Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

L’avis d’audience disciplinaire contenait deux allégations de conduite déshonorante en violation de l’article 7.1 du Code de déontologie de la GRC. Pour ce qui est de la première allégation, entre le 1er novembre 2009 et le 3 février 2010, la gendarme Little aurait, pendant qu’elle était en service, formulé des commentaires déplacés d’ordre sexuel au gendarme A. F. et aurait touché sa cuisse sans son consentement. Pour ce qui est de la deuxième allégation, le 3 février 2010, la gendarme Little n’était pas en service, mais elle aurait croisé le gendarme A. F. dans le couloir du Détachement alors qu’ils se préparaient à participer à une partie de ballon-balai communautaire. La gendarme Little aurait empoigné les parties génitales du gendarme A. F. pendant une ou deux secondes, sans son consentement. Personne n’a été témoin de ces deux incidents.
Après une audience contestée, le comité de déontologie a conclu que les deux allégations étaient fondées selon la prépondérance des probabilités. Vu la nature des allégations et la similitude des événements, le comité de déontologie a infligé les mesures suivantes :
a. une confiscation globale de 30 jours — soit une confiscation de 20 jours de solde et une réduction de la banque de congés annuels de 10 jours vu les difficultés financières de la gendarme Little;
b. l’inadmissibilité à toute promotion pour une période de 2 ans, à partir de la date de réintégration de la gendarme Little;
c. l’assujettissement à une stricte surveillance pendant le travail pour une période d’un an, à partir de la date de réintégration de la gendarme Little;
d. une limitation des fonctions de la gendarme Little, au besoin, afin de s’assurer qu’elle n’est pas affectée au même détachement ou lieu de travail que le gendarme A. F. Il est aussi ordonné qu’une copie de la présente décision soit transmise à l’agent du perfectionnement et du renouvellement de la Division E (QG E, APR).

Contenu de la décision

Protégé A

2020 DAD 1

Logo de la Gendarmerie royale du Canada

GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

Affaire intéressant une audience disciplinaire tenue en vertu

de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC, 1985, c R-10

Entre :

Commandant de la Division E

autorité disciplinaire

et

Gendarme Valerie Little, numéro de matricule 58351

membre visée

Décision du comité de déontologie

Josée Thibault

29 janvier 2020

Sergent d’état-major Jonathan Hart, représentant de l’autorité disciplinaire

Mme Sara Novell, représentante de la membre visée


TABLE DES MATIÈRES

SOMMAIRE  2

CONTEXTE  4

REQUÊTES PRÉLIMINAIRES  5

a) Ordonnance de préservation  5

b) Audience à huis clos  6

c) Interdiction de publication pour l’audience à huis clos  7

ALLÉGATIONS  8

Résumé des faits  9

Crédibilité des témoins  11

Rencontres survenues après les incidents  15

Critère de conduite déshonorante  18

Allégation nº 1 — incident de la salle de visionnement  19

Allégation nº 2 — incident du couloir  21

MESURES DISCIPLINAIRES  25

Éventail des mesures disciplinaires  26

Facteurs aggravants  29

Facteurs atténuants  29

Parité des sanctions  30

CONCLUSION  31

 

SOMMAIRE

L’avis d’audience disciplinaire contenait deux allégations de conduite déshonorante en violation de l’article 7.1 du Code de déontologie de la GRC. Pour ce qui est de la première allégation, entre le 1er novembre 2009 et le 3 février 2010, la gendarme Little aurait, pendant qu’elle était en service, formulé des commentaires déplacés d’ordre sexuel au gendarme A. F. et aurait touché sa cuisse sans son consentement. Pour ce qui est de la deuxième allégation, le 3 février 2010, la gendarme Little n’était pas en service, mais elle aurait croisé le gendarme A. F. dans le couloir du Détachement alors qu’ils se préparaient à participer à une partie de ballon-balai communautaire. La gendarme Little aurait empoigné les parties génitales du gendarme A. F. pendant une ou deux secondes, sans son consentement. Personne n’a été témoin de ces deux incidents.

Après une audience contestée, le comité de déontologie a conclu que les deux allégations étaient fondées selon la prépondérance des probabilités. Vu la nature des allégations et la similitude des événements, le comité de déontologie a infligé les mesures suivantes :

  1. une confiscation globale de 30 jours — soit une confiscation de 20 jours de solde et une réduction de la banque de congés annuels de 10 jours vu les difficultés financières de la gendarme Little;

  2. l’inadmissibilité à toute promotion pour une période de 2 ans, à partir de la date de réintégration de la gendarme Little;

  3. l’assujettissement à une stricte surveillance pendant le travail pour une période d’un an, à partir de la date de réintégration de la gendarme Little;

  4. une limitation des fonctions de la gendarme Little, au besoin, afin de s’assurer qu’elle n’est pas affectée au même détachement ou lieu de travail que le gendarme A. F. Il est aussi ordonné qu’une copie de la présente décision soit transmise à l’agent du perfectionnement et du renouvellement de la Division E (QG E, APR).


CONTEXTE

[1]  Le 21 janvier 2019, le commandant et autorité disciplinaire de la Division E (l’autorité disciplinaire) a signé un Avis à l’officier désigné pour demander la tenue d’une audience disciplinaire relativement à cette affaire. Le 29 janvier 2019, j’ai été nommée au comité de déontologie en vertu du paragraphe 43(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC, 1985, c R- 10 [la Loi sur la GRC].

[2]  L’avis d’audience disciplinaire (l’avis) contenait deux allégations de conduite déshonorante en violation de l’article 7.1 du Code de déontologie de la GRC. L’avis a été signé par l’autorité disciplinaire le 21 février 2019. Il a été signifié à la membre visée le 13 mars 2019, en plus du dossier d’enquête. On retrouve dans l’énoncé détaillé des allégations les versions contradictoires données par les parties à l’égard de deux incidents sexuels non consensuels survenus sur le lieu de travail. Le premier incident s’est produit en novembre 2009, ou vers cette période, et le deuxième incident, en février 2010.

[3]  Le 4 avril 2019, la gendarme Little a donné sa réponse à l’avis en vertu du paragraphe 15(3) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291 [les CC (déontologie)].

[4]  L’audience a eu lieu à Vancouver, en Colombie-Britannique, du 19 à 22 août 2019. La décision orale établissant les deux allégations a été prononcée le 22 août 2019. La décision orale sur les mesures disciplinaires a été rendue le 28 août 2019. La présente décision écrite intègre et approfondit ces décisions orales.

[5]  Avant de poursuivre mon analyse en l’espèce, je tiens à préciser dès le départ que je n’ai tiré aucune inférence négative du fait que le gendarme A. F. a tardé à faire un signalement (c.-à-d. près de 10 ans après le premier incident) [1] ; et/ou de sa conduite après l’incident, y compris les stéréotypes et les suppositions sur la façon dont doit se comporter une victime d’inconduite sexuelle [2] .

[6]  Je tiens aussi à préciser que toute mention d’agression sexuelle dans l’avis ou dans les présentes procédures ne doit pas être interprétée comme s’il s’agissait d’une décision sur la question de savoir si une agression sexuelle, telle que définie dans le Code criminel, LRC, 1985, c C-46, a été établie. Dans l’arrêt F.H. c McDougall, 2008 CSC 53 [McDougall], la Cour suprême du Canada a souligné que la norme de preuve applicable en droit administratif est celle de la prépondérance des probabilités, ce qui englobe les affaires d’inconduite sexuelle ou de harcèlement sexuel jugées par un comité de déontologie de la GRC.

REQUÊTES PRÉLIMINAIRES

a) Ordonnance de préservation

[7]  Le 2 avril 2019, la représentante de la membre a demandé au comité de déontologie de rendre une ordonnance de préservation pour les séquences vidéo du Détachement de Nanaimo pour la période allant du 22 mars 2017 au 20 mai 2017. Elle a fait valoir qu’il y avait des éléments de preuve contradictoires au sujet de la rencontre des parties au printemps 2017. Plus précisément, le gendarme A. F. a affirmé qu’il se sentait mal à l’aise en présence de la gendarme Little et a nié lui avoir fait visiter le Détachement. Comme le système informatique de la GRC écrasait automatiquement les données vidéo de février 2017, l’ordonnance de préservation était nécessaire pour pouvoir protéger la preuve.

[8]  La version des événements de la gendarme Little était différente. Elle croyait que les séquences vidéo allaient corroborer son témoignage. Cependant, elle était incapable de confirmer la date de la rencontre. Selon le représentant de l’autorité disciplinaire, ce ne fut pas simple de préserver les séquences vidéo pour une période de 60 jours, tel que demandé. Il y a eu des problèmes techniques et d’importantes répercussions sur les ressources.

[9]  J’ai rejeté la requête de la représentante de la membre parce que, comme l’a indiqué le représentant de l’autorité disciplinaire, les séquences vidéo n’avaient rien à voir avec la conduite dont il est question dans les allégations. De plus, il n’était pas clair au moment de la requête que la preuve recherchée par la gendarme Little était importante et nécessaire pour aider le comité de déontologie à déterminer si les allégations étaient fondées. Enfin, les séquences vidéo contredisaient le témoignage du gendarme A. F. puisqu’elles montraient qu’il avait effectivement invité la gendarme Little à visiter le Détachement, comme elle le soutenait, mais la crédibilité des témoins est appréciée en fonction de l’ensemble d’une preuve claire, convaincante et fiable. Divers facteurs, comme le comportement, la capacité à percevoir, la mémoire, la motivation, la probabilité et la cohérence, seront examinés par le comité de déontologie.

b) Audience à huis clos

[10]  Le 21 juin 2019, la représentante de la membre a demandé à ce que toute l’audience soit tenue à huis clos conformément au paragraphe 45.1(2) de la Loi sur la GRC. De plus, la représentante de la membre a demandé à ce que l’identité de la gendarme Little soit protégée par une interdiction de publication quant aux renseignements divulgués pendant l’audience à huis clos conformément à l’alinéa 45.1(7)b) de la Loi sur la GRC. Le représentant de l’autorité disciplinaire ne s’est pas opposé à la demande de cette dernière et a affirmé que, vu la nature délicate de l’affaire, le gendarme A. F. préférait également que l’audience soit tenue à huis clos.

[11]  Malgré la position des parties, j’ai rejeté la demande pour les raisons suivantes :

  1. Comme il est clairement indiqué dans la Loi sur la GRC, les audiences tenues devant un comité de déontologie sont publiques. Le principe de la publicité des débats judiciaires a été appliqué dans l’affaire Southam Inc. c Canada (Attorney General), 1997 CarswellOnt 4376, dans laquelle la Cour supérieure de justice de l’Ontario a déclaré que les audiences disciplinaires de la GRC sont publiques. La Cour a également reconnu qu’il faut parfois protéger les renseignements relatifs aux enquêtes criminelles en cours, à l’identité d’une source confidentielle et aux techniques opérationnelles de la police.
  2. Dans des cas exceptionnels, les comités de déontologie ont tenu des audiences complètes à huis clos lorsque la preuve risquait sérieusement de révéler l’identité d’une source confidentielle ou des techniques opérationnelles de la police. Il se peut aussi que certaines parties des audiences aient été tenues à huis clos pour protéger les renseignements médicaux d’un membre.
  3. J’ai reconnu que des renseignements très personnels et délicats pouvaient être révélés pendant l’audience, mais selon moi, la nature délicate des renseignements en cause ne l’emportait pas sur les considérations invoquées en faveur d’une audience publique. L’audience disciplinaire traite de l’inconduite d’un membre de la GRC lorsque le commandant d’une division en demande le congédiement. Le public a tout intérêt à ce que les policiers se voient conférer de larges pouvoirs pour préserver la paix et faire respecter la loi. Il y a un grand besoin de transparence et la tenue de toute une audience à huis clos est une mesure extraordinaire qui doit être prise en fonction de chaque cas et appliquée dans des cas vraiment exceptionnels. En fin de compte, j’estime que les circonstances en l’espèce ne répondent pas à ce critère.

c) Interdiction de publication pour l’audience à huis clos

[12]  La demande d’interdiction de publication visant à protéger l’identité de la gendarme Little a aussi été rejetée puisque l’audience n’allait pas se tenir à huis clos. En outre, conformément à la Loi sur la GRC, la gendarme Little n’était pas un témoin ni une personne de moins de 18 ans. Toute dérogation à la règle générale de la publicité des procédures et de l’accès du public aux procédures doit répondre au critère défini par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dagenais- Mentuck [3] . Essentiellement, l’interdiction de publication doit être nécessaire et servir un objectif important qui ne peut être atteint par une mesure de rechange raisonnable. Il faut non seulement limiter son utilisation autant que possible, mais les effets bénéfiques de l’interdiction doivent aussi l’emporter sur les effets préjudiciables qu’elle pourrait avoir sur d’autres droits et intérêts.

[13]  Vu l’intérêt public dans les audiences publiques, il faut des raisons impérieuses pour justifier l’interdiction de publication de l’identité de la gendarme Little ainsi que des allégations qui pèsent contre elle. Selon moi, il n’existe pas de telles raisons en l’espèce.

ALLÉGATIONS

[14]  Comme je l’ai déjà indiqué, deux allégations sont soumises au comité de déontologie et elles sont ainsi libellées :

[TRADUCTION]

Allégation nº 1

Entre le 1er novembre 2009 et le 3 février 2010, à Vernon ou dans les environs, dans la province de la Colombie-Britannique, la gendarme Valerie Little s’est comportée d’une manière susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, en violation de l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé de l’allégation nº 1

1. Pendant toute la période pertinente, vous étiez une membre de la Gendarmerie royale du Canada (« GRC ») affectée à la Division E, au Détachement de Vernon, en Colombie-Britannique.

2. Alors que vous étiez en service, le gendarme A. F. et vous — ainsi que d’autres membres — observiez des membres du Groupe des crimes graves qui interrogeaient un individu soupçonné d’avoir commis une infraction d’ordre sexuel. Vous assistiez à l’interrogatoire par le biais d’un flux vidéo à des fins d’éducation et de formation. À un moment de l’interrogatoire, alors que le suspect parlait de ses propres préférences sexuelles, vous vous êtes penchée vers le gendarme A. F. et avez placé votre main droite sur sa cuisse gauche et avez chuchoté à son oreille quelque chose comme : « J’aime ça par-derrière ».

3. Le gendarme A. F. ne vous a pas autorisée à le toucher. Il n’a pas amorcé ou engagé la conversation avec vous à la suite du commentaire inapproprié que vous avez formulé sur le lieu de travail quant à vos préférences sexuelles.

Allégation nº 2

Le 3 février 2010, ou vers cette date, à Vernon ou dans les environs, dans la province de la Colombie-Britannique, la gendarme Valerie Little s’est comportée d’une manière susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, en violation de l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé de l’allégation nº 2

1. Pendant toute la période pertinente, vous étiez une membre de la Gendarmerie royale du Canada (« GRC ») affectée à la Division E, au Détachement de Vernon, en Colombie-Britannique.

2. Le 3 février 2010, le gendarme A. F. et vous avez participé à une activité visant à nouer des liens avec la collectivité — un tournoi de ballon-balai — qui était parrainé par la direction de la GRC. La GRC de Vernon a donc inscrit une équipe au tournoi. Les joueurs ont vite compris qu’ils devaient se protéger en portant un suspensoir et une coquille puisque la partie pouvait être « plutôt dure ». Cette conversation entre les joueurs de la GRC a eu lieu à l’intérieur du Détachement de Vernon, dans un couloir près du bureau des [sous-officiers] de soutien [des opérations].

3. À un certain moment, il ne restait que le gendarme A. F. et vous dans le couloir du Détachement. Vous vous êtes approchée de ce dernier alors qu’il s’accotait sur le mur. Vous avez empoigné le pénis du gendarme A. F. et l’avez serré avec vos doigts en disant : « Je vois que tu ne portes pas de coquille ». Le gendarme A. F. portait alors des vêtements de sport, dont un léger short en polyester.

4. Le gendarme A. F. ne vous a pas autorisée à le toucher de façon sexuelle. Vous avez sexuellement agressé le gendarme A. F. Ce dernier était gêné et outré de vos avances sexuelles non désirées et il a réagi en s’éloignant.

5. Comme il est un homme et vous, une femme, le gendarme A. F. a jugé qu’il n’avait aucun recours contre vos avances sexuelles non désirées. Peu après l’incident, le gendarme A. F. a tenté d’obtenir l’aide de la membre [à la retraite, Mme K. S.]. Cependant, elle n’a pas pris sa plainte d’agression sexuelle au sérieux du fait qu’il était un homme et elle a « ri » quand il lui en a fait part.

[Traduit tel que reproduit dans la version anglaise]

Résumé des faits

[15]  Les gendarmes A. F. et Little sont tous les deux des membres réguliers qui travaillaient au Détachement de Vernon en 2009 et en 2010. Au moment des deux incidents d’inconduite sexuelle, la gendarme Little était une nouvelle recrue au Détachement.

[16]  Les parties ne travaillaient pas ensemble et ne se fréquentaient pas, que ce soit en service ou non. Pendant leur service, les deux parties interagissaient à peine entre elles, ne plaisantaient jamais ensemble et ne flirtaient jamais l’une avec l’autre. Elles n’avaient même pas échangé leurs coordonnées.

[17]  La gendarme Little traitait le gendarme A. F. avec respect et révérence puisqu’elle savait qu’il avait pris part à une fusillade difficile dans le cadre de ses fonctions au début de 2007.

[18]  Le premier incident d’inconduite sexuelle, connu comme étant l’incident de la salle de visionnement, est survenu entre le 1er novembre 2009 et le 3 février 2010. Le deuxième incident, connu comme étant l’incident du couloir, s’est produit le 3 février 2010.

[19]  Les parties n’ont jamais parlé des incidents ensemble. Le gendarme n’a pas répondu au commentaire de la gendarme Little ni donné suite à son geste.

[20]  Le gendarme A. F. a quitté le Détachement de Vernon en mars 2011 et les parties n’ont eu aucune interaction après son départ.

[21]  Les parties se sont rencontrées par hasard au printemps 2017. À ce moment-là, le gendarme A. F. était en service au Détachement de Nanaimo. La gendarme Little, qui était en congé de maternité, s’est présentée au Détachement pour rendre visite à quelqu’un. Les parties ont des comptes rendus contradictoires de leur interaction.

[22]  Les parties se sont de nouveau rencontrées par hasard le 2 août 2018 alors qu’elles se rendaient toutes les deux à un rendez-vous médical dans le même bâtiment à Nanaimo. Encore une fois, les parties ont des versions différentes de cette rencontre.

[23]  Après la rencontre du 2 août 2018, le gendarme A. F. a informé la direction de la GRC des incidents de la salle de visionnement et du couloir, de sorte qu’une enquête relative au Code de déontologie a été lancée à l’endroit de la gendarme Little.

[24]  Les deux parties ont beaucoup de respect pour Mme K. S., une agente expérimentée de la GRC qui travaillait au Détachement de Vernon au moment des incidents. Le gendarme A. F. ne lui a confié que l’incident du couloir.

Crédibilité des témoins

[25]  J’ai entendu les témoignages de trois témoins : Mme K. S., le gendarme A. F. et la gendarme Little. Au moment d’apprécier leur crédibilité, j’ai pris en considération plusieurs facteurs, notamment leur motivation, s’ils étaient francs, directs ou évasifs, et s’ils étaient cohérents tout au long de leur témoignage. Comme il est indiqué au paragraphe 56 de l’affaire R. c T.B., 2018 PESC 3 : [TRADUCTION] « L’appréciation de la crédibilité n’est pas une science. […] Aux termes de la loi, je dois tenir compte de divers facteurs lorsque j’apprécie la crédibilité, y compris le bon sens et la logique ».

[26]  Vu la nature historique de la présente affaire, la fiabilité était un facteur important. Par conséquent, j’ai aussi apprécié la capacité des témoins à observer, à raconter et à se rappeler les détails des deux incidents, les incohérences et la question de savoir si les explications étaient improbables à première vue ou si elles manquaient de fiabilité. Enfin, je me suis inspirée de l’affaire R. c Clark, 2012 CACM 3, où il est écrit au paragraphe 40 que « [l]e juge des faits doit apprécier le témoignage de chaque témoin en tenant compte de tous les éléments de preuve produits durant l’instance ». Au paragraphe 48, la cour indique que le « témoignage d’un témoin crédible, honnête personne au demeurant, peut néanmoins ne pas être fiable : R. c. Morrissey (1995), […] 97 CCC (3d) 193 (CA Ont), page 205) ».

[27]  En l’espèce, au moment d’apprécier la crédibilité de chaque témoin, je me suis aussi inspirée de deux précédents faisant autorité. Le premier précédent est l’arrêt Faryna c Chorny, [1952] 2 DLR 354 (CA C.-B.), qui indique ce qui suit à la page 357 :

[TRADUCTION] […] La crédibilité des témoins intéressés, en particulier lorsque les témoignages sont contradictoires, ne peut être mesurée uniquement suivant le critère consistant à savoir si le comportement personnel du témoin précis exprimait la vérité avec conviction. Le critère applicable consiste plutôt à se demander si son récit est conforme aux probabilités qui caractérisent les faits de l’espèce. Bref, pour déterminer si la version d’un témoin est conforme à la vérité dans un tel cas, il faut déterminer si le témoignage est, selon la prépondérance des probabilités, compatible avec celui qu’une personne sensée et informée reconnaîtrait d’emblée comme un témoignage raisonnable, compte tenu des conditions et de l’endroit. C’est seulement de cette façon qu’un tribunal peut évaluer de manière satisfaisante le témoignage des personnes à l’esprit vif, expérimentées et confiantes, ainsi que le témoignage des personnes astucieuses qui manient bien le demi- mensonge et qui savent depuis longtemps combiner l’exagération adroite et les omissions partielles de la vérité. En outre, il peut arriver qu’un témoin dise ce qu’il croit sincèrement être la vérité, mais se trompe en toute honnêteté. […]

[Caractères gras ajoutés.]

[28]  Le deuxième précédent est l’arrêt McDougall, où la Cour a précisé que « […] la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. Mais, je le répète, aucune norme objective ne permet de déterminer qu’elle l’est suffisamment. »

[29]  J’estime que Mme K. S. est crédible et que son témoignage l’est également. Elle s’est exprimée en toute honnêteté et elle n’avait aucun ressentiment envers l’une ou l’autre des parties. Elle a admis s’être montrée amicale avec la gendarme Little parce qu’elles étaient des collègues, mais qu’elle n’était pas personnellement proche d’elle.

[30]  En revanche, Mme K. S. a confirmé avoir travaillé avec le gendarme A. F. sur une base quotidienne. En fait, ils passaient environ 60 % de leur temps à travailler ensemble dans le Programme de la liaison avec les écoles. Elle agissait comme une mère envers lui et il la considérait comme son mentor. Néanmoins, ils ne se sont jamais rendus à des rencontres sociales ensemble. Ils n’ont pas non plus communiqué entre eux après que le gendarme A. F. eut quitté le Détachement de Vernon en mars 2011. Mme K. S. a déclaré avoir commenté à quelques reprises les photos qu’il avait publiées sur Facebook, mais le gendarme A. F. n’a jamais répondu.

[31]  À l’audience, Mme K. S. a décrit le gendarme A. F. comme un [TRADUCTION] « gars très organisé et avisé » [4] et a ajouté qu’« [i]l était droit, décent et travaillant » [5] . Elle estime qu’il s’est confié à elle au sujet de l’incident du couloir parce qu’il lui faisait confiance. En contre- interrogatoire, elle a catégoriquement nié qu’il ait pu mentir à propos des deux incidents ou qu’il ait pu les inventer. J’aimerais préciser que je ne suis pas tenue d’accepter le témoignage de Mme K. S. sur la moralité du gendarme A. F. Par conséquent, j’ai pris ma propre décision au vu de la preuve présentée à l’audience et versée au dossier.

[32]  Selon la représentante de la membre, les témoignages du gendarme A. F. et de Mme K. S. étaient truffés d’incohérences, ce qui a nui à leur fiabilité. Par exemple, Mme K. S. a affirmé que la première réaction qu’elle a eue lorsqu’elle a été mise au courant de l’incident du couloir avait mis le gendarme A. F. en colère, mais lui ne se souvenait pas de s’être emporté lorsqu’il a témoigné à l’audience. Cependant, le gendarme A. F. a dit qu’il était bouleversé et gêné puisqu’il avait l’impression que Mme K. S. ne l’avait pas pris au sérieux au départ. En fin de compte, il était convaincu que Mme K. S. comprenait ce qui s’était passé, qu’elle le croyait et qu’elle allait dire à la gendarme Little qu’il ne voulait pas poursuivre une relation avec elle.

[33]  Il y a une autre incohérence : le gendarme A. F. a déclaré ne pas avoir poursuivi l’affaire, car il était convaincu que Mme K. S. avait parlé à la gendarme Little comme il lui avait demandé. Quand elle a témoigné à l’audience, Mme K. S. a expliqué qu’elle n’avait pas eu une conversation approfondie avec la gendarme Little. En réalité, elle a fait un petit commentaire au passage, soit que la gendarme Little [TRADUCTION] « dev[ait] garder [ses] mains pour [elle] si [elle] voul[ait] éviter les ennuis » [6] , car elle avait l’habitude de plaisanter dans ce genre de situations délicates. De même, Mme K. S. ne pouvait pas confirmer qu’elle avait abordé la question avec la gendarme Little dans les jours ou les semaines qui ont suivi l’incident, car les parties avaient des horaires de travail différents. Il convient de noter que dans son témoignage, le gendarme A. F. a déclaré avoir eu l’impression que Mme K. S. avait peut-être [TRADUCTION] « un peu balay[é] la question du revers de la main ». Quoi qu’il en soit, il espérait que le message était passé et que de tels incidents ne se reproduiraient plus.

[34]  Je reconnais qu’il y avait certaines incohérences entre les témoignages fournis par Mme K. S. et le gendarme A. F., mais je ne partage pas l’avis de la représentante de la membre selon lequel ces incohérences étaient importantes au regard de l’ensemble de la preuve et, surtout, du temps écoulé. En fin de compte, j’estime que les incohérences ont été expliquées par la preuve au dossier et qu’elles ont eu peu d’effet sur la crédibilité et la fiabilité de Mme K. S.

[35]  En ce qui concerne le gendarme A. F., je l’ai trouvé crédible. Vu les circonstances, il était un témoin très anxieux et émotif. À certains moments, la façon dont il se rappelait les événements et décrivait les incidents de la salle de visionnement et du couloir, par exemple, n’était pas aussi précise que celle de la gendarme Little. Malgré cela, il a donné des réponses directes et il n’a pas tenté de les embellir ou de les parfaire au fil du temps. Il a fait preuve de sincérité et de candeur. En fin de compte, son témoignage était plus logique et plausible que celui de la gendarme Little.

[36]  En outre, selon son témoignage, le gendarme A. F. n’avait aucun motif plausible d’inventer les allégations contre la gendarme Little, avec qui il n’a pratiquement pas eu d’interaction à l’époque où il travaillait au Détachement de Vernon. Son témoignage comportait certaines incohérences par rapport à celui de Mme K. S., mais comme je l’ai déjà mentionné, je ne partage pas l’avis de la représentante de la membre selon lequel ces incohérences ont nui à sa fiabilité. Au vu de l’ensemble de la preuve, je conclus que son témoignage était clair et convaincant.

[37]  En ce qui concerne la gendarme Little, je l’ai trouvée crédible de façon générale. Pendant son témoignage, elle a semblé avoir des souvenirs précis et a fourni une myriade de détails et d’observations sur les deux incidents ainsi que sur les fois où elle a rencontré le gendarme A. F. après les incidents, soit une fois au Détachement de Nanaimo au printemps 2017 et une autre fois dans le bureau du psychologue en août 2018.

[38]  Cependant, en analysant de plus près l’ensemble de la preuve, j’ai constaté que la gendarme Little avait embelli et édité son témoignage, ce qui a eu une incidence négative sur l’appréciation que j’ai faite de sa crédibilité. Elle a notamment remanié son témoignage quand elle a décrit les détachements de Vernon et de Nanaimo, l’affiche de la fille disparue qui était accrochée au mur, les agents assis dans l’entrée principale du Détachement de Nanaimo ou quand elle se rappelait précisément les conversations qu’elle avait eues avec des collègues il y a une dizaine d’années.

[39]  De plus, pendant son témoignage, la gendarme Little a fait quelques affirmations à propos de sa mutation au Détachement de Nanaimo en 2018, lesquelles n’étaient pas étayées par la preuve. En fin de compte, la certitude avec laquelle la gendarme Little a raconté les deux incidents et les conversations qu’elle a eues avec le gendarme A. F. dans le passé a eu pour effet de soulever des doutes et des préoccupations quant à la fiabilité de son témoignage. En fait, son témoignage sonnait faux et une personne sensée et informée ne le reconnaîtrait pas d’emblée comme un témoignage raisonnable dans telle situation et telles circonstances.

Rencontres survenues après les incidents

[40]  Dans mon appréciation de la crédibilité des témoins et de la fiabilité de leur témoignage, j’ai tenu compte de deux rencontres importantes qui ont eu lieu entre les parties après les incidents. Ces rencontres ne sont pas visées par les allégations et les détails figurant dans l’avis, mais elles fournissent un contexte et me permettent de mieux comprendre comment la plainte d’inconduite sexuelle a pris naissance. Il convient de noter qu’il a d’abord été question de ces rencontres dans la déclaration qu’a faite la gendarme Little le 10 novembre 2018 dans le cadre de l’enquête relative au Code de déontologie. Ensuite, le 2 avril 2019, la représentante de la membre a demandé à ce que le comité de déontologie rende une ordonnance de préservation des séquences vidéo du Détachement de Nanaimo, déclarant que la preuve était pertinente pour l’appréciation de la crédibilité des parties qui avaient des versions contradictoires de la rencontre survenue au printemps 2017. Le gendarme A. F. a donné sa version des deux rencontres à l’enquêteur chargé de l’enquête relative au Code de déontologie. Enfin, à l’audience, les deux parties ont témoigné à propos des rencontres lors des interrogatoires et des contre-interrogatoires.

[41]  La première rencontre à être survenue après les incidents a eu lieu au printemps 2017, au Détachement de Nanaimo. La gendarme Little a affirmé qu’elle était allée au Détachement pour parler avec le superviseur du Programme de la liaison avec les écoles, où elle désirait faire carrière. À son arrivée, elle a vu le gendarme A. F. qui se tenait près de la boîte à lettres, à l’entrée. Selon la gendarme Little, ce dernier l’a accueillie chaleureusement. Ils ont eu une conversation amicale et ont parlé pendant environ 10 minutes de sa grossesse, de ses conditions de vie à Nanaimo et surtout de son projet visant à être mutée au Détachement de Nanaimo après son congé de maternité en septembre 2018. Ils ont aussi découvert qu’ils consultaient tous les deux le même psychologue. Enfin, le gendarme A. F. lui a fait visiter le Détachement et l’a conduite au bureau du Groupe de la liaison avec les écoles, où il l’a présentée à une femme nommée Samantha.

[42]  Dans sa réponse au comité de déontologie, la gendarme Little a indiqué que le gendarme A. F. avait volontairement négligé de divulguer cette première rencontre quand il a fait sa première déclaration à l’enquêteur chargé de l’enquête relative au Code de déontologie. En contre- interrogatoire, le gendarme A. F. a expliqué qu’il ne l’avait pas mentionnée parce qu’il croyait avoir répondu à toutes les questions pertinentes de l’enquêteur. En outre, pour lui, la rencontre était peu importante. Le dossier révèle que l’enquêteur n’a pas demandé au gendarme A. F. s’il avait rencontré la gendarme Little après les incidents. Quand il a été interrogé à ce sujet dans sa deuxième déclaration, le gendarme A. F. a fourni un compte rendu complet de la rencontre. Plus précisément, il a nié avoir parlé de son psychologue et lui avoir fait visiter le Détachement. Il a expliqué qu’il espérait ne plus jamais revoir la gendarme Little, mais qu’il avait fait le minimum pour rester professionnel. Il a aussi déclaré que la rencontre avait été brève. La gendarme Little lui a dit qu’elle travaillait à Campbell River, qu’elle était en congé de maternité et lui a posé des questions superficielles générales sur le bureau. Comme elle voulait avoir accès à un ordinateur, il lui a apporté le premier ordinateur disponible et est retourné à son bureau.

[43]  J’estime que la version qu’a donnée la gendarme Little de la rencontre est invraisemblable. Comme l’a indiqué le représentant de l’autorité disciplinaire, les deux membres n’étaient pas des amis et n’ont jamais discuté de renseignements personnels lorsqu’ils travaillaient ensemble au Détachement de Vernon. Or, pendant cette brève rencontre impromptue de 10 minutes, la gendarme Little a abordé deux sujets importants avec le gendarme A. F. Tout d’abord, elle était mutée au Détachement de Nanaimo, où elle désirait travailler dans le Programme de la liaison avec les écoles. Puis, ils consultaient tous les deux le même psychologue, qui avait diagnostiqué chacun d’eux avec un trouble de stress post-traumatique.

[44]  Compte tenu du comportement réservé du gendarme A. F. et de ses réponses courtes et précises lors de son témoignage, je préfère de loin sa version des faits et je trouve que le témoignage de la gendarme Little était intéressé et riche de détails dans le but de renforcer sa crédibilité.

[45]  Comme l’a expliqué le gendarme A. F. à l’audience, quand il a quitté le Détachement de Vernon en mars 2011, il pensait que les deux incidents d’inconduite sexuelle avec la gendarme Little étaient derrière lui. S’il avait su au printemps 2017 que la gendarme Little allait être mutée à son Détachement en septembre 2018, comme elle l’a affirmé, il l’aurait dénoncée à ce moment- là et il n’aurait pas attendu de la rencontrer une deuxième fois en août 2018. J’estime que cette réponse du gendarme A. F. concorde davantage avec la preuve.

[46]  En fait, la preuve révèle qu’il est plus probable qu’improbable que le gendarme A. F. ait découvert qu’il consultait le même psychologue que la gendarme Little alors qu’il faisait sa deuxième déclaration à l’enquêteur chargé de l’enquête relative au Code de déontologie et non quand il a parlé brièvement à cette dernière au printemps 2017, comme elle l’a prétendu. Voici un résumé de sa réponse à l’enquêteur : [TRADUCTION] « Est-ce que vous parlez du même bureau, ou du même docteur? […] le même psychologue? Ça, c’est la première fois que j’en entends parler. […] Je ne dis pas aux gens que je consulte un psychologue sans raison […] même psychologue, mon Dieu. »

[47]  Je me suis également interrogée sur la fiabilité du témoignage de la gendarme Little quand elle a décrit la deuxième fois qu’elle a rencontré le gendarme A. F. après les incidents, soit le 2 août 2018. Selon elle, elle a été en présence du gendarme A. F. pendant environ 10 secondes. Elle lui a dit bonjour et il a pointé le plafond pour lui indiquer le bureau du psychologue qui se trouvait à l’étage du dessus et il a dit quelque chose indiquant qu’il était en retard et qu’il devait partir avant de monter les escaliers en courant.

[48]  Quant au gendarme A. F., il dit qu’ils ont discuté pendant environ une minute. Elle l’a informé qu’elle était mutée au Détachement de Nanaimo en septembre 2018. Il était complètement bouleversé puisqu’il pensait ne jamais la revoir. Par conséquent, il a passé toute sa séance avec le psychologue à en parler. Il se sentait coincé et savait qu’il ne pouvait pas travailler avec elle parce qu’il craignait qu’il se passe autre chose. Selon la preuve, tout de suite après son rendez-vous, le gendarme A. F. a communiqué avec son conseiller en milieu de travail et l’a informé des deux incidents d’inconduite sexuelle.

[49]  La preuve indique également que le 1er août 2018, la veille de la rencontre au bureau du psychologue, la gendarme Little a reçu son formulaire officiel 1272 — Avis de planification de mutation, qui confirmait qu’elle était prête à être mutée au Détachement de Nanaimo. À l’audience, elle a affirmé qu’elle était très enthousiaste à l’idée d’être mutée puisqu’elle le demandait depuis quelques années. Vu la personnalité très expressive et bavarde de la gendarme Little, comme on l’a observé lors de l’audience, j’estime qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle ait partagé sa grande nouvelle avec le gendarme A. F. lorsqu’elle l’a rencontré au bureau du psychologue plutôt qu’à la première rencontre au printemps 2017 au Détachement de Nanaimo, comme elle l’a prétendu.

Critère de conduite déshonorante

[50]  L’article 7.1 du Code de déontologie de la GRC stipule : « Les membres se comportent de manière à éviter de jeter le discrédit sur la Gendarmerie. » Le critère de « conduite déshonorante » a été élaboré par le Comité externe d’examen de la GRC et est composé de trois volets. Tout d’abord, l’autorité disciplinaire doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, les actes à l’origine de la conduite alléguée, ainsi que l’identité du membre qui aurait commis ces actes. Dans la présente affaire, l’identité de la gendarme Little n’est pas en cause. Deuxièmement, si l’autorité disciplinaire arrive à le prouver, le comité de déontologie doit alors déterminer si une personne raisonnable en société, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités des services de police en général et celles de la GRC en particulier, considérerait que la conduite de la gendarme Little est susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie. Enfin, le comité de déontologie doit déterminer si la conduite est suffisamment liée aux devoirs et fonctions de la membre pour donner à la Gendarmerie un intérêt légitime à prendre des mesures disciplinaires à son endroit.

Allégation nº 1 — incident de la salle de visionnement

[51]  Dans l’allégation nº 1, la gendarme Little a admis le point 1 et a nié les points 2 et 3. En ce qui concerne le point 2, la gendarme Little a nié avoir placé sa main droite sur la cuisse gauche du gendarme A. F. et d’avoir chuchoté à son oreille : [TRADUCTION] « J’aime ça par-derrière ». Elle a fait valoir qu’elle ne se rappelait pas avoir visionné l’interrogatoire d’un suspect d’agression sexuelle mené par le Groupe des crimes graves de Vernon, mais qu’elle s’était rendue là à une autre occasion pour observer l’interrogatoire d’un individu soupçonné d’avoir secoué à mort le bébé de sa petite amie. Elle a expliqué qu’elle était nouvelle dans le Détachement et qu’elle ne toucherait pas un inconnu dans une pièce remplie de membres de la GRC et ne discuterait pas non plus de ses préférences sexuelles avec lui.

[52]  Pendant son contre-interrogatoire, la gendarme Little a adopté une attitude défensive et a répondu qu’elle ne se rappelait pas si elle était assise au moment où elle regardait la vidéo en question ou si elle était peut-être debout pour voir par-dessus la tête des autres. Elle a aussi ajouté que c’était la raison pour laquelle elle n’avait pas dessiné de chaises sur son dessin illustrant la configuration de la salle de visionnement; elle avait plutôt dessiné des flèches pour montrer la direction dans laquelle tout le monde regardait. Elle a convenu qu’il y avait des chaises dans la salle, mais elle ne se souvenait pas que le gendarme A. F. était là.

[53]  Le gendarme A. F. a confirmé dans les déclarations qu’il a faites à l’enquêteur chargé de l’enquête relative au Code de déontologie et à l’audience que le commentaire formulé par la gendarme Little était inattendu. Il soutient ne pas avoir mal interprété les propos de la gendarme Little, lesquels reflétaient essentiellement ce qu’ils venaient de voir sur la vidéo. Il a été surpris par le commentaire et n’a pas répondu à la gendarme Little.

[54]  Comme il est indiqué au point 3, le gendarme A. F. n’a pas consenti à être touché et n’a pas amorcé ni autrement engagé la conversation avec la gendarme Little en ce qui concerne son commentaire sur ses préférences sexuelles. En fait, il a affirmé que le commentaire — lequel n’a été ni bien accueilli ni sollicité — l’avait mis vraiment mal à l’aise. Après l’incident, il a évité tout contact avec la gendarme Little et il n’a pas signalé l’incident à ses superviseurs. Il pensait qu’elle avait compris qu’il n’était pas intéressé, qu’il s’agissait d’un cas isolé et qu’elle ne recommencerait pas.

[55]  Dans le cas d’avances sexuelles non désirées, la corroboration n’est pas nécessaire pour établir l’allégation selon la prépondérance des probabilités. Rien ne vient corroborer l’affirmation du gendarme A. F. selon laquelle les deux parties ont assisté à la séance vidéo. Personne n’a été témoin de l’incident et le gendarme A. F. n’a jamais rien dit à un collègue ou même à sa femme. Il a simplement ignoré le geste et n’a pas rendu la pareille.

[56]  Selon la gendarme Little, le comité de déontologie pouvait, en usant de bon sens et de logique, conclure que les événements décrits par le gendarme A. F. n’étaient pas vraisemblables. À son avis, il était improbable qu’une nouvelle recrue dans un détachement, qui était dans une relation sérieuse et qui n’avait quasi aucune relation avec le gendarme A. F., pour qui elle avait du respect, touche sa cuisse et partage certains détails quant à ses préférences sexuelles dans une pièce remplie d’autres membres occupés à visionner l’interrogatoire d’un suspect sur le lieu de travail.

[57]  En cas de témoignages contradictoires, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit au paragraphe 86 de l’arrêt McDougall : « […] conclusion que le témoignage d’une partie est crédible peut fort bien être décisive, ce témoignage étant incompatible avec celui de l’autre partie […] ». En l’espèce, je dois dire que mes conclusions quant à la crédibilité des parties étaient déterminantes pour l’issue de l’affaire. En évaluant l’ensemble de la preuve, j’ai conclu qu’il était improbable que le gendarme A. F. ait inventé cette première allégation en fonction de certaines circonstances précises. Par exemple, dans cette allégation, le contenu de la vidéo où la personne interrogée parlait de ses préférences sexuelles correspondait au commentaire que la gendarme a chuchoté au gendarme A. F. On peut en dire autant pour la deuxième allégation alors que le geste et le commentaire de la gendarme Little reflétaient la conversation qu’ils avaient eue dans le couloir avant l’incident.

[58]  Par conséquent, je conclus qu’il est plus probable qu’improbable que l’incident de la salle de visionnement ait eu lieu. Cela expliquerait également la réaction du gendarme A. F. lors du deuxième incident. Il s’est confié à Mme K. S. et lui a demandé de laisser savoir à la gendarme Little qu’il ne souhaitait pas avoir une relation avec elle. Cela concorderait aussi avec son comportement en août 2018 quand il a appris que la gendarme Little allait être mutée à son Détachement. Il a immédiatement avisé la direction de la GRC des deux incidents d’inconduite sexuelle puisqu’il ne voulait pas travailler avec elle.

[59]  Pour ces raisons, j’ai conclu au vu de l’ensemble de la preuve que les points 2 et 3 ont été établis selon la prépondérance des probabilités.

[60]  Les membres de la GRC sont assujettis à des normes plus élevées que le grand public en matière de comportement, tant en service qu’en dehors du service. J’estime qu’une personne raisonnable en société, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités de la police en général et celles de la GRC en particulier, considérerait que les gestes posés par la gendarme Little sont susceptibles de jeter le discrédit sur la Gendarmerie. L’inconduite s’est produite quand les deux parties étaient en service, sur le lieu de travail, et elle est suffisamment liée aux devoirs et fonctions de la gendarme Little pour donner à la Gendarmerie un intérêt légitime à prendre des mesures disciplinaires à son endroit.

[61]  Pour les raisons susmentionnées, l’allégation nº 1 est établie selon la prépondérance des probabilités.

Allégation nº 2 — incident du couloir

[62]  Dans l’allégation nº 2, la gendarme Little a admis le point 1 et a nié avec véhémence les points 2, 3 et 4.

[63]  Quant au point 5, la gendarme Little a indiqué dans sa réponse qu’elle ne pouvait pas se prononcer sur les pensées du gendarme A. F. ni sur les conversations qu’il a eues avec Mme K. S. puisqu’elle n’était pas partie prenante et n’était pas au courant. Je conviens avec la représentante de la membre que ce point n’est qu’un résumé de ce que le gendarme A. F. a ressenti après l’incident du couloir et de la réaction de Mme K. S. lorsqu’elle a été mise au courant. Il ne s’agit pas d’un énoncé de l’acte ou de l’omission constituant la présumée infraction. Par conséquent, le point 5 n’est pas établi.

[64]  Quant au point 2, la gendarme Little a admis que, le 3 février 2010, elle a participé à un tournoi communautaire de ballon-balai. Elle a nié avoir pris part à la conversation qui a eu lieu dans le couloir avant le tournoi sur le fait que les joueurs devaient porter un suspensoir pendant la partie ou en avoir été informée.

[65]  Au point 3, la gendarme Little a nié que, alors qu’elle était seule dans le couloir avec le gendarme A. F., elle a empoigné et serré son pénis pendant 1 à 2 secondes par-dessus son short de sport tout en déclarant : [TRADUCTION] « Je vois que tu ne portes pas de coquille ». Elle a notamment expliqué au point 4 que les parties n’ont jamais discuté de la question du consentement et a nié avoir sexuellement harcelé le gendarme A. F.

[66]  À l’audience, la représentante de la membre a affirmé que, comme la gendarme Little n’avait pas pris part à la conversation dans le couloir, son commentaire au gendarme A. F. sur le fait qu’il ne portait pas de coquille était une pure coïncidence et est très improbable. Il y avait des caméras de sécurité et des personnes qui arrivaient de tous les côtés dans le couloir; il aurait donc été très risqué de formuler un tel commentaire. De plus, le gendarme A. F. aurait pu réagir négativement et faire une scène. Enfin, comme le gendarme A. F. avait déjà repoussé les avances sexuelles de la gendarme Little dans la salle de visionnement, il semblait peu probable qu’elle tente à nouveau de le convaincre d’avoir une relation sexuelle puisque, selon le gendarme A. F., elle savait qu’il était marié.

[67]  Le gendarme A. F. a confirmé dans sa première déclaration à l’enquêteur chargé de l’enquête relative au Code de déontologie et à l’audience qu’il ne se souvenait pas si la gendarme Little avait pris part à la conversation de groupe. Il a dit qu’il supposait qu’elle y avait participé parce qu’elle a empoigné ses parties privées et qu’elle a commenté le fait qu’il ne portait pas de coquille, ce qui avait été le principal sujet de la conversation dans le couloir. Il a aussi affirmé qu’il n’était pas sûr que le couloir disposait de caméras de sécurité, comme l’a soutenu la gendarme Little. Quand il a été interrogé sur le risque que la gendarme Little a pris en posant un tel geste, il a répondu ce qui suit : [TRADUCTION] « Je pense qu’il y a un risque, mais ça arrive tout le temps. Ça arrive dans les autobus, dans les files d’attente […] ».

[68]  Enfin, le gendarme A. F. a déclaré qu’il était choqué, gêné, humilié, furieux et qu’il ne s’attendait pas à se retrouver dans une telle situation sur son lieu de travail, car il n’avait pas souhaité ou demandé cela : [TRADUCTION] « En allant au travail, en se tenant dans le couloir, il semble tout à fait évident que ce n’est pas quelque chose à laquelle on s’attend » [7] . Pendant son témoignage, le gendarme A. F. a expliqué qu’il avait eu l’impression que le geste, qui a duré une ou deux secondes, avait été posé de façon intentionnelle par la gendarme Little et ne résultait pas d’une collision accidentelle. Sous le choc, il est parti. Il n’a pas déposé de plainte parce qu’il était convaincu que Mme K. S. avait dit à la gendarme Little qu’il ne voulait pas entretenir une relation avec elle. Le gendarme A. F. a indiqué qu’au moment de l’incident, il travaillait à sa réadaptation en rapport avec une fusillade survenue dans le cadre de son travail en 2007 et qu’il attendait d’être muté à un autre détachement. La dernière chose dont il avait besoin était cet incident d’inconduite sexuelle.

[69]  Pendant son témoignage à l’audience, Mme K. S. a confirmé qu’elle n’était pas là lors de l’incident du couloir. Le gendarme A. F. s’est confié à elle le jour de l’incident ou le lendemain. Il lui a dit que la gendarme Little avait empoigné ses [TRADUCTION] « couilles » ou son pénis dans le couloir, avant de se rendre au tournoi de ballon-balai. Au départ, elle a ri ou rigolé, non par rapport à la révélation du gendarme A. F., mais à ce qu’elle venait d’entendre. Toutefois, ce dernier était très en colère contre elle parce qu’elle ne l’avait pas pris au sérieux.

[70]  La gendarme Little a nié que Mme K. S. lui a parlé du comportement inapproprié qu’elle aurait adopté. Selon elle : [TRADUCTION] « Ce serait quelque chose dont je me souvien[drais] encore aujourd’hui. Et, ce n’est tout simplement pas arrivé » [8] . En revanche, Mme K. S. se souvenait lui avoir fait un bref commentaire en passant. Elle a expliqué que c’était sa façon de gérer les situations délicates. Il ressort de la preuve que Mme K. S. avait l’habitude de faire passer ses messages en lançant de brefs commentaires à ses collègues.

[71]  Mme K. S. a aussi confirmé à l’audience que le gendarme A. F. lui avait demandé conseil pour savoir s’il devait déposer une plainte d’inconduite sexuelle contre la gendarme Little. Mme K. S. a confirmé qu’elle ne lui avait pas recommandé de déposer une plainte parce qu’elle ne faisait pas confiance au superviseur direct et aux cadres supérieurs travaillant au Détachement de Vernon à l’époque. Mme K. S. a reconnu à l’audience qu’elle était tenue de signaler l’incident, à l’interne ou à l’externe, et qu’elle ne l’a pas fait parce qu’elle ne voulait pas trahir la confiance du gendarme A.F. Elle savait également que ce dernier se trouvait dans un état d’esprit fragile à cause de la fusillade survenue dans le cadre de son travail en 2007. Elle craignait qu’il ne réagisse psychologiquement s’il signalait l’incident sans que rien soit fait. Elle espérait sincèrement qu’il quitte le Détachement de Vernon et qu’il soit en santé.

[72]  Vu l’ensemble de la preuve en l’espèce, je conclus qu’il est peu probable que le gendarme A. F. ait inventé l’allégation relative à l’incident du couloir puisqu’il aurait été moins gênant et stressant de ne pas déposer une plainte d’inconduite sexuelle contre la gendarme Little. En déposant une telle plainte, il s’engageait à faire des déclarations publiques et à témoigner à l’audience. Rien ne prouve qu’il avait tendance à faire de fausses allégations contre d’autres membres. Il a toujours affirmé qu’il n’avait pas consenti à être touché de façon sexuelle par la gendarme Little. Il a déposé la plainte, car il ne pouvait pas travailler dans le même détachement qu’elle.

[73]  En outre, je pense qu’il est improbable que Mme K. S., qui n’avait rien à gagner dans cette affaire et qui était respectée par les deux parties, ait simplement inventé le fait d’avoir conseillé le gendarme A. F. de ne pas déposer une plainte ou même d’avoir dit à la gendarme Little, en passant, de garder ses mains pour elle. Elle a eu quelques trous de mémoire, que j’ai attribués au passage du temps (c.-à-d. 8 ans), mais dans l’ensemble, son récit des événements correspondait à celui du gendarme A. F.

[74]  Pour ces raisons et compte tenu de l’ensemble de la preuve, j’estime que les points 2, 3 et 4 sont établis selon la prépondérance des probabilités. Je tiens à préciser que l’autorité disciplinaire n’a pas à établir chaque point, mais seulement ceux qui sont essentiels à l’allégation, soit le seuil pour établir qu’il y a eu conduite déshonorante en l’espèce. Dans la présente affaire, le point 5 n’était pas essentiel pour établir le bien-fondé de l’allégation.

[75]  La Gendarmerie a publié plusieurs communications, à l’interne et à l’externe, pour souligner l’importance de traiter les autres avec respect, de veiller à ce que le lieu de travail soit exempt de harcèlement, de discrimination et d’autres formes de comportement irrespectueux. Si elle est établie, l’inconduite sexuelle entraînera de graves conséquences.

[76]  Je crois qu’une personne raisonnable dans la société, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités de la police en général et celles de la GRC en particulier, considérerait les gestes de la gendarme Little comme susceptibles de jeter le discrédit sur la Gendarmerie. L’inconduite s’est produite sur le lieu de travail de la GRC et mettait en cause un autre membre de la GRC. Elle est suffisamment liée aux devoirs et fonctions de la gendarme Little pour que la GRC ait un intérêt légitime à prendre des mesures disciplinaires à son endroit.

[77]  Pour les raisons susmentionnées, j’estime que l’allégation nº 2 est établie selon la prépondérance des probabilités.

MESURES DISCIPLINAIRES

[78]  Au moment d’infliger des mesures disciplinaires, j’ai suivi le critère à trois volets du Comité externe d’examen de la GRC. La première étape consiste à déterminer l’éventail des sanctions appropriées. Puis, le comité de déontologie doit examiner les facteurs aggravants et atténuants. Enfin, il doit infliger des mesures disciplinaires qui reflètent avec précision et équité la gravité de l’inconduite en cause, en gardant à l’esprit le principe de la parité des sanctions qui vise à garantir que les formes semblables d’inconduite sont traitées de la même façon.

Éventail des mesures disciplinaires

[79]  Comme l’a indiqué la représentante de la membre, l’affaire de la gendarme Little concerne deux allégations d’incidents sexuels non consensuels qui ne sont pas prévues par le Guide des mesures disciplinaires (2014) (le Guide). Il convient de noter que, comme il a été souligné dans de précédentes décisions en matière de déontologie, le Guide fournit des directives quant points à prendre en considération avant d’infliger des mesures disciplinaires, mais il n’est pas contraignant ou déterminant pour le comité de déontologie.

[80]  À l’appui de leur position sur les mesures disciplinaires, les parties se sont appuyées sur plusieurs décisions de la GRC fondées sur l’ancien régime disciplinaire, connues comme étant des décisions relatives à l’ancien régime, et sur le processus actuel du comité de déontologie. Ces décisions confirment que, dans les affaires où une inconduite sexuelle est établie, le congédiement appartient aux sanctions possibles. Comme l’ont reconnu les parties, je ne suis pas liée par ces décisions antérieures. Or, elles demeurent utiles quand vient le temps d’établir l’éventail des mesures disciplinaires applicables à une inconduite semblable, tout en garantissant la cohérence et l’équité des cas de déontologie.

[81]  Le représentant de l’autorité disciplinaire s’est fondé sur deux décisions relatives à l’ancien régime, soit les affaires Cooke [9] et Cardinal [10] , où les comités d’arbitrage ont congédié les membres suivant l’établissement d’allégations d’inconduite sexuelle. Dans les deux cas, les comités ont conclu que le comportement du membre visé révélait un défaut de caractère important qui minait la confiance fondamentale que la Gendarmerie avait placée en lui et qui le rendait inapte à poursuivre son emploi au sein de l’organisation. Il convient également de noter que des distinctions importantes peuvent être établies entre ces affaires et celle qui nous occupe. Par exemple, dans l’affaire Cooke, il y avait un déséquilibre de pouvoir entre les deux parties alors que dans l’affaire Cardinal, le membre visé avait déjà fait l’objet de mesures disciplinaires de même nature, ce qui augmentait le risque de répétition d’actes, et l’inconduite avait entraîné la perturbation du service au sein du Détachement.

[82]  Le représentant de l’autorité disciplinaire a aussi cité l’affaire Hedderson [11] , dans laquelle le comité de déontologie a donné des indications au paragraphe 326 sur la gravité des allégations d’inconduite sexuelle et le fait qu’elles ne se traduisent pas automatiquement par un congédiement, car chaque cas doit être examiné en fonction de ses circonstances particulières :

[TRADUCTION] Pour être clair, le comité ne dit pas que chaque cas d’inconduite sexuelle doit se traduire par un congédiement, mais plutôt que l’inconduite sexuelle, dans ses diverses manifestations, est de plus en plus perçue comme une question extrêmement grave qui doit être traitée comme telle, compte tenu des circonstances particulières ainsi que des facteurs atténuants et aggravants applicables.

[Caractères gras ajoutés.]

[83]  La représentante de la membre a fait valoir que les principes de la GRC visant à corriger l’inconduite d’un membre sont censés être éducatifs et correctifs plutôt que punitifs. Dans les présentes circonstances, le congédiement n’est pas une mesure appropriée. Une sanction globale de l’ordre de 30 à 40 jours de salaire serait proportionnée, en plus de toute autre mesure appropriée, y compris une réprimande, et l’assujettissement à une stricte surveillance pendant le travail pour la prochaine année. La représentante de la membre a procédé à un examen approfondi des décisions rendues en 2019 par de précédents comités de déontologie de la GRC, dont Pulsifer [12] , Allen [13] , K. Brown [14] , L. Brown [15] et la décision rendue en 2017 dans Caram [16] , pour appuyer sa thèse selon laquelle les précédents comités de déontologie ont jugé que le congédiement était une mesure disproportionnée dans les cas d’attouchements sexuels non consensuels, comme ceux en l’espèce qui ont porté atteinte à l’intégrité sexuelle du gendarme A. F.

[84]  Comme les deux incidents ont eu lieu il y a près de dix ans, la représentante de la membre a aussi fourni deux décisions fondées sur le régime disciplinaire précèdent où la pénalité financière maximale s’élevait à 10 jours de solde, avant de procéder au congédiement. Elle a fait valoir que, dans les affaires Glasier [17] et Lebrasseur [18] , les membres n’ont pas été congédiés même si des allégations d’inconduite sexuelle plus graves ont été établies. La représentante de la membre voulait attirer l’attention du comité de déontologie sur le fait que, dans le régime disciplinaire précédent, les mesures prises reflétaient la façon dont la GRC traitait les cas d’inconduite sexuelle à l’époque. Elle a précisé qu’elle ne cherchait pas à diminuer la gravité des allégations en l’espèce, mais qu’elle demandait au comité de déontologie d’accorder une certaine importance au fait que ces événements se sont produits en 2009 et 2010 lorsqu’il décidera de la mesure appropriée à infliger dans cette affaire historique.

[85]  La représentante de la membre a aussi demandé qu’une partie de la sanction soit déduite de la banque de congés compte tenu des difficultés financières de la gendarme Little. Enfin, la représentante de la membre a demandé au comité de déontologie de ne pas rendre une ordonnance empêchant la gendarme Little de travailler au Détachement de Nanaimo puisque, selon les modalités de son accord de séparation, elle doit résider dans un rayon de 15 km de Nanaimo et qu’aucun autre détachement situé suffisamment près ne peut l’accueillir.

[86]  Pour déterminer si le congédiement est une mesure disciplinaire appropriée dans le cas de la contravention au Code de déontologie commise par la gendarme Little, je dois tenir compte des facteurs aggravants et atténuants de l’affaire. Comme il est défini dans le Guide et qu’il a été expliqué dans les décisions antérieures du comité de déontologie, les facteurs aggravants sont étrangers à l’inconduite. Il faut donc envisager une sanction plus sévère [19] . Les facteurs aggravants ont préséance sur les éléments constitutifs de l’inconduite en cause (qui se trouvent habituellement dans l’allégation ou dans l’énoncé détaillé qui l’accompagne ou qui sont déterminés par un comité de déontologie) [20] . Les facteurs atténuants ne justifient ni n’excusent l’infraction, mais ils permettent d’atténuer la gravité des mesures disciplinaires à infliger et de garantir que l’inconduite est traitée de manière appropriée dans les circonstances.

Facteurs aggravants

[87]  Je prends les facteurs aggravants suivants en considération:

  1. Il y a eu deux incidents d’attouchement sexuel non consensuel sur le lieu de travail. Lors du premier incident, la gendarme Little était en service et lors du deuxième, elle ne l’était pas.
  2. L’impact négatif de ces événements sur le gendarme A. F., qui a déclaré avoir ressenti de la honte et de la gêne puisqu’il ne s’attendait pas à un tel comportement sur le lieu de travail;
  3. Les nombreux messages que la GRC a envoyés depuis 2003 à tous les employés, selon lesquels le harcèlement, y compris l’inconduite sexuelle, est inacceptable et ne sera pas toléré.

Facteurs atténuants

[88]  Je prends les facteurs atténuants suivants en considération :

  1. La gendarme Little a pris un certain nombre de congés au cours des dernières années, mais elle a reçu des évaluations de rendement favorables, dans lesquelles elle est décrite comme une membre enthousiaste avec un [TRADUCTION] « haut niveau de compétence dans l’accomplissement de ses fonctions ». Sa façon de gérer les [TRADUCTION] « pressions personnelles et professionnelles est une source d’inspiration ».
  2. Comme l’indiquent les lettres de recommandation qu’ils ont soumises, ses pairs, un superviseur et son moniteur de formation sont au courant des allégations. Or, ils ne voient pas d’inconvénient à travailler à nouveau avec elle et seraient heureux d’en avoir la chance.
  3. Elle a également deux lettres de recommandation qui confirment son importante contribution hebdomadaire aux activités de la communauté et des jeunes.
  4. Elle n’a aucun antécédent disciplinaire.
  5. Vu le temps qui s’est écoulé depuis le dernier incident en février 2010, j’estime que le risque de récidive est faible. Je n’ai aucune raison de penser que la gendarme Little commettrait d’autres contraventions semblables.

[89]  Collectivement, ces facteurs atténuants démontrent que la gendarme Little peut se réformer ou se réadapter. Dans la lettre d’information qu’elle a rédigée à l’intention du comité de déontologie, la gendarme Little a fait savoir qu’elle cherchait à s’améliorer, tant personnellement que professionnellement, en allant à l’université dans le but de terminer un baccalauréat ès arts en technique policière (avec mention). Elle continue également de consulter un psychologue chaque semaine.

Parité des sanctions

[90]  Aux termes de l’alinéa 36.2e) de la Loi sur la GRC et du paragraphe 24(2) des CC (déontologie), quand des allégations ont été établies, je suis tenue d’infliger des mesures disciplinaires adaptées à la nature et aux circonstances des contraventions aux dispositions du Code de déontologie et, s’il y a lieu, des mesures éducatives et correctives plutôt que punitives.

[91]  Après avoir examiné le dossier dont je dispose, la nature et la gravité de l’inconduite et les décisions citées, j’estime que la présence de facteurs atténuants l’emporte sur la gravité de l’inconduite de la gendarme Little. Par conséquent, je conclus que le congédiement n’est pas une mesure proportionnée en l’espèce.

[92]  Néanmoins, vu les circonstances particulières de l’affaire, j’estime que des mesures disciplinaires sérieuses sont nécessaires non seulement pour dissuader la gendarme Little de recommencer, mais aussi pour servir d’avertissement aux autres membres afin de s’assurer qu’ils ne répètent pas ce comportement inapproprié.

CONCLUSION

[93]  En ce qui concerne la demande de la gendarme Little de ne pas émettre d’ordonnance l’empêchant de travailler au Détachement de Nanaimo, je tiens à préciser que le gendarme A. F. est affecté à ce détachement depuis mars 2011. Quant à la gendarme Little, elle était affectée au Détachement de Campbell River depuis juin 2015. Néanmoins, en septembre 2016, elle est déménagée à Nanaimo, où elle habite toujours. Bien que la gendarme Little ait reçu son formulaire 1272 — Avis de planification de mutation au Détachement de Nanaimo le 1er août 2018, la mutation n’a jamais eu lieu à la suite de l’ouverture de l’enquête relative au Code de déontologie. Ayant établi les deux allégations d’inconduite, je suis d’avis qu’il serait inapproprié pour le gendarme A. F. et la gendarme Little de travailler dans le même détachement.

[94]  Aux termes du paragraphe 45(4) de la Loi sur la GRC, j’inflige les mesures disciplinaires suivantes :

  1. Une confiscation globale de 30 jours divisée comme suit en raison des difficultés financières de la gendarme Little :
    1. une confiscation de 20 jours de solde. Je recommande fortement qu’un taux de recouvrement inférieur à 10 pour cent soit approuvé, selon les indications du titulaire du pouvoir délégué et celles prévues au chapitre 2.5 intitulé « Paiements en trop, paiements en moins et recouvrements » dans le Manuel national sur la rémunération;
    2. une réduction de 10 jours de la banque de congés annuels.
  2. L’inadmissibilité à toute promotion pour une période de deux ans, à partir de la date de réintégration de la gendarme Little;
  3. L’assujettissement à une stricte surveillance pendant le travail pour une période d’un an, à partir de la date de réintégration de la gendarme Little;
  4. La limitation des fonctions de la gendarme Little, au besoin, pour s’assurer qu’elle n’est pas affectée au même détachement ou sur le même lieu de travail que le gendarme A. F. Je ne peux infliger cette limitation pour une période supérieure à trois ans, conformément aux CC (déontologie), mais j’ose espérer que les répercussions sur le gendarme A. F. seront prises en considération si la gendarme Little devait être affectée à son lieu de travail dans un avenir rapproché. Par conséquent, j’ordonne qu’une copie de la présente décision soit transmise à l’agent du perfectionnement et du renouvellement de la Division E (QG E, APR).

[95]  L’une ou l’autre des parties peut faire appel de la présente décision en déposant une déclaration d’appel auprès du commissaire dans les 14 jours suivant la signification de la présente décision à la membre visée, comme il est indiqué à l’article 45.11 de la Loi sur la GRC et à l’article 22 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289.

 

 

29 janvier 2020

Josée Thibault

Comité de déontologie

 

Ottawa (Ontario)

 



[1] R. c D.(D.), 2000 CSC 43, [2000] 2 RCS 275, à partir du paragraphe 58; R. c ADG, 2015 ABCA 149, au paragraphe 30.

[2] R. c T.B., 2018 PEI SC; R. c Ururyar, 2017 ONSC 4428; R. c Nyznik, 2017 ONSC 4392.

[3] Dagenais c S.R.-C., (1994) 94 CCC (3d) 289, et R. c Mentuck (2001) 1 CCC (3d) 449

[4] Transcription de l’audience, 19 août 2019, page 43 de 160

[5] Transcription de l’audience, 19 août 2019, page 45 de 160

[6] Transcription de l’audience, 19 août 2019, page 59 de 160

[7] Transcription de l’audience, 19 août 2019, page 138 de 160.

[8] Transcription de l’audience, 19 août 2019, page 88 de 163.

[9] Officier compétent de la Division K et gendarme Cooke, 15 D.A. (4e) 475.

[10] Officier compétent de la Division K et gendarme Cardinal, 17 D.A. (4e) 111

[11] Commanding Officer, “E” Division c Constable Hedderson, 2018 RCAD 19 (en anglais seulement).

[12] Commandant de la Division H c Gendarme Pulsifer, 2019 DARD 09.

[13] Commandant de la Division H c Gendarme Allen, 2019 DARD 10.

[14] Commanding Officer, “K” Division c Constable K. Brown, 2019 RCAD 15 (en anglais seulement), suivant la décision rendue de vive voix le 11 juin 2019.

[15] Commandant de la Division K c Gendarme L. Brown, 2019 DARD 12, suivant la décision rendue de vive voix le 4 juillet 2019.

[16] Commandant de la Division E c Gendarme Caram, 2017 DARD 8.

[17] Officier compétent de la Division K et gendarme Glasier, 16 D.A. (4e) 178.

[18] Officier compétent de la Division C et gendarme Lebrasseur, 14 D.A. (4e) 520.

[19] Commandant de la Division H c Gendarme Shawn Green, 2017 DARD 5.

[20] Commandant de la Division J c Gendarme Cormier, 2016 DARD 2.

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