Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

L’Avis d’audience disciplinaire contenait trois allégations de violence conjugale perpétrée par le caporal Toma contre son épouse, ce qui est contraire à l’article 7.1 du Code de déontologie de la GRC. L’allégation 1 concerne une agression le 20 mai 2019; l’allégation 2 concerne un coup de poing au bras de Mme C.T. en janvier 2019; l’allégation 3 concerne cinq cas où le caporal Toma a bousculé son épouse sur une longue période d’environ 12 mois.
Le caporal Toma a reconnu toutes les allégations et tous les détails contenus dans l’Avis d’audience disciplinaire. Étant donné la nature des trois allégations de violence conjugale établies, le caporal Toma a reçu l’ordre de démissionner de la Gendarmerie dans les 14 jours, faute de quoi il serait congédié.

Contenu de la décision

Protégé A

2020 DAD 14

Restriction à la publication : Sur ordre du Comité de déontologie, les informations contenues dans le rapport de la Dre C.B., daté du 29 décembre 2019, ainsi que les documents qui lui ont été fournis, tels qu'ils sont indiqués à la page 3 du rapport, ne doivent être ni publiés, ni diffusés, ni transmis de quelque manière que ce soit. Voir la restriction complète au paragraphe 69 de la présente décision.

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GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

Dans l’affaire d’une audience disciplinaire au titre de la

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C., 1985, ch. R-10

Entre

Le commandant de la Division F

Autorité disciplinaire

et

Le caporal Luay Fadil Toma

Matricule 60680

Membre visé

Décision du Comité de déontologie – Étape relative aux allégations

John A. McKinlay

8 avril 2020

Décision du Comité de déontologie – Étape relative aux mesures disciplinaires

Josée Thibault

18 août 2020

M. Denys Morel et la sergente d’état-major Chantal Le Du, représentants de l’autorité disciplinaire Sergent d’état-major Peter Hearty, représentant le membre visé


Table des matières

RÉSUMÉ 3

INTRODUCTION 4

ÉTAPE RELATIVE AUX ALLÉGATIONS [Comité de déontologie McKinlay] 4

Allégations 6

Constatations sur les allégations 9

Norme de preuve 9

Éléments nécessaires selon l’article 7.1 9

Observations concernant les précisions 11

Résumé des constatations 17

Conclusion sur le bien-fondé des allégations 18

ÉTAPE RELATIVE AUX MESURES DISCIPLINAIRES [Comité de déontologie Thibault] 20

Interdiction de publication 20

Crédibilité des témoins 20

Analyse 22

Éventail de mesures disciplinaires 22

Facteurs aggravants 27

Facteurs atténuants 28

Parité de la sanction 33

Décision sur les mesures disciplinaires 35

CONCLUSION 35

 

RÉSUMÉ

L’Avis d’audience disciplinaire contenait trois allégations de violence conjugale perpétrée par le caporal Toma contre son épouse, ce qui est contraire à l’article 7.1 du Code de déontologie de la GRC. L’allégation 1 concerne une agression le 20 mai 2019; l’allégation 2 concerne un coup de poing au bras de Mme C.T. en janvier 2019; l’allégation 3 concerne cinq cas où le caporal Toma a bousculé son épouse sur une longue période d’environ 12 mois.

Le caporal Toma a reconnu toutes les allégations et tous les détails contenus dans l’Avis d’audience disciplinaire. Étant donné la nature des trois allégations de violence conjugale établies, le caporal Toma a reçu l’ordre de démissionner de la Gendarmerie dans les 14 jours, faute de quoi il serait congédié.

INTRODUCTION

[1] Le 30 juillet 2019, l’officier désigné a nommé M. John McKinlay comme Comité de déontologie (Comité de déontologie McKinlay) pour prendre des décisions dans l’étape relative aux allégations de l’affaire du caporal Toma. Le 25 octobre 2019, il a rendu sa décision de vive voix dans laquelle il a estimé que les trois allégations de l’Avis d’audience disciplinaire (AAD) étaient établies selon la prépondérance des probabilités. La décision écrite a été rendue par le Comité de déontologie McKinlay le 8 avril 2020.

[2] Le 9 avril 2020, suite au départ à la retraite de M. McKinlay, moi, Comité de déontologie Thibault, ai été nommée pour prendre des décisions dans l’étape relative aux mesures disciplinaires de la présente instance.

[3] Ces décisions comprennent la décision écrite rendue par le Comité de déontologie McKinlay sur le bien-fondé des allégations. Elles approfondissent également la décision de vive voix que j’ai rendue concernant l’étape relative aux mesures disciplinaires de la présente instance le 19 juin 2020.

ÉTAPE RELATIVE AUX ALLÉGATIONS [Comité de déontologie McKinlay]

[4] Le 24 mai 2019, l’autorité disciplinaire a signé un Avis à l’officier désigné, dans lequel elle demandait la tenue d’une audience disciplinaire portant sur cette affaire.

[5] Le 26 juillet 2019, le commandant par intérim de la Division F (l’autorité disciplinaire) a demandé qu’une audience disciplinaire soit amorcée concernant les allégations d’inconduite du caporal (cpl) Luay Toma.

[6] Le 30 juillet 2019, l’officier désigné a nommé M. John McKinlay comme Comité de déontologie [Comité de déontologie McKinlay] pour rendre une décision dans l’affaire du cpl Toma.

[7] Le 6 août 2019, l’autorité disciplinaire a signé l’Avis d’audience disciplinaire (AAD). L’AAD contient trois allégations selon lesquelles le caporal Toma a agressé C.T. en violation de l’article 7.1 du Code de déontologie (comportement susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie). L’allégation 1 concerne une agression le 20 mai 2019; l’allégation 2 concerne un coup de poing au bras de C.T. (tandis que le caporal Toma conduisait) en janvier 2019; et l’allégation 3 concerne principalement cinq cas où C.T. a été bousculée sur une période d’environ 12 mois à partir d’avril 2018.

[8] C.T. a fourni des informations sur une agression le 20 mai 2019, dans une entrevue enregistrée de type KGB [1] le 23 mai 2019. Elle a fourni une autre déclaration à un enquêteur interne le 20 juin 2019. C.T. a également fourni des photographies montrant certains aspects de son apparence physique après certaines altercations avec le caporal Toma. Le caporal Toma a admis de nombreux faits dans la déclaration volontaire après avoir reçu la mise en garde prévue par la Charte [2] le 27 mai 2019, et dans une autre déclaration fournie dans le cadre d’une enquête interne le 26 juin 2019.

[9] Le 30 mai 2019, le caporal Toma a été accusé (1 chef) de voies de fait au titre de l’article 266 du Code criminel, LRC, 1985, chap. C-46.

[10] Le 9 août 2019, le caporal Toma a reçu l’AAD et la trousse de documents liés à l’enquête. Le 13 août 2019, le Comité de déontologie McKinlay a reçu les mêmes documents.

[11] Le 14 août 2019, le Comité de déontologie McKinlay a accordé au représentant du membre visé une prolongation de délai jusqu’au 17 septembre 2019 pour remettre les réponses du caporal Toma conformément au paragraphe 15(3) et à l’article 18 des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291 [CC (déontologie)].

[12] Le 17 septembre 2019, conformément aux faits admis par le caporal Toma dans ses déclarations aux enquêteurs, le Comité de déontologie McKinlay a reçu ses réponses conformément au paragraphe 15(3) des CC (déontologie), admettant les trois allégations et tous les détails contenus dans l’AAD.

[13] Lors de la conférence préparatoire à l’audience du 2 août 2019, par téléconférence, les parties ont convenu que le Comité de déontologie McKinlay pourrait décider du bien-fondé des allégations d’après les documents qui lui ont été présentés. Le représentant de l’autorité disciplinaire et le représentant du membre visé s’appuieraient sur les observations écrites concernant le bien-fondé des allégations. Ils aborderaient en outre en particulier les informations concernant le coup de poing au bras gauche de C.T., mentionné dans l’allégation 2, précision 4, et les cinq incidents au cours desquels le caporal Toma a bousculé C.T., mentionnés dans l’allégation 3, précision 3.

[14] Une décision sur le bien-fondé des allégations a été rendue de vive voix lors de la téléconférence transcrite le vendredi 25 octobre 2019, téléconférence à laquelle tout membre du public avait accès par téléphone. La décision écrite a été rendue par le Comité de déontologie McKinlay le 8 avril 2020. Il a établi le bien-fondé des trois allégations de l’AAD selon la prépondérance des probabilités.

Allégations

[15] Comme cela a été mentionné, le Comité de déontologie doit prendre des décisions sur trois allégations qui sont libellées comme suit :

Allégation 1

Le ou vers le 20 mai 2019, à ou à proximité de Wollaston Lake, dans la province de la Saskatchewan, le caporal (…) Toma a eu une conduite déshonorante, ce qui va à l’encontre de l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Précisions

1. Durant toute la période indiquée, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et étiez affecté à la Division F, au Détachement de Wollaston, en Colombie-Britannique.

2. Vous entreteniez une relation avec [C.T.] depuis octobre 2016 et vous vous êtes mariés en avril 2018.

3. Le ou vers le 20 mai 2019, en soirée, vous n’étiez pas en service; vous étiez dans le salon de votre résidence, assis devant l’ordinateur. [C.T.] avait un désaccord avec vous et a mis ses mains sur vos épaules pour les masser.

4. Vous vous êtes soudainement mis en colère, vous vous êtes levé et avez levé vos deux poings au visage de C.T. en disant que vous vouliez « lui casser la gueule » ou quelque chose de similaire. Vous avez dit : « J’ai envie de te faire mal » ou quelque chose de similaire. Vous l’avez poussée vers la fenêtre et elle est tombée par terre. Vous lui avez donné au moins deux coups de pied, une fois à la tête et une fois au torse.

5. Vous l’avez agrippée par les cheveux de la nuque et l’avez maintenue au sol en lui disant : « Tu vas arrêter? Arrête, bordel! ». Tandis que vous la teniez par les cheveux, vous avez enfoncé les doigts dans sa tête et appliqué des techniques de maîtrise par points de pression.

6. Vous avez dit à [C.T.] de prendre ses « affaires » et de « foutre le camp ». Vous l’avez traînée du salon à la chambre par les cheveux et vous lui avez craché dessus. Afin de la faire partir de la résidence, vous l’avez agrippée et déplacée du lit vers le sol; vous avez appliqué des techniques de maîtrise par points de pression et l’avez étranglée des deux mains. Vous l’étouffiez en l’entraînant vers la cuisine tout en la tenant par son survêtement à capuche. [C.T.] criait et pleurait, vous demandant d’arrêter. Elle vous a griffé le bras pour se défendre. Vous lui avez craché dessus.

7. Lorsque vous avez agressé [C.T.], cela lui a occasionné des contusions et des douleurs. Elle avait peur, craignait pour sa sécurité et a appelé une amie qui l’a aidée à quitter la résidence.

8. Votre comportement envers [C.T.] était déshonorant.

Allégation 2

Le 9 janvier 2019, ou entre cette date et le 14 janvier 2019, à Vaughan ou dans les environs, dans la province de l’Ontario, le caporal (…) Toma a eu une conduite déshonorante, ce qui va à l’encontre de l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Précisions

1. Durant toute la période indiquée, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et étiez affecté à la Division F, au Détachement de Wollaston.

2. Vous entreteniez une relation avec [C.T.] depuis octobre 2016 et vous vous êtes mariés en avril 2018.

3. Au moment de l’incident, vous reveniez, en véhicule, d’un casino situé au nord de Vaughan.

4. [C.T.] était sur le siège passager du véhicule. Vous avez eu une dispute verbale avec elle concernant sa consommation d’alcool. À un moment donné, vous lui avez dit : « Arrête, bordel », ou quelque chose de similaire, et vous lui avez donné un coup de poing dans le bras gauche. [C.T.] avait mal et s’est mise à pleurer. Votre coup de poing a laissé un bleu sur son bras pendant environ trois semaines.

5. Votre comportement envers [C.T.] était déshonorant.

Allégation 3

Le 1er avril 2018 ou entre le 1er avril 2018 et le 19 mai 2019, à ou près de Wollaston Lake, dans la province de la Saskatchewan, le caporal (…) Toma a eu une conduite déshonorante, ce qui va à l’encontre de l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Précisions

1. Durant toute la période indiquée, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et étiez affecté à la Division F, au Détachement de Wollaston.

2. Vous entreteniez une relation avec [C.T.] depuis octobre 2016 et vous vous êtes mariés en avril 2018.

3. Vous avez fait montre de violence verbale et physique envers [C.T.]. À au moins cinq reprises, vous avez bousculé [C.T.] pour l’écarter de votre chemin.

4. Fin février 2019, à votre retour de la pêche sur glace, vous avez dit à [C.T.] que vous aviez invité des membres à souper. Elle a été prise au dépourvu, car cela ne lui laissait qu’une heure pour trouver quoi préparer pour le repas. À sa réaction, vous vous êtes mis en colère, vous l’avez insultée et vous avez lancé une chaise qui a atterri sur son pied, ce qui lui a fait mal.

5. Le ou vers le 18 mai 2019, vers 18 heures, vous vous êtes disputé avec [C.T.]. Tout en lui disant : « Va te faire foutre! », ou quelque chose de similaire, vous l’avez poussée. En conséquence, elle a trébuché sur le canapé, est tombée et s’est cogné la tête contre le mur.

6. Votre comportement envers [C.T.] était déshonorant.

[Traduit d’après ce qui a été reproduit dans la version anglaise.]

Constatations sur les allégations

[16] Le 25 octobre 2019, le Comité de déontologie McKinlay a rendu une décision orale sur le bien-fondé des allégations. Avant cette décision orale, chaque allégation a été lue au caporal Toma, mais pas les précisions à l’appui, et il a confirmé qu’il avait reconnu la véracité de chacune des allégations.

[17] Avant de rendre sa décision orale sur les allégations, le Comité de déontologie McKinlay a informé les parties qu’il s’agissait d’une décision orale abrégée qui serait développée et qu’il se réservait la possibilité de clarifier et d’expliquer plus en détail ses motifs et ses conclusions dans la décision écrite finale. Ces motifs constituent la décision écrite finale du Comité de déontologie McKinlay [datée du 8 avril 2020] sur le bien-fondé des allégations impliquant le caporal Toma.

Norme de preuve

[18] Je [3] confirme que la norme de preuve à appliquer en l’espèce est la prépondérance des probabilités, telle qu’elle a été définie par la Cour suprême du Canada dans l’affaire F.H. c. McDougall, [2008] 3 RCS 41, au paragraphe 49. C’est ce qu’on appelle parfois la norme de preuve « plus probable qu’improbable ».

Éléments nécessaires selon l’article 7.1

[19] Une analyse bien établie a été citée par divers comités de déontologie dans le cadre du traitement d’allégations selon l’article 7.1 du Code de déontologie. Cette analyse figure dans les recommandations C-2015-001 (C-008) du Comité externe d’examen (CEE) de la GRC, datées du 22 février 2016, aux paragraphes 92 et 93 :

[92] L’article 7 du Code de déontologie exige que les « membres se comportent de manière à éviter de jeter le discrédit sur la Gendarmerie ». L’article 7 est différent de la disposition antérieure énoncée au paragraphe 39(1) du Code de déontologie antérieur. Le paragraphe 39(1) énonçait que le membre ne peut agir ni se comporter d’une façon scandaleuse ou désordonnée qui jetterait le discrédit sur la Gendarmerie. Le CEE et le commissaire ont indiqué que le critère prévu au paragraphe 39(1) consistait à déterminer si une personne raisonnable, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris la réalité des services de police en général et, plus particulièrement, celle de la GRC, considérerait le comportement comme a) scandaleux et b) suffisamment relié à l’emploi pour justifier l’imposition d’une mesure disciplinaire contre le membre [CEE 2900-08-006 (D-123), paragraphe 125; CEE 2400-09-002 (D- 121), commissaire, paragraphe 100].

[93] L’article 7 du Code de déontologie n’implique pas l’exigence d’une conduite scandaleuse ou désordonnée pour jeter le discrédit sur la Gendarmerie. Toutefois, la Version annotée du Code de déontologie de la Gendarmerie (2014) adopte en grande partie le critère du Code de déontologie pour une conduite déshonorante au titre du nouvel article 7, notant que « la conduite déshonorante repose sur un critère qui consiste à déterminer la façon dont une personne raisonnable en société, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris la réalité des services de police en général et, plus particulièrement, celle de la GRC, verrait ce comportement » (p. 21). Le libellé utilisé dans la Version annotée du Code de déontologie (2014) est conforme aux critères adoptés dans d’autres services de police pour établir que l’inconduite est « susceptible » de jeter le discrédit sur le service de police. Comme l’a souligné P. Ceyssens dans Legal Aspects of Policing, volume 2 (Toronto : Earlscourt, 2002, pp. 6-17, 6-18), lorsque le langage de la loi régissant une conduite déshonorante porte sur une conduite « susceptible » de jeter le discrédit sur la réputation d’un service de police, le discrédit doit être établi. L’ampleur du préjudice à la réputation et à l’image du service, si l’acte est rendu public, est plutôt la mesure utilisée pour évaluer l’inconduite. Lors de cette évaluation, la conduite doit être considérée au regard des attentes raisonnables de la communauté. [Traduction libre]

[20] Je confirme que j’ai appliqué cette analyse pour parvenir à ma décision.

[21] En termes simples, le critère pour déterminer si un membre a enfreint l’article 7.1 est de savoir si une personne raisonnable ayant connaissance des faits, y compris les réalités des services de police en général, et de la GRC en particulier, trouverait que la conduite jette le discrédit ou est susceptible de le jeter sur la Gendarmerie.

[22] En outre, pour qu’une infraction soit établie, les comités de déontologie antérieurs ont confirmé que la conduite déshonorante doit être suffisamment liée aux devoirs et fonctions des membres de la GRC pour justifier une mesure disciplinaire de la part de la GRC.

[23] En ce qui concerne les allégations, il s’agit d’une conduite en dehors des heures de service. Cependant, l’article 1.1 du Code de déontologie prévoit que « Le présent code s’applique à tous les membres de la Gendarmerie, il établit les responsabilités et la norme de conduite des membres – qu’ils soient ou non en service – au Canada et à l’étranger. Le présent Code s’applique à chaque membre de la Gendarmerie et établit les responsabilités et la norme de conduite des membres, en service et hors service, au Canada et à l’étranger ».

[24] L’identité du caporal Toma est reconnue dans ses observations écrites et ses aveux oraux, ainsi que dans les documents versés au dossier.

[25] Il me faut ensuite déterminer quels éléments de l’AAD sont établis selon la prépondérance des probabilités. À l’exception peut-être des observations de Mme B.K. lorsqu’elle est arrivée au domicile le ou vers le 20 mai 2019, il n’y a eu que deux témoins oculaires de l’inconduite alléguée dans les trois allégations : le caporal Toma et C.T.

[26] Bien que le caporal Toma ait fourni des déclarations, il a finalement répondu en admettant officiellement tous les détails des trois allégations et les trois allégations elles-mêmes.

[27] En faisant ces aveux, le caporal Toma ne conteste pas les détails et j’estime que l’autorité disciplinaire est libérée de toute obligation de chercher à produire des preuves supplémentaires pour établir le bien-fondé des allégations.

[28] En d’autres termes, en admettant la véracité de toutes les précisions des allégations, le caporal Toma reconnaît les faits exposés dans les précisions.

Observations concernant les précisions

[29] Cela m’amène à trois observations générales concernant les précisions dans tout avis alléguant des infractions au Code de déontologie.

[30] Lorsqu’une précision traite d’un aspect particulier de la conduite qui est reprochée au membre, on s’attend à ce qu’elle reflète fidèlement les éléments de l’enquête sur lesquels on s’est appuyé pour établir cette précision. En d’autres termes, lorsqu’un Comité de déontologie détermine si un dossier composé uniquement de documents déposés établit une précision, il est raisonnable de s’attendre à ce que le dossier contienne des informations qui établissent cette précision selon la prépondérance des probabilités.

[31] Certaines précisions peuvent ne pas spécifier un ou plusieurs actes, ou une ou plusieurs omissions du membre, qui, seuls ou combinés à d’autres précisions, constituent une conduite déshonorante.

[32] Jusqu’à présent, on a fait référence à des précisions qui peuvent avoir une fonction narrative. Néanmoins, pour un incident spécifique indiqué dans le cadre d’une allégation, suffisamment de précisions doivent avoir été établies pour déterminer effectivement une contravention à l’article 7.1 du Code de déontologie.

[33] Une troisième observation concerne les réponses d’un membre visé conformément au paragraphe 15(3) des CC (déontologie), lorsqu’un membre admet avoir enfreint le Code de déontologie et, sans autre commentaire ou explication, reconnaît toutes les précisions fournies pour l’allégation.

[34] En droit, je suis tenu d’appliquer la norme de la prépondérance des probabilités aux informations et aux preuves contenues dans le dossier ainsi que le critère juridique établi pour une contravention à l’article 7.1, et de ne pas considérer simplement que l’aveu d’un membre visé, tant des allégations que des précisions, m’oblige à conclure au bien-fondé des allégations.

[35] Cependant, en règle générale, il est raisonnable de s’attendre à ce que, si un membre reconnaît une allégation et toutes les précisions à l’appui de celle-ci, un Comité de déontologie devrait être en mesure de déterminer que la contravention alléguée est prouvée selon la prépondérance des probabilités.

Allégation 1

[36] En ce qui concerne la précision 1, l’identité du caporal Toma n’est pas contestée. Elle est établie par les déclarations de C.T. et du caporal Toma et elle est reconnue par le caporal Toma. La précision 2 n’est pas non plus contestée. (Pour les mêmes raisons, les précisions 1 et 2 sont réputées établies pour les allégations 2 et 3. Je ne reviendrai pas sur ces précisions.)

[37] Je considère que la précision 3 est établie d’après les déclarations de C.T. et du caporal Toma ainsi que selon les aveux de ce dernier. Je ne trouve rien dans le fait que C.T. ait posé ses mains sur les épaules du caporal Toma, ou sur un seul côté de ses épaules, qui soit menaçant ou destiné à être provocateur. J’accepte que C.T. ait qualifié ce contact des épaules comme un geste de réconfort, et non comme un geste destiné à contrarier le caporal Toma.

[38] En ce qui concerne la précision 4, le caporal Toma l’a reconnue sans autre commentaire dans sa réponse au titre du paragraphe 15(3).

[39] Je considère que tous les éléments les plus importants contenus dans la précision 4 sont établis d’après la déclaration de C.T. concernant l’agression qu’elle a subie de la part du caporal Toma. Cela comprend les poings levés par le caporal Toma, le fait que le caporal Toma ait poussé C.T., ce qui l’a fait tomber au sol, et les deux (au moins deux) coups de pied donnés par le caporal Toma que C.T. a reçus, un à la tête et un au torse.

[40] En l’examinant davantage, la précision 4 fait également référence à deux choses dites par le caporal Toma à l’intention de C.T. Il s’agit de « lui casser la gueule » et de « J’ai envie de te faire mal ». Bien que la déclaration du caporal Toma n’indique pas clairement s’il n’a dit qu’une seule de ces deux choses dans laquelle il a exprimé le souhait de frapper ou de blesser C.T., la précision comprend le qualificatif « ou quelque chose de similaire ».

[41] À la lumière de l’aveu du caporal Toma, et d’après les déclarations de C.T. dans le dossier, je considère que la formulation de chacun de ces propos, ou de mots similaires pour chaque propos, est établie.

[42] En ce qui concerne la précision 5, je considère que les actes indiqués sont établis. Cela comprend le fait que le caporal Toma a maintenu C.T. au sol, l’a agrippée par les cheveux, a enfoncé ses doigts dans sa tête et a appliqué des techniques de maîtrise par points de pression. Toutefois, je ferai des constatations spécifiques au fur et à mesure que certains aspects problématiques se présenteront dans mon examen des troisièmes propos attribués.

[43] J’estime que le caporal Toma a bien dit : « Tu vas arrêter? Arrête, bordel! ». Mais à mon avis, ces propos ne servent qu’à situer dans le temps les autres actes reconnus par caporal Toma. En appliquant le critère de la personne raisonnable prévu à l’article 7.1 du Code de déontologie, y compris le lien suffisant requis pour les devoirs et les fonctions du membre visé, j’estime que ces propos ne constituent pas, en soi, une conduite déshonorante. Le plus pertinent est peut-être que ces propos ne constituaient pas une menace.

[44] J’estime que la précision 6 est entièrement établie selon la prépondérance des probabilités. Ainsi, le caporal Toma a traîné C.T. du salon à la chambre par les cheveux, lui a craché dessus au moins une fois, l’a étranglée en plaçant les mains autour de sa gorge et en tirant sur son survêtement à capuche pour la traîner vers la cuisine. Ces actes ont été commis par le caporal Toma afin de faire sortir C.T. de la résidence. Je constate en outre que C.T. criait et pleurait, demandant au caporal Toma d’arrêter, et qu’elle lui a griffé le bras en essayant de se défendre. Mais, encore une fois, en ce qui concerne le fait que le caporal Toma ait dit à C.T. de « prendre ses affaires » et de « foutre le camp », il s’agit de propos qui ne constituent pas, en soi, une conduite déshonorante lorsqu’on applique le critère de la personne raisonnable. Encore une fois, ces propos ne constituaient pas une menace.

[45] En ce qui concerne la précision 7, d’après les déclarations de C.T. et de Mme B.K. et les photographies pertinentes, j’estime que l’agression de C.T. par le caporal Toma lui a occasionné des contusions et des douleurs, lui a clairement fait peur et l’a fait craindre pour sa sécurité. Il est évident que Mme B.K. s’est présentée après que C.T. a passé un appel téléphonique pour demander de l’aide afin de quitter la résidence.

Allégation 2

[46] La précision 3 indique que le coup de poing a eu lieu à un moment où la voiture de location du couple était en mouvement et conduite par le caporal Toma. Si l’on considère qu’il est établi que le véhicule était en mouvement et conduit par le caporal Toma, il est alors peut-être plus plausible que le coup de poing porté au bras gauche de C.T. était un coup donné d’un revers de la main droite du caporal Toma.

[47] Cependant, je ne suis pas en mesure de déterminer, selon la prépondérance des probabilités, si le coup de poing a été donné par le caporal Toma qui aurait pris du recul pour frapper C.T., comme elle l’a décrit, ou si cela s’est produit comme lui l’a décrit dans sa déclaration.

[48] Je remarque que C.T. a indiqué que le véhicule était à l’arrêt dans un stationnement. Je remarque également la douleur immédiate ressentie par C.T. et le fait qu’elle ait été émotionnellement bouleversée, ainsi que les ecchymoses apparentes occasionnées et photographiées. Ces aspects laissent penser, mais n’établissent pas, selon la prépondérance des probabilités, un coup de poing direct plutôt qu’un geste du revers de la main.

[49] Cependant, j’estime qu’un coup de poing important a été donné par le caporal Toma, comme cela est affirmé à la précision 4. Je confirme que tous les autres aspects de la précision 4 sont établis.

Allégation 3

[50] Je suis conscient que la période visée par l’allégation 3 court du 1er avril 2018 au 19 mai 2019. La première phrase de la précision 3 se lit comme suit : « Vous avez fait montre de violence verbale et physique envers [C.T.]. » Dans la mesure où le dossier reflète les insultes verbales et autres atteintes verbales dirigées par le caporal Toma à l’encontre de C.T., et vice versa, cette phrase de la précision 3 n’est pas suffisamment spécifique.

[51] En outre, je suis convaincu que les violences verbales entre époux (ou partenaires intimes, étant donné que la période visée par l’allégation débute avant le mariage du caporal Toma et de C.T.) n’enclenchent pas automatiquement l’aspect de l’article 7.1 qui concerne le lien avec les fonctions de nature policière.

[52] Pour être clair, c’est la première phrase, soit « Vous avez fait montre de violence verbale et physique envers [C.T.]. », qui est examinée ici. Les observations écrites du représentant du membre visé précisent que l’aveu de conduite déshonorante du caporal Toma par rapport à l’allégation 3 concerne les précisions 4 et 5, et non les cinq cas de bousculade que le caporal Toma reconnaît néanmoins à la précision 3.

[53] Le caporal Toma a admis avoir bousculé ou poussé C.T. Aucun argument n’a été avancé selon lequel ces actes, à savoir le fait de bousculer ou de pousser C.T., constituaient une forme de légitime défense, ou étaient de nature si peu importante qu’ils ne devraient pas donner lieu à une mesure disciplinaire selon une forme quelconque de principe de minimis, ou qu’ils constituaient une forme de défense des biens ou de protection des biens contre un intrus.

[54] Je considère que ces cinq cas où le caporal Toma a bousculé C.T. hors de son chemin ou, comme il l’a décrit, hors de la pièce, car il souhaitait occuper seul ladite pièce, comme étant établis selon la prépondérance des probabilités. En outre, je conclus que ces cinq incidents constituent une conduite déshonorante en tant qu’élément autonome de l’inconduite dans l’allégation 3.

[55] En ce qui concerne la précision 4, le caporal Toma l’a reconnue sans émettre de commentaire. Tous les éléments indiqués dans la précision 4 sont, à mon avis, établis. Cependant, je maintiens le même point de vue que celui que j’ai exprimé concernant d’autres propos que le caporal Toma a reconnu avoir tenus. Bien que les faits soient prouvés, je ne considère pas que les éléments suivants constituent une conduite déshonorante : « À sa réaction, vous vous êtes mis en colère » et « vous l’avez insultée ».

[56] Je remarque également que, dans la déclaration de C.T. concernant la précision 4, elle n’indique pas que le caporal Toma a jeté une chaise dans sa direction, mais seulement qu’il a jeté une chaise qui a atterri sur son pied, ce qui lui a fait mal. Au moins un problème ou une question qui se pose est de savoir si le fait de se mettre en colère, d’insulter son conjoint et de lancer une chaise qui frappe involontairement son conjoint constitue néanmoins une conduite déshonorante.

[57] Dans les présentes circonstances, après avoir examiné l’ensemble du dossier, je suis prêt à considérer que l’aveu du caporal Toma concernant la précision 4, ainsi que les autres informations fournies par C.T., sont suffisants pour conclure que le caporal Toma a été, au minimum, imprudent en jetant une chaise, de sorte qu’elle a percuté C.T. au pied.

[58] Par conséquent, cet épisode de comportement imprudent et violent impliquant la chaise lancée constitue un épisode de conduite déshonorante distinct.

[59] Pour ce qui est de la précision 5, j’estime qu’elle est prouvée dans son intégralité. Encore une fois, en appliquant le critère requis, le fait d’avoir une dispute avec C.T. ne constitue pas une conduite déshonorante en contravention de l’article 7.1. De même, dire à C.T. d’« aller se faire foutre » ne constitue pas des propos distincts.

[60] Cependant, dire à C.T. « Va te faire foutre! », ou quelque chose de similaire, puis la pousser avec force vers l’arrière, la faisant trébucher sur un canapé derrière elle, faisant en sorte qu’elle s’est cogné la tête contre le mur derrière le canapé, contrevient à l’article 7.1. En fait, même sans la perte d’équilibre de C.T. et sa rencontre avec le mur, je trouve que le fait de l’avoir poussée avec force constitue une conduite déshonorante.

Résumé des constatations

[61] Pour l’allégation 1, j’estime qu’une conduite déshonorante est établie, d’après les précisions établies suivantes :

  • précision 4;
  • précision 5, à l’exception des propos suivants : « Tu vas arrêter? Arrête, bordel! »;
  • précision 6, à l’exception des propos suivants : « prendre ses affaires » et « foutre le camp »;
  • précision 7.

[62] Par conséquent, l’allégation 1 est établie d’après ces éléments.

[63] Pour l’allégation 2, j’estime qu’une conduite déshonorante est établie, d’après les précisions établies suivantes :

  • précision 3;
  • précision 4, à l’exception des propos suivants : « Arrête, bordel! ».

[64] Par conséquent, l’allégation 2 est établie d’après ces éléments.

[65] Pour l’allégation 3, j’estime qu’une conduite déshonorante est établie, d’après les précisions établies suivantes :

  • précision 3, à l’exception de l’expression suivante : « Vous avez fait montre de violence verbale (…) envers [C.T.] »;
  • précision 4 dans son intégralité, après avoir déterminé que, au minimum, le caporal Toma avait été imprudent lorsqu’il a lancé la chaise qui a percuté C.T. au pied;
  • précision 5, à l’exception de la dispute et des propos suivants adressés à C.T. : « Va te faire foutre! ».

[66] Le fait que le caporal Toma a délibérément poussé C.T. avec force, à deux mains, d’après la précision 5, constitue un épisode de conduite déshonorante distinct de l’épisode de conduite déshonorante lorsqu’il a lancé la chaise d’après la précision 4. Par conséquent, l’allégation 3 est établie d’après ces éléments.

Conclusion sur le bien-fondé des allégations

[67] J’estime que le caporal Toma a enfreint l’article 7.1 du Code de déontologie, car ses actes à l’égard de C.T. ont impliqué, à plus d’une occasion, un comportement physiquement agressif et imprudemment violent. En appliquant le critère de la personne raisonnable, ces épisodes d’inconduite établis jettent le discrédit sur la GRC. Par conséquent, j’estime que les allégations 1, 2 et 3 sont fondées.

Signature

 

Le 8 avril 2020

John McKinlay

Comité de déontologie de la GRC

Étape relative aux allégations

 

 


 

ÉTAPE RELATIVE AUX MESURES DISCIPLINAIRES [Comité de déontologie Thibault]

[68] Suite au départ à la retraite du Comité de déontologie McKinlay, j’ai été nommée pour rendre des décisions dans l’étape relative aux mesures disciplinaires de la présente procédure. Comme le bien-fondé des allégations a été établi, la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada [LRC (1985), ch. R-10] (Loi sur la GRC), et le Guide des mesures disciplinaires (2014) exigent que j’impose à présent « une mesure juste et équitable selon la gravité de l’infraction, le degré de culpabilité du membre et la présence ou l’absence de circonstances atténuantes ou aggravantes ». Cette partie de la décision écrite clarifie et développe la décision orale que j’ai rendue le 19 juin 2020.

Interdiction de publication

[69] Sur consentement des parties et conformément à la Loi sur la GRC, j’ai ordonné une interdiction de publication comprenant la diffusion, la dissémination et la publication de toute information contenue dans le rapport de la Dre C.B., datée du 29 décembre 2019. L’interdiction porte également sur tous les documents fournis à la Dre C.B., tels qu’ils sont indiqués à la page 3 de son rapport, dans la mesure où ces informations sont recueillies au cours de l’étape de l’audience publique. Cette interdiction de publication inclut aussi toute déposition orale de témoin et toute présentation orale des représentants des parties en relation avec le rapport et les documents de la Dre C.B.

Crédibilité des témoins

[70] Lors de l’audience disciplinaire, j’ai entendu le témoignage de la Dre C.B., de Mme C.T. et du caporal Toma. La Dre C.B. a été reconnue comme un témoin expert qualifié en psychiatrie légale et dans l’évaluation, le diagnostic, les causes, les traitements et le pronostic des troubles psychiatriques. Les Services de santé de la GRC lui ont demandé de procéder à un examen médical indépendant du caporal Toma concernant son diagnostic et son aptitude au travail, en plus des facteurs qui ont contribué à l’incident de violence conjugale de mai 2019 pour lequel il a été accusé au criminel.

[71] J’ai trouvé que le rapport de la Dre C.B. était détaillé et clair. […]. Lors de son témoignage, la Dre C.B. a été franche, crédible et son témoignage était fiable. […].

[72] En ce qui concerne C.T., j’ai trouvé qu’elle était un témoin éloquent et ouvert, qui a parlé franchement de ses difficultés conjugales avec le caporal Toma, qui sont devenues ingérables lorsqu’ils habitaient Wollaston Lake. En fait, durant son témoignage, C.T. a montré qu’elle connaissait bien le cycle de la violence [4] . Elle a admis avoir été victime de violence lors des incidents d’avril 2018 à mai 2019 décrits dans les allégations établies. Elle a déclaré que ce que le caporal Toma lui avait fait était horrible et qu’elle ne le souhaitait à personne [5] . Elle a affirmé que la violence conjugale ne doit pas être tolérée et c’est pourquoi elle l’avait signalée. Elle a également expliqué que, à un certain point de la relation, elle s’est douloureusement rendu compte qu’elle ne pouvait pas soigner le caporal Toma, qui, selon elle, souffrait de dépression et d’anxiété. Il avait besoin d’une thérapie. J’ai trouvé que son témoignage était crédible et sa déposition fiable.

[73] Quant au caporal Toma, il a parlé en son nom propre, s’est excusé pour ses actes et a exprimé des remords. J’ai trouvé qu’il était crédible et sincère. Pour l’essentiel, j’ai également trouvé que sa déposition était fiable. J’expliquerai cela plus en détail dans l’analyse qui suit.

Analyse

[74] Le CEE a établi un processus en trois étapes pour l’imposition de mesures disciplinaires. Premièrement, le Comité de déontologie doit examiner l’éventail approprié de mesures disciplinaires applicables à l’inconduite en cause. Deuxièmement, il doit examiner les facteurs aggravants et atténuants. Troisièmement, le Comité de déontologie doit infliger des mesures disciplinaires qui reflètent avec précision et équité la gravité de l’inconduite en cause, en gardant à l’esprit le principe de la parité des sanctions.

Éventail de mesures disciplinaires

[75] Dans leurs observations présentées au Comité de déontologie, les parties ont fourni une analyse détaillée de l’éventail approprié de mesures disciplinaires applicables aux divers éléments constatés dans l’inconduite du caporal Toma. Le représentant de l’autorité disciplinaire a demandé que le Comité de déontologie congédie le caporal Toma ou lui ordonne de démissionner de la Gendarmerie dans un délai de 14 jours à compter de la date de la décision orale. Si le Comité n’ordonne pas le congédiement, l’autorité disciplinaire demandera la rétrogradation du caporal Toma et une inadmissibilité à une promotion pendant les trois prochaines années; elle demandera aussi à ce que le membre suive tout traitement recommandé par le médecin-chef.

[76] Par ailleurs, le représentant du membre visé a estimé que le congédiement était trop sévère par rapport à d’autres affaires de violence conjugale; pour qu’il y ait parité avec des cas similaires déjà tranchés, il a proposé que le Comité de déontologie envisage une rétrogradation.

[77] Pour étayer sa position, le représentant de l’autorité disciplinaire s’est appuyé sur le Guide des mesures disciplinaires (2014), lequel prévoit trois types de sanctions pour les cas de violence conjugale. Le type atténué concerne les bousculades mineures, qui n’entraînent pas de condamnation au criminel. Le type normal concerne les incidents isolés impliquant un usage relativement mineur de la force. Le type aggravé comprend les situations dans lesquelles le membre visé emploie une violence gratuite non provoquée, des voies de fait causant des blessures, avec des épisodes prolongés de violence conjugale ou de violence à l’encontre d’une personne vulnérable. La sanction recommandée dans ce dernier cas va de la confiscation de 15 jours de salaire au congédiement.

[78] Le représentant de l’autorité disciplinaire a fait valoir que l’inconduite du caporal Toma relevait du type aggravé. Pour étayer sa position, le représentant de l’autorité disciplinaire s’est également appuyé sur la décision Wlodasczak [6] de 2012, qui cite la décision Rendell de 2001 rendue par la Cour fédérale du Canada [7] . Dans l’affaire Rendell, le commissaire de la GRC de l’époque a fait une déclaration forte contre la violence conjugale lorsqu’il a déclaré, au paragraphe 5 de la décision, ce qui suit :

Nous avons, au sein de la GRC, une politique de tolérance zéro en matière de poursuites dans les enquêtes portant sur la violence conjugale, qui est soutenue par les procureurs de la Couronne dans tout le pays. Nous devons envoyer un message fort signifiant que ce type de comportement ne sera pas toléré, en particulier lorsqu’il est perpétré par des membres de la GRC. J’ai déjà exprimé mes attentes à cet égard à la Gendarmerie. La violence conjugale est un fléau dans notre société. En tant que l’une des organisations responsables de la lutte contre ce fléau, nous serions négligents si nous donnions l’impression que nous la traitons en interne autrement qu’avec la plus grande sévérité. [Traduction libre]

[79] Comme l’a indiqué le représentant de l’autorité disciplinaire, la Cour fédérale reconnaît qu’il s’agit là d’un principe approprié, lorsque le juge Rouleau se prononce comme suit :

(…) La politique de tolérance zéro de la GRC en matière de violence conjugale en général, et à l’égard de ses membres en particulier, fait en sorte qu’il est tout à fait raisonnable que les attentes du public aient été l’une des considérations prises en compte par le commissaire. (…) [Traduction libre]

[80] Enfin, le représentant de l’autorité disciplinaire a fait référence à la décision Dhillon de 2019 [8] , dans laquelle le membre visé a été congédié dans le cadre du nouveau processus disciplinaire. Il a été soutenu que le Comité de déontologie a appliqué le même principe de tolérance zéro énoncé dans la décision Rendell et dans la politique nationale actuelle sur la violence et les mauvais traitements dans les relations, lorsqu’il a déclaré, au paragraphe 189, ce qui suit :

La violence à l’égard des femmes reste un problème grave au Canada, malgré les efforts importants déployés par les corps législatifs, les forces de l’ordre, dont la GRC, et l’appareil judiciaire au cours des dernières décennies, pour la prévenir et y répondre. [Traduction libre]

[81] Dans ses observations, le représentant du membre visé a expliqué que, en 23 ans, il n’y a eu que deux cas de violence conjugale dans lesquels les membres ont été congédiés. Il s’agit des décisions Rendell et Dhillon présentées par le représentant de l’autorité disciplinaire. La raison de l’absence de cas semblables réside dans le fait que les membres ne sont pas congédiés pour de telles inconduites. Dans l’affaire Rendell, non seulement le comité d’arbitrage a déterminé que le membre visé n’était pas crédible, mais il a également établi quatre agressions distinctes, ainsi que la menace de l’utilisation d’une arme de service chargée. Quant à la décision Dhillon, le Comité de déontologie a également conclu que le membre visé n’était pas crédible. Le contraste est frappant avec le cas qui nous occupe, dans lequel le représentant de l’autorité disciplinaire a reconnu que les remords du caporal avaient semblé sincères.

[82] En réfutation, le représentant de l’autorité disciplinaire a affirmé que l’argument du représentant du membre, selon lequel, en 23 ans, seuls deux membres ont été congédiés pour violence conjugale dans le cadre d’une procédure semblable à la présente, lui posait problème. Le représentant de l’autorité disciplinaire a expliqué que, bien que l’argument puisse être fondé, il ne représente pas une évaluation précise de tous les cas de violence conjugale impliquant des membres de la GRC. En fait, certains cas ne sont pas signalés par les victimes à des fins d’enquête relative au Code de déontologie ou, parfois, le membre visé démissionne avant que l’affaire ne soit entendue par un Comité de déontologie. Dans d’autres cas, les victimes refusent de témoigner ou de coopérer dans le cadre d’une enquête relative au Code de déontologie, ce qui peut mener à des recommandations conjointes sur les mesures disciplinaires par les parties.

[83] Le représentant du membre visé a également fourni au Comité de déontologie un article de journal et quelques courriels concernant les conditions de travail dans les collectivités isolées. J’ai accordé très peu de poids à ces documents, car les témoignages de C.T. et du caporal Toma ont suffi pour décrire leurs conditions de vie lors de l’affectation à Fond-du-Lac et à Wollaston Lake. Dans mon analyse des efforts de réadaptation du caporal Toma, j’ai également reconnu les difficultés liées aux services de police dans les collectivités du Nord.

[84] En matière de jurisprudence, le représentant du membre visé s’est appuyé sur deux affaires traitées sous le régime antérieur dans lesquelles les membres n’ont pas été congédiés. Dans la décision Hennelly [9] , le membre visé a étranglé et jeté sa femme dans les escaliers à deux reprises, à un mois d’intervalle. Quant à la décision Turcotte [10] , il y a eu trois incidents de violence conjugale au cours d’une année.

[85] Comme l’a indiqué le représentant de l’autorité disciplinaire, ces deux décisions découlent d’une recommandation conjointe, suite au soutien apporté par le commandant divisionnaire et pour laquelle des rapports essentiels faisant état de progrès ont été fournis au comité d’arbitrage. Un autre élément important qui doit être pris en compte dans la décision Hennelly est l’existence d’un accord de la dernière chance avec le commandant divisionnaire, dans lequel le congédiement pouvait avoir lieu à tout moment si le membre visé ne s’abstenait pas complètement de consommer de l’alcool. Enfin, dans la décision Turcotte, le comité d’arbitrage a approuvé le bulletin AM-2208 de la GRC, daté de juillet 2001, qui stipule que les cas de violence conjugale seront traités avec le plus grand sérieux.

[86] Le représentant du membre visé a inclus, dans ses observations, trois décisions rendues sous le régime du nouveau processus disciplinaire dans lesquelles les membres visés n’ont pas été congédiés pour violence conjugale. La décision Wyant [11] ne comportait pas seulement une allégation de violence conjugale, mais aussi des allégations d’achat et d’importation d’une petite quantité de stéroïdes pour usage personnel. Néanmoins, le Comité de déontologie a accepté la proposition conjointe des représentants et a infligé, à titre de mesures disciplinaires, une sanction financière de 25 jours, une confiscation de 20 jours de congés annuels, une réprimande et l’obligation de suivre des séances de counseling.

[87] Dans les décisions El Aste [12] et Noël [13] , les Comités de déontologie ont également accepté des propositions conjointes présentées par les parties concernant les mesures disciplinaires. Dans la décision El Aste, par exemple, en plus de deux incidents distincts de voies de fait, la conjointe du membre visé a été confinée dans sa chambre et aux toilettes pendant trois jours, car il ne pouvait pas se trouver dans la même pièce que sa belle-mère. Chaque fois qu’elle en sortait, le membre visé l’insultait et lui disait de retourner dans sa chambre.

[88] Cependant, je dois souligner que, dans les décisions El Aste et Noël, les Comités de déontologie ont clairement indiqué que, en règle générale, même si les cours ou les tribunaux administratifs ne sont pas entièrement d’accord par rapport à une proposition conjointe, ils ne la rejetteront pas, sauf s’ils peuvent démontrer qu’elle est contraire à l’intérêt public. Le critère du respect de l’intérêt public a un seuil très élevé. Par conséquent, je trouve que la valeur de ces décisions est limitée lors de l’établissement du type de mesures disciplinaires. Les recommandations conjointes sont généralement fondées sur la prise en compte de multiples facteurs et sont le résultat de compromis négociés par les parties, à l’insu du décideur.

[89] Même si je ne suis pas liée par les décisions de comités antérieurs, elles sont toujours très utiles pour établir l’éventail des mesures disciplinaires applicables aux inconduites de nature similaire tout en garantissant la cohérence et l’équité des cas de déontologie. J’estime que l’éventail des sanctions dans cette affaire se situe entre une confiscation de 15 jours de salaire et le congédiement.

[90] Je reconnais que le congédiement est la sanction la plus grave qui puisse être infligée dans une décision disciplinaire. Ce sont les facteurs atténuants qui diminuent la rigueur de la sanction.

Facteurs aggravants

[91] Je considère que les éléments suivants sont des facteurs aggravants :

  1. Le préjudice émotionnel, psychologique et physique subi par C.T. En tant qu’épouse du caporal Toma, elle a non seulement craint pour sa sécurité, mais elle a également souffert d’une forme de stress post-traumatique, a pris des anxiolytiques et a dû recourir à des services de counseling professionnels.
  2. Le caporal Toma a été inculpé au criminel pour voies de fait et a obtenu une liberation conditionnelle.
  3. Il ne s’agissait pas d’un incident isolé. En fait, il y a eu plusieurs agressions physiques, non provoquées, imprudentes et violentes étalées sur une période de 12 mois. En outre, l’agression de mai 2019 relative à de la violence conjugale était un incident en cours. Alors que le caporal Toma aurait pu s’arrêter après la première altercation, il a continué à

(…) Lorsque quelqu’un commet une agression physique assez grave, cette personne n’en est pas arrivée là sans crier gare. Vous savez, au début, les gens peuvent prétendre qu’il n’y a rien eu de tel auparavant. Mais ce n’est généralement pas vrai. (…) M. Toma éprouvait des difficultés par rapport à son désir de contrôle et il recourait aux insultes. Il l’avait poussée à quelques reprises. Il y a eu l’incident dans le véhicule en Ontario où il l’avait frappée à l’époque, et cela a culminé avec [l’agression de mai 2019]. (…) [14] [Traduction libre]

  1. Le caporal Toma était superviseur et a travaillé pendant deux ans dans des collectivités isolées, où la violence conjugale est un phénomène courant. Il était conscient des répercussions de la violence conjugale sur les victimes puisqu’il a déclaré qu’il « examinait probablement 100 dossiers par mois liés à de la violence conjugale [15] ». En outre, le caporal Toma a déclaré au Comité de déontologie qu’il voulait militer contre la violence faite aux femmes. Lorsqu’il était en poste à Wollaston Lake, il a participé à un petit séminaire avec des personnes de la réserve lors duquel il a expliqué « que nous devons honorer et respecter nos femmes et ne pas les faire se sentir coupables si elles témoignent contre leur mari, car elles essaient de sauver leur relation [16] ». En prenant cela en considération, je trouve que l’inconduite du caporal Toma montre un manque de sincérité et une grave erreur de jugement, car les membres de la Gendarmerie sont censés montrer l’exemple.

Facteurs atténuants

[92] Je considère que les éléments suivants sont des facteurs atténuants :

  1. Le caporal Toma a exprimé des remords sincères pour ses actes et s’est excusé auprès de son épouse, C.T., de la GRC et du Comité de déontologie.
  2. Il a reconnu l’entière responsabilité de sa conduite, comme en témoignent ses aveux concernant les allégations, et il reconnaît que ses actes étaient inappropriés. Il a pleinement coopéré à l’enquête criminelle et à l’enquête relative au Code de déontologie.
  3. Les évaluations de rendement du caporal Toma sont très positives et le décrivent comme un membre doté d’une excellente éthique de travail et d’un grand potentiel. Cependant, il n’a actuellement que six années de service à son actif. Étant donné la gravité de ses actes après seulement cinq ans de service, je n’accorde pas trop de poids à ce facteur.
  4. Il n’a aucun antécédent disciplinaire.
  5. Les lettres de recommandation indiquent qu’il bénéficie du soutien continu de ses pairs, de son ancien superviseur et de son épouse.
  6. Il contribue aux domaines de la jeunesse et de la réduction de la criminalité par son engagement auprès des cadets de la Marine locaux.
  7. Il a suivi un cours sur la violence conjugale supervisé par son agent de probation. Je remarque que ce cours était obligatoire suite à l’accusation criminelle de voies de fait.

[93] En ce qui concerne la probabilité de récidive, j’ai pris en considération le pronostic de la Dre C.B. qui figure dans son rapport et lors de son témoignage […].

[94] Comme l’a indiqué le représentant de l’autorité disciplinaire, il y a peu de preuves d’un progrès significatif dans la réadaptation du caporal Toma. À l’exception des médicaments prescrits par son médecin de famille, en novembre 2019, le caporal Toma ne semble pas disposer d’un plan tangible à long terme pour l’aider à obtenir les conseils et les outils nécessaires pour l’empêcher de reproduire son comportement répréhensible.

[95] En ce qui concerne les progrès de la réadaptation du caporal Toma, la Dre C.B. a clairement exprimé lors de son témoignage à l’audience « […] ». En fait, ce qu’il a fait n’est pas une infraction mineure, « il lui a craché dessus, l’a étranglée et lui a donné des coups de pied [17] ». […].

[96] Je reconnais pleinement, comme l’indiquent les témoignages de C.T. et du caporal Toma, que des obstacles tels que la géographie, le manque de vacances et de congés de maladie approuvés par la direction, et les conditions de travail à Wollaston Lake, ont été des facteurs importants qui l’ont empêché d’obtenir les services de santé appropriés dont il avait besoin. Je suis convaincue que le caporal Toma a fait ce qu’il a pu avec les ressources à sa disposition dans la collectivité isolée. Par exemple, en mars 2019, l’infirmière praticienne locale lui a prescrit des antidépresseurs. Il a également obtenu des conseils informels d’un ami et travailleur social et a commencé des séances de thérapie avec le Dr D.J., un psychologue, en juillet 2019. Comme le caporal Toma se trouvait à Prince Albert, la distance rendait les séances de thérapie régulières difficiles. Cela a également été reconnu dans les observations du représentant de l’autorité disciplinaire.

[97] Cependant, en août 2019, le caporal Toma a redéménagé à Swift Current où il a obtenu le soutien de son épouse et de ses amis proches, qu’il considérait comme de la famille.

[98] Dans ses observations, le représentant du membre visé a indiqué qu’un total de neuf médecins ont été vus par le caporal Toma entre mars 2019, lorsqu’il vivait à Wollaston Lake, et aujourd’hui (juin 2020). Je trouve qu’il y a une distinction importante à faire entre les praticiens qui ont fourni au caporal Toma des évaluations de santé et des recommandations de traitement, tels que le Dr M.A. et le Dr F.B., deux médecins-chefs de la GRC, ainsi que la Dre C.B., qui a fourni un examen psychiatrique indépendant, et ceux qui ont fourni des traitements médicaux précis.

[99] D’août 2019 à l’audience de juin 2020, le caporal Toma a cherché à obtenir l’aide de trois prestataires de soins de santé. En août 2019, il a terminé ses séances de thérapie avec le Dr D.J., son psychologue. Le 22 novembre 2019, son médecin de famille lui a prescrit de nouveaux antidépresseurs. En décembre 2019 et en janvier 2020, le caporal Toma a reçu deux séances de thérapie de Mme N.D., la thérapeute en santé publique de Swift Current.

[100] Lorsqu’on lui a demandé en contre-interrogatoire s’il avait suivi la forte recommandation faite par le Dr M.A. en novembre 2019 de prendre un rendez-vous avec un psychologue agréé à Regina pour lui apporter un soutien continu, le caporal Toma a répondu que le Dr M.A. avait juste fait une recommandation et, je cite, « il ne l’a pas dit comme une sanction. Il a juste dit : “[Caporal Toma], c’est bon pour vous. Suivez cette voie.” »

[101] Le 12 décembre 2019, quelques semaines seulement après le rendez-vous de novembre, le Dr M.A. a réitéré sa recommandation au caporal Toma, à savoir de demander l’aide d’un psychologue agréé à Regina. En contre-interrogatoire, le caporal Toma a admis qu’il n’avait pas donné suite à cette recommandation.

[102] Selon les preuves, le 13 décembre 2019, le Dr D.J. a demandé six séances de thérapie supplémentaires, qui ont été approuvées par le Dr M.A., le 16 décembre 2019. Lors du contre- interrogatoire, le caporal Toma a déclaré : « le Dr [M.A.] m’avait téléphoné à ce propos quelque temps auparavant, au sujet de ces huit séances, et il a dit qu’elles étaient facilement accessibles quand j’en avais besoin [18] . » [Caractères gras ajoutés.]

[103] En ce qui concerne ses deux séances de thérapie avec Mme N.D., qu’il a achevées en décembre 2019 et janvier 2020, le caporal Toma a fait le témoignage suivant :

(…) Mme N.D. fait un travail formidable et je suis heureux de la voir parce qu’elle est très proche. Et il n’y avait pas d’autre travailleuse sociale à Swift Current. La seule était à Regina. Financièrement, il était donc logique pour moi de rester à Swift Current et de parler avec [Mme N.D.], et j’avais établi de très bons rapports avec elle. Mais en janvier, elle m’a dit : « Je n’ai plus besoin de vous voir, parce que vous avez un bon plan à venir [19] . » (…) [Caractères gras ajoutés.]

[104] Lorsque la représentante de l’autorité disciplinaire lui a demandé pourquoi il ne lui avait pas montré le rapport d’examen psychiatrique indépendant de la Dre C.B., il a répondu : « Non, je ne me sentais pas à l’aise. Je voulais seulement que certaines personnes aient accès à ce rapport. Et je partageais tous les problèmes, mais je ne voulais pas qu’il y ait trop de détails. C’est tout [20] . »

[105] Je dois dire que les réponses susmentionnées fournies par le caporal Toma lors de l’audience ont jeté un doute sur la fiabilité de son témoignage. J’estime que, malgré le fait que son emploi est menacé, il manque toujours de motivation pour chercher de façon proactive à suivre une thérapie régulière afin d’éviter une récidive, de se comprendre et de travailler sur les questions importantes indiquées dans le rapport de la Dre C.B.

[106] Je reconnais que le caporal Toma a également eu des difficultés à recevoir l’aide médicale nécessaire à sa réadaptation lorsqu’il vivait à Swift Current. Par exemple, il doit faire environ trois heures de route aller pour assister à une séance de thérapie d’une heure à Regina; il a reçu en août 2019 un Avis d’intention de cessation de salaire et d’indemnités et il n’était pas sûr d’avoir encore droit aux prestations médicales; la GRC lui doit encore de l’argent pour des frais médicaux non réclamés [21] ; enfin, la pandémie de COVID-19 a changé la façon dont il peut accéder aux services de santé.

[107] Néanmoins, je ne peux pas simplement accepter les raisons fournies par le caporal Toma pour ne pas avoir donné suite aux recommandations claires faites à deux reprises par le Dr M.A. et la Dre C.B. À mon avis, le message est clair : pour se réadapter, le caporal Toma a besoin d’une thérapie de soutien continue avec un thérapeute expérimenté qui l’aidera à cerner ses problèmes et à les résoudre.

[108] En outre, le caporal Toma est actuellement suspendu avec solde. Il n’a aucune obligation ni responsabilité professionnelle. Par conséquent, il devrait avoir suffisamment de temps à consacrer à sa santé et à son bien-être. En ce qui concerne ses séances de thérapie supplémentaires avec le Dr D.J., le caporal Toma a également déclaré que les séances étaient facilement accessibles lorsqu’il en avait besoin et qu’il pouvait désormais y participer au moyen de Skype ou de Zoom, ce qui lui évite de se rendre à Regina. Pourtant, rien ne prouve qu’il ait programmé une séance.

[109] Bien que je reconnaisse que la GRC est responsable de fournir l’accès à des ressources pour le bien-être de ses employés, les membres doivent assumer la responsabilité première de chercher les traitements appropriés pour se réadapter. D’autant plus lorsque les ressources sont facilement accessibles.

[110] Je trouve que le caporal Toma n’a pas démontré qu’il est pleinement engagé dans sa propre réadaptation, ce qui l’a amené à ne pas faire tout ce qui lui a été demandé à diverses reprises par les Services de santé de la GRC. Par conséquent, je ne peux pas conclure avec certitude que l’inconduite est actuellement maîtrisée et qu’elle ne se manifestera pas à l’avenir lorsqu’il sera confronté à une autre situation stressante.

Parité de la sanction

[111] Lorsqu’il envisage une sanction appropriée, un Comité de déontologie doit tenir compte du fait que l’objectif premier d’une sanction disciplinaire au titre de la Loi sur la GRC et des CC (déontologie) n’est pas punitif. Conformément à l’alinéa 36.2e) de la Loi sur la GRC, les mesures disciplinaires doivent être proportionnées à la nature et aux circonstances de la violation du Code de déontologie et, le cas échéant, elles doivent être éducatives et correctives. Néanmoins, la GRC a le droit et l’obligation de prévenir et de dissuader une conduite qui n’est pas acceptable au regard de ses objectifs et buts organisationnels ainsi que des attentes du public.

[112] À la lumière des preuves psychiatriques fournies par la Dre C.B., l’inconduite du caporal Toma devient beaucoup plus compréhensible, mais elle ne l’exonère pas totalement ni ne signifie qu’elle doit être tolérée dans le contexte de l’emploi. En fait, j’estime que la longue période d’incidents décrits dans les trois allégations établies illustre une baisse des normes de conduite personnelles du caporal Toma. Elle sape également la confiance du public, que la GRC est en droit d’accorder à ses employés. Elles montrent également une violation des valeurs fondamentales de la GRC, notamment la compassion et le respect.

[113] Comme l’a clairement indiqué l’ancien commissaire de la GRC dans la décision Rendell, qui a été confirmée par la Cour d’appel fédérale en 2001, lors de la détermination de la sanction appropriée dans les cas où des membres commettent des actes de violence conjugale grave :

(…) La question numéro un pour moi, en tant que responsable de la satisfaction des attentes du public et de celles de l’organisation de manière équitable, c’est de simplement demander si les citoyens s’attendent à ce que leurs policiers restent des policiers après avoir été condamnés au criminel pour agression. Ma question porte sur les agressions dans des situations conjugales dans le genre de circonstances dont la preuve a établi devant le Comité qu’elles comprenaient un comportement de contrôle physique, émotionnel et psychologique de la part du membre. La réponse est « non » sans équivoque, d’après moi.

Je reconnais que la réadaptation est l’une des caractéristiques de notre processus disciplinaire lorsqu’il s’agit de traiter les questions relatives au Code de déontologie, mais la dissuasion et un engagement très fort en faveur de l’élimination de la violence conjugale doivent également être une considération majeure dans la détermination de la sanction appropriée. Je pense que chaque cas doit être traité selon son propre bien-fondé et que les facteurs atténuants et aggravants doivent être dûment pris en considération. (…)

[Traduction libre; sic tout du long; mise en évidence ajoutée]

[114] Même si cette déclaration a été faite il y a 19 ans, la même norme s’applique encore aujourd’hui à la GRC. Elle est en fait renforcée dans l’actuelle politique nationale de la GRC sur la violence et les mauvais traitements dans les relations [22] , qui stipule au point 2.1 :

Les enquêtes sur les affaires de violence ou de mauvais traitement dans les relations sont hautement prioritaires et doivent être menées rigoureusement et rapidement pour assurer la sécurité des personnes touchées.

[115] Cette norme est également conforme aux valeurs de la société, qui ont clairement montré depuis des décennies que la violence conjugale est inacceptable et ne peut être tolérée.

Décision sur les mesures disciplinaires

[116] Bien que certains facteurs atténuants aient été acceptés, je trouve qu’ils ne sont pas assez forts pour contrer la gravité de l’inconduite et réduire la sanction ultime que je juge nécessaire. Compte tenu de ces circonstances et du poste de responsabilité et de confiance qu’occupe le caporal Toma à titre de policier ayant fait le serment d’appliquer la loi, je ne peux simplement pas justifier son maintien au sein de l’effectif de la GRC. Son retrait serait dans le plus grand intérêt du public ou de la GRC.

[117] Comme l’a indiqué le représentant de l’autorité disciplinaire, la responsabilité du caporal Toma en tant que membre actif était de prévenir la violence dans les relations et d’enquête sur cette violence, et non pas de contribuer au problème. Il était également un officier formé qui a usé de techniques de contrainte par la douleur sur son épouse pour maîtriser la situation.

[118] J’affirme la position du représentant de l’autorité disciplinaire selon laquelle le congédiement est une sanction justifiée et raisonnable dans la présente affaire.

CONCLUSION

[119] Compte tenu de la nature des trois allégations établies et conformément à l’alinéa 45(4)a) de la Loi sur la GRC, j’ordonne au caporal Toma de démissionner de la Gendarmerie. S’il ne le fait pas dans les 14 jours, j’ordonne alors son congédiement.

[120] L’une ou l’autre des parties peut faire appel de la présente décision en déposant une déclaration d’appel auprès du commissaire dans les 14 jours suivant la signification de la présente décision au caporal Toma, comme il est indiqué à l’article 45.11 de la Loi sur la GRC et à l’article 22 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289.

 

 

Le 18 août 2020

Josée Thibault

Comité de déontologie de la GRC

Étape relative aux mesures disciplinaires

 

Date

 



[1] Une déclaration de type KGB est une déclaration enregistrée sur vidéo par un témoin qui peut être présentée au tribunal comme preuve même si le témoin se rétracte. La déclaration est nommée d’après la décision de la Cour suprême du Canada qui a établi ce principe.

[2] Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11.

[3] Veuillez noter que le « je » dans cette partie de la décision fait référence au Comité de déontologie McKinlay.

[4] Le cycle de la violence est composé de trois phases : la phase de tension, la phase de crise et la phase de lune de miel.

[5] Transcriptions, version Word, page 80, lignes 4 et 5.

[6] Officier compétent de la Division E et sergent d’état-major Wlodarczak, 2012, 11 D.A. (4e)

[7] Rendell c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 710.

[8] Officier compétent de la Division E c. gendarme Dhillon, 2019 RCAD 13.

[9] Officier compétent de la Division K c. le gendarme Hennelly, 2007, 1 D.A. (4e) 1.

[10] Officier compétent de la Division J c. corporal Turcotte, 2005, 25 D.A. (3e) 194.

[11] Commandant de la Division nationale et gendarme Wyant, 2016 DARD 4.

[12] Officier compétent de la Division D et gendarme El Aste, 2018 DARD 18.

[13] Officier compétent de la Division C et gendarme Noël, 2019 DARD 11.

[14] Transcriptions datées du 17 juin 2020, version Word, page 17, lignes 13 à 25; page 18, lignes 1 à 5.

[15] Transcriptions datées du 17 juin 2020, version Word, page 157, lignes 17 à 19.

[16] Transcriptions datées du 17 juin 2020, version Word, page 125, lignes 4 à 10.

[17] Transcription datée du 17 juin 2020, version Word, page 20, lignes 17 et 18.

[18] Transcriptions datées du 17 juin 2020, version Word, page 164, lignes 17 à 20.

[19] Transcriptions datées du 17 juin 2020, version Word, page 155, lignes 20 à 25; page 156, lignes 1 à 4.

[20] Transcriptions du 17 juin 2020, version Word, page 164, lignes 8 à 11.

[21] Il a été confirmé lors de l’audience que la GRC ne savait pas qu’elle devait de l’argent au caporal Toma pour des frais médicaux engagés non réclamés. Le représentant de l’autorité disciplinaire a encouragé le caporal Toma à prendre contact avec l’organisation et à présenter une demande de remboursement de ses frais, qui seront remboursés conformément à la politique.

[22] Manuel des opérations, chapitre 2.4 « Violence/mauvais traitement dans les relations », 22 février 2018.

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