Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

Le gendarme Condo s’est vu signifier à l’origine un Avis d’audience disciplinaire contenant onze allégations : quatre allégations aux termes du paragraphe 8.1, six aux termes du paragraphe 4.2 et une aux termes du paragraphe 7.1 du Code de déontologie de la GRC. Toutes les allégations se rapportaient à la mauvaise prise de notes et à la présentation de déclarations inexactes dans des enquêtes qu’il a menées.
L’audience disciplinaire dans cette affaire devait avoir lieu durant la semaine du 25 février 2020. La veille de l’audience, les parties en sont arrivées à une résolution. Les allégations initiales ont été retirées et remplacées par deux allégations, lesquelles ont été admises par le gendarme Condo, et une recommandation conjointe sur les mesures disciplinaires à prendre a été présentée au Comité de déontologie.
Une audience a eu lieu le 25 février 2020, au cours de laquelle le Comité de déontologie a rendu sa décision à l’égard des allégations et des mesures disciplinaires à prendre. Les deux allégations ont été jugées établies selon la prépondérance des probabilités. Le Comité de déontologie a accepté la recommandation conjointe des parties sur les mesures disciplinaires à prendre et a imposé ce qui suit : (1) une sanction financière de 30 jours de salaire, à déduire de la paie du gendarme Condo; (2) une mutation; (3) la participation à un cours sur les valeurs et l’éthique; (4) la participation à un cours en ligne sur la prise de notes; et (5) l’ordre de travailler sous supervision étroite pendant une période maximale d’un an.

Contenu de la décision

Protégé A

2020 DAD 05

Logo de la Gendarmerie royale du Canada

GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

Dans l’affaire d’une

audience disciplinaire au titre de la

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C., 1985, ch. R-10

Entre

le commandant de la Division J

l’autorité disciplinaire

et

le gendarme Trevor Belanger-Condo, numéro de matricule 61817

le membre visé

Décision du Comité de déontologie

Inspecteur Colin Miller

13 mars 2020

Sergent James Rowland, représentant de l’autorité disciplinaire

M. Gordon Campbell, représentant du membre visé


TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ DES CONCLUSIONS  3

INTRODUCTION  5

ALLÉGATIONS  7

Critères applicables pour la prise d’une décision concernant les allégations  13

DÉCISION AU SUJET DES ALLÉGATIONS  14

Allégation 1  14

Allégation 2  15

MESURES DISCIPLINAIRES  17

Déclaration du représentant du membre  17

Déclaration du représentant de l’autorité disciplinaire  18

Décision au sujet des mesures disciplinaires  21

Facteurs aggravants  23

Facteurs atténuants  25

CONCLUSION  26

 

RÉSUMÉ DES CONCLUSIONS

Le gendarme Condo s’est vu signifier à l’origine un Avis d’audience disciplinaire contenant onze allégations : quatre allégations aux termes du paragraphe 8.1, six aux termes du paragraphe 4.2 et une aux termes du paragraphe 7.1 du Code de déontologie de la GRC. Toutes les allégations se rapportaient à la mauvaise prise de notes et à la présentation de déclarations inexactes dans des enquêtes qu’il a menées.

L’audience disciplinaire dans cette affaire devait avoir lieu durant la semaine du 25 février 2020. La veille de l’audience, les parties en sont arrivées à une résolution. Les allégations initiales ont été retirées et remplacées par deux allégations, lesquelles ont été admises par le gendarme Condo, et une recommandation conjointe sur les mesures disciplinaires à prendre a été présentée au Comité de déontologie.

Une audience a eu lieu le 25 février 2020, au cours de laquelle le Comité de déontologie a rendu sa décision à l’égard des allégations et des mesures disciplinaires à prendre. Les deux allégations ont été jugées établies selon la prépondérance des probabilités. Le Comité de déontologie a accepté la recommandation conjointe des parties sur les mesures disciplinaires à prendre et a imposé ce qui suit : (1) une sanction financière de 30 jours de salaire, à déduire de la paie du gendarme Condo; (2) une mutation; (3) la participation à un cours sur les valeurs et l’éthique; (4) la participation à un cours en ligne sur la prise de notes; et (5) l’ordre de travailler sous supervision étroite pendant une période maximale d’un an.


INTRODUCTION

[1]  Tous les présumés incidents dans cette affaire se sont produits entre le 23 octobre 2016 et le 2 février 2018, tandis que le gendarme Trevor Belanger-Condo (le gendarme Condo) était membre des Services généraux affecté au Détachement d’Elsipogtog (Nouveau-Brunswick). Une enquête sur les agissements du gendarme Condo a été lancée le 8 février 2018 aux termes du paragraphe 40(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R-10 [Loi sur la GRC].

[2]  Le 1er février 2019, le commandant divisionnaire et autorité disciplinaire de la Division J (l’autorité disciplinaire) a signé un Avis à l’officier désigné demandant la tenue d’une audience disciplinaire relativement à cette affaire. Le 8 février 2019, j’ai été nommé « Comité de déontologie » aux termes du paragraphe 43(1) de la Loi sur la GRC.

[3]  L’Avis d’audience disciplinaire contenait onze allégations : quatre aux termes du paragraphe 8.1, six aux termes du paragraphe 4.2 et une aux termes du paragraphe 7.1 du Code de déontologie de la GRC. Les détails des allégations décrivaient des incidents de mauvaise prise de notes et de déclarations inexactes dans des enquêtes qu’il avait réalisées.

[4]  L’Avis d’audience disciplinaire a été signé par l’autorité disciplinaire le 21 mai 2019 et a été signifié au gendarme Condo avec la trousse d’enquête le 9 juillet 2019.

[5]  Le 30 août 2019, le gendarme Condo a fourni sa réponse à l’Avis d’audience disciplinaire aux termes du paragraphe 15(3) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291 [CC (déontologie)]. Il a admis certains détails mais a nié toutes les allégations.

[6]  Le 10 février 2020, le gendarme Condo a fourni une réponse modifiée dans laquelle il avait changé sa réponse au détail no 6 de l’Allégation 1 [1] (la réponse modifiée).

[7]  Le 24 février 2020, soit la veille de l’audience, j’ai reçu un message du représentant du membre m’informant que les parties avaient conclu une entente en vue de la résolution de cette affaire.

[8]  Le 25 février 2020, avant le début de l’audience qui avait lieu à Ottawa (Ontario), le représentant de l’autorité disciplinaire m’a remis un document intitulé « Exposé conjoint des faits » signé par le représentant de l’autorité disciplinaire et le gendarme Condo.

[9]  L’Exposé conjoint des faits contient deux allégations, réparties par « incidents » survenus entre le 9 novembre 2016 et le 21 janvier 2018. Ainsi, l’allégation 1 contient désormais les allégations 1 et 5 de l’avis d’audience disciplinaire initial, tandis que l’allégation 2 regroupe les allégations 3, 4, 6, 7 et 8 de l’avis initial. Les allégations 2, 9, 10 et 11 ont été retirées. Les parties m’ont demandé d’accepter les faits contenus dans l’Exposé conjoint des faits.

[10]  J’ai minutieusement examiné l’Exposé conjoint des faits et déterminé qu’il reflète fidèlement les éléments pertinents du dossier, avec les deux clarifications suivantes :

  1. En ce qui concerne l’incident 2 de l’allégation 1, bien que le gendarme Condo ait admis avoir inscrit dans le SIRP les heures auxquelles il avait récité à une personne sous sa garde la déclaration de ses droits garantis par la Charte [2] et la mise en garde de la police en se fondant sur des estimations ou des approximations après coup et en présentant ces heures comme étant exactes (détail 15), je remarque qu’aucune heure n’est donnée dans son rapport général en ce qui concerne la récitation de la mise en garde de la police.
  2. L’incident 5 de l’allégation 2 est une réplique exacte de l’incident 2 de l’allégation 2, et par conséquent, les parties ont convenu de le retirer de l’allégation.

[11]  Une fois ces clarifications abordées, j’ai adopté l’exposé conjoint des faits sous la forme d’un avis d’audience modifié. J’ai lu les allégations, y compris les détails, au gendarme Condo. Je l’ai informé que, même si une recommandation conjointe allait être faite, je n’étais pas tenu de l’accepter et que, dans des circonstances limitées, je pouvais même m’en écarter. Je l’ai informé que si une telle décision était prise, il aurait alors la possibilité de présenter des observations à cet égard.

[12]  Le gendarme Condo a dit comprendre les allégations qui lui ont été lues et l’avertissement au sujet d’une recommandation conjointe que je lui ai donné; il a ensuite admis les allégations au dossier.

[13]  L’audience dans cette affaire a pris fin le 25 février 2020, avec la décision rendue de vive voix établissant les deux allégations et, plus tard le même jour, les mesures disciplinaires imposées. La présente décision écrite reprend et approfondit cette décision rendue de vive voix.

ALLÉGATIONS

[14]  L’Avis d’audience disciplinaire modifié contient les deux allégations suivantes :

Allégation 1 :

Entre le 3 janvier 2017 et le 21 janvier 2018, à Elsipogtog (N.-B.) ou dans les environs, dans l’exercice de ses fonctions, [le gendarme Condo] n’a pas rendu compte de manière exacte du déroulement d’enquêtes, en violation du paragraphe 8.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Détails de l’Allégation 1

1. Au moment des faits, [le gendarme Condo] était membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et affecté au Détachement d’[Elsipogtog] dans la province du Nouveau-Brunswick.

a. Incident 1

2. Le 21 janvier 2018, [le gendarme Condo] a mené une enquête sur le cas d’un conducteur soupçonné d’avoir eu les facultés affaiblies qui aurait abouti dans le fossé avec son véhicule (dossier du SIRP no 2018-93618).

3. [Le gendarme Condo] a utilisé deux différents calepins pour consigner ses actions durant cette enquête. [Le gendarme Condo] a expliqué qu’il avait oublié son calepin opérationnel (le calepin opérationnel) au détachement dans sa hâte pour se rendre sur les lieux de l’enquête et qu’il avait utilisé pour documenter ses actions un calepin vierge de réserve qu’il gardait dans son sac de service (le calepin provisoire).

4. [Le gendarme Condo] a ensuite retranscrit ses notes du calepin provisoire à son calepin opérationnel et a présenté celui-ci dans le cadre d’un dossier du tribunal. Le calepin opérationnel et le calepin provisoire ne contenaient pas la même information sur les mesures prises par [le gendarme Condo] durant l’enquête; il y avait notamment des heures qui ne concordaient pas et des renseignements qui avaient été omis.

5. Dans le calepin provisoire, il était noté que [le gendarme Condo] avait fait une demande d’échantillon d’haleine avec un appareil de détection approuvé (test avec ADA) à [21 h 53], tandis que cette demande n’est pas mentionnée dans le calepin opérationnel [du gendarme Condo] ni dans le rapport général du SIRP (élément du système électronique de gestion de cas de la GRC) ayant trait à cette affaire.

6. Dans le rapport du SIRP du [gendarme Condo], il est noté qu’il a récité au conducteur la déclaration de ses droits garantis par la Charte et la mise en garde de la police à [21 h 53] et [TRADUCTION] « qu’à ce moment-là, le rédacteur examinait comment procéder ». Il n’est nullement mentionné qu’une demande de test avec ADA avait été faite.

7. [Le gendarme Condo] admet avoir sciemment omis d’inclure la référence à la demande de test avec ADA dans son calepin opérationnel et dans le rapport du SIRP, mais il explique que, même s’il a bel et bien récité la demande au conducteur, il ne lui a jamais fait subir le test avec ADA. [Le gendarme Condo] explique avoir changé d’idée durant son enquête et opté d’y aller tout droit pour « facultés affaiblies » après avoir réévalué la situation sur les lieux, en raison du comportement du conducteur et après avoir parlé à un membre plus haut gradé de la GRC et travaillant dans un autre détachement, afin d’obtenir des conseils sur la façon de procéder.

8. [Le gendarme Condo] admet qu’il aurait dû divulguer son calepin provisoire et le fait qu’il avait fait une demande de test avec ADA. [Le gendarme Condo] admet aussi que les notes opérationnelles qu’il a retranscrites après les faits contenaient des omissions et des inexactitudes qui avaient été transmises dans un dossier du tribunal, et que le tout pouvait amener un lecteur à croire que les notes avaient été prises sur les lieux de l’enquête.

9. L’autorité disciplinaire admet qu’à la lumière des nouveaux éléments de preuve fournis par [le gendarme Condo], la preuve disponible ne suffit pas pour appuyer l’inférence que [le gendarme Condo] aurait agi de la sorte dans le but de consolider artificiellement l’accusation portée contre le conducteur soupçonné d’avoir eu les facultés affaiblies.

10. De plus, le rapport général du SIRP et les notes divulguées indiquent que [le gendarme Condo] a récité à deux reprises au suspect ses droits garantis par la Charte et la mise en garde de la police, soit une fois à compter de [21 h 52], lorsque [le gendarme Condo] a écrit que le conducteur avait été mis en détention pour avoir conduit un véhicule avec les facultés affaiblies; et une deuxième fois, à compter de [22 h 06] lorsqu’il a écrit que le conducteur avait été arrêté pour conduite avec facultés affaiblies. Le calepin provisoire [du gendarme Condo] ne parle que d’une unique récitation des deux avertissements, à [22 h 06].

11. Malgré le fait qu’aucune note n’ait été prise sur les lieux dans le calepin provisoire au sujet des heures exactes auxquelles les droits garantis par la Charte ont été récités la première fois (lors de la mise en détention), [le gendarme Condo] a rempli son calepin opérationnel et son rapport du SIRP le lendemain en donnant les heures exactes (à la minute près) auxquelles les droits garantis par la Charte ont été récités et en détaillant les réponses fournies par le conducteur. [Le gendarme Condo] admet avoir noté l’heure de la récitation des droits garantis par la Charte et de la mise en garde de la police en se fondant sur une estimation ou une approximation après coup et avoir présenté ces données comme étant exactes.

b. Incident 2

12. Le 3 janvier 2017, vers [23 h 51], [le gendarme Condo] a répondu à un appel au sujet d’une femme suicidaire (dossier du SIRP no 2017-11914). Il a par la suite arrêté la femme en question en vertu de la Loi sur la santé mentale [3] .

13. Dans le rapport général que [le gendarme Condo] a créé dans le SIRP, il a écrit que la femme avait été arrêtée en vertu de la Loi sur la santé mentale à [0 h 20] et a noté l’heure exacte où il lui avait récité la déclaration de ses droits garantis par la Charte et la mise en garde de la police (soit à [00 h 21] et à [00 h 22] respectivement).

14. Cependant, les notes écrites à la main par [le gendarme Condo] dans son calepin opérationnel n’indiquent que l’heure où [le gendarme Condo] a mis la femme en état d’arrestation [00 h 20] et ne dit rien au sujet de l’heure précise où il lui a récité la déclaration de ses droits garantis par la Charte et la mise en garde de la police.

15. [Le gendarme Condo] admet avoir inscrit dans le SIRP l’heure à laquelle il a récité à la femme la déclaration de ses droits garantis par la Charte et la mise en garde de la police en se fondant sur une estimation ou une approximation après coup et avoir présenté ces données comme étant exactes.

16. L’autorité disciplinaire accepte que la preuve appuie l’affirmation [du gendarme Condo] selon laquelle il avait bel et bien récité à la femme la déclaration de ses droits garantis par la Charte et la mise en garde de la police et que la preuve ne permet pas de conclure que les actions [du gendarme Condo] visaient à priver la femme de ses droits ou qu’il avait agi dans un but malveillant.

Allégation 2 :

Entre le 9 novembre 2016 et le 1er septembre 2017, à Elsipogtog (N.-B.) ou dans les environs, [le gendarme Condo] n’a pas fait preuve de diligence dans l’exercice de ses fonctions et de ses responsabilités en violation du paragraphe 4.2 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Détails de l’Allégation 2 :

1. Au moment des faits, [le gendarme Condo] était membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et affecté au Détachement d’[Elsipogtog] dans la province du Nouveau-Brunswick.

a. Incident 1

2. Le 9 novembre 2016, [le gendarme Condo] a mené un contrôle routier qui a débouché sur une enquête en matière de drogue qui a été classée comme étant une « saisie sans mise en accusation » d’une petite quantité de marihuana (dossier du SIRP no 20161487610).

3. Selon le rapport général [du gendarme Condo] dans le SIRP (daté du 24 novembre 2016), une odeur d’alcool émanait de l’haleine du conducteur du véhicule et [le gendarme Condo] lui avait demandé un échantillon d’haleine à l’aide d’un appareil de détection approuvé (test avec ADA) à [16 h 50].

4. Les notes inscrites à la main par [le gendarme Condo] dans son calepin opérationnel ce jour-là ne mentionnent pas la demande de test avec ADA, ni la réponse obtenue du conducteur à cette demande, ni aucune autre indication selon laquelle [le gendarme Condo] aurait mené une enquête pour conduite avec facultés affaiblies.

5. [Le gendarme Condo] admet avoir failli à son obligation de prendre des notes adéquates reflétant fidèlement ce qui s’était passé durant l’enquête et avoir estimé l’heure qu’il a inscrite dans son rapport du SIRP au sujet de l’administration du test avec ADA.

b. Incident 2

6. Le 3 avril 2017, [le gendarme Condo] a mené un contrôle routier et une enquête pour conduite avec facultés affaiblies visant un conducteur de sexe masculin (dossier du SIRP no 2017-386476).

7. Selon le rapport général [du gendarme Condo] dans le SIRP, il aurait demandé au conducteur de se soumettre à un test avec l’ADA à [12 h 15], qui se serait soldé par la mention « avertissement » et une interdiction de conduire de sept jours.

8. [Le gendarme Condo] n’a pas pris de notes sur les lieux durant cette enquête et a laissé des pages vierges dans son calepin.

9. [Le gendarme Condo] admet avoir failli à son obligation de consigner adéquatement les mesures d’application de la loi qu’il a prises et avoir estimé l’heure exacte du moment où il a fait la demande de test ADA.

c. Incident 3

10. Le 1er septembre 2017, [le gendarme Condo] a mené un contrôle routier et une enquête subséquente pour conduite avec facultés affaiblies visant un conducteur de sexe masculin (dossier du SIRP no 2017-1177871).

11. Selon le rapport général [du gendarme Condo] dans le SIRP, il a demandé au conducteur de se soumettre à un test avec l’ADA qui s’est soldé par la mention « 14mg% ». Étant donné que le conducteur n’était pas autorisé à conduire après avoir consommé de l’alcool en vertu des nouvelles lois sur la conduite automobile du Nouveau-Brunswick, [le gendarme Condo] a suspendu son permis de conduire et lui a remis un billet d’infraction en vertu de la Loi sur la sécurité routière [4] .

12. [Le gendarme Condo] n’a pas pris de notes sur le terrain durant cette enquête et a laissé des pages vierges dans son calepin.

13. [Le gendarme Condo] admet avoir failli à son obligation de consigner adéquatement les mesures d’application de la loi qu’il a prises.

d. Incident 4

14. Le 22 juillet 2017, [le gendarme Condo] a mené un contrôle routier ayant donné lieu à une enquête en matière de conduite avec facultés affaiblies et de drogue visant une conductrice (dossier du SIRP no 2017955830).

15. Le rapport général [du gendarme Condo] dans le SIRP contient le paragraphe suivant :

[Conductrice] a admis avoir consommé une boisson (elle a précisé un « soda » avec de l’alcool). Par conséquent, le rédacteur avait de bonnes raisons de croire qu’elle avait de l’alcool dans le sang. La demande de test avec ADA a été récitée (ajouter l’heure).

@ [13 h 23] Vous comprenez?

« Ouais » Résultat : « O ».

16. Les notes inscrites à la main par [le gendarme Condo] dans son calepin opérationnel à propos de cet incident ne mentionnent pas la demande de test avec ADA, ni la réponse de la conductrice, ni les résultats obtenus.

17. [Le gendarme Condo] admet avoir failli à son obligation de consigner adéquatement les mesures d’application de la loi qu’il a prises et avoir estimé l’heure exacte du moment où il a fait la demande de test ADA.

e. Incident 5

18. Le 3 avril 2017, [le gendarme Condo] a mené un contrôle routier et une enquête pour conduite avec facultés affaiblies visant un conducteur de sexe masculin (dossier du SIRP no 2017-386476).

19. Selon le rapport général [du gendarme Condo] dans le SIRP, il aurait demandé au conducteur de se soumettre à un test avec l’ADA à [12 h 15], qui s’est soldé par la mention « avertissement » et une interdiction de conduire de sept jours.

20. [Le gendarme Condo] n’a pas pris de notes sur les lieux durant cette enquête et a laissé des pages vierges dans son calepin.

21. [Le gendarme Condo] admet avoir failli à son obligation de consigner adéquatement les mesures d’application de la loi qu’il a prises et avoir estimé l’heure exacte du moment où il a fait la demande de test avec l’ADA.

[L’incident 5 étant identique à l’incident 2 de l’allégation 2, il a été retiré.]

f. Incident 6

22. Le 3 janvier 2017, [le gendarme Condo] a mené un contrôle routier visant une conductrice qu’il soupçonnait d’avoir les facultés affaiblies (dossier du SIRP no 20178065).

23. Dans le sommaire de l’incident que [le gendarme Condo] a préparé, il est noté qu’il a présenté une demande de test avec l’ADA à la conductrice, qui a fourni huit échantillons insuffisants avant d’obtenir un « avertissement », et qu’il a donné à la femme une suspension administrative de permis de conduire de sept jours.

24. [Le gendarme Condo] n’a pris aucune note détaillée au sujet de cette enquête, outre le nom de la conductrice et l’heure [2 h 10], qu’il a notés dans son calepin; il a également laissé des pages vierges.

25. [Le gendarme Condo] admet avoir failli à son obligation de consigner adéquatement les mesures d’application de la loi qu’il a prises dans le cadre de cette enquête.

[Traduit tel que reproduit dans la version anglaise]

Critères applicables pour la prise d’une décision concernant les allégations

[15]  Il incombe à l’autorité disciplinaire d’établir l’allégation selon la prépondérance des probabilités. Concrètement, cela signifie que l’autorité disciplinaire doit établir, pour chacune des allégations, qu’il est plus probable que le contraire que le gendarme Condo a contrevenu aux articles 8.1 et 4.2 du Code de déontologie de la GRC.

[16]  L’article 8.1 du Code de déontologie de la GRC se lit comme suit :

Les membres rendent compte en temps opportun, de manière exacte et détaillée, de l’exécution de leurs responsabilités, de l’exercice de leurs fonctions, du déroulement d’enquêtes, des agissements des autres employés et de l’administration et du fonctionnement de la Gendarmerie.

[17]  Pour que cette allégation soit établie, l’autorité disciplinaire doit prouver les éléments suivants selon la prépondérance des probabilités :

  1. l’identité du membre;
  2. la déclaration ou le compte rendu des actions dans un dossier en question;
  3. que la déclaration était inexacte ou que le compte rendu était inexact;
  4. que le membre savait que la déclaration était inexacte ou que le compte rendu était inexact.

[18]  L’article 4.2 du Code de déontologie de la GRC se lit comme suit :

Les membres font preuve de diligence dans l’exercice de leurs fonctions et de leurs responsabilités, notamment en prenant les mesures appropriées afin de prêter assistance à toute personne exposée à un danger réel, imminent ou potentiel.

[19]  Pour que cette allégation soit établie, l’autorité disciplinaire doit prouver ce qui suit selon la prépondérance des probabilités :

  1. le gendarme Condo savait qu’il avait une obligation ou une responsabilité à remplir;
  2. il a sciemment ou négligemment manqué à cette obligation.

DÉCISION AU SUJET DES ALLÉGATIONS

Allégation 1

[20]  En raison de l’admission du gendarme Condo, j’estime que les deux premiers éléments du critère permettant de conclure à une infraction à l’article 8.1 ont été remplis.

[21]  En ce qui concerne l’incident 1 de l’allégation 1, un examen des documents présentés dans le dossier montre clairement que l’information contenue dans le calepin opérationnel et le rapport général du gendarme Condo est inexacte par rapport aux notes prises sur les lieux dans le calepin provisoire.

[22]  Le gendarme Condo a reconnu avoir sciemment omis d’inclure la référence à la demande de test avec ADA dans son calepin opérationnel. Il a également admis qu’il avait soumis des notes dans le cadre d’un dossier judiciaire tout en sachant qu’elles contenaient des omissions et des inexactitudes et tout en sachant qu’on se fierait à ces notes.

[23]  Pour ce qui est de l’incident 2, les éléments du dossier montrent que seule la date à laquelle la personne a été arrêtée figure dans le calepin du gendarme Condo. Toutefois, dans son rapport général, il a indiqué les heures où il aurait récité à la femme la déclaration de ses droits garantis par la Charte.

[24]  Le gendarme Condo a admis avoir inscrit dans le SIRP les heures auxquelles il avait récité à une personne sous sa garde la déclaration de ses droits garantis par la Charte et la mise en garde de la police en se fondant sur des estimations ou des approximations après coup, en présentant ces heures comme étant exactes.

[25]  Je dois préciser qu’après une inspection minutieuse, j’ai constaté qu’aucune heure n’est indiquée dans le rapport général dans le SIRP en ce qui concerne la récitation de l’avertissement de la police. Bien que cela m’empêche de conclure que l’élément 15 est établi, il n’est pas nécessaire que chaque élément de chaque allégation soit établi pour que l’allégation soit établie.

[26]  Comme il a été dit précédemment, l’examen des notes et de ses rapports généraux du gendarme Condo dans le SIRP démontre clairement que ses rapports étaient inexacts. Si l’on ajoute à cela le fait qu’il a admis savoir que ses documents contenaient des inexactitudes, j’estime que les troisième et quatrième éléments du critère sont remplis. Par conséquent, je considère que l’allégation 1 est établie selon la prépondérance des probabilités.

Allégation 2

[27]  Au moment de tous les faits mentionnés dans cette allégation, le gendarme Condo était membre de la GRC. Il était également de service et exerçait les fonctions de son poste, menant des activités policières proactives comme des contrôles routiers et des enquêtes sur la conduite avec facultés affaiblies. L’un des devoirs les plus importants dans l’exercice des activités policières est la cueillette de preuves. Le chapitre 25.2 du Manuel des opérations de la GRC, dit ce qui suit, à la section 1.1 :

1.1. Les notes des enquêteurs servent à rafraîchir la mémoire, à justifier les décisions prises et à consigner les éléments de preuve. Des notes bien documentées dans le calepin apportent de la crédibilité au témoignage et permettent de corroborer l’information des années après la prise des notes initiales. Au contraire, des notes mal prises ou inexactes peuvent compromettre une enquête et les [procédures civile, pénale ou administrative] qui en découlent.

[28]  Ce même chapitre établit également les obligations d’un membre en ce qui concerne la prise de notes. Plus précisément, il est indiqué ce qui suit à la section 1.2 :

1.2. Les membres doivent prendre des notes écrites et/ou électroniques dès que possible afin de préparer des notes précises, détaillées et exhaustive exposant les observations faites et les mesures prises dans le cadre de leurs fonctions.

En outre, la section 1.6 dit ce qui suit :

1.6. Le contenu des formules, manuscrites ou en version électronique, dont la production ne coïncide pas avec un événement particulier n’est pas considéré comme des notes et ne remplace pas le calepin [de l’enquêteur].

[29]  Par conséquent, j’estime qu’en s’acquittant de son devoir (c’est-à-dire au moment de mener des enquêtes sur la conduite avec facultés affaiblies) en sa qualité de membre de la GRC, le gendarme Condo savait qu’il avait une obligation ou une responsabilité à remplir. En ce qui a trait à la cueillette de preuves, cela comprend la prise de notes précises au moment des faits.

[30]  Après examen du dossier, il est clair que le gendarme Condo n’a pas rempli son devoir de la manière attendue. Les preuves de ce manquement sont les suivantes :

  1. Incident 1 – Le gendarme Condo n’a pris aucune note dans son calepin au sujet du contrôle routier consigné dans l’incident no 2016-1487610, et a estimé les heures des activités connexes au moment de rédiger son rapport général.
  2. Incident 2 – Le gendarme Condo n’a pris aucune note dans son calepin au moment du contrôle routier consigné dans l’incident n° 2017-386476.
  3. Incident 3 – Le gendarme Condo n’a pris aucune note dans son calepin au moment du contrôle routier consigné dans l’incident no 2017-1177871.
  4. Incident 4 – Le gendarme Condo n’a pas consigné les mesures prises dans le cadre de l’enquête sur la conduite avec facultés affaiblies qu’il a menée relativement à l’incident no 2017955830.
  5. Incident 5 – Retiré.
  6. Incident 6 – En ce qui concerne l’incident no 20178065, le gendarme Condo a omis de prendre des notes dans le cadre de l’enquête sur la conduite avec facultés affaiblies qu’il a menée, à l’exception d’un nom et d’une heure.

[31]  Il faut noter que chacun de ces incidents se rapporte à des enquêtes sur la conduite avec facultés affaiblies, dans lesquelles la chronologie des événements est extrêmement importante.

[32]  Pour les raisons susmentionnées, y compris l’admission du gendarme Condo, je conclus que le gendarme Condo avait le devoir de prendre des notes précises dès que possible et qu’en ne prenant pas de notes au sujet des incidents décrits, il a manqué à ce devoir. Par conséquent, j’estime que l’allégation 2 est établie selon la prépondérance des probabilités.

MESURES DISCIPLINAIRES

[33]  Le représentant du membre et le représentant de l’autorité disciplinaire ont présenté conjointement une série de mesures disciplinaires proposées qui consistent en ce qui suit : (1) une sanction financière de 30 jours de salaire, à déduire de la paie du gendarme Condo;  (2) une mutation; (3) la participation à un cours sur les valeurs et l’éthique; (4) la participation à un cours en ligne sur la prise de notes; et (5) l’ordre de travailler sous supervision étroite pendant une période maximale de deux ans.

Déclaration du représentant du membre

[34]  Le représentant du membre a expliqué que pour en arriver à leur entente, les parties ont convenu que la référence aux « faux rapport de police », à la page 66 du Guide des mesures disciplinaires, était la section la plus pertinente, car c’est elle qui rend le mieux compte de l’inconduite du gendarme Condo.

[35]  Le représentant du membre a également attiré l’attention sur la note de la page 67, qui dit ce qui suit :

[…] Un rapport inexact, présenté de bonne foi, peut être traité comme un problème lié au rendement plutôt qu’au comportement. Un membre peut avoir tort sans vouloir tromper. […]

[36]  Le représentant du membre a soutenu que la nature de l’inconduite du gendarme Condo chevauche la ligne qui sépare le rendement et la discipline. Il a suggéré qu’il y a la question de l’intention, tout en notant que l’intention coupable n’est pas requise dans le processus de déontologie. Il a en outre reconnu que le gendarme Condo avait admis avoir « sciemment » omis des détails dans son rapport et avoir complémenté ses notes.

[37]  Le représentant du membre a traité des critères définis pour satisfaire aux échelles des cas graves et des cas mineurs, présentées à la page 67 du Guide des mesures disciplinaires, mais il a suggéré que l’échelle des cas ordinaires est la plus appropriée dans les circonstances. L’échelle des cas ordinaires pour le dépôt d’un faux rapport de police va de la confiscation de la solde pour une période de 30 jours jusqu’au congédiement; ainsi, il a suggéré que l’inconduite du gendarme Condo se situe dans la tranche inférieure de la fourchette des cas ordinaires. À l’appui de cette assertion, il a fait remarquer que le gendarme Condo a pu produire ultérieurement des preuves (messages texte) ayant atténué la gravité de ses actions, qu’il n’y avait pas eu préméditation et que ses actions n’ont pas entraîné d’erreur judiciaire.

[38]  Le représentant du membre a conclu en faisant valoir que les mesures proposées incluent une importante sanction financière, non seulement pour tenir compte de l’inconduite mais aussi pour servir de mesure de dissuasion générale; les autres mesures permettraient de remédier aux lacunes cernées et le gendarme Condo aurait la possibilité de regagner la confiance perdue.

Déclaration du représentant de l’autorité disciplinaire

[39]  Compte tenu du niveau de gravité de l’inconduite, le représentant de l’autorité disciplinaire a soutenu que les mesures disciplinaires devraient se situer dans la fourchette normale en ce qui a trait à la présentation d’un faux rapport de police. Il a invoqué les arrêts Rault [5] et Cook [6] comme faisant autorité pour ce qui est de reconnaître la déférence accordée aux recommandations conjointes.

[40]  Le représentant de l’autorité disciplinaire a déclaré que les membres ne sont pas tenus de viser la perfection, mais l’intention et le motif de leurs actions doivent être pris en considération. En l’espèce, le représentant de l’autorité disciplinaire a fait référence à la décision dans l’affaire Cormier [7] , dans laquelle le comité de déontologie a estimé que le congédiement n’était pas toujours nécessaire dans les cas où il n’y avait pas eu gain ou avantage personnel. Toutefois, il a fait une distinction entre la présente affaire et l’affaire Cormier [8] en ce sens qu’aucune condamnation au pénal n’a résulté de la présente affaire.

[41]  Le représentant de l’autorité disciplinaire a souligné que l’inconduite du gendarme Condo n’était pas le résultat d’une mémoire défaillante, puisqu’il a sciemment inclus de l’information inexacte et qu’il a délibérément omis d’autres détails, ce qui aurait pu compromettre le système judiciaire. En outre, la fabrication de notes après coup pourrait amener d’autres personnes à croire que ces notes ont été prises sur les lieux.

[42]  Le représentant de l’autorité disciplinaire a souligné la gravité de l’omission de consigner de manière précise les heures auxquelles les différentes étapes d’une enquête sur la conduite avec facultés affaiblies se sont déroulées, mentionnant les délais précis prescrits par la loi comme ceux prévus au paragraphe 254(2) du Code criminel [9] .

[43]  Le représentant de l’autorité disciplinaire a ajouté que, bien que le gendarme Condo ait été en service depuis relativement peu de temps, il aurait déjà dû être au courant de l’importance de ces détails compte tenu du nombre d’enquêtes sur la conduite avec facultés affaiblies qu’il avait menées.

[44]  Le représentant de l’autorité disciplinaire a toutefois déclaré que la position de l’autorité disciplinaire à l’égard du congédiement avait changé après avoir reçu de nouveaux éléments de preuve de la défense, c’est-à-dire des messages texte d’un autre membre auprès duquel le gendarme Condo avait cherché à obtenir de l’orientation sur les lieux de l’incident 1. Il a déclaré que l’inconduite ne semblait plus avoir été motivée par l’intérêt personnel et que, par conséquent, la conclusion selon laquelle ses actions avaient pour but de renforcer son dossier ne tenait plus.

[45]  En ce qui concerne l’allégation 2, le représentant de l’autorité disciplinaire a fait valoir que, bien qu’il soit préoccupant que le gendarme Condo ait laissé des pages vierges dans son calepin et qu’il ait ensuite consigné l’information de mémoire ou selon sa meilleure estimation, l’autorité disciplinaire lui accordait le bénéfice du doute quant à savoir s’il s’agissait d’un manquement à l’obligation de bien documenter ou une intention de tromper.

[46]  Même si le représentant de l’autorité disciplinaire a reconnu que le gendarme Condo avait un bon rendement au travail, il a quand même mentionné les facteurs aggravants suivants, aux fins de prise en considération :

  1. Le gendarme Condo avait déjà reçu une fiche de rendement (formulaire 1004) pour avoir fourni une déclaration fausse ou trompeuse.
  2. En raison des divergences entre les notes de ses calepins en ce qui concerne l’incident 1 de l’allégation 1, les accusations pour cette infraction n’ont pas été transmises [au procureur de la Couronne].
  3. La Couronne a dû passer en revue toutes les accusations portées par le gendarme Condo qui étaient en instance devant le tribunal.
  4. Étant donné que ses notes ont été prises par approximation ou par estimation, il faut se demander comment il aurait témoigné ou jusqu’où les choses auraient pu aller.
  5. Le comportement du gendarme Condo soulève des questions d’intégrité. Le fait qu’il soit en service depuis peu explique certaines erreurs, mais pas un manque d’intégrité.
  6. Il aurait pu y avoir des conséquences mentionnées dans l’arrêt McNeil [10] .

[47]  Le représentant de l’autorité disciplinaire a laissé entendre que le gendarme Condo devra déployer des efforts pour regagner la confiance perdue et que les recommandations conjointes lui donneraient cette possibilité.

Décision au sujet des mesures disciplinaires

[48]  Ayant déterminé que les deux allégations sont fondées, je dois maintenant, aux termes de l’alinéa 36.2e) de la Loi sur la GRC, imposer des mesures disciplinaires « adaptées à la nature et aux circonstances des contraventions aux dispositions du code de déontologie et, s’il y a lieu, des mesures éducatives et correctives plutôt que punitives ».

[49]  Comme l’a fait remarquer le représentant du membre, une conduite comme celle du gendarme Condo chevauche la ligne qui sépare le rendement et la discipline. Cette notion est expliquée à la page 20 du Guide des mesures disciplinaires, où il est énoncé ce qui suit :

[…] En matière de négligence des fonctions, il est toujours difficile de déterminer si la conduite du membre représente un manquement au Code de déontologie ou si elle relève de la gestion du rendement. […]

[50]  Les rédacteurs du Guide des mesures disciplinaires ont reconnu la difficulté inhérente à l’analyse de l’inconduite par rapport au rendement dans diverses circonstances. Toutefois, étant donné que j’ai déjà déterminé que les deux allégations retenues contre le gendarme Condo sont établies, en partie parce qu’il a admis avoir sciemment fourni des rapports inexacts, la question de l’intention n’est pas en cause.

[51]  Comme l’a fait valoir le représentant de l’autorité disciplinaire, il n’existe aucune preuve démontrant que le gendarme Condo a agi dans un intérêt personnel, et par conséquent, cette affaire est moins grave que ce qui s’est passé dans l’affaire Cormier [11] .

[52]  Cependant, je souscris à son sentiment sur la gravité de l’action consistant à mal consigner ses activités et/ou à fournir des informations inexactes dans ses rapports de police. Quel que soit le motif de ses actions, un comportement comme celui-là amène le public et, éventuellement, les tribunaux, à s’interroger sur la perception qu’ils ont de la police.

[53]  En outre, comme l’a déjà fait remarquer et souligné le représentant de l’autorité disciplinaire, dans les enquêtes où la chronologie des événements est cruciale pour mener à bien une enquête approfondie, il est de la plus haute importance de prendre des notes précises et en temps opportun.

[54]  Je précise que le congédiement est la sanction la plus grave qui puisse être imposée dans un processus disciplinaire comme celui-ci. Avant d’imposer les mesures disciplinaires appropriées, je dois d’abord examiner l’éventail des mesures appropriées et tenir compte des facteurs aggravants et des facteurs atténuants.

[55]  J’ai examiné la recommandation conjointe des parties sur les mesures disciplinaires ainsi que les documents à l’appui. Au lieu d’un congédiement, les parties proposent conjointement ce qui suit : 1) une sanction globale équivalant à la confiscation de 30 jours de solde; 2) une mutation, à mettre en oeuvre selon les besoins opérationnels de la Division; 3) la réussite de la formation sur les valeurs et l’éthique offerte par l’École de la fonction publique du Canada; 4) la réussite du cours de la GRC sur la prise de notes offert en ligne (AGORA); et 5) une période de travail sous étroite supervision d’au plus deux ans.

[56]  Lorsqu’on lui soumet une recommandation conjointe sur les mesures disciplinaires à prendre, un comité de déontologie peut, dans des circonstances très limitées, refuser d’accueillir les mesures disciplinaires proposées. En règle générale, les cours ou tribunaux administratifs comme celui-ci n’annulent pas un accord convenu entre les parties, sauf si cet accord va à l’encontre de l’intérêt public. Le critère de l’intérêt public a un seuil très élevé. En 2016, la Cour suprême du Canada a reconnu la valeur des discussions de conciliation et a déclaré qu’on ne doit pas rejeter trop facilement une recommandation conjointe [12] .

[57]  Le critère de l’intérêt public a également été adopté dans le contexte de la discipline professionnelle dans l’arrêt Rault et dans la décision du commissaire de la GRC (2018) 18 A.D. (4th) 270 (disponible en anglais seulement).

[58]  Selon l’arrêt Rault, un comité de déontologie est tenu d’examiner sérieusement une recommandation conjointe à moins qu’elle soit inadéquate, déraisonnable ou contraire à l’intérêt public. En outre, lorsqu’il s’écarte d’une recommandation conjointe, un comité de déontologie doit également donner des raisons valables ou convaincantes afin d’expliquer pourquoi la recommandation n’est pas appropriée.

[59]  Pour déterminer si les mesures disciplinaires proposées par les parties sont contraires à l’intérêt public, je dois d’abord déterminer quelles sont les mesures possibles, à l’exception du congédiement.

[60]  Dans leur recommandation conjointe, les parties ont présenté une analyse détaillée de l’éventail des mesures appropriées applicable aux différents éléments constatés dans l’inconduite du gendarme Condo. Pour étayer leur position, les parties ont cité l’affaire Cormier [13] , qui a été confirmée par le commissaire en 2017.

[61]  Au terme de mon examen, j’estime que l’éventail des sanctions proposées est raisonnable et qu’il va de la sanction financière équivalant à 30 jours de salaire jusqu’au congédiement.

[62]  Pour déterminer s’il s’agit d’une mesure proportionnée en l’espèce, je dois tenir compte des facteurs aggravants et des facteurs atténuants.

Facteurs aggravants

[63]  J’ai examiné les facteurs aggravants présentés par le représentant de l’autorité disciplinaire. Je conclus que les éléments suivants sont en effet des facteurs aggravants :

  1. Les accusations en relation avec l’incident 1 de l’allégation 1 n’ont pas été transmises au procureur de la Couronne en raison des inexactitudes découvertes dans les notes du gendarme Condo.
  2. La découverte d’inexactitudes dans les notes a obligé le procureur de la Couronne à passer en revue toutes les accusations portées par le gendarme Condo qui étaient en instance devant le tribunal à ce moment-là, ce qui aurait pu nuire aux opérations de la Gendarmerie et, possiblement, à sa relation avec la Couronne.
  3. Le fait de fournir sciemment de l’information inexacte ou de remplir des rapports inexacts révèle un manque d’intégrité et touche à l’essence même de la confiance que le public porte à la police.
  4. La situation s’est produite à maintes reprises; on ne peut pas parler de cas isolé.
  5. Le fait de garder en service le gendarme Condo impose à la Gendarmerie un fardeau administratif en raison de l’incidence de la décision McNeil [14] , ce qui pourrait avoir un impact sur la capacité du gendarme Condo à remplir certains rôles.

[64]  Je rejette l’argument du représentant de l’autorité disciplinaire selon lequel le fait que le gendarme Condo avait déjà reçu une fiche de rendement (formulaire 1004) pour avoir fourni une déclaration fausse ou trompeuse constituait une inconduite antérieure, de même que sa suggestion selon laquelle il fallait se demander jusqu’où les choses auraient pu aller si l’inconduite du gendarme Condo n’avait pas été découverte. Voici les raisons de mon rejet :

  1. La signification d’un formulaire 1004 ne doit pas être considérée comme une mesure disciplinaire antérieure – le titre même du formulaire est révélateur de son objet, et par ailleurs, rien n’indique que l’émetteur du formulaire était une autorité disciplinaire.
  2. La remarque du représentant de l’autorité disciplinaire est de nature spéculative et ne doit pas être prise en considération.

[65]  Dans ma décision orale, j’ai initialement accepté le fait que le gendarme Condo avait précédemment reçu des conseils concernant sa prise de notes. Cependant, le représentant de l’autorité disciplinaire a précisé que ces conseils avaient été fournis après les faits reprochés. Par conséquent, je n’ai pas pu tenir compte de ce facteur.

Facteurs atténuants

[66]  J’estime que les éléments suivants sont des facteurs atténuants en l’espèce :

  1. L’admission du gendarme Condo concernant les allégations modifiées et les détails des celles-ci a permis d’éviter la tenue d’une audience publique contestée.
  2. Le gendarme Condo n’a pas de dossier disciplinaire antérieur.
  3. Le gendarme Condo a montré qu’il comprenait le sérieux de ses actions. Bien qu’il n’ait pas présenté d’exposé oral à l’audience, la manière dont il s’est conduit dénote un repentir sincère.
  4. Les lettres de recommandation fournies par des collègues et d’anciens supérieurs hiérarchiques du gendarme Condo confirment qu’il dispose de leur appui continu.
  5. Rien n’indique que le gendarme Condo a commis cette inconduite dans un intérêt personnel ou à des fins malveillantes.
  6. Le gendarme Condo était en service depuis peu de temps; toutefois, le poids accordé à ce facteur est atténué compte tenu du nombre d’enquêtes sur la conduite avec facultés affaiblies qu’il a menées.
  7. Le gendarme Condo est un fervent travailleur et a une solide éthique de travail, comme en témoignent son évaluation de rendement, ses lettres de recommandation et les documents contenus dans le dossier.
  8. Le gendarme Condo est d’origine mi’kmaq et est impliqué dans sa communauté.
  9. L’autorité disciplinaire ne cherche plus à faire congédier le gendarme Condo.

[67]  Bien que le représentant du membre ait également parlé du manque d’aide et de supervision au détachement, des efforts du gendarme Condo pour obtenir de l’aide et de sa tradition familiale dans le domaine du maintien de l’ordre, je n’ai accordé aucun poids à ces facteurs pour les raisons suivantes :

  1. Même si un détachement donné n’offre qu’une aide limitée, il incombe toujours au membre de demander de l’aide en cas d’incertitude. La seule preuve fournie par le gendarme Condo selon laquelle il a demandé de l’aide est l’échange de messages texte fourni dans sa réponse modifiée.
  2. Bien que je puisse comprendre la fierté qu’éprouve le gendarme Condo à marcher dans les traces de son père, je ne peux pas lui accorder une considération particulière qu’on ne donnerait pas à un autre membre dont la famille ne jouit pas de cette tradition.

CONCLUSION

[68]  Après avoir examiné le dossier qui m’a été soumis, la nature de l’inconduite, les facteurs aggravants et atténuants et les décisions et arrêts auxquels les parties ont fait référence, je ne peux pas conclure que les mesures proposées par les parties sont inadéquates, déraisonnables ou contraires à l’intérêt public. En fait, les mesures respectent l’éventail des sanctions imposées pour ce type d’inconduite, conformément au Guide des mesures disciplinaires. Les mesures, telles qu’elles sont proposées, sont très sévères et elles ne serviront pas qu’à dissuader le membre visé; elles serviront de moyen de dissuasion général.

[69]  Je crois que le gendarme Condo a un fort potentiel de réhabilitation, et je suis convaincu qu’il saura ne pas répéter les mêmes erreurs à l’avenir et se montrer à la hauteur des normes élevées attendue d’un employé de la GRC dans l’exercice de ses fonctions.

[70]  Par conséquent, j’accepte la recommandation conjointe des parties concernant une sanction globale et j’impose les mesures disciplinaires suivantes :

  1. une sanction financière de 30 jours de salaire, à déduire de la paie du gendarme Condo;
  2. une mutation vers un autre lieu de travail, à mettre en oeuvre selon les besoins opérationnels de la Division;
  3. la réussite de la formation sur les valeurs et l’éthique offerte par l’École de la fonction publique du Canada;
  4. la réussite du cours de la GRC sur la prise de notes offert en ligne (AGORA);
  5. une période de travail sous étroite supervision d’au plus un an; bien que les parties avaient proposé que le gendarme Condo travaille sous étroite supervision pendant une période d’au plus deux ans, l’alinéa 3(1)b) des Consignes du commissaire (déontologie) prévoit seulement une période d’au plus un an.

[71]  Le gendarme Condo est autorisé à poursuivre sa carrière à la GRC. Cependant, toute infraction future au Code de déontologie sera examinée de très près par l’autorité disciplinaire compétente et pourrait entraîner son congédiement de la Gendarmerie.

[72]  Toute mesure provisoire mise en place doit être résolue en conformité avec les modalités de l’article 23 du Règlement de la Gendarmerie Royale du Canada (2014), DORS/2014-281.

[73]  L’une ou l’autre des parties peut interjeter appel de la présente décision en déposant une déclaration d’appel auprès de la commissaire dans les 14 jours suivant la signification de la décision au membre visé, comme le prévoient l’article 45.11 de la Loi sur la GRC et l’article 22 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289.

 

 

13 mars 2020

Inspecteur Colin Miller

Comité de déontologie

 

Ottawa (Ontario)

 



[1] Une autre version a par la suite été fournie le 12 février 2020, car seules les pages impaires se trouvaient dans la version du 10 février 2020.

[2] Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11 [la Charte].

[3] Loi sur la santé mentale, LRNB 1973, c M-10 [Loi sur la santé mentale].

[4] Il n’existe pas de loi portant ce titre au Nouveau-Brunswick. On croit qu’il serait question de la Loi sur les véhicules à moteur, LRN-B 1973, c M-17.

[5] Rault v Law Society (Saskatchewan), 2009 SKCA 81 [Rault].

[6] R c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43 [2016] 2 RCS 204 [Cook].

[7] 2016 DARD 2.

[8] Ibid.

[9] Code criminel, LRC, 1985, c C-46.

[10] R v McNeil, 2009 SCC 3, [2009] 1 SCR 66 [McNeil].

[11] Ibid.

[12] Voir par exemple l’arrêt Rault, au paragraphe 19; et Cook.

[13] Supra.

[14] Supra.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.