Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

Deux fois en l’espace de deux semaines, le membre visé a enlevé le ruban réflecteur ou les décalques dont était munie l’autopatrouille de la GRC qu’il conduisait, endommageant ainsi la peinture du véhicule. De plus, à une occasion, il a fait une fausse déclaration à son superviseur à propos de ce qu’il avait fait durant son quart de travail précédent. À un autre moment, le membre visé a supprimé les commentaires du superviseur dans deux dossiers différents. Bien qu’il ait déterminé que chacune des contraventions alléguées avait été établie, le comité de déontologie a par ailleurs jugé que les actes du membre visé étaient directement attribuables à la maladie mentale grave dont il souffrait à l’époque, laquelle découlait d’événements traumatiques survenus plus tôt dans sa carrière. De plus, dans un incident distinct, le membre visé a contrevenu au code de déontologie en mettant fin à son quart de travail plus tôt que prévu sans la permission de son superviseur.

Ayant déterminé que la maladie mentale était un important facteur atténuant, le comité de déontologie a conclu que le congédiement était inapproprié et a ordonné la poursuite de consultations médicales jusqu’à ce que le médecin-chef et le membre visé, sur recommandation du personnel traitant , conviennent qu’elles ne sont plus nécessaires, en plus de lui imposer une réprimande et une confiscation de solde pour dix jours de travail.

Contenu de la décision

Protégé A

2019 DARD 04

Logo of the Royal Canadian Mounted Police

GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

AFFAIRE DISCIPLINAIRE

intéressant la

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10

ENTRE :

Commandant de la Division F

autorité disciplinaire

et

Gendarme Taylor Mills

Matricule 56608

membre visé

Décision du comité de déontologie

M. Gerald Annetts

Le 6 mars 2019

Sergent d’état-major Jonathon Hart, pour l’autorité disciplinaire

Sergent d’état-major Colin Miller, pour le membre visé


Table des matières

RÉSUMÉ  3

INTRODUCTION  4

ALLÉGATIONS  4

Preuve et conclusions relatives aux allégations  8

Maladie mentale non diagnostiquée  9

Allégation 3  13

Allégation 4  16

MESURES DISCIPLINAIRES  18

CONCLUSION  23

 

RÉSUMÉ

Deux fois en l’espace de deux semaines, le membre visé a enlevé le ruban réflecteur ou les décalques dont était munie l’autopatrouille de la GRC qu’il conduisait, endommageant ainsi la peinture du véhicule. De plus, à une occasion, il a fait une fausse déclaration à son superviseur à propos de ce qu’il avait fait durant son quart de travail précédent. À un autre moment, le membre visé a supprimé les commentaires du superviseur dans deux dossiers différents. Bien qu’il ait déterminé que chacune des contraventions alléguées avait été établie, le comité de déontologie a par ailleurs jugé que les actes du membre visé étaient directement attribuables à la maladie mentale grave dont il souffrait à l’époque, laquelle découlait d’événements traumatiques survenus plus tôt dans sa carrière. De plus, dans un incident distinct, le membre visé a contrevenu au code de déontologie en mettant fin à son quart de travail plus tôt que prévu sans la permission de son superviseur.

Ayant déterminé que la maladie mentale était un important facteur atténuant, le comité de déontologie a conclu que le congédiement était inapproprié et a ordonné la poursuite de consultations médicales jusqu’à ce que le médecin-chef et le membre visé, sur recommandation du personnel traitant , conviennent qu’elles ne sont plus nécessaires, en plus de lui imposer une réprimande et une confiscation de solde pour dix jours de travail.

INTRODUCTION

[1]  Le 15 décembre 2017, le commandant de la Division F a délivré un « avis à l’officier désigné » dans lequel était formulées cinq allégations contre le membre visé. L’audience disciplinaire s’est tenue du 2 au 4 octobre 2018 à Saskatoon (Saskatchewan). J’ai entendu les témoignages et argumentations présentés relativement aux cinq allégations. Voici la version écrite de la décision que j’ai rendue.

ALLÉGATIONS

[2]  À la suite d’une enquête déontologique, les allégations suivantes ont été formulées contre le membre visé [Traduction] :

Allégation 1

Entre le ou vers le 22 août 2016 et le ou vers le 2 septembre 2016, à [S.] (Saskatchewan), [le membre visé] s’est comporté d’une manière susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrevenant ainsi à l’art. 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé

1. À l’époque des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté dans la Division F (Saskatchewan).

2. Vous avez intentionnellement retiré le ruban réflecteur à haute visibilité des deux côtés d’une autopatrouille de la GRC, un Chevrolet Tahoe portant le numéro [numéro]. Pour ce faire, vous vous êtes servi d’un outil que vous avez manié avec force, ce qui a endommagé la peinture du véhicule et laissé des rainures permanentes exposant le métal à nu à certains endroits.

3. Le véhicule de police [numéro] a par la suite été envoyé pour réparation à [atelier de réparation], à [W.] (Saskatchewan). Le ou vers le 1er septembre 2016, vous avez communiqué avec M. [A. M.], à [atelier de réparation], et avez demandé de l’information sur le véhicule de police [numéro]. Vous avez demandé à M. [A. M.] de ne pas réinstaller le ruban réflecteur et les décalques sur le véhicule, mais il vous a informé qu’il avait été engagé pour réparer le véhicule et qu’il avait déjà effectué une réparation superficielle.

4. Le 1er septembre 2016, une fois les réparations terminées, la GRC s’est vu facturer un montant de 735,84 $ (facture no 28453).

5. Vous avez intentionnellement endommagé un bien appartenant au gouvernement du Canada, ce qui constitue un méfait.

6. Vous avez aussi, ce faisant, supprimé une caractéristique de sécurité d’un véhicule de police en plus de compromettre votre propre sécurité, celle des policiers et celle du public.

Allégation 2

Entre le 2 ou vers le 2 septembre 2016 et le ou vers le 4 septembre 2016, à [S.] (Saskatchewan), [le membre visé] s’est comporté d’une manière susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrevenant ainsi à l’art. 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé

1. À l’époque des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté dans la Division F (Saskatchewan).

2. Vous avez intentionnellement retiré le ruban réflecteur à haute visibilité et d’autres décalques, comme ceux du numéro 911 et de l’emblème figurant la silhouette d’un gendarme à cheval, d’un véhicule de police de la GRC, un Chevrolet Tahoe portant le numéro [numéro]. Pour ce faire, vous vous êtes servi d’un outil que vous avez manié avec force, ce qui a endommagé la peinture du véhicule et laissé des rainures permanentes exposant le métal à nu à certains endroits.

3. Vous avez tenté de dissimuler ce que vous aviez fait en appliquant de la peinture blanche sur les marques rainurant la carrosserie du véhicule.

4. Le véhicule de police a été amené à [atelier de réparation], à [W.] (Saskatchewan), pour des réparations superficielles.

5. Les réparations ont été effectuées, et la GRC s’est vu adresser une facture de 1 102,50 $ (facture no 28753).

6. Pour une seconde fois, vous avez intentionnellement endommagé un bien appartenant au gouvernement du Canada, ce qui constitue un méfait.

7. Vous avez aussi, ce faisant, supprimé une caractéristique de sécurité d’un véhicule de police en plus de compromettre votre propre sécurité, celle des policiers et celle du public.

Allégation 3

Le ou vers le 5 octobre 2016, à [S.] ou dans ses environs (Saskatchewan), [le membre visé] a rendu compte de ses actes de façon mensongère, contrevenant ainsi à l’art. 8.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé

1. À l’époque des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division F (Saskatchewan).

2. Le 4 octobre 2016, un quart de jour (de 9 h à 17 h) était prévu à votre horaire.

3. En compagnie du [caporal (cap.) C. Z.], vous vous êtes présenté à la cour provinciale de [S.], vous avez livré un témoignage dans le cadre d’une enquête préliminaire. Vous avez quitté la salle d’audience vers [10 h 56], et vers [11 h 45], vous avez reconduit le cap. C. Z. à sa résidence. Vous n’êtes pas retourné à la cour provinciale de [S.] cette journée-là et n’avez répondu à aucune demande de service.

4. Vers [16 h 30], vous êtes passé prendre le cap. [C. Z.] à sa résidence et l’avez conduit au détachement.

5. Le 5 octobre 2016, vous avez eu une discussion avec le [sergent (serg.) L. D.]. Lorsqu’il vous a demandé où vous étiez allé après avoir quitté le tribunal, vous avez rendu compte mensongèrement de vos actes en disant être retourné au tribunal pour assister à l’audience jusqu’à la fin.

Allégation 4

Le ou vers le 25 octobre 2016, à [S.] ou dans ses environs (Saskatchewan), [le membre visé] n’est pas demeuré à son poste, contrevenant ainsi à l’art. 4.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé

1. À l’époque des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté dans la Division F (Saskatchewan).

2. Le 25 octobre 2016, vous deviez travailler de [18 h à 2 h]. Vers [23 h], vous avez informé la [gendarme (gend.) E. C.] que, ayant reçu l’autorisation requise, vous alliez rentrer chez vous, et qu’elle n’avait qu’à vous appeler en cas de besoin.

3. Vous avez laissé la gend. [E. C.] travailler seule de [23 h] à [2 h]. Vous avez compromis la sécurité de la gend. [E. C.] en la laissant seule sans renfort immédiat.

4. Vous n’êtes pas demeuré à votre poste et n’aviez pas reçu l’autorisation de terminer votre quart plus tôt cette journée-là.

Allégation 5

Le 7 ou le 8 septembre 2016, ou autour de ces dates, à [S.] ou dans ses environs (Saskatchewan), [le membre visé] s’est comporté d’une manière susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, contrevenant ainsi à l’art. 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé

1. À l’époque des faits, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté dans la Division F (Saskatchewan).

2. Le 18 octobre 2014, on vous a confié le dossier SIRP no 20141320711, qui concernait un accident de la route.

3. Le 5 septembre 2016, le serg. [L.D.] a inscrit les commentaires directifs suivants dans le rapport général du dossier SIRP no 20141320711 [Traduction] :

« Examiné [le 6 septembre 2016], [serg. L. D.].

[Membre visé], fais le suivi à ce sujet dès que possible. [Nom caviardé] ne retournera pas l’appel que tu as effectué il y a deux mois. S’il existe des motifs raisonnables de déposer une dénonciation dans ce dossier, comment se fait-il que nous n’ayons pas encore déposé de dénonciation sous serment ni sollicité un mandat d’arrestation? La fuite de l’accusé devant la police, jointe au fait qu’il est sans domicile fixe, constitue une tentative pour se soustraire à la signification de la contravention et suffit donc à justifier la délivrance d’un mandat ou à rendre nécessaire, eu égard à l’intérêt public, le dépôt d’un mandat sous serment. Fais le suivi dès que possible afin de ne pas retarder la poursuite. »

4. Le 7 septembre 2016, vous avez effacé le commentaire inscrit par le serg. [L. D.].

5. Le 18 juin 2015, on vous a confié le dossier SIRP no 2015731049, qui concernait un accident de la route.

6. Le 6 septembre 2016, le serg. [L. D.] a inscrit le commentaire directif suivant dans le rapport général du dossier du SIRP no 2015731049 [Traduction] :

« Examiné [le 6 septembre 2016], [serg. L. D.]

[Membre visé], ce dossier est vraiment en retard, occupe-t’en s.t.p. La gend. [S.] a obtenu les résultats éthylométriques au moyen de sa dénonciation et vous les a communiqués. Depuis, rien n’a été fait dans le dossier; examine le dossier d’enquête et détermine s’il existe des motifs suffisants pour déposer une accusation. La poursuite sera retardée si tu ne t’en occupe pas dès maintenant. La date d’échéance n’est pas modifiée, et le dossier est étiqueté comme hautement prioritaire. »

7. Le 7 septembre 2016, vous avez effacé le commentaire entré par le serg. [L. D.] et avez ensuite écrit ce qui suit [Traduction] :

« Le 17 mars 2016

Les documents fournis par le Royal University Hospital conformément à l’ordonnance de communication ont été reçus et versés au dossier en format numérique. »

[Les éléments entre crochets remplacent ceux présents dans l’original.]

Preuve et conclusions relatives aux allégations

[3]  Le membre visé faisait face à cinq allégations de contravention au code de déontologie de la GRC. Dans sa réponse fournie conformément au paragraphe 15(3) des Consignes du commissaire (déontologie), le membre visé a admis l’allégation 4 en prenant soin d’ajouter une explication. Il a aussi reconnu la véracité de la vaste majorité des faits qui étayent les autres allégations. Malgré ces aveux, il a nié que les faits auxquels se rapportent les allégations 1, 2 et 5 constituent une conduite déshonorante. Il a également nié que les faits sur lesquels repose l’allégation 3 signifient qu’il ait rendu compte de ses actes de façon mensongère.

[4]  La défense du membre visé s’appuie sur un trouble psychologique non diagnostiqué dont il souffrait au moment des incidents, trouble qui l’aurait poussé ou qui aurait contribué à le pousser à adopter un comportement déraisonnable. Compte tenu de la nature de la défense et des circonstances décrites dans les allégations, j’ai cru nécessaire d’entendre des témoignages de vive voix pour clarifier certains points. C’est pourquoi, en plus de prendre connaissance du rapport d’enquête et des autres pièces au dossier, j’ai entendu les témoignages de cinq témoins : le sergent d’état-major (s.é.- m.) G. A., le serg. L. D., J. L., le Dr C. C.. D. et le membre visé.

[5]  Après audition des témoignages, dans ses observations finales, le membre visé a reconnu tous les faits rapportés dans les allégations 1, 2 et 5. Malgré ces aveux, des précisions étaient toujours requises. En ce qui concerne le point 2 de l’énoncé détaillé de l’allégation 1, les témoignages ont permis d’établir que les décalques n’avaient pas été retirés à cette occasion, mais seulement à la deuxième occasion, celle à laquelle renvoie l’allégation 2. J’accepte le témoignage du membre visé sur ce point, qui a été corroboré par la déclaration de M. [A. M.], qui travaille à l’atelier de réparation où le véhicule a été remis en état. Par conséquent, j’accepte l’aveu du membre visé relativement à ce point de l’énoncé détaillé en tenant compte de la précision apportée, et je conclus que ce point a été prouvé.

[6]  Le deuxième point de l’énoncé détaillé de l’allégation 2 exige lui aussi des précisions. Il est libellé comme suit :

Vous avez intentionnellement retiré le ruban réflecteur à haute visibilité et d’autres décalques, comme ceux du numéro 911 et de l’emblème figurant la silhouette d’un gendarme à cheval, d’un véhicule de police de la GRC, un Chevrolet Tahoe portant le numéro [numéro]. Pour ce faire, vous vous êtes servi d’un outil que vous avez manié avec force, ce qui a endommagé la peinture du véhicule et laissé des rainures permanentes exposant le métal à nu à certains endroits.

[7]  J’accepte le témoignage du membre visé également sur ce point, car il concorde avec celui de M. A. M. C’est à la première occasion, décrite dans l’allégation 1, que les rainures ont été creusées dans la peinture et que de la résine époxyde a été utilisée pour les réparer partiellement en vue de la pose d’un nouveau ruban réflecteur. Pour ces raisons, je conclus que ce point de l’énoncé détaillé est établi, du moins en ce qui concerne l’acte délibéré du membre visé pour ôter le ruban à haute visibilité et les décalques. Je ne souscris cependantpas à cet élément de l’allégation voulant qu’il ait, à cette occasion, employé un outil avec lequel il aurait endommagé la peinture du véhicule et creusé des rainures permanentes exposant le métal à nu en certains endroits. Les autres points de l’énoncé détaillé sont également établis.

[8]  Aucun éclaircissement n’est requis en ce qui concerne les aveux du membre visé relatifs à l’énoncé détaillé de l’allégation 5.

Maladie mentale non diagnostiquée

[9]  Le membre visé a soutenu que même si les faits décrits dans l’énoncé détaillé de chacune des allégations ont été prouvés et reconnus comme avérés, l’ensemble des allégations n’avait pas pour autant été établi, et cela parce que, à l’époque des incidents, il souffrait d’un trouble psychologique non diagnostiqué qui l’aurait poussé ou aurait contribué à le pousser à adopter un comportement déraisonnable. En raison de cette maladie, argue-t-il, une personne raisonnable ne serait pas d’avis que les actes qu’il a posés étaient susceptibles de jeter le discrédit sur la Gendarmerie.

[10]  Afin d’apprécier la valeur de cet argument, il est nécessaire d’examiner en détail le rapport d’expertise et le témoignage du Dr C. C. Le rapport indique que le Dr C. C. voit le membre visé une fois par mois. Au moment de la rédaction du rapport, il l’avait rencontré à sept reprises. Selon son diagnostic, le membre visé souffrait du trouble de stress post-traumatique (TSPT) et d’un trouble dépressif majeur à l’époque des incidents, troubles dont il souffre toujours aujourd’hui, bien que dans une moindre mesure.

[11]  Il a mentionné que le TSPT impliquait l’expérience d’un traumatisme et se caractérisait par la réminiscence incontrôlée de certains souvenirs, par l’évitement des éléments déclenchant le rappel de ces souvenirs, par des troubles cognitifs et émotionnels ainsi que des symptômes d’hyperexcitation. Certains des événements traumatisants ayant mené au développement de ces troubles remontent aussi loin que 2010. Le membre visé avait l’impression que ses supérieurs ne lui apporteraient pas leur soutien s’il leur révélait ses difficultés, et ce manque d’appui présumé peut augmenter le risque de TSPT. Les symptômes d’hyperexcitation relevés comprenaient une vigilance extrême dans les situations où il se trouve en public, la crainte paranoïaque d’être suivi et le sentiment qu’un superviseur tentait de le faire congédier.

[12]  Dans son témoignage, le membre visé a aussi admis avoir fait preuve de comportements dangereux qui ne sont pas mentionnés dans les allégations, comme dépasser la limite de vitesse. Il a expliqué que pour lui, qui à l’époque avait l’esprit embrouillé, c’était une façon de rendre plus difficile la tâche de quiconque essaierait de lui tirer dessus. Il a aussi fait savoir qu’il décrochait souvent le dispositif GPS du véhicule de police afin que ses superviseurs ne sachent pas à quelle vitesse il roulait.

[13]  L’autorité disciplinaire a accepté la majorité des conclusions du Dr C. C., mais elle a émis des réserves relativement à la paranoïa considérée comme un symptôme de TSPT. Le Dr C. C. a pourtant été très clair : la paranoïa peut être un symptôme ou une caractéristique connexe du TSPT. Il a de plus mentionné que la paranoïa, que son fondement soit réel ou imaginaire, peut pousser une personne à faire de sa survie une priorité absolue, ce qui peut mener au mensonge, objet de l’allégation 3. L’autorité disciplinaire n’ayant cité aucun témoin en contre-preuve, j’accepte le témoignage du Dr C. C. et je conclus que la paranoïa peut être un symptôme ou une caractéristique connexe du TSPT.

[14]  Parmi les symptômes émotionnels et cognitifs du TSPT présents chez le membre visé figuraient une dépression généralisée, de l’anxiété et de l’irritabilité. Il trouvait peu de plaisir dans la vie et évitait toute fréquentation. Il s’abstenait de raconter aux autres ce qu’il vivait et d’admettre qu’il avait besoin d’aide en raison des préjugés négatifs entourant la maladie mentale. Ses symptômes, apparus dès 2010, se sont intensifiés en 2016. Il a développé une paranoïa de tous les instants à propos de sa sécurité personnelle, et il se rongeait les sangs à l’idée de ce qu’il en coûterait à sa carrière s’il parlait aux autres de sa maladie mentale. À mesure que sa paranoïa s’amplifiait, il s’est mis à soupçonner d’autres employés de la GRC de vouloir son congédiement et d’être prêts à se servir de sa maladie mentale comme prétexte pour parvenir à leurs fins.

[15]  De l’avis du Dr C. C., l’anxiété accrue du membre visé à l’égard de sa sécurité dans les endroits publics et à la GRC semble avoir été un élément moteur décisif dans sa conduite de l’époque. Il a aussi mentionné qu’une dépression majeure peut nuire considérablement à la concentration et peut, combinée à de l’anxiété, entraîner la prise de mauvaises décisions, ce que les incidents ont bien mis en évidence. Croyant en l’existence de menaces pesant sur sa vie et sa sécurité, il a pris les moyens qu’il jugeait nécessaires pour se protéger, ce qui semble être le leitmotiv qui sous-tend le comportement décrit dans les allégations.

[16]  Selon le Dr C. C., la fausse déclaration du membre visé, qui fait l’objet de l’allégation 3, pourrait avoir été une tentative de se protéger contre d’éventuelles critiques dénonçant sa négligence au travail, éventualité qu’il percevait comme une menace pour sa carrière. En ce qui concerne l’allégation 5, le Dr C. C. est d’avis que le membre visé a supprimé les commentaires du superviseur parce qu’il craignait qu’on s’en serve contre lui pour le congédier. Cette crainte semble avoir découlé de la paranoïa et de l’anxiété accrues qu’il éprouvait. Il redoutait que les autres apprennent qu’il était aux prises avec une maladie mentale, et il ne savait pas comment les choses tourneraient s’il l’admettait. Soucieux de garder son emploi, il craignait que l’inscription au dossier d’un commentaire signalant qu’il avait du retard dans son travail entraîne son licenciement.

[17]  À la barre des témoins, le membre visé a corroboré avoir eu ces réflexions et ces sentiments, entre autres choses. Il a mentionné qu’ils constituaient les principaux facteurs ayant motivé son comportement à l’époque.

[18]  Même moi, qui ne suis ni psychiatre ni psychologue, j’ai été en mesure de faire quelques observations concernant le membre visé au cours de l’audience, et ces observations concordent avec les symptômes décrits par le Dr C. C. Par exemple, le membre visé était manifestement mal à l’aise à la barre des témoins, dos à la porte : il tournait immanquablement la tête au moindre bruit provenant du corridor derrière lui. De plus, durant les moments où l’audience était suspendue, lorsqu’il ne discutait pas avec son avocat, le membre visé se tenait toujours debout dans un coin de la salle, le dos contre le mur.

[19]  Au cours de son contre-interrogatoire, le Dr C. C. a vu certaines de ses conclusions être mises en doute. Bien qu’il se soit exprimé moins clairement à la barre des témoins que dans son rapport, je ne crois pas que la fiabilité des conclusions qu’il y a formulées en soit grandement diminuée. Au bout du compte, j’estime que son avis est très utile pour conclure que l’ensemble de la preuve a démontré que le membre visé souffrait de troubles psychologiques non diagnostiqués à l’époque, à savoir un TSPT et un trouble dépressif majeur. Ce diagnostic a été reconnu par l’autorité disciplinaire. Je conviens également que ces troubles psychologiques ont été la cause principale ou une cause concourante de la conduite déraisonnable dont il a fait preuve lors des événements auxquels se rapportent les allégations formulées contre lui.

[20]  Tout d’abord, en ce qui concerne les incidents décrits aux allégations 1, 2 et 5, je conclus que la crainte du membre visé d’être victime de préjudice, d’être pris pour cible ou d’être congédié a obscurci son jugement. La nature même de ces incidents parle en ce sens. Il est difficile d’imaginer que le membre visé ait vraiment pensé qu’il ne se ferait pas prendre en ôtant les décalques d’un véhicule de police que les autres membres du détachement savaient être celui qu’il utilisait, mais il les a tout de même retirés. L’autorité disciplinaire n’a émis aucune hypothèse pour expliquer autrement la conduite du membre, et il n’y en a aucune qui me vienne immédiatement à l’esprit.

[21]  De même, il est difficile de croire que le membre visé ait pensé pouvoir s’en tirer après avoir supprimé les commentaires directifs de son supérieur, car il savait que ce dernier allait examiner sans délai les mises à jour qu’il venait d’effectuer – malgré cela, il a supprimé lesdits commentaires. Aucun des gestes qu’il a posés ne porte la marque d’un génie du crime : ils présentent plutôt les signes d’une personne dont la faculté de raisonner est altérée par la maladie mentale.

[22]  Cela dit, je ne suis pas d’avis que l’existence d’une maladie mentale l’exonère de toute responsabilité à l’égard de son inconduite. Au cours de son témoignage, le Dr C. C. a répondu sans aucune ambiguïté à mes questions en affirmant que le membre visé était conscient de ce qu’il faisait et des éventuelles conséquences de ses gestes. À ce moment, dans son esprit, conserver son emploi était simplement plus important que d’avoir à subir ces conséquences. Il n’a jamais été privé de son libre arbitre, et à chaque occasion, il a sciemment choisi d’agir comme il l’a fait. Bien que le facteur contributif que constitue sa maladie mentale soit très pertinent eu égard à la peine qu’il convient d’imposer, cela ne le soustrait pas à l’obligation de répondre de ses actes ni ne change quoi que soit à l’évaluation du critère de la conduite déshonorante.

[23]  À mon avis, une personne raisonnable ayant connaissance de la réalité du travail policier en général et du travail à la GRC en particulier serait d’avis que les actes du membre visé qui sont décrits aux allégations 1, 2 et 5, actes que l’intéressé reconnaît avoir commis, sont susceptibles de jeter le discrédit sur la Gendarmerie. Par conséquent, je conclus que ces trois contraventions alléguées sont établies.

Allégation 3

[24]  L’allégation 3 est ainsi libellée :

Le ou vers le 5 octobre 2016, à [S.] (Saskatchewan) ou dans ses environs, [le membre visé] a rendu compte de ses actes de façon mensongère, contrevenant ainsi à l’art. 8.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

[25]  Le membre visé admet les points 1, 2 et 4 de l’énoncé détaillé de cette allégation, mais il en nie les points 3 et 5. En ce qui concerne le point 3, il affirme dans sa réponse être effectivement retourné au tribunal, mais il précise qu’il est demeuré dans son véhicule et n’est pas entré dans l’édifice. Il a plutôt appelé la procureure pour connaître le résultat de l’enquête préliminaire dans le cadre de laquelle il avait témoigné ce matin-là.

[26]  Il a témoigné avoir déposé le cap. [C. Z.] à sa résidence avant de repartir sur la route et de prendre son repas dans son véhicule, comme d’habitude. Il a ensuite effectué quelques des tâches de patrouille routière et fait avancer quelques-uns de ses dossiers, puis est retourné au tribunal, il n’a pas su se résoudre à entrer, paralysé qu’il était par la peur d’être pris pour cible. Il a plutôt communiqué avec la procureure de la Couronne chargée de l’audience préliminaire pour l’informer d’un conflit potentiel dans le dossier si jamais l’affaire donnait lieu à un procès. Il a mentionné s’être entretenu avec elle durant 20 minutes, tout au plus. Après la conversation, à la fin de son quart de travail, il est retourné au détachement.

[27]  Tout cela n’est pas vraiment pertinent, puisque ce n’est pas au point 3 de l’énoncé détaillé qu’est désignée la contravention alléguée au code de déontologie, mais au point 5. Son refus d’admettre le point 5 est fondé sur sa version de la conversation qu’il a eue avec le serg. L. D. Dans sa réponse écrite, le membre visé a mentionné avoir informé le serg. L. D. qu’il était retourné au palais de justice ou au tribunal, mais sans lui dire que c’était pour assister à la procédure. Il a expliqué que, le serg. L. D. étant visiblement contrarié, il s’était senti mal à l’aise et avait cherché à mettre fin à l’échange. Voilà pourquoi il ne lui a pas fourni d’explication détaillée.

[28]  Cependant, lors de son témoignage devant le comité de déontologie, il a soutenu ne pas se rappeler avoir dit au serg. L. D. qu’il était retourné au tribunal. Bien que cette incohérence puisse sembler secondaire, elle prend de l’importance lorsqu’on tient compte de ce qui a été dit au serg. L. D.

[29]  Dans son témoignage, le serg. L. D. a expliqué très clairement avoir fait venir le membre visé dans son bureau et avoir laissé la porte ouverte. Les deux hommes ont eu un échange qui a duré à peine deux minutes. Le sergent a demandé au membre visé où il se trouvait l’après-midi du jour précédent, et le membre de dire être retourné au tribunal pour assister à la suite de l’audience. Le serg. L. D. lui a répondu que s’il voulait agir de la sorte, il devait appeler au bureau pour obtenir une permission, car le détachement est très occupé et manque d’effectif.

[30]  Il se rappelle avoir été sur le coup satisfait de l’explication donnée. Ce n’est que plus tard cette journée-là, lorsqu’il a appris que la procédure en question était une enquête préliminaire, qu’il est devenu suspicieux. En effet, le membre visé ne pouvait pas être autorisé à assister à la suite de l’audience, car cela aurait mis en cause l’impartialité de son témoignage lors du procès. Sachant cela, le serg. L. D. en a déduit que le membre lui avait menti, ce pourquoi il a informé le s.é.-m. G. A. de la situation.

[31]  Le témoignage du serg. L. D. était conforme à la déclaration qu’il a faite au serg. M. le 15 novembre 2016 au sujet de ce que le membre visé lui avait dit. On y relève des incohérences touchant certaines questions incidentes, par exemple en ce qui concerne la teneur exacte des propos du gend. M. relatifs à sa conversation avec le membre visé; là n’était cependant pas ce qui le préoccupait à ce moment-là. On peut comprendre qu’il se souvienne mieux de la conversation en personne qu’il a eue avec le membre que de la déclaration faite devant le serg. M.

[32]  Dans un cas comme celui-ci, les témoignages se contredisent, il est nécessaire d’évaluer les éléments de preuve en s’appuyant sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire F. H. c. McDougall, [2008] 3 R.C.S. 41 [McDougall], dans lequel la Cour a statué ce qui suit :

[86] Toutefois, au civil, lorsque les témoignages sont contradictoires, le juge est appelé à se prononcer sur la véracité du fait allégué selon la prépondérance des probabilités. S’il tient compte de tous les éléments de preuve, sa conclusion que le témoignage d’une partie est crédible peut fort bien être décisive, ce témoignage étant incompatible avec celui de l’autre partie. Aussi, croire une partie suppose explicitement ou non que l’on ne croit pas l’autre sur le point important en litige. C’est particulièrement le cas lorsque, comme en l’espèce, le demandeur formule des allégations que le défendeur nie en bloc. La démarche préconisée dans l’arrêt W.(D.) ne convient pas pour évaluer la preuve au regard de la prépondérance des probabilités dans une instance civile.

[33]  La Cour d’appel de l’Ontario a développé ces points dans le jugement Law Society of Upper Canada v. Neinstein, 2010 ONCA 193 [Traduction] :

[21] L’argument de l’appelant selon lequel la démarche en trois temps proposée dans W.(D.), ou quelque critère équivalent, devait être adoptée pour apprécier la valeur de témoignages contradictoires dans des affaires non criminelles a été réfuté dans l’arrêt McDougall, qui a été rendu après que la Cour divisionnaire eut publié ses motifs dans cette affaire. [...] La Cour suprême a conclu à l’unanimité qu’une analyse du type de celle avancée dans W.(D.) ne convenait pas dans un cas semblable. […]

[22] L’arrêt McDougall trouve en l’espèce une application directe. Le comité d’audition avait à déterminer si les allégations devaient être tenues pour établies selon la prépondérance des probabilités. Pour ce faire, il devait tenir compte de l’ensemble de la preuve et évaluer la crédibilité des témoins au regard de l’ensemble de la preuve. Comme dans McDougall, si le comité d’audition avait conclu que les plaignants étaient crédibles, cela aurait été décisif pour l’issue de l’affaire. À la lumière de l’arrêt McDougall, il appert que le comité d’audition a eu tort de recourir à une version modifiée de l’analyse proposée dans W.(D.) pour procéder à l’investigation qui lui incombait. [...]

[34]  Étant donné mes constatations concernant les déclarations respectives des deux témoins, je suis conduit, lorsque j’applique le critère présenté dans l’arrêt McDougall, à retenir sur cette question le témoignage du serg. L.D., et je conclus que le membre visé a rendu compte de ses actes de façon mensongère, en contravention de l’art. 8.1 du code de déontologie.

Allégation 4

[35]  L’allégation 4 est ainsi libellée :

Le ou vers le 25 octobre 2016, à [S.], en Saskatchewan, ou dans les environs, [le membre visé] n’est pas demeuré à son poste, contrevenant ainsi à l’art. 4.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

[36]  Le membre visé a reconnu les faits reprochés dans l’allégation tout en fournissant une explication : il croyait que son quart de travail avait été modifié et qu’il devait travailler de 16 h à minuit et non de 18 h à 2 h, comme il a l’a appris à son arrivée au bureau, à 16 h. Il a déclaré avoir travaillé jusqu’à 23 h 30 et avoir alors informé la gend. E. C. qu’il avait droit à du temps de déplacement et qu’il s’en allait chez lui. Il lui a mentionné qu’il avait une radio en sa possession, qu’il resterait éveillé jusqu’à ce qu’elle finisse son quart, à 2 h, et qu’elle pouvait l’appeler si jamais elle devait quitter le bureau. Son compte rendu des événements concordait avec celui donné par la gend. E. C. dans sa déclaration faite aux enquêteurs. La principale contradiction entre la version du membre visé et l’énoncé détaillé tient à ceci que le membre croyait que les deux heures que l’employeur lui devait pouvaient être utilisées à la fin de son quart plutôt qu’au début.

[37]  Tous s’entendent pour dire que ce qui aurait normalement dû être un quart de nuit de dix heures a fait place à un quart de nuit de huit heures. Le serg. L. D. a témoigné que le quart de travail était de huit heures parce qu’il y avait eu remplacement du quart de jour par un quart de nuit et qu’en pareil cas, on essaie de maintenir le nombre d’heures prévu au départ. Les quarts de jour durent habituellement huit heures, et les quarts de nuit, dix. Dans le cas présent, le quart de jour de huit heures a été remplacé par un quart de nuit de huit heures, conformément à la politique générale.

[38]  Aucune preuve contradictoire n’a été présentée, et j’accepte le témoignage du membre visé voulant qu’il ait travaillé de 16 h à 23 h 30. Ce dernier a donc travaillé sept heures trente avant de retrer chez lui vers 23 h 30. Je tiens pour avérée l’erreur qu’il dit avoir faite en ce qui a trait à l’heure à laquelle débutait son quart de travail. Je peux ainsi conclure qu’il a intentionnellement quitté le travail trente minutes avant la fin de son quart. Comme il n’avait pas obtenu la permission d’une personne autorisée à la lui accorder, je conclus qu’il a effectivement omis de demeurer à son poste, ce qui contrevient à l’art. 4.1 du code de déontologie.

[39]  Je fais remarquer, par souci de clarté, que je ne tiens pas le point 4 pour établi. Selon cet élément de l’énoncé détaillé, le membre visé a compromis la sécurité de la gend. E. C. en la laissant seule et sans renfort immédiat. La seule preuve en ce sens qui m’a été présentée provient du membre visé, selon qui la gend. E. C. lui a dit qu’elle passerait le reste de son quart au bureau à travailler dans le SIRP, sur quoi il a répondu que, puisqu’il resterait éveillé jusqu’à 2 h, elle n’avait qu’à l’appeler s’il arrivait quelque chose. Dans ces circonstances, je ne crois pas qu’il ait compromis la sécurité de la gendarme.

[40]  Finalement, en ce qui concerne l’allégation 4, le membre visé a aussi fait valoir que la question avait été déjà été abordée par le s.é.-m. G. A. lors d’une réunion où le serg. L. D. et lui- même étaient présents, et que par conséquent, le comité de déontologie n’avait pas compétence pour s’en saisir. Il a soutenu que le s.é.-m. G. A. était l’autorité disciplinaire compétente en la matière, que ce dernier lui avait prodigué conseils et assistance en ce qui touche la sécurité des policiers, et que l’affaire aurait être close à ce moment-là. Il a mentionné que le s.é.-m. G. A. avait souscrit à cette vision des choses dans le résumé anticipé qu’il a signé dans les jours précédant le début de l’audience, et que ce document avait été remis au comité de déontologie.

[41]  Cependant, à la barre des témoins, le s.é.-m. G. A. a expliqué avoir fait part au Groupe de la responsabilité professionnelle (GRP) de tous les problèmes concernant le membre visé et avoir laissé à ce groupe le soin de déterminer l’objet et le cadre exacts de l’enquête déontologique dont la tenue avait été ordonnée. S’il a agi ainsi, c’est en raison de la multiplicité des questions soulevées et de l’expertise particulière du GRP dans le domaine, expertise que lui-même ne possède pas. Il a fait savoir que le résumé anticipé en question avait été rédigé par le représentant du membre, qui le lui a acheminé en vue de son adoption. Il n’a pas relevé l’énoncé incorrect contenu dans le résumé anticipé, et c’est sur la version correcte des événements que portait son témoignage.

[42]  La seule preuve réelle qui m’a été présentée à cet égard provenait du s.é.-m. G. A., qui a indiqué ne pas avoir examiné cette allégation en tant qu’autorité disciplinaire. Il ne se trouve aucun rapport de rendement (formulaire 10-04) ni avertissement écrit pour le contredire, et j’accepte son témoignage sur la question. Je fais remarquer en passant que c’est une bonne pratique de gestion que de régler les problèmes dès qu’ils surviennent, et que dire à quelqu’un de cesser d’agir de telle ou telle façon dans le cadre de ses fonctions ne revient pas nécessairement à lui imposer une mesure disciplinaire. Il s’agit simplement d’une mesure de gestion du risque qui est indispensable pour prévenir d’autres contraventions au code de déontologie et pour éviter d’engager la responsabilité de la Gendarmerie.

[43]  La contravention visée à l’allégation 4 est établie en tenant compte des précisions données.

MESURES DISCIPLINAIRES

[44]  Ayant conclu que le membre visé a contrevenu au code de déontologie de la GRC à cinq reprises, je me vois obligé, en vertu du paragraphe 45(4) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, d’imposer des mesures disciplinaires appropriées.

[45]  L’autorité disciplinaire réclame le renvoi du membre visé ou sa démission forcée de la GRC. Selon le membre visé, la peine globale appropriée consisterait en un avertissement, en une confiscation de solde pour 30 jours de travail et en l’obligation de poursuivre des consultations auprès d’un spécialiste.

[46]  Pour rendre ma décision, je dois d’abord définir l’éventail des mesures disciplinaires appropriées pour sanctionner l’inconduite constatée. Dans les affaires concernant le même type d’inconduite que celle imputée au membre visé, cet éventail s’étend de la confiscation de solde pour une période importante jusqu’au congédiement.

[47]  Une fois cet éventail défini, je dois évaluer les facteurs aggravants et atténuants qui caractérisent cette affaire. Au chapitre des facteurs aggravants, le seul qu’a suggéré l’autorité disciplinaire en l’espèce est le fait que l’endommagement du véhicule de police présente un aspect itératif, en ce sens que le second enlèvement des décalques s’est produit peu de temps après qu’eurent été effectuées les réparations que le premier incident avait rendues nécessaires.

[48]  Les facteurs atténuants suivants sont à mettre en balance avec le facteur aggravant qui précède. Le membre visé a immédiatement admis sa responsabilité à l’égard de presque tous les éléments d’inconduite au sujet desquels il a été interrogé ou sommé de s’expliquer. Il a aussi admis devant moi être l’auteur des actes qui lui sont reprochés, bien qu’il ait contesté, en invoquant la maladie mentale, la conclusion de conduite déshonorante formulée relativement à trois allégations. Comme le moyen de défense avancé m’a paru en phase avec la réalité, je conclus que cette contestation ne diminue en rien la valeur de son aveu de responsabilité.

[49]  Le membre visé a exprimé des remords sincères à la barre des témoins, et il a présenté des excuses, qui m’ont semblé franches et bien senties, à toutes les personnes qui ont eu à pâtir des conséquences de ses gestes. Il a aussi, ce qui ne va pas de soi pour un membre occupant un poste comme le sien, manifesté une conscience aiguë du cercle élargi des personnes à qui ses actes et la présente procédure ont pu causer du tort.

[50]  Le membre visé n’a aucun antécédent disciplinaire, et il a présenté des lettres de soutien de membres avec qui il a déjà travaillé et selon qui l’inconduite dont il a fait preuve ne lui ressemble pas.

[51]  Il bénéficie également du soutien de sa femme et de sa famille, qui l’aident à composer avec sa maladie mentale, ce qui m’amène au dernier facteur atténuant, de loin le plus important. Le membre visé a reçu un diagnostic de trouble de stress post-traumatique et de dépression grave avant, durant et après les incidents. Les symptômes de sa maladie remontent aussi loin qu’en 2010, mais ils ont atteint leur paroxysme en 2016, au moment où les incidents se sont produits.

[52]  Le membre visé a témoigné qu’il s’était agi de la pire période de sa vie : il était à l’époque en proie à une dévorante paranoïa, persuadé, notamment, d’être traqué par des gens qui voulaient le tuer. Au quotidien, son principal souci était d’éviter d’être abattu par balles; il voyait des menaces partout. C’est ce qui l’a amené à ôter le ruban réflecteur et les décalques du véhicule de police qu’il conduisait.

[53]  À la première occasion, il a conduit le véhicule jusqu’au milieu d’un champ éloigné, là où personne ne pouvait le trouver, et a enlevé le ruban réflecteur à l’aide de son couteau. La deuxième fois, dans le garage attenant à sa résidence, il s’est servi d’essence et d’une carte plastifiée. Sa femme, qui l’a vu faire, était furieuse : elle avait conscience des conséquences de son geste, conséquences qui paraissaient au membre visé beaucoup moins importantes que le besoin de se protéger.

[54]  Par ailleurs, il a menti à son superviseur et a supprimé les commentaires d’un superviseur dans deux rapports de police parce qu’il avait peur d’être congédié s’il ne le faisait pas. L’autorité disciplinaire a raison d’arguer qu’il s’agit là de gestes malhonnêtes et destinés à tromper, ce qui, dans la plupart des cas, suffirait à envisager le congédiement comme mesure disciplinaire appropriée. Je serais prêt à envisager le congédiement comme faisant partie de l’éventail des mesures disciplinaires adéquates, si ce n’était de l’accord unanime existant au sujet de la grave maladie mentale liée au travail dont le membre souffrait à cette époque, maladie qui a été un important facteur contributif de son inconduite.

[55]  La maladie mentale n’est pas quelque chose de facile à déceler chez les gens, même quand on en connaît bien les signes et qu’on est attentif à la présence de ces signes chez autrui. Le s.é.-m. G. A. n’était pas attentif à la présence de ces signes, , mais il se doutait que quelque chose n’allait pas chez le membre visé; c’est pourquoi, il y a deux ans, il a demandé à ce dernier de se soumettre à une évaluation de santé mentale. Il a pris cette initiative parce que la conduite du membre visé n’était tout simplement pas compatible avec celle d’une personne raisonnable. Ses doutes étaient entièrement fondés.

[56]  Je ne vois rien, dans les circonstances de l’espèce, qui ait réellement changé depuis. Or nous voici, deux ans plus tard, engagés dans une audience disciplinaire l’autorité disciplinaire réclame toujours le renvoi du membre visé. À mon avis, cette situation a cessé d’être un cas de renvoi dès le moment il est apparu que le diagnostic de TSPT et de dépression grave pouvait raisonnablement expliquer les gestes du membre visé. Cette affaire n’a rien à voir avec la tromperie ou la malhonnêteté. Elle concerne un diagnostic de maladie mentale et les troubles qui l’accompagnent : mauvais jugement, paranoïa, peur d’être trouvé et incapacité d’en parler à qui que ce soit. Ceux d’entre nous qui n’ont pas connu cette situation peuvent à peine imaginer l’isolement et la solitude que le membre visé vivait au quotidien, persuadé qu’il était d’avoir des tueurs aux trousses et de ne pouvoir en parler à personne.

[57]  Je ne vais pas entrer dans les détails, mais la preuve montre clairement qu’il souffrait d’un trouble dans l’exercice de ses fonctions de policier. Aucune intention malveillante ne sous-tendait les actes qu’il a posés : ceux-ci étaient plutôt motivés par les pensées déraisonnables et paranoïdes qui l’obsédaient à l’époque, pensées qui étaient directement attribuables à sa maladie mentale. Dans la détermination des mesures disciplinaires adéquates pouvant être exigées contre lui, j’accepte dans son intégralité le rapport du Dr C. C. ainsi que les explications qu’il contient relativement aux gestes du membre visé. Bien que ce facteur atténuant ne soit pas suffisant pour que le membre visé puisse être considéré comme non responsable de ses actes, il s’agit d’un facteur atténuant très important.

[58]  Par ailleurs, je reconnais que les mesures disciplinaires visent avant tout à réhabiliter le membre visé. En l’espèce, la réhabilitation requise est avant tout d’ordre médical et non liée à des mesures disciplinaires. À la lumière de ces considérations, je ne suis enclin à accepter l’argumentation d’aucune des deux parties. À mon avis, les mesures disciplinaires appropriées, en tenant compte de toutes les circonstances de l’affaire, consistent en une réprimande, en des consultations médicales se poursuivant jusqu’à ce que le médecin-chef et le membre visé, sur la recommandation des professionnels traitants, conviennent qu’elles ne sont plus nécessaires, ainsi qu’en une confiscation de solde pour dix jours de travail. N’ayant reçu aucune information justifiant une mutation dans un autre lieu de travail, je refuse de donner un ordre en ce sens. Si une telle mutation est requise d’un point de vue médical, c’est à ce titre que la mesure doit être prise.

[59]  En terminant, j’aimerais ajouter un point. Pendant la phase de l’audience portant sur les mesures disciplinaires, le représentant de l’autorité disciplinaire a laissé entendre que, puisque l’affaire était devant un comité de déontologie, il n’avait pas le pouvoir de réclamer autre chose que le renvoi comme mesure disciplinaire appropriée. En tout respect, je suis en désaccord. Le représentant de l’autorité disciplinaire assume le rôle de procureur dans cette procédure. Ce rôle s’accompagne de certaines responsabilités qui ont été établies par la Cour d’appel de l’Île-du-Prince- Édouard dans le jugement Griffin v. City of Summerside et al., [2008] PEIJ no 46 (autorisation d’appel auprès de la Cour suprême du Canada refusée). Dans cette affaire, le plaignant, le directeur adjoint des services de police, a eu gain de cause contre M. Arsenault, le directeur des services de police, eu égard à des poursuites abusives intentées dans le cadre du régime disciplinaire d’un corps de police. La Cour d’appel a statué que M. Arsenault n’avait pas de motifs pour déposer des accusations de manquement disciplinaire contre M. Griffin; voici ce qu’elle déclare à la page 8 du jugement [Traduction] :

Il est maintenant bien établi que les organes disciplinaires professionnels et les personnes ayant le pouvoir d’entamer des procédures devant de tels organes ne jouissent pas d’une immunité contre les actions en poursuite abusive.

[60]  Il va sans dire que, si un procureur dans une procédure disciplinaire peut être tenu responsable d’une poursuite abusive de la même manière que peut l’être un procureur dans une poursuite criminelle, les responsabilités éthiques de celui-ci sont similaires à celles de celui-là, comme le précise la Cour suprême du Canada dans Boucher v. The Queen, [1955] R.C.S. 16, aux pages 23 et 24. Mon opinion est confortée par le par. 1.n. du Code d’éthique des représentants de la GRC [Traduction] :

n. lorsqu’il est engagé comme représentant de l’autorité disciplinaire, il ne doit pas simplement chercher une condamnation, mais veiller à ce que justice soit faite;

[61]  À mon avis, dans le contexte des audiences disciplinaires de la GRC, cela signifie que le poursuivant doit continuellement évaluer la preuve pour s’assurer qu’il existe une probabilité raisonnable que la contravention alléguée au code de déontologie soit établie. Dans le cas contraire, la poursuite doit être abandonnée. Cette responsabilité incombe au représentant de l’autorité disciplinaire autant qu’à l’autorité disciplinaire, et elle a préséance sur les instructions de l’autorité disciplinaire. À l’évaluation continuelle de la preuve visant à déterminer s’il y a une possibilité raisonnable de conclure à une contravention au code de déontologie doit s’ajouter l’évaluation continue de la possibilité raisonnable que le congédiement constitue une mesure disciplinaire appropriée ou probable. Dès le moment où cela cesse d’être le cas, le congédiement devrait être exclu de l’éventail des mesures adéquates, et le membre visé ainsi que le comité de déontologie devraient être informés des mesures disciplinaires réclamées. Il est malavisé, pour une autorité disciplinaire ou le représentant d’une autorité disciplinaire, de déléguer ces responsabilités au comité de déontologie et d’allonger ainsi inutilement la procédure.

CONCLUSION

[62]  Je conclus que les cinq allégations sont établies, compte tenu des précisions mentionnées plus haut au sujet de certains points de l’énoncé détaillé. Par conséquent, j’impose une réprimande, des consultations médicales régulières jusqu’à ce que le médecin-chef et le membre visé, sur la recommandation des professionnels traitants, conviennent qu’elles ne sont plus nécessaires, ainsi qu’une confiscation de la solde pour dix jours de travail.

[63]  Avis est donné aux parties que le paragraphe 45.11(1) de la Loi sur la GRC précise les exigences à respecter pour interjeter appel de la présente décision et que les règles qui encadrent un tel appel sont énoncées dans Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289.

 

 

Le 6 mars 2019

M. Gerald Annetts

Comité de déontologie

 

Date

 

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