Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

La caporale Doktor a fait face à trois allégations de contravention au Code de déontologie de la GRC. Son comportement a été en cause lorsqu’elle conduisait un véhicule de police tandis qu’elle n’était pas en service et qu’elle avait les facultés affaiblies par l’alcool.
Les éléments de preuve présentés au Comité de déontologie étaient exhaustifs, complets et déterminants. Aucun avantage ne pourrait être tiré de l’audition de la preuve orale sur les allégations. Par conséquent, le Comité de déontologie a demandé aux parties de présenter des observations sur la question de savoir si les documents d’enquête fournis avec l’avis d’audience disciplinaire avaient permis d’établir le fondement des allégations. Le Comité de déontologie a ensuite conclu que les trois allégations étaient fondées : conduite déshonorante pour avoir agressé un policier dans l’exercice de ses fonctions; conduite déshonorante pour avoir conduit un véhicule automobile avec un taux d’alcool dépassant 80 mg par 100 ml de sang; et utilisation non autorisée d’un véhicule de police.
Les parties ont demandé et obtenu une audience pour la phase disciplinaire des délibérations. S’appuyant sur le témoignage d’expert de deux témoins, le comité a imposé :
1. une réprimande;
2. une rétrogradation indéfinie du rang de caporal à celui de gendarme (au plus haut échelon de rémunération de ce niveau) pour une période indéterminée;
3. l’inadmissibilité à une promotion subséquente pour une période de deux ans;
4. une sanction pécuniaire de 80 heures, à déduire de la rémunération de la cap. Doktor;
5. le retrait de 80 heures de congés annuels;
6. l’instruction de continuer à assister aux séances de counseling et à la thérapie avec Mme Norum ou un autre thérapeute jusqu’à ce que la cap. Doktor, son thérapeute et l’agent des services de santé conviennent tous qu’elles ne sont plus nécessaires;
7. un transfert à un autre lieu de travail, à la discrétion du commandant divisionnaire.

Contenu de la décision

Protégé A

2020 DAD 18

Logo de la Gendarmerie royale du Canada

GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

dans l’affaire d’une

audience disciplinaire au titre de la

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC, 1985, ch. R-10

Entre :

le sous-commissaire Curtis Zablocki

Autorité disciplinaire désignée

et

la caporale Anita Doktor

Numéro de matricule 54367

Membre visée

Décision du comité de déontologie

Gerald Annetts

23 septembre 2020

Mme Shahana Khan, représentante de l’autorité disciplinaire

Mme Megan Hankewich, représentante de la membre en cause


SOMMAIRE

La caporale Doktor a fait face à trois allégations de contravention au Code de déontologie de la GRC. Son comportement a été en cause lorsqu’elle conduisait un véhicule de police tandis qu’elle n’était pas en service et qu’elle avait les facultés affaiblies par l’alcool.

Les éléments de preuve présentés au Comité de déontologie étaient exhaustifs, complets et déterminants. Aucun avantage ne pourrait être tiré de l’audition de la preuve orale sur les allégations. Par conséquent, le Comité de déontologie a demandé aux parties de présenter des observations sur la question de savoir si les documents d’enquête fournis avec l’avis d’audience disciplinaire avaient permis d’établir le fondement des allégations. Le Comité de déontologie a ensuite conclu que les trois allégations étaient fondées : conduite déshonorante pour avoir agressé un policier dans l’exercice de ses fonctions; conduite déshonorante pour avoir conduit un véhicule automobile avec un taux d’alcool dépassant 80 mg par 100 ml de sang; et utilisation non autorisée d’un véhicule de police.

Les parties ont demandé et obtenu une audience pour la phase disciplinaire des délibérations. S’appuyant sur le témoignage d’expert de deux témoins, le comité a imposé :

  1. une réprimande;
  2. une rétrogradation indéfinie du rang de caporal à celui de gendarme (au plus haut échelon de rémunération de ce niveau) pour une période indéterminée;
  3. l’inadmissibilité à une promotion subséquente pour une période de deux ans;
  4. une sanction pécuniaire de 80 heures, à déduire de la rémunération de la cap. Doktor;
  5. le retrait de 80 heures de congés annuels;
  6. l’instruction de continuer à assister aux séances de counseling et à la thérapie avec Mme Norum ou un autre thérapeute jusqu’à ce que la cap. Doktor, son thérapeute et l’agent des services de santé conviennent tous qu’elles ne sont plus nécessaires;
  7. un transfert à un autre lieu de travail, à la discrétion du commandant divisionnaire.

INTRODUCTION

[1]  L’audience disciplinaire dans cette affaire a été amorcée par la Commission de déontologie le 28 mai 2019. Trois allégations d’inconduite ont été formulées contre la cap. Doktor pour un incident survenu en dehors des heures de travail le 1er juin 2018. Le 3 juin 2019, j’ai été nommé au Comité de déontologie.

ALLÉGATIONS

[2]  Le 21 novembre 2019, l’avis d’audience disciplinaire contenant les trois allégations d’inconduite a été signifié à la cap. Doktor. Les allégations se lisent comme suit :

Allégation 1

Le 1er juin 2018 ou vers cette date, à High Prairie (Alberta), la caporale Anita Doktor a eu une conduite déshonorante, en contravention de l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Détails communs aux allégations 1 et 2 :

1. Au moment des faits, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affectée à la Division K, au Détachement de High Prairie, en Alberta.

2. Au moment des faits, vous conduisiez un véhicule de la GRC, un Ford Escape 2009, immatriculé ZKW684 en Alberta (« AB ZKW684 »).

3. À [19 h 42], vous avez garé le véhicule AB ZKW684 devant un dépanneur mac’s (« mac’s »). Lorsque vous êtes sortie du véhicule par la portière côté conducteur, vous étiez instable sur vos pieds et votre démarche était oscillante. À [19 h 44], vous êtes entrée dans le dépanneur et y avez fait un achat. Tandis que vous sortiez du dépanneur mac’s, vous avez heurté un présentoir en marchant.

4. À [19 h 45], la GRC de High Prairie a reçu un appel de Mme [J.B.] au sujet d’une « conductrice en état d’ébriété » au mac’s. Mme [J.B.] vous a décrite en disant que vous étiez presque [traduction] « tombée sur [son] enfant » et que vous ne pouviez pas marcher correctement. Pendant que vous étiez à l’extérieur du véhicule AB ZKW684, Mme [J.B.] vous a demandé vos clés de voiture. Vous ne lui avez pas remis vos clés.

5. Mme [M.C.], la belle-soeur de Mme [J.B.], vous a dit que vous ne devriez pas boire et conduire, vous avez répondu : « Vous ne devriez pas faire ça avec vos enfants. » Vous avez demandé à Mme [M.C.] si Mme [J.B.] était en train d’appeler « la police », puis vous vous êtes éloignée rapidement du véhicule AB ZKW684 et du dépanneur. Mme [J.B.] a tenté de vous suivre alors que circuliez à pied parmi les commerces locaux.

Détails propres à l’allégation 1

6. On a indiqué à l’agente de la paix communautaire de la GRC Erica Thiessen (« agente de la paix Thiessen ») où vous vous trouviez, et elle vous a vue au « Burger Baron ». Elle vous a reconnue. Vous avez demandé à l’agente de la paix Thiessen ce qui se passait, elle vous a dit « qu’un appel avait été fait »; vous avez confirmé que vous aviez compris qu’un appel à la police avait été fait en disant « je sais ».

7. Les gendarmes Vincent Fontaine et Samuel Tremblay de la GRC sont arrivés dans le stationnement du Burger Baron. Vous avez alors eu les comportements obstructionnistes et agressifs suivants :

a. Le gend. Tremblay vous a détenue pour conduite avec facultés affaiblies et vous a informée de vos droits en vertu de la Charte. Vous avez dit : « Non, non, non, ... Pour quoi? » Le gend. Tremblay vous a demandé si vous aviez sur vous quelque chose qui pourrait blesser quelqu’un, vous n’avez pas répondu. Vous avez refusé de parler au gend. Tremblay en disant : « Non, je ne vais pas te parler, Sam, je ne te connais pas. »

b. Après quoi, le gend. Fontaine vous a informée que vous étiez en état d’arrestation pour conduite avec facultés affaiblies d’un véhicule automobile, il vous a escortée jusqu’à son véhicule de police et vous a demandé si vous aviez quelque chose dans vos poches. Vous avez sorti un téléphone cellulaire de votre poche et, en réponse au gend. Fontaine qui a dit qu’il allait prendre l’appareil pour le moment, vous avez mis le téléphone cellulaire dans votre soutien-gorge. Après une brève argumentation, vous avez remis au gend. Fontaine votre téléphone cellulaire ainsi que les clés du véhicule AB ZKW684.

c. Le gend. Tremblay a demandé à ce qu’une policière soit présente pour effectuer une fouille par palpation; la gend. Erin Bonang était en route. Pendant qu’on attendait son arrivée, vous avez tenté d’entrer dans le véhicule de police. Le gend. Fontaine vous a dit d’arrêter, vous avez refusé de coopérer et il a dû vous tirer de force par le bras pour vous retenir.

d. On vous a demandé de vous asseoir dans le véhicule de police, vous avez refusé de coopérer et avez dit [traduction] « Vincent, va te faire foutre, est-ce que je peux d’abord parler à cet hostie de Barrett s’il te plaît », ou des mots en ce sens.

e. Vous avez ensuite parlé au gend. Barrett Cunningham et lui avez demandé d’appeler votre père, un membre à la retraite de la GRC et avocat, et de vous aider à parler de façon informelle au détachement.

f. Une fois assise dans le véhicule de police, pendant que le gend. Fontaine vous lisait vos droits garantis par la Charte, vous avez dit « ouais, ouais, ouais, j’ai été arrêtée pour facultés affaiblies, bla bla bla bla bla... » Vous n’écoutiez pas le gend. Fontaine, alors il vous a relu la mise en garde, et lorsqu’on vous a demandé si vous compreniez, vous avez répondu « Et comment! J’ai aucune idée de ce que j’ai fait, ou ce qu’est mon nom, en anglais s’il vous plaît, sais-tu lire l’anglais, parce que je ne sais pas si tu en es capable, tu pourrais ouvrir la fenêtre? » Le gend. Tremblay a ouvert la fenêtre latérale pour que vous puissiez bien entendre, et vous avez dit : « J’aimerais entièrement en anglais s’il vous plaît. »

g. On vous a ensuite demandé de fournir un échantillon d’haleine et de confirmer que vous n’aviez rien dans la bouche; vous avez dit « oui » plusieurs fois et « maudits français de merdre ». Le gend. Fontaine vous a dit qu’on vous parlait en anglais et vous avez dit « tu en es incapable », puis vous avez frappé la fenêtre avec votre main.

h. En route vers le Détachement de High Prairie, vous avez fait geste irrespectueux de la main à l’endroit du gend. Fontaine, c’est-à-dire que vous lui avez montré votre majeur en disant « Ça c’est pour toi. »

i. Après que le gend. Fontaine a informé la répartition qu’il avait terminé le transport, vous avez dit « c’est ça, alors je vais appeler mon avocat, ça va prendre pas même trois heures et ça va finir là » ou quelque chose en ce sens.

j. Après votre arrivée au Détachement de High Prairie, on vous a aidée à sortir du véhicule de police. Vous avez fait à l’adresse du gend. Fontaine un geste de la main qu’il a interprété comme voulant dire qu’on ne vous avait pas menottée. Il vous a dit qu’il n’avait pas l’impression que les menottes étaient nécessaires parce qu’il vous faisait confiance, en réponse, vous avez dit : « Oh, vraiment? » Vous avez ensuite mis votre main dans votre poche et avez sorti deux pièces de deux dollars et les avez lancées en direction du gend. Fontaine, l’atteignant à la poitrine. Vous avez également sorti un briquet de votre poche et l’avez lancé en direction du gend. Fontaine, l’atteignant à la poitrine.

k. Pendant que vous étiez assise au Détachement, vous avez enlevé votre chandail à capuchon et l’avez jeté par terre. Le gend. Fontaine l’a ramassé et vous l’a redonné pour que vous puissiez le remettre, et vous le lui avez lancé au visage.

I. Vous avez pris votre téléphone cellulaire des mains du gend. Fontaine, on vous a menée à la salle des téléphones où on vous a laissée seule. Pendant que vous étiez dans la salle des téléphones, vous avez de nouveau montré votre majeur au gend. Fontaine, cette fois à travers la fenêtre de la salle des téléphones.

m. On vous a informée que vous pourriez poursuivre l’appel à votre avocat et qu’ensuite vous auriez à fournir un échantillon d’haleine, vous avez répondu : « Vous n’en aurez pas. »

n. À [20 h 39], les Services médicaux d’urgence (SMU) sont arrivés et ont tenté de vérifier la blessure à la tête que vous aviez subie dans la salle des téléphones. Vous avez dit « non », vous avez arraché le brassard de votre bras, vous êtes entrée dans le couloir à côté du bloc cellulaire puis vous vous êtes assise par terre. Vous pleuriez et vous ne coopériez pas, vous demandiez à parler au [sergent d’état-major (s.é.-m.)] Wright. Lorsque le s.é.-m. Wright est arrivé, vous lui avez demandé s’il était médecin. Après avoir vérifié vos blessures, les SMU ont décidé que vous deviez vous rendre à l’hôpital pour recevoir des points de suture. Les SMU ont indiqué qu’ils ne se sentaient pas en sécurité pour vous transporter en raison de votre comportement agressif et belliqueux.

o. Pendant le transport à l’hôpital de High Prairie, vous avez dit ce qui suit ou des mots dans le même sens :

i. « Croyez-moi, j’ai un avocat. »

ii. « J’allais pas poursuivre la GRC, mais là je pourrais changer d’avis. »

iii. « Ça vous a pris 15 minutes pour finalement arriver à me détenir, vous savez, vous allez le regretter. »

iv. « Bon, qu’est-ce qui se passe maintenant, où sont mes échantillons d’haleine? Je sors d’ici. »

p. À l’hôpital, vous vous êtes enfuie de la garde des membres en disant que c’était une blague, vous pleuriez et vous sanglotiez parfois, vous avez frappé le mur, puis vous avez levé le poing en disant que vous vouliez frapper l’un des membres.

q. À l’hôpital, vous avez dit ce qui suit ou des paroles en ce sens :

i. « Vincent, tu sais que les facultés affaiblies, ça ne marchera pas, vous n’aurez jamais mon échantillon à temps, ça, je le sais. »

ii. « Alors ils ont remorqué le véhicule de la GRC, Incroyable! ... Pour quelle raison, quels sont tes motifs pour le remorquer, Vincent? Oh, tu dis qu’elle a les facultés affaiblies, ok, alors il n’y a pas d’échantillon, rien... »

iii. « Prends des notes, prends des notes, tu as perdu, tu le sais, hein? »

iv. « Les gars, vous avez... vous n’avez rien pour les facultés affaiblies »

r. Vous avez ensuite demandé au gend. Fontaine de vous redonner votre téléphone cellulaire afin que vous puissiez appeler votre soeur. Quand le gend. Fontaine a refusé de vous le rendre, vous avez dit que c’était une violation de vos droits et que vous ajouteriez le nom du gend. Fontaine dans votre poursuite.

s. À [21 h 51], vous avez demandé de l’eau à boire, et on vous a dit que vous ne pourriez boire qu’après avoir fourni l’échantillon d’haleine; vous vous êtes alors dirigée vers un évier dans la pièce et avez tenté de boire de l’eau, et la gend. Bonang a dû vous empêcher de le faire.

t. À [21 h 1], vous avez dit : « Les facultés affaiblies se sont dissipées, Vincent, tu devrais le savoir. »

8. Le 7 juin 2018, vous avez été accusée d’avoir illégalement commis des voies de fait contre le gendarme Vincent Fontaine, un agent de la paix agissant dans l’exercice de ses fonctions, en contravention de l’alinéa 270(1)a) du Code criminel [1] du Canada, et d’avoir illégalement et volontairement entravé le gend. Vincent Fontaine, agent de la paix, dans l’exécution de ses fonctions, en contravention de l’alinéa 129(a) du Code criminel du Canada.

9. En ce qui concerne l’accusation de voies de fait susmentionnée, vous avez plaidé coupable le 15 octobre 2018 et, le 1er mai 2019, vous avez obtenu une libération conditionnelle et une période de probation. L’accusation d’entrave a été retirée par la Couronne.

Allégation 2

Le 1er juin 2018 ou vers cette date, à High Prairie (Alberta), la caporale Anita Doktor a eu une conduite déshonorante, en contravention de l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Détails propres à l’allégation 2 :

6. À [23 h 26], vous avez fourni votre premier échantillon d’haleine, totalisant 170 mg d’alcool par 100 ml de sang. À [23 h 47], vous avez fourni un deuxième échantillon d’haleine, qui contenait 160 mg d’alcool par 100 ml de sang.

7. On a ainsi estimé que votre alcoolémie, à [19 h 45], se situait entre 200 et 241 mg par 100 ml de sang.

8. Le 7 juin 2018, vous avez été accusée d’avoir conduit illégalement un véhicule à moteur alors que votre capacité de conduire un véhicule à moteur était affaiblie par l’effet de l’alcool ou d’une drogue, en contravention de l’alinéa 253(1)a) du Code criminel du Canada, et d’avoir consommé une quantité d’alcool telle que votre alcoolémie dépassait 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang, vous avez conduit illégalement un véhicule à moteur, en contravention de l’alinéa 253(1)b) du Code criminel du Canada.

9. En ce qui concerne l’accusation de conduite avec un taux supérieur à 0,08, le 15 octobre 2018, vous avez plaidé coupable et reçu une ordonnance d’interdiction de conduire d’un an; le 1er mai 2019, vous avez obtenu une absolution assortie d’un traitement curatif et une période de probation. L’accusation de conduite avec facultés affaiblies a été retirée par la Couronne.

Allégation 3

Le 1er juin 2018 ou vers cette date, à High Prairie (Alberta), la caporale Anita Doktor a utilisé des biens et du matériel fournis par l’État pour des fins et activités non autorisées, en contravention de l’article 4.6 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Détails

1. Au moment des faits, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (« GRC ») affectée à la Division K, au Détachement de High Prairie, en Alberta.

2. Le 1er juin 2018, de [8 h à 16 h], vous étiez en service au Détachement de Mclennan et en disponibilité opérationnelle entre [16 h et 18 h].

3. Vers [17 h 30], vous êtes arrivée à la résidence de [T.I.] afin d’y prendre « quelques verres ». [T.I.] est gardien de bloc cellulaire au Détachement de High Prairie.

4. Vous avez conduit un véhicule de la GRC, un Ford Escape 2009, immatriculé ZKW684 en Alberta, jusqu’à la résidence de [T.I.].

5. Il s’agissait d’une utilisation non autorisée d’un véhicule de la GRC.

6. Vous avez ensuite conduit ce véhicule de la GRC après avoir consommé des boissons alcoolisées, ce qui a donné lieu à des accusations criminelles portées contre vous.

[Traduit tel que reproduit dans la version anglaise]

[3]  Conformément au paragraphe 15(3) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291 [CC (déontologie)], la caporale Doktor a fourni sa réponse à l’avis d’audience disciplinaire. Elle a déclaré :

Pour chacune des allégations et chacun des détails, en raison du degré d’intoxication, la membre n’a aucun souvenir autonome des événements. Après avoir examiné le rapport d’enquête, la membre ne conteste aucune allégation ni aucun détail.

Le commissaire comprend que, conformément au paragraphe 20(2) des Consignes du commissaire (déontologie), la membre est réputée avoir nié les faits allégués.

[Traduit tel que reproduit dans la version anglaise]

Décision sur les allégations

[4]  Compte tenu de la nature de la preuve contre la cap. Doktor, des condamnations au criminel à la Cour provinciale et de la réponse de la cap. Doktor à l’avis d’audience disciplinaire, j’ai avisé les parties que je rendrais une décision sur les allégations en me fondant uniquement sur le dossier, conformément au paragraphe 23(1) des CC (déontologie), et j’ai invité chaque partie à présenter des observations. Le 25 mai 2020, j’ai rendu une décision sur les allégations dans laquelle j’ai jugé établis le fondement des trois allégations ainsi que tous les détails de chaque allégation. Par souci d’exhaustivité, cette décision est citée dans son intégralité :

Le 28 mai 2019, le commandant de la Division K a tenu une audience disciplinaire dans cette affaire, alléguant trois contraventions au Code de déontologie de la GRC commises par la cap. Doktor. L’avis d’audience disciplinaire a été signifié à la cap. Doktor le 21 novembre 2019 et il fournissait les détails relatifs à ces allégations.

Le 20 décembre 2019, la cap. Doktor a présenté sa réponse aux allégations conformément au paragraphe 15(3) des CC (déontologie). Dans cette réponse, la cap. Doktor a indiqué qu’en raison de son degré d’intoxication à l’époque, elle n’avait aucun souvenir autonome des événements ayant mené aux allégations contre elle. Elle n’a donc contesté aucune allégation ni aucun détail. Aux termes du paragraphe 20(2) des CC (déontologie), cela est considéré comme une négation des allégations de la part de la membre.

Conformément aux directives du Comité de déontologie précédemment constitué, les parties ont présenté des observations sur la question de savoir si les allégations visant la cap. Doktor énoncées dans l’avis d’audience disciplinaire ont été établies selon la prépondérance des probabilités d’après les documents d’enquête présentés par l’autorité disciplinaire. Je dois tirer des conclusions de fait relativement aux allégations contre la cap. Doktor afin de permettre aux parties de se préparer à la phase « mesures disciplinaires » de l’audience. Je suis grandement aidé dans cette tâche par les déclarations de culpabilité enregistrées à la Cour provinciale en vertu de l’alinéa 270(1)a) du Code criminel relativement à l’allégation 1 et en vertu de l’alinéa 253(1)b) relativement à l’allégation 2. J’ai également examiné l’avis d’audience disciplinaire, les documents d’enquête sur lesquels se fonde l’autorité disciplinaire et les observations des parties.

La cap. Doktor n’a pas répondu aux observations de l’autorité disciplinaire relativement aux allégations 1 ou 2, et je conclus que chacun des détails est étayé par la preuve présentée dans les documents. Je conclus donc que les actes constituant les comportements allégués ont été établis.

La deuxième exigence pour conclure à une conduite déshonorante en vertu de l’article 7.1 du Code de déontologie de la GRC est que l’autorité disciplinaire établit que la cap. Doktor est le membre qui aurait commis ces actes. Cela est reconnu par la cap. Doktor.

La dernière exigence est que le comportement de la caporale Doktor est susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie et qu’il est suffisamment lié à ses fonctions et responsabilités pour donner à la Gendarmerie un intérêt légitime à prendre des mesures disciplinaires à son égard. Je conclus qu’une personne raisonnable ayant connaissance de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités des services de police en général et de la GRC en particulier, serait d’avis que les agissements de la cap. Doktor, lorsqu’elle a conduit un véhicule de la GRC tandis qu’elle était dans un état d’ébriété avancé et que son alcoolémie dépassait largement la limite légale permise, sont déshonorants et susceptibles de jeter le discrédit sur la Gendarmerie. Étant donné qu’elle est une agente de police assermentée pour faire respecter ces lois mêmes, il ne fait guère de doute que la Gendarmerie a un intérêt légitime à lui imposer des mesures disciplinaires pour ce comportement illégal.

Je tire la même conclusion en ce qui concerne son comportement agressif envers les agents d’enquête en cause. Toutefois, et malgré la condamnation pour voies de fait contre un agent de police, je considérerais son comportement comme une preuve assez commune d’une intoxication avancée par opposition à toute intention réelle de nuire aux agents impliqués ou de les entraver dans l’exécution de leurs fonctions. Ce type de comportement de la part des suspects n’est pas atypique dans les enquêtes sur la conduite avec facultés affaiblies et mène rarement à des accusations en vertu des articles 270 ou 129 du Code criminel.

L’allégation 3 relève de l’article 4.6 du Code de déontologie et allègue que la cap. Doktor a utilisé un véhicule de la GRC pour se rendre à la résidence de M. T.I. afin d’y prendre « quelques verres ». Bien que les détails soient présentés d’une manière inhabituelle, en alléguant qu’il s’agit de l’utilisation non autorisée d’un véhicule de la GRC par opposition à l’utilisation subséquente du véhicule alors qu’elle était en état d’ébriété, cela suffit aux fins de la contravention alléguée. J’accepte les détails allégués et je conclus que le fait que la cap. Doktor ait utilisé le véhicule de la GRC à cette fin constitue une utilisation à des fins non autorisées.

L’autorité disciplinaire a indiqué que le détail 6 de l’allégation 3 est un exposé circonstancié plutôt que le fondement de l’allégation et j’accepte cet argument d’un point de vue technique. Toutefois, sous réserve d’autres observations que l’avocat peut faire sur la question de la sanction, mon opinion préliminaire est qu’il importe peu de déterminer la ou les mesures disciplinaires appropriées, à savoir si l’utilisation du véhicule de la GRC par la cap. Doktor est le fondement d’une allégation distincte en vertu de l’article 4.6 ou s’il s’agit simplement d’un facteur aggravant pour l’allégation 2. Il ne s’agit que de l’une des circonstances dont il faut tenir compte pour rendre la décision globale.

[Traduit tel que reproduit dans la version anglaise]

MESURES DISCIPLINAIRES

[5]  Ayant conclu que les allégations sont établies, je suis tenu, conformément au paragraphe 45(4) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10 [Loi sur la GRC] et au Guide des mesures disciplinaires, d’imposer « une mesure juste et équitable qui est proportionnelle à la gravité de la contravention, au degré de culpabilité du membre et à la présence de facteurs atténuants et aggravants ». Conformément à l’alinéa 36.2e) de la Loi sur la GRC, les mesures disciplinaires doivent être « adaptées à la nature et aux circonstances des contraventions aux dispositions du code de déontologie et, s’il y a lieu, des mesures éducatives et correctives plutôt que punitives ».

[6]  Les parties ont présenté une demande conjointe visant à fixer une date pour la phase « mesures disciplinaires » de l’audience afin de permettre le témoignage de vive voix d’experts relativement à l’alcoolisme de la cap. Doktor et aux mesures qu’elle a prises pour régler ce problème. Les 1 et 2 septembre 2020, la phase « mesures disciplinaires » de l’audience a eu lieu à Edmonton (Alberta).

[7]  La cap. Doktor a produit deux rapports de témoignage d’expert, sans aucune objection de la part de l’autorité disciplinaire. J’ai accepté que la formation et l’expérience des deux experts faisaient d’eux des personnes qualifiées pour fournir un témoignage d’expert relativement au diagnostic et au traitement du trouble de stress post-traumatique (TSPT), du trouble de consommation d’alcool et de l’anxiété.

[8]  Le premier rapport a été rédigé par Marc Roy, psychologue agréé, le 29 juillet 2020. M. Roy indique dans son rapport qu’il est le psychologue traitant de la cap. Doktor depuis 22 mois. Il lui a diagnostiqué un TSPT et un trouble de consommation d’alcool, qui sont maintenant tous deux en rémission. Il a indiqué qu’elle avait compris certaines des raisons de sa dépendance, qu’elle avait traité les événements traumatisants et qu’elle avait mis en place des plans pour mieux composer avec les événements traumatisants futurs. Il ajoute que la cap. Doktor a continué de participer aux réunions des Alcooliques Anonymes (AA) trois ou quatre fois par semaine et qu’elle a créé un groupe des AA pour les premiers intervenants dans la région de Red Deer. Elle maintient une routine axée sur la santé qui l’a aidée à devenir plus saine et plus positive. Elle continue d’être motivée à s’améliorer et espère retourner au travail afin de pouvoir contribuer de nouveau à titre de membre régulier de la GRC.

[9]  M. Roy a conclu que la cap. Doktor avait apporté des changements importants à sa vie et qu’elle s’était engagée à les maintenir. Elle était sobre depuis 25 mois (au moment de la rédaction du rapport) et demeure inébranlable dans sa résolution. Elle comprend mieux les facteurs qui ont mené à sa dépendance et a amélioré ses stratégies d’adaptation pour gérer le stress qui lui causait des problèmes. Il était d’avis qu’elle continuerait d’être un bon élément pour la GRC. L’autorité disciplinaire a accepté le rapport de M. Roy et n’a pas tenu à le contre- interroger à ce sujet.

[10]  Le deuxième rapport a été rédigé par Sara Norum, psychologue agréée. Il renferme des renseignements utiles sur l’alcoolisme, son étiologie, son association avec le traumatisme, en particulier le TSPT, et sa pertinence par rapport aux circonstances passées, présentes et futures de la cap. Doktor.

[11]  Mme Norum a évalué cliniquement la cap. Doktor en janvier 2020 et a diagnostiqué chez elle un TSPT avec symptômes dissociatifs et un trouble lié à la consommation d’alcool, en rémission soutenue. Elle était d’avis que le TSPT de la cap. Doktor découlait de son exposition à des événements traumatisants en tant que membre de la GRC et qu’elle se tournait vers l’alcool pour se dissocier des sentiments troublants connexes. Son emploi à la GRC a grandement contribué au développement du trouble lié à la consommation d’alcool. Par conséquent, elle indique que les expériences de la cap. Doktor pendant qu’elle travaillait à la GRC pourraient être l’explication la plus probable de ses problèmes de santé mentale.

[12]  En ce qui concerne la probabilité de rechute, la Dre Norum a déclaré ce qui suit :

[…] [La caporale] Doktor a suivi un traitement en établissement, elle assiste aux réunions hebdomadaires des AA et a mis au point des soutiens fiables dans le cadre de ce programme. Depuis janvier 2020, elle suit également une thérapie hebdomadaire [d’intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires (EMDR)] pour traiter son TSPT et son [alcoolisme], et elle a des personnes à qui elle continue de rendre des comptes, ce qui lui permet de demeurer honnête avec elle et les autres. Cette approche à plusieurs volets lui a permis de conserver sa sobriété depuis le début de son traitement, commencé en 2018, et a réduit considérablement le risque de rechute. Les actions de la cap. Doktor donnent suite à ses paroles – elle a démontré sa détermination à traiter son traumatisme et à apprendre de nouvelles stratégies pour composer avec les facteurs de stress dans sa vie, ce qui laisse entendre que son pronostic est très positif à l’avenir. […] [Traduit tel que reproduit dans la version anglaise]

[13]  On a demandé à Mme Norum d’expliquer dans son rapport un incident antérieur de conduite avec facultés affaiblies survenu en 2016 et de dire pourquoi la cap. Doktor n’a pas demandé de l’aide à ce moment-là. À son avis, il n’est pas rare que des personnes aux prises avec une dépendance rejettent, minimisent ou nient un problème. Lorsque l’alcool est la seule façon de faire face aux difficultés internes, il faut parfois un incident important pour forcer la personne à faire face à sa douleur, être honnête avec elle-même et choisir courageusement d’obtenir de l’aide. En 2016, la cap. Doktor semble avoir réagi de façon défensive à cet incident, choisissant de croire qu’elle pourrait contrôler sa consommation d’alcool. En 2018, à la suite de cet incident de conduite avec les facultés affaiblies, elle a réalisé à quel point sa consommation d’alcool était hors de contrôle et à quel point celle-ci influait sur son comportement avec ses collègues, ce qui est devenu son point tournant (toucher le fond) : la combinaison de facteurs qui amène une personne à ressentir le besoin de changer ses habitudes de consommation d’alcool. L’incident de 2018 a fourni la combinaison de facteurs dont la cap. Doktor avait besoin pour toucher le fond et finalement obtenir un traitement efficace pour ses difficultés.

[14]  Mme Norum a résumé ses conclusions comme suit :

[…] [La caporale] Doktor a déclaré avoir grandi dans une famille qui était proche et solidaire et qui le demeure encore aujourd’hui. Elle affirme qu’elle a commencé à consommer moyennement de l’alcool à l’âge adulte, mais que cela a changé après quelques années passées à travailler à la GRC. [La caporale] Doktor a dit qu’elle ne comprenait pas bien comment composer avec l’exposition à des événements traumatisants qui faisaient partie de son travail à la GRC. Elle a déclaré qu’elle avait connu du succès dans sa carrière malgré ses difficultés avec les traumatismes et la consommation d’alcool. Il existe de solides preuves que la cap. Doktor a connu plusieurs facteurs de risque à titre de membre de la GRC qui ont contribué à son TSPT et à son trouble de consommation d’alcool.

Si [la caporale] Doktor devait retourner travailler à la GRC, plusieurs mesures de soutien devraient être maintenues pour qu’elle demeure en santé et poursuive une carrière fructueuse dans ce domaine. Elle devrait continuer d’assister aux réunions hebdomadaires des AA et d’entretenir des liens réguliers avec un parrain et d’autres personnes qui la soutiendront dans sa sobriété. [La caporale] Doktor devrait continuer de traiter les incidents difficiles et/ou traumatisants après qu’ils se sont produits, afin qu’ils soient réglés le plus rapidement possible pour qu’elle demeure en bonne santé émotionnelle. Il existe des plateformes EMDR en ligne que les cliniciens peuvent utiliser et qu’ils ont utilisées avec succès à cette fin. Par conséquent, si [la caporale] Doktor se trouve dans un endroit éloigné, le traitement de traumatismes peut quand même se faire. Enfin, on s’attend à ce que [la caporale] Doktor continue de pratiquer des stratégies d’adaptation émotionnelle à l’avenir. […]

[15]  Mme Norum a témoigné. Elle a essentiellement répété ce qui était contenu dans son rapport et a fourni des précisions. Elle a fait l’objet d’un contre-interrogatoire, mais elle est demeurée inébranlable dans ses conclusions et son témoignage n’a été aucunement affaibli.

[16]  La cap. Doktor a également témoigné. Elle a parlé de l’obtention de son diplôme à la Division Dépôt le 12 mars 2007 et a résumé sa carrière depuis. Plus important encore, elle a parlé de sa consommation d’alcool et de l’accentuation de celle-ci à mesure que sa carrière dans la GRC progressait, ainsi que de son exposition à des incidents et à des facteurs de stress plus traumatisants. Elle a relaté les détails du premier incident en 2016, qui a donné lieu à une réunion disciplinaire avec son officier hiérarchique et à un « compte rendu de décision » daté du 21 avril 2017, puis à un procès devant la Cour provinciale après qu’elle a été accusée au criminel de conduite avec facultés affaiblies. Elle a indiqué qu’elle estimait que la seule raison pour laquelle elle avait été accusée était qu’elle était policière et qu’elle avait réagi de façon défensive à cet incident, lequel s’est terminé par son acquittement au procès. Elle a indiqué que, bien qu’elle avait fait ce qu’elle devait faire avec les Services de santé et un conseiller, avec le recul, elle n’était alors pas encore prête à accepter de l’aide. Cela a changé cinq jours après son acquittement, lorsque le deuxième incident s’est produit.

[17]  La cap. Doktor a raconté qu’à ce moment-là, elle s’est mise à saisir la gravité de sa consommation d’alcool et a reconnu qu’elle avait besoin d’aide pour y faire face. Je ne le répéterai pas intégralement, mais elle a préparé le terrain nécessaire pour les opinions exprimées par M. Roy et Mme Norum. Elle a aussi déclaré qu’elle est maintenant sobre depuis 27 mois et qu’elle gardait le compte.

[18]  J’estime que les témoignages d’expert fournis par M. Roy et Mme Norum sont très convaincants. Compte tenu de cette preuve, du témoignage de la cap. Doktor et des documents d’enquête, je conclus que la cap. Doktor souffre de TSPT et de troubles liés à la consommation d’alcool. Je conclus également qu’une grande partie de son TSPT est attribuable aux traumatismes qu’elle a subis dans le cadre de ses fonctions de policière à la GRC et que son alcoolisme est directement imputable à son TSPT. De plus, je conclus que la cap. Doktor a fait tout ce qu’on peut attendre d’une personne dans sa situation pour se réadapter. Ses 27 mois de sobriété témoignent du succès de sa réadaptation à ce jour.

[19]  L’autorité disciplinaire cherche à forcer la cap. Doktor à démissionner de la GRC. La cap. Doktor, pour sa part, croit qu’elle a pris des mesures draconiennes en vue de sa réadaptation et estime qu’elle mérite une autre chance de poursuivre sa carrière à la GRC. Elle est disposée à accepter toute mesure disciplinaire autre que le congédiement.

[20]  Il y a un lien étroit entre les trois infractions en l’espèce (conduite déshonorante impliquant la conduite d’un véhicule automobile de la police avec facultés affaiblies par l’alcool; conduite déshonorante pour avoir commis des voies de fait contre des policiers ayant intervenu dans l’exercice de leurs fonctions et avoir tenté d’entraver leur travail; et utilisation abusive du véhicule automobile de la police qu’elle conduisait). Ces trois infractions sont survenues durant le même incident. Compte tenu de cela, je suis d’avis qu’une sanction globale est appropriée.

[21]  En rendant ma décision, je dois d’abord établir la gamme de mesures disciplinaires qui conviennent à l’inconduite en cause. Je vais énumérer les facteurs aggravants en cause, mais l’un de ces facteurs est si grave qu’il doit faire partie de la discussion dès le début. Il s’agit du deuxième incident durant lequel la caporale Doktor a conduit un véhicule à moteur tandis qu’elle était en état d’ébriété. Il ressort clairement des cas antérieurs et du Guide des mesures disciplinaires que, dans de telles circonstances, le congédiement sera le résultat normal, en l’absence de circonstances atténuantes extraordinaires. Ce doit donc être le point de départ.

[22]  Une fois établi l’éventail des mesures disciplinaires possibles, je dois évaluer les facteurs aggravants et atténuants présents dans les circonstances de l’affaire. Les facteurs aggravants sont nombreux :

  • Tel qu’il a été mentionné précédemment, dans le « Compte rendu de décision » d’une réunion disciplinaire daté du 21 avril 2017, des mesures disciplinaires ont été imposées à la cap. Doktor après qu’elle eut conduit jusqu’au bureau de High Prairie où elle a fait passer un alcootest à un conducteur soupçonné d’avoir les facultés affaiblies, alors qu’elle avait elle-même les facultés affaiblies par l’alcool. Des mesures disciplinaires correctives lui ont été imposées par son chef de district, en l’occurrence une réprimande, le retrait de 40 heures de rémunération et le retrait de 40 heures de congé annuel. Par la suite, elle a également été accusée au criminel de conduite avec facultés affaiblies pour cet incident, mais elle a été acquittée au procès. Son acquittement a eu lieu seulement cinq jours avant l’incident visé en l’espèce.
  • Les actions de la cap. Doktor impliquaient des membres du public, lesquels ont constaté à juste titre qu’elle avait les facultés trop affaiblies pour qu’on la laisse repartir en voiture du dépanneur où elle s’était rendue en conduisant. Ils ont fait ce qu’il fallait en composant le 911 puis en la suivant après qu’elle eut tenté de fuir.
  • L’incident a attiré l’attention des médias, ce qui a terni l’image de la GRC et de tous les autres policiers, et ce, uniquement en raison de ses actions.
  • Elle a eu une attitude belliqueuse, désagréable et agressive envers les autres membres qui, sans faute de leur part, ont été appelés à répondre à cet incident.
  • Ses résultats au test d’alcoolémie étaient très élevés, dépassant 200 mg %, ce qui témoigne d’un niveau extrême d’intoxication, lequel a été corroboré par les séquences vidéo du dépanneur. Elle est très chanceuse que personne n’ait été blessé ce soir-là.
  • L’autorité disciplinaire a parlé d’un deuxième incident ayant valu des mesures disciplinaires et à la suite duquel des séances informelles de counseling ont été imposées en 2009. Toutefois, étant donné la longue période qui s’est écoulée depuis et le fait que ce counseling étant sans rapport avec la nature de la présente affaire, je refuse de l’accepter comme facteur aggravant.

[23]  En contrepoids, nous avons les facteurs atténuants suivants :

  • La cap. Doktor a assumé la responsabilité de ses actes. Elle a plaidé coupable devant la Cour provinciale pour conduite d’un véhicule automobile avec un taux d’alcool dans le sang supérieur à 80 mg % et voies de fait contre un policier agissant dans l’exercice de ses fonctions. Essentiellement, elle a aussi plaidé la « non contestation » quant aux contraventions alléguées dans la présente procédure disciplinaire du fait qu’elle n’en avait aucun souvenir. L’autorité disciplinaire soutient que la cap. Doktor continue de rejeter le blâme sur autrui et exemplifie cela par la déclaration faite par la cap. Doktor au Groupe de la responsabilité professionnelle à la suite de cet incident. Toutefois, je note que cette déclaration a été faite à l’automne 2018, avant le gros des efforts de réadaptation et de thérapie déployés par la cap. Doktor.
  • Elle a fait tout ce qu’on peut attendre d’une personne dans sa position pour se réadapter après avoir [traduction] « touché le fond » avec cet incident. Elle a entrepris une thérapie de 57 jours pour patients hospitalisés, puis a suivi à la lettre un programme de soins post-rétablissement. Ainsi, cela fait maintenant 27 mois qu’elle est sobre.
  • Elle s’est engagée à adopter un mode de vie sain et a cherché les mécanismes nécessaires de consultation et de soutien. Elle a consulté les bons professionnels pour l’aider à composer avec son TSPT, la cause fondamentale de son alcoolisme. Elle a suivi et continue de suivre une thérapie EMDR, ce qui l’aide à composer avec ses traumatismes antérieurs. Elle est donc bien équipée pour faire face aux facteurs de stress de la vie quotidienne et du travail.
  • De plus, elle utilise ses expériences pour aider d’autres personnes dans des situations identiques ou similaires, ce qui l’aide également à rester sobre. Cela comprend l’organisation et le maintien d’un groupe AA pour les premiers répondants dans la région de Red Deer.
  • Elle a commencé à réparer les torts causés par son inconduite en s’excusant de ses actes du 1er juin 2018, bien que l’on convienne qu’il lui reste davantage à faire à ce chapitre.
  • Elle a exprimé ses remords à la barre des témoins et je considère qu’ils sont sincères. -Elle a toujours eu un bon rendement et a toujours bénéficié du soutien de plusieurs de ses collègues et de certains cadres supérieurs de la GRC.

[24]  Bien qu’il ne s’agisse pas techniquement d’un facteur atténuant, il est important de mentionner que la cap. Doktor a obtenu une absolution assortie d’un traitement curatif en vertu du paragraphe 255(5) du Code criminel dans la poursuite au pénal. L’absolution assortie d’un traitement curatif est une option de détermination de la peine qui permet de conclure que le conducteur aux facultés affaiblies est alcoolique et que la meilleure façon de le dissuader consiste à exiger un traitement pour son alcoolisme plutôt que des conséquences pénales. Pour accorder une absolution conditionnelle, la Cour doit être convaincue :

  1. que le délinquant a besoin d’un traitement curatif pour sa consommation d’alcool;
  2. qu’il ne serait pas contraire à l’intérêt public de lui accorder une absolution et de l’assujettir à une période de probation, y compris une condition de faire traiter son alcoolisme.

Dans la procédure pénale, le juge de la Cour provinciale a manifestement déterminé que ces deux conditions existaient et qu’il était dans l’intérêt public que la cap. Doktor reçoive une absolution. Nous y reviendrons plus tard.

[25]  L’autorité disciplinaire s’appuie sur le Guide des mesures disciplinaires et soutient que le résultat par défaut, lorsqu’il s’agit d’un deuxième incident de conduite avec facultés affaiblies, est le congédiement de la GRC et que les principales considérations doivent être la dénonciation et la dissuasion. L’autorité soutient que certaines formes d’inconduite sont si graves qu’elles justifient une politique de congédiement, quels que soient les détails de l’affaire. Toutefois, on ne saurait invoquer de politique qui puisse entraver le pouvoir discrétionnaire d’un comité de déontologie et il doit y avoir des exceptions à chaque règle générale. Je dois déterminer s’il s’agit de l’une de ces exceptions lorsqu’il s’agit de conducteurs aux facultés affaiblies récidivistes.

[26]  Pour appuyer davantage sa position, l’autorité disciplinaire a cité les décisions suivantes : The Appropriate Officer of “H” Division and Constable Mansley (Commissioner), GXJ 390-17- 000045183 (D-136) [Mansley]; Commanding Officer “National Headquarters” Division and Civilian Member Calandrini, 2018 RCAD 10 [Calandrini]; et The Commanding Officer “F” Division and Corporal Toma, 2020 CAD 14 [Toma].

[27]  Comme l’a reconnu l’autorité disciplinaire, le point de bascule dans Mansley, tant pour la décision du Comité de déontologie que pour le refus du commissaire d’intervenir, était une longue [traduction] « tendance à la malhonnêteté et au manque d’intégrité » de la part du membre en cause. Les cas trompeurs impliquant un policier sont très différents de la plupart des autres cas disciplinaires. Je ne vois pas Mansley comme étant applicable aux circonstances en l’espèce.

[28]  Calandrini n’est pas un cas de conduite avec facultés affaiblies par un alcoolique. Il traitait d’incidents de harcèlement sexuel (qui, en réalité, étaient des agressions sexuelles) et d’intimidation commis par un cadre supérieur civil sur une victime vulnérable. L’autorité disciplinaire a cité Calandrini pour la proposition selon laquelle certains cas sont suffisamment graves pour que les considérations de politique l’emportent sur toutes les autres et que le résultat doit être le congédiement. Je n’estime pas que cela puisse jamais être le cas.

[29]  Une politique ne doit jamais entraver le pouvoir discrétionnaire d’un comité de déontologie d’imposer les mesures disciplinaires les plus appropriées qu’il juge indiquées. Bien que certains types d’affaires puissent être suffisamment graves pour qu’il soit nécessaire d’envisager le congédiement, il ne peut y avoir de politique absolue de congédiement. Le comité de déontologie dans Calandrini a reconnu cela lorsqu’il a écrit, au paragraphe 186, [traduction] « Le congédiement est un dernier recours pour sanctionner une inconduite professionnelle et l’on doit le réserver aux cas les plus graves. » Au paragraphe 192, le comité de déontologie a déclaré [traduction] « La gravité de l’inconduite en l’espèce, conjuguée aux facteurs aggravants, l’emporte sur l’ensemble des facteurs atténuants, aussi solides puissent-ils être. » Le comité de déontologie ne s’est pas fondé sur une « politique de congédiement » pour congédier M. Calandrini; il a fait exactement ce que je dois faire en l’espèce : déterminer la gamme appropriée de mesures disciplinaires applicables à l’inconduite en cause et soupeser ensuite les facteurs aggravants et atténuants pour déterminer les mesures les plus appropriées à imposer.

[30]  Le comité de déontologie s’est appuyé sur Toma pour la même raison : démontrer qu’une inconduite est si grave qu’elle devrait automatiquement entraîner le congédiement. Toutefois, même une lecture superficielle de cette affaire révèle que le comité de déontologie dans cette affaire a fait exactement ce que j’ai décrit au paragraphe précédent. Ce qui a entraîné le congédiement du caporal Toma, c’est le fait que les facteurs aggravants dans son cas l’emportaient sur les facteurs atténuants et faisaient pencher la balance. Plus particulièrement, le comité de déontologie était d’avis que les efforts du caporal Toma en vue de sa réadaptation étaient douteux. Ce n’est absolument pas le cas de la cap. Doktor.

[31]  La cap. Doktor s’est appuyée sur l’affaire The Commanding Officer of “F” Division and Sergeant Wilson, 2017 RCAD 6 [Wilson] pour démontrer que même les deuxièmes incidents de conduite avec facultés affaiblies n’exigent pas nécessairement le congédiement du membre en cause. L’affaire Wilson portait sur une proposition conjointe de sanction qui a été acceptée par le comité de déontologie; par conséquent, on ne peut être la considérer comme ayant une grande valeur de précédent. Toutefois, il est important de noter que même l’autorité disciplinaire dans Wilson doit avoir reconnu qu’il n’y a pas de politique absolue de congédiement dans les cas de ce type, car, en fin de compte, le congédiement n’a même pas été demandé.

[32]  À mon avis, le premier objectif de la mesure disciplinaire est toujours la réadaptation, et même le comité de déontologie a reconnu que les efforts de la cap. Doktor en matière de réadaptation sont dignes de mention. Depuis l’inconduite du 1er juin 2018, elle s’est mise à son affaire comme on a rarement vu quelqu’un le faire. Elle a reconnu son mauvais comportement et a pris des mesures pour éviter que cela se reproduise. Parce que nous sommes aux prises avec l’alcoolisme, on ne peut pas dire qu’elle ne rechutera jamais, mais elle a fait tout ce qu’il est possible de faire pour maintenir sa sobriété, en prenant cela un jour à la fois. Comme c’est uniquement son manque de sobriété qui est à l’origine de son inconduite, je suis convaincu que le risque de récidive est faible.

[33]  Cela m’amène aux lettres de recommandation qui ont été fournies, en particulier celles du surintendant Gelinas et de l’inspecteur Respit. Les deux membres ont décrit une bonne connaissance de la situation de la cap. Doktor et une compréhension de sa valeur pour la GRC si elle devait être autorisée à poursuivre sa carrière. Le surint. Gelinas a conclu sa lettre en disant :

[…] Je comprends que [la cap. Doktor] risque de perdre son emploi compte tenu des circonstances et de l’audience disciplinaire. Je continue d’appuyer [la cap. Doktor] parce qu’elle est une bonne personne et qu’elle sera utile à la GRC si elle est autorisée à refaire ses preuves. Les efforts déployés par [la cap. Doktor] pour se guérir de sa dépendance et aider les autres dans la même situation qu’elles sont extraordinaires et témoignent de son dévouement et de son intégrité. Je travaillerais n’importe quand avec [la cap. Doktor] et, comme je l’ai mentionné, elle serait un atout pour l’organisation. […] [Traduit tel que reproduit dans la version anglaise]

[34]  Après avoir parlé de ses expériences de travail très positives avec la cap. Doktor, l’inspecteur Respit a indiqué :

[…] Je suis tout à fait au courant de la situation avec laquelle [la cap. Doktor] doit composer en ce qui concerne le processus disciplinaire de la GRC, tout à fait au courant, parce que, comme toujours, elle a été tout à fait honnête avec moi. Au fil des ans, j’ai observé une multitude de processus disciplinaires à la GRC; j’y ai participé, j’y ai fait enquête et l’on en a porté à mon attention; et je peux honnêtement dire que je n’ai jamais connu un membre qui a tenté de rectifier ou de réparer sa situation avec autant d’efforts et de sincérité que ce que j’ai pu observer chez [la caporale] Doktor. Sachant qui elle est en son for intérieur, non seulement en tant que membre mais aussi en tant qu’être humain, je serais non seulement heureux de pouvoir travailler de nouveau avec elle, j’en serais ravi.

Je serais heureux de fournir des renseignements supplémentaires ou des précisions sur cette question ou cette situation, mais je vais me contenter de dire que j’appuie entièrement [la caporale] Doktor à titre de membre de la Gendarmerie royale du Canada. […] [Traduit tel que reproduit dans la version anglaise]

[35]  Ce que toutes les lettres de recommandation et les documents sur le rendement me révèlent, c’est que la cap. Doktor est une bonne employée, une employée vaillante et consciencieuse qui compte 13 années de service. La GRC a beaucoup investi en elle et je crois qu’elle est maintenant bien placée pour rembourser cet investissement grâce à un bon service continu.

[36]  Je suis d’accord avec le sentiment exprimé dans le Guide des mesures disciplinaires selon lequel, dans la plupart des cas, une deuxième infraction de conduite avec facultés affaiblies doit entraîner le congédiement. Toutefois, cette affaire est l’une des rares exceptions qui répond au critère de l’intérêt public. Je n’ai pas eu connaissance d’une autre affaire dans laquelle le ou la membre en cause a fait autant d’efforts pour se réadapter que la cap. Doktor. Je suis rarement aussi sûr que l’avenir d’un sujet présente un risque de récidive aussi faible qu’en l’espèce, compte tenu des efforts déployés par la cap. Doktor et du soutien continu dont elle dispose.

[37]  Toutefois, son inconduite répétée est extrêmement grave et je dois imposer des mesures disciplinaires qui envoient un message approprié du point de vue de la dénonciation et de la dissuasion générale. La conduite avec facultés affaiblies par quiconque ne peut pas être tolérée. Un deuxième incident de conduite avec facultés affaiblies par un policier doit être traité avec sévérité. Bien que je n’ordonne pas la démission de la cap. Doktor comme l’a demandé le Comité de déontologie, les mesures disciplinaires que j’impose auront quand même un effet sur elle et serviront d’avertissement à ses collègues.

[38]  J’impose donc les mesures disciplinaires suivantes en l’espèce :

  1. une réprimande;
  2. une rétrogradation indéfinie du rang de caporal à celui de gendarme (au plus haut échelon de rémunération de ce niveau) pour une période indéterminée;
  3. l’inadmissibilité à une promotion subséquente pour une période de deux ans;
  4. une sanction pécuniaire de 80 heures de rémunération;
  5. le retrait de 80 heures de congés annuels;
  6. l’instruction de continuer à assister aux séances de counseling et à la thérapie avec Mme Norum ou un autre thérapeute jusqu’à ce que vous, votre son thérapeute et l’agent des services de santé conviennent tous qu’elles ne sont plus nécessaires;
  7. un transfert à un autre lieu de travail à la discrétion du commandant.

[39]  Toute mesure provisoire en place doit être résolue conformément à l’article 23 du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (2014), DORS/2014-281. L’une ou l’autre des parties peut interjeter appel de cette décision en déposant une déclaration d’appel auprès du commissaire dans les 14 jours suivant la signification de la présente décision à la cap. Doktor, conformément à l’article 45.11 de la Loi sur la GRC et à l’article 22 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289.

 

 

23 septembre 2020

Gerald Annetts

Comité de déontologie

 

Edmonton (Alberta)

 



[1] Code criminel, LRC, 1985, ch. C-46 [Code criminel].

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