dit à l’inspecteur Manj que la relation amoureuse qu’entretenaient le gendarme F. et Mme D.R. n’était pas son problème. Le surintendant principal Mehdizadeh lui a ordonné de cesser tout ce que vous faisiez pour mettre cette relation au jour. Malgré cette directive, l’inspecteur Manj. « continué de chercher activement des éléments de preuve pour révéler l’existence de la relation ». L’allégation relève de l’article 3.3 du Code de déontologie. L’autorité disciplinaire doit donc prouver deux éléments essentiels : 1) qu’un ordre légitime a été donné ou qu’une directive légitime a été émise; 2) que l’inspecteur Manj a omis de se conformer à cet ordre ou à cette directive. L’omission de prouver l’un ou l’autre des éléments requis est fatale pour l’autorité disciplinaire en l’espèce.

Y avait-il un ordre ou une directive légitime?

[12]  La directive alléguée par l’autorité disciplinaire n’a pas été fournie par écrit. Elle doit donc être reconstituée à partir des documents contenus dans le matériel et des éléments de preuve présentés par les témoins. La seule documentation pertinente qui porte particulièrement sur la directive et qui a été fournie au Comité de déontologie sont les notes dont M. Reimer, maintenant surintendant principal, a parlé pendant son témoignage au sujet de la rencontre tenue le 30 mai 2016. Dans ces notes, il a écrit : « [L’agent de district] lui a dit que ce n’était pas son problème, de ne pas s’en mêler. »

[13]  Je constate que, dans ses déclarations et dans son interrogatoire principal, le surintendant principal Reimer ne s’est fié qu’à ses notes. Il affirme avoir un souvenir distinct des événements du 30 mai 2016 et d’autres événements, mais son témoignage devant les enquêteurs oeuvrant sur le Code de déontologie et devant moi n’était essentiellement qu’une lecture de ses notes. Il n’a rien ajouté, il n’a rien changé et il n’a pas élaboré. Il ne se souvenait d’aucun détail portant sur la réunion qui n’était pas inscrit dans ses notes. Conséquemment, l’inférence raisonnable que l’on peut tirer est qu’il n’avait pas un souvenir distinct de ce qui s’est passé pendant cette rencontre ou de la directive fournie par le surintendant principal Mehdizadeh. Pendant des procédures de ce genre, cela n’est normalement pas fatal, car je peux compter sur les notes qui sont régulièrement prises par une personne dans le cadre de ses fonctions, si je les juge fiables.

[14]  Cependant, le problème en l’espèce est que le surintendant principal Reimer n’a pas pris ces notes au fur et à mesure des événements, mais environ sept mois et demi plus tard. Le surintendant principal Reimer n’a pris les notes que le 16 janvier 2017, alors qu’il préparait une déclaration qu’on lui avait demandé de fournir quelques jours plus tard dans le cadre de l’enquête relative au Code de déontologie visant l’inspecteur Manj.

[15]  Comme il l’a reconnu, sept mois et demi représentent une très longue période dans la vie d’un surintendant de la GRC, compte tenu de ses fonctions quotidiennes. Je ne m’attendrais pas à ce que quiconque occupe ce poste se souvienne des détails précis sur des événements qui se sont déroulés il y a aussi longtemps sans se rafraîchir la mémoire à l’aide de notes prises à ce moment.

[16]  De plus, le surintendant principal Reimer a reconnu qu’il avait tenu plusieurs discussions avec le surintendant principal Mehdizadeh et d’autres personnes au sujet de la rencontre du 30 mai 2016 et d’autres événements connexes entre cette rencontre et le 16 janvier 2017, date à laquelle il a pris les notes. Je doute fort que ces éléments de preuve n’aient pas été entachés par ces conversations ou par les enquêtes ou entrevues qui étaient menées. Je crois donc que les notes que le surintendant principal Reimer a prises le 16 janvier 2017 et son témoignage au sujet de ce que le surintendant principal Mehdizadeh a dit à l’inspecteur Manj ne sont pas fiables.

[17]  Même si j’accordais un certain poids aux éléments de preuve présentés par le surintendant principal Reimer, ils ne sont pas vraiment sans équivoque. Il a reconnu, lors du contre-interrogatoire, qu’il ne se souvenait pas des mots que le surintendant principal Mehdizadeh avait prononcés. Selon sa propre interprétation et le résumé qu’il a fait de ce qui a été dit, l’inspecteur Manj devait « ne pas s’en mêler ». Il a aussi reconnu qu’il ignorait comment l’inspecteur Manj avait interprété la directive, car il n’a pas fait de suivi auprès de lui après la rencontre.

[18]  Le seul autre élément de preuve présenté par l’autorité disciplinaire au sujet de la directive donnée par le surintendant principal Mehdizadeh est son propre témoignage portant sur ce qui s’est passé pendant la rencontre. Il a reconnu qu’il n’a pris aucune note au sujet de la directive qu’il a donnée, et qu’il n’a pas dit à l’inspecteur Manj de cesser de faire quelque chose en particulier. Trois ans plus tard, il a témoigné qu’il a dit quelque chose qui ressemblait à « cela doit cesser », ou qu’il a dit quelque chose qui signifiait clairement cela.

[19]  Je dois évaluer cet élément de preuve en fonction du témoignage de l’inspecteur Manj, selon lequel la conversation sur la relation entre Mme D.R. et le gendarme F. a duré environ de 15 à 20 minutes pendant une réunion de 3 heures. Il a ajouté que le surintendant principal Mehdizadeh n’avait donné aucune directive. L’inspecteur Manj a indiqué que, pendant ces 15 à 20 minutes, il a tenté d’expliquer au surintendant principal Mehdizadeh pourquoi c’était important de signaler la relation et pourquoi elle était visée par la politique de la GRC. Il a ajouté que le surintendant principal Mehdizadeh l’a interrompu à de nombreuses reprises, et qu’il a simplement indiqué que la relation n’était pas contraire à la politique et qu’il ne devait pas s’en mêler. Essentiellement, les deux hommes étaient d’accord pour affirmer qu’ils se disputaient quant à savoir si la relation entre le gendarme F. et Mme D.R. était visée par la Politique sur les relations interpersonnelles en milieu de travail de la GRC, et ni un ni l’autre n’a été capable de convaincre son interlocuteur de changer d’idée. (La question de savoir si la relation était visée par la politique n’est pas pertinente aux fins de l’allégation.) Leur désaccord est sur la question de savoir si le surintendant principal Mehdizadeh a fourni la prétendue directive.

[20]  Lors de son témoignage, le surintendant principal Mehdizadeh a peut-être cru que le 30 mai 2016, il a donné la directive à l’inspecteur Manj d’arrêter de faire quelque chose. Cependant, je ne peux pas, aujourd’hui, déterminer ce qu’il était censé arrêter de faire.

[21]  Un ordre ou une directive n’a pas besoin d’être par écrit, et le mot « ordre » n’a pas besoin d’être utilisé, mais les propos doivent être clairs et sans équivoque [voir Amato c. Service de police régional de York, 2014 ONCPC 16 (CanLii), et Flannigan et Police provinciale de l’Ontario, 18 novembre 1987, CPO].

[22]  Les éléments de preuve qui me sont présentés ne sont pas clairs. Le surintendant principal Mehdizadeh a rédigé des notes ce jour-là au sujet de sa rencontre avec l’inspecteur Manj, et il a noté 11 points qui ont fait l’objet d’une discussion ou qui portaient sur des remarques au sujet de l’état d’esprit de l’inspecteur Manj. Même s’il a noté qu’ils ont discuté de la relation de Mme D.R., rien n’indique que l’inspecteur Manj a reçu un ordre ou une directive indiquant qu’il devait mettre fin à l’enquête visant à prouver l’existence de cette relation ou à déterminer si elle était visée par la politique susmentionnée. Cette omission est étrange, vu l’importance d’une telle directive comparativement à d’autres choses qui ont été notées, et en raison son propre aveu, lors du contre-interrogatoire, selon lequel l’inspecteur Manj revenait sans cesse sur ce sujet pendant la rencontre et qu’il n’écoutait tout simplement pas sa directive. Il me semble que ce type de comportement adopté à la suite d’une directive explicite de la part d’un officier supérieur serait quelque chose qui serait documenté.

[23]  Enfin, selon le témoignage du surintendant principal Mehdizadeh, il a entendu, dans les jours suivant la rencontre du 30 mai 2016, des rumeurs qui circulaient au sein du district de l’Est de l’Alberta et selon lesquelles l’inspecteur Manj parlait toujours de la relation à d’autres membres. Il a indiqué qu’il croyait que l’information était crédible. Il n’a cependant pas discuté de nouveau de la question. Si j’accepte son témoignage selon lequel il a donné une directive claire à l’inspecteur Manj de « ne pas s’en mêler », je dois aussi accepter que lorsqu’il a reçu de l’information supplémentaire selon laquelle l’inspecteur Manj ne suivait pas cette directive, il a choisi d’ignorer la contravention au Code de déontologie qui en découlait. Cela semble peu probable, en raison de cette allégation dans cette procédure et de l’intensité de son témoignage à la barre contre l’inspecteur Manj. Je ne suis donc pas convaincu que les éléments de preuve qu’il a présentés pour prouver qu’il a donné une directive précise à l’inspecteur Manj de cesser ses agissements sont fiables.

[24]  Lorsqu’il diffère de celui du surintendant principal Mehdizadeh et du surintendant principal Reimer, je préfère le témoignage de l’inspecteur Manj au sujet de ce qui s’est produit pendant cette rencontre. Dans de tels cas, lorsque des témoignages sont contradictoires, il est nécessaire d’évaluer les éléments de preuve conformément à l’arrêt F.H. c. McDougall, [2008] 3 RCS 41 [McDougall] de la Cour suprême du Canada, dans lequel la Cour indique, au paragraphe 86 :

Toutefois, au civil, lorsque les témoignages sont contradictoires, le juge est appelé à se prononcer sur la véracité du fait allégué selon la prépondérance des probabilités. S’il tient compte de tous les éléments de preuve, sa conclusion que le témoignage d’une partie est crédible peut fort bien être décisive, ce témoignage étant incompatible avec celui de l’autre partie. Aussi, croire une partie suppose explicitement ou non que l’on ne croit pas l’autre sur le point important en litige. C’est particulièrement le cas lorsque, comme en l’espèce, le demandeur formule des allégations que le défendeur nie en bloc. La démarche préconisée dans l’arrêt W. (D.) ne convient pas pour évaluer la preuve au regard de la prépondérance des probabilités dans une instance civile.

[25]  La Cour d’appel de l’Ontario a fait un suivi de ces déclarations dans Law Society of Upper Canada c. Neinstein, 2010 ONCA 193, aux paragraphes 21 et 22 :

[21] L’argument de l’appelant selon lequel l’approche en trois étapes dans l’arrêt W.(D.), ou son équivalent intentionnel doit être utilisée pour évaluer les témoignages contradictoires dans les affaires non criminelles a été abandonné dans McDougall, une décision rendue après que la Cour divisionnaire a publié ses motifs dans cette affaire. [...]Devant la Cour suprême du Canada, la Cour a conclu à l’unanimité qu’une analyse de type W.(D.) était inappropriée dans une affaire civile. […]

[22] McDougall s’applique directement à cette affaire. Le comité présidant l’audience devait déterminer si les allégations avaient été formulées selon la prépondérance des probabilités. Ce faisant, le comité présidant l’audience a été tenu d’examiner l’ensemble de la preuve et d’évaluer la crédibilité dans le contexte de l’ensemble de la preuve. Comme dans l’affaire McDougall, une conclusion du comité d’audience selon laquelle les plaignants étaient crédibles pourrait être déterminante pour le résultat. À la lumière de l’affaire McDougall, l’application par le comité présidant l’audience d’une analyse W.(D.) modifiée ne convenait pas à l’enquête qu’il était tenu de faire. [...]

[26]  Compte tenu de mes conclusions en ce qui a trait au témoignage respectif des deux témoins de l’autorité disciplinaire et à celui de l’inspecteur Manj, et en appliquant le critère présenté dans McDougall, je préfère le témoignage de l’inspecteur Manj en l’espèce, et je conclus que l’autorité disciplinaire n’a pas réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités, le premier élément requis de cette contravention. Il est évident que la question a été abordée et que le surintendant principal Mehdizadeh et l’inspecteur Manj se sont disputés à savoir si la relation devait être signalée conformément à la politique. Cependant, il est loin d’être clair que l’inspecteur ait reçu un ordre ou une directive pendant cette discussion. L’allégation no 3 ne peut donc pas être établie.

ALLÉGATION NO 6

[27]  L’allégation no 6 est libellée ainsi dans l’Avis d’audience disciplinaire :

Allégation no 6

Le 20 juillet 2016 ou entre le 20 juillet 2016 et le 13 août 2016, à Lloydminster dans les provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan, ou près de cet endroit, l’inspecteur Sukhjit MANJ n’a pas fait preuve de diligence dans l’exercice de ses fonctions et dans l’exécution de ses responsabilités, dont celle de prendre les mesures appropriées afin de prêter assistance à toute personne exposée à une situation d’urgence réelle, imminente ou potentielle, en violation du paragraphe 4.2 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Sous-détails relatifs à la contravention

1. À toutes les dates pertinentes, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en poste au sein de la division K du détachement de la GRC à Lloydminster à titre d’officier responsable.

2. Mme [D.R.] était une employée municipale au détachement de la GRC à Lloydminster. Votre femme, (caporale [cap.]) Tammy Hollingsworth (« cap. Hollingsworth »), était une amie proche de Mme [V.F.]. Avec la caporale Hollingsworth, vous avez décidé, de façon délibérée, de vous mêler des problèmes matrimoniaux de Mme V.F. [Mme V.F.] est l’ex-épouse du [gendarme F.], le maître-chien de la GRC affecté au détachement de Lloydminster, où il est supervisé par la sergente Sarah Knelsen.

3. Le [gendarme F.] habitait dans une chambre louée sur la propriété de M. [G.M.] et de Mme [D.M.]. Le motif sous-jacent pour lequel vous vous êtes mêlé de la vie privée du [gendarme F.] et de Mme [D.R.] était simplement que vous ne pouviez pas accepter que lui et Mme [D.R.] entretenaient des liens personnels étroits. De plus, vous croyiez que Mme [D.R.] avait l’obligation professionnelle de vous signaler, en tant qu’officier responsable du détachement, qu’elle entretenait une relation personnelle avec le [gendarme F.]. Quand Mme [D.R.] a refusé de reconnaître qu’elle entretenait bel et bien une relation personnelle avec le [gendarme F.], vous en avez fait une mission personnelle de recueillir des éléments de preuve démontrant l’existence de la relation.

4. La cap. Hollingsworth et [Mme D.M.] ont élaboré un plan détaillé visant à ce que [Mme V.F.] et [Mme D.M.] se rencontrent en personne. Le 20 juillet 2016, [Mme D.M.] a envoyé un message texte à la cap. Hollingsworth pour demander à [Mme V.F.] de se rendre en voiture à la propriété de [M. G.M et Mme D.M.] afin de pouvoir observer personnellement un camion rouge et sa conductrice, que l’on croit être [Mme D.R.] au logement loué du [gendarme F.]. De nombreux messages textes contiennent les détails de cette discussion. [Mme V.F.] s’est rendue à la propriété de [M. G.M. et Mme D.M.], et et une altercation physique est survenue entre [Mme V.F.] et le [gendarme F.]. Vous avez été informé de tous les aspects de cette altercation physique, et vous avez eu l’occasion de discuter en personne avec la victime – [Mme V.F.] – à votre résidence.

5. À la suite de l’altercation physique, [Mme V.F.] s’est rendue à votre domicile personnel et vous a donné tous les détails relatifs à ce qui s’était passé. Elle vous a présenté des preuves accablantes, donc une blessure physique visible sur son coude, puis elle vous a indiqué que des témoins tiers étaient présents lors de l’altercation. Vous n’avez pas fait preuve de diligence dans l’exercice de vos fonctions et responsabilités, notamment en ne prenant pas toutes les mesures appropriées pour aider [Mme V.F.], qui a été exposée à un véritable danger. Vous n’avez pas non plus réagi de façon appropriée face à la peur véritable de [Mme V.F.] face à la possibilité que le [gendarme F.] puisse lui rendre visite à son domicile, sans y être invité. Vous n’avez pas fait preuve de diligence dans l’exercice de vos fonctions malgré le fait que vous êtes un policier très compétent qui occupait le poste d’officier responsable du détachement de Lloydminster.

6. En plus de ne pas veiller que les événements survenus sur la propriété de [M. G.M. et Mme D.M.] fassent l’objet d’une enquête exhaustive de la part de membres de la GRC, vous avez délibérément entravé l’affaire en informant [Mme V.F.] qu’elle avait tort et que ses actes pourraient très bien faire l’objet d’une enquête si la situation était signalée aux autorités. Cette position ignore complètement le fait incontestable que l’altercation physique était planifiée et qu’elle ne se serait jamais produite n’eût été de vos actes et de ceux de la cap. Hollingsworth et de [Mme D.M.].

7. Vous avez parlé au téléphone avec [Mme D.M.] pendant la soirée du 20 juillet 2016. [Mme D.M.] vous a informé qu’elle croyait que le [gendarme F.] avait attaqué [Mme V.F.] sur sa propriété. Vous n’avez rien fait pour vous assurer que [Mme D.M.] a déposé une plainte en matiere pénale à la police au sujet de cet incident. Vous n’avez pris aucune mesure pour veiller à ce que [M. G.M.] soit interrogé. En fait, [Mme D.M.] était inquiète de la probabilité qu’une plainte ne soit pas prise au sérieux et qu’elle puisse être ignorée en raison d’une mentalité de « club des vieux copains ». Vous n’avez pas dissipé cette préoccupation de [Mme D.M.].

8. Vous avez tenté de justifier vos actes en indiquant que vous quittiez le détachement et que vous seriez bientôt en vacances. Cette position est carrément contraire à vos tâches et à vos responsabilités à titre de membre chevronné et de haut rang de la GRC qui supervisait les actes de chaque employé du détachement de Lloydminster.

[Traduit tel que reproduit dans la version anglaise.]

Analyse

[28]  Pour évaluer cette allégation correctement, il est nécessaire d’examiner la Politique de la GRC sur la violence relationnelle. Tous les intervenants, du premier enquêteur lié au Code de déontologie en l’espèce à l’autorité disciplinaire qui a convoqué l’audience, semblent tenir pour avéré que l’incident survenu le 20 juillet 2016 est visé par cette politique, et que l’inspecteur Manj devait veiller à ce qu’une enquête exhaustive soit menée, ce qui aurait mené au dépôt d’une accusation de voies de fait contre le gendarme F. La politique est contenue dans le Manuel des opérations, chapitre 2.4, et se lit comme suit :

1. Définitions

1. 1. On entend par « violence dans les relations » l’utilisation d’un comportement violent par une personne dans le cadre d’une relation pour contrôler et/ou blesser l’autre personne dans cette relation, notamment diverses formes de négligence physique et/ou de violence émotive. Le site web du ministère de la Jutice traite d’autres formes et d’autres types de violence.

1. 2. On entend par « relations » les relations présentes ou antérieures, notamment l’époux, le partenaire intime, le conjoint de fait ou le partenaire amoureux.

1. 3. On entend par « abus » la violence, les menaces de violence ou d’autres actes criminels qui peuvent comprendre, sans toutefois s’y limiter, le harcèlement criminel, la violence physique, la violence sexuelle, la violence psychologique ou la violence émotive.

1. 4. On entend par « partenaires communautires » (ressources communautaires) les entités de la collectivité chargés de joinre leurs efforts pour favoriser une intervention efficace et la prévention de la violence et de l’abus dans les relations, notamment les organismes d’exécution de la loi, les procureurs, les agents de libération conditionnelle et de probation, les organisations de défense, les organismes de services sociaux, les services de protection des adultes et des enfants, le clergé, les éducateurs, les organismes du gouvernement, les organisations chargées du bien-être des animaux ainsi que les entreprises et/ou les employés.

1. 5. Par « ordonnance de protection », on entend une interdiction de communiquer ou une autre ordonnance du tribunal délivrée dans le but de prévenir des actes violents ou menaçants ou du harcèlement contre une autre personne, les communications directes ou indirectes avec celle-ci ou la proximité physique avec elle. Cela inclut toute ordonnance temporaire ou finale émise par un tribunal civil ou criminel, obtenue en remplissant une demande indépendante, en attente d’un litige concernant une autre ordonnance pendant une procédure distincte ou pendant celui-ci, en autant que l’ordonnance ait été émise à la suite d’une plainte, d’une pétition ou d’une requête déposée par une personne cherchant à obtenir une protection, ou au nom de cette personne.

1. 6. Par « auto-défense », on entend certaines circonstances légales dans lesquelles une personne peut avoir recours à une force raisonnable pour se défendre ou pour défendre leur propriété ou une autre personne. Les actes de la personne sont fondés sur la croyance qu’elle est en danger imminent ou que sa propriété, ou une autre personne, est en danger imminent, ainsi que sur des motifs raisonnables. Si la personne a eu légalement recours à la force pour se défendre conformément à la loi, il y a une absolution en vertu des articles 34 et 35 du Code criminel.

1. 7. Par « plan de sécurité », on entend un plan personnalisé et pratique conçu pour aider à assurer la sécurité d’une personne, notamment en transportant la victime vers un endroit sûr, en communiquant avec un ami ou un membre de la famille, en utilisant des codes et en faisant appel à des partenaires communautaires. Puisque les besoins de la victime changent au fur et à mesure que l’enquête évolue, les plans de sécurité peuvent être modifiés/améliorés pour répondre aux besoins du client.

2. Généralités

2. 1. Les enquêtes sur les affaires de violence ou de mauvais traitement dans les relations sont hautement prioritaires et doivent être menées rigoureusement et rapidement pour assurer la sécurité des personnes touchées.

2. 1. 1. Pour déterminer la bonne marche à suivre, tenez compte de toutes les circonstances, notamment des allégations d’agression, des antécédents, de l’historique d’abus, de la fréquence des actes violens dans la relation et de l’escalade de la violence, de la présence d’enfants, de l’utilisation d’armes, de la présence d’animaux domestiques et de la planification de la sécurité.

2. 1. 2. Vous pouvez consulter la liste complète des outils d’enquête dans le Guide des ressources (00004081-WBT-00006084), dans Agora.

2. 2. La police peut entrer dans les logements privés, sans mandat, pour intervenir à la suite d’un appel de détresse, afin de protéger la vie. Voir le chap. 1.1. Première intervention lors d’une enquête et R. c. Godoy – CSC 1999.

2. 3. Les membres doivent connaître :

2. 3. 1. Le Code criminel;

2. 3. 2. la Charte canadienne des droits des victimes;

2. 3. 3. la législation provinciale ou territoriale concernant la violence et l’abus dans les relations.

2. 4. Une blessure qui résulte d’un acte d’auto-défense n’est ni de l’abus ni un crime. Voir les articles 34 et 35 du Code criminel.

2. 5. Si l’accusé est un membre de la GRC, consultez le chap. 54.3. Responsabilité relative au signalement.

[Caractères gras ajoutés]

[29]  La politique de la GRC confirme ce que la loi prévoit : une blessure causée par une personne en situation d’autodéfense aux termes de l’article 35 du Code criminel, LRC, 1985, chap. C-46 [Code criminel] ne constitue ni de l’abus ni un crime. Une personne ne peut pas être déclarée coupable d’un acte criminel si elle empêche un intrus d’entrer dans son logement, en autant qu’elle ait recours à une force raisonnable. L’article 35 du Code criminel se lit comme suit :

35. (1) N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :

(a) croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle a la possession paisible d’un bien ou agit sous l’autorité d’une personne — ou prête légalement main-forte à une personne — dont elle croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle a la possession paisible d’un bien;

(b) croit, pour des motifs raisonnables, qu’une autre personne, selon le cas :

(i) sans en avoir légalement le droit, est sur le point ou est en train d’entrer dans ou sur ce bien ou y est entrée,

[…]

(c) commet l’acte constituant l’infraction dans le but, selon le cas :

(i) soit d’empêcher l’autre personne d’entrer dans ou sur le bien, soit de l’en expulser;

[…]

(d) agit de façon raisonnable dans les circonstances.

[30]  En l’espèce, il est évident que le gendarme F. défendait ses biens conformément à l’article 35 du Code criminel. Son ex-femme, Mme V.F., était un intrus non invité chez lui, et elle avait l’intention d’entrer de force dans son domicile pour voir qui était sur les lieux. Il l’a saisie par les bras alors qu’elle tentait d’entrer et l’a expulsée. Pendant l’incident, elle a cogné son coude contre le cadre de porte ou sur le miroir du camion stationné à proximité, ce qui a causé une petite égratignure qui est devenue une ecchymose.

[31]  Contrairement à l’opinion des enquêteurs oeuvrant sur le Code de conduite et par l’autorité disciplinaire, la Politique n’exige pas d’approfondir l’enquête dans ces circonstances. La Politique confirme que, dans les circonstances, les actes du gendarme F. ne constituent pas de la violence ou de l’abus. Elle confirme aussi que l’article 35 du Code criminel rend irrecevable toute accusation de voies de fait qui pourrait autrement être déposée en raison du recours non consensuel à la force contre l’intrus.

[32]  Un policier doit avoir des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction a été commise avant de pouvoir faire une dénonciation sous serment. S’il y a une défense évidente face à une possible accusation, on doit en tenir compte lorsqu’on détermine si une accusation doit être portée et s’il est nécessaire de poursuivre l’enquête. Les policiers ont un important pouvoir discrétionnaire pour décider si une accusation doit être portée et combien de temps et d’efforts doivent être investis dans une enquête (voir R c. Beaudry, 2007 CSC 5). La seule limite au pouvoir discrétionnaire d’un policier est qu’il doit être exercé raisonnablement. Premièrement, le pouvoir discrétionnaire doit avoir été exercé honnêtement et de façon transparente (subjectivement raisonnable). Deuxièmement, l’exercice du pouvoir discrétionnaire doit être justifié lorsque l’on tient compte des circonstances matérielles et des facteurs juridiques (objectivement raisonnable).

[33]  En l’espèce, l’inspecteur Manj a entendu les deux côtés de l’histoire immédiatement après que l’incident se soit produit, directement de V.F. à son domicile et indirectement du gendarme F. par l’intermédiaire de la sergente Knelsen. Il y a peu de différences entre leur version respective des événements. Il est d’avis que le gendarme F. n’a commis aucune infraction, et que Mme V.F. était clairement un intrus non invité qui a été à l’origine de l’incident et qui a provoqué le recours à la force visant à l’expulser ou à l’empêcher d’entrer dans le domicile. Il est aussi d’avis que le gendarme F. n’a pas eu recours à une force excessive. Puisque l’incident est survenu sur le territoire desservi par un autre détachement, on avait déjà informé le gendarme F. qu’il pouvait le signaler au détachement de Kitscoty s’il le souhaitait.

[34]  Le témoin le plus crédible et le plus fiable de l’autorité disciplinaire dans l’ensemble de cette procédure était le sergent Walker. Il a fait beaucoup d’efforts pour rendre un témoignage exact, il signalait les choses dont il ne ne souvenait pas et il a faisait les concessions appropriées lorsqu’on lui présentait des éléments de preuve contradictoires pendant le contre-interrogatoire. En résumé, il a tenté d’être juste en ce qui a trait aux éléments de preuve qu’il a présentés, et je le préfère à tout autre témoin de l’autorité disciplinaire. Il a indiqué que, lorsque l’incident s’est produit, il était déjà officier responsable par intérim et qu’il était chargé d’en traiter le lendemain lorsque le gendarme F. le rencontrerait pour discuter de ce qui s’était produit. Il a aussi affirmé que, selon lui, il n’y avait rien d’autre à faire puisque le gendarme F. n’avait rien fait de mal et que ni lui ni Mme V. F. ne souhaitaient poursuivre la démarche.

[35]  Il a affirmé qu’avec du recul, il aurait dû simplement téléphoner au détachement de Kitscoty pour informer son personnel de ce qui c’était passé. Cela aurait été courtois envers un détachement voisin, mais, pour les raisons susmentionnées, ce n’était pas nécessaire selon la loi ou la politique puisqu’on avait indiqué à Mme V.F. et au gendarme F. qu’ils pouvaient signaler l’incident au détachement de Kitscoty s’ils le souhaitaient. Selon moi, le sergent Walker a été poussé à faire cette remarque uniquement parce que l’inspecteur Manj faisait face à cette allégation parce qu’il n’avait pas adopté d’autres mesures lui-même. Je crois que l’inspecteur Manj, le sergent Walker et la sergente Knelsen ont pris la bonne décision au sujet de cet incident. Cette opinion est en quelque sorte soutenue par le fait qu’aucune accusaiton n’a été portée lorsque l’incident a fait l’objet d’une nouvelle enquête quelques mois plus tard à la suite d’une plainte du public. Quoi qu’il en soit, aucun d’entre eux n’avait une obligation supplémentaire dans les circonstances, aux termes de la loi ou de la politique. Puisque l’inspecteur Manj était déjà en congé et que le sergent Walker était déjà officier responsable à ce moment, il est bien exagéré d’affirmer que l’inspecteur Manj devait veiller à ce que l’incident fasse l’objet d’une enquête.

[36]  Cela traite de l’allégation no 6 de façon générale, mais la façon dont certains des sous-détails ont été rédigés nécessite des remarques supplémentaires.

[37]  Premièrement, dans le sous-détail no 5, vous déclarez ce qui suit :

Vous n’avez pas fait preuve de diligence dans l’exercice de vos fonctions et responsabilités, notamment en ne prenant pas toutes les mesures appropriées pour aider [Mme V.F.], qui a été exposée à un véritable danger. Vous n’avez pas non plus réagi de façon appropriée face à la peur véritable de [Mme V.F.] face à la possibilité que [le gendarme F.] puisse lui rendre visite à son domicile, sans y être invité. Vous n’avez pas fait preuve de diligence dans l’exercice de vos fonctions malgré le fait que vous êtes un policier très compétent qui occupait le poste d’officier responsable du détachement de Lloydminster.

[38]  Ces deux affirmations ne tiennent pas du tout compte du fait que Mme V. F. a intentionnellement provoqué cet incident. Sans égard à la façon dont elle s’est rendue au domicile du gendarme F. ni à la raison pour laquelle elle s’y est rendue, elle a tenté de s’introduire dans son domicile sans y être invitée. Si elle s’est trouvée dans une situation dangereuse parce que le gendarme F. l’a empêchée d’entrer chez lui, elle a provoqué cette situation par ses propres actes.

[39]  De plus, aucun élément de preuve n’étaye l’affirmation selon laquelle l’inspecteur Manj n’a pas non plus « réagi de façon appropriée face à la peur véritable de [Mme V.F.] face à la possibilité que [le gendarme F.] puisse lui rendre visite à son domicile, sans y être invite » (censément pour lui faire du mal). Cette affirmation de l’autorité disciplinaire ne tient pas compte de la preuve selon laquelle Mme V.F. a commis l’agression dans cette situation et du fait que le gendarme F. ne faisait que défendre ses biens, ce que la loi lui permet de faire. Afin que cette affirmation soit valide, il doit y avoir un fondement raisonnable à la peur de Mme V.F. que cela puisse se produire. Rien dans les documents n’indique que le gendarme F. aurait pu se rendre au domicile de Mme V.F. pour lui faire du mal. En fait, les éléments de preuve démontrent le contraire. L’hypothèse selon laquelle le gendarme F. « pourrait par la suite se rendre au domicile personnel de [Mme V.F.] sans y être invité » n’est pas fondée, et elle n’est appuyée par aucun élément de preuve.

[40]  Selon le sous-détail no 6, « vous avez délibérément entravé l’affaire en informant [Mme V.F.] qu’elle avait tort et que ses actes pourraient faire l’objet d’une enquête si la situation était signalée aux autorités ». En fait, c’est Mme V.F. qui s’est rendue au domicile du gendarme F. sans y être invitée et qui a tenté d’entrer de force afin de voir qui était avec lui. Ce faisant, elle a peut-être commis une intrusion en vertu de la législation provinciale ou un méfait en vertu de l’alinéa 430(1)d) du Code criminel, en plus d’autres infractions. Le fait que l’inspecteur Manj l’en est informée ne constitue pas une entrave. Il s’agit d’une analyse raisonnable de la situation et d’une application correcte de la loi aux faits. Certaines procédures auraient pu être évitées si l’autorité disciplinaire avait mené ce type d’analyse dès le début.

[41]  De plus, on affirme dans le sous-détail 6 que « cette position ignore complètement le fait incontestable que l’affrontement physique était planifié et qu’il n’aurait jamais eu lieu si ce n’avait été de vos (cap. Hollingsworth et [Mme D.M.]) actes. » Il y deux problèmes inhérents à cette affirmation. Premièrement, elle ne correspond pas au sous-détail no 4, selon lequel « la caporale Hollingsworth et [Mme D.M.] ont élaboré un plan détaillé pour que [Mme V.F.] et [Mme D.M.] se voient en personne afin que [Mme V.F.] puisse voir le camion rouge » qui était stationné au domicile du gendarme F. Deuxièmement, l’autorié disciplinaire n’a présenté ou mentionné aucun élément de preuve qui la prouve lors de l’audience disciplinaire.

[42]  Je comprends que la théorie initiale de l’autorité discplinaire en l’espèce était que l’inspecteur Manj a orchestré l’incident survenu le 20 juillet 2016 entre V.F. et le gendarme F. Le surintendant principal Mehdizadeh et la sergente d’état-major Knelsen (poste actuel) ont indiqué très clairement dans leur témoignage qu’ils croyaient que c’était le cas dès le départ. Cette théorie n’a pas été éliminée lors de l’enquête ou des examens subséquents malgré l’absence d’éléments de preuve pour l’appuyer. Cependant, c’est le témoin de l’autorité disciplinaire qui a établi l’ordre chronologique des événements du 20 juillet 2016, et la seule conclusion raisonnable qui a été faite est que l’inspecteur Manj a appris qu’un incident avait eu lieu entre le gendarme Freeman et Mme V.F. seulement après les faits. Aucun témoin qui savait quelque chose au sujet de l’incident n’a présenté d’éléments de preuve démontrant qu’il était responsable de l’avoir orchestré.

[43]  Pour toutes ces raisons, l’allégation no 6 n’est pas établie.

ALLÉGATION NO 4

[44]  L’allégation no 4 se lit comme suit dans l’Avis d’audience disciplinaire :

Allégation no 4

Le 1er août 2016 ou entre le 1er août 2016 et le 13 août 2016, à Lloydminster dans les provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan, ou près de cet endroit, l’inspecteur Sukhjit MANJ N’a pas agi avec intégrité, équité et impartialité, et a compromis son autorité, son pouvoir et son poste, ou en a abusé, en contravention du paragraphe 3.2 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Sous-détails relatifs à la contravention

1. À toutes les dates pertinentes, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en poste au sein de la division K du détachement de la GRC à Lloydminster à titre d’officier responsable.

2. Mme [D.R.] était une employée municipale au détachement de la GRC à Lloydminster. Votre femme, (caporale [cap.]) Tammy Hollingsworth (« cap. Hollingsworth »), était une amie proche de Mme [V.F.]. Avec la caporale Hollingsworth, vous avez décidé, de façon délibérée, de vous mêler des problèmes matrimoniaux de Mme V.F. [Mme V.F.] est l’ex-épouse du [gendarme F.], le maître-chien de la GRC affecté au détachement de Lloydminster, où il est supervisé par la sergente Sarah Knelsen.

3. Le [gendarme F.] habitait dans une chambre louée sur la propriété de M. [G.M.] et de Mme [D.M.]. Le motif sous-jacent pour lequel vous vous êtes mêlé de la vie privée du [gendarme F.] et de Mme [D.R.] était simplement que vous ne pouviez pas accepter que lui et Mme [D.R.] entretenaient des liens personnels étroits. De plus, vous croyiez que Mme [D.R.] avait l’obligation professionnelle de vous signaler, en tant qu’officier responsable du détachement, qu’elle entretenait une relation personnelle avec le [gendarme F.]. Quand Mme [D.R.] a refusé de reconnaître qu’elle entretenait bel et bien une relation personnelle avec le [gendarme F.], vous en avez fait une mission personnelle de recueillir des éléments de preuve démontrant l’existence de la relation.

4. Vous avez téléphoné à la sergente Knelsen à son retour de Baton Rouge (Louisiane). Pendant cette conversation, vous lui avez demandé d’aller voir le superviseur de Mme [D.R.] – Doug Rodwell – et de lui dire quelque chose comme « Je ne peux pas travailler Dayna, elle doit être congédiée, car elle ment. ». La sergente Knelsen a refusé votre demande puisqu’elle aimait travailler avec Dayna et qu’elle croyait qu’elle faisait de l’excellent travail.

5. Vous avez blâmé Mme [D.R.] pour votre départ du détachement de Lloydminster. Avant votre mutation, vous avez abordé la sergente Knelsen au travail et lui avez affirmé « Je vais détruire Dayna. Elle a détruit ma vie. »

[Traduit tel que reproduit dans la version anglaise.]

Analyse

[45]  Comme le reconnaissent les deux parties, il s’agit d’une situation dans laquelle la parole des uns s’oppose à la parole des autres et qui met en jeu la crédibilité de l’inspecteur Manj et de la sergente d’état-major Knelsen. J’ai de nombreuses inquiétudes au sujet des éléments de preuve présentés par la sergente d’état-major Knelsen et de la façon dont sa déclaration initiale a été consignée. Je trouve que la déclaration du sergent Morton, datée du 18 octobre 2016, est trompeuse et biaisée. Le sergent Morton a reconnu être allé au-delà de la portée de la plainte du public sur laquelle il enquêtait, qu’il n’a pas été neutre et qu’il a suggéré des réponses aux questions qu’il posait, en plus de tirer ses propres conclusions et de l’inviter à les adopter.

[46]  Voici quelques exemples. À 12:13 de l’enregistrement audio, le sergent Morton demande à la sergente d’état-major Knelsen d’examiner la Politique sur les relations interpersonnelles en milieu de travail de la (GRC) avec lui. Il a lu les définitions, puis il a demandé « Si c’est la gestionnaire de bureau et un gendarme, est-ce que cela correspond à la définition? » Elle a répondu « Selon moi, non ». Il a répondu de façon encourageante « Perfait! » À 27:00, il demande « Selon vous, pourquoi Suki a choisi de ne pas respecter la politique de la GRC en ce qui a trait aux enquêtes relatives à la violence conjugale? » Il a ensuite demandé « Est-ce que j’exagère si je dis que c’est contraire à la politique? » Sans surprise, elle s’est ensuite dite d’accord pour affirmer que les actes de l’inspecteur Manj allaient à l’encontre de la politique.

[47]  Malgré le fait que la sergente d’état-major Knelsen soit une policière chevronnée, les éléments de preuve qu’elle présente sont susceptibles d’être influencés par le pouvoir de suggestion, comme ceux présentés par tous les autres témoins. L’invitation du sergent Morton à adopter son point de vue au sujet de la politique et du « fait » que l’inspecteur Manj n’a pas respecté la politique est totalement inappropriée. Cette approche se reflète dans la majeure partie de la déclaration. La façon dont il a recueilli la déclaration fait en sorte qu’elle n’est pas fiable. Pire encore, elle entache les éléments de preuve qu’elle a présentés devant moi.

[48]  La déclaration illustre également la façon dont des conclusions prématurées peuvent avoir été tirées lors des premières étapes du processus (comme l’a démontré le témoignage du surintendant principal Mehdizadeh, qui a reconnu cette possibilité) et favorisées par les responsables de l’enquête. Le danger est le suivant : la partialité peut persister pendant la poursuite, à moins que ceux qui examinent la question soient tout à faire impartiaux et objectifs lors de leur évaluation de la probabilité d’établir les allégations dans une audience disciplinaire.

[49]  Cependant, d’autres facteurs m’empêchent de me fier aux éléments de preuve présentés par la sergente d’état-major Knelsen. Il existe de nombreuses incohérences externes entre ses actes et son témoignage, et des incohérences internes dans son témoignage.

[50]  Même si cela ne se rapporte pas entièrement à l’allégation no 4, il est pertinent d’évaluer sa crédibilité générale. Je consulte d’abord les notes qu’elle a prises au sujet des événements du 20 juillet 2016. Ce jour-là, l’un de ses subordonnés lui a téléphoné pour lui dire qu’il avait été impliqué dans une agression physique avec son ex-femme. Elle l’a écouté et lui a donné son opinion, puis elle a téléphoné à son officier responsable pour l’informer de la situation. Donc, en quoi consistent ses notes?

[20 juillet 2016] Mercredi

1830 Reçu un appel du [gendarme F.], qui m’a indiqué que D.R. était allée chez lui et que sa femme s’y était rendue, en colère, et l’avait poussé en hurlant. Le [gendarme F.] a saisi [Mme V. F.] par les bras pour l’empêcher d’entrer chez lui et l’a placée à l’extérieur. Je lui [gendarme F.] ai conseillé de téléphoner au détachement de Kitscoty pour faire consigner l’incident. C’était cependant sa décision. Après la conversation avec [gendarme F.] J’ai immédiatement téléphoné à l’inspecteur Suki Manj pour l’informer de la situation. Il a demandé « Qu’est-ce qu’il a dit? » dès qu’il a répondu au téléphone. Je lui ai fait part de ce que le [gendarme F.] m’a dit au sujet de [Mme V. F.] – qu’elle était entrée de force chez lui – et je lui ai expliqué qu’il avait dû la bloquer et la prendre par le bras pour l’empêcher d’entrer. L’inspecteur Manj connaissait déjà les détails puisqu’il avait parlé à quelqu’un, mais il ne m’a pas dit de qui il s’agissait.

Les policiers prennent des notes pour bien se souvenir des événements dans l’avenir et, parfois, pour se protéger si leurs actes sont remis en question. Quiconque a été policier comprend cela. La sergente d’état-major Knelsen est une policière chevronnée à la GRC. À l’époque, elle était la sergente responsable de plusieurs unités. Ses notes sont intéressantes, puisqu’elles contiennent des déclarations faites par son inspecteur pour répondre à ce qu’elle lui avait dit, un peu comme les notes qu’un policier prendrait pour consigner les réponses d’un suspect dans le cadre de l’enquête sur une infraction. Elles semblent avoir été prises dans le but de consigner des éléments de preuve contre l’inspecteur Manj plutôt que pour consigner ce qui s’est passé entre le gendarme F. et son ex-femme et ce qui a été fait à ce sujet.

[51]  Il est encore plus difficile de tout démêler lorsque l’on tient compte du fait que la sergente d’état-major Knelsen a indiqué dans son témoignage qu’elle a pris les notes immédiatement après les appels téléphoniques, mais qu’elle ne s’est rendu compte que le lendemain, avec surprise, que l’inspecteur Manj doit avoir orchestré l’incident entre le gendarme F. et son ex-femme. Selon son témoignage, elle a tiré la conclusion que l’inspecteur Manj avait orchestré les événements du 20 juillet 2016, en se fondant sur trois choses qui se sont produites cette semaine-là. Elle a indiqué que, le lundi 18 juillet 2016, la caporale Hollingsworth a affirmé quelque chose comme quoi elle croyait que la relation entre le gendarme F. et Mme D.R. ne serait plus un secret pendant bien longtemps. Elle a aussi affirmé que plus tôt, le mercredi 20 juillet 2016, en se rendant un dîner organisé pour souligner le départ de l’inspecteur Manj et de la caporale Hollingsworth, l’inspecteur Manj a affirmé qu’il avait un mauvais pressentiment. Enfin, pendant la conversation téléphonique entre elle et l’inspecteur Manj, quand elle lui a téléphoné pour lui dire ce que le gendarme F. lui avait signalé, il savait déjà ce qui s’était passé, et il a ajouté quelque chose comme « Les gens vont penser que j’ai quelque chose à voir là-dedans, mais ce n’est pas le cas ». En ce qui a trait aux contradictions, il est aussi important de noter que cette délaration qu’aurait faite l’inspecteur Manj n’est pas inscrite dans son carnet, même s’il est évident qu’elle est pertinente aux autres choses qu’elle a consignées après lui avoir parlé. Il s’agit encore une fois de quelque chose qui est mis au jour des mois plus tard dans ses déclarations au sergent Morton.

[52]  Sans égard à tout cela, la sergente d’état-major Knelsen a pensé à ces trois choses et en a conclu, le lendemain, que l’inspecteur Manj avait organisé l’incident du 20 juillet 2016 afin de révéler l’existence de la relation entre le gendarme F. et Mme D.R. Selon son témoignage, elle était très en colère lorsqu’elle a tiré cette conclusion et croyait que ses [inspecteur Manj] actes étaient scandaleux. Cependant, elle n’a parlé de cette conclusion que plusieurs semaines plus tard, une fois que l’inspecteur Manj eut quitté le détachement de Lloydminster pour sa nouvelle affectation. Elle en a alors parlé à son amie, Mme D.R., et non à superviseur, afin que l’affaire ne fasse pas l’objet d’une enquête.

[53]  La sergente d’état-major Knelsen a aussi témoigné, selon le sous-détail no 5, que l’inspecteur Manj lui a dit que Mme D.R. avait détruit sa vie et qu’il allait la détruire. Cependant, encore une fois, elle n’a pas pris de note à cet effet et ne l’a dit à personne. Ce témoignage est étrange lorsque l’on tient compte des circonstances. Il s’agit de son inspecteur, qu’elle croit depuis peu responsable des événements du 20 juillet 2016, qu’il aurait organisés pour révéler l’existence de la fameuse relation, et de l’inspecteur qui a déclaré qu’il allait détruire la vie de sa bonne amie. Cette allégation n’est soulevée que plusieurs mois plus tard, lorsqu’une enquête est amorcée à la suite d’une plainte du public. C’est aussi dans cette déclaration que, pour la première fois, elle parle de la demande de l’inspecteur Manj, qui voulait qu’elle aille voir Doug Rodwell pour lui dire qu’elle ne pouvait plus travailler avec Mme D.R. parce qu’elle mentait. Dans ces circonstances, dans ce milieu de travail alors touché par un conflit, la plupart des policiers auraient conclu que ces deux déclarations sont importantes, et ils auraient signalé ces conversations à une personne en position d’autorité, ou ils auraient au moins rédigé des notes détaillées à ce sujet. C’est encore plus étonnant lorsque l’on tient compte du fait que, selon son propre témoignage, il n’y avait plus de relation à préserver entre elle et l’inspecteur Manj.

[54]  Je ne crois pas que la sergente d’état-major Knelsen est un témoin crédible dans le cadre des présentes procédures et je ne crois pas que les éléments de preuve qu’elle a présentés sont fiables. Contrairement à un travail policier bien fait, je crois qu’elle a tiré des conclusions non fondées. Je crois aussi qu’elle a pris parti dans un conflit entre sa bonne amie, Mme D.R., et l’inspecteur Manj. Ces choses faussent son témoignage au sujet des événements ainsi que ses souvenirs.

[55]  En l’absence de tout élément de preuve crédible pour prouver que ces déclarations ont été faites, je préfère l’explication, plus raisonnable et plus fiable, que l’inspecteur Manj a donnée au sujet de ce qu’il lui a dit. Selon son témoignage, il a dit à la sergente d’état-major Knelsen et à d’autres la même chose qu’il a dite à Mme D.R. lorsqu’elle lui a téléphoné dans la matinée du 21 juillet 2016. Il lui a dit que Mme D.R. avait ruiné sa carrière à la GRC et que la prochaine fois qu’il lui parlait, ce serait par l’intermédiaire de son avocat. Il a indiqué qu’il a fait ce qu’il avait l’intention de faire en la poursuivant pour diffamation.

[56]  En raison de ces conclusions relatives à la crédibilité et de l’application du critère mentionné précédemment et lié à l’affaire McDougall, je conclus que l’autorité disciplinaire n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que ces déclarations ont été faites ou qu’elles avaient l’objectif déclaré. L’allégation no 4 n’est donc pas établie.

ALLÉGATION NO 7

[57]  L’allégation no 7 est libellée ainsi dans l’Avis d’audience disciplinaire :

Allégation no 7

Le ou vers le 3 juillet 2017, à Chilliwack dans la province de la Colombie-Britanique ou près de cet endroit, l’inspecteur Sukhjit MANJ n’a pas fourni un témoignage complet et exact en ce qui a trait à la façon dont il a assumé ses responsabilités, à l’exécution de ses tâches et aux gestes posés par d’autres employés en violation du paragraphe 8.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Sous-détails relatifs à la contravention

1. À toutes les dates pertinentes, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en poste au sein de la division K du détachement de la GRC à Lloydminster à titre d’officier responsable.

2. Mme [D.R.] était une employée municipale au détachement de la GRC à Lloydminster. Votre femme, (caporale [cap.]) Tammy Hollingsworth (« cap. Hollingsworth »), était une amie proche de Mme [V.F.]. Avec la caporale Hollingsworth, vous avez décidé, de façon délibérée, de vous mêler des problèmes matrimoniaux de Mme V.F. [Mme V.F.] est l’ex-épouse du [gendarme F.], le maître-chien de la GRC affecté au détachement de Lloydminster, où il est supervisé par la sergente Sarah Knelsen.

3. Le [gendarme F.] habitait dans une chambre louée sur la propriété de M. [G.M.] et de Mme [D.M.]. Le motif sous-jacent pour lequel vous vous êtes mêlé de la vie privée du [gendarme F.] et de Mme [D.R.] était simplement que vous ne pouviez pas accepter que lui et Mme [D.R.] entretenaient des liens personnels étroits. De plus, vous croyiez que Mme [D.R.] avait l’obligation professionnelle de vous signaler, en tant qu’officier responsable du détachement, qu’elle entretenait une relation personnelle avec le [gendarme F.]. Quand Mme [D.R.] a refusé de reconnaître qu’elle entretenait bel et bien une relation personnelle avec le [gendarme F.], vous en avez fait une mission personnelle de recueillir des éléments de preuve démontrant l’existence de la relation.

4. Le 3 juillet 2017, avez volontairement fourni une déclaration après mise en garde au sergent John Lovie à Chilliwack. Votre déclaration volontaire comprenait des renseignements faux et trompeurs :

a) Vous avez faussement prétendu que Mme [D.R.] avait les « pleins pouvoirs » sur le [gendarme F.] puisque, selon vous, elle s’occupait de l’établissement de l’horaire du [gendarme F.] alors qu’en fait, il relevait de la sergente Knelsen. De plus, vous aviez déjà mentionné que vous avez déjà discuté du nombre d’heures de travail trop élevé du [gendarme F.] avec le sergent d’état-major Weinisch, en affirmant « Elle est gestionnaire, elle avait les pleins pouvoirs pour le faire, elle, elle a veillé à ses finances. Elle s’occupait de son TEAM, de tous ses horaires, de tout. Elle a tout fait. »

b) Vous avez faussement prétendu que vous n’avez jamais tenté de révéler la relation entre le [gendarme F.] et Mme [D.R.] : « Si vous croyez que j’ai tenté de révéler leur suppo… leur relation, vous vous trompez. »

c) Vous avez faussement laissé entendre que vous n’avez joué aucun rôle dans la confrontation physique entre [Mme V. F.], [le gendarme F.] et Mme [D.R.]. Vous avez ajouté, dans vos mots trompeurs : « Donc je n’y étais pour rien. »

d) Vous avez faussement déclaré que vous ignoriez que votre femme, la caporale Hollingsworth, communiquait avec [Mme D.M.] et [M. G.M.] au sujet de l’affrontement physique survenu le 20 juillet 2016, alors que vous communiquiez également avec [Mme D.M.] par messagerie texte. « Donc, je l’ignorais. Je n’avais pas de boule de crystal. J’ignorais que [Mme D.M.] et [M. G.M.] avaient communiqué avec Tammy. Je n’en savais rien. »

e) Vous avez intentionnellement minimisé vos connaissances de ce qui se passait entre le [gendarme F.], [Mme V.F.] et [Mme D.M.], et vous avez fait la déclaration trompeuse suivante : « Regardez le, le fait qu’il soit impliqué dans la conduite de véhicules et tout. C’est tout ce que je sais à ce sujet. »

f) Vous avez faussement laissé entendre que le sergent Gerry Walker savait déjà qu’une confrontation physique était survenue le 20 juillet 2016, sur la propriété de [M. G. M. et Mme D. M.] lorsque vous lui avez téléphoné : « Ce soir-là, j’ai téléphoné à Gerry Walker. Je reçois un appel de Sarah Knelsen, qui a affirmé que je savais que c’était elle. Je, je, moi, l’identité de la personne qui téléphonait était bloquée, j’avais mon téléphone de travail. Je parlais de ça au téléphone avec Gerry. Il était déjà au courant. Elle me dit que Mark a téléphoné. J’ai donc mis fin à ma conversation téléhponique avec Gerry. »

g) Vous avez faussement déclaré que vous avez demandé à la sergente d’aller parler à [M. G.M. et Mme D.M.] puisqu’ils avaient été témoins de la confrontation physique : « Je lui ai dit que [M. G. M. et Mme D. M.] étaient là. Vous devez leur parler pour savoir » étais-je censé aller parler à [M. G.M. et Mme D. M.]? J’ai donc demandé à ma sergente de le faire. Qu’importe ce qu’elle a dit, je lui ai indiqué que je partais, ils savaient tous que je partais, ils savaient que je n’étais pas proche du téléphone cellulaire. »

h) Vous avez faussement laissé entendre que vous avez mentionné à la sergente Knelsen que le [gendarme F.] devrait communiquer avec le détachement de Kitscoty s’il voulait déposer une plainte, alors qu’en fait, la sergente Knelsen vous en a parlé.

[Traduit tel que reproduit dans la version anglaise.]

Analyse

[58]  Dans ses allégations faites auprès du Comité de déontologie, l’autorité disciplinaire a reconnu que si le Comité n’établissait aucune des autres allégations, l’allégation no 7 ne pouvait pas être maintenue. Compte tenu de cette admission et de mes conclusions relatives aux allégations nos 3, 4 et 6, je conclus que l’allégation no 7 n’a pas non plus été établie.

OBERVATIONS S FINALES

[59]  Je crois que j’ai l’obligation de formuler une autre remarque sur la façon dont ces procédures ont été menées. Dans ses observations finales, le représentant du membre a parlé des éléments de preuve sur lesquels l’autorité disciplinaire se fie et a demandé « Que faisons-nous ici? » Dans ses observations finales, le représentant des autorités disciplinaires a répondu que « Chacune de ces allégations contredit les éléments de preuve. C’est pour cette raison que nous sommes ici ». Avec tout le respect que je dois à l’autorité disciplinaire et au représentant des autorités disciplinaires, ce n’est pas un motif approprié pour initier une audience disciplinaire ou pour poursuivre de telles procédures.

[60]  Je rappelle aux autorités disciplinaires et à leurs représentants qu’ils jouent le rôle de procureur dans le cadre de ces procédures. Certaines responsabilités sont liées à ce rôle, et la Cour d’appel de l’Île-du-Prince-Édouard en a traité dans Griffin c. Summerside (Ville), [2008] PEIJ No 46 (autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada rejetée). Dans cette affaire, le demandeur, le directeur adjoint des Services de police, a eu gain de cause contre Arsenault, le directeur des Services de police, pour poursuite abusive dans le cadre de la discipline policière. La Cour d’appel a statué qu’Arsenault n’avait pas de motifs suffisants pour porter des accusations d’infractions disciplinaires contre Griffin et a indiqué, à la page 8 :

[…] ll est maintenant bien établi que les organismes disciplinaires professionnels et les personnes qui ont le pouvoir d’engager des procédures devant ces organismes ne jouissent pas de l’immunité face aux poursuites pour poursuite abusive. […]

[61]  Il va de soi que si un procureur, dans le cadre de procédures disciplinaires, peut être tenu responsable d’une poursuite abusive de la même façcon qu’un procureur dans des procédures au criminel, ses responsabilités éthiques sont semblables à celles d’un procureur dans des procédures au criminel, comme l’a établi la Cour suprême du Canada dans Boucher c R., [1955] LRC 16, 23-24. J’estime que le paragraphe 1.n. du Code d’éthique des représentants de la GRC étaye aussi cette affirmation :

n) À titre de représentant de l’autorité disciplinaire, ne pas chercher principalement à obtenir un verdict d’infraction au code de déontologie, mais plutôt voir à ce que justice soit rendue;

[62]  Dans le contexte des audiences disciplinaires de la GRC, cela signifie que l’autorité disciplinaire doit continuellement évaluer les éléments de preuve pour veiller à ce qu’il y ait une probabilité raisonnable que l’on établisse qu’une infraction au Code de conduite a été commise. Sinon, on doit mettre fin à la poursuite. Il n’est pas approprié qu’une autorité disciplinaire évite cette responsabilité et qu’elle laisse le Comité de déontologie tirer cette conclusion inévitable.

CONCLUSION

[63]  Je conclus que l’autorité disciplinaire n’a pas réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités, l’une ou l’autre des quatre allégations visant l’inspecteur Manj. Les quatre allégations sont donc rejetées. Je rappelle aux parties que les dispositions relatives à un appel de cette décision se trouvent à l’article 45.11 de la Loi sur la GRC et que les règles qui régissent un tel appel se trouvent dans les Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289.

 

 

8 novembre 2019

Gerald Annetts

Comité de déontologie

 

Date

 

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