Déontologie

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Protégé A

2020 DAD 09

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GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

Dans l’affaire d’une audience disciplinaire au titre de la

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C., 1985, ch. R-10

Entre :

Sergent d’état-major Bari Emam

Numéro de matricule 48889

(demandeur)

et

Sous-commissaire Jennifer Strachan

Commandante, Division E

Autorité disciplinaire

(intimée)

Décision du Comité de déontologie

Requête de suspension des procédures

Gerald Annetts, arbitre en matière de déontologie

19 mai 2020

Mme Sabine Georges, représentante du membre visé (pour le demandeur)

Sergent d’état-major Jonathon Hart, représentant de l’autorité disciplinaire (pour l’intimée)


INTRODUCTION

[1]  L’audience disciplinaire concernant cette affaire a commencé le 18 janvier 2018, et le commissaire adjoint MacMillan avait initialement été désigné Comité de déontologie. Après le lancement du processus d’audience et la signification de l’avis d’audience disciplinaire, il est devenu évident que de nombreux documents pertinents n’avaient pas été communiqués au demandeur et au Comité de déontologie. Cela a entraîné un long retard et beaucoup de va-et-vient entre le Comité de déontologie et l’intimée, ainsi qu’entre le demandeur et l’intimée. Les documents manquants ont fini par être fournis au Comité de déontologie et au demandeur, mais de nombreux documents avaient été caviardés en raison d’une revendication du secret professionnel par l’intimée. Encore une fois, bon nombre de discussions ont eu lieu. Cette fois-ci, elles portaient sur les procédures appropriées à suivre pour déterminer la validité de la revendication du secret professionnel.

[2]  Lorsque le commissaire adjoint MacMillan a pris sa retraite de la GRC en novembre 2019, j’ai été nommé pour le remplacer à titre de Comité de déontologie. À ce moment, j’ai invité le demandeur à présenter une requête officielle afin d’aborder les questions d’équité procédurale soulevées par le Comité de déontologie antérieur et le demandeur. Le 10 janvier 2020, le demandeur a présenté une requête de suspension des procédures dans laquelle il a allégué qu’il y avait abus de procédure de la part de l’intimée pour les raisons qui suivent :

  • réclamation de secret professionnel de l’intimée concernant des documents non visés par le secret professionnel;
  • défaut de divulgation complète de la part de l’intimée;
  • non-conformité aux instructions du Comité de déontologie par l’intimée;
  • contournement du processus d’enquête et de règlement des plaintes de harcèlement de la GRC;
  • insuffisance de l’enquête de l’intimée en ce qui concerne les allégations de harcèlement;
  • partialité de l’intimée pendant l’enquête;
  • délai institutionnel avant la présentation de l’affaire au Comité de déontologie.

[3]  Le demandeur a soutenu que ces préoccupations, cumulativement, constituent un abus de procédure qui mérite une suspension des procédures. L’intimée a déposé une réponse à la requête le 24 janvier 2020, et le demandeur a déposé sa réfutation le 14 février 2020. Puisque ma décision repose sur l’allégation concernant le contournement du processus obligatoire d’enquête et règlement des plaintes de harcèlement, je commencerai par analyser cette question.

CONTOURNEMENT DU PROCESSUS RELATIF AU HARCÈLEMENT

[4]  Le demandeur allègue qu’il y a abus de procédure de la part de l’intimée, car elle a contourné le processus d’enquête et règlement des plaintes de harcèlement et a plutôt mené une enquête au titre du processus de déontologie. Le demandeur soutient que l’intimée a fait cela afin d’éviter la période limite associée au processus d’enquête et règlement des plaintes de harcèlement.

[5]  Les faits pertinents par rapport à cet aspect de la requête sont présentés ci-après. Le 24 février 2017, en raison de plaintes présentées par KR et DK au Groupe sur le harcèlement de la Division E, des conseillers en harcèlement du Groupe ont recueilli des déclarations auprès des plaignants, KR, DK et AM. Les trois plaignants ont tous allégué que le demandeur s’était comporté de façon inappropriée. À une réunion subséquente de membres du Groupe sur la responsabilité professionnelle, du Groupe sur le harcèlement et de la section de la déontologie qui a eu lieu le 28 février 2017, on a discuté du présent dossier et on a décidé qu’il ne ferait plus l’objet d’une enquête au titre du processus d’enquête et règlement des plaintes de harcèlement, mais plutôt d’une enquête au titre du processus de déontologie. Des entrevues additionnelles ont eu lieu avec deux autres présumées victimes de harcèlement. Les allégations 5 à 7 découlent de ces entretiens.

[6]  Dans les notes d’information, on précise que la raison pour laquelle on a adopté le processus de déontologie au lieu du processus d’enquête et règlement des plaintes de harcèlement est que le demandeur se servait de son poste/grade pour approcher ces employés et discuter avec eux. Par conséquent, on a proposé qu’une enquête relative au code de déontologie pour « abus de pouvoir » soit plus appropriée qu’une enquête relative au harcèlement.

[7]  À la page 122 du dossier de divulgation final, il est clair que la Section nationale de déontologie a consulté le sous-officier responsable du Bureau de la coordination des plaintes de harcèlement, qui a formulé la recommandation suivante (deux mois après la réunion du 28 février 2017, cependant) :

[…]

Si un plaignant consent à se manifester et à présenter un formulaire 3919 décrivant les comportements, y compris les cinq éléments susmentionnés, ou si l’[agent des relations employeur-employés] décide qu’une plainte d’une tierce partie est justifiée, le processus relatif au harcèlement pourrait être utilisé. D’après ce que j’ai lu, et en l’absence de certaines des questions énoncées sur les cas individuels, je suggère qu’il convient davantage de traiter ces plaintes au titre du processus de déontologie.

Je suis désolé si ma réponse est alambiquée; le processus relatif au harcèlement compte un grand nombre de considérations et d’exigences supplémentaires.

[…]

[8]  Je fais remarquer ici que je ne peux pas déterminer avec certitude si ces plaintes de harcèlement ont été présentées au moyen d’un formulaire 3919, à savoir le formulaire prescrit par la politique. Toutefois, cela n’importe pas dans cette affaire, puisque les plaintes ont été présentées directement au Groupe sur le harcèlement et que l’intimée a été expressément informée par le Bureau de la coordination des plaintes de harcèlement qu’il fallait utiliser le formulaire 3919 si « un plaignant consent à se manifester et à présenter un formulaire 3919 ». On ne peut pas blâmer le demandeur si l’intimée n’a pas offert cette option aux plaignants. Avec ou sans présentation d’un formulaire 3919, il s’agissait clairement de plaintes de harcèlement au titre de l’article 2.2 du chapitre XII.8 du Manuel d’administration.

[9]  Dans la recommandation ci-après, le conseiller en déontologie de la Section nationale de déontologie a également averti l’intimée qu’il y avait des problèmes potentiels liés au délai de prescription :

[…]

-Si le plaignant a choisi d’amorcer une plainte de harcèlement, le [décideur] doit prendre en considération le traitement du dossier au titre du processus, puisque le comportement allégué est survenu il y a plus d’une année. Dans un cas de harcèlement sexuel, il ne s’agit habituellement pas d’un problème, mais plutôt d’une considération du moment choisi.

[…]

[10]  Après cette consultation, le conseiller en déontologie a recommandé à l’intimée que le processus de déontologie soit utilisé :

[…]

[La Section nationale de déontologie] partage l’avis [du Bureau de la coordination des plaintes de harcèlement]; il se peut que la nature des allégations constitue du harcèlement sexuel. Cependant, en l’absence de réponses aux questions énoncées par le Bureau de la coordination des plaintes de harcèlement sur les affaires susmentionnées, on suggère qu’il convient davantage de traiter ces plaintes au titre du processus de déontologie.

De plus, en transmettant cette affaire directement à la [commandante] et en consultant [la Direction des représentants des autorités disciplinaires], la [commandante] est la mieux placée pour évaluer les renseignements, car elle serait également la décideuse pour ce qui est de toute éventuelle question liée au harcèlement. J’ai ajouté en pièce jointe (en format PDF) le courriel envoyé par le Bureau de la coordination des plaintes de harcèlement pour vos dossiers, mais j’ai également inclus le message au complet dans la présente réponse.

J’espère que ces renseignements répondent à vos questions.

[…]

[11]  L’intimée a suivi cette recommandation, même si l’inconduite allégée a été signalée sous forme de plainte de harcèlement présentée directement au Groupe sur le harcèlement et correspondait à la définition de harcèlement sexuel, conformément au chapitre XII.8 du Manuel d’administration et à l’article 2.1 du Code de déontologie, qui interdit expressément à tout membre de se livrer à du harcèlement :

Manuel d’administration, chapitre XII.8

[…]

2. 8. Harcèlement : tout comportement inopportun et offensant, d’un individu envers un autre individu en milieu de travail, y compris pendant toute activité ou dans tout lieu associé au travail, et dont l’auteur savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice. Il comprend tout acte, propos ou exhibition répréhensible qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne ainsi que tout acte d’intimidation ou de menace. Il comprend également le harcèlement au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne (c’est-à-dire en raison de la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l’état de personne graciée.

2. 8. 1. Le harcèlement est normalement défini comme une série d’incidents, mais peut être constitué d’un seul incident grave lorsqu’il a un impact durable sur l’individu.

2. 8. 2. Le harcèlement comprend le harcèlement sexuel.

2. 8. 3. S’il est établi, le harcèlement contrevient au Code de déontologie de la GRC [article 2.1] à l’égard d’un membre, et le membre qui se rend coupable de harcèlement peut être visé par des mesures disciplinaires en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R-10.

[…]

2. 23. Le harcèlement sexuel s’entend de tout comportement, propos, geste ou contact qui, sur le plan sexuel, soit est de nature à offenser ou à humilier un employé, soit peut, pour des motifs raisonnables, être interprété comme subordonnant son emploi ou une possibilité de formation ou d’avancement à des conditions à caractère sexuel. Il est visé par la définition de « harcèlement » prévu ci-dessus.

[…]

Code de déontologie de la GRC, article 2.1

La conduite des membres envers toute personne est empreinte de respect et de courtoisie; ils ne font pas preuve de discrimination ou de harcèlement.

[12]  Des procédures sont normalement introduites à l’égard de membres visés au titre de la disposition la plus précise du Code de déontologie en fonction de l’inconduite alléguée. Dans cette affaire, puisque les allégations figurant dans l’exposé des précisions correspondent parfaitement à la définition de harcèlement sexuel, il serait raisonnable de s’attendre à ce que des procédures soient introduites en vertu de l’article 2.1 du Code de déontologie. Toutes choses étant égales, il est inhabituel que l’intimée ait choisi d’employer les articles plus généraux 3.2 (abus de pouvoir) et 7.1 (conduite déshonorante). L’intimée a seulement procédé en vertu de l’article 2.1 pour l’allégation 7.

Cadre de règlement des plaintes de harcèlement

[13]  Pour déterminer si la façon de procéder de l’intimée est appropriée, la première étape de l’analyse consiste à déterminer ce que précisent la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (Loi sur la GRC), les Consignes du commissaire (CC) et la politique au sujet de la façon de traiter les plaintes de harcèlement. Au paragraphe 20.2(1)(l) de la Loi sur la GRC, le Parlement accorde au commissaire le pouvoir d’élaborer les procédures concernant les enquêtes et le règlement des différends concernant les allégations de harcèlement pratiqué par un membre.

20.2(1) Le commissaire peut : […]

(l) élaborer les procédures concernant les enquêtes et le règlement des différends auxquels donne lieu le harcèlement qui aurait été pratiqué par un membre.

[14]  Grâce à ce pouvoir, le commissaire a créé les Consignes du commissaire (enquête et règlement des plaintes de harcèlement), DORS/2014-290. Avant d’examiner ces règles en détail, je vais tenter d’examiner l’intention du commissaire en ce qui concerne la création de ces règles.

[15]  D’abord, dans le sommaire de la Loi modifiant la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, qui a entraîné la mise en place de ces dispositions en 2014, on peut lire ce qui suit :

[…] Le texte modernise la gestion des ressources humaines au sein de la Gendarmerie royale du Canada. En particulier, il autorise le commissaire à intervenir en matière de dotation, de conflits relatifs à du harcèlement, de gestion du rendement et de gestion en général des ressources humaines. […]

[Non souligné dans l’original]

[16]  Bien que le sommaire ne fasse pas partie du préambule, il demeure utile en vue de déterminer le but et l’objectif de la Loi sur la GRC. Il est important, pour que le commissaire puisse intervenir dans les différends liés au harcèlement, qu’il soit mentionné expressément dans le sommaire comme un des moyens choisis par le Parlement pour renforcer la responsabilisation de la GRC.

[17]  Ensuite, le résumé de l’étude d’impact de la réglementation qui a accompagné la mise en oeuvre des CC (enquête et règlement des plaintes de harcèlement) inclut l’énoncé suivant comme objectif :

[…]

Le paragraphe 2(2) de la Loi définit ainsi les CC : Les règles à caractère permanent que le commissaire établit en vertu de la présente loi. Autrement dit, les CC sont des textes réglementaires créés sous l’autorité du commissaire qui établissent les étapes essentielles nécessaires à la mise en oeuvre des différentes procédures. Plus particulièrement, les CC établissent un processus propre à la GRC pour traiter les incidents de harcèlement en créant des procédures simplifiées pour l’enquête et le règlement des plaintes de harcèlement comprenant un processus de règlement à l’amiable. Les nouvelles CC ont été conçues pour répondre aux préoccupations des employés, qui trouvaient que le processus créait de la confusion, était trop long et n’adressait pas l’imputabilité des parties par l’application appropriée des conséquences existantes. Le processus créé par les CC s’appliquera aux membres qui formulent une plainte et aux intimés visés et permettra de créer des milieux de travail sécuritaires, sains et respectueux pour tout le personnel de la GRC.

[…] [Non souligné dans l’original]

[18]  À la section Description du même document, on peut lire ce qui suit :

[…]

Les CC sur les enquêtes et le règlement des plaintes de harcèlement normalise les processus, les procédures et la surveillance de la façon dont la GRC répond aux plaintes de harcèlement et les regroupe dans une seule structure administrative. Elle vise à résoudre les difficultés que rencontre la GRC lorsqu’elle doit répondre à des plaintes de harcèlement. À l’heure actuelle, la GRC est soumise aux exigences de la Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement du Secrétariat du Conseil du Trésor, en application de la Loi sur la gestion des finances publiques. Parallèlement, la GRC doit également se conformer aux procédures établies dans la partie IV de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada pour ce qui a trait au règlement des incidents liés à l’inconduite alléguée d’un membre. La difficulté d’essayer d’appliquer ces deux régimes pour régler une plainte de harcèlement vient du fait que, bien que la Politique du Conseil du Trésor soit centrée sur la prévention et le règlement à l’amiable des incidents qui pourraient devenir du harcèlement ou être perçus comme tels, en vue de rétablir les liens en milieu de travail, le processus décrit à la partie IV exige qu’un membre se défende à l’égard des allégations formulées par l’employeur en ce qui concerne des infractions au Code de déontologie. Le processus de déontologie de la GRC ne prévoit aucun règlement à l’amiable ni aucun rétablissement des liens, et les possibilités pour les plaignants de jouer un rôle dans ce processus sont très limitées. D’un autre côté, la Politique du Conseil du Trésor ne contient aucune disposition permettant d’appliquer le processus de déontologie de la GRC s’il est déterminé qu’il y a eu harcèlement. Ce qui signifie que la GRC doit faire un choix lorsqu’on lui présente une plainte de harcèlement. Elle doit traiter l’incident en vertu de la Politique ou procéder en vertu de la partie IV. Cette situation a entraîné de la frustration de la part des employés, qu’ils soient plaignants ou intimés, et les incite à douter de l’engagement de la GRC de fournir un milieu de travail respectueux.

La Loi visant à accroître la responsabilité de la Gendarmerie royale du Canada règle ces écarts en accordant précisément au commissaire le pouvoir d’« élaborer les procédures pour enquêter et régler les différends liés à un incident de harcèlement qui aurait été pratiqué par un membre » (voir la note de bas de page 4) et en exemptant la GRC d’avoir à se conformer aux politiques et directives du Conseil du Trésor en ce qui concerne les enquêtes et le règlement des plaintes de harcèlement. La GRC doit tout de même se conformer aux exigences du Conseil du Trésor pour prévenir les incidents de harcèlement par le règlement rapide de la situation, la formation et d’autres mesures de prévention et de rétablir le milieu de travail après la mise en oeuvre du nouveau processus d’enquête et de règlement des plaintes de harcèlement. Ces CC fourniront le cadre des enquêtes et du règlement des plaintes de harcèlement. Les volets suivants du processus d’enquête et de règlement des plaintes de harcèlement de la GRC sont inclus dans les CC :

L’inclusion du harcèlement en tant qu’infraction au Code de conduite des employés de la fonction publique et au Code de déontologie établi dans le Règlement de 2014.

Un système unique, complet, propre à la GRC pour les enquêtes et le règlement des plaintes de harcèlement fondé sur un processus d’enquête disciplinaire modifié (qui est conforme aux exigences de la partie IV de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada et qui intègre les éléments du rétablissement des liens et de l’équité procédurale de la Politique du Conseil du Trésor en matière de harcèlement).

• Un bureau national centralisé de réception des plaintes responsable de s’assurer que les observations des plaignants répondent aux exigences minimales nécessaires pour lancer le processus d’enquête et de règlement des plaintes de harcèlement et d’offrir un soutien et des conseils aux conseillers en harcèlement de la division.

• L’élimination du « processus de contrôle » qui a fait l’objet de bien des plaintes, remplacé par le pouvoir d’un décideur de déterminer les prochaines étapes appropriées pour aider les parties à choisir le règlement à l’amiable ou d’ordonner la tenue d’une enquête en temps opportun.

L’offre aux parties de la possibilité de demander le règlement à l’amiable d’une plainte jusqu’au moment de prendre la décision définitive. Le processus de règlement à l’amiable est appuyé par un système professionnalisé de gestion informelle des conflits.

• Le pouvoir pour le décideur d’examiner les plaintes, d’encourager les parties à accepter un règlement à l’amiable, de demander et d’administrer une enquête, de déterminer s’il y a eu harcèlement et d’imposer des mesures disciplinaires (s’il y a lieu) aux intimés. La plainte souvent formulée selon laquelle la GRC a utilisé la partie IV afin de « protéger » les membres contre les répercussions résultant d’une plainte fondée de harcèlement ne sera plus valide.

• Le pouvoir pour les gestionnaires délégués des employés de la fonction publique d’imposer des mesures disciplinaires après qu’une décision de harcèlement est maintenue.

Plus grande transparence dans le processus de règlement des plaintes de harcèlement et une meilleure communication avec les plaignants, notamment :

o donner aux parties la possibilité d’examiner le rapport préliminaire d’enquête sur une plainte de harcèlement et de présenter ensuite des observations à ce sujet;

o informer le plaignant des résultats de l’enquête et de toute mesure imposée au membre, le cas échéant.

• Un processus d’appel simplifié pour le membre qui porte plainte, qui comprendra un examen par le Comité externe d’examen, et la possibilité d’avoir recours au commissaire pour obtenir une décision définitive et exécutoire afin de réduire les délais avant le règlement final. Les intimés peuvent utiliser le processus d’appel prévu à la partie IV de la Loi ou, si ce processus n’est pas pertinent, interjeter appel selon le processus établi dans les CC.

• Le fait de donner aux employés de la fonction publique le choix entre présenter une plainte selon le processus de traitement des plaintes de harcèlement de la GRC ou selon un processus de présentation de grief offert aux employés de la fonction publique en vertu d’une convention collective ou de la Politique du Conseil du Trésor. Toutefois, les membres de la GRC ne se verront pas offrir ce choix. Il est prévu que ces derniers formulent les plaintes de harcèlement selon le processus établi dans les CC.

Comme il a déjà été indiqué, les CC (enquête et règlement des plaintes de harcèlement) seront une ressource importante pour ceux qui administrent le nouveau régime. Elles font partie d’une combinaison de l’approche systémique en vue de la prévention et du règlement de comportement inapproprié au travail et des aspects sensibilisation, prévention et rétablissement en milieu de travail traités dans le cadre du Programme pour le respect en milieu de travail, du Plan d’action pour l’égalité entre les sexes et le respect et de programmes de ressources humaines plus généraux de la GRC. De plus, aux étapes clés de la carrière d’un employé, la formation sur le harcèlement, la diversité et le comportement éthique constitue un élément essentiel du perfectionnement personnel.

[…] [Non souligné dans l’original]

[19]  De plus, la politique de la GRC sur les enquêtes et le règlement des plaintes de harcèlement, qui visent à orienter l’interprétation et l’application des CC, commence avec ce qui suit (Manuel d’administration, chapitre XII.8.1.1) :

L’objectif de la présente politique, ainsi que de la Politique du Conseil du Trésor sur la prévention et la résolution du harcèlement et des CC (enquête et règlement des plaintes de harcèlement), consiste à présenter le processus d’enquête et de règlement des plaintes de harcèlement à suivre lorsque les efforts investis pour prévenir ou résoudre les cas de harcèlement à l’aide du Programme pour le respect en milieu de travail ont été vains.

[20]  Le « nouveau » processus relatif au harcèlement est décrit de la façon qui suit dans la page de l’InfoWeb de la GRC sur la responsabilité professionnelle :

[…]

Enquêtes sur les plaintes de harcèlement et leur résolution

La nouvelle procédure applicable aux plaintes de harcèlement raccorde les exigences du Code de déontologie et celles du Conseil du Trésor en une procédure unique, rapide et efficace.

En remplacement de deux procédures parallèles relevant de la Politique du Conseil du Trésor et de la partie IV de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, il y a dorénavant une procédure unique propre à la GRC inscrire dans les CC pour régler les plaintes de harcèlement mettant en cause des membres;

Les plaintes de harcèlement seront seulement traitées au moyen du processus d’enquête et de règlement des plaintes de harcèlement. Les membres ne peuvent plus présenter une plainte de harcèlement au moyen du processus de grief pour veiller à ce que les enquêtes sur les plaintes de harcèlement et le règlement de celles-ci soient exécutées avec rigueur et cohérence;

• Un nouveau Bureau de la coordination des plaintes de harcèlement (BCPH) assure pour tout le pays la réception et la surveillance de toutes les plaintes de harcèlement;

Au lieu d’avoir des décideurs différents pour déterminer s’il y a eu harcèlement, puis s’il faut amorcer une procédure au titre de la partie IV, ces déterminations seront effectuées par un seul décideur lorsque l’intimé est un membre;

Le harcèlement est expressément mentionné comme contravention au Code de déontologie de la GRC;

• Le plaignant et l’intimé obtiendront un exemplaire du rapport d’enquête préliminaire avant qu’une décision finale soit prise et auront l’occasion de répondre aux renseignements présentés dans le rapport;

• Les plaignants et les intimés obtiendront un exemplaire des décisions finales, même lorsque la décision a été prise par un Comité de déontologie en vertu de la partie IV;

• La résolution informelle sera offerte aux parties jusqu’à ce qu’une décision finale soit prise ou qu’un Comité de déontologie soit mis sur pied;

• Les décisions provisoires ne peuvent plus faire l’objet d’un grief une fois la procédure amorcée. Toutefois les parties ont l’occasion d’interjeter appel une fois la décision finale rendue.

[…] [Non souligné dans l’original]

[21]  Il est clair que le commissaire a créé les CC (enquête et règlement des plaintes de harcèlement) expressément pour répondre aux plaintes de harcèlement visant des membres.

Importance du défaut de suivre le processus établi

[22]  La prochaine étape de l’analyse consiste à examiner l’importance du fait que l’on n’a pas suivi le processus établi dans cette affaire et de déterminer si l’intimée est libre de déterminer de façon arbitraire quel processus sera utilisé. Ce faisant, il est important de souligner que le processus d’enquête relatif aux plaintes de harcèlement aurait pu continuer d’être assujetti aux CC (déontologie), DORS/2014-291, et faire l’objet d’une enquête comme pour toute autre allégation relative au Code de déontologie. Toutefois, ce n’est pas le cas, et il s’agit d’un fait d’importance. Les CC (enquête et règlement des plaintes de harcèlement), en vertu du paragraphe 5(1), constituent un type d’enquête de déontologie précis aux termes de la Loi sur la GRC, et il a ses propres règles, responsabilités, obligations et avantages, à la fois pour le plaignant et l’intimé. Selon le paragraphe 5(1) des CC (enquête et règlement des plaintes de harcèlement), les enquêtes relatives au harcèlement doivent être des enquêtes de déontologie aux fins du processus de déontologie :

5(1) Sous réserve des présentes consignes, l’enquête tenue dans le cadre d’un processus d’enquête et de règlement des plaintes de harcèlement est réputée être une enquête tenue en application du paragraphe 40(1) de la Loi.

[23]  On trouve également des instructions dans le Guide sur le processus – Enquête et règlement des plaintes de harcèlement sur la façon de composer avec des allégations de très graves incidents de harcèlement concernant des actes potentiellement criminels. Ces lignes directrices utilisent les termes « processus disciplinaire » et « processus d’enquête et de règlement des plaintes de harcèlement » de manière interchangeable :

[…]

4.1.1.1 Lorsqu’on croit que le membre défendeur a commis une infraction à une loi, il faut consulter le chapitre 54.3 [Manuel des opérations (MO)]. Pour les incidents graves, il faut consulter MO, chapitre 54.1. Lorsque l’affaire a été renvoyée au service de police compétent ou qu’elle se trouve entre les mains de ce dernier, c.-à-d. un organisme extérieur ou la GRC, il faut poursuivre les procédures disciplinaires, à moins qu’il y ait une raison justifiable de ne pas le faire.

La décision de suspendre le déroulement d’un processus d’enquête et de règlement des plaintes de harcèlement dans l’attente du résultat d’une procédure judiciaire est prise au cas par cas, en consultation avec le conseiller en harcèlement, les examinateurs des plaintes de harcèlement, les conseillers national et divisionnaire en déontologie ou les relations de travail.

Il peut être nécessaire de consulter le Bureau local des procureurs de la Couronne et l’officier responsable des enquêtes criminelles pour s’assurer que le processus d’enquête et de règlement des plaintes de harcèlement n’interfère pas avec les procédures pénales.

[…] [Non souligné dans l’original]

[24]  Il est important de souligner qu’il n’existe aucune disposition semblable sur la façon de mener des enquêtes distinctes relatives au Code de déontologie et au processus d’enquête et de règlement des plaintes de harcèlement pour la même affaire. L’absence de politique permettant de composer avec cette éventualité et la disposition portant sur les enquêtes simultanées relatives au processus d’enquête et de règlement des plaintes de harcèlement et les enquêtes ou les procédures pénales confirme davantage qu’une enquête menée dans le cadre du processus d’enquête et de règlement des plaintes de harcèlement constitue en fait une enquête relative au Code de déontologie. Il s’agit d’une enquête relative au Code de déontologie spéciale, mais une enquête relative au Code de déontologie malgré tout.

[25]  Ce processus d’enquête spécial compte les exigences uniques suivantes : il faut fournir à au membre défendeur une copie de la plainte; cela lui permet de participer à un processus de règlement à l’amiable, le cas échéant [CC (enquête et règlement des plaintes de harcèlement), paragraphe 4(1)]; et il faut lui fournir un rapport d’enquête provisoire, auquel il peut répondre avant l’émission du rapport d’enquête final [CC (enquête et règlement des plaintes de harcèlement), paragraphe 5(3)]. De plus, il établit un délai de prescription d’un an à compter de la date du harcèlement présumé pour veiller à ce que les plaintes soient faites et traitées en temps opportun [CC (enquête et règlement des plaintes de harcèlement), paragraphe 2(1)].

[26]  Ces dispositions sont toutes parfaitement justifiables étant donné la nature unique des plaintes de harcèlement comparativement aux autres allégations d’inconduite en vertu du Code de déontologie. Les plaintes de harcèlement peuvent être complexes et difficiles. Elles peuvent être fondées ou le résultat d’une mauvaise communication ou d’une mésentente. Il peut y avoir des cas où l’intimé ne sait même pas que ses gestes ou ses commentaires étaient offensifs ou non désirés. Il y a également des cas où les allégations de harcèlement surviennent lorsqu’un supérieur tente légitimement de tenir un subordonné responsable de son faible rendement. Ces complexités et d’autres difficultés sont les raisons pour lesquelles la politique de la Gendarmerie exige que des enquêteurs ayant suivi une formation spéciale mènent ces enquêtes. C’est également pourquoi chaque division a des conseillers en harcèlement et pourquoi la Gendarmerie a des examinateurs de plaintes de harcèlement pour aider les décideurs dans chaque division. Ces personnes spécialement formées comprennent et apprécient la dynamique en jeu.

[27]  C’est également pourquoi il y a tant d’exigences uniques dans les CC (enquête et règlement des plaintes de harcèlement) et dans la politique sur les enquêtes et le règlement des plaintes de harcèlement qui ne sont pas présentes dans les CC (déontologie) ou dans la politique en matière de déontologie. Cela dit, les plaintes déterminées comme fondées à l’issue de l’enquête peuvent toujours faire l’objet d’une audience disciplinaire, le cas échéant.

[28]  Il est évident que le commissaire exige un régime spécial pour que les plaintes de harcèlement soient traitées d’une façon différente que les autres allégations relatives au Code de déontologie. Le commissaire n’avait certainement pas l’intention de permettre à une autorité disciplinaire de simplement choisir d’écarter le processus d’enquête et de règlement des plaintes de harcèlement afin d’exécuter le processus disciplinaire général. Pourquoi l’intimée a-t-elle pris la décision de le faire dans cette affaire? Le demandeur allègue que l’intimée voulait contourner le délai de prescription associé au processus d’enquête et de règlement des plaintes de harcèlement. Il s’agit d’une théorie convaincante si l’on tient compte du fait que le délai de prescription au titre des CC (enquête et règlement des plaintes de harcèlement) avait déjà expiré pour cinq des sept allégations avant la réception de toute plainte ou l’ouverture de toute enquête. Selon le paragraphe 2(1) des CC (enquête et règlement des plaintes de harcèlement) :

2(1) Le dépôt, par un membre, d’une plainte de harcèlement contre un autre membre se fait dans l’année suivant le dernier incident de harcèlement qui y est allégué et conformément au processus d’enquête et de règlement des plaintes de harcèlement.

(2) Le décideur peut, sur demande du plaignant, proroger ce délai dans des circonstances exceptionnelles.

[Non souligné dans l’original]

[29]  Le paragraphe 6(1) des CC (enquête et règlement des plaintes de harcèlement) exige que le décideur détermine d’abord si la plainte a été soumise dans les délais prescrits :

6(1) Après avoir reçu une plainte, le décideur décide par écrit si le délai pour son dépôt, visé à l’article 2, a été respecté.

(2) Si le délai est respecté, le décideur, dès qu’il a suffisamment de renseignements pour donner suite à la plainte :

a) soit convoque l’audience visée au paragraphe 41(1) de la Loi;

b) soit décide par écrit si, selon la prépondérance des probabilités, le défendeur a contrevenu au code de déontologie qui figurant à l’annexe du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (2014).

[…]

[30]  Selon ces dispositions, il est clair que si la plainte n’a pas été soumise dans le respect des délais de prescription et qu’il n’y a aucune circonstance exceptionnelle justifiant une prolongation du délai de prescription, il est impossible d’entreprendre une enquête au titre du processus relatif aux enquêtes et au règlement des plaintes de harcèlement. Par conséquent, le décideur doit ensuite rendre une décision écrite selon laquelle la plainte a été présentée hors délai et le dossier est clos. Le Manuel d’administration, chapitre XII.8, qui décrit les procédures de réception des plaintes de harcèlement, en témoigne dans les paragraphes suivants :

[…]

10.3. Le décideur examinera la plainte et les observations accompagnant la plainte et :

10.3.1. Déterminera si la plainte a été déposée dans les délais ou si une prolongation du délai doit être accordée;

10.3.2. Si le décideur détermine que la plainte n’a pas été déposée dans les délais, une décision écrite finale sera transmise aux parties et à leurs gestionnaires/superviseurs respectifs dès que possible. La décision inclura un énoncé des conclusions et des motifs de la décision ou;

10.3.3. Au besoin, il ordonnera une enquête conformément à la présente politique ou aux Consignes du commissaire (enquête et règlement des plaintes de harcèlement).

[…] [Non souligné dans l’original]

[31]  Ceci est également abordé dans le Guide sur le processus – Enquête et règlement des plaintes de harcèlement. On peut lire, à l’article 4.4.1 :

Lorsque la plainte est déposée après l’expiration du délai de un an à compter de la date du dernier incident et/ou que le décideur n’admet pas l’existence de circonstances exceptionnelles justifiant la présentation de la plainte après l’expiration du délai de un an, le dossier est clos.

Le [décideur] doit rédiger une décision définitive écrite à l’intention des parties et de leurs gestionnaires/superviseurs dès que possible. Cette décision doit contenir un énoncé des conclusions et des motifs de décision.

[32]  Dans cette affaire, la décision d’ignorer le processus obligatoire d’enquête et de règlement des plaintes de harcèlement au profit d’une enquête relative au Code de déontologie générique a eu comme effet de contourner le délai prescrit par les CC (enquête et règlement des plaintes de harcèlement). Il est important de souligner que l’intimée avait la capacité de prolonger la période de prescription en vertu du paragraphe 2(2) des CC (enquête et règlement des plaintes de harcèlement) si elle était d’avis qu’il y avait des circonstances exceptionnelles. Cela n’a pas été fait. Puisque l’intimée a été informée de ce problème par le Bureau de la coordination des plaintes de harcèlement au début du processus, il est raisonnable d’inférer qu’il n’existait aucune circonstance exceptionnelle.

[33]  Le fait d’ignorer le processus obligatoire d’enquête et de règlement des plaintes de harcèlement a également eu pour effet de priver le demandeur du processus de règlement qui lui était offert au titre des CC (enquête et règlement des plaintes de harcèlement), avant la tenue d’une audience disciplinaire. Certains des incidents précisés dans les détails des allégations auraient pu convenir à ce processus de règlement, si on prend en considération les explications présentées dans la réponse du demandeur au titre du paragraphe 15(3). De plus, la décision d’ignorer le processus obligatoire d’enquête et de règlement des plaintes de harcèlement au profit d’une enquête relative au Code de déontologie a privé au demandeur la capacité de fournir une réponse à l’égard du rapport d’enquête préliminaire. Cette réponse aurait pu convaincre la décideuse que les allégations n’étaient pas fondées ou qu’elles n’étaient pas suffisamment sérieuses pour justifier la convocation d’une audience disciplinaire.

[34]  Peu importe les raisons pour lesquelles l’intimée a choisi le processus disciplinaire, le demandeur soutient qu’il s’agit d’un abus de procédure. Je suis d’accord. Le demandeur a subi un préjudice en raison du défaut d’avoir suivi le processus obligatoire d’enquête et de règlement des plaintes de harcèlement. Cinq des sept allégations étaient frappées de prescription au titre du processus d’enquête et de règlement des plaintes de harcèlement et auraient été rejetées d’office. Pour ce qui est des deux autres allégations, le demandeur s’est vu refuser le droit de recevoir une copie de la plainte, le droit de faire prendre en considération les plaintes dans le cadre du processus de règlement et le droit de recevoir le rapport d’enquête préliminaire et de formuler des commentaires à cet égard.

[35]  La doctrine de l’abus de procédure découle de la compétence inhérente du tribunal d’empêcher que ses procédures soient utilisées abusivement, d’une manière qui aurait pour effet de discréditer l’administration de la justice. Il s’agit d’un principe souple qui ne s’encombre pas d’exigences particulières telles que la notion d’irrecevabilité, voir Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63. La doctrine fait intervenir le pouvoir inhérent d’un tribunal ou d’un tribunal administratif d’empêcher que ses procédures soient utilisées abusivement, d’une façon qui serait manifestement injuste envers une partie au litige, ou qui aurait autrement pour effet de discréditer l’administration de la justice. La jurisprudence confirme que l’administration de la justice et la notion d’équité se trouvent au coeur de la doctrine de l’abus de procédure.

[36]  Je suis également d’avis que les actions de l’intimée dans la présente affaire ont entraîné un manquement à l’équité procédurale. La Cour suprême du Canada a constitué, dans Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 Canlii 699 (CSC), [1999] 2 RCS 817 [Baker], une liste non exhaustive de cinq facteurs importants qui doivent être offerts à une personne visée par une procédure administrative :

  1. La nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir;
  2. La nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle agit l’organisme en question;
  3. L’importance de la décision pour les personnes visées;
  4. Les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;
  5. Les choix de procédure faits par l’organisme.

[37]  Je souligne que les trois derniers facteurs déterminés par la Cour suprême s’appliquent dans ce cas. L’intimée a mentionné l’affaire Baker dans ses soumissions au Comité de déontologie, mais son insistance était déplacée. Elle a plutôt misé sur l’arrêt El-Helou c. Service administratif des tribunaux judiciaires, 2012 CF 1111 (CanLII), en raison de la proposition selon laquelle on fait habituellement preuve de déférence envers les choix de procédure d’un organisme. Bien que cela soit vrai, le problème avec cet argument dans l’affaire qui nous occupe, c’est que le choix de procédure à suivre par l’intimée est clairement précisé dans les CC (enquête et règlement des plaintes de harcèlement) et dans la politique. C’est le commissaire de la GRC, avec l’autorité qui lui est conférée par le Parlement, qui a exigé l’utilisation du processus d’enquête et de règlement des plaintes de harcèlement dans ces circonstances. Cette exigence ne peut pas simplement être ignorée en vue de contourner des obstacles juridiques ou pour des raisons de commodité.

[38]  Les attentes légitimes de l’appelant sont étroitement liées à ce facteur. Lorsque le commissaire de la GRC crée, par l’intermédiaire des CC, des règlements concernant la façon de mener les enquêtes sur les plaintes de harcèlement, l’attente légitime d’un membre faisant l’objet d’une telle plainte est que ces règles seront suivies. Cette exigence devient encore plus importante dans un cas comme celui-ci, où la décision prise revêt une si grande importance pour l’appelant. Dans l’arrêt Baker, la Cour précise au paragraphe 25 que plus la décision est importante pour la vie des personnes visées et plus ses répercussions sont grandes pour ces personnes, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses. Avec cette déclaration, la Cour respectait le précédent qu’elle avait établi dans l’arrêt Kane c. Conseil d’administration de l’U.B.C., 1980 CANLII 10 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 1105, dans lequel elle avait statué qu’une justice de haute qualité est exigée lorsque le droit d’une personne d’exercer sa profession ou de garder son emploi est en jeu. C’est le cas dans cette affaire, et c’est pourquoi il est si important que l’intimée suive le processus exigé par le commissaire. L’omission de le faire constitue un manquement à l’obligation d’équité procédurale envers le demandeur.

[39]  Pour toutes ces raisons, il serait injuste pour le demandeur de permettre à l’intimée de simplement contourner les règles imposées par le commissaire et choisir un processus de rechange qui prive le demandeur de ses droits légaux u titre du processus d’enquête et de règlement des plaintes de harcèlement. Le fait de poursuivre les procédures serait également susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Par conséquent, j’ordonne un arrêt des procédures à titre de réparation convenable.

[40]  Mes conclusions ne visent pas à couvrir tous les cas où des actes de harcèlement présumés sont signalés à une autorité disciplinaire ou un décideur. Sans bénéficier de soumissions des conseillers pour toute autre situation, je tiens à limiter mon analyse aux circonstances de cette affaire.

[41]  Ma détermination sur cette question est que la requête du demandeur est accueillie et que les procédures le visant doivent prendre fin. Toutefois, j’aborderai les autres questions soulevées dans la requête à des fins d’exhaustivité.

REVENDICATION DU SECRET PROFESSIONNEL

[42]  Le 5 juillet 2019, conformément aux instructions du Comité de déontologie du 25 février 2019 et du 27 mai 2019, le représentant de l’autorité disciplinaire (RAD) a présenté une liste consolidée de documents contenant la divulgation supplémentaire de 516 pages de matériel. Le RAD a reconnu que 37 des 109 documents sources avaient été caviardés et a revendiqué le secret professionnel à l’égard des documents caviardés. Au paragraphe 15 de l’avis de requête, le demandeur a contesté la revendication du secret professionnel pour neuf des documents présentés :

[…] il est raisonnable de conclure que les communications qui ne concernent ni le client ni son avocat ne sont pas visées par le secret professionnel. Plus précisément, dans cette affaire, un certain nombre de documents ne concernent pas ces parties, mais sont tout de même visés par une revendication du secret professionnel (documents 80, 81, 82, 94, 97, 99, 106, 108 et 109). Je soutiens que les documents mentionnés ne sont pas protégés par le secret professionnel ou un privilège prévu par la loi et, par conséquent, doivent être divulgués. […] [traduit tel que reproduit dans la version anglaise]

[43]  Le demandeur a précisé au paragraphe 22 de l’avis de requête qu’il contestait la revendication du privilège prévu par la loi en vertu du paragraphe 47.1(2) de la Loi sur la GRC effectuée par l’intimée à l’égard des documents 64, 67 à 79, 83, 84 et 89 à 96. La revendication du privilège sur ces 24 documents est fondée sur le même argument articulé par l’intimée au sujet du document 62 de la liste de documents, à savoir comme suit :

[…] Le RAD revendique, le privilège prévu par la loi et le secret professionnel à l’égard de ce document aux termes du paragraphe 47.1(2) de la Loi sur la GRC, car il s’agit d’une communication transmise à titre confidentiel entre la [commandante] de la Division E (client) et le directeur de la DRAD au sujet d’une procédure aux termes de la partie IV de la Loi sur la GRC. Le RAD souligne l’obligation pour l’autorité disciplinaire de consulter un RAD (article 7.2.1.6.1 du ch. XII.1 [Manuel d’administration] – Déontologie) avant de lancer une procédure relative à une audience disciplinaire. Le RAD signale également l’article 17 du ch. XII.1 [Manuel d’administration] – Déontologie sur le Code d’éthique du représentant, et tout particulièrement le passage qui suit : « Les tâches et les responsabilités d’une personne qui représente […] dans la mesure où elles s’appliquent au processus disciplinaire, sont semblables à celles d’un avocat qui comparait devant les tribunaux. Il est essentiel qu’un représentant adopte les mêmes règles de conduite que celles qui s’appliquent à la profession juridique ». Le RAD affirme que les obligations professionnelles du RAD en tant qu’avocat praticien nécessitent le respect des présentes instructions de la [commandante] de la Division E à mon égard concernant la réclamation du secret professionnel à l’égard du document, mais il reconnaît également que le secret professionnel est de portée organisationnelle et qu’une autorisation adéquate devrait être obtenue pour qu’il y ait renonciation au secret professionnel. […]

[44]  L’argument invoqué par le demandeur contre cette revendication du secret professionnel, c’est que les communications énumérées ne semblent pas porter sur la demande ou l’obtention de conseils juridiques. Mon analyse porte seulement sur les documents contestés en vue de déterminer s’ils doivent être divulgués au demandeur et au Comité de déontologie.

[45]  L’intimée a revendiqué expressément le privilège fourni au titre du paragraphe 47.1(2) de la Loi sur la GRC. Par conséquent, je résumerai rapidement les dispositions pertinentes. Le paragraphe 47.1(1) de la Loi sur la GRC porte sur la représentation des parties à une audience devant un comité. Il précise que « toute personne peut représenter ou assister […] une autorité disciplinaire […] lors des procédures tenues devant une commission ».

[46]  Au paragraphe 47.1(2) de la Loi sur la GRC, on énonce que lorsqu’une « autorité disciplinaire se fait représenter ou assister par une autre personne, les communications confidentielles qu’elles échangent relativement […] aux procédures […] sont, pour l’application de la présente loi, protégées comme si elles étaient des communications confidentielles échangées entre […] l’autorité disciplinaire et son conseiller juridique ».

[47]  Au paragraphe 47.1(3) de la Loi sur la GRC, on précise que le « commissaire peut établir des règles pour prescrire : a) quelles sont les personnes ou catégories de personnes qui ne peuvent représenter ou assister […] une autorité disciplinaire; b) quelles sont les circonstances dans lesquelles une personne ne peut représenter ou assister […] une autorité disciplinaire ».

[48]  Les règles mentionnées au paragraphe 47.1(3) de la Loi sur la GRC sont présentées aux articles 29 à 31 des CC (déontologie). Les décisions suivantes, qui se trouvent à l’article 29, sont particulièrement pertinentes pour la requête en cause :

assistance L’aide juridique donnée […] à une autorité disciplinaire à l’égard de ce membre.

représentation Action de représenter, pour l’application des présentes consignes, […] une autorité disciplinaire, notamment en lui offrant des conseils et des services juridiques.

[49]  L’article 31 des CC (déontologie) porte sur la représentation de l’autorité disciplinaire. Les dispositions pertinentes sont les suivantes :

31(1) Le représentant des autorités disciplinaires peut représenter une autorité disciplinaire dans les cas suivants :

[…]

b) elle a l’intention de convoquer une audience au titre du paragraphe 41(1) de la Loi;

[…]

[50]  Enfin, le paragraphe 31(4) des CC (déontologie) contient une limite importante à l’égard de la présente requête :

31(4) Seul le représentant des autorités disciplinaires est autorisé à représenter et à assister une autorité disciplinaire dans les cas prévus aux paragraphes (1) […]

[51]  Mon interprétation de cette limite, c’est que seules les personnes employées par la DRAD fournissent des conseils juridiques, puisque les fonctions d’avocat et de gestion des litiges sont expressément visées par le paragraphe 47.1(2) de la Loi sur la GRC. Autrement dit, ce sont seulement les communications confidentielles échangées entre une autorité disciplinaire et son RAD qui sont protégées aux termes de la Loi sur la GRC comme s’il s’agissait de communications confidentielles échangées entre une autorité disciplinaire et son conseiller juridique. Le paragraphe 47.1(2) de la Loi sur la GRC n’offre aucune protection à l’égard de communications entre une autorité disciplinaire ou d’autres personnes ou entre un RAD et d’autres personnes. Ce privilège, s’il est accordé, doit découler de la common law.

[52]  Quel est donc l’état de la common law en ce qui concerne le secret professionnel à l’égard des avocats et de leurs clients? Le premier élément à aborder, c’est que « protégé » n’est pas le synonyme de « confidentiel ». Les tribunaux se préoccupent de la pertinence de l’information, non de sa confidentialité. Ils ne tolèrent pas la production inutile de renseignements privés, mais n’hésiteront pas à exposer les détails les plus intimes s’ils sont pertinents et nécessaires pour que justice soit faite. La loi ne demande pas la divulgation de renseignements non pertinents, et elle ne protège pas des renseignements simplement parce qu’ils sont confidentiels. Tous les éléments de preuve pertinents et importants peuvent être contraignables dans une instance judiciaire, tant qu’ils ne sont pas protégés par un privilège.

[53]  Lorsqu’un privilège générique s’applique, les preuves protégées par le privilège sont de prime d’abord inadmissibles. Au cours des dernières années, les tribunaux ont renforcé la protection offerte par le secret professionnel et ont clairement établi que le privilège relatif au litige diffère du privilège générique. Le privilège générique le mieux reconnu par la common law est le secret professionnel de l’avocat. Ce privilège protège toutes les communications confidentielles liées à la demande ou à l’obtention de conseils fondés sur l’expertise en droit du professionnel [1] . À l’intérieur de ces paramètres, il est pratiquement absolu. La Cour suprême du Canada a défini ce terme de la façon suivante :

[…] Le secret professionnel de l’avocat est un principe juridique solidement établi depuis des siècles. Il reconnaît que la force du système de justice dépend d’une communication complète, libre et franche entre ceux qui ont besoin de conseils juridiques et ceux qui sont les plus aptes à les fournir. La société a confié aux avocats la tâche de défendre les intérêts de leurs clients avec la compétence et l’expertise propres à ceux qui ont une formation en droit. Ils sont les seuls à pouvoir s’acquitter efficacement de cette tâche, mais seulement dans la mesure où ceux qui comptent sur leurs conseils ont la possibilité de les consulter en toute confiance. Le rapport de confiance qui s’établit alors entre l’avocat et son client est une condition nécessaire et essentielle à l’administration efficace de la justice [2] . […]

[54]  Il ne faut pas oublier qu’il incombe à la partie qui revendique le secret professionnel de prouver que la communication a eu lieu à un moment visé par le secret professionnel. Cela fait, il incombe à la partie qui veut passer outre le privilège de prouver qu’il y a une exception. À titre de privilège général, il est présumé s’appliquer. Plus important encore, le privilège appartient au client et non à l’avocat. Seul le client peut y renoncer, mais il peut le faire explicitement ou implicitement.

[55]  À un certain moment, le privilège relatif au litige était considéré comme une sous-catégorie du secret professionnel de l’avocat et on a débattu du moment où il s’applique. La décision de la Cour suprême dans l’affaire Blank a rendu clair que le privilège relatif au litige constitue une catégorie de privilège distincte qui n’exige pas que la partie au litige soit représentée. La Cour suprême a établi et confirmé les principes qui suivent :

  • Le privilège relatif au litige vise à protéger l’efficacité de la procédure contradictoire en créant une zone de confidentialité à l’occasion ou en prévision d’un litige.
  • Les parties au litige, représentées ou non, doivent avoir la possibilité de préparer leurs arguments en privé, sans ingérence de la partie adverse et sans crainte d’une communication prématurée.
  • Le privilège persiste seulement jusqu’à ce que le litige sera terminé, et il prendra fin en l’absence de procédures étroitement liées, lorsque le litige qui lui a donné lieu est terminé. En ce qui concerne le second cas, voir R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565, paragraphe 16.
  • Un litige n’est pas terminé tant qu’il n’est pas terminé. Par conséquent, le privilège peut persister tant que les parties au litige ou des parties liées demeurent engagées dans ce qui constitue essentiellement le même combat juridique.
  • Le privilège relatif au litige ne permet pas à une partie de cacher des renseignements qu’il devrait produire simplement en plaçant les éléments de preuve dans un dossier en litige. Le privilège s’applique seulement au matériel préparé expressément à l’égard de l’objet principal d’un litige en cours ou envisagé.
  • Comme c’est le cas pour le secret professionnel de l’avocat, on peut renoncer au privilège relatif au litige; cela peut être fait sous forme de divulgation volontaire ou implicite.
  • Le privilège relatif au litige n’est pas du tout aussi important que le secret professionnel de l’avocat, et dans un cas approprié, il pourrait être mis de côté en raison de l’importance d’obtenir un résultat juste.
  • Même si le secret professionnel de l’avocat a été renforcé, confirmé et élevé au cours des dernières années, le privilège relatif au litige s’est affaibli en raison de la tendance voulant une divulgation mutuelle et réciproque, qui caractérise le processus judiciaire.
  • Il peut y avoir un certain chevauchement entre le privilège relatif au litige et le privilège de la consultation juridique. Une preuve assujettie au secret professionnel de l’avocat ne perd pas cette protection parce qu’elle est également assujettie au privilège relatif au litige.

[56]  En général, la divulgation de renseignements privilégiés à une tierce partie constitue une renonciation au privilège. Plus précisément, il s’agit d’une preuve que le titulaire du privilège n’a plus l’intention de garder ces renseignements confidentiels. Toutefois, il peut fréquemment être nécessaire de divulguer des renseignements ou des conseils privilégiés à des experts, des enquêteurs, des agents ou des employés. Il s’agit de personnes qui participent à la collecte de renseignements aux fins du litige ou qui font partie de la chaîne de personnes recevant des conseils juridiques. Ces cas n’ont jamais été considérés comme une renonciation ou un abandon du privilège, pourvu que la personne à laquelle les renseignements confidentiels ont été confiés comprenne que cette communication est confidentielle.

[57]  Maintenant que j’ai présenté les principes généraux concernant le privilège prévu par la loi aux termes du paragraphe 47.1(2) de la Loi sur la GRC et les catégories de privilèges généraux de la common law, à savoir le secret professionnel de l’avocat et le privilège relatif au litige, j’appliquerai ces principes aux documents en litige.

[58]  Je commencerai par déterminer si le privilège fourni aux termes du paragraphe 47.1(2) de la Loi sur la GRC s’applique aux documents en litige. Je répète que ce sont seulement les communications confidentielles entre l’intimée et le RAD qui, aux fins de la Loi sur la GRC, sont privilégiées comme s’il s’agissait de communications confidentielles entre l’autorité disciplinaire et son conseiller juridique (secret professionnel de l’avocat). Le paragraphe 47.1(2) de la Loi sur la GRC ne confère aucun privilège équivalent aux communications entre l’intimée et d’autres personnes ou entre le RAD et d’autres personnes. Toutefois, le privilège relatif au litige n’exige pas l’existence d’une relation entre un avocat et son client. Par conséquent, il peut protéger certains des documents demandés expressément par le demandeur si le principal objectif de ces communications était de préparer un litige prévu, même si ces communications ne concernent pas le conseiller juridique de l’intimée.

  • Le document 64 est un courriel du RAD au sergent d’état-major Greg Leong, qui, à l’époque, était responsable du Groupe sur la responsabilité professionnelle et des conseillers en déontologie de la Division E. Dans ce courriel, il donnait un aperçu de la conduite antérieure d’un éventuel témoin. Je détermine qu’il y a preuve suffisante à première vue pour justifier le privilège relatif au litige à l’égard de ce document, puisqu’il concerne la préparation d’une audience disciplinaire prévue.
  • Le document 67 est un courriel de l’inspecteur Mark Le Page au RAD. On le décrit comme la liaison de la DRAD avec le Groupe afin de signifier des documents. L’intimée a expressément invoqué l’appui du paragraphe 47.1(2) de la Loi sur la GRC pour revendiquer le privilège, puisqu’il s’agit de communications confidentielles entre des personnes qui aident la [commandante] de la Division E (client) et le RAD en lien avec la procédure, aux termes de la partie IV de la Loi sur la GRC. Cette revendication est rejetée, puisque j’ai déterminé que le paragraphe 47.1(2) de la Loi sur la GRC s’applique seulement aux communications confidentielles échangées entre l’intimée et son RAD. Il ne confère aucun privilège équivalent aux communications entre le RAD et d’autres personnes. L’intimée n’a pas revendiqué le secret professionnel ou le privilège relatif au litige et, selon moi, ni l’un ni l’autre ne s’appliqueraient dans ce cas. J’aurais donc ordonné que ce document soit divulgué au demandeur et au Comité de déontologie.
  • Les documents 68 à 77 sont des courriels entre le RAD et le sergent d’état-major Greg Leong et ils portent sur la préparation de l’avis d’audience disciplinaire au nom de l’intimée. Pour les mêmes raisons que celles énoncées pour le document 64, je détermine que ces documents sont protégés par le privilège relatif au litige.
  • Le document 78 est un courriel du sergent d’état-major Greg Leong à l’intimée concernant la signature d’avis d’audience disciplinaire. Encore une fois, je suis d’avis que le sergent d’état-major Leong aidait le RAD à préparer l’audience disciplinaire prévue et que ce document est protégé par le privilège relatif au litige.
  • Le document 79 est un courriel; la réponse de l’intimée au sergent d’état-major Leong. Pour les mêmes raisons, je détermine que ce document est protégé par le privilège relatif au litige.
  • Le document 83 est un courriel d’un autre RAD (Brad Smallwood) au sergent d’état-major Greg Leong concernant l’Avis d’audience disciplinaire initial signé. Je détermine que ce document est protégé par le privilège relatif au litige pour les raisons susmentionnées.
  • Le document 84 est un courriel du RAD à l’inspecteur Mark Lepage concernant un compte rendu sur les documents aux fins de signification. L’intimée a revendiqué la protection du paragraphe 47.1(2) de la Loi sur la GRC et du secret professionnel. Ce document n’est pas protégé aux termes du paragraphe 47.1(2) de la Loi sur la GRC pour les raisons susmentionnées. De plus, il n’y a aucune indication dans la justification fournie par l’intimée que la communication concerne la demande ou l’obtention de conseils juridiques, à savoir l’exigence de base pour que s’applique le secret professionnel. On n’a pas revendiqué le privilège relatif au litige. Par conséquent, la revendication du privilège doit être rejetée, et j’aurais ordonné que ce document soit divulgué.
  • Les documents 89 à 93, 95 et 96 sont des courriels entre le RAD et le sergent d’état-major Greg Leong et le sergent Jake Hutton, des membres du Groupe de la responsabilité professionnelle de la Division E. Ils concernent la préparation de l’audience disciplinaire prévue. Ces documents sont protégés par le privilège relatif au litige.
  • Le document 94 est une demande du sergent d’état-major Greg Leong au sergent Jake Hutton pour aider le RAD à l’égard des préparatifs préalables à l’audience. Le transfert de la demande au sergent Jake Hutton afin de lui demander d’aider le RAD ne constitue pas une renonciation au privilège. Ce document demeure protégé par le privilège relatif au litige.
  • Les documents 97 et 99 sont un courriel de l’inspectrice Wendy Mehat au sergent d’état-major Greg Leong et de l’inspectrice Wendy Mehat à Karen Manhas au sujet des directives de l’intimée en matière de divulgation de la DRAD. L’intimée a réclamé un privilège prévu par la loi aux termes du paragraphe 47.1(2) de la Loi sur la GRC, et non le secret professionnel de l’avocat ou le privilège relatif au litige. Pour les mêmes raisons signalées à l’égard du document 67, je détermine que ces documents ne sont pas protégés aux termes du paragraphe 47.1(2) de la Loi sur la GRC et j’aurais ordonné leur divulgation.
  • Les documents 106, 108 et 109 sont des courriels entre le sergent d’état-major Greg Leong et le commissaire adjoint Eric Stubbs concernant la production de comptes rendus disciplinaires. L’intimée a revendiqué le privilège en vertu du paragraphe 47.1(2) de la Loi sur la GRC et le secret professionnel. Pour les mêmes raisons signalées à l’égard du document 67, la revendication du privilège prévu par la loi est rejetée. La revendication du secret professionnel doit également être rejetée, car l’intimée n’a fourni aucune preuve montrant que ces communications étaient liées à la demande ou à l’obtention de conseils juridiques. Il s’agit plutôt de comptes rendus disciplinaires. L’intimée n’a pas réclamé le privilège relatif au litige, et il n’y a aucun fondement à cet égard, selon mon interprétation de la description. J’aurais ordonné que ces documents soient divulgués.

[59]  Je conclus que l’intimée n’a pas établi une preuve suffisante à première vue afin de se prévaloir d’un privilège à l’égard des documents 67, 84, 97, 99, 106, 108 et 109. J’aurais demandé que des copies non caviardées de ces documents soient fournies au demandeur et au Comité de déontologie sans délai.

DÉFAUT DE DIVULGATION DES DOCUMENTS PERTINENTS

[60]  La prochaine partie de la requête du demandeur concerne le fait que l’intimée n’a pas respecté son devoir de divulgation et a dû être forcée de divulguer du matériel après avoir déclaré, initialement, que ce matériel n’existait pas. Cela concerne au total 516 pages de matériel, la plupart portant sur l’enquête de harcèlement visant les gestes posés par le demandeur qui avait été amorcée initialement avant que l’affaire ne devienne une enquête relative au Code de déontologie. Au départ, l’intimée a nié que le Groupe sur le harcèlement de la Division E avait des dossiers concernant le demandeur. C’est seulement lorsqu’on a donné à l’intimée des références à ce matériel provenant du matériel d’enquête remis au Comité de déontologie que des requêtes additionnelles furent présentées et que le matériel fut trouvé et divulgué.

[61]  Le demandeur soutient que cette divulgation lui a été fournie longtemps après la présentation de sa réponse initiale en vertu du paragraphe 15(3) au Comité de déontologie. Par conséquent, il précise qu’il a subi un préjudice, car il ne connaissait pas les faits qu’on lui reprochait avant d’avoir fourni sa réponse en vertu du paragraphe 15(3). Le demandeur indique qu’il a subi un préjudice précis concernant sa réponse aux précisions 6 et 7 de l’allégation 1. Certaines des divulgations additionnelles prouvent qu’il a eu une deuxième rencontre entre le demandeur et son accusateur, KR, rencontre dont il avait nié l’existence en se fondant sur la divulgation initiale.

[62]  L’intimée soutient qu’elle a respecté son obligation de divulgation en tout temps. L’intimée avoue que la divulgation additionnelle était requise, mais que cela n’est pas inhabituel, puisque les paragraphes 15(4) et (5) des CC (déontologie) et l’article 17.3 du Guide du Comité de déontologie reconnaît qu’un membre visé peut demander qu’une enquête plus approfondie soit effectuée et qu’on peut ordonner à cette partie de fournir des renseignements additionnels. Selon l’intimée, il s’agit d’une affaire complexe impliquant de multiples plaignants et un volume important de documents.

[63]  Ensuite, l’intimée soutient qu’elle a toujours été d’avis que la grande majorité de la divulgation additionnelle n’est pas pertinente, importante ou nécessaire à la détermination des allégations. L’intimée admet que les messages texte mentionnés par le demandeur en lien avec les précisions 6 et 7 de l’allégation 1 sont pertinents, mais elle ajoute qu’ils ont été rédigés en partie par le demandeur. Par conséquent, il aurait dû être au courant de leur existence. L’intimée est d’avis que cette divulgation tardive des messages texte n’a eu aucune incidence sur la capacité du demandeur de se défendre. Enfin, l’intimée indique que la corroboration n’est pas nécessaire en ce qui concerne les allégations d’inconduite sexuelle et qu’en définitive, l’allégation dépend toujours du témoignage du plaignant [KR], qui n’a pas encore été entendu, avant qu’une détermination soit faite par le [Comité de déontologie].

[64]  La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Sheriff c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 139 [Sheriff], a établi que le niveau de divulgation requis pour une procédure disciplinaire est semblable à celui qui a été établi par la Cour suprême du Canada dans la décision R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, à l’égard des affaires criminelles. Aux paragraphes 31 à 34 de la décision Sheriff, le juge Malone explique ce qui suit :

[31] Par contre, nos tribunaux judiciaires ont à plusieurs reprises reconnu la nécessité d’une norme de procédure plus rigoureuse pour les instances disciplinaires des professions lorsqu’est en jeu le droit de poursuivre l’exercice de sa profession ou de conserver son emploi; voir Kane c. Conseil d’administration (Université de la Colombie-Britannique), [1980] 1 R.C.S. 1105, à la page 1113; et Brown et Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, édition à feuilles mobiles, Toronto, Canvasback Publishing, 1998, aux pages 9–57 et 9–58. Cette norme de communication plus rigoureuse doit être suivie, que la province en question reconnaisse ou non l’applicabilité aux affaires en question de l’article 7 de la Charte Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

[32] La rigueur plus grande de la norme de communication se justifie par les Page 29 de 36 conséquences sérieuses des procédures dont il s’agit pour la carrière et la position sociale de la personne qui en fait l’objet. Certains tribunaux judiciaires ont fait observer qu’une déclaration d’inconduite professionnelle peut se révéler plus grave qu’une condamnation au pénal;  voir Howe v. Institute of Chartered Accountants of Ontario (1994), 19 O.R. (3d) 483 (C.A.), le juge Laskin, dissident, aux pages 495 et 496; et Re Emerson and Law Society of Upper Canada (1983), 44 O.R. (3d) 729, à la page 744.

[33] Les tribunaux judiciaires provinciaux continuent d’étendre les obligations de communication dans les auditions disciplinaires des professions, appliquant les principes de Stinchcombe aux affaires où l’organisme administratif pourrait retirer ou restreindre le droit d’exercice de la profession ou porter gravement atteinte à la réputation professionnelle;  voir Hammami v. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [1997] 9 W.W.R. 301 (C.S.C.-B.), au paragraphe 75;  et Milner v. Registered Nurses Assn. of British Columbia (1999), 71 B.C.L.R. (3d) 372 (C.S.). Dans l’arrêt Stinchcombe, la Cour suprême du Canada a statué que le ministère public est soumis à l’obligation générale de communiquer à l’accusé tous les éléments de preuve qui pourraient l’aider dans sa défense, même ceux que l’accusation ne prévoit pas de produire. Si ces principes ne s’appliquaient à l’origine qu’au contexte du droit pénal, les analogies entre les poursuites au pénal et les auditions disciplinaires s’avèrent telles que les objectifs sont, selon mon analyse, les mêmes, soit la recherche de la vérité et l’obtention du résultat juste.

[34] Dans la présente espèce, les syndics risquent la suspension de leur licence et une atteinte à leur réputation professionnelle. Afin qu’ils puissent bien comprendre les faits qui leur sont opposés et que leur soit garantie une procédure disciplinaire équitable, ils doivent avoir accès à tous les éléments pertinents susceptibles de les aider. Cette conclusion est conforme à la décision qu’a déjà rendue le surintendant, selon laquelle l’analyste principale était tenue de communiquer tous les documents à moins qu’ils n’aient « visiblement rien à voir avec l’affaire ».

[65]  L’arrêt Sheriff provient de la Cour d’appel fédérale et je m’y soumets. Il distingue clairement la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire May c. Ferndale Institution, 2005 CSC 82, [2005] 3 R.C.S. 809, une affaire qu’on cite encore parfois, car elle appuie une norme de divulgation moins sévère dans la présente instance. L’arrêt Sheriff est une bonne référence pour la proposition qu’une autorité disciplinaire doit divulguer toutes les preuves qu’elle possède qui pourraient aider le membre visé, même si la poursuite ne prévoyait pas les produire. Par conséquent, une autorité disciplinaire a le devoir de divulguer tous les documents en sa possession, sauf s’ils sont clairement non pertinents à l’égard de toute question liée à l’audience.

[66]  Par conséquent, l’argument formulé par l’intimée selon lequel la grande majorité des divulgations additionnelles ne sont pas pertinentes, importantes ou nécessaires pour déterminer les allégations doit être rejeté. D’abord, si l’intimée distingue différentes catégories d’importante, il est inapproprié de ne pas aborder chacune de ces catégories. Le fait d’ignorer certaines catégories au profit de la « la grande majorité » n’est pas suffisant.

[67]  Ensuite, comme je l’ai mentionné auparavant, l’opinion de l’intimée concernant la pertinence, l’importance ou la nécessité n’importe pas si elle ne peut pas démontrer que les documents additionnels sont clairement non pertinents à l’égard de toute question liée à l’audience. Le demandeur a le droit de recevoir ces documents, de les évaluer et de déterminer s’il veut s’en servir et comment il s’en servira afin de soumettre une réponse et une défense complètes à l’égard des allégations contre lui.

[68]  L’argument de l’intimée concernant les paragraphes 15(4) et (5) des CC (déontologie) doit également être rejeté. Comme le demandeur l’a indiqué, il y a une distinction claire entre le devoir de divulgation de l’intimée et une demande d’enquête plus approfondie par le membre visé. Le devoir de divulgation de l’intimée ne dépend pas d’une demande d’enquête plus approfondie de la part du membre visé. Il s’agit d’une obligation distincte.

[69]  Le matériel contenu dans les 516 pages de la divulgation supplémentaire, y compris les messages texte en question, devait être divulgué par l’intimée. Cette dernière a clairement omis de divulguer du matériel qui aurait dû faire partie de la divulgation initiale lorsque l’avis d’audience disciplinaire a été signifié au demandeur. Comme cette omission de divulguer est étroitement liée à la prochaine question, je déterminerai la réparation appropriée pour les deux éléments simultanément.

NON-CONFORMITÉ AUX INSTRUCTIONS DU COMITÉ DE DÉONTOLOGIE

[70]  Le demandeur soutient que l’intimée a, à plusieurs reprises, omis de respecter les directives du Comité de déontologie. Ce faisant, selon lui, elle a causé des retards inutiles dans cette affaire. Cette omission de se conformer est liée à la demande par le Comité de déontologie de divulguer du matériel en la possession de l’intimée et de révéler au Comité de déontologie et au demandeur l’existence de matériel pour lequel elle revendiquait le secret professionnel.

[71]  L’intimée ne nie pas qu’il y ait eu des retards considérables dans la divulgation d’une importante quantité de matériel en sa possession. Elle justifie ces délais en soutenant que les directives du Comité de déontologie étaient sans précédent et, par conséquent, nécessitaient l’exécution d’une évaluation approfondie par l’intimée et la DRAD afin d’en déterminer la légalité. Elle remet en question la suggestion du Comité de déontologie selon laquelle les directives visant à cataloguer les documents visés par la revendication de secret professionnel constituent une pratique généralement reconnue dans de nombreuses instances administratives et autres. L’intimée soutient que cette pratique n’est pas courante, mais nouvelle dans le cadre du processus relatif au Code de déontologie de la GRC. Autant qu’elle sache, cette pratique est sans précédent dans le cadre du processus relatif au Code de déontologie de la GRC.

[72]  L’intimée ajoute que les directives du Comité de déontologie sont contraires à l’esprit et à l’intention des CC (déontologie), qui précisent que les procédures doivent être exécutées sans formalisme et avec célérité. L’intimée, par nécessité, doit maintenant faire appel à une jurisprudence de droit pénal et de droit civil considérable ainsi qu’à des pratiques codifiées pour appuyer la revendication du secret professionnel à l’égard des conseils et des instructions données par l’intimée et des tierces parties.

[73]  J’ai déjà brièvement expliqué la législation générale sur les revendications du secret professionnel. Je me contenterai de réitérer ma conclusion selon laquelle plusieurs des documents à l’égard desquels l’intimée a revendiqué le secret professionnel ne sont en fait pas protégés par le privilège et auraient dû être divulgués au demandeur. Le fondement réel de l’argument de l’intimée concernant le fait d’avoir ignoré les directives du Comité de déontologie, c’est son désaccord avec l’étendue de la recherche des documents demandés manquants et la façon dont la détermination concernant le secret professionnel et l’exemption de divulgation serait effectuée. J’aborderai brièvement chacune de ces préoccupations.

[74]  L’audience disciplinaire dans cette affaire a été amorcée par l’intimée le 18 janvier 2018, et le Comité de déontologie a été nommé peu de temps après. L’avis d’audience disciplinaire et la trousse de matériel du rapport d’enquête ont été signifiés au demandeur en main propre le 12 mars 2018. En vertu du paragraphe 15(2) des CC (déontologie), ce matériel devait être fourni dès que possible après la nomination du Comité de déontologie. Cette pratique est conforme aux objectifs de rapidité et d’efficacité énoncés dans le processus de déontologie en vigueur. Ensuite, le paragraphe 15(3) des CC (déontologie) exige que le membre visé soumette sa réponse aux allégations dans les 30 jours suivant la signification de l’avis d’audience disciplinaire et du rapport d’enquête. Même si l’intimée reconnaît l’objectif concernant la rapidité dans sa réponse à la requête, elle a seulement divulgué les derniers documents le 5 juillet 2019. Cette divulgation finale a été faite après l’émission de directives de plus en plus explicites par le Comité de déontologie après que les directives initiales ont été incomprises ou ignorées.

[75]  Compte tenu de l’historique des communications entre le Comité de déontologie et l’intimée et le défaut de l’intimée de se conformer aux directives initiales, il n’est pas surprenant que le Comité de déontologie ait jugé nécessaire d’être plus explicite dans ses dernières directives sur le plan de l’étendue des recherches et des exigences de production visant les documents trouvés et devant potentiellement être divulgués. Le fait que l’intimée soit d’avis que les directives étaient sans précédent et ne constituaient pas une pratique généralement employée dans le cadre du processus relatif au Code de déontologie de la GRC n’importe pas. Les directives étaient légitimes et raisonnables et elles étaient nécessaires, puisque l’intimée omettait ou refusait de se conformer aux directives antérieures. Le Comité de déontologie a décrit avec exactitude le processus généralement reconnu visant la détermination des revendications de secret professionnel qui est suivi par les tribunaux criminels et civils ainsi que les tribunaux administratifs et il a ordonné que ce processus soit suivi afin de régler les questions relatives à la divulgation.

[76]  Le Comité de déontologie s’acquittait de ses responsabilités en vertu des pouvoirs associés au paragraphe 13(4) des CC (déontologie). Si une autorité disciplinaire n’est pas d’accord avec ces instructions, le recours approprié consiste à suivre les instructions et à interjeter appel à l’issue des procédures.

[77]  Même si les actions de l’intimée, lorsqu’elle n’a pas suivi les instructions du Comité de déontologie en temps opportun, ont retardé la procédure inutilement, je crois que cette réticence et cette résistance découlent d’un manque d’expérience ou de connaissance de la loi, et non d’une désobéissance volontaire. Par conséquent, je conclus qu’on ne satisfait pas au seuil correspondant à un abus de procédure.

INSUFFISANCE DE L’ENQUÊTE

[78]  Le demandeur soutient que la façon dont l’enquête relative au Code de déontologie a été effectuée est insuffisante et soulève des préoccupations quant à l’impartialité. Les préoccupations du demandeur sont fondées sur le fait que bon nombre de témoins ayant des renseignements pertinents sur les gestes posés par KR et son comportement au milieu de travail n’ont pas été interviewés, tandis que certaines des personnes qui ont été interviewées n’ont pas eu la permission de transmettre des renseignements qu’ils considéraient comme pertinents pour l’enquête. Cela a incité le conseiller du demandeur à interviewer huit témoins additionnels et à obtenir des témoignages anticipés de ces personnes. Les éléments de preuve fournis présentent des renseignements liés aux actions et au comportement inappropriés présumés de KR en milieu de travail et, dans le fond, fournissent un motif suggérant que la plainte de harcèlement de KR à l’endroit du demandeur serait fausse.

[79]  Les éléments de preuve provenant de ces témoins supplémentaires semblent montrer que les enquêteurs étaient axés très étroitement sur les incidents de harcèlement précis allégués par KR et les autres plaignants, peut-être au détriment de l’exécution d’une enquête rigoureuse et complète. Je ne veux pas appuyer ces pratiques d’enquête. Toutefois, la loi ne donne pas au demandeur le droit à une enquête parfaite. Elle exige seulement que les personnes qui mènent l’enquête le fassent d’une façon raisonnable (voir Hill c. Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton-Wentworth, 2007 CSC 41, [2007] 3 R.C.S. 129). En l’absence de mauvaise foi de la part des enquêteurs, les protections procédurales fournies par la Loi sur la GRC et les CC (déontologie), y compris le droit de demander une enquête plus approfondie, la capacité d’assigner ses propres témoins, la capacité de contre-interroger des témoins à l’audience disciplinaire et le droit de présenter des observations sur la question sont suffisants pour s’assurer que le demandeur reçoit une audience équitable, malgré l’exécution d’une enquête imparfaite. Une enquête incomplète, à elle seule, ne constitue pas un abus de procédure et il n’y a aucune preuve de partialité ou de mauvaise foi de la part des enquêteurs.

DÉLAI INSTITUTIONNEL

[80]  Au moment où cette requête a été présentée, l’affaire était en cours depuis 34 mois à compter de la date de lancement de l’enquête. Selon le demandeur, il s’agit d’un retard inacceptable constituant un arrêt de procédure. Il n’allègue pas qu’il y a eu atteinte à l’équité de l’audience en raison du retard, mais qu’il est suspendu de ses fonctions (avec solde) depuis trois ans.

[81]  Comme l’appelant l’a identifié correctement, la décision de principe en ce qui concerne les retards inacceptables dans une procédure administrative est Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 R.C.S. 307. Le seuil est élevé. La Cour a résumé le préjudice porté contre M. Blencoe en raison du retard dans cette affaire comme suit :

[…] En mars 1995, alors qu’il était ministre au sein du gouvernement de la Colombie-Britannique, l’intimé a été accusé de harcèlement sexuel par l’une de ses adjointes. Un mois plus tard, le premier ministre a retiré l’intimé du cabinet et l’a congédié du caucus du NPD. En juillet et en août 1995, deux plaintes de conduite discriminatoire sous forme de harcèlement sexuel ont été déposées au British Columbia Council of Human Rights (maintenant appelé la British Columbia Human Rights Commission) contre l’intimé par deux autres femmes, W et S. Les plaintes portaient sur divers incidents de harcèlement sexuel allégués qui auraient eu lieu entre mars 1993 et mars 1995. L’intimé a été informé de la première plainte en juillet 1995 et de la seconde en septembre 1995. Après l’enquête de la Commission, on a fixé des audiences devant le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique en mars 1998, plus de 30 mois après le dépôt des plaintes initiales. […]

Après le dépôt des allégations contre M. Blencoe, la couverture médiatique était intense. Il a fait une grave dépression. Il ne s’est pas représenté aux élections en 1996.

[82]  Au paragraphe 115, la Cour suprême du Canada se penche sur les conséquences d’un retard inacceptable, même lorsque l’équité de l’audience n’a pas été compromise :

115 Je serais disposé à reconnaître qu’un délai inacceptable peut constituer un abus de procédure dans certaines circonstances, même lorsque l’équité de l’audience n’a pas été compromise. Dans les cas où un délai excessif a causé directement un préjudice psychologique important à une personne ou entaché sa réputation au point de déconsidérer le régime de protection des droits de la personne, le préjudice subi peut être suffisant pour constituer un abus de procédure. L’abus de procédure ne s’entend pas que d’un acte qui donne lieu à une audience inéquitable et il peut englober d’autres cas que celui où le délai cause des difficultés sur le plan de la preuve. Il faut toutefois souligner que rares sont les longs délais qui satisfont à ce critère préliminaire. Ainsi, pour constituer un abus de procédure dans les cas où il n’y a aucune atteinte à l’équité de l’audience, le délai doit être manifestement inacceptable et avoir directement causé un préjudice important. Il doit s’agir d’un délai qui, dans les circonstances de l’affaire, déconsidérerait le régime de protection des droits de la personne. La question difficile dont nous sommes saisis est de savoir quel « délai inacceptable » constitue un abus de procédure.

[83]  La Cour a également précisé que le droit constitutionnel d’être « jugé » dans un délai raisonnable ne s’applique qu’en matière criminelle et que l’alinéa 11b) de la Charte, qui stipule qu’il faut être jugé dans un délai raisonnable, ne peut pas être appliqué à une procédure administrative, puisque l’alinéa 11b) touche uniquement une cause criminelle en suspens. La Cour a conclu que le préjudice important subi par M. Blencoe n’était pas suffisant pour constituer un abus de procédure en l’absence de preuve montrant qu’il y avait atteinte à l’équité de l’audience.

[84]  Le demandeur ne soutient pas que le retard dans cette affaire ait porté atteinte à l’équité de l’audience; il maintient seulement qu’il a subi un préjudice, puisqu’il est suspendu depuis près de trois ans. Il soutient également que le délai porte préjudice à l’intégrité du processus. Même si ces retards sont malheureux et ne donnent pas une image favorable à un processus qui mise sur la rapidité et l’efficacité, sans preuve additionnelle, le seuil élevé décrit par la Cour suprême n’a pas été atteint en ce qui concerne l’abus de procédure.

CONCLUSION

[85]  Le commissaire a exigé que le processus d’enquêtes et de règlement des plaintes de harcèlement soit suivi pour les plaintes de harcèlement visant des membres de la GRC. L’intimée a outrepassé ses règlements de façon arbitraire. Elle a choisi un processus différent qui a privé le demandeur de ses droits légaux et elle a manqué à ses obligations en matière d’équité procédurale envers lui. Il serait injuste pour le demandeur et susceptible de déconsidérer l’administration de la justice que de permettre aux procédures de se poursuivre. Par conséquent, j’ordonne un arrêt des procédures à titre de réparation convenable.

[86]  Je rappelle aux parties que les dispositions relatives à un appel de cette décision se trouvent à l’article 45.11 de la Loi sur la GRC et que les règles qui régissent un tel appel se trouvent dans les CC (griefs et appels).

 

 

19 mai 2020

Gerald Annetts

Comité de déontologie

 

Date

 



[1] The Law of Privilege in Canada, feuilles mobiles, ch. 1 p 1-1 (2017, Thomson Reuters Canada)

[2] Blank c. Canada (ministre de la Justice), 2006 CSC 39, [2006] 2 R.C.S. 319 [Blank], paragraphe 26.

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