Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

[Ce résumé ne fait pas partie de la présente décision écrite.]
Le membre visé faisait face à une seule allégation de conduite déshonorante pour avoir commis une agression sexuelle contre un autre membre dans sa chambre, dans un centre de formation de la Gendarmerie royale du Canada. Le membre visé a nié l’allégation et affirmé que seule une activité sexuelle consensuelle avait eu lieu.
La plaignante et le membre visé étaient les seuls témoins, et ils ont dû subir un interrogatoire principal et un contre-interrogatoire.
Les règles concernant l’admissibilité et l’utilisation des déclarations faites avant le témoignage des témoins ont été déterminées et appliquées.
Les conclusions quant à la crédibilité des témoins ont eu un effet déterminant sur la décision. L’allégation a été jugée non fondée.

Contenu de la décision

GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT

une audience disciplinaire au titre de la

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C., 1985, ch. R-10

 

 

 

entre :

 

 

Le commandant de la Division E

 

Autorité disciplinaire

 

et

 

 

le gendarme Jason Irvine, numéro de matricule 60585

 

Membre visé

 

 

 

 

Décision du comité de déontologie

John A. McKinlay (Comité de déontologie)

Le 18 février 2019

 

 

 

Sergent d’état-major J. Hart et Mme Isabelle Sakkal, pour l’autorité disciplinaire (représentant de l’autorité disciplinaire)

 

 

Sergent J. Welch, pour le membre visé (représentant du membre)

TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ 4

INTRODUCTION 5

REQUÊTES ET QUESTIONS PRÉLIMINAIRES 5

Enquête approfondie 5

Approbation des témoins 5

Ordonnance de non-publication 10

ALLÉGATION 10

ANALYSE 12

Norme de preuve 12

Interprétation de l’article 7.1 13

Évaluation des témoins 14

Conclusions sur certains points 17

Questions liées à l’alcool 18

Aménagement de la chambre du MV au CFRP 19

Visionnement de l’enregistrement de la poursuite en véhicule 20

Informations documentaires et documents 20

Compte rendu de la plaignante 33

Règle établie dans Browne c. Dunn 37

Compte rendu du MV 41

Interprétation de « enlevé de force » 56

Considérations exclues – plaignants victimes d’agression sexuelle 57

Preuve de bonne moralité 60

Descriptions et attitudes 60

Déclarations antérieures 62

Déclarations compatibles 65

Déclarations incompatibles 73

Information contenue dans les déclarations de tierces parties 73

Information venant directement de la plaignante 76

L’« écharpe » en cordage 78

La cicatrice abdominale 80

Autres arguments soulevés dans les observations 83

Suggestion relative à des pouvoirs d’enquête 85

CONCLUSION 86

 


 

RÉSUMÉ

[Ce résumé ne fait pas partie de la présente décision écrite.]

Le membre visé faisait face à une seule allégation de conduite déshonorante pour avoir commis une agression sexuelle contre un autre membre dans sa chambre, dans un centre de formation de la Gendarmerie royale du Canada. Le membre visé a nié l’allégation et affirmé que seule une activité sexuelle consensuelle avait eu lieu.

La plaignante et le membre visé étaient les seuls témoins, et ils ont dû subir un interrogatoire principal et un contre-interrogatoire.

Les règles concernant l’admissibilité et l’utilisation des déclarations faites avant le témoignage des témoins ont été déterminées et appliquées.

Les conclusions quant à la crédibilité des témoins ont eu un effet déterminant sur la décision. L’allégation a été jugée non fondée.


 

INTRODUCTION

  • [1] J’ai été désigné comité de déontologie dans cette affaire le 15 juin 2018. Le commandant de la Division E (l’autorité disciplinaire) a signé l’avis d’audience disciplinaire (ADD) le 21 juin 2018. L’ADD et les documents d’enquête ont été signifiés au membre visé (MV) le 6 juillet 2018. J’ai reçu l’ADD et les documents le 10 juillet 2018. Les services du représentant du membre (RM) à titre de conseil ont été retenus le 11 juillet 2018. Le RM s’est vu accorder une prolongation de délai jusqu’au 30 août 2018, et il a déposé les réponses du MV conformément aux articles 15 et 18 des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014‑291 [CC (déontologie)], le 15 août 2018.

  • [2] L’AAD comprend une seule allégation d’inconduite. Le MV nie formellement avoir contrevenu à l’article 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Plus particulièrement, le MV nie avoir commis l’acte de pénétration vaginale non consensuelle défini dans la précision no 4 de l’allégation. Contrairement au compte rendu sur lequel s’est appuyée l’autorité disciplinaire, le MV fait valoir que toute activité sexuelle était consensuelle et que l’allégation est fausse.

  • [3] À la demande du RM, le présent comité de déontologie a ordonné la tenue d’une enquête approfondie, ce qui a mené au dépôt, par la gendarme (gend.) K. B., d’une déclaration et d’un courriel de suivi le 6 septembre 2018. Ayant reçu ces informations concernant la gend. K. B., le RM a renoncé à toute demande de faire témoigner cette dernière.

  • [4] Au cours du processus des conférences préparatoires, les parties ont confirmé que seules deux personnes devaient témoigner dans le cadre de la présente audience disciplinaire et subir un interrogatoire principal et un contre-interrogatoire. Au paragraphe 3 du procès-verbal de la conférence préparatoire no 2, qui a eu lieu le 7 septembre 2018, j’ai officiellement approuvé ces deux témoins. J’estime que le paragraphe 3 du procès-verbal satisfait au contenu des paragraphes 18(3) et (4) des CC (déontologie), même si aucune assignation n’a été demandée ou délivrée :

REQUÊTES ET QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

Enquête approfondie

Approbation des témoins

3. [Traduction] Le [comité de déontologie] approuve le témoignage du [MV] et de [la plaignante] étant donné les questions et les faits litigieux qui subsistent après l’examen, par le [comité de déontologie], de l’information au dossier à ce jour (plus particulièrement concernant ce qui s’est passé dans la chambre d’hôtel, où a été clairement établi que le MV et [la plaignante] se trouvaient). […]

  • [5] Le MV était l’un des témoins approuvés. On appellera l’autre témoin approuvé « la plaignante », en raison de l’ordonnance de non-publication décrite ci‑dessous. La plaignante a été nommée dans l’AAD et dans les documents déposés auprès du comité de déontologie.

  • [6] Il aurait peut-être été plus logique pour le MV de demander la possibilité de contre‑interroger la plaignante en tant que témoin approuvé, et pour le représentant de l’autorité disciplinaire (RAD) de demander la possibilité de contre-interroger le MV en tant que témoin approuvé.

  • [7] Après tout, le MV a fourni un compte rendu qui excluait toute forme de pénétration strictement vaginale non consensuelle, brusque et inattendue qui a duré quelques secondes, comme l’a décrit la plaignante dans ses déclarations faites au service de police d’Abbotsford (SPA) (recueillies le 28 juillet 2017 et le 15 novembre 2017), et le RAD a clairement contesté la dénégation et les comptes rendus écrits du MV indiquant qu’il avait eu avec la plaignante un rapport entièrement consensuel, plus varié sur le plan sexuel et d’une plus longue durée, comme l’avocat criminaliste privé du MV l’a d’abord décrit par écrit le 17 octobre 2017. C’est d’ailleurs sur ces comptes rendus que le MV s’est appuyé pour présenter ses observations écrites à l’enquêteur du Groupe des normes professionnelles le 5 mars 2018, avant de les adopter officiellement et d’en faire sa propre déclaration, à laquelle une correction a été apportée par le RM, le 30 août 2018.

  • [8] Cependant, comme le comité de déontologie a jugé approprié que l’audience commence par l’interrogatoire principal de la plaignante par le RAD, suivi du contre‑interrogatoire du RM, dans les circonstances de la présente affaire, il importe peu que la bonne partie cherche à faire approuver un témoin en particulier en présentant une demande formelle conformément à l’article 18 des CC (déontologie).

  • [9] Habituellement, un comité de déontologie peut s’attendre à ce que le paragraphe 18(1) des CC (déontologie), qui exige des parties qu’elles soumettent une seule liste des témoins qu’elles souhaitent citer à comparaître devant le comité, soit respecté à la lettre. Quelles que soient les demandes de documents qui ont pu être déposées, en pratique, les parties aux présentes ont conjointement stipulé lors de la première conférence préparatoire, le 30 août 2018, qu’elles jugeaient que seuls le MV et la plaignante étaient des témoins nécessaires.

  • [10] Je reconnais que le système actuel en matière d’audience disciplinaire repose sur un processus décisionnel rapide et informel qui impose aux parties le fardeau de convaincre le comité de déontologie de la nécessité d’entendre des témoins. Manifestement, le fait que deux personnes pourraient être autorisées à témoigner, et qu’elles présenteraient probablement des comptes rendus contradictoires au sujet d’un ou de plusieurs éléments de l’affaire, ne fait pas automatiquement d’elles des témoins nécessaires. Un témoignage ou un contre-interrogatoire n’est pas nécessaire chaque fois qu’une partie soulève une question de crédibilité. (Un exemple hypothétique pourrait servir à appuyer ce point de vue. Si un membre visé fournissait une déclaration disant qu’il a traversé l’intersection au feu vert, et que 50 témoins indépendants déclaraient que le feu était rouge, il est certainement peu probable qu’un témoignage, y compris un contre‑interrogatoire, soit jugé nécessaire.) Par ailleurs, selon une décision récente concernant une requête en jugement sommaire, Ter Keurs Bros. Inc. c. Last Mountain Valley (Rural Municipality), 2019 SKCA 10, au paragraphe 27, il est de droit constant qu’il n’y a pas de droit automatique ou inhérent de contre‑interroger.

  • [11] Cependant, dans les circonstances particulières de la présente affaire, des considérations d’équité procédurale m’ont amené à déterminer que le contre-interrogatoire et l’interrogatoire principal du MV et de la plaignante étaient nécessaires. J’ai été influencé par le fait que la plaignante a participé à deux entrevues filmées avec un enquêteur, alors que le compte rendu du MV a été communiqué par écrit uniquement, par l’intermédiaire de son avocat. Je n’étais pas prêt à considérer que le processus d’entrevue relativement spontané auquel s’est soumise la plaignante et les observations écrites très rigoureuses de l’avocat du MV permettaient de recueillir des formes de renseignements suffisamment équivalentes sur lesquelles il était possible de fonder des évaluations de la crédibilité « sur papier » et d’éliminer la nécessité de procéder à un interrogatoire principal lors d’une audience « en direct ».

  • [12] J’étais d’avis que le fait de réduire la différence entre ces deux formes de renseignements (entrevue enregistrée par rapport à une déclaration écrite) favoriserait un processus décisionnel plus rapide et l’équité lors de l’audience. Par conséquent, j’ai demandé au MV d’adopter formellement le compte rendu exposé dans les observations écrites de son avocat (avec une correction, examinée plus loin dans les motifs), principalement pour favoriser un processus plus équitable et précis lors du contre-interrogatoire du MV sur son propre compte rendu attendu des événements (voir la transcription du 8 novembre 2018, à la page 69).

  • [13] Il est à noter que la possibilité de convoquer d’autres témoins a émergé des discussions tenues lors de la conférence préparatoire no 2, le 7 septembre 2018, comme le confirme le procès‑verbal :

3. [Traduction] Le [comité de déontologie] approuve le témoignage du [MV] et de [la plaignante] étant donné les questions et les faits litigieux qui subsistent après l’examen, par le [comité de déontologie], de l’information au dossier à ce jour (plus particulièrement concernant ce qui s’est passé dans la chambre d’hôtel, où a été clairement établi que le MV et [la plaignante] se trouvaient). Le RM et le RAD confirment au [comité de déontologie] qu’aucun témoignage d’autres personnes n’est demandé. Le RM indique que lors du contre-interrogatoire, il présentera à [la plaignante] certains des propos et des communications de cette dernière qui ont été mentionnés dans les déclarations fournies par d’autres personnes aux enquêteurs.

(Information non soulevée lors de la conférence préparatoire : le [comité de déontologie] demandera au RM et au RAD de présenter des observations informelles lors de la prochaine conférence préparatoire sur la manière dont, dans le cas où [la plaignante] conteste avoir tenu certains propos ou communiqué certaines informations, le [comité de déontologie] pourra évaluer le témoignage de [la plaignante] sans que les auteurs de déclarations faites par d’autres personnes soient interrogées par le [comité de déontologie] au sujet de leurs déclarations.)

  • [14] Le 29 octobre 2018, lors de la conférence préparatoire no 3, on a discuté du traitement à accorder à la déclaration de toute tierce partie interrogée si, au cours du prochain contre‑interrogatoire de la plaignante, cette dernière nie avoir fait un commentaire en particulier qu’une tierce partie lui a attribué. Le RM a reçu la directive d’exprimer sa position après avoir confirmé les consignes auprès de son client. Plus tard dans la journée du 29 octobre 2018, le RM a communiqué ce qui suit au comité de déontologie et au RAD :

[Traduction] À la suite de la conférence préparatoire no 3 et en réponse à votre demande de régler la question du contre‑interrogatoire du principal témoin de l’autorité disciplinaire, [la plaignante], en ce qui a trait aux incompatibilités relevées dans les déclarations des tierces parties, j’ai examiné la question et reçu les consignes de mon client.

Nous n’avons pas l’intention de contre-interroger [la plaignante] au sujet des incompatibilités relevées dans les déclarations de tierces parties. Nous soutenons que ce type de question constitue une forme de témoignage justificatif. Comme nous le verrons lors de l’audience, nous croyons qu’au cours des premières étapes, [la plaignante] a inventé des détails concernant l’allégation. Peu importe le nombre de fois qu’elle raconte son récit, ou le nombre de personnes auxquelles elle le raconte, cela ne le rend pas pour autant véridique. La compatibilité des détails racontés aux tierces parties démontre simplement que la plaignante est capable de tromperie. Des incompatibilités ne démontrent pas que la plaignante n’use pas de tromperie. Veuillez noter que nous sommes impatients de contre‑interroger [la plaignante] au sujet des incompatibilités relevées dans ses propres déclarations.

Comme vous l’avez déjà approuvé, le seul témoin que nous souhaitons convoquer est le membre visé, [MV].

Dans notre argumentation, nous avons l’intention de nous en remettre au dossier dont dispose le comité, conformément à la décision d’appel Cormier, C‑017, rendue par le [surintendant principal] Steven Dunn, aux paragraphes 132 à 135. Bien que nous soyons d’avis que le fardeau de la preuve de démontrer que l’allégation est fondée, selon la prépondérance des probabilités, incombe à l’autorité disciplinaire, vous, en tant que comité d’enquête, avez le pouvoir de convoquer vos propres témoins si vous croyez que le témoignage attendu sera insuffisant pour fonder votre décision.

[Sic]

  • [15] En fonction des observations fournies par le RM, le comité de déontologie a reconnu que le RM n’avait pas l’intention de soulever quelque incompatibilité que ce soit qui a été relevée dans les déclarations des tierces parties lors du contre-interrogatoire de la plaignante; il comptait uniquement souligner les incompatibilités relevées dans les propres déclarations de la plaignante. Par conséquent, le problème potentiel soulevé par le comité de déontologie dans le procès‑verbal de la conférence préparatoire no 2 a été considéré comme théorique.

  • [16] L’alinéa 45.1(7)a) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R-10 [Loi sur la GRC], stipule que :

Ordonnance de non-publication

Le comité de déontologie peut, de sa propre initiative ou sur demande de toute personne, rendre une ordonnance interdisant à quiconque de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui, à la fois :

  • (a) permettrait d’établir l’identité d’un plaignant, d’un témoin ou d’une personne âgée de moins de dix-huit ans;

[…]

  • [17] L’audience « en direct » sur cette affaire a commencé le matin du 6 novembre 2018, à Vancouver. À ce moment-là et de son propre chef, le comité de déontologie a émis une ordonnance de non-publication qui est toujours en vigueur. Selon l’ordonnance de non‑publication, il est interdit de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit toute information soulevée dans cette instance qui permettrait d’identifier la plaignante.

  • [18] Le paragraphe 20(1) des CC (déontologie) exige que chaque allégation de contravention au code de déontologie énoncée dans l’avis soit lue au membre visé. Par la suite, le membre visé peut admettre ou nier chacune des allégations. Le MV fait face à l’allégation suivante :

ALLÉGATION

 

Allégation no 1

Le ou vers le 2 mars 2016, à Chilliwack ou dans les environs, dans la province de la Colombie‑Britannique, [le MV] s’est comporté d’une manière susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie, en violation de l’article 7.1 du code de déontologie.

Précisions

1. Durant toute la période indiquée, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division E, au Détachement de la GRC de […], en Colombie‑Britannique.

2. Durant toute la période indiquée, vous logiez temporairement Centre de formation de la région du Pacifique (CFRP), situé à Chilliwack, en Colombie‑Britannique, à titre de candidat au cours sur la criminalité économique. [La plaignante] […] était un membre de la GRC affecté à […], en Colombie‑Britannique. Elle logeait également temporairement au CFRP à titre de candidate à un cours. Pour suivre vos cours respectifs, [la plaignante] et vous logiez dans des chambres d’hôtel distinctes.

3. [La plaignante] et vous n’étiez pas en service le soir du 2 mars 2016. Vous étiez réunis avec des collègues au bar-salon Johnny Mac, situé au CFRP. Il est admis que [la plaignante] et vous aviez consommé de l’alcool pendant cette rencontre sociale. Avant de faire connaissance au bar‑salon Johnny Mac, vous ne vous vous étiez jamais rencontrés, mais très rapidement, vous avez commencé à discuter de façon amicale de diverses expériences de travail ainsi que de la nature du travail policier au […] de la GRC. Il est admis que [la plaignante] a accepté sur une base volontaire de se rendre à votre chambre d’hôtel […] pour faire davantage connaissance et pour voir une vidéo d’une poursuite policière […] de la GRC. Il est également admis que personne d’autre n’était présent dans la chambre d’hôtel.

4. Lorsque [la plaignante] a essayé de quitter votre chambre d’hôtel, vous lui avez retiré de force son pantalon et son sous-vêtement. Vous avez ensuite usé de force pour avoir une relation sexuelle non consensuelle avec [la plaignante]. À aucun moment [la plaignante] n’a consenti à un acte de pénétration. [La plaignante] vous a dit qu’elle voulait que vous arrêtiez et a répété le mot « non ». Vous avez ignoré les demandes de [la plaignante] de cesser de l’agresser sexuellement. Lorsque [la plaignante] a été capable de vous repousser physiquement, elle a immédiatement quitté votre chambre d’hôtel.

[Sic]

  • [19] Étant donné que le MV nie toute inconduite dans ses réponses écrites et dans le but d’accélérer le processus décisionnel, l’allégation no 1, mais pas ses précisions à l’appui, a été lue au MV le matin du 6 novembre 2018. Le MV a confirmé qu’il admettait les précisions, et qu’il niait l’allégation.

  • [20] Le MV et la plaignante ont témoigné le 6 novembre 2018, lors d’une audience « en direct » qui avait lieu à Vancouver. Les deux représentants ont présenté leurs observations de vive voix le 8 novembre 2018. Un cas de jurisprudence a été déposé auprès du comité de déontologie par courriel avant la présentation des observations de vive voix.

  • [21] Le 8 novembre 2018, le comité de déontologie a différé le prononcé de sa décision sur le bien‑fondé de l’allégation.

  • [22] Le comité de déontologie a rendu sa décision de vive voix le 28 novembre 2018, sous réserve que le droit de fournir, d’approfondir, de préciser et d’expliquer en détail les raisons et les conclusions du comité de déontologie dans la présente décision définitive écrite soit réservé. Le comité de déontologie a toutefois confirmé que la décision rendue de vive voix sur le bien‑fondé de l’allégation de contravention au code de déontologie était définitive.

  • [23] Le paragraphe 45(1) de la Loi sur la GRC exige qu’on applique la norme de preuve de la « prépondérance des probabilités » au moment de se prononcer sur les contraventions alléguées au code de déontologie de la GRC. Cela exige de déterminer si, selon toute vraisemblance, les actes ou les omissions allégués ont été commis.

  • [24] Comme les deux parties l’ont reconnu, les lignes directrices principales sur la norme de preuve de la « prépondérance des probabilités » se trouvent dans la décision de la Cour suprême du Canada F.H. c. McDougall, [2008] 3 RCS 41 [McDougall]. Plus précisément, je m’appuie sur les paragraphes 44 à 46, où la Cour énonce ce qui suit :

ANALYSE

Norme de preuve

[44] […] À mon avis, la seule façon possible d’arriver à une conclusion de fait dans une instance civile consiste à déterminer si, selon toute vraisemblance, l’événement a eu lieu.

[45] Laisser entendre que lorsqu’une allégation formulée dans une affaire civile est grave, la preuve offerte doit être examinée plus attentivement suppose que l’examen peut être moins rigoureux dans le cas d’une allégation moins grave. Je crois qu’il est erroné de dire que notre régime juridique admet différents degrés d’examen de la preuve selon la gravité de l’affaire. Il n’existe qu’une seule règle de droit : le juge du procès doit examiner la preuve attentivement.

[46] De même, la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. Mais, je le répète, aucune norme objective ne permet de déterminer qu’elle l’est suffisamment. […]

Interprétation de l’article 7.1

  • [25] L’allégation d’inconduite dans la présente affaire est fondée sur l’article 7.1 du code de déontologie de la GRC, qui prévoit que « les membres se comportent de manière à éviter de jeter le discrédit sur la Gendarmerie ».

  • [26] Je m’appuie sur l’interprétation de l’article 7.1 offerte par leComité externe (CEE) de la GRC dans sa recommandation émise le 22 février 2016, sous la référence CEE C‑2015-001 (C‑008), aux paragraphes 92 et 93) :

Quel est le critère de conduite déshonorante?

[92] Aux termes de l’article 7 du code de déontologie, les « [m]embres se comportent de manière à éviter de jeter le discrédit sur la Gendarmerie ». Cet article diffère, dans son libellé, de la disposition qu’il remplace, à savoir le paragr. 39(1) du Règlement de la GRC, qui interdisait aux membres d’agir ou de se comporter d’une façon scandaleuse ou désordonnée susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie. Le CEE et le commissaire ont établi que le critère dont le paragraphe 39(1) commande l’application consiste à se demander si une personne raisonnable ayant connaissance de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités du travail policier en général et celles du travail de la GRC en particulier, serait d’avis que la conduite reprochée était a) scandaleuse et b) suffisamment liée à la situation professionnelle du membre pour justifier l’imposition de mesures disciplinaires contre le membre. (CEE 2900-08-006 (D-123), paragraphe 125; CEE 2400-09-002 (D-121), commissaire, paragraphe 100).

[93] Aux termes de l’article 7 du code de déontologie, le fait de jeter le discrédit sur la Gendarmerie n’a plus pour condition l’adoption d’une conduite scandaleuse ou désordonnée. Toutefois, dans la version annotée 2014 du code de déontologie de la GRC, l’analyse de la conduite déshonorante visée à l’article 7 reprend en bonne partie le critère établi sous le régime de l’ancien code; il y est dit en effet que le « comportement déshonorant est évalué à l’aide d’un test qui tient compte de la perception du comportement qu’aurait une personne raisonnable dans la société informée de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités policières en général et de celles de la GRC en particulier » (p. 23). Les termes employés dans la version annotée 2014 du code concordent avec ceux dans lesquels d’autres services de police formulent le critère à appliquer pour déterminer qu’une inconduite est « susceptible » ou non de jeter le discrédit sur l’organisation. Comme le fait remarquer P. Ceyssens dans son ouvrage Legal Aspects of Policing, tome 2 (Toronto, Earlscourt, 2002, p. 6-17 et 6-18), lorsque le libellé de la disposition législative ou réglementaire qui régit la conduite déshonorante renvoie à un comportement « susceptible » de jeter le discrédit sur le service de police, il n’est pas nécessaire de démontrer qu’un tel discrédit a effectivement été porté. La gravité de l’inconduite se mesure à la gravité de l’atteinte à la réputation et à l’image du service qu’entraînerait la mise au grand jour de la conduite reprochée. Pour effectuer une telle évaluation, il est nécessaire d’apprécier la conduite en fonction des attentes raisonnables de la population.

  • [27] Dans la présente affaire, je confirme que la norme de preuve demeure lanorme de preuve de la prépondérance des probabilités, malgré le fait que l’infraction alléguée à l’article 7.1 du code de déontologie comprend une pénétration vaginale non consensuelle, ce qui constitue une agression sexuelle.

  • [28] Les motifs fournis par le juge Watt, dans l’arrêt R. c. Clark, 2012 CMAC 3 [Clark], plus particulièrement aux paragraphes 40 à 42, 48 et 51, offrent des renseignements utiles sur l’évaluation des témoins :

Évaluation des témoins

[Traduction]

40 Premièrement, les témoins ne sont pas « présumés dire la vérité ». Le juge des faits doit apprécier le témoignage de chaque témoin en tenant compte de tous les éléments de preuve produits durant l’instance, sans s’appuyer sur aucune présomption, sauf peut-être la présomption d’innocence : R. c. Thain, 2009 ONCA 223 […] (C.A. Ont.), paragraphe 32.

41 Deuxièmement, le juge des faits n’est pas nécessairement tenu d’admettre le témoignage d’un témoin simplement parce qu’il n’a pas été contredit par le témoignage d’un autre témoin ou par un autre élément de preuve. Le juge des faits peut se fonder sur la raison, le sens commun et la rationalité pour rejeter tout élément de preuve non contredit : Aguilera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 507, paragraphe 39; Lubana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116 (1re inst.), paragraphes 9 à 11.

42 Troisièmement, comme on le demande régulièrement et nécessairement aux jurys dans les affaires civiles et pénales, le juge des faits peut accepter ou rejeter tout ou partie d’un témoignage versé au dossier. Autrement dit, l’appréciation de la crédibilité n’est pas dépourvue de nuances. On ne peut non plus déduire de la conclusion selon laquelle un témoin est crédible que son témoignage est fiable et encore moins qu’il permet à une partie de se décharger du fardeau de preuve sur une question précise ou dans son ensemble.

[…]

48 Un témoignage peut soulever des problèmes de véracité et d’exactitude. Les problèmes de véracité renvoient à la sincérité du témoin, à sa volonté de dire la vérité telle qu’il la perçoit, bref, à sa crédibilité. Les problèmes d’exactitude concernent l’exactitude du récit du témoin, à savoir, son caractère fiable. Le témoignage d’un témoin crédible, honnête personne au demeurant, peut néanmoins ne pas être fiable : R. c. Morrissey (1995), 97 C.C.C. (3d) 193 (C.A. Ont.), page 205.

[…]

51 […] La jurisprudence a maintes fois réitéré la mise en garde contre le risque de trop se fier à la conduite comme facteur d’appréciation de la crédibilité d’un témoin et de la fiabilité de son témoignage : R. c. G. (M.) (1994), 93 C.C.C. (3d) 347 (C.A Ont.), pages 355 et 356; Faryna c. Chorny (1951), [1952] 2 D.L.R. 354 (C.A. C.-B.), pages 356 et 357; et R. c. G. (G.) (1997), 115 C.C.C. (3d) 1 (C.A. Ont.), pages 6 à 8.

  • [29] Lors de l’évaluation de la crédibilité du MV et de la plaignante, je me suis également appuyé sur des cas de jurisprudence souvent cités que le RM a présentés. Voici des extraits pertinents tirés de ces cas :

Wallace c. Denis (1926), 31 OWN 202, à la page 203 :

[Traduction] La crédibilité d’un témoin, au sens propre, ne dépend pas uniquement de l’honnêteté de ses déclarations. Elle dépend également de l’occasion qu’il a ou n’a pas eue de faire des observations exactes, de son aptitude à observer avec justesse, de sa capacité à garder fidèlement en mémoire les faits observés, de sa capacité à résister à la tendance, souvent inconsciente, à altérer ses souvenirs en fonction de ses intérêts, de sa capacité à relater les faits observés une fois à la barre des témoins, de sa capacité à exprimer clairement ce qu’il a en tête — autant de facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer le poids à accorder à un témoignage, quel qu’il soit.

MacDermid c. Rice (1939) R. de Jur 2018, à la page 210, le juge Archambault précise que :

[Traduction] Lorsque la preuve relative à un fait important s’avère contradictoire […] la cour doit prendre en compte les motifs des témoins, leur relation ou leur amitié avec les parties, leur attitude et leur comportement à la barre des témoins, la façon dont ils livrent leur témoignage et la probabilité des faits relatés sous la foi du serment, et ensuite en venir à une conclusion quant à la version qu’il convient de tenir pour véridique.

Faryna c. Chorney [1952] 2 DLR 354 (C.A. C.‑B.) (Faryna), à la page 357 :

[Traduction] La crédibilité des témoins intéressés ne peut être évaluée, surtout en cas de contradiction des dépositions, en fonction du seul critère consistant à se demander si le comportement du témoin permet de penser qu’il dit la vérité. Le critère applicable consiste plutôt à examiner si son récit est compatible avec les probabilités qui caractérisent les faits de l’espèce. Disons, pour résumer, que le véritable critère de la véracité de ce que rapporte un témoin dans une affaire déterminée doit être la compatibilité de ses dires avec la prépondérance des probabilités qu’une personne éclairée et douée de sens pratique peut d’emblée reconnaître comme raisonnable dans telle situation et telles circonstances. Ce n’est qu’ainsi qu’une cour de justice peut évaluer de manière satisfaisante les déclarations de témoins à l’esprit alerte, sûrs d’eux‑mêmes et expérimentés, ainsi que de ces personnes astucieuses qui s’y entendent en matière de demi-mensonge et s’appuient sur une longue et fructueuse expérience dans l’art de mettre en œuvre l’exagération habile et l’occultation partielle de la vérité. En outre, il peut arriver qu’un témoin dise ce qu’il croit sincèrement être la vérité, mais se trompe en toute honnêteté. Le juge du fond qui dirait : « Je le crois parce que je suis convaincu de sa véracité » tirerait une conclusion fondée sur l’examen de la moitié seulement du problème. En vérité, il pourrait bien s’agir là d’une autodirective dangereuse.

  • [30] Je me reporte également aux observations de mise en garde sur l’évaluation de la crédibilité qui figurent dans l’arrêt R. c. T.B., 2018 PESC 3 (T.B.), au paragraphe 56, présenté par le RAD :

[Traduction] […] L’évaluation de la crédibilité n’est pas une science (R. c. Gagnon, [2006] 1 S.C.R. 621 (S.C.C.)). Aux termes de la loi, je dois tenir compte de divers facteurs lorsque j’évalue la crédibilité, y compris le bon sens et la logique. Il est difficile d’articuler une évaluation de la crédibilité. Comme les tribunaux l’ont également clairement exprimé, je dois me garder de me fier simplement aux « impressions » que je pourrais me faire d’un témoin, puisque trop d’importance pourrait être accordée au « comportement », lequel, comme l’ont clairement exprimé les cours d’appel, ne peut constituer l’unique facteur déterminant.

  • [31] Comme je l’ai mentionné d’entrée de jeu, la présente affaire repose sur les comptes rendus contradictoires de la plaignante et du MV sur ce qui s’est passé dans la chambre du MV la nuit du 2 mars 2016.

  • [32] La décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire McDougall, au paragraphe 86, a établi clairement que la démarche analytique dans une affaire criminelle, lorsque les comptes rendus du plaignant et de l’accusé sont contradictoires (démarche proposée dans l’arrêt R. c. W.(D.), [1991] 1 SCR 742 [W.(D.)]), « ne convient pas pour évaluer la preuve au regard de la prépondérance des probabilités dans une instance civile. » Comme l’a expliqué la Cour d’appel de l’Ontario, l’utilisation de la démarche proposée dans l’arrêt W.(D.) dans les instances civiles exigeant l’évaluation des témoignages contradictoires [traduction] « a été écartée dans la décision McDougall » (Law Society of Upper Canada c. Neinstein (2010), 99 OR (3d) 1 (CA), au paragraphe 21).

  • [33] Il faut plutôt tenir compte de l’ensemble de la preuve, et l’ensemble de la preuve doit être utilisé pour procéder aux évaluations de la crédibilité. Dans la présente affaire visant le MV, les conclusions relatives à la crédibilité semblent avoir une incidence déterminante sur l’issue de l’affaire. Comme il est indiqué au paragraphe 86 de l’arrêt McDougall, la « conclusion que le témoignage d’une partie est crédible peut fort bien être décisive, ce témoignage étant incompatible avec celui de l’autre partie ».

  • [34] Dès la première conférence préparatoire qui a eu lieu le 30 août 2018, il était évident pour le comité de déontologie, et convenu par les parties, que le soir du 2 mars 2016, la plaignante a accepté l’invitation du MV d’entrer dans son dortoir assigné (qui ressemble étroitement à une chambre d’hôtel individuelle), au CFRP. Dans ses réponses, le MV a formellement admis les précisions nos 1, 2 et 3.

  • [35] À la lumière des informations présentées au comité de déontologie à l’étape des allégations de l’audience et des témoignages de la plaignante et du MV fournis le 6 novembre 2018, j’estime que les précisions nos 1, 2 et 3 de l’allégation no 1 ne sont pas fondamentalement contestées dans la présente affaire. Je confirme officiellement que ces précisions sont établies. Toutefois, dans mon évaluation de la crédibilité relative de la plaignante et du MV, j’ai certainement pris en considération les descriptions respectives et les attitudes de la plaignante et du MV en ce qui concerne les événements qui ont précédé les incidents contestés survenus dans la chambre du CFRP.

  • [36] Le MV partageait des pichets de bière avec d’autres personnes au bar-salon et estime avoir bu un maximum de six verres de 16 onces de bière. La plaignante a bu un maximum de trois verres de vin. Le fait que le MV et la plaignante aient tous deux consommé de l’alcool avant d’entrer dans la chambre du MV ne constitue pas un fondement suffisant me permettant de conclure que la capacité de l’une ou l’autre de ces personnes à percevoir ou à se rappeler les événements a grandement été affectée par un niveau d’ébriété quelconque. Pour ce qui est du MV, son poids estimé de 220 lb et sa présence d’au moins quatre heures au bar-salon m’ont aidé à tirer cette conclusion.

  • [37] Il n’existait certes aucun élément de preuve ni renseignement convaincant indiquant que la consommation, par la plaignante, de trois verres de vin au cours de la soirée immédiatement avant d’entrer dans la chambre du MV aurait pu mener à un niveau d’ébriété qui nuisait à sa capacité de consentir à l’activité sexuelle décrite par le MV.

  • [38] Je ne suis pas d’avis que la déclaration de Mme M. H., fournie le 21 août 2017 (rapport d’enquête, annexe N), dans laquelle elle raconte le souvenir d’une conversation téléphonique avec la plaignante (survenue apparemment le 3 mars 2016), soulève un quelconque enjeu dans la présente affaire quant à la capacité de consentir de la plaignante. Il est très difficile d’accorder un poids important aux souvenirs de Mme M. H. quant au rôle qu’a pu jouer l’alcool dans ce qui s’est passé dans la chambre au CFRP, puisqu’elle a elle‑même admis avoir une très mauvaise mémoire en général et qu’elle était incapable de fournir de nombreux détails précis au sujet de l’appel.

  • [39] De même, j’accorde un poids négligeable à la déclaration du gend. T. S., obtenue le 2 août 2017 (rapport d’enquête, annexe O), où il se souvient que la plaignante lui a indiqué qu’elle avait bu deux ou trois verres de vin et que par conséquent [traduction] « elle ne sait pas vraiment » à quel point les choses se sont déroulées rapidement avec le MV [traduction] « en ce qui concerne, par exemple, son traitement de l’information » (rapport d’enquête, page 288 de 559).

  • [40] Je me fonde plutôt sur les observations directes de la consommation de verres de vin et du niveau d’ébriété de la plaignante au bar-salon recueillies dans les déclarations du gend. L. B. (rapport d’enquête, annexe Q) et du gend. D. M. (rapport d’enquête, annexe R). J’admets que la plaignante a consommé un troisième verre de vin après le départ des deux observateurs, mais leurs observations étaient compatibles : la plaignante n’était pas en état d’ébriété et elle était en plein contrôle d’elle-même lorsqu’ils sont partis. Dans son témoignage, la plaignante affirme qu’elle a essentiellement bu son troisième verre de vin lorsqu’elle conversait avec le MV et l’ami de ce dernier, le caporal A. E., au bar‑salon. Elle estime que cette conversation a duré 20 minutes.

  • [41] Pour arriver à ces conclusions sur le rôle négligeable de l’alcool dans la présente affaire, j’ai minutieusement noté que lors de sa première entrevue d’enquête, le 28 juillet 2017, la plaignante a notamment déclaré : [traduction] « […] Je pouvais bien marcher. Je pense que j’étais un petit peu pompette » (page 46). Lors de sa deuxième entrevue, le 15 novembre 2017, elle a notamment déclaré : [traduction] « [A]lors j’ai bu deux verres de vin ainsi que quelques gorgées d’un troisième verre. Je n’étais pas saoule dans le sens que je titubais et que j’allais tomber, mais j’étais, je dirais que j’étais pompette, pompette serait le bon mot » (page 34). La plaignante n’a mentionné aucun effet découlant de sa consommation de vin lorsqu’elle a témoigné devant le comité de déontologie le 6 novembre 2018.

  • [42] Je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le 2 mars 2016, la chambre de style hôtel du MV était meublée comme elle est représentée dans les photographies prises en octobre 2017 dans le cadre de l’enquête du SPA (voir le rapport d’enquête, annexe L). Rien n’indique que pendant cette période de sept mois, des travaux quelconques de rénovation ou de reconfiguration visant la conception ou le contenu de la chambre ont été effectués.

  • [43] De plus, il n’a pas été contesté, et il a certainement été établi selon la prépondérance des probabilités, qu’après être entrés dans la chambre, le MV et la plaignante ont regardé un enregistrement vidéo (d’une poursuite impliquant un véhicule volé à laquelle a participé le MV) sur un appareil portatif que le MV a fait fonctionner. Au départ, la plaignante a décrit l’appareil comme étant un « iPad », un terme pouvant être raisonnablement compris pour décrire une tablette capable de lire des fichiers vidéo conservés sur l’appareil. Le MV a indiqué que l’appareil était un ordinateur portatif et que la vidéo de la poursuite était enregistrée sur un disque inséré dans l’ordinateur. J’estime que le témoignage du MV à ce sujet doit être retenu plutôt que celui de la plaignante puisque la présence d’un DVD contenant l’enregistrement de la poursuite constituait, en réalité, un aveu de la part du MV, à savoir qu’il avait en sa possession au CFRP un enregistrement qui aurait dû être conservé uniquement dans le dossier d’enquête sur l’affaire en question.

  • [44] Bien que l’exactitude des souvenirs d’un témoin quant aux caractéristiques physiques et aux événements constitue certainement un aspect à prendre en compte lorsqu’il faut se prononcer sur une allégation, les souvenirs erronés de la plaignante relativement à l’utilisation d’une tablette pour regarder la vidéo de la poursuite ne sont pas jugés importants dans l’évaluation de son compte rendu global de la soirée.

  • [45] À l’exception d’informations précises exclues pour des raisons de principe concernant leur admissibilité ou utilisation adéquate, il est nécessaire de tenir compte de toute l’information mise à la disposition du comité de déontologie, incluant l’information qui remonte à la première conversation entre le MV et la plaignante qui a eu lieu plus tôt le soir en question, dans le bar‑salon avec permis d’alcool exploité au CFRP.

  • [46] Une brève chronologie de certaines mesures prises par la plaignante, l’enquêteur du SPA menant une enquête imposée par la loi et le personnel de la GRC, permet de constituer un exposé des faits afin de mettre en contexte le témoignage des témoins et les informations documentaires pertinentes.

  • [47] D’après les dossiers médicaux concernant la plaignante, lesquels constituent manifestement des dossiers professionnels, il est établi que la cliente s’est présentée à une clinique aux dates suivantes : le 24 avril 2016, pour obtenir des gouttes ophtalmiques; le 7 juin 2016, pour un problème inconnu (dossiers caviardés); le 12 juin 2016, pour un examen lié à une vaginose bactérienne (dossiers caviardés), et apparemment pour un test de grossesse et un test de dépistage des infections transmises sexuellement, qui se sont avérés négatifs. Elle s’est également présentée à la clinique Vancouver Options for Sexual Health le 31 octobre 2016, et le dossier révèle que : la plaignante a signalé avoir reçu un diagnostic de vaginose bactérienne de manière intermittente au cours des dernières années; elle a reçu un traitement pour ce problème en juillet 2016; les symptômes sont réapparus au cours des derniers mois et un médicament lui a été prescrit pour ce problème (dossiers caviardés). Dans ces dossiers, il n’y a aucune mention d’une agression sexuelle. J’estime que ces dossiers, même lorsqu’on y ajoute l’entrevue et les renseignements issus de témoignages, ne permettent pas de corroborer l’allégation d’agression sexuelle impliquant le MV.

  • [48] Bien que la plaignante ait parlé de son interaction avec le MV à plusieurs personnes avant le 8 juin 2017, en fournissant divers degrés de détails, c’est lors d’échanges de messages textes personnels avec un membre de la GRC, le gend. T. S., le 8 juin 2017, que le nom du MV et l’allégation de viol ont été mentionnés pour la première fois (rapport d’enquête, annexe P, page 266 de 559). À ce moment-là, la plaignante entretenait toujours une certaine forme de relation personnelle avec le gend. T. S, même si elle ne le fréquentait plus.

  • [49] Dans sa déclaration fournie au SPA le 2 août 2017, le gend. T. S. décrit, dans des termes plutôt imprécis, certaines conversations privées qu’il a eues avec la plaignante concernant l’incident survenu dans la chambre d’hôtel, au CFRP. Le gend. T. S. se rappelle que lors de ces conversations, la plaignante avait donné un certain nombre de détails concernant une agression sexuelle au CFRP, mais elle n’avait pas encore nommé le MV.

  • [50] Le gend. T. S. a choisi de communiquer avec un sous‑officier supérieur, le sergent d’état‑major (s.é.‑m.) Paul Mulvihill, pour l’informer que la plaignante allait bientôt commencer une affectation à la Section antidrogue de Surrey, où se trouvait le membre qui, d’après ce qu’il avait compris, avait agressé sexuellement la plaignante au CFRP plusieurs mois auparavant. La plaignante a témoigné devant le comité de déontologie qu’elle s’attendait à ce que le gend. T. S. garde leurs communications confidentielles, et c’est l’essence même des messages textes qu’elle lui a envoyés.

  • [51] Pour une raison quelconque, le message envoyé par le s.-é.m. Mulvihill le 4 juillet 2017 à l’officière responsable, l’inspectrice (insp.) Shawna Baher, mentionnait uniquement qu’un homme du détachement de Surrey avait « tripoté » la plaignante. Ce jour-là, sans avis préalable, l’insp. Baher a parlé avec la plaignante, et lui a précisément dit qu’elle avait été informée d’une situation survenue il y a quelque temps au CFRP, où un membre « avait tripoté [la plaignante] ». Dans un courriel détaillé et contemporain qui relate la conversation du 4 juillet 2017 (rapport d’enquête, annexe D) et dans sa déclaration subséquente aux enquêteurs du SPA (fournie le 3 août 2017, rapport d’enquête, annexe E, page 357 de 559, ligne 27), l’insp. Baher se rappelle que la plaignante a répondu presque immédiatement [traduction] « que c’était un viol », avant de se mettre à pleurer.

  • [52] Après la conversation du 4 juillet 2017 entre la plaignante et l’insp. Baher, on a demandé au SPA de mener une enquête. Le 28 juillet 2017, un enquêteur du SPA a mené une première entrevue enregistrée sur vidéo avec la plaignante. Dans cette déclaration, la plaignante a nommé un certain nombre de personnes auxquelles elle avait fait une certaine forme de divulgation de l’agression sexuelle alléguée. Le SPA s’est principalement basé sur les noms fournis par la plaignante pour mener des entrevues ou obtenir une déclaration écrite ou des documents.

  • [53] Les documents déposés auprès du comité de déontologie comprennent un ensemble de notes d’information de la GRC. L’une de ces notes d’information, datée du 8 août 2017, indique notamment que : [traduction] « Le 1er août 2017, [le MV] s’est vu signifier la lettre de mandat et a été réaffecté à des tâches administratives. » La lettre de mandat décrivait l’inconduite alléguée comme suit : [traduction] « Le ou vers le 28 février ou entre le 28 février et le 2 mars 2016, à Chilliwack […], alors qu’il n’était pas en service, [le MV] a appliqué de la force d’une matière non sollicitée et inappropriée sur [la plaignante], en violation de l’article 7.1 du code de déontologie. »

  • [54] Le 8 novembre 2018, lors de l’audience disciplinaire, j’ai demandé aux représentants s’ils pouvaient fournir un calendrier ou une chronologie des conversations essentiellement de « divulgation ». Selon les documents que j’ai reçus et mon propre examen, il n’est pas possible d’établir une chronologie exacte de ces conversations, étant donné que certaines personnes interrogées n’ont pu qu’estimer le moment où la plaignante aurait divulgué pour la première fois des informations sur cette affaire.

  • [55] Sous le titre « Déclarations antérieures » ci‑dessous, j’aborde ce que je reconnais être une utilisation interdite, limitée ou appropriée des compatibilités et des incompatibilités manifestes dans les deux déclarations que la plaignante a fournies aux enquêteurs avant son témoignage, ainsi que dans les conversations postincidents avec la plaignante, selon le souvenir des tierces parties. À mon avis, cette analyse peut également être appliquée aux déclarations antérieures du MV.

  • [56] Pour chaque personne contactée par les enquêteurs du SPA (à la date indiquée), une forme de résumé des informations apparemment pertinentes, tirées de leur déclaration enregistrée, peut être produite. Un grand nombre de ces déclarations contiennent des éléments compatibles et, dans une moindre mesure, des éléments incompatibles avec le témoignage final de la plaignante devant le comité de déontologie :

Conclusions sur certains points

Questions liées à l’alcool

Aménagement de la chambre du MV au CFRP

Visionnement de l’enregistrement de la poursuite en véhicule

Informations documentaires et documents

2 août 2017 – Gendarme T. S.

Un mois après le début de sa relation avec la plaignante (la relation a commencé vers la mi‑mars, il la connaissait depuis huit ou neuf mois à ce moment), celle‑ci est bouleversée, désemparée, pleure, alors il lui demande ce qui se passe. Elle lui demande de lui promettre de garder le silence si elle se confie à lui, ce à quoi il consent. Elle dit que pendant qu’elle suivait une formation au CFRP, elle a été agressée sexuellement par un type qui travaille au Détachement de la GRC de Surrey. Il insistait pour lui montrer une vidéo, alors elle l’a accompagné dans sa chambre à contrecœur pour la regarder, et c’est là que l’agression sexuelle a eu lieu. Elle connaissait son nom, car il lui avait donné sa carte de visite.

Pendant les deux semaines qui ont suivi cette première conversation, elle n’a pas voulu en dire plus. Ils étaient au restaurant, et il se souvient que la plaignante était une fois de plus bouleversée en en parlant, mais sans donner plus de détails.

Quelques jours plus tard, il est chez elle. Ils sont dans la cage d’escalier de l’appartement pour ne pas en parler devant les enfants. Elle se met à pleurer, dit qu’elle a besoin de faire un tour en voiture et que la personne qui l’a agressée sexuellement travaille à la Section [XXX] du Détachement de la GRC de Surrey. Elle décrit ce qui s’est passé, raconte qu’il a fait jouer la vidéo et que d’un moment à l’autre, elle s’est rendu compte qu’il avait la main dans son pantalon et qu’il était en train de la presser contre le lit ou quelque chose comme ça, puis il a commencé à avoir des relations sexuelles avec elle pendant qu’elle essayait de le repousser, elle a fini par le repousser ou le tasser, mais elle dit ensuite qu’elle ne se souvient pas trop de ce qui est arrivé.

Environ un mois et demi ou deux mois plus tard, sa relation avec la plaignante a pris fin, mais ils se parlent encore. Elle affiche des troubles émotionnels. Elle est toujours bouleversée par ce qui lui est arrivé. Il en parle pour la première fois au s.é.‑m. Mulvihill, laisse entendre qu’il pourrait y avoir un conflit entre la plaignante et un type qui travaille à la section antidrogue, que la plaignante aurait fait des allégations selon lesquelles un acte criminel serait survenu, et que le gend. [T. S.] ne savait pas trop quoi faire. Le s.é.‑m. mentionne le devoir de signaler l’incident d’après la politique de la GRC ou le code de déontologie. Le gend. [T. S.] a donc raconté au s.é.‑m. ce qu’il vient de dire à l’enquêteur. À ce stade, il ignorait l’identité de l’individu.

Le gend. [T. S.] procède alors à sa propre analyse pour déterminer l’identité de la personne, en se fiant aux renseignements fournis par la plaignante concernant la date du cours de formation, la mutation de la personne à la section antidrogue au cours des six derniers mois, le fait qu’il est marié et qu’il a des enfants, et l’allégation de la plaignante selon laquelle [traduction] « il était vraiment dégueu [pas très beau] et elle ne coucherait jamais, jamais avec lui ». Il envoie le nom présumé à la plaignante dans un échange de messages textes le 8 juin 2017. L’échange qui s’ensuit est sauvegardé par le gend. [T. S.] et transmis aux enquêteurs (rapport d’enquête, Annexe P, commence à la page 265 de 559).

Sur la base de ces messages textes, le gend. [T. S.] est convaincu de connaître l’identité de l’individu, et il en parle à nouveau au s.é.‑m. Il y a eu un délai, car [le s.é.‑m. Mulvihill] partait en vacances et [l’insp. Baher] était en vacances. [Le s.é.‑m. Mulvihill] a raconté à [l’insp. Baher] ce que le gend. [T. S.] lui avait dit, et, le même jour, [l’insp. Baher] en a parlé à la plaignante. On lui a dit de ne pas communiquer ni d’avoir de contact avec la plaignante.

L’enquêteur lui demande de revenir en arrière et de rapporter les propos exacts de la plaignante selon ce qu’il se souvient. Elle lui a dit qu’il ne devait en parler à personne, que c’était vraiment grave, qu’elle ne voulait pas que quelqu’un d’autre le sache, qu’elle n’en avait parlé à personne d’autre. Ils sont allés dans la chambre où il logeait, et elle dit que c’est à ce moment qu’il l’a agressée sexuellement; elle n’a pas donné plus détails la première fois, mais a mentionné que le type travaillait au Détachement de la GRC de Surrey.

Pour ce qui est de ses messages textes, il s’est dit que s’il lui disait que ce n’était pas la première fois que cette personne agissait ainsi, peut‑être qu’elle serait plus disposée à parler un peu de ce qui lui était arrivé. Il lui a dit qu’il avait entendu des rumeurs à propos de ce type, qu’il avait eu des comportements plutôt agressifs dans des bars ou qu’il avait touché des filles dans le passé, des choses comme ça. C’était de la pure invention. Le gend. [T. S.] ne savait rien au sujet de cet individu.

L’enquêteur lui demande de revenir en arrière et de répéter la manière dont la plaignante lui a décrit l’agression. [Traduction] « Hum, je pense qu’elle a dit qu’il lui a montré la vidéo et qu’elle était en train de la regarder, puis qu’il a fermé la porte derrière lui, la porte était verrouillée, et qu’il a pressé son corps contre le sien, et je ne sais pas – je ne suis pas certain à 100 %, mais je pense qu’elle a peut-être dit qu’il l’a pressée contre le mur et qu’il l’embrassait, qu’elle essayait de le repousser et que c’est à ce moment qu’il a glissé sa main dans son pantalon, a enlevé son pantalon, peut‑être – a enlevé son sous‑vêtement, je ne me souviens pas si elle portait une robe ou non – hum, essentiellement, il a enlevé son pantalon, son sous-vêtement, puis il l’a pénétrée, elle a dit… elle a dit qu’elle était un peu en état de choc et elle a essayé – elle lui a dit non, non, je ne veux pas, et elle a essayé de le repousser, et il… il lui dit… je me souviens qu’elle a dit qu’il lui avait dit, chut, c’est bon, ça va aller, tu vas aimer ça, et hum, elle lui a dit non, lâche‑moi, et il continuait de lui dire, non, chut, tais‑toi, c’est bon, ça va aller, et c’est là qu’elle a dit… je crois qu’elle a dit qu’elle lui a donné un coup de pied et qu’il… il est tombé du lit, ou il s’est écrasé contre le mur, et c’est là qu’elle s’est levée et qu’elle est sortie de la chambre en courant. »

Aussi : [Traduction] « Elle a dit qu’elle avait jeté ses vêtements, hum, plus tard, le lendemain ou en rentrant chez elle. […] [T]out ce que je sais, c’est qu’elle s’est débarrassée de ses vêtements quelques jours plus tard. »

Aussi : [Traduction] « Je pense être certain à 80 % de cette partie, genre, je me souviens qu’elle a dit qu’elle était en train de regarder la vidéo, qu’il était agressif, qu’il pressait son corps contre le sien, qu’il a glissé sa main dans son pantalon et a enlevé son pantalon – lui a enlevé son pantalon à elle avant qu’elle puisse réagir, et, hum, elle n’était pas vraiment consciente – elle a dit que tout s’est passé très vite, et elle ne s’en est rendu compte que… il lui avait enlevé son pantalon si rapidement. Hum, je me souviens qu’elle m’a dit qu’elle pensait que sa perception de la vitesse à laquelle les choses se sont passées pouvait être un peu différente, parce qu’elle a dit qu’elle avait bu deux ou trois verres de vin, donc elle n’est pas très sûre de la vitesse à laquelle les choses se sont passées, en termes de la vitesse à laquelle elle a traité l’information, alors… je me souviens, par exemple, qu’elle a dit qu’elle – et c’est en partie la raison pour laquelle elle a dit que cela la gênait et qu’elle ne voulait pas en parler, parce qu’elle ne voulait pas être étiquetée – heu, elle ne voulait pas que les gens disent qu’elle était… qu’elle était ivre ou, genre, qu’elle avait tout inventé, ou que les gens ne la croient pas, alors qu’elle devait passer à travers tout ce processus […]. »

Aussi : [Traduction] « […] [E]lle m’en a raconté des bouts la première fois, pendant la conversation où elle m’a dit ce qui était arrivé, et ensuite – chaque fois que nous en avons parlé ensuite, elle a donné de plus en plus de détails, comme elle m’a parlé de la vidéo et du fait qu’il lui a enlevé son pantalon et des trucs comme ça, et le fait qu’elle l’a repoussé, mais la fois suivante, c’était quand – heu, elle a donné un peu plus de détails, comme, heu, le fait que la porte était fermée ou qu’il était en train de la fermer, et qu’il était en train de l’embrasser et de presser son corps contre le sien, et c’est peut‑être pendant notre troisième conversation à ce sujet qu’elle a dit, heu, qu’elle a dit, genre, qu’il lui a dit le truc de, chut, c’est bon, ça va aller, tais‑toi. Hum, alors… je ne me souviens pas précisément quand il… quand chaque chose s’est passée et quand elle m’a raconté quoi. »

9 août 2017 – Gendarme L. B.

La plaignante a communiqué avec lui environ 10 jours avant cette entrevue pour l’aviser qu’un enquêteur pourrait communiquer avec lui. Aucune information concernant une quelconque agression sexuelle. Indique qu’il a observé la plaignante boire deux verres de vin au bar‑salon, qu’elle se portait bien, qu’elle n’était [traduction] « pas du tout intoxiquée ».

21 août 2017 – Gendarme D. M.

La plaignante était en train de boire un verre de vin et avait un deuxième verre à la main au moment où la gend. [D. M.] a quitté le bar‑salon, au plus tard à 21 h 30. Elle n’a pas voulu affirmer que la plaignante était en état d’ébriété, mais c’était il y a plus d’un an, elle ne peut pas en être certaine, mais le verre bu par la plaignante n’était pas énorme. Elle est partie avant que la plaignante finisse son deuxième verre. Elle et la plaignante communiquent toujours en ligne, mais elles n’ont pas discuté de ce qui s’est passé au CFRP. À son avis, la plaignante était absolument maîtresse d’elle‑même et était lucide pendant qu’elle était au bar‑salon.

21 août 2017 – Mme M. H.

Mme [M. H.] commence l’entrevue en déclarant qu’elle a une très mauvaise mémoire et que son pire cauchemar est de devoir donner un témoignage, parce qu’elle ne se souvient jamais de rien.

Elle se souvient avoir reçu un appel téléphonique de la plaignante, ajoutant qu’elle a l’impression [traduction] « que c’était il y a un an, mais cela aurait pu être n’importe quand, en fait ». Elle ajoute : « Je pense que c’était en avril ou dans ce bout‑là, peut-être en mars, c’était entre février et février – avant juin, je suppose, si je me fie à l’endroit où je vivais à l’époque. J’ai l’impression que c’était à peu près à cette période, mais je n’en mettrais pas ma main au feu ».

Quant à savoir si l’appel téléphonique est survenu peu de temps après l’interaction entre la plaignante et le MV, Mme [M. H.] se souvient de ce qui suit : [traduction] « […] elle m’a appelée, bouleversée, et elle a décrit – c’était un cours ou une quelconque activité à laquelle elle participait – c’était en lien avec la GRC, hum, ou une sorte de formation. »

Mme [M. H.] se souvient que la plaignante a accompagné le MV dans la chambre de ce dernier, puis : [traduction] « […] une fois à l’intérieur, les choses se sont passées assez vite, et il s’est mis à l’embrasser, mais elle n’était pas d’accord, et je pense qu’elle le lui a dit, mais je ne sais pas si cette phrase était claire, elle a absolument dit quelque chose du genre “qu’est‑ce que tu fais, je ne m’attendais pas à ça du tout”. Hum, heu, et il était en train de l’embrasser et, genre, de lui faire des trucs (inaudible), il l’embrassait et la touchait. […] Hum, puis heu – puis il a eu une relation sexuelle avec elle, et elle n’a pas du tout consenti, mais c’était comme si elle était ivre et c’était confus, et elle ne savait pas comment, heu, comment gérer la situation, tout se passait trop vite et c’était bizarre, et elle n’était pas totalement inconsciente – elle était consciente, mais pas – c’est juste que tout s’est passé trop vite et c’était très bizarre, genre. […] [Q]uand nous – nous en avons parlé, et elle était vraiment bouleversée, c’était très clair que, genre, elle n’avait pas consenti, et le seul terme que je peux utiliser, c’est un viol, de toute évidence, il l’a violée. »

Pour en revenir au moment de l’appel, elle déclare : [traduction] « […] je crois qu’elle m’a appelée le lendemain matin ou quelque chose comme ça. »

Quant à savoir si la plaignante a vraiment utilisé le mot « viol » pendant l’appel, elle déclare : [traduction] « Je pense qu’elle a utilisé le mot, heu, mais je ne pense pas qu’elle était à l’aise, heu, je pense qu’elle disait surtout des trucs du genre “je ne ferais pas ça, je ne voulais pas coucher avec lui”, elle disait surtout “je ne voulais pas coucher avec lui”, ce genre de trucs. J’ai du mal… c’est difficile pour moi de l’expliquer, genre – elle décrivait les choses comme elles s’étaient passées sur le moment, donc – mais tout s’est passé assez vite. Hum, je ne pense pas qu’elle ait dit qu’il l’avait violée, je pense qu’elle a dit… je ne sais pas, je, je… je ne sais pas si… si elle a utilisé ce mot exact. »

En ce qui concerne ce que la plaignante a pu dire au MV, et ce qu’il a répondu, elle déclare : [traduction] « […] Je pense qu’elle a vraiment dit, qu’elle a essayé de dire quelque chose du genre “je ne veux pas” ou “non”, et qu’il a dit, genre, “awaye donc” ou quelque chose – quelque chose du genre “awaye, laisse‑toi faire”, et je pense que tout ce qui s’est passé, c’était plus qu’elle ne savait pas quoi faire. »

22 août 2017 – Gendarme D. F.

Au cours de l’été 2016, ou peu de temps après, la plaignante lui a raconté qu’elle avait pris un verre avec un membre au CFRP et avait ensuite revu cette personne au Détachement de la GRC de Surrey. Elle a en quelque sorte fait allusion au fait qu’elle ne voulait pas vraiment qu’il entre dans sa chambre et a fait allusion à un acte sexuel auquel elle n’avait pas consenti. Il se souvient que cela s’était passé dans la chambre de la plaignante, mais il n’est pas du tout sûr.

Il n’en a plus jamais entendu parler jusqu’à il y a environ deux mois, un mois et demi. La plaignante lui a dit qu’un autre agent à qui elle s’était confiée avait signalé l’incident et qu’une enquête aurait lieu.

Il lui a probablement parlé de la possibilité de divulgation, si elle le voulait, mais ce n’est pas ce qu’elle voulait faire à ce moment.

Elle faisait allusion à un acte sexuel non consensuel.

23 août 2017 – Gendarme L. S.

Vers avril 2017, la plaignante s’est mise à prendre beaucoup de jours de congé, disant qu’elle n’allait pas très bien et qu’elle ne pouvait pas travailler. Il l’a rencontrée au détachement et lui a demandé comment elle se portait. Elle s’est mise à pleurer, alors ils sont allés dans une beignerie à proximité. Elle lui a dit qu’elle voulait lui dire quelque chose, mais qu’elle ne voulait pas qu’il en parle à quelqu’un d’autre. Le gend. [L. S.] a dit d’accord. Elle a raconté qu’elle avait suivi le cours du CRFP, qu’elle avait bu deux verres de vin, que ses amis l’avaient laissée seule et qu’elle s’était mise à jaser avec deux types qu’elle ne connaissait pas du Détachement de la GRC de Surrey, car c’est là qu’elle s’en allait. Un des types lui a dit de l’accompagner dans sa chambre, qu’il voulait lui montrer une vidéo sur Surrey. Elle a regardé la vidéo avec lui, pas trop emballée, et elle s’est dit qu’elle allait s’en aller, mais il lui a dit qu’il aimait les câlins et qu’il voulait lui faire des câlins avec qu’elle s’en aille.

Elle a dit qu’ils étaient sur le lit et qu’il était en train de la câliner, et qu’ensuite, il l’avait agressée. Il a mis sa main sous son chandail ou dans son pantalon ou quelque chose comme ça. Le gend. [L. S.] lui a demandé s’il avait enlevé ses sous-vêtements ou un truc du genre, elle a répondu que non, qu’il l’avait violée par voie vaginale.

La plaignante a dit qu’elle ne voulait pas se manifester, car il est très connu au Détachement de la GRC de Surrey, il porte toutes ces médailles sur son uniforme, tout le monde l’aime bien, il a beaucoup d’amis, et elle avait peur des noms dont on allait la traiter.

Il l’a ramenée au détachement, elle a terminé son quart, et il n’en a plus vraiment entendu parler. Il a continué de lui demander comment elle se portait et elle lui a confié qu’elle consultait un psychologue, qu’elle en avait discuté un peu avec lui, et qu’elle allait mieux.

Puis plus tard, à un moment que le gend. [L. S.] ne précise pas, il a eu une autre conversation avec la plaignante. Elle a mentionné ses rapports acrimonieux avec le gend. [T. S.], expliquant qu’elle était lasse de ses efforts en vue d’avoir une relation avec elle et qu’elle l’avait rejeté. Il lui a répondu qu’il avait entendu des rumeurs selon lesquelles la plaignante n’était pas le premier choix pour le poste qu’elle avait obtenu dans la section antidrogue. Elle a indiqué au gend. [L. S.] qu’elle allait désormais travailler avec le membre qui l’avait agressée au CFRP, dont l’identité lui était encore inconnue, car le MV avait déjà été muté à la section antidrogue. En sachant cette information, il lui a demandé s’il s’agissait du MV, en le nommant par son nom, et elle a répondu par l’affirmative. Il lui a dit qu’elle devait divulguer l’incident et elle a répondu qu’elle n’était toujours pas prête à le faire.

Une semaine après cette conversation, la plaignante lui a envoyé un message texte et a demandé à le rencontrer. Le gend. [T. S.] avait parlé de la situation à son s.é.‑m., et elle a été convoquée au bureau de son inspecteur. Elle lui a tout raconté sur son viol au CFRP.

23 août 2017 – Gendarme L. K.

Elle a rencontré la plaignante pour la première fois en novembre 2016, au Détachement de la GRC de Surrey. Au cours du projet [XXX] mené par la section [XXX], peut-être en décembre 2016, la plaignante lui a demandé si elle connaissait le MV, en le nommant par son nom. La plaignante lui a dit qu’elle et le MV avaient été au CFRP, et qu’il avait voulu lui montrer une vidéo et qu’elle avait voulu regarder cette vidéo. La gend. [L. K.] ne se souvient pas s’ils étaient dans la chambre de la plaignante ou dans la chambre du MV au CFRP. Il y a eu un acte sexuel auquel la plaignante n’a pas consenti, et elle en était bouleversée.

28 août 2017 – lettre de Jeff Morley, Ph. D. – psychologue agréé

Il a adressé une lettre au SPA, datée du 28 août 2017, dont voici le texte intégral :

[Traduction] « La présente déclaration a pour objet de confirmer que [la plaignante] s’est présentée à mon bureau le 8 juin 2017, pour une consultation concernant son agression sexuelle par un membre de la GRC, survenue au CFRP au mois de mars 2016. Elle voulait consulter mes services, car elle occupe maintenant un poste où elle serait appelée à travailler étroitement avec le membre qui l’a agressée sexuellement.

En parlant de son agression sexuelle, les émotions et le comportement qu’elle a affichés correspondaient à ceux d’une personne ayant subi une agression traumatique.

Pour des motifs personnels, elle a choisi de ne pas signaler l’agression à ce moment, ce qui n’est pas rare dans le cas des personnes qui ont subi une agression sexuelle.

[La plaignante] a assisté à six autres séances de counseling pour faire face aux conséquences du signalement de l’incident à la GRC. »

30 août 2017 – Gendarme E. T.

Peut-être quelques mois avant cette entrevue, il y a au moins deux ou trois mois, elle a eu une conversation avec la plaignante au sujet d’un cours à Chilliwack (c’est-à-dire au CFRP), durant lequel elle avait consommé du vin avec les gens de son groupe, puis ceux‑ci étaient partis et elle s’était mise à jaser avec d’autres gars, dont l’un voulait lui montrer une vidéo. Ce dernier a fini par ouvrir la porte de sa chambre et, même si elle se méfiait, elle a fini par y entrer. La plaignante ne lui a donné aucun détail sur ce qui s’est passé, à part qu’elle était sur son lit. La plaignante pleurait, alors la gend. [E. T.] ne voulait pas vraiment insister, donc elle ne sait pas exactement ce qui s’est passé, mais la plaignante a dit qu’il était sur elle ou quelque chose comme ça. Elle n’en sait pas plus. Elle a supposé que la personne mentionnée par la plaignante travaillait au Détachement de la GRC de Surrey, car elle a dit qu’elle continuait de le croiser. La plaignante était vraiment bouleversée et la gend. [E. T.] a supposé qu’il s’agissait d’une agression sexuelle, mais la plaignante n’a jamais prononcé ces mots.

30 août 2017 – Gendarme C. W.

Il ignorait qu’il y avait quoi que ce soit concernant le MV et la plaignante avant que l’allégation ne soit faite. Il a interrogé le MV à ce propos, qui a déclaré que lui et la plaignante avaient eu des relations sexuelles consensuelles il y a quelques années. Il a dit que la relation était complètement consensuelle. Il a demandé au MV si c’était un coup d’un soir ou s’ils avaient eu une relation ensuite, et le MV a répondu que c’était un coup d’un soir. Il a dit qu’ils n’avaient eu aucune relation par la suite.

Cette conversation avec le MV a eu lieu au début du mois d’août 2017, le jour où le MV a été informé de l’allégation. Le MV était bouleversé, comme on peut l’imaginer, et ne savait pas trop ce qui se passait. Il a interrogé le MV, qui lui a répondu qu’il ne l’avait pas agressée, qu’il ignorait d’où venait cette allégation. Il a demandé au MV s’il savait qui elle était, et il a dit qu’ils avaient eu un coup d’un soir au CFRP il y a longtemps, et que la relation avait été complètement consensuelle, et qu’il ne savait pas ce qui se passait.

10 octobre 2017 – Caporal A. E.

Il a informé l’enquêteur qu’il avait reçu un appel téléphonique du MV il y a environ quatre ou cinq jours. Le MV s’est contenté de dire qu’il était visé par une enquête. Le MV n’a divulgué aucun détail, mais a mentionné une nuit, il y a environ un an, au CFRP, au pub local. Il ne se souvient pas avoir quitté le pub ce soir‑là, ni avec qui il est parti. Il est peut-être parti avec le MV, mais il ne s’en souvient pas. Il ne se souvient pas d’avoir marché avec le MV et une autre personne. Il ne se souvient d’aucune conversation avec une femme de Prince George. Il suit six ou sept cours par année au CFRP, alors il ne s’en souvient vraiment pas.

19 octobre 2017 – Gendarme J. B.

Elle se souvient d’avoir été au pub le soir du spécial des ailes de poulet en compagnie du MV et d’un autre membre de Richmond.

19 octobre 2017 – B. P. P.

Selon le MV, [B. P. P.] est la personne que la plaignante devait rencontrer le lendemain de l’infraction présumée. [B. P. P.] a confirmé qu’il avait dîné avec [la plaignante] dans un restaurant de sushi le 3 mars 2017. Il s’agissait d’une rencontre sociale, et [B. P. P.] ne se souvient pas précisément de ce dont ils ont parlé, mais selon son souvenir, la plaignante n’agissait pas différemment. [B. P. P.] ne se souvient pas non plus d’avoir observé quelque chose d’inhabituel ou d’avoir remarqué que la plaignante était en détresse ou en danger pendant le dîner. [B. P. P.] a déclaré qu’il pensait que la conversation avait porté sur ses problèmes de garde d’enfants et que la plaignante n’avait rien révélé sur l’incident. Ils se sont rencontrés de [13 h 10] à [14 h 10].

[Traduit tel que reproduit dans la version anglaise]

  • [57] Tel qu’il est mentionné brièvement ci‑dessus, dans la lettre datée du 17 octobre 2017, l’avocat privé du MV a soumis un compte rendu de quatre pages qui, selon celui‑ci, présente « les témoignages prévus au procès [du MV] s’il était accusé d’une infraction » (la lettre de Klein). En pièce jointe (indiquée comme pièce no 2 du RAD pour le contre-interrogatoire du MV durant l’audience disciplinaire), l’avocat du MV a fourni un imprimé d’un échange de messages textes entre le MV et le caporal A. E., qui a commencé à peu près au moment où le MV, la plaignante et le caporal A. E. ont quitté le bar‑salon du CFRP pour retourner dans leur chambre, le 2 mars 2016 :

[2 mars 2016]

[Traduction]

[MV :] Si j’arrive à la convaincre de regarder ce film… 22:55
Tu peux la regarder une autre fois.

[Caporal A. E. :] Aahh k. 23:06

[Caporal A. E. :] J’espère que ça va marcher pour toi. 23:12

[3 mars 2016]

[MV :] Et 67. Mais oui. 10:00

  • [58] Il s’agit du compte rendu joint à la lettre de Klein, datée du 17 octobre 2017, version des faits à laquelle le MV a personnellement souscrit le 30 août 2018, sous réserve d’une correction. Au lieu de la boucle de la ceinture, le RM a indiqué que le MV et la plaignante avaient eu de la difficulté à défaire le nœud du cordon qui servait de ceinture et qui serrait le jean de la plaignante.

  • [59] Le dernier paragraphe de la pièce no 2 du RAD explique qu’en réponse au message texte du caporal A. E., le MV a confirmé qu’il avait bien eu des relations sexuelles avec la plaignante, mais a indiqué, au moyen d’un code couramment utilisé par la police (67), qu’il ne fallait pas en parler.

  • [60] Le SPA a enregistré sur vidéo une deuxième déclaration de la plaignante le 15 novembre 2017. Des enregistrements audio et des transcriptions dactylographiées des deux déclarations de la plaignante ont également été déposés auprès du Comité de déontologie parmi les documents d’enquête.

  • [61] Dans des observations écrites datées du 5 mars 2018, avec pièces jointes, le MV a remis à l’enquêteur interne de la GRC des documents qui, selon lui, ont été obtenus dans des sources ouvertes, y compris des documents du greffe du tribunal en ligne. Dans ces observations, le MV allègue que la plaignante était [traduction] « très endettée et que sa fausse allégation était motivée par la possibilité d’un gain financier grâce au règlement Merlo-Davidson ». Il y nie à nouveau toute inconduite de sa part et décrit les conséquences de l’affaire en cours sur sa vie personnelle.

  • [62] Une note d’information datée du 19 mars 2018 indique en partie ce qui suit : [traduction] « Le procureur de la Couronne a informé [le SPA] qu’il n’approuvait pas les accusations criminelles. » Bien que la procédure soit inappropriée, le RM a indiqué dans ses observations orales du 8 novembre 2018 que le MV avait reçu une lettre [traduction] « la veille ou dans les derniers jours » l’informant que la Couronne avait déterminé que l’affaire ne répondait pas à sa norme concernant le dépôt des accusations et qu’aucune accusation d’agression sexuelle ne serait déposée.

  • [63] Pour être clair, à mon avis, le fait qu’aucune accusation criminelle n’ait été portée contre le MV n’est pas disculpatoire en soi au regard de l’allégation d’inconduite portée en vertu du code de déontologie de la GRC. De même, une accusation criminelle en instance mérite de se voir attribuer la même valeur probante inexistante en ce qui a trait à l’établissement d’une allégation d’inconduite parallèle. Comme l’a déclaré succinctement la Cour fédérale du Canada dans l’affaire Thuraisingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 607, au paragraphe 35, « […] Le fait qu’une personne a été accusée d’une infraction ne prouve rien : il s’agit seulement d’une allégation ».

  • [64] L’interrogatoire principal de la plaignante par le RAD s’est terminé à 10 h 50 le 6 novembre 2018.

  • [65] Au cours de son interrogatoire principal, la plaignante a présenté les renseignements suivants :

Compte rendu de la plaignante

  • La date d’obtention de son diplôme, en 2012, de l’École de la GRC, Division Dépôt, ses affectations ultérieures à la Division « E », les cours qu’elle avait suivis précédemment au CRFP, la disposition générale des locaux et des salles de classe au CRFP, l’emplacement et la disposition du bar‑salon Johnny Mac;

  • Son compte rendu des événements de la nuit du 2 mars 2016 : sa présence au bar‑salon en compagnie d’amis, sa conversation avec le MV au bar‑salon, son interaction avec le MV et l’éclairage avant d’entrer dans sa chambre, les interactions qui ont eu lieu dans la chambre du MV – en s’appuyant, en partie, sur les photos de la chambre contenues dans la pièce no 1 du RAD (rapport d’enquête, Annexe L, pages 189 à 207) pour décrire les endroits dans la chambre où elle et le MV se trouvaient pendant le visionnement de la vidéo de poursuite et l’agression sexuelle présumée – et le moment où elle est retournée dans sa chambre dans un autre édifice du CFRP;

  • Une description du jean (qui ne nécessitait aucune ceinture et pouvait être facilement retiré même attaché) et des autres vêtements qu’elle portait cette nuit‑là;

  • Une description de la cause, de l’emplacement et de l’apparence de sa cicatrice abdominale;

  • Ses sentiments de dégoût et l’envie qu’elle a eue de jeter ses vêtements (ce qu’elle n’a pas fait; elle a témoigné qu’elle avait apporté le jean en question à l’audience);

  • Les nombreux facteurs ayant contribué à sa réticence à signaler l’agression sexuelle, sa révélation à une amie, M. H., y compris la discussion qu’elle a eue avec elle au sujet d’un examen médical étant donné que le MV n’avait pas utilisé un condom, et ses révélations au gend. T. S., qui n’était pas censé en parler à qui que ce soit;

  • Ses efforts pour paraître « normale » pendant le dîner prévu le lendemain avec B. P. P.;

  • Ses contacts très limités, mais bouleversants avec le MV au travail après la nuit en question;

  • Les circonstances sous‑jacentes et la nature de la divulgation qu’elle a fini par faire à l’insp. Baher;

· Les problèmes personnels qu’elle a vécus par suite de l’agression sexuelle, notamment sa difficulté à passer la nuit au CFRP pendant les formations ultérieures, l’incapacité d’atteindre l’orgasme par manque de confiance, et ses consultations auprès d’un conseiller et de deux psychologues.

  • [66] Le témoignage de la plaignante comprenait évidemment son compte rendu de l’agression sexuelle, décrite à la précision no 4. Elle a décrit le dialogue et les actions qui ont eu lieu après le visionnement de la vidéo de poursuite. À la fin de la vidéo, [traduction] « par politesse », elle a complimenté la vidéo du MV ([traduction] « c’était vraiment cool » ou « c’était cool, ta vidéo »), a dit que cela lui avait fait plaisir de rencontrer le MV et qu’ils se croiseraient peut-être au Détachement de la GRC de Surrey.

  • [67] À ce moment, elle se souvient que le MV, qui était allongé sur le côté gauche du lit, les bras derrière la tête, a dit qu’il était quelqu’un qui [traduction] « aimait bien faire des câlins ». Il a alors tapé de la main l’espace libre sur le matelas à sa gauche et l’a invitée à s’asseoir à côté de lui : [traduction] « Je me suis dit que peut-être si je m’asseyais une seconde, on en aurait fini. Je vais m’asseoir. On va parler une minute et je m’en irai ». Elle ne s’est pas allongée à côté du MV, mais s’est assise, le dos droit, de l’autre côté du lit.

  • [68] Presque aussitôt, elle a senti que c’était une mauvaise idée de s’asseoir sur le lit, que cela lui donnerait une fausse impression. Elle s’est donc levée et a dit : [traduction] « Je dois vraiment y aller. » Elle se tenait face à la porte, entre le bord droit du lit et le bureau. Le MV est venu se placer du même côté du lit, entre la plaignante et la porte. Elle a dit : [traduction] « Ouais, je dois y aller. » Le MV a répondu : [traduction] « Attends. Je peux avoir un câlin avant que tu partes? » La plaignante a témoigné qu’elle [traduction] « commençait à en avoir marre » et, frustrée, elle s’est [traduction] « approchée de lui pour lui faire un câlin ».

  • [69] La plaignante a décrit l’étreinte comme un moment [traduction] « tendu » et « gênant » pour elle. Selon elle, le MV la tenait [traduction] « beaucoup trop serrée », « plus fort qu’une étreinte normale qu’on donne à quelqu’un qu’on vient de rencontrer », et l’étreinte « durait trop longtemps ».

  • [70] Elle a ensuite expliqué que le MV a commencé à lui peloter les fesses et à la toucher entre les cuisses, et elle a tenté d’éloigner ses mains avec les siennes. Elle a dit : [traduction] « Attends, arrête, là. » Le MV l’a alors retournée, pour qu’elle soit face au matelas, et elle a [traduction] « senti un truc » entre ses jambes, qu’elle a pris pour sa main. Elle pensait qu’il essayait de pénétrer son vagin avec ses doigts. Quand elle a voulu repousser sa main avec la sienne, elle s’est rendu compte que ce n’était pas sa main entre ses jambes, mais plutôt le pénis en érection du MV.

  • [71] Elle a déclaré avoir dit : [traduction] « Arrête. Faut que t’arrêtes. » Et le MV a répondu : [traduction] « Chut, je veux le sentir juste une fois. » Le MV l’a alors poussée vers le matelas et elle a senti son pénis la pénétrer. Elle a dit : [traduction] « Arrête. Arrête. Je veux pas. » Et le MV a répondu : [traduction] « C’est tellement bon. » Et elle lui a dit d’arrêter une fois de plus. Elle se souvient avoir pensé que le MV ne portait pas un condom et lui avoir dit [traduction] « t’as pas mis de capote » et « lâche-moi ». Le MV a donné un autre coup. Plus tard, durant son interrogatoire principal, elle a affirmé être presque sûre d’avoir dit au MV : [traduction] « Arrête… t’as pas mis de capote. Lâche-moi. »

  • [72] À ce stade, la plaignante était soit dos au MV, qui la retenait par les hanches, soit poussée sur le matelas. Elle a pu se tourner et a réussi à changer de position. Elle ne sait pas trop comment elle est arrivée à changer de position, mais elle a réussi à repousser le MV et s’est enfuie en courant.

  • [73] La plaignante a ensuite ajouté : [traduction] « Pour être claire, quand il m’a retournée, il a tiré sur mon jean pour l’enlever, et c’est comme ça que ça s’est passé. » Elle se souvient qu’il a donné trois coups très rapidement : [traduction] « Quelques secondes. C’était assez pour me pénétrer et sortir de moi. » Elle a indiqué qu’elle a remonté son pantalon pendant qu’elle sortait en courant.

  • [74] Un peu plus tard durant son interrogatoire principal, la plaignante a indiqué qu’il était difficile de dire combien de temps cela avait pris, mais qu’entre le moment où le MV l’a retournée pour la première fois et celui où elle a quitté sa chambre, cela a pris [traduction] « une minute, peut-être deux », mais qu’il était [traduction] « difficile de percevoir le temps qui passe dans une telle situation ».

  • [75] Le RAD a interrogé la plaignante, plus ou moins directement, sur certains points soulevés dans la lettre de Klein et sur la correction apportée par le MV le 30 août 2018, notamment :

[Traduction]

- Que portait-elle?

- A-t-elle enlevé son chandail?

- Elle et [le MV] ont‑ils discuté de ce qui allait se passer en termes d’actes sexuels?

- […] Le MV a dit que c’était si bon, ou quelque chose de ce genre, a-t-il dit autre chose pendant l’acte?

- Y a-t-il eu une discussion au sujet de la fellation?

- Y a-t-il eu une discussion concernant le fait que la plaignante avait du plaisir?

- A-t-elle fait une fellation au MV?

  • [76] À 12 h 25, le 6 novembre 2018, le RM a annoncé qu’il avait terminé son contre‑interrogatoire.

  • [77] Après avoir demandé à la plaignante de sortir de la salle d’audience, le Comité de déontologie a relevé un problème découlant du principe énoncé par la Chambre des lords britanniques dans Browne c. Dunn, (1893), 6 R. 67 [Browne c. Dunn]. Bien que le compte rendu de la plaignante exclut essentiellement la version des événements contenue dans la lettre de Klein à laquelle le MV a souscrit, et bien que certains éléments du compte rendu du MV ont été abordés pendant le contre-interrogatoire de la plaignante, le compte rendu intégral du MV ne lui avait pas été présenté, de manière détaillée et concrète, pendant le contre-interrogatoire de celle‑ci.

  • [78] Le caractère approprié de ce qui pourrait sembler être une confrontation inutile pendant le contre‑interrogatoire a été confirmé dans l’affaire R. c. Podolski, 2018 BCCA 96, au paragraphe 174, où les besoins de l’enquêteur ont également été dûment pris en compte.

  • [79] Le Comité de déontologie a proposé des recours possibles pour remédier aux lacunes du contre‑interrogatoire mené par le RM, dont l’un était de rappeler la plaignante à la barre après le témoignage du MV. Toutefois, le Comité de déontologie voulait que la plaignante termine son témoignage le 6 novembre 2018, afin d’éviter qu’elle ne soit rappelée à la barre pour témoigner plus tard au cours de l’audience.

  • [80] Le Comité de déontologie a demandé au RM s’il y avait d’autres précisions qu’il voulait porter à l’attention de la plaignante concernant la version des faits du MV. Avant qu’il ne puisse répondre, le RAD a fait savoir qu’il ne verrait pas de problème à ce que le RM effectue un interrogatoire plus approfondi de la plaignante, pour lui présenter les particularités du compte rendu du MV, si le RM souhaitait procéder ainsi.

  • [81] Le RM et le Comité de déontologie ont ensuite eu la discussion suivante (voir la transcription du 6 novembre 2018, à la page 141) :

Règle établie dans Browne c. Dunn

[Traduction]

RM : Oui. Et j’ai mon mot à dire, certainement, et je peux le dire avec [une prépondérance de, je ne sais pas] prudence, parce que j’ai posé les principales questions. À savoir, a-t-elle eu des rapports sexuels consensuels, oui ou non, et elle dit non. C’est ça, la conduite déshonorante qui est en cause. Mais si vous voulez y aller dans le détail et que je lui pose des questions sur tous les détails précis dans la déclaration assez courte [du MV] – je crois qu’elle ne fait que quatre ou cinq pages –, je pense que la meilleure chose à faire est de poser des questions au témoin ligne par ligne, sur tous les points litigieux, ce qui d’après moi durera environ 15 minutes.

COMITÉ DE DÉONTOLOGIE : Eh bien, je pense que c’est prudent. […]

  • [82] Le RM, s’appuyant sur la lettre de Klein (et les correctifs apportés le 30 août 2018) pour formuler ses questions, a ensuite procédé à un contre‑interrogatoire de la plaignante. La plaignante a nié les allégations suivantes présentées par le RM :

  • Ils étaient allongés sur le lit pour regarder la vidéo de la poursuite.

  • Elle et le MV auraient eu une longue conversation agréable après avoir regardé la vidéo.

  • Dans la chambre, ils auraient discuté de sa mutation au Détachement de la GRC de Surrey et du type de dossiers dont ce détachement s’occupe (selon la plaignante, cette conversation n’a eu lieu qu’au bar‑salon).

  • Le MV aurait demandé à la plaignante si elle comptait retourner à sa chambre d’hôtel ou si elle voulait passer la nuit avec lui.

  • La plaignante aurait répondu : [traduction] « Ça dépend. Es‑tu discret? »

  • La plaignante aurait ajouté : [traduction] « Moi, je suis très discrète. Es‑tu le genre de gars à dire à tous tes amis qu’on a couché ensemble si je reste ou vas‑tu être discret et garder ça pour toi? »

  • Le MV aurait répondu qu’il n’avait pas l’habitude de parler de sa vie privée ou de celles des autres et qu’il ne dirait à personne qu’ils avaient couché ensemble.

  • Elle aurait embrassé le MV, ou ils se seraient embrassés, ou ils se seraient enlacés pendant quelques minutes, ou le MV aurait touché ses seins par‑dessus ses vêtements, ou le MV aurait embrassé son ventre et son jean, ou elle aurait dit au MV qu’elle avait du plaisir, ou, allongée sur le lit avec le MV, elle aurait essayé d’enlever sa ceinture ou [traduction] « un truc comme un cordon en dentelle qui serrait son pantalon ».

  • Elle portait un accessoire quelconque pour serrer son pantalon (car, selon la plaignante, son pantalon n’avait pas besoin d’être serré).

  • Elle aurait essayé d’enlever sa ceinture ou son pantalon et, n’y arrivant pas, aurait demandé au MV de l’aider.

  • En ce qui concerne la difficulté à enlever son pantalon, elle aurait ri et dit que c’était peut‑être [traduction] « un signe ».

  • Il y aurait eu des rires.

  • Lorsque [traduction] « la ceinture ou le cordon – la ceinture, le truc s’est défait », elle aurait mis ses mains de chaque côté de sa tête et aurait souri lorsque le MV lui a enlevé son jean.

  • Elle aurait enlevé son chandail.

  • Après s’être embrassés et enlacés pendant quelques minutes, elle et le MV se seraient déshabillés et auraient commencé à avoir des relations sexuelles.

  • Après moins d’une minute en position du missionnaire, le MV se serait mis en position derrière elle. (Réponse intégrale de la plaignante sur ce point : [traduction] « Non, la seule fois où il s’est mis derrière moi, c’est quand il m’a retournée sur le lit, a tiré sur mon pantalon pour le baisser et m’a pénétrée pendant que je lui disais d’arrêter. C’est la seule fois où il était derrière moi. »)

  • Deux ou trois minutes plus tard, le MV aurait commencé à avoir mal au dos et aurait demandé à la plaignante si elle acceptait de faire des fellations.

  • Elle aurait répondu par l’affirmative et aurait demandé au MV s’il voulait une [traduction] « pipe ».

  • Le MV aurait répondu par l’affirmative, la plaignante se serait approchée de son pénis et aurait commencé à lui faire une fellation.

  • Après environ deux minutes, elle aurait demandé au MV s’il voulait qu’elle le [traduction] « fasse venir » avec une [traduction] « pipe ».

  • Le MV aurait répondu [traduction] « oh, oui », et la plaignante aurait ri et aurait continué la fellation.

  • Pendant la fellation, le MV lui aurait dit à maintes reprises à quel point elle était douée et à quel point il avait du plaisir. (Réponse intégrale de la plaignante sur ce point : « Non. Il a dit “c’est tellement bon”, quand je lui ai dit d’arrêter la première fois et qu’il a donné un autre coup. C’est pendant la pénétration que – après m’avoir retournée sur le lit et avoir baissé mon pantalon, c’est à ce moment qu’il a dit cela. »)

  • Elle aurait dit au MV qu’il était bon pour montrer sa gratitude.

  • Le MV lui aurait demandé ce qu’elle voulait dire, et elle aurait répondu qu’il savait bien lui montrer qu’il avait du plaisir.

  • Le MV lui aurait demandé si elle voulait qu’il éjacule le moment venu et elle aurait répondu qu’elle [traduction] « n’avalait pas quand elle ne connaissait pas le gars ».

  • Le MV lui aurait demandé ce qu’elle voulait faire, et elle lui aurait dit de la prévenir lorsqu’il serait sur le point d’éjaculer.

  • Environ cinq minutes plus tard, le MV lui aurait dit qu’il était sur le point d’éjaculer, elle aurait continué la fellation, il lui aurait dit deux fois de suite qu’il était sur le point d’éjaculer et il aurait éjaculé quelques secondes plus tard.

  • Elle aurait ri et aurait dit : [traduction] « Ça a passé proche. Je pense que j’en ai peut‑être reçu sur le visage ». (Réponse intégrale de la plaignante sur ce point : « C’est dégoûtant. C’est faux. Et cela n’est jamais arrivé. Et comme je l’ai dit, je n’ai ri à aucun moment pendant toute la durée de l’interaction. Il n’y a pas eu de rires. »).

  • Le MV aurait également ri et aurait demandé à la plaignante si tout allait bien et elle aurait répondu par l’affirmative.

  • Le MV aurait demandé à la plaignante si elle voulait une serviette au moment d’entrer dans la salle de bain, aurait pris une serviette pour s’essuyer le ventre et lui aurait donné une serviette.

  • Le MV aurait ensuite enfilé ses sous-vêtements et la plaignante se serait habillée lentement et ils auraient parlé de la relation sexuelle qu’ils venaient d’avoir.

  • Ils auraient aussi discuté de leurs intérêts communs et de ce qu’impliquerait une transition vers la vie dans le Lower Mainland.

  • Le MV lui aurait dit qu’il aimerait avoir de ses nouvelles après sa mutation au Détachement de la GRC de Surrey, et lui aurait demandé si elle voulait passer la nuit dans sa chambre d’hôtel.

  • À ce moment, elle aurait dit au MV qu’elle devait rencontrer B. P. P. le lendemain matin et qu’elle devait y aller. (Réponse de la plaignante : « Non, c’était dans le bar‑salon, quand j’ai dit que je m’en allais, que je devais y aller. »)

  • Le MV l’aurait raccompagnée jusqu’à la porte de sa chambre d’hôtel et ils se seraient dit au revoir.

  • Le MV lui aurait demandé si elle avait bien sa carte de visite et lui aurait dit de lui envoyer un courriel pour l’informer lorsqu’elle serait mutée ou si elle avait des questions.

· Elle voulait que sa relation sexuelle consensuelle avec le MV soit tenue secrète. (Réponse de la plaignante : « La relation sexuelle avec [le MV] n’était pas consensuelle. »)

Compte rendu du MV

  • [83] Au cours de son interrogatoire principal, le MV a présenté ce qui suit :

  • un aperçu de son éducation, de ses études secondaires, de ses études en criminologie interrompues en 2007, de son travail bénévole pour la Garde côtière, de son engagement dans l’armée en 2003 en tant que réserviste de l’infanterie à temps partiel, et de son rôle actuel de sergent commandant de section d’infanterie et de sergent commandant de peloton occasionnel;

  • les détails de ses fonctions militaires à temps plein depuis 2007, de son déploiement de neuf mois en Afghanistan à titre de caporal en 2008 dans le cadre duquel il assurait la sécurité des convois, d’un deuxième déploiement de huit mois à titre de caporal-chef chargé du commandement d’un véhicule blindé et de son équipage de 11 soldats, et des opérations de combat menées à l’aide d’engins explosifs improvisés le long de la route Hyena;

  • l’absence d’aide psychologique à son retour au Canada après son premier déploiement, ainsi qu’après son deuxième déploiement, sa décision de commencer à « prendre périodiquement des nouvelles » de tous les soldats de son unité qui ont été déployés, et une démarche volontaire qui lui a permis de suivre une formation sur le désamorçage de crise et d’aiguiller des soldats vers des services de santé mentale;

  • l’élaboration du programme « Envoyez le compte », qui vise à encourager les chefs militaires à communiquer avec leurs anciens subordonnés déployés pour vérifier leur état de santé, dans le but de réduire les actes autodestructeurs et d’autres comportements négatifs;

  • son abandon de ce programme, parce que plusieurs soldats concernés avaient été victimes d’agression sexuelle et il ne voulait pas compromettre l’intégrité du programme, étant donné la présente allégation concernant sa conduite à la GRC;

  • l’obtention d’une Mention élogieuse du commandant de l’Armée, de la Médaille du jubilé de la reine et d’une Médaille du service méritoire (MSM) de la gouverneure générale à Vancouver (peu de temps après son interaction avec le plaignant) pour ses efforts pour assurer le bien-être et la réintégration des soldats, plus particulièrement pour la mise sur pied du programme « Envoyez le compte »;

  • l’obtention de son diplôme de la Division « dépôt » de l’École de la GRC en octobre 2013 et son affectation dans une section de la sécurité routière à Fort St. John, au nord de la Colombie-Britannique, l’aide apportée à un membre proche de sa famille aux prises avec plusieurs problèmes de santé mentale lors de déplacements et de congés spéciaux pendant qu’il était dans le sud de la Colombie-Britannique, sa mutation pour raisons de famille dans le Détachement de la GRC de Surrey en juin 2014 et sa reconnaissance envers la GRC pour l’avoir si bien traité pendant son transfert;

  • sa formation poussée à la GRC en suivant des cours au CFRP, notamment le cours sur la criminalité économique, qu’il a suivi du 28 février au 4 mars 2016;

  • ses échanges, durant la soirée du 2 mars 2016, avec des amis du service de police au bar‑salon du CFRP, avant et après qu’il ne parle à la plaignante en l’espèce, sa consommation d’alcool, les sujets abordés dans sa discussion avec la plaignante, en particulier avant qu’ils ne quittent le bar‑salon à pied, la configuration du bâtiment résidentiel et l’éclairage à leur arrivée à sa chambre, ainsi que les gestes et le dialogue qui ont eu lieu une fois qu’ils se sont trouvés à l’intérieur de sa chambre;

  • les difficultés relationnelles qu’il vivait le soir du 2 mars 2016, notamment une rupture, et le fait qu’il ne pouvait pas croire qu’une « femme aussi belle » que la plaignante « le drague » et qu’elle veuille aller à sa chambre pour regarder la vidéo de la poursuite;

· l’installation de son ordinateur portable pour faire jouer le DVD contenant la vidéo de la poursuite et l’endroit où lui et la plaignante se trouvaient pendant que la vidéo jouait (transcription, 6 novembre 2018, pages 207 et 208) et après avoir rangé l’ordinateur portable.

  • [84] Le MV a ensuite décrit la conversation qu’il a eue avec la plaignante de 10 à 15 minutes environ après la fin de la vidéo. Il était étendu du côté gauche du lit, la tête et le torse en direction de la tête du lit, et la plaignante était assise du côté droit du lit, inclinée vers lui pour lui parler, lorsqu’il lui a dit : « Retournes-tu à ta chambre ce soir ou tu veux passer la nuit ici? »

  • [85] Il dit qu’il se souviendra toujours de sa réponse, car « ce n’était pas une réponse habituelle ». Il se rappelle qu’elle a répondu : « Ça dépend. Es-tu discret? » Voici ce qui s’est passé ensuite, selon le MV (transcription, 6 novembre 2018, pages 211 et 212) :

[Traduction] Je lui ai demandé : « Qu’est-ce que tu veux dire par discret? » Elle a dit : « Es-tu le genre de gars à dire à tous tes amis qu’on a couché ensemble si je reste? » Je lui ai dit que non -- je n’ai pas l’habitude de raconter les affaires des autres, alors oui, je suis discret. Elle a dit : « OK ».

  • [86] Le MV a déclaré que la plaignante s’est ensuite glissée vers la tête du lit pour venir se placer à gauche de lui et qu’ils ont commencé à s’embrasser et à s’enlacer sur le lit. Il s’est tourné et est monté sur elle et elle « a bougé ses fesses vers la gauche en même temps ». Il a expliqué qu’il a caressé ses seins par-dessus son chemisier et son soutien-gorge, puis qu’il est descendu en lui faisant des compliments sur son apparence et en lui demandant « comment elle se sentait ». Elle a répondu que « ça allait, que tout allait bien ».

  • [87] Il a expliqué que pendant qu’il « descendait », il a senti que la plaignante essayait d’atteindre « un cordon autour de son pantalon, comme une ceinture » avec ses mains. À propos de ce cordon et du retrait de son jean, il a déclaré ceci (transcription, 6 novembre 2018, pages 213 et 214) :

[Traduction] […] Ce cordon qui était -- je dirais une corde, je ne trouve pas de meilleur mot, car c’était plus gros que ce que j’appellerais un cordon, c’était comme un cordon, mais plus gros et avec un double nœud. Elle essayait de l’atteindre et quand j’ai regardé, elle essayait de défaire les deux nœuds.

Elle m’a demandé de l’aider. Elle a dit « J’ai de la misère à le défaire ». Alors j’ai commencé à essayer de le défaire. On essayait tous les deux, puis elle a ri. Elle a dit « Oh, je pense que c’est un signe. » J’ai ri et à un moment donné l’un de nous -- mais elle a dit ça en blaguant. Je n’ai pas pris ça comme une question de consentement. Elle riait de la situation et a continué à essayer de défaire le nœud.

Puis à un moment donné l’un de nous, je ne sais pas qui, a défait le nœud ou le double nœud. Mais quand -- lorsque c’est arrivé, elle s’est étendue et a posé sa tête sur le -- principalement sa tête, pas le haut de son corps, sur la tête du lit et l’oreiller, et elle a mis ses mains sur le côté, mais plus haut, et je lui ai enlevé son jean et son sous-vêtement en même temps. Puis j’ai continué à la caresser, à l’embrasser, à l’enlacer. Elle m’a enlevé ma chemise et je lui ai enlevé son haut, puis elle a débouclé ma ceinture et a baissé mon pantalon et mon sous-vêtement, puis j’ai retiré mon jean d’un coup de pied. Je pense que je portais un jean à ce moment-là. Puis nous avons commencé à coucher ensemble dans la position du missionnaire.

  • [88] Il a expliqué qu’ils ont ensuite eu un rapport sexuel vaginal dans la position du missionnaire et qu’« après environ une minute », ils ont roulé vers le côté droit du lit et la plaignante « s’est mise dans une position où il était derrière elle, en levrette ». Le coït dans cette deuxième position s’est poursuivi pendant deux ou trois minutes. Le MV a déclaré que six semaines plus tôt, il avait eu un accident à double impact avec une voiture de police et avait reçu un coup au bas du dos, et qu’il avait des problèmes de dos et de cou depuis. Environ trois minutes après le début du coït dans la deuxième position, il « commençait à avoir très mal au dos » et a demandé à la plaignante si elle pratiquait le sexe oral. Elle a répondu « Oui, veux-tu que je te fasse une pipe? », et il a répondu « Oui ».

  • [89] Le MV a ensuite expliqué que la plaignante lui a fait une fellation, pendant laquelle il lui a dit qu’il aimait cela. Elle lui a demandé, sur un ton très léger et jovial, s’il voulait qu’elle « le fasse venir », et il a répondu « oh, oui ».

  • [90] Il lui a demandé « Qu’est-ce que tu veux que je fasse quand je serai prêt à éjaculer? » Elle a dit « Je n’avale pas quand je ne connais pas le gars ». Il a dit « OK, alors qu’est-ce que tu veux que je fasse? » Elle a répondu « Tu n’as qu’à me le dire quand tu seras prêt à venir ».

  • [91] Le MV se souvient qu’après environ cinq autres minutes de sexe oral, durant lesquelles il a exprimé son appréciation, la plaignante a dit : « Tu es bon pour montrer ta gratitude ».

  • [92] Le MV a affirmé qu’il a dit à la plaignante « OK, je vais venir », et qu’elle a continué, alors il lui a répété « deux autres fois l’une après l’autre, parce qu’il savait que certaines femmes n’aiment pas ça ». Il a éjaculé et a senti son sperme sur son ventre.

  • [93] Le MV a ensuite décrit le dialogue et les actions qui ont suivi (transcription, 6 novembre 2018, pages 216 et 217) :

[Traduction] […] [E]lle a ri et a dit « Oh, ça a passé proche. Je pense que j’en ai -- j’en ai peut-être reçu sur le visage ». Alors j’ai demandé « Ça va? » Car ça peut être considéré comme une forme de -- pas de manque de respect, mais bon, plusieurs femmes n’aiment pas ça, alors je voulais être sûre qu’elle allait bien. Elle riait, alors j’ai ri et je voulais m’essuyer le ventre. J’ai dit « Veux-tu une serviette? » Je ne me souviens pas de ce qu’elle a dit, mais je lui ai apporté une serviette parce que je suis allé à la salle de bain et je suis revenu avec une serviette. Puis on s’est nettoyés et on a commencé à s’habiller tranquillement.

  • [94] Il a affirmé qu’il a remarqué « une petite cicatrice de quelques pouces juste en dessous de sa taille ». Cet élément de son témoignage est examiné de près dans les présents motifs écrits.

  • [95] Le MV a raconté les discussions qu’ils ont eues pendant qu’ils s’habillaient après le sexe oral, le ton « très léger » qui était présent toute la nuit, sa conviction que la plaignante était consentante tout au long de leur interaction, et qu’à aucun moment la plaignante n’a exprimé d’inquiétude ou de résistance. Il a nié être monté sur la plaignante de force, avoir eu tout rapport sexuel non consentant avec elle et l’avoir violée. Il a nié avoir pu mal interpréter ses intentions relativement au sexe.

  • [96] Le 2 mars 2016 était un mercredi. Le cours du MV durait jusqu’au vendredi. Le jeudi, il est allé en classe, mais il a affirmé qu’il a dû partir plus tôt pour pouvoir recevoir la MSM vendredi à Vancouver.

  • [97] Le MV a expliqué qu’il a envoyé un message à son ami, le caporal A. E., car il était présent le soir du 2 mars 2016 et il savait que le MV espérait que la plaignante aille à sa chambre pour regarder la vidéo de la poursuite avec lui, et lui a dit qu’ils avaient couché ensemble, en utilisant le code policier « 67 » pour lui demander de n’en parler à personne. En ce qui concerne l’assurance qu’il a donnée à la plaignante de sa discrétion, il a déclaré : « Je n’irai pas raconter ça à tout le monde, mais comme [le caporal A. E.] était là plus tôt ce soir-là, j’ai cru que je pouvais lui dire. »

  • [98] Le RAD ne s’y étant pas opposé, le MV a livré un témoignage détaillé concernant le statut, le 2 mars 2016 et dans les mois qui ont suivi, de sa relation incertaine avec sa copine à l’époque. Cela m’a permis de comprendre cette partie du témoignage du MV, qui visait à mettre en contexte la raison pour laquelle il n’a pas communiqué avec la plaignante de façon personnelle à la suite de leur rencontre du 2 mars 2016, ainsi que les quelques échanges en personne qu’ils ont eu au travail plus tard en 2016 et en 2017.

  • [99] Le plaignant a décrit cette copine comme étant dans une situation « changeante », et même s’ils se sont fréquentés pendant quatre mois à partir du début de 2015, en août 2015, il sentait qu’il « ne faisait pas partie de sa vie ». Elle « l’a laissé tomber », et il a « vraiment eu beaucoup de mal à accepter » qu’elle ait une relation avec un autre homme. Toutefois, en janvier 2016, elle lui a envoyé un texto pour lui dire que sa nouvelle relation ne fonctionnait pas, et qu’il avait eu raison de lui dire que cet homme, […], ne changerait pas.

  • [100] En février 2016, ils avaient recommencé à « sortir ensemble », mais le MV sentait qu’elle « vivait une déception amoureuse ». Plus tard en février 2016, il lui a dit qu’il voulait qu’ils se séparent, car il ne voulait pas qu’elle soit revenue vers lui parce qu’elle vivait une déception amoureuse, et elle a accepté.

  • [101] Lors de la cérémonie de la MSM, les organisateurs lui avaient permis d’avoir quatre invités (et de leur fournir un transport gratuit) à l’événement. Le MV a cru que cette femme se manifesterait et qu’elle voudrait assister à ce moment de sa vie, mais elle ne l’a pas fait. Il ne l’a donc pas mise sur la liste de ses invités.

  • [102] Par conséquent, lorsqu’il a couché avec la plaignante, il était toujours séparé de cette femme. Toutefois, peu de temps après la cérémonie, il a trouvé une lettre de cette femme à sa porte, dans laquelle elle disait avoir regardé la cérémonie en ligne avec fierté et qu’elle savait maintenant ce qu’elle voulait. Le MV, en colère contre lui, s’est dit « elle est partie depuis quelques semaines seulement et elle va probablement revenir, et toi tu viens de coucher avec une autre femme ». Jusqu’à ce qu’il reçoive la lettre de cette femme après la cérémonie de la MSM, il avait l’intention « d’appeler ou de parler » à la plaignante, mais sa possible réconciliation avec cette femme avait vraisemblablement compliqué ses échanges avec la plaignante. Dans le cadre de son travail, cette femme communiquait avec des membres du Détachement de la GRC de Surrey, et même si la plaignante lui avait demandé d’être discret, le MV se demandait quand il devait lui dire qu’il avait couché avec la plaignante.

  • [103] Le MV a décrit sa première rencontre avec la plaignante au travail après le 2 mars 2016, lorsque son ancien formateur de la GRC lui a présenté la plaignante, à laquelle il parlait. Ils étaient tous les trois debout, à l’extérieur de leurs voitures de police. Il a expliqué que la plaignante s’est avancée vers lui avec « un grand sourire sur le visage », lui a tendu la main et a dit « Salut, je m’appelle [prénom de la plaignante] ». Il a interprété ce geste comme une marque de discrétion de la part de la plaignante, alors ils ont « fait semblant de rien » et ont échangé au sujet de son récent transfert de [lieu de l’affectation antérieure de la plaignante]. Après cette conversation, le MV a cru qu’il pouvait attendre avant de parler de sa rencontre avec la plaignante à l’autre femme.

  • [104] Le MV a décrit une seconde rencontre avec la plaignante au travail en octobre ou en novembre 2016, lors d’une opération appelée Dialer Days, lors de laquelle des agents, dont la plaignante et le MV, se sont déguisés en personnes qui vivent dans la rue. Il s’est souvenu que la plaignante était vêtue comme une travailleuse du sexe dans la rue, et qu’ils avaient été maquillés comme s’ils avaient les yeux injectés de sang et les dents brisées ou noircies. Le MV a affirmé qu’il a brièvement parlé à la plaignante lorsque l’insp. Baher lui a demandé de lui dire que c’était à son tour de se faire maquiller.

  • [105] Le MV s’est souvenu avoir vu la plaignante une autre fois plus tard en novembre ou en décembre 2016, lorsqu’elle est venue avec l’insp. Baher pour rencontrer la gend. K. B. à son bureau dans la « zone des cubicules », située à quelques pieds seulement du bureau du MV. D’après le MV, l’insp. Baher a dit que la plaignante cherchait un mentor pour le programme d’agent d’infiltration et qu’elle voulait de l’information sur le programme. La plaignante et la gend. K. B. ont discuté du contenu du programme d’agent d’infiltration pendant 30 à 45 minutes. Le MV s’est souvenu d’une autre visite sans escorte de la plaignante, lors de laquelle elle a eu une conversation similaire avec la gend. K. B. concernant le travail d’agent d’infiltration. Le MV a affirmé que la plaignante savait qu’il était là, car les bureaux étaient séparés par un mur de quatre pieds seulement. Ils ont échangé un regard mais n’ont pas parlé. Le MV a indiqué qu’il n’avait toujours pas dit à l’autre femme qu’il avait couché avec la plaignante et qu’il « ne voulait pas évoquer le sujet » avec la plaignante. Il s’est souvenu d’une autre fois où il a vu la plaignante lors d’une séance d’information en juillet (vraisemblablement en 2017). Le jour où le MV a été informé qu’il faisait l’objet d’une enquête pour agression sexuelle, le 1er août 2017, il est rentré à la maison et a dit à l’autre femme qu’il avait couché avec la plaignante.

  • [106] Lors du contre-interrogatoire :

  • Le MV a confirmé que la seule fois où il a eu quelque type de conversation que ce soit avec la plaignante après le 2 mars 2016, c’est quand il lui a reparlé pour la première fois lorsque son ancien formateur les a présentés. À ce moment, il a cru que la plaignante faisait semblant de ne pas le connaître. Lui, son ancien formateur et la plaignante étaient sortis de leurs voitures pour parler.

  • Le MV a expliqué que non seulement l’autre femme travaillait pour un service de police local, mais elle avait déjà travaillé au Détachement de la GRC de Surrey; elle avait donc beaucoup d’amis à la GRC. Il avait l’intention de lui dire ce qui s’était passé avec la plaignante une fois que leurs problèmes personnels se seraient estompés, mais il ne voulait pas qu’elle l’apprenne par d’autres. Il ne savait pas si la plaignante allait le dire à un(e) amie(e), qui à son tour le dirait à l’autre femme.

  • Le MV a admis qu’il a dit à un ami, le caporal A. E., qu’il avait eu des rapports intimes avec la plaignante (d’après le texto contenu à la pièce no 2 du RAD, page 3 sur 7, ou 525 sur 559), mais il a ajouté que lorsqu’il l’a fait, il ne savait pas que l’autre femme « reviendrait dans sa vie ».

  • On a demandé au MV s’il avait fait preuve de discrétion en envoyant un message au caporal A. E. le matin du 3 mars 2016. Le MV a déclaré que comme A. E. savait que lui et la plaignante retourneraient à sa chambre, il pouvait le lui dire.

  • Le MV a confirmé que la vidéo de la poursuite provenait d’un fichier produit par lui‑même, dans lequel on voit un individu voler une ambulance privée. Il ne se souvenait pas pourquoi il avait la vidéo avec lui au CFRP. Il a reconnu que cette vidéo constituait une preuve du vol du véhicule sans consentement légitime. Il a confirmé qu’elle avait été enregistrée sur un DVD, mais il ne se souvenait pas qui avait fait le DVD.

  • On a demandé au MV s’il avait contesté des éléments du compte rendu de quatre pages soumis par son avocat (joint à la lettre de Klein, pièce no 3 du RAD), et il a répondu que le seul problème qu’il avait constaté concernait la description de la ceinture, qu’il s’agissait d’une corde et non d’une ceinture, une corde avec des nœuds. Il a reconnu qu’il a préparé le compte rendu avec son avocat criminaliste et qu’il lui a permis d’utiliser le mot ceinture, au lieu de ceinture en corde.

· L’explication du MV concernant cette inexactitude dans le compte rendu joint à la lettre de Klein était la suivante (transcription, 6 novembre 2018, pages 253 et 254) :

[Traduction] Ce dont je me souviens, c’est que j’avais de la difficulté à -- j’étais concentré à enlever ou à essayer d’enlever la boucle à ce moment, pour moi c’était une boucle. Ce n’est que longtemps après, c’est-à-dire récemment, que j’ai réalisé qu’il s’agissait en fait d’une corde avec des nœuds. C’est pour ça que j’avais de la difficulté, pas parce que c’était une sorte de boucle bizarre.

· Le RAD a continué d’examiner ce point avec le MV (transcription, 6 novembre 2018, pages 256 à 259) :

RAD : Comment pouvez-vous confondre une ceinture ou une boucle et une corde avec des nœuds?

MV : Pour moi, une ceinture, c’est n’importe quelle chose qui tient ou que quelqu’un utilise pour faire tenir un pantalon ou un jean. J’ai donc expliqué -- que quand j’ai utilisé le mot « ceinture », c’est ça que je voulais dire. Pour ce qui est de la « boucle », au début je me souvenais d’une boucle, et j’avais du mal à me rappeler comment elle était exactement -- de la raison pour laquelle j’ai eu autant de difficulté avec cette boucle, puis je me suis souvenu longtemps après que c’était des nœuds, au moins un, deux nœuds je crois.

RAD : Et lorsque [la plaignante] dit qu’elle ne portait aucune ceinture, de quelque type que ce soit, et elle a certainement -- nous n’avons pas entendu parler du cordon ou de la -- désolé, vous -- j’ai un trou de mémoire. Avez-vous dit un cordon ou une corde? Comment l’avez‑vous appelé exactement?

MV : Une corde.

RAD : Une corde. D’accord. Donc, c’est une -- J’essaie juste de comprendre. Donc c’est comme un bout de corde autour du jean d’une femme; est-ce que c’est cela?

MV : C’est plus gros qu’un cordon, comme ceux des pantalons de pyjama ou des shorts de sport. Je ne me souviens pas exactement -- en tout cas pas assez pour le décrire, mais je me rappelle qu’il y avait plusieurs nœuds, oui c’était ça ---

RAD : Bien, vous dites que vous vous ne souvenez pas exactement, mais lorsque mon ami vous interrogeait, vous n’avez pas eu de difficulté à vous souvenir de cette corde et vous n’avez pas eu de difficulté à vous souvenir que vous avez dû défaire des nœuds.

MV : C’est exact.

RAD : Alors comment se fait-il que vous ne puissiez pas la décrire si vous -- Je ne comprends pas, gendarme. Quand -- comment se fait‑il que vous ne puissiez pas la décrire si vous n’avez pas eu de difficulté à la décrire lorsque mon ami vous interrogeait, et maintenant je vous demande de quoi il s’agit et vous répondez, bien, c’est un peu comme un cordon. Qu’est-ce que c’est exactement? De quelle couleur était la corde?

MV : Je ne me rappelle pas de quelle couleur elle était. J’étais concentré sur les nœuds quand je la regardais, pas sur la grosseur, la longueur ou la forme de la corde qui faisait le tour d’elle. J’étais concentré à défaire les nœuds seulement.

RAD : Donc, ces -- cette corde faisait le tour de [la plaignante]?

MV : Je la voyais passer sur le côté et j’ai présumé qu’elle faisait le tour d’elle. Je ne pouvais pas la voir au complet. J’étais concentré sur les nœuds seulement, pas sur le reste de la ceinture.

RAD : Donc, la corde fait le tour. Où sont les nœuds alors, derrière elle?

MV : Devant elle.

RAD : Donc, les nœuds sont devant, mais la corde fait le tour de [la plaignante]?

MV : Je peux seulement présumer, car il y a les nœuds puis un genre de ceinture. Je ne pouvais pas voir derrière elle. Elle était étendue sur le dos à ce moment, tout ce que je pouvais voir, c’est que la corde disparaissait de mon champ de vision derrière elle, j’ai donc présumé qu’elle faisait le tour, mais c’est peut-être une mauvaise supposition de ma part.

RAD : Donc, à quel moment vous souvenez-vous avoir vu pour la première fois une corde ou une ceinture ou toute autre chose qui tenait son pantalon? C’était à quel moment?

MV : Lorsque je l’embrassais sur le ventre et lorsque je descendais de sa bouche à son ventre et à sa poitrine.

  • [107] Pour ce qui est du degré d’éclairage dans la chambre, le MV a affirmé que la principale lumière dans la chambre était éteinte et que le seul éclairage provenait de la lampe posée sur la table de nuit, laquelle se trouvait à gauche du lit, comme on peut voir sur les photographies du SPA.

  • [108] Le MV a confirmé l’endroit où la plaignante, l’ordinateur portable utilisé pour faire jouer le DVD et lui‑même se trouvaient sur le lit. Plus particulièrement, il a confirmé son témoignage antérieur selon lequel l’ordinateur portable se trouvait sur le coin du lit le plus près de la porte, mais tourné vers le centre du lit. Il a ensuite confirmé que la plaignante était étendue, les pieds en direction des oreillers, pendant qu’elle regardait la vidéo. Le MV a répondu aux questions du RAD concernant la longueur du lit et la distance qui le séparait de l’ordinateur portable, à l’endroit où il a dit qu’il se situait. Le MV a mentionné qu’il a préparé la vidéo pendant que l’ordinateur portable se trouvait sur le bureau situé à droite du lit et qu’il a appuyé sur démarrer lorsqu’il a posé l’ordinateur sur le coin du lit. Il ne se souvenait pas s’il était assis ou debout pendant qu’il préparait la vidéo au bureau. Le MV a affirmé que pendant qu’il préparait la vidéo, la plaignante était assise sur le lit et lui parlait. Il a déclaré qu’il pouvait bien voir la vidéo à une distance de six à huit pieds, car la résolution était « claire ». Il a expliqué qu’à la fin de la vidéo, il a enlevé l’ordinateur portable du lit, l’a remis sur le bureau et a repris sa position du côté gauche du lit. Il a expliqué que durant la conversation de 15 minutes qui a immédiatement suivi la vidéo, la plaignante, qui était étendue avec les pieds en direction des oreillers, a changé de position et s’est assise du côté droit du lit, face à lui, pour discuter. Il a répondu que c’est la plaignante qui a « initié le contact » après qu’ils aient abordé la question de la discrétion, en laissant le côté droit du lit pour venir se coucher avec lui, du côté gauche du lit.

  • [109] Il a affirmé qu’il lui a demandé « quel était son plan, son intention pour la nuit » et qu’elle lui a ensuite demandé s’il était discret ou non. Il a affirmé que la plaignante a mentionné à deux reprises qu’elle devait rencontrer B. P. P. : au bar-salon, et après leur rapport sexuel, lorsqu’il lui a demandé si elle voulait rester pour la nuit.

  • [110] Il a estimé qu’il était près de minuit ou peu après minuit lorsque la plaignante a quitté sa chambre.

  • [111] Il a admis avoir du mal à se rappeler à quoi ressemblait la ceinture en corde de la plaignante. Lorsqu’on l’a interrogé sur la signification des guillemets utilisés à la page 3 du document de quatre pages joint à la lettre de Klein (pièce no 3 du RAD), il a répondu : « Je ne peux pas commenter le style d’écriture de mon avocat. Je peux seulement vous dire de quoi nous avons discuté. » Il a confirmé que bien qu’il se rappelait des propos de la plaignante, il avait du mal à se souvenir à quoi ressemblait la corde autour de sa taille. Il a nié avoir inventé les propos de la plaignante au sujet de la discrétion. Selon lui, il a pris deux minutes environ pour ranger l’ordinateur portable à la fin de la vidéo, tout dépendant s’il a retiré le DVD et l’a remis dans son boîtier.

  • [112] On a demandé au MV s’il croyait qu’il allait y avoir « des rapprochements » lorsque la plaignante est venue à sa chambre. Il a déclaré qu’il n’était pas certain si cela allait se produire. Il « se posait beaucoup de questions » à savoir si quelqu’un pouvait s’intéresser à lui. Il a reconnu que d’après le message texte qu’il lui avait envoyé, le caporal A. E. a eu l’impression qu’il « allait peut-être se passer quelque chose ».

  • [113] Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il a demandé à la plaignante si elle avait du plaisir, il a déclaré que c’était lorsqu’il a commencé à descendre sur le corps de la plaignante, en mentionnant que : « […] certaines femmes n’aiment pas qu’on leur touche les seins et certaines n’aiment pas qu’on leur touche le ventre, à cause de certaines sensibilités ». Il a mentionné qu’il n’a pas spécifiquement demandé à la plaignante s’il elle aimait qu’il lui touche les seins ou le ventre, que c’était plutôt un commentaire général sur ce qu’ils étaient en train de faire.

  • [114] Le MV a confirmé que pendant qu’il embrassait le ventre de la plaignante par-dessus ses vêtements, elle a d’abord essayé d’enlever sa ceinture, et que c’est pendant qu’il lui enlevait son jean et son sous-vêtement qu’il a vu la cicatrice au bas de son ventre. Il a mentionné que ce n’est qu’après lui avoir enlevé son pantalon qu’il lui a enlevé son chemisier. Bien qu’il ait fait un geste de la main décrivant une cicatrice horizontale, il a d’abord décrit une « cicatrice verticale de quelques pouces », mais il a rectifié lorsqu’on lui a demandé de répéter sa réponse. Il ne se souvenait pas d’avoir touché la cicatrice. Lorsque le RAD a présenté au MV la description de la plaignante de ses mains « glissant sur elle vers ses parties génitales », il a répondu : « Je ne peux pas faire de commentaires sur quelque chose qui ne s’est pas produit et d’une façon qui ne s’est pas produite ». Il ne se souvenait pas particulièrement d’avoir touché la cicatrice, mais il savait qu’il l’avait vue. Il ne l’a pas embrassée jusqu’à la cicatrice, car ils se sont retrouvés face à face lorsqu’il lui a enlevé son chemisier.

  • [115] Le souvenir du MV était clair : il lui a d’abord enlevé son pantalon et ensuite son chemisier. Il ne se souvenait pas d’avoir embrassé ou touché directement la cicatrice. Il a mis une ou deux minutes en tout pour lui enlever son pantalon, y compris le temps pour défaire le nœud et l’échange qui a eu lieu entre eux. Le nœud était droit devant et il n’a pas vu la corde derrière la plaignante, il a « seulement présumé que la corde était continue. Une fois le nœud défait, elle semblait se délier. » Il a affirmé qu’une fois le nœud défait, il lui a quand même « fallu un moment pour enlever le [jean de la plaignante] », car « il était collé sur elle ». Il ne se rappelait pas s’il avait dû défaire un bouton sur le jean. Il a confirmé qu’il a dû forcer pour baisser le jean : « Comme il était très serré sur ses jambes, il m’a fallu un moment pour l’enlever complètement. »

  • [116] Le MV a convenu que la « grosseur » de la plaignante lors de son témoignage livré plus tôt le 6 novembre 2018 était environ la même que le 2 mars 2016. Il a convenu qu’elle n’était pas une personne costaude, mais il a maintenu qu’il a dû forcer pour baisser son jean : « Il n’est pas juste tombé ou glissé. Il -- le jean -- n’était pas fabriqué d’un tissu spongieux, mais moulant. Ce n’était pas comme un pantalon en molleton qui glisse facilement. » Il a déclaré que le pantalon n’était pas ample.

  • [117] En ce qui concerne les circonstances dans lesquelles lui et la plaignante ont eu de la difficulté à défaire le nœud, il a confirmé : « […] c’est à ce moment qu’elle a dit, ‘c’est peut-être un signe’, en voulant dire, nous ne sommes pas destinés à coucher ensemble ce soir ». Ce commentaire a été fait en riant, sur un ton jovial. Ils ont tous les deux essayé de défaire le nœud, et il ne se rappelle pas qui a réussi à la fin. Il a affirmé que c’est lui qui a enlevé le jean de la plaignante.

  • [118] Le MV a déclaré qu’après avoir enlevé le jean de la plaignante, la plaignante lui a enlevé sa chemise. Il ne se souvenait pas de la chemise qu’il portait. Il ne se souvenait pas s’il lui avait enlevé le chemisier de la plaignante ou s’il avait enlevé son jean après que la plaignante lui ait enlevé sa chemise. Il ne se rappelait pas où s’étaient retrouvés les vêtements de la plaignante après les lui avoir enlevés.

  • [119] On a demandé au MV pourquoi, s’il savait qu’il avait mal au dos depuis son accident de voiture survenu avant le 2 mars 2016, il avait des rapports sexuels si cela lui faisait mal au dos. Le MV a répondu : « Cela ne m’empêche pas d’avoir des relations sexuelles », puis il a ajouté « parfois je peux rester moins longtemps dans la même position ». Il a affirmé que c’est après deux ou trois minutes de coït en position derrière la plaignante qu’il a commencé à avoir mal au dos. Il ne se souvenait pas pourquoi il était passé de la position du missionnaire à la position derrière elle. Il ne se souvenait pas s’il avait dit à la plaignante qu’il avait mal au dos.

  • [120] Le MV a confirmé que la plaignante lui a ensuite fait une fellation, pendant qu’il était étendu sur le dos. Il a répété qu’après environ deux minutes de sexe oral, la plaignante lui a demandé « s’il voulait venir, autrement dit s’il voulait avoir un orgasme ». Il se rappelait précisément avoir répondu « oh oui ». Il a confirmé que pendant toute la nuit, il y avait « comme une atmosphère de blague ». Il a confirmé avoir dit à la plaignante « qu’elle était bonne » pendant qu’elle lui faisait une fellation, et qu’elle a répondu qu’il était « bon pour montrer sa gratitude ».

  • [121] Le MV a confirmé qu’à un certain moment, la plaignante a dit qu’elle « n’avalait pas quand elle ne connaissait pas le gars » et lui a demandé de lui dire avant d’éjaculer.

  • [122] Le MV a confirmé qu’il ne portait pas de condom, mais il a nié que la plaignante ait exprimé une quelconque inquiétude lorsqu’il lui a demandé de se pencher en avant, car « ce n’est pas ce qui s’est produit ». Il a dit que la plaignante ne lui a jamais demandé s’il utilisait un moyen de protection.

  • [123] Le MV a déclaré que la plupart de son sperme était sur son ventre; toutefois, bien qu’il n’en ait pas vu sur le visage de la plaignante, il est possible qu’elle en ait reçu un peu sur son visage. À aucun moment il n’a cru qu’elle ne consentait pas à lui faire une fellation.

  • [124] Le MV ne se souvenait pas d’avoir vu un sac à main appartenant à la plaignante pendant qu’elle était sans sa chambre et il n’a trouvé aucun sac à main après le départ de la plaignante.

  • [125] Le MV a déclaré qu’après la fellation, lui et la plaignante « se sont complimentés sur leur performance respective », mais il ne se souvenait pas des détails et il ne savait pas si la plaignante avait eu un orgasme. Il a convenu que le coït a duré quelques minutes seulement et qu’ils ont ensuite échangé concernant le plaisir qu’ils ont eu à coucher ensemble. Ils n’ont pas parlé de se revoir après cette relation intime.

  • [126] Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il a demandé à la plaignante si elle voulait rester pour la nuit, il a répondu : « Parce que nous venions juste de coucher ensemble. Cela me semblait plus approprié que de la laisser partir. » Il a confirmé que c’est lorsqu’il a demandé à la plaignante (après leur rapport sexuel) si elle voulait rester qu’elle a de nouveau mentionné qu’elle devait manger avec B. P. P. le lendemain. Il a confirmé qu’il a effectivement dit à la plaignante qu’elle pouvait communiquer avec lui par courriel, car il voulait savoir si elle avait obtenu le transfert demandé à Surrey et répondre à ses questions concernant le processus, le cas échéant.

  • [127] On a demandé au MV d’examiner l’AAD (pièce no 4 du RAD), ainsi que la réponse qu’il a produite conformément au paragraphe 15(3) des CC (Conduite) (pièce no 5 du RAD). Il a confirmé qu’il admettait les précisions no 1, 2 et 3.

  • [128] Le MV a confirmé qu’il rejetait le détail no 4, et il a spécifiquement nié avoir enlevé le pantalon et le sous-vêtement de force à la plaignante et être monté de force sur elle pour avoir un rapport sexuel. Il n’a pas nié avoir introduit son pénis à l’intérieur de la plaignante à un certain moment, mais elle était consentante. Il a nié l’allégation de la plaignante selon laquelle elle n’était pas consentante et qu’il l’a pénétrée malgré elle. Il a nié l’allégation de la plaignante selon laquelle elle voulait qu’il « arrête » et qu’elle a répété le mot « non ». Il a nié avoir ignoré la demande de la plaignante de cesser de l’agresser sexuellement. Il a nié le fait que, lorsque la plaignante a pu le repousser physiquement, elle est immédiatement sortie de sa chambre. Il a ensuite déclaré : « Cela ne s’est pas produit ». Le MV a nié avoir commis « tout geste d’agression sexuelle », tel que le décrit la plaignante dans son témoignage.

  • [129] Le MV ne se souvenait pas d’avoir dit à la plaignante qu’il « aimait bien faire des câlins »; il a admis qu’il lui arrive parfois de faire des câlins, mais il a nié avoir fait un câlin à la plaignante ou avoir demandé un câlin à la plaignante.

  • [130] On fait remarquer que bien que la version de la plaignante, y compris la brève démonstration faite durant son témoignage à l’aide de ses mains, décrive une agression sexuelle s’étant produite juste après que le MV lui ait tripoté les deux fesses par-dessus son jean, puis la partie intérieure de ses cuisses, toujours par-dessus son jean, ces gestes ne sont pas détaillés dans l’allégation. Toutefois, comme ces éléments ont été mentionnés dans les documents d’enquête fournis au MV avant le témoignage de la plaignante, et que le comité de déontologie considère qu’ils font simplement partie de sa version des faits, laquelle est détaillée à la précision no 4, ces renseignements ne créent aucune injustice pour le MV.

  • [131] De plus, il convient de souligner que même s’il est mentionné à la précision no 4 que le MV a « enlevé de force » le pantalon et le sous-vêtement à la plaignante, la version fournie par la plaignante indique que le MV a baissé ses vêtements avec ses mains pour pouvoir introduire son pénis dans son vagin par derrière. Par conséquent, le pantalon et le sous-vêtement n’ont pas été enlevés à la plaignante, mais ont été, d’après sa version, baissés par le MV pour pouvoir accéder à son vagin par derrière. La plaignante soutient que lorsque le MV a retiré son pénis de son vagin, après qu’ils se soient retournés et aient changé de position, elle a pu remonter son sous-vêtement et son pantalon et est immédiatement sortie de la chambre du MV.

  • [132] Les précisions visent à fournir suffisamment de détails sur les actions ou les omissions présumées qui constituent l’allégation pour permettre au membre visé de bien connaître cette allégation et d’y répondre. Bien que le dossier de preuves de l’autorité disciplinaire ne permette pas de croire qu’un vêtement ait été complètement enlevé à la plaignante, le fait que le terme « enlevé » ait été compris dans le sens de « baissé » dans cette affaire ne crée pas une entorse à l’équité procédurale pour le MV.

  • [133] Je confirme que, comme dans le droit pénal canadien, la loi n’exige pas de corroborer le témoignage de la plaignante lorsqu’une infraction au code de déontologie de la GRC concerne une allégation d’agression sexuelle.

  • [134] Je confirme également que les mythes, idées fausses, inférences défavorables présumées, comportements attendus, et facteurs et hypothèses erronés, qui sont maintenant formellement rejetés par les tribunaux lors de l’évaluation de la plaignante dans une poursuite criminelle pour agression sexuelle, n’ont exercé aucune influence dans la décision que j’ai rendue dans cette affaire. Dans ses arguments, le RAD nomme et condamne clairement ces notions désuètes. Dans la présente audience disciplinaire, par exemple, je ne tire aucune inférence défavorable du moment où la plaignante a signalé l’agression sexuelle, de tout aspect de son comportement après l’incident qui pourrait être caractérisé comme une absence d’évitement, ou de l’apparence ou l’état émotionnel « normal » observé par B. P. P. lorsque la plaignante a dîné avec lui le 3 mars 2016. Le fait que la plaignante n’ait pas porté plainte rapidement ne donne pas lieu à une inférence défavorable présumée. L’absence de comportement d’évitement de la part de la plaignante n’a pas d’importance dans l’évaluation de la crédibilité et dans le jugement concernant l’allégation.

  • [135] Dans son témoignage, la plaignante a convenu qu’une agression sexuelle est un crime, que les policiers doivent respecter des normes élevées en ce qui concerne le signalement de comportements criminels et qu’elle avait l’obligation de signaler ce qui est arrivé. Elle a également convenu qu’elle ne s’est peut-être pas acquittée de ses obligations en tant que policière. Je ne considère pas que ces aveux de la part de la plaignante ramènent ou permettent d’appliquer les mythes rejetés par les autorités judiciaires, notamment celui concernant le moment du dépôt de la plainte pour agression sexuelle.

  • [136] De plus, le fait que la plaignante soit volontairement entrée dans la chambre du MV, qu’elle ait volontairement regardé l’enregistrement vidéo de la poursuite pendant qu’elle était sur le lit et qu’elle ait (d’après sa version) volontairement fait un câlin au plaignant lorsqu’il lui a demandé de le faire ne constitue pas un consentement à l’acte sexuel tel qu’il est décrit à la précision no 4, et n’a aucune incidence sur la probabilité que la plaignante ait consenti à cet acte sexuel. Lorsqu’il est question de consentement, la seule chose qui compte, c’est ce qui s’est produit au moment de l’acte en question. Peu importe ce que la plaignante a dit ou fait plus tôt ce soir-là, cela ne signifie pas qu’elle a consenti ultérieurement. Je m’appuie sur la liste des affaires qui ne devraient pas être prises en compte selon le RAD, notamment l’affaire R c. Nyznik, 2017 ONSC 4392 [Nyznik],aux paragraphes 192 à 194, sous « Irrelevant Evidence and Things I Have Not Taken Into Account », et l’affaire R. c. T.B., 2018 PESC 3, aux paragraphes 75 à 91, sous « Backdrop – Stereotypes and Myths ».

  • [137] Dans la décision Nyznik, au paragraphe 194, on fait remarquer que l’état émotionnel de la victime d’agression sexuelle alléguée après l’incident, ou immédiatement avant de déposer sa plainte officielle, ne devrait pas être pris en compte dans l’examen du cas par le juge de première instance, car cela permettrait d’interpréter un comportement constant comme une corroboration. Je fais un examen plus détaillé de la loi qui sous-tend cette approche plus loin dans les présents motifs écrits. Je ne considère pas que les observations et les citations recueillies par l’insp. Baher lors de sa conversation avec la plaignante le 4 juillet 2017 constituent une corroboration ou augmentent de toute autre façon la crédibilité de la plaignante. Même si cette conversation n’était pas prévue, je ne considère pas que les observations et les citations recueillies par l’insp. Baher constituent une quelconque déclaration res gestae de la part de la plaignante. Puisque d’autres tierces parties ont décrit leurs perceptions de l’état émotionnel de la plaignante, je fais la même chose et n’accorde aucune importance à ces observations dans mon évaluation de la crédibilité et de la véracité de la version de la plaignante.

  • [138] En l’espèce, aucun poids n’est accordé aux opinions contenues dans la lettre d’une page du Dr Morley (annexe I du rapport d’enquête), car le fait que cette lettre fasse partie des documents d’enquête n’a pas éliminé la nécessité d’établir que le Dr J. M. se qualifie à titre d’expert ni la non‑conformité évidente de cette lettre aux normes et procédures établies dans les CC (Conduite). Je dois également souligner que bien que les autorités judiciaires citées mentionnent expressément qu’il n’existe aucun comportement type ou normal chez une victime d’agression sexuelle après l’incident, le Dr Morley déclare néanmoins, notamment : [traduction] « Lorsqu’elle racontait l’agression sexuelle, ses émotions et son apparence étaient conformes à celles d’une personne ayant vécu une agression traumatisante ». Le fait que la plaignante ait demandé du soutien psychologique, ainsi que la date de sa première rencontre avec le Dr Morley, sont des faits bien établis dans la lettre, au même titre que le nombre de séances subséquentes, mais le reste du contenu de la lettre est exclu de mon jugement concernant cette affaire. Il s’agissait peut-être d’un problème de sémantique lorsque le RAD a déclaré : [traduction] « [L]e comité de déontologie ne peut ignorer aucun des éléments contenus au dossier ». Je n’ai pas ignoré la lettre du Dr Morley, mais j’ai exclu des aspects importants de celle-ci dans l’examen de la présente affaire pour les raisons déjà mentionnées.

  • [139] Dans ses observations finales, le RM a admis qu’il ne pouvait pas indiquer de motif clair pour lequel la plaignante aurait fait une fausse allégation d’agression sexuelle, mais il a ensuite souligné à juste titre que le MV n’était pas tenu d’en trouver un. Le RM a ensuite fait valoir que la plaignante était peut-être gênée parce qu’elle avait eu une histoire d’un soir avec une personne qu’elle trouve laide, avec le recul, et qu’elle éprouve des remords. Il a émis l’hypothèse qu’elle se vengeait peut-être à cause de la façon dont le MV l’a traitée après le fait, c’est-à-dire prétendre ne pas la connaître. Ces observations hypothétiques semblent le fruit d’un raisonnement stéréotypé et, ces motifs et les autres motifs spéculés (dont des motifs financiers liés à la propriété saisie de la plaignante et une indemnité possible dans le cadre du règlement Merlo-Davidson) n’ont pas été jugés convaincants.

  • [140] Dans la mesure où le comité de déontologie a écouté, sans objection de la part du RAD, ce que le RAD a jugé comme une preuve de bonne moralité au sujet du MV, selon le témoignage du MV et comme il l’a indiqué dans ses observations écrites du 5 mars 2018, je ne considère pas cette que information remplisse une fonction disculpatoire valable ni ne renforce la crédibilité que je devrais accorder au déni du MV de son inconduite et à son témoignage.

  • [141] Dans son témoignage, la plaignante s’est présentée comme une personne articulée, sûre d’elle, dont la description des événements et les attitudes manifestées étaient parfois franches, au point d’être brusques et subjectives. À mon avis, le témoignage de la plaignante était ponctué de moments où sa personnalité plus intense et légèrement acerbe, et pas seulement son comportement en tant que témoin, a pu être évaluée de manière significative. Par exemple, elle a indiqué que sa conversation avec le MV au bar-salon était devenue ennuyante (voir la transcription du 6 novembre 2018, page 32, lignes 12 et 13), a estimé que la disparition de l’ami du MV lors de la marche de retour du bar-salon était [traduction] « bizarre ou un peu effronté » (voir la transcription du 6 novembre 2018, page 34, ligne 25), et a indiqué qu’elle acceptait (à leur passage près de l’immeuble où vit le MV) de voir la vidéo de la poursuite parce qu’elle ne voulait pas [traduction] « passer pour une salope » (voir la transcription du 6 novembre 2018, page 39, ligne 23). Selon l’ensemble des renseignements qui m’ont été présentés, dont le témoignage de la plaignante, je ne crois pas que la plaignante tolère bien la stupidité ni qu’elle est du genre à se faire manipuler ou à se laisser influencer facilement. Cette évaluation contribue nécessairement à mon évaluation générale de la crédibilité.

  • [142] Je reconnais qu’une victime d’inconduite, notamment, bien entendu, une victime d’agression sexuelle, puisse nourrir une colère profonde ou d’autres sentiments négatifs puissants à l’endroit de son agresseur. Toutefois, pour appuyer sa position selon laquelle elle n’a consenti à aucun des actes sexuels commis par le MV, la plaignante a tenu à préciser lors de son premier entretien avec le service de police d’Abbotsford que lorsqu’elle a vu le MV pour la première fois au bar, elle ne pouvait que penser à quel point ce type était laid (voir le rapport d’enquête, annexe G, page 16 de 48, lignes 6 et 7; page 2 de 48, lignes 45 et 46, « vraiment laid »; page 31 de 48, ligne 10, « super laid »). Cette observation de la part de la plaignante pourrait ne constituer qu’une affaire collatérale, mais elle doit être prise en considération dans mon évaluation générale du dossier. La plaignante répète ce qu’elle se rappelle avoir pensé de l’apparence du MV lors de son deuxième entretien avec le service de police d’Abbotsford (voir le rapport d’enquête, annexe H, page 4 de 39, lignes 1 et 2), c’est-à-dire qu’elle le trouvait vraiment laid.

  • [143] En contre-interrogatoire, voici l’échange qui a eu lieu sur ce sujet (voir la transcription du 6 novembre 2018, page 122) :

Interprétation de « enlevé de force »

Considérations exclues – plaignants victimes d’agression sexuelle

Preuve de bonne moralité

Descriptions et attitudes

[Traduction]

RM : Dans vos déclarations, vous avez utilisé le mot « laid » à plusieurs reprises pour le décrire.

PLAIGNANTE : C’est vrai.

RM : Trouvez-vous que [le MV] est laid?

PLAIGNANTE : Oui, je trouve. Je vais être totalement honnête. Je ne dis pas ça pour être méchante, mais je le pense. C’est ce que je me suis dit. C’est la pure vérité.

  • [144] Dans l’ensemble, je trouve que la plaignante a une haute opinion de sa propre apparence et qu’elle a cherché à renforcer la véracité de son récit simplement en dénigrant l’apparence du MV. Je trouve quelque peu dérangeant que la plaignante, comme stratégie, invite à conclure qu’étant donné la « laideur » du MV, les actes avec lui ne pouvaient être que non consentants. Je ne considère pas que sa description déplorable du MV découle d’une sorte de comportement post‑traumatique involontaire ou d’un jugement compromis. Je trouve qu’elle était plutôt calculée.

  • [145] Le MV s’est lui aussi présenté dans son témoignage comme une personne articulée et sûre d’elle. Plus loin dans mes raisons écrites, j’aborde les qualités du témoignage du MV qui ont été relevées au moment d’évaluer la crédibilité de son témoignage sur des points litigieux précis. On aurait pu s’attendre à ce que le MV, accusé par la plaignante d’agression sexuelle, se soit montré plus indigné qu’il l’a été lorsqu’il a témoigné, notamment lorsqu’il a répondu aux questions du contre-interrogatoire. Je reconnais que je dois faire preuve de retenue et de beaucoup de prudence en prenant en considération l’attitude du MV et de la plaignante pour évaluer leur crédibilité, si je me fie au raisonnement contenu dans les décisions Faryna et T.B. L’attitude mesurée du MV n’était pas incompatible avec le contenu de son témoignage, qui comprenait des aveux francs et des qualifications prudentes.

  • [146] Conformément au paragraphe 15(2) des CC (déontologie), l’autorité disciplinaire dans cette affaire était tenue de fournir au présent comité de déontologie l’AAD, le rapport d’enquête sur l’inconduite alléguée du MV et les documents à l’appui. Le rapport d’enquête comprenait des transcriptions, des enregistrements audio et (dans le cas de la plaignante) des enregistrements vidéo qui rapportent les déclarations obtenues par le service de police d’Abbotsford. Par conséquent, le dépôt de ces déclarations auprès du comité de déontologie était conforme à la procédure préalable à l’audience exposée dans les CC (déontologie).

  • [147] Aucune des déclarations déposées auprès du comité de déontologie n’a été faite sous serment ni de manière solennelle, et rien dans les CC (déontologie) n’exige que le rapport déposé devant un comité de déontologie doive ne contenir que des renseignements ou des éléments de preuve présentés sous forme d’affidavit, affirmation solennelle ou sous serment.

  • [148] En outre, selon le paragraphe 45(2) de la Loi sur la GRC, le comité de déontologie possède certains pouvoirs conférés à une « commission d’enquête ».

  • [149] Par conséquent, pour ce qui est des éléments de preuve et des renseignements qui peuvent être reçus et acceptés par un comité de déontologie lorsque celui‑ci les estime indiqués, toute exigence selon laquelle les éléments de preuve et les renseignements évalués par un comité de déontologie doivent être recevables devant un tribunal est implicitement retirée à l’alinéa 24.1(3)c) de la Loi sur la GRC.

  • [150] Toutefois, le fait que les renseignements ou les éléments de preuve sont déposés conformément au paragraphe 15(2) des CC (déontologie) n’empêche pas, à mon avis, le présent comité de déontologie d’évaluer la nature des documents d’enquête ayant été présentés à l’appui, et d’utiliser les règles et les principes qui s’appliquent aux éléments de preuve dans le cadre de son évaluation des renseignements. Selon moi, l’application de certains principes de la preuve aux documents constitue un aspect nécessaire d’une prise de décision judicieuse quant à l’allégation à l’endroit du MV, une décision qui peut certes être informelle et rapide, mais qui doit toujours être prise de manière équitable.

  • [151] Le pouvoir discrétionnaire de décider de l’admissibilité de la preuve doit être exercé conformément à l’obligation primordiale de tenir une audience en règle. Une courte description de cette obligation est fournie au paragraphe 73 de la décision de l’arbitre Veniot dans l’affaire Strait Regional School Board c. CUPE, Local 955, 2000 Carswell NS 499 :

Déclarations antérieures

[Traduction] En arbitrage, les questions concernant l’admissibilité de la preuve et son utilisation après l’admissibilité sont axées sur l’exigence que l’arbitre tienne une audience équitable. Par équitable, on entend, entre autres, l’octroi d’une attention appropriée à la nature du processus et le respect constant des règles d’équité procédurale et de justice naturelle. L’exercice du pouvoir discrétionnaire doit servir ces objectifs.

  • [152] Dans le cas présent, contrairement à la décision du comité de déontologie soulevée par les parties (Autorité disciplinaire de la Division E et gendarme Goodyer (2018), 2018 DARD 13 Corrigé [Goodyer]), deux témoins ont été autorisés à témoigner dans le cadre d’interrogatoires et de contre-interrogatoires, et la décision sur le fond n’a pas reposé uniquement sur une évaluation des documents et autres pièces déposées. Pour les raisons exposées plus loin dans ma décision, je pense que la réception du témoignage d’un témoin approuvé oblige un comité de déontologie à évaluer comment, le cas échéant, toute déclaration antérieure obtenue de ce témoin peut être utilisée dans l’évaluation de l’allégation. L’obligation d’un comité de déontologie peut comprendre plus que la simple attribution de « poids » à une déclaration antérieure, elle peut exiger de prendre des décisions sur l’éventuelle exclusion complète de la déclaration antérieure ou sur l’utilisation de la déclaration dans un but précis et limité si elle n’est pas exclue.

  • [153] Il a été question de l’exclusion de renseignements et du fait de ne même pas leur accorder un poids négligeable dans l’appel relatif à l’affaire Autorité disciplinaire de la Division J et gendarme Jonathan Cormier [Cormier] [voir 2012 DARD 2 Corrigé (comité de déontologie); C‑2016-005 (C-017) (CEE), 28 juin 2017); et C-2016-005 (C-017) (niveau II, 20 novembre 2017)]. L’appelant a fait valoir que la décision du comité de déontologie au sujet de mesures disciplinaires proportionnées devrait être invalidée, car le comité avait considéré un double ouï‑dire comme une preuve au moment d’évaluer un facteur aggravant.

  • [154] Le CEE, au paragraphe 114 de sa décision, indique :

[Traduction] On peut soutenir que la preuve par ouï-dire aurait dû être totalement ignorée par le comité. Toutefois, je considère que le renvoi du comité à cette preuve n’était pas une erreur déterminante et n’a pas rendu la décision déraisonnable, car le comité y a clairement accordé peu de poids.

  • [155] L’arbitre de niveau II reconnaît que le comité de déontologie « n’a pas commis d’erreur manifeste ou déterminante lorsqu’il a évalué les conséquences des obligations en matière de divulgation suivant l’arrêt McNeil sur la possibilité que l’intimé reste en poste […] » (paragraphe 85). Il ne s’agit pas d’une conclusion explicite, mais les décisions du CEE et de l’arbitre de niveau II concluent toutes deux que l’exclusion du « double ouï-dire » aurait été correcte, mais que le fait de ne pas l’avoir exclu n’a pas eu une incidence déterminante sur la question en appel.

  • [156] Bien qu’elle concerne le traitement du ouï-dire, la perspective de l’appel dans l’affaire Cormier semble soutenir l’utilisation appropriée de certaines règles et principes de preuve. Je crois qu’il est nécessaire de tenir compte de la manière dont les compatibilités et les incompatibilités manifestes dans les déclarations de la plaignante formulées avant son témoignage le 6 novembre 2018 pourraient être utilisées dans l’évaluation de l’allégation contestée. Ces compatibilités et incompatibilités sont non seulement présentes dans les déclarations de la plaignante faites au SPA le 28 juillet 2017 et le 15 novembre 2017, mais aussi dans ses comptes rendus de l’agression sexuelle présumée, tels qu’ils sont censés figurer dans les déclarations des tierces parties interrogées. Je crois que la même analyse que celle qui a été appliquée aux déclarations antérieures de la plaignante devrait être appliquée aux déclarations du MV.

  • [157] Les représentants dans cette affaire n’ont pas traité ce sujet en profondeur dans leurs observations ni dans leurs réponses aux questions du comité de déontologie. Mon analyse ci-après n’engage évidemment aucun autre comité de déontologie, mais elle porte sur les principes de la preuve qui se posent lorsqu’il y a à la fois une déclaration antérieure et un témoignage ultérieur à l’audience du même témoin approuvé par le comité de déontologie.

  • [158] L’admissibilité et l’utilisation appropriée des déclarations antérieures compatibles ont été examinées de près par le juge David M. Paciocco dans son article intitulé « The Perils and Potential of Prior Consistent Statements: Let’s Get It Right », (2012) 17 Can. Crim. L. Rev. 181 (en anglais seulement). (Veuillez prendre note que tous les renvois à cet article proviennent du tirage publié sur WestlawNext Canada).

  • [159] J’ai pu extraire de cet article et paraphraser un certain nombre d’énoncés de droit utiles. Les énoncés ci-dessous ne sont pas des citations exactes. Pour faciliter leur organisation, j’ai inséré mes propres numéros de paragraphe et sous-titres. Comme un représentant, en réponse à une question du comité de déontologie, n’a pas été en mesure d’offrir des observations significatives sur l’utilisation autorisée de déclarations antérieures compatibles, mon résumé des énoncés du juge Paciocco peut également servir à des fins éducatives :

Déclarations compatibles

1. Admissibilité générale des déclarations antérieures compatibles

Les déclarations antérieures compatibles sont des déclarations faites par des témoins avant de se présenter à la barre qui correspondent à celle qu’ils font à la barre. La règle de base en ce qui a trait aux déclarations compatibles veut que les déclarations antérieures compatibles soient généralement inadmissibles. Il est normalement inadmissible que les parties apportent des éléments de preuve directs selon lesquels leurs témoins ont fait des déclarations antérieures compatibles, mais il est aussi généralement inapproprié que les avocats apportent des éléments de preuve qui ne sont pertinents que parce qu’ils révèlent indirectement qu’un témoin a déjà fait la même affirmation. [page 1]

2. Les règles d’admissibilité peuvent sembler paradoxales

Les « règles d’admissibilité restreinte » posent certaines difficultés, car lorsque, logiquement, les éléments de preuve peuvent servir à plus d’une fin dans le cadre du raisonnement menant à une décision, les règles d’admissibilité restreinte servent à éliminer une ou plusieurs de ces fins. Comme les éléments de preuve ne peuvent pas être utilisés pour tirer des conclusions qu’ils semblent logiquement soutenir, la loi fonctionne de manière contre-intuitive. Les règles d’admissibilité restreinte sont donc en quelque sorte un piège juridique dans lequel le fait de s’appuyer sur la logique plutôt que sur le droit peut conduire à l’erreur. Par exemple, la règle sur la fabrication récente permet d’utiliser une déclaration antérieure compatible pour réfuter la contestation de « fabrication récente », mais l’affirmation factuelle que contient la déclaration antérieure compatible ne peut pas être utilisée comme preuve de cette affirmation. [page 2]

3. Les règles protègent l’exactitude des constatations factuelles

Les règles sur les déclarations antérieures compatibles sont exclusives. Elles interdisent ou limitent l’admissibilité. Contrairement à de nombreuses règles d’exclusion qui existent à des fins non liées au procès – comme l’octroi de privilèges pour protéger des relations confidentielles ou l’exclusion de preuves obtenues illégalement pour exprimer de la répugnance à l’endroit de la police pour ses actes illégaux – les règles sur les déclarations antérieures compatibles sont totalement liées à l’intégrité du procès lui-même. Ces règles existent soi-disant pour protéger l’exactitude des constatations factuelles et pour maintenir l’efficacité du procès. [page 3]

4. La compatibilité soutient les mensonges et les vérités; elle ne constitue pas une corroboration

L’explication la plus courante donnée pour l’exclusion générale de la « partie constat » des déclarations antérieures compatibles est que ces déclarations n’ont pas de valeur probante. Selon la théorie, la compatibilité est une qualité qui convient aussi bien aux mensonges qu’aux vérités. Pour qu’il y ait corroboration, il faut l’appui d’une source indépendante, lorsque le déclarant et le témoin sont la même source. Cela servirait les intérêts du témoin de lui permettre d’appuyer son témoignage au moyen de ses propres affirmations factuelles antérieures. [page 4]

5. Deux règles régissent l’utilisation des déclarations antérieures compatibles

Deux règles importantes s’appliquent même lorsque des déclarations antérieures compatibles sont admissibles en vertu d’exceptions. La première est la « déduction interdite ». Même lorsqu’une déclaration antérieure compatible est admise, il est inadmissible de supposer que parce qu’un témoin a fait la même déclaration antérieurement, il est plus susceptible de dire la vérité. La seconde est la « règle contre la corroboration ». Même lorsqu’une déclaration antérieure compatible est admise, c’est une erreur de considérer que cette déclaration corrobore le témoignage devant le tribunal. [page 4]

6. Exclusion pour l’efficacité du procès

L’exclusion de la partie constat des déclarations antérieures compatibles est également censée améliorer l’efficacité du procès. En effet, lorsqu’une déclaration antérieure compatible est présentée, le témoin aura déjà fourni les mêmes informations dans le cadre d’un témoignage admissible. Comme on le dit souvent, les déclarations antérieures compatibles sont exclues parce qu’elles sont « superflues ». [page 4]

 

7. Réfutation de la contestation de « fabrication récente »

En termes simples, si les déclarations antérieures compatibles ne sont pas admissibles pour contrer la simple contestation selon laquelle le témoignage est faux, dans les cas où le témoignage d’un témoin est contesté au motif précis qu’il a été « récemment » fabriqué, une déclaration antérieure compatible qui réfute logiquement cette contestation peut être admise. [page 5] Il est important de reconnaître la logique qui sous-tend cette exception. Si l’avocat adverse conteste un témoignage en suggérant qu’un compte rendu a été inventé ou que de nouveaux détails ont été ajoutés à un certain moment après l’événement allégué, les preuves montrant que ces contestations sont non fondées sont admissibles. [page 6]

Que se produit-il lorsqu’une contestation est faite, mais contrebalancée par une preuve crédible tirée d’une « déclaration antérieure compatible »? La contestation est neutralisée, c’est tout. Le fait que le témoin ait fait une déclaration antérieure compatible n’ajoute en rien à sa crédibilité. [page 6]

Dans l’arrêt R. c. Dinardo, la Cour suprême du Canada a souligné qu’il s’agit d’une erreur fatale de prendre en compte une déclaration antérieure compatible comme preuve corroborant le témoignage du témoin. Et la Cour a averti les juges d’éviter d’utiliser les déclarations antérieures compatibles pour la véracité de leur contenu.

8. Exceptions pour les ouï-dire fiables

Il arrive cependant que des preuves par ouï-dire soient exprimées dans des circonstances qui donnent des critères extrêmement utiles pour évaluer la fiabilité ou la crédibilité d’une affirmation factuelle. Les documents commerciaux sont admis principalement parce que les personnes qui, par devoir, établissent rapidement des documents sur lesquels on se fie dans une entreprise ou un commerce ont tendance à veiller à ce que ces documents soient exacts. Ensemble, ces facteurs satisfont au principe de fiabilité, car ils fournissent des indices de fiabilité suffisants pour permettre l’admission des documents. Les exceptions res gestae ne sont pas non plus soumises à une exigence de nécessité, sans doute pour des raisons similaires. Un témoignage devant un tribunal peut ne pas être une meilleure preuve que des « propos enthousiastes » parce que le témoignage devant un tribunal n’est pas prononcé sous la pression du moment avant que l’occasion d’inventer ne se présente, ou pendant un événement dont le contexte factuel permettra d’évaluer l’exactitude de la déclaration dans son contexte. [page 8]

9. Utilisation de la déclaration antérieure par la partie appropriée

En règle générale, seule la partie adverse peut prouver les déclarations de l’autre partie. Cela permet généralement aux procureurs de prouver les déclarations inculpatoires faites par les accusés, mais empêche les accusés de prouver leurs propres déclarations disculpatoires ou « intéressées ». Toutefois, si une déclaration est « mixte » et que le procureur prouve ses éléments incriminants, la « règle de la déclaration entière » ou « règle de la déclaration mixte » permet de prouver également les déclarations disculpatoires associées. [page 9]

Lorsque des preuves disculpatoires sont admises en vertu de la « règle de la déclaration mixte », normalement, les parties disculpatoires de ces déclarations sont substantiellement admissibles en faveur de l’accusé. [page 9]

En effet, si l’accusé témoigne et que les parties disculpatoires de la déclaration mixte deviennent des déclarations antérieures compatibles, la partie « ouï‑dire » du bloc des déclarations antérieures compatibles devrait théoriquement être retirée de la balance, et le témoignage en salle d’audience être pris en considération à sa place. [page 9]

Les déclarations compatibles ne sont pertinentes que pour permettre au décideur de juger si la déclaration pertinente est vraiment matériellement incohérente lorsqu’elle est considérée dans son ensemble, et pour évaluer l’incidence que toute différence dans les détails devrait avoir sur la crédibilité et la fiabilité globales du témoin. [page 10]

10. Admissibilité aux fins de l’exposé des faits

Lorsque la divulgation de déclarations antérieures compatibles est nécessaire pour constituer l’exposé des faits et rendre les événements importants compréhensibles, ces déclarations antérieures compatibles peuvent être admises, dans certaines limites. [page 11]

Cette doctrine de « pur exposé des faits » est généralement utilisée pour apporter la preuve de la manière dont une plainte s’est rendue devant les tribunaux pénaux. Même si la manière dont une affaire est entrée dans le système pénal ne fait pas partie des faits importants qui sont pertinents pour prouver l’infraction ou établir une défense, les tribunaux acceptent qu’il soit approprié d’informer les décideurs de la chronologie de la poursuite et de sa causalité. [page 11]

Lorsque la preuve d’une déclaration antérieure compatible est présentée comme un « pur exposé des faits », elle n’a pas de « poids » et ne pèse donc pas dans la balance. La déclaration n’est pas utilisée pour prouver la véracité de ce qui est dit, et il n’y a pas non plus d’inférences qui pourraient rendre le cas du plaideur plus convaincant. Les éléments de preuve ne sont fournis que pour aider à comprendre l’ensemble de l’affaire. [page 11]

 

  • [160] La Cour suprême du Canada s’est assez récemment penchée sur la façon de traiter les déclarations antérieures compatibles, mais dans les cas qui impliquent des appels découlant de procès pénaux, où l’application des protections formelles des preuves est couramment observée. (voir R. c. Stirling (2008), 2008 CSC 10; R. c. Dinardo (2008), 2008 CSC 24.)

  • [161] La question de savoir si ce même traitement peut être appliqué dans les affaires non pénales, et en particulier dans les affaires disciplinaires professionnelles, a récemment été examinée par la Cour d’appel du Manitoba dans Ahmed v College of Registered Nurses of Manitoba (2017), 2017 MBCA 121 [Ahmed], au paragraphe 51 :

[Traduction] Les règles strictes de la preuve ne s’appliquent pas dans les tribunaux administratifs, mais les règles liées aux déclarations antérieures compatibles sont couramment appliquées dans les affaires disciplinaires. Voir K. c. College of Physicians & Surgeons (Saskatchewan) (1970), 13 D.L.R. (3d) 453 (Sask. Q.B.); College of Physicians & Surgeons (Ontario) c. K. (1987), 36 D.L.R. (4th) 707 (Ont. C.A.); C. (J.); et Hanif c. College of Veterinarians of Ontario, 2017 ONSC 497 (Ont. Div. Ct.).

[caractères gras ajoutés]

  • [162] Aux paragraphes 53 et 56, de l’arrêt Ahmed, la Cour d’appel a déterminé que le premier comité de déontologie avait commis une erreur en utilisant le compte rendu de la plaignante fait à son amie et son appel téléphonique ultérieur à l’hôpital pour évaluer la probabilité que l’agression présumée ait réellement eu lieu. En conséquence, le comité a utilisé ces déclarations à des fins inadmissibles, à savoir comme preuve de la véracité du témoignage de la plaignante à l’audience.

  • [163] En outre, dans l’arrêt Hanif c. College of Veterinarians of Ontario, 2017 ONSC 497 (Div. Ct.), au paragraphe 118, il a été considéré comme une erreur significative de la part du comité de déontologie d’avoir utilisé la compatibilité du témoignage de la plaignante avec le contenu de sa lettre de plainte antérieure comme preuve corroborante de son témoignage. La lettre, qui constitue essentiellement une déclaration antérieure compatible, a été utilisée pour renforcer indûment la crédibilité de la plaignante.

  • [164] Je reconnais, qu’en principe, les règles ou les principes que le juge Paciocco a relevés dans son article comme justifiant l’inadmissibilité des déclarations antérieures compatibles peuvent sembler paradoxales. Je reconnais que des considérations d’efficacité des audiences ne se posent pas dans le cas présent, car les déclarations étaient contenues dans les documents d’enquête devant être déposés auprès du comité de déontologie. Mais même dans le présent processus d’audience disciplinaire mettant en cause le MV, ces règles ou principes servent à protéger l’exactitude de mes constatations factuelles. La compatibilité appuie les mensonges et les vérités; elle ne constitue pas une preuve corroborante. Ainsi, il est contraire aux principes et il nuit à l’évaluation précise des éléments de preuve et des informations appropriées de considérer que les déclarations antérieures compatibles confirment la véracité du compte rendu de la plaignante ou du compte rendu contradictoire du MV ou qu’elles constituent une preuve corroborante d’un compte rendu. Comme j’ai approuvé l’interrogatoire et le contre-interrogatoire de la plaignante et du MV, le jugement potentiellement plus rapide de cette affaire à partir d’un « dossier papier uniquement » doit être remplacé par un jugement basé sur des témoignages en personne, des témoignages qui présentent les comptes rendus contradictoires des parties. Un jugement rapide ne peut être l’unique objectif, en particulier lorsqu’il compromet l’équité de l’audience.

  • [165] Les deux déclarations de la plaignante faites à l’enquêteur du SPA, ses conversations informelles et privées non consignées et vaguement remémorées avec des amis et des collègues de la GRC et sa conversation ultérieure avec l’inspecteur Baher le 4 juillet 2017, pourraient être considérées comme contenant des déclarations antérieures compatibles au sujet d’une agression sexuelle commise par le MV.

  • [166] Selon moi, les observations écrites du MV du 8 mars 2018 dans lesquelles il faisait allusion à des renseignements financiers liés à la plaignante et affirmait qu’elle était incitée à obtenir une indemnisation dans le cadre du règlement du recours collectif de la GRC ne constituent pas une allégation de « fabrication récente ». Elles visent à présenter un motif. Je trouve que l’analyse du juge sur ce point est persuasive. Même si je considère que ces observations soulèvent une allégation de « fabrication récente », l’utilisation des déclarations antérieures de la plaignante pour réfuter une allégation de fabrication récente ne confirme pas la véracité du récit d’agression sexuelle de la plaignante en soi.

  • [167] Les déclarations antérieures, apparemment compatibles, de la plaignante ne renforcent pas la crédibilité de cette dernière parce qu’elles n’éliminent pas le motif de fabrication, qui pourrait avoir été soulevé à tout moment après le 2 mars 2016. L’admission de ces déclarations antérieures compatibles strictement selon l’exception de « fabrication récente » ne servirait, d’après l’analyse du juge Paciocco, qu’à éliminer tout motif allégué conduisant à la fabrication. L’élimination du motif allégué ne signifie pas qu’on puisse conclure que la plaignante dit la vérité. Tout au plus, l’absence de motif pourrait être considérée comme un facteur dont tenir compte dans le cadre de l’évaluation générale de la crédibilité (voir Silverhill Homes Ltd. c. Borowski, 2018 BCSC 630, paragraphe 184.).

  • [168] J’ai minutieusement évalué si les messages textes entre la plaignante et le gend. T. S. le 8 juin 2017 constituent une forme de ouï-dire fiable, ce qui permettrait leur admission et leur considération à titre exceptionnel. Je ne suis pas convaincu que l’attente apparente de la plaignante que ces messages entre le gend. T. S. et elle restent confidentiels rend ces messages admissibles comme preuve de la véracité de leur contenu. Les messages textes du gend. T.S. comprenaient délibérément des informations négatives fictives sur le MV dans le but, en effet, de faire rager la plaignante au sujet de celui‑ci, ce qui mine beaucoup, à mon avis, la crédibilité des messages envoyés en réponse.

  • [169] Je suis disposé à prendre en considération les déclarations antérieures compatibles de la plaignante et du MV que dans le but de constituer un exposé des faits concernant le déroulement de cette affaire jusqu’à son jugement par le comité de déontologie. Comme l’a souligné le juge Paciocco, permettre l’utilisation limitée des déclarations antérieures compatibles pour produire un exposé des faits utile ne signifie pas permettre leur utilisation pour évaluer la véracité des allégations faites du moment où l’affaire est survenue au CFRP jusqu’au présent jugement.

  • [170] L’arrêt Goodyer a été mentionné dans les observations finales des parties. Au paragraphe 103 de cet arrêt, on fait valoir que le Conduct Board Guidebook (2017) (Guide des comités de déontologie) met l’accent sur un certain nombre de réformes politiques et législatives apportées aux procédures formelles relatives aux audiences. Toutefois, selon moi, à titre de comité de déontologie jugeant les présentes circonstances précises, aucun élément dans ce guide, y compris aux paragraphes 2.6 et 2.7, n’ordonne l’élimination complète des principes juridiques bien établis qui régissent l’admissibilité de certaines informations déposées auprès d’un comité de déontologie et qui définissent les utilisations appropriées et limitées de certains types d’informations (y compris les enregistrements vidéo) présentées devant un comité de déontologie.

  • [171] De même, en général, l’utilisation de déclarations antérieures compatibles n’a pas eu d’incidence importante sur ma décision quant au bien-fondé de l’allégation no 1, ce qui comprend la dénégation d’inconduite de la part du MV et son affirmation selon laquelle la plaignante avait consenti à l’activité sexuelle, d’après la version donnée par le gend. C. W. au SPA.

  • [172] Je dois souligner qu’au moment des observations orales finales du RM concernant le bien‑fondé de l’allégation, j’ai soulevé cette phrase pour confirmer le point précis avancé par le RM lorsqu’il a écrit le 29 octobre 2018 que les [traduction] « incompatibilités ne prouvaient pas qu’elle ne mentait pas [caractères gras ajoutés] » (voir la transcription du 8 novembre 2018, pages 95 à 97.) Le RM semble, par moment, avoir continué de traiter des « incompatibilités » comme des « compatibilités ». Il l’a fait, par exemple, lorsqu’il a résumé son opinion en déclarant [traduction] « on ne peut présenter des incompatibilités [sic] dans son récit et continuer d’essayer de tromper les gens » (voir la transcription du 8 novembre 2018, page 97, lignes 13 et 14).

  • [173] Malgré la formulation quelque peu confuse du RM, j’ai compris que son opinion ultime était que [traduction] « la notion selon laquelle une personne gagne de la crédibilité parce qu’elleraconte une version des faits à plusieurs parties est trompeuse » (voir la transcription du 8 novembre 2018, page 98, lignes 6 à 8.) Même si le RM n’a présenté aucun texte de référence pour soutenir cette observation, celle-ci concorde avec la déclaration concise faite dans l’arrêt R. c. Divitaris (2004), 188 CCC (3d) 390 (Ont. C.A.), paragraphe 28 : « [traduction] une déclaration inventée, répétée à plus d’une reprise, demeure une déclaration inventée ».

  • [174] Comme je l’ai indiqué précédemment dans la présente décision écrite, à la conférence préparatoire, le RM a officiellement indiqué qu’il ne soulèverait pas auprès de la plaignante en contre-interrogatoire toute déclaration incompatible susceptible d’être obtenue dans le cadre d’entretiens avec des tierces parties.

  • [175] Je dois souligner que les conversations tenues entre la plaignante et les tiers n’ont pas été enregistrées au moment où elles ont été tenues (à l’exception des messages textes échangés avec le gend. T. S.), et que les déclarations attribuées par la suite à la plaignante, en pratique, ne peuvent de toute évidence pas être considérées comme des citations exactes. De plus, dans certains entretiens, des hésitations et certaines tournures de phrases apparaissent avant que la personne interrogée ne présente des souvenirs manifestement incomplets ou ambigus sur certains points. Dans certains cas, les personnes interrogées admettent qu’elles ne se souviennent plus des mots précis utilisés par la plaignante, mais décrivent l’image ou l’impression qu’elles se sont formées en parlant avec la plaignante.

  • [176] Néanmoins, un examen de ces déclarations de tierces parties indique que certaines personnes interrogées se rappellent que la plaignante a fourni des détails concernant son interaction avec le MV qui, à première vue, semblent être incompatibles avec les deux déclarations enregistrées de la plaignante et avec son témoignage devant le comité de déontologie.

  • [177] Je n’ai pas l’intention de fournir une liste complète des incompatibilités potentielles, mais en voici certaines :

Déclarations incompatibles

Information contenue dans les déclarations de tierces parties

  • - Le gend. T. S. se rappelle qu’on lui a dit :

  • que le MV a glissé sa main dans le pantalon de la plaignante;

  • que le MV a dit : « [traduction] Shhh, ça va aller, ne t’inquiète pas, tu vas aimer ça »;

  • que la plaignante a jeté ses vêtements le jour suivant ou lorsqu’elle est rentrée chez elle, pas plus que quelques jours après;

· que la porte de la chambre d’hôtel était verrouillée ou fermée et que le MV l’embrassait en se pressant contre elle.

  • - Mme M. H. se rappelle qu’on lui a dit :

  • - Le gend. L. S. se rappelle qu’on lui a dit :

· que le MV embrassait la plaignante.

· qu’ils étaient sur le lit et que le MV la cajolait, puis l’a agressée; il a glissé sa main dans son chandail ou dans son pantalon, puis l’a violée par voie vaginale.

  • [178] Le RM n’a pas présenté ces éléments potentiellement incompatibles à la plaignante lors du contre-interrogatoire, bien que le sujet des déclarations incompatibles impliquant des tierces parties soit soulevé dans le cadre de la CP. Par conséquent, je suis convaincu que le RM n’avait pas l’intention de les présenter à la plaignante ni n’a omis par inadvertance de le faire. Comme ces éléments potentiellement incompatibles n’ont pas été présentés à la plaignante lors du contre‑interrogatoire, je ne suis pas disposé (sauf sur la base extrêmement limitée appliquée à deux de ces points, expliquée immédiatement ci-après) à envisager de les utiliser pour évaluer la crédibilité, en particulier celle de la plaignante.

  • [179] Avant que la plaignante soit interrogée une deuxième fois le 15 novembre 2017, un enquêteur du SPA s’était entretenu avec un certain nombre de personnes, dont le gend. L. S. et, par téléphone, Mme M. H.

  • [180] Durant le deuxième entretien, l’enquêteur a informé la plaignante que Mme M. H. avait raconté que la plaignante lui avait indiqué qu’il y avait peut-être eu un échange de baisers (voir le rapport d’enquête, annexe H, pages 147 à 148 de 559.) La plaignante a répondu qu’avant de présenter sa première déclaration, elle avait discuté avec Mme M. H., entre autres des détails qui pourraient lui être demandés au sujet des événements. La plaignante semble laisser entendre qu’il pourrait avoir été question au cours de cette discussion avec Mme M. H. qu’on pourrait demander à la plaignante au moment de sa déclaration s’il y avait eu des baisers, des caresses ou tout autre geste, et c’est ce qui pourrait avoir fait en sorte que Mme M. H. fasse allusion à des baisers dans sa déclaration. Ainsi, la plaignante ne conteste pas qu’il a été question de baisers dans sa discussion avec Mme M. H., mais offre une justification forcée, mais pas complètement invraisemblable pour expliquer pourquoi Mme M. H. se rappelle qu’il avait été question d’échange de baisers avec le MV. Sur ce point précis, et mis à part son témoignage réel dans le cadre duquel cet élément de la déclaration de Mme M. H. n’a jamais été évoqué, l’explication de la plaignante porte atteinte, dans une mesure très limitée, à sa crédibilité. Comme le point n’a été soulevé que par un enquêteur du SPA et non dans le témoignage de la plaignante, je suis obligé d’y accorder une importance négligeable dans mon évaluation générale de la crédibilité.

  • [181] De plus, pendant sa deuxième entrevue, la plaignante a été informée que pendant son entrevue, le gend. L. S. a affirmé que la plaignante lui aurait dit que [traduction] « […] fait des câlins sur le lit » (voir le rapport d’enquête, à l’annexe H, page 148 de 559). La plaignante a répondu qu’elle est bien allée s’asseoir sur le lit, mais qu’il n’y a pas eu de câlins entre elle et le MV. Cette réponse permet de préciser de façon plausible que la plaignante aurait bien dit au gend. L. S. que le MV s’est décrit comme étant une personne qui [traduction] « aime bien faire des câlins », que la plaignante s’est ensuite bel et bien assise sur le lit, mais, contrairement à l’impression qu’en avait le gend. L. S., il n’y a pas eu de câlins sur le lit entre elle et le MV. En prenant appui sur cette explication faite au SPA, je ne suis pas convaincu que la déclaration de la plaignante au gend. L. S. est clairement incompatible. Je remarque par contre que dans son témoignage en interrogatoire direct à l’audience, la plaignante a témoigné s’être assise sur le lit pendant un court moment, après le commentaire qu’elle attribue au MV et selon lequel celui‑ci aime bien faire des câlins. Toutefois, elle s’est relevée peu après et a dit qu’elle devait partir (voir la transcription du 6 novembre 2018, aux pages 45 à 47). Un enquêteur du SPA a soulevé l’élément présumé des câlins sur le lit dont il est question dans la déclaration du gend. L. S. lors de la deuxième entrevue de la plaignante seulement, et il n’en a pas parlé pendant le contre‑interrogatoire du MV. En fin de compte, cet élément n’est pas pris en compte dans mon évaluation de la crédibilité.

Information venant directement de la plaignante

La mention du jean « attaché »

  • [182] Dans sa deuxième déclaration, la plaignante parle de son jean (voir le rapport d’enquête, à l’annexe H, page 128 de 559) : [traduction] « il a été tiré par le bas. Je peux le baisser avec les – sans rien détacher ». Personne n’a demandé à la plaignante de préciser cette déclaration particulière ni pendant l’interrogatoire direct ni pendant le contre‑interrogatoire. Le MV y a fait référence seulement dans ses observations orales finales (voir la transcription du 8 novembre 2018, aux pages 89 et 90), et le RAD a affirmé que cette déclaration précédente de la plaignante devrait être entièrement exclue de l’examen, en invoquant la règle établie dans Browne c. Dunn (voir la transcription du 8 novembre, aux pages 128 à 134).

  • [183] À la lumière des mots utilisés, l’expression [traduction] « sans rien détacher » peut être interprétée de façon à comprendre que la « fermeture éclair était montée et que tous les boutons étaient attachés ». Cette interprétation concorderait avec le compte rendu de la plaignante selon lequel le MV lui a tripoté les fesses et l’intérieur des cuisses par‑dessus son jean et qu’il a ensuite été capable de lui arracher ou de baisser subitement son jean et son sous‑vêtement sans ménagement et sans rien détacher.

  • [184] Le RM a fait valoir que la précision selon laquelle le jean était « attaché » devrait être considérée comme un élément corroborant le témoignage du MV et la correction de ce dernier à la déclaration de Klein, et aussi la présence, le soir en question, d’une corde ou d’une ceinture nouée, arguant que ce terme n’aurait pas été utilisé si la personne ne portait pas un morceau de vêtement qui doit être attaché, comme l’écharpe en cordage décrite par le MV. Selon le RM, [traduction] « la ceinture, elle est bouclée, pas attachée; mais on attache un cordon pour tenir les pantalons à la taille ».

  • [185] Comme ce commentaire tiré d’une entrevue précédente de la plaignante n’a pas été soulevé pendant son témoignage, il ne peut pas être précisé. Le fait que le RM n’a pas demandé à la plaignante, pendant son contre‑interrogatoire, de préciser ce commentaire potentiellement incompatible ne justifie pas, à mon avis, l’exclusion de ce commentaire au sens de la règle établie dans Browne c. Dunn.

  • [186] Habituellement, selon Browne c. Dunn, il est attendu qu’un témoin aura l’occasion de commenter une version contradictoire des faits comprise dans la preuve que l’autre partie déposera plus tard. Comme le RAD l’a souligné, à juste titre (voir la transcription du 8 novembre 2018, à la page 130), le RM a réellement soulevé la nature contradictoire d’une ceinture nouée, lorsqu’il a demandé à la plaignante [traduction] « comment ça tient? Est-ce qu’il y a un dispositif quelconque pour tout attacher? » (voir la transcription du 6 novembre 2018, à la page 130).

  • [187] Par contre, le RM n’a pas questionné la plaignante au sujet de sa propre déclaration précédente, possiblement incompatible, selon laquelle rien n’avait été détaché.

  • [188] Lorsqu’une affaire est présentée devant le Comité de déontologie, on s’attend à ce qu’elle soit traitée de façon informelle et rapide, à la condition que les principes d’équité procédurale soient respectés. À mon avis, il revenait au RM de suivre la procédure établie en quatre étapes si son intention était de porter atteinte à la crédibilité de la plaignante en s’appuyant sur ce commentaire. La procédure est décrite dans le texte de droit reconnu du juge Paciocco intitulé The Law of Evidence (7e éd., Toronto, Irwin, 2015), à la page 488 :

[Traduction]

  • 1) L’avocat demande au témoin de confirmer le témoignage. L’objectif ici est de préciser le témoignage, afin d’en relever les incompatibilités.

  • 2) Le témoin est ensuite confronté à une déclaration précédente.

  • 3) La déclaration incompatible est ensuite adressée au témoin pour montrer l’incompatibilité. Habituellement, le contre‑interrogateur lit à voix haute la déclaration incompatible précédente pour les fins du dossier, du tribunal et du témoin.

  • 4) Enfin, on peut demander au témoin d’admettre la déclaration incompatible précédente comme preuve de la véracité de son contenu. Si le témoin refuse, la déclaration sert à miner sa crédibilité, à moins bien sûr que le témoin soit une partie ou un accusé, ce qui rend alors la déclaration admissible comme preuve de sa véracité.

  • [189] En l’absence d’un examen spécifique de la déclaration [traduction] « sans rien détacher » contenue dans le témoignage de la plaignante, et à la lumière de l’ambiguïté inhérente de cette déclaration, je ne lui accorde aucune valeur probante, pour ou contre. Aucun poids n’est accordé à l’observation du MV concernant l’écharpe en cordage qu’aurait portée la plaignante. Aucun poids n’est accordé non plus à cette observation à titre de corroboration du compte rendu de la plaignante selon lequel son jean aurait été brusquement baissé sans que rien ne soit détaché. De manière expresse, je ne considère pas que le commentaire précédent de la plaignante renvoie à une quelconque écharpe en cordage qui aurait été attachée, ce qui serait incompatible avec son compte rendu selon lequel elle ne portait aucune ceinture.

  • [190] Cependant, je suis prêt à accepter le témoignage du MV portant sur l’existence d’une écharpe en cordage et sur le fait qu’il l’a détachée; ainsi, je dois forcément rejeter le compte rendu de la plaignante, pour les motifs distincts énoncés ci‑bas.

  • [191] J’ai pris en considération les observations des deux parties pour ce qui a trait à la correction proposée par le MV au compte rendu donné dans la lettre de Klein, en date du 17 octobre 2017. Cette correction, qui a été formulée par le RM le 31 août 2018, va comme suit :

L’« écharpe » en cordage

[Traduction]
[…] [Le MV] adopte cette déclaration de quatre pages (pages 318 à 321 des pages numérotées de la divulgation) comme étant la sienne, avec une correction mineure. À la page 3 (page 320 des pages numérotées de la divulgation), au paragraphe 4, il mentionne avoir eu de la difficulté à enlever la ceinture de la plaignante et qu’il a « eu de la misère avec la boucle ». Il a bel et bien eu de la difficulté à enlever la ceinture, mais plutôt, c’est l’accessoire en cordon et avec des nœuds qui tenait la ceinture attachée qui lui a donné de la misère.

  • [192] À mon avis, aucun avantage stratégique n’a été tiré de cette correction. Il n’était aucunement question d’une ceinture quelconque à détacher qu’aurait portée la plaignante dans le compte rendu de cette dernière, tel que communiqué dans les documents d’enquête (qui ont été signifiés au MV le 6 juillet 2018 seulement). En faisant cette correction, le MV risquait, dans une certaine mesure, de mettre en doute la crédibilité d’autres détails fournis dans la lettre de Klein pendant son contre‑interrogatoire à venir. De plus, si la présence d’une ceinture à détacher relevait essentiellement de la pure invention de la part du MV, le meilleur choix à faire, en toute logique, aurait été pour le MV de s’en tenir à une fausse description d’une ceinture et d’une boucle qui sont couramment utilisées. Après tout, ce n’est pas comme si la plaignante avait déjà dit avoir porté une ceinture avec une boucle particulière. J’ai également examiné la correction apportée par le MV le 30 août 2018 pour déterminer s’il essayait, ainsi, d’aligner son souvenir au commentaire de la plaignante (analysé plus haut) selon lequel rien n’avait été détaché, mais cela reviendrait à être un effort exagéré en vue d’accroître sa crédibilité.

  • [193] J’ai examiné de près tous les témoignages de la plaignante et du MV. La plaignante a toujours nié avoir porté une quelconque ceinture en cordon attachée avec des nœuds sur son jean le 2 mars 2016.

  • [194] Par contre, à l’examen du témoignage du MV sur le type de ceinture que portait la plaignante, je suis d’avis que les observations du MV :

  • étaient détaillées, mais qu’elles avaient aussi été données avec une certaine spontanéité, en ce sens qu’elles ne semblaient pas être le fruit d’une longue répétition ou être une description mémorisée de ce qu’il déclare avoir observé;

  • ont été exprimées d’une façon qui était cohérente en soi;

  • ont été exprimées sans exagérer l’occasion de faire ces observations;

  • ont été exprimées sans y prêter des hypothèses intéressées, en admettant sincèrement que certains détails ont été oubliés;

  • dans l’ensemble, et à la lumière de ces éléments, qu’elles sonnaient vraies.

Pour ces raisons, je considère le témoignage du MV comme étant crédible et digne de foi, et j’estime que c’est sur ces observations qu’on devrait se fier, plutôt que sur le fait que la plaignante nie de façon généralisée avoir porté une quelconque ceinture. Il y a d’ailleurs lieu de prendre ce déni généralisé avec circonspection, compte tenu de sa déclaration voulant qu’elle trouve le MV laid, qui a pour objectif de renforcer sa crédibilité. Il convient également de noter que pendant son contre‑interrogatoire, le MV a avoué ne pas pouvoir se rappeler de la couleur de la corde, une admission qu’il n’était pas obligé de faire puisque la plaignante a dit qu’elle ne portait aucune ceinture avec son jean.

  • [195] Par conséquent, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, le soir du 2 mars 2016, la plaignante portait un type de cordon avec nœuds ou de ceinture en cordage (qui pourrait peut‑être être mieux décrite comme une écharpe) et que, en plus, elle et le MV ont dû faire un effort concerté à deux pour détacher cette écharpe.

  • [196] Je confirme qu’une conclusion de crédibilité fondée sur un seul élément de la preuve et favorable à un témoin donné ne signifie pas nécessairement que la crédibilité accordée à ce témoin est la même pour tous les autres éléments de l’affaire. Je garde également à l’esprit les directives contenues dans les motifs du juge Watt mentionnés précédemment dans l’arrêt Clark (au paragraphe 42) disant que, en tant que juge des faits, je peux accepter ou rejeter tout ou partie d’un témoignage versé au dossier, et que l’évaluation de la crédibilité n’est pas dépourvue de nuances.

  • [197] Toutefois, dans ce cas‑ci, le compte rendu de l’agression sexuelle de la plaignante dont il est question à la précision no 4 ne peut pas être considéré comme fiable ni comme ayant été établi selon la prépondérance des probabilités, compte tenu du fait qu’il a été déterminé qu’il y avait bien une écharpe sur le jean de la plaignante et que pour la détacher, il a fallu déployer un effort conjoint et consensuel. Compte tenu de cette conclusion, l’autorité disciplinaire n’a donc pas réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités, que la pénétration vaginale était non consensuelle comme la plaignante l’a alléguée. Il n’y avait pas suffisamment d’information et d’éléments de preuve clairs et convaincants pour établir l’allégation selon la prépondérance des probabilités, conformément à ce qui est énoncé dans l’arrêt McDougall.

  • [198] Ma conclusion selon laquelle la plaignante portait une corde ou une écharpe en cordage sur son jean le 2 mars 2016 est appuyée par mon autre conclusion selon laquelle le MV a vu la cicatrice abdominale de la plaignante.

  • [199] D’après la description que la plaignante a fait des gestes posés par le MV pendant la présumée pénétration vaginale par derrière, la plaignante était complètement vêtue avec les pantalons et son sous‑vêtement baissés, et le MV aurait donné trois coups pendant un épisode qui aurait duré quelques secondes. Je comprends l’argument du RAD, que le MV pourrait avoir touché par inadvertance le petit creux se trouvant au milieu de la cicatrice décrit par la plaignante, mais je considère que cette possibilité est très peu probable.

  • [200] Je ne suis pas prêt à accepter l’idée que le MV, surtout si la description de ses actes par la plaignante est exacte, aurait pu facilement toucher la cicatrice selon l’endroit où ses mains étaient placées. Je suis conscient que le creux dont il est question occupe une petite place au milieu de l’abdomen de la plaignante qui fait tout au plus quelques pouces, mais si le MV était placé derrière la plaignante et qu’il l’avait agrippée plus ou moins par les hanches, les chances sont minces qu’il aurait réellement pu toucher à cette partie de son abdomen. Malgré cela, même si le MV avait réussi à toucher à la cicatrice, selon le compte rendu de la plaignante, il est très peu probable que le MV, placé derrière la plaignante pendant l’agression sexuelle, ait remarqué cette caractéristique pendant les trois coups présumés, et encore moins qu’il ait pu indiquer plus tard l’existence d’une caractéristique sur l’abdomen de la plaignante, c’est‑à‑dire une cicatrice de césarienne.

  • [201] À partir de l’information qui m’a été présentée, dont le témoignage de la plaignante portant sur cet élément précis, je comprends que le MV aurait tripoté les fesses et l’intérieur des cuisses de la plaignante pendant que son jean était encore en place. Comme la cicatrice se trouve sous la ligne de ceinture de son jean (selon la plaignante, la cicatrice est située à quatre ou cinq pouces sous son nombril), je conclus que le MV n’aurait certainement pas pu la voir, ni la toucher, à cette étape initiale présumée.

  • [202] Dans son témoignage, le MV a confirmé avoir vu la cicatrice pendant que la plaignante était dévêtue et qu’elle se livrait à des activités consensuelles avec lui. À mon avis, son admission selon laquelle il aurait pu toucher à la cicatrice pendant qu’il s’adonnait à sa version de l’activité consensuelle ne permet pas de quelque façon d’établir qu’il aurait touché à la cicatrice pendant un quelconque épisode non consensuel sur lequel la précision no 4 est fondée.

  • [203] Avec son compte rendu de l’observation de la cicatrice de la plaignante, le MV me donne la même impression que j’ai eue à l’écoute de son témoignage sur l’existence de l’écharpe en cordage que lui et la plaignante ont détaché ensemble. Pour cette raison, je suis d’avis que son témoignage sonne vrai. En particulier, la partie de son témoignage donnée ci‑dessous, dans laquelle il tente de décrire l’apparence de la cicatrice, me semble avoir été formulée d’une telle façon qu’il est très peu probable que cette description relève de la fabulation (voir la transcription du 6 novembre 2018, aux pages 217 et 218) :

La cicatrice abdominale

[Traduction]
J’étais en train d’embrasser son estomac et j’ai remarqué – elle est très bronzée et ce n’est pas ce que c’était, mais il y avait – il avait une petite cicatrice de quelques pouces juste en dessous de sa taille. Je connais des gens qui placent un objet sur eux quand ils se font bronzer en machine, pour faire des marques dans leur bronzage. Mais selon mon souvenir, il y avait cette démarcation distincte – comme si le bronzage était moins foncé, ça aurait pu être fait volontairement, mais c’était une ligne juste en dessous de sa taille que j’ai pu voir en enlevant son jean et son sous‑vêtement.

  • [204] De plus, dans les documents (voir le rapport d’enquête, à la page 23 de 559), on peut lire l’inscription suivante de l’enquêteur du SPA :

[Traduction]
En plus du document constituant l’élément de preuve [du MV], deux autres questions ont été posées [au MV], par l’intermédiaire d’un avocat, dans la foulée d’une conversation tenue avec [la plaignante]. Dans sa deuxième entrevue (et lors d’une conversation avec le détective [B.] après l’entrevue), [la plaignante] a affirmé que [le MV] ne l’avait pas vue nue et qu’il n’avait pas enlevé son gilet [de la plaignante], et que [le MV] aurait eu l’occasion de voir [la plaignante] sans vêtements seulement de dos, vu la description de la façon dont l’agression s’est produite. [La plaignante] a clairement indiqué que [le MV] n’aurait pas pu voir sa cicatrice de césarienne au bas de son abdomen en raison de la façon dont il l’a agressée. Aux questions qui lui avaient été posées (sur des caractéristiques physiques ou des marques qu’il aurait observées sur [la plaignante]), [le MV] a répondu, par l’intermédiaire d’un avocat, que [la plaignante] a une cicatrice sous la taille, en dessous du nombril, et qu’elle a de larges aréoles. Ces observations donnent à penser que [le MV] a vu le devant du corps nu [de la plaignante], et ce, pendant assez longtemps pour qu’il puisse remarquer la cicatrice et la reconnaître pour ce qu’elle est.

[Non souligné dans l’original.]

  • [205] Il s’agit d’une partie de l’information contenue dans les documents d’enquête ayant été remis à l’autorité disciplinaire. Aucun des représentants n’a porté cette information à l’attention de la plaignante. Pourtant, le MV doit pouvoir se fier à l’exactitude de l’information contenue dans ces documents, qui, dans le cas présent, ont été recueillis par un enquêteur indépendant, lorsqu’elle remplit une fonction disculpatoire et qu’elle n’est pas contredite par d’autres éléments de preuve ou d’autre information.

  • [206] L’interprétation la plus raisonnable de cette déclaration reproduite est que, lorsqu’un enquêteur lui a posé la question, le MV, par l’intermédiaire de son avocat, a dit avoir remarqué deux marques distinctives sur le corps de la plaignante pendant que celle‑ci était dévêtue, dont la cicatrice sur son abdomen. Le MV est aussi en droit de se fonder sur le commentaire de la plaignante, consigné comme suit : « [La plaignante] a clairement indiqué que [le MV] n’aurait pas pu voir sa cicatrice de césarienne au bas de son abdomen en raison de la façon dont il l’a agressée ». (Je souligne que selon le témoignage de la plaignante, la cicatrice est le résultat d’une abdominoplastie et non d’une césarienne, mais je ne crois pas que cette précision ait une incidence particulière.)

  • [207] Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que l’autorité disciplinaire n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’une agression sexuelle s’est produite comme l’a témoigné la plaignante et comme ce qui est allégué à la précision no 4. J’estime qu’il est beaucoup plus probable que le 2 mars 2016, le MV a pu voir l’abdomen de la plaignante, et donc la cicatrice qui s’y trouve, pendant qu’elle était dévêtue et qu’elle se livrait à des activités sexuelles avec le MV, et ce, volontairement. Cette observation exclut donc la version des faits donnée par la plaignante conformément à ce qui est énoncé à la précision no 4.

  • [208] Les détails particuliers concernant le corps de la plaignante que le MV a fournis à l’enquêteur du SPA vont bien au‑delà de la simple suggestion disculpatoire. J’estime que, selon la prépondérance des probabilités, l’observation par le MV de l’abdomen de la plaignante permet d’établir qu’il a vu le devant du corps nu de la plaignante, à partir de la taille en descendant, et ce, pendant assez longtemps pour qu’il puisse remarquer la cicatrice et la reconnaître pour ce qu’elle est.

  • [209] Il était évident, à la chambre d’hôtel, que le MV était beaucoup plus grand et fort physiquement que la plaignante. Toutefois, je rejette l’argument du RAD selon lequel les problèmes de dos dont s’est plaint le MV, si ces problèmes l’ont amené à interrompre le rapport sexuel qu’il était en train d’avoir avec la plaignante comme il l’a témoigné, auraient permis à une personne de plus petite taille comme la plaignante de repousser le MV, comme elle l’a décrit, et de s’évader.

  • [210] Contrairement aux observations précises du RAD, je ne crois pas que la description de l’endroit où le MV était installé sur le lit pour visionner la vidéo de poursuite soit invraisemblable ni qu’elle nuise à sa crédibilité. Je ne crois pas non plus que le fait qu’il ait admis être quelqu’un qui [traduction] « aime bien faire des câlins » nuise à sa crédibilité ni que cela rehausse la crédibilité de la plaignante. Il a directement nié avoir demandé un câlin à la plaignante (voir la transcription du 6 novembre 2018, à la page 309).

  • [211] La plaignante a témoigné qu’elle n’a fait que s’asseoir près du coin du lit le plus proche de la porte pour visionner la vidéo de poursuite. Cependant, j’ai remarqué que le MV a pris soin d’expliquer que selon son souvenir, la plaignante n’est pas restée assise comme elle l’avait déclaré. Selon lui, la plaignante était étendue sur le côté droit du lit (du point de vue de la porte), le visage assez proche de l’écran de l’ordinateur portable au pied du lit, avec les pieds du côté de la tête du lit.

  • [212] Si le MV avait inventé son compte rendu des événements qui ont suivi le visionnement de la vidéo, dont ceux ayant mené au moment où ils se sont embrassés, de façon consensuelle, logiquement, on se serait attendu à ce qu’il place la tête des deux personnes du côté de la tête du lit pendant le visionnement la vidéo. Si son compte rendu de ce qui a suivi le visionnement avait été de la fabulation, il aurait été contraire au bon sens et à la logique d’avoir placé la plaignante comme il l’a fait dans cette partie de son témoignage. S’il avait menti, il aurait été beaucoup plus simple de dire que la plaignante était allongée à côté de lui, leurs têtes côte à côte, et cela aurait appuyé la progression vers le moment où ils s’embrassaient de façon consensuelle. Toutefois, le MV a pris soin d’expliquer que la plaignante avait visionné la vidéo alors qu’elle était allongée avec les pieds du même côté du lit que la tête du MV.

  • [213] J’estime avoir été absolument clair plus tôt dans cette décision écrite : ce n’est pas parce qu’elle s’est allongée volontairement sur un lit que la plaignante a consenti à avoir des rapports sexuels. Cependant, si j’accepte que la plaignante se soit réellement allongée sur le lit comme le MV a pris soin de préciser, je dois alors considérer avec une très grande circonspection le sentiment de malaise qu’elle affirme avoir ressenti (même avant d’entrer dans la pièce), ce qui mine sa crédibilité.

  • [214] À mon avis, le fait que le MV a donné sa carte professionnelle à la plaignante au bar‑salon n’a aucune utilité quant à sa réponse à l’allégation.

  • [215] Je conviens que la plaignante avait son sac à main avec elle au bar‑salon le 2 mars 2016, et qu’elle l’avait aussi le lendemain. Je ne crois pas que l’emplacement exact de ce sac à main ait une incidence sur mon opinion de l’affaire. Toutefois, si la plaignante a remonté son sous‑vêtement et son jean en fuyant la chambre comme elle l’a témoigné, cette action aurait été beaucoup plus difficile à accomplir en tenant son sac à main dans une de ses mains. De plus, si elle avait prévu faire un câlin superficiel au MV avant de partir, on pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’elle ait son sac à main avec elle au début du câlin, mais elle a témoigné avoir dû utiliser ses deux mains pour repousser celles, baladeuses, du MV, sans jamais mentionner son sac à main.

  • [216] Il y a également lieu de noter que dans ses observations orales finales, le RM n’a pas invoqué ce qu’il avait suggéré dans son courriel du 29 octobre 2018, c’est‑à‑dire que [traduction] « en tant que comité d’enquête, vous avez le pouvoir de faire entendre vos propres témoins si vous croyez que les preuves devant être présentées ne seront pas suffisantes pour fonder votre décision ». Il semblerait que le paragraphe 17.8 du Guide du comité de déontologie ait inspiré le RM à écrire son courriel, c’est‑à‑dire :

Autres arguments soulevés dans les observations

Suggestion relative à des pouvoirs d’enquête

[Traduction]
Un comité de déontologie peut rendre une décision en se fondant seulement sur le rapport d’enquête et les documents à l’appui s’il est convaincu qu’il a assez d’éléments de preuve pour rendre une décision selon la prépondérance des probabilités et sans avoir à demander de l’information supplémentaire.

  • [217] Je souligne que depuis que ma décision concernant le MV a été rendue de vive voix, le 28 novembre 2018, la décision finale écrite concernant l’affaire entre l’Autorité disciplinaire de la Division K et gendarme Phillips, 2018 DARD 20 [décision Phillips], a été rendue. Les paragraphes 146 et 147 de cette décision abordent la confusion qui persiste en ce qui concerne le rôle qui serait censément une fonction d’« enquête » du comité. Le processus du comité de déontologie ne devrait pas être considéré comme un processus d’« enquête », puisque dans ce cas, il reviendrait au comité de déontologie de piloter le dossier, notamment (entre autres) en cherchant à compléter la preuve présentée par l’autorité disciplinaire si elle est insuffisante pour établir une inconduite.

  • [218] Manifestement, les procédures disciplinaires sont maintenant dirigées par le comité de déontologie. Toutefois, à mon avis, cela ne veut pas dire que le comité peut, comme le RM semble le suggérer, « faire entendre [ses] propres témoins » si les documents déposés sont insuffisants. Sous réserve d’une exception qui pourrait être justifiée selon les circonstances particulières d’une affaire, je crois que le comité de déontologie devrait approuver un témoin demandé par les parties seulement lorsque les éléments de preuve présentés dans son témoignage sont non seulement nécessaires au règlement de tout conflit grave ou important au sujet de la preuve, mais aussi pertinents et nécessaires pour la résolution du conflit (voir le Guide du comité de déontologie, article 29.1). Il ne faudrait pas confondre les éléments de preuve ou l’information contradictoires et insuffisants.

  • [219] Par conséquent, j’estime que la contravention de l’article 7.1 du code de déontologie par le MV, comme il est allégué à l’allégation no 1 de l’AAD, n’a pas été établie.

  • [220] La présente décision écrite, rendue en date d’aujourd’hui, soit le 18 février 2019, constitue la décision écrite qui doit être signifiée à chacune des parties en vertu du paragraphe 25(3) des CC (déontologie).Il est possible d’en appeler au commissaire en déposant une déclaration d’appel dans les 14 jours suivant la signification de cette décision au MV (article 45.11 de la Loi sur la GRC; article 22 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-293).

  • [221] Par la présente, le MV est informé que cette décision écrite finale est accessible au public, et qu’il ne sera pas informé de toute demande pour obtenir une copie de cette décision.

CONCLUSION

 

 

John A. McKinlay

Comité de déontologie

 

 

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