Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

À l’origine, la sergente d’état-major Keddy était visée par quatre allégations selon lesquelles elle avait enfreint le code de déontologie de la GRC. L’autorité disciplinaire a par la suite retiré trois de ces allégations, faute de preuves pour les soutenir. La sergente d’état-major Keddy a déposé un avis de requête fondée sur l’abus de procédure pour demander au Comité de déontologie de suspendre la dernière allégation au motif qu’elle a été déposée après la fin du délai. Le motif invoqué pour la requête est que les décisions prises par l’officier désigné d’accorder deux prorogations du délai en vertu du paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C., 1985, ch. R-10, étaient déraisonnables et ne devraient pas être maintenues.
Le Comité de déontologie a d’abord déterminé qu’il avait le pouvoir d’instruire la requête et d’examiner les décisions de l’officier désigné. Il a ensuite déterminé que l’officier désigné avait exercé son pouvoir discrétionnaire de proroger le délai prévu au paragraphe 41(2) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C., 1985, ch. R-10, de manière déraisonnable. Par conséquent, le processus d’audience disciplinaire a été lancé après la période prescrite et le Comité de déontologie n’a pas compétence pour instruire l’affaire. L’allégation 1 est ainsi rejetée.

Contenu de la décision

Protégé A

2020 DAD 20

Logo de la Gendarmerie royale du Canada

GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

dans l’affaire d’une

audience disciplinaire au titre de la

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C., 1985, ch. R-10

Entre :

la sergente d’état-major Charla Keddy

Numéro de matricule 49105

Requérante

et

la commissaire adjointe Jane MacLatchy

Autorité disciplinaire désignée

Intimée

Décision du Comité de déontologie

Requête fondée sur l’abus de procédure

Gerald Annetts

Le 16 septembre 2020

M. Jonathon Hart, sergent d’état-major, représentant de l’autorité disciplinaire

M. David Bright, représentant du membre visé


RÉSUMÉ

À l’origine, la sergente d’état-major Keddy était visée par quatre allégations selon lesquelles elle avait enfreint le code de déontologie de la GRC. L’autorité disciplinaire a par la suite retiré trois de ces allégations, faute de preuves pour les soutenir. La sergente d’état-major Keddy a déposé un avis de requête fondée sur l’abus de procédure pour demander au Comité de déontologie de suspendre la dernière allégation au motif qu’elle a été déposée après la fin du délai. Le motif invoqué pour la requête est que les décisions prises par l’officier désigné d’accorder deux prorogations du délai en vertu du paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C., 1985, ch. R-10, étaient déraisonnables et ne devraient pas être maintenues.

Le Comité de déontologie a d’abord déterminé qu’il avait le pouvoir d’instruire la requête et d’examiner les décisions de l’officier désigné. Il a ensuite déterminé que l’officier désigné avait exercé son pouvoir discrétionnaire de proroger le délai prévu au paragraphe 41(2) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C., 1985, ch. R-10, de manière déraisonnable. Par conséquent, le processus d’audience disciplinaire a été lancé après la période prescrite et le Comité de déontologie n’a pas compétence pour instruire l’affaire. L’allégation 1 est ainsi rejetée.

INTRODUCTION

[1] L’autorité disciplinaire a convoqué l’audience disciplinaire relative à cette affaire le 3 janvier 2020. Quatre allégations d’inconduite avaient été formulées contre la sergente d’état- major Keddy au sujet de comportements en dehors des heures de travail dans le cadre de deux événements distincts. Le 6 janvier 2020, j’ai été désigné Comité de déontologie chargé de se prononcer sur l’affaire. Après la convocation de l’audience, l’autorité disciplinaire a retiré trois des quatre allégations.

[2] La seule allégation qui demeure est libellée ainsi dans l’avis d’audience disciplinaire :

[traduction]

Allégation 1

Précisions

1. Pendant toute la période pertinente, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) affecté à la Division H à Halifax, en Nouvelle-Écosse.

2. En octobre 2015, […]. [Le serg. D.L.] était marié à madame [P.L.] […]. Vous avez adopté des tactiques de harcèlement et d’intimidation à l’égard de madame [P.L.], notamment :

a) Le 21 juin 2016, vous […] alors que vous étiez en voyage ensemble pour le travail. […] par madame [P.L.] qui a par la suite confronté son mari.

b) Le 7 octobre 2016, madame [P.L.] […], une fois de plus à son retour d’un voyage lié au travail. Le [serg. D.L.] a alors avoué à madame [P.L.] […]

c) Le 11 janvier 2017, madame [P.L.] a trouvé des propos inappropriés sur son profil personnel Pinterest. Dans sa plainte, madame [P.L.] a affirmé ceci : « Mon profil Pinterest était anonyme et s’appelait ‘[nom caviardé]’ (ce qui signifie ‘[traduction caviardée]’ en norvégien); il aurait donc dû être difficile de le trouver ou de faire un lien évident avec moi ».

d) Madame [P.L.] a signalé que vous utilisiez le profil intitulé « Candy » ou « Charli Roar » pour faire des commentaires inappropriés à répétition à son endroit, par exemple :

I. « [P.L.] ... savez-vous ce qui se passe vraiment? »

II. « [P.L.] vous devriez lire vos commentaires. Votre mari vous trompe encore. »

III. « si seulement vous saviez… »

IV. « [P.L.] … vous auriez dû divorcer de votre mari qui vous trompe encore. »

V. « [P.L.] ... votre mari est encore infidèle. »

VI. « encore infidèle »

e) Madame [P.L.] a informé le [serg. D.L.] de vos comportements de harcèlement. Il a alors communiqué avec vous pour vous dire que [P.L.] était une victime innocente dans […] relation et qu’il était inutile et inapproprié de lui ajouter du stress, notamment du fait qu’elle était enceinte. [P.L.] : « Mon mari lui a demandé d’arrêter. Le profil ‘Candy’ a été supprimé quelques heures plus tard. ‘Charli Roar’ a aussi arrêté de me ‘suivre’. »

f) Le 7 juin 2018, vous avez avoué à madame [P.L.], à l’occasion d’une conversation avec elle au téléphone, que vous étiez responsable des commentaires et que c’était votre façon de communiquer avec elle.

g) Le 23 février 2018, vous avez essayé de joindre madame [P.L.] sur FaceTime à 3 h 3 dans excuse ou justification, ce qui lui a, encore une fois, causé une souffrance inutile.

h) Le 25 mai 2018, madame [P.L.] a reçu une lettre anonyme par la poste. Voici ce que disait la lettre : « Votre mari entretient une relation extraconjugale avec […] [sic]. Il l’a amenée en […] [sic] et à des formations. Elle a laissé son mari pour lui. Elle travaille […]

i) Le 4 juin 2018, madame [P.L.] a signalé les faits susmentionnés au service de police de la Ville d’Ottawa (no de référence [numéro caviardé]. Madame [P.L.] a indiqué à la police qu’elle avait peur de vous et que vous saviez où elle habitait.

3. Le 12 janvier 2017, le [serg. D.L.] vous a confronté au téléphone en ce qui a trait à vos commentaires inappropriés et de harcèlement à l’endroit de madame [P.L.] sur Pinterest. Au cours de la conversation, vous avez admis au [serg. D.L.] connaître le responsable et lui avez dit que ces commentaires cesseraient sur-le-champ :

Et puis le 12, à 8 h 14, c’est là que j’ai appelé Charla et, oui, je lui ai dit que je ne voulais pas, je ne voulais pas ouvrir une enquête, mais que ma femme était enceinte et que ce harcèlement n’était pas bon pour sa santé et que c’était injuste pour elle. [...] Je lui ai une fois de plus demandé si elle savait qui était responsable de ça et si elle pouvait lui demander d’arrêter immédiatement pour ne pas avoir à demander l’ouverture d’une enquête. Je lui ai rappelé qu’elle était policière, et je lui ai dit que l’amie qui l’aidait l’était fort probablement aussi, et qu’elles savaient très bien qu’il s’agissait de harcèlement et que ce comportement relevait sûrement d’un code de déontologie, et qu’il pourrait même être criminel. Elle a indiqué savoir qui était responsable des commentaires et m’a garanti qu’ils cesseraient sur-le-champ si je ne disais rien. [...] Ah oui, et le 13, à 7 h 2 du matin, j’ai reçu un appel d’elle, de Charla, qui a duré 18 min. 6 sec., au cours duquel elle m’a indiqué qu’elle suivait ma femme sous le nom de Charlie Roar et que son amie la suivait sous le nom de Candy. »

4. Le 16 mai 2019, vous avez remis une déclaration écrite aux enquêteurs du Groupe de la responsabilité professionnelle (GRP), dans laquelle vous avouez avoir communiqué avec madame [P.L.] par l’entremise de Pinterest, « [...] dans le but de l’informer d’une situation ».

Requête

[3] La requérante a déposé un avis de requête fondée sur l’abus de procédure, dans laquelle elle demande à ce que l’audience disciplinaire concernant l’allégation 1 soit suspendue au motif qu’elle a été déposée après la fin du délai, du fait que les décisions d’accorder deux prorogations du délai au sens du paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C., 1985, ch. R-10 [Loi sur la GRC] étaient déraisonnables.

[4] Avant d’entrer dans l’analyse de la requête, il importe de fournir du contexte au sujet des enquêtes relatives au code de déontologie et des allégations visant la requérante. La chronologie incontestée des dates et des événements importants de cette procédure est la suivante :

  • 18 juillet 2018 – L’inspecteur (insp.) […] est informé de la plainte formulée par madame P.L., ce qui a mené à l’allégation 1.
  • 6 août 2018 – L’insp. […] reçoit la plainte écrite de madame P.L.
  • Fin de septembre 2018 – La requérante assiste à un cours à Ottawa approuvé par l’insp. […].
  • 3 octobre 2018 – L’insp. […] consulte le GRP de la Division H au sujet de la plainte.
  • du 21 au 27 octobre 2018 – La requérante assiste à un cours à […] approuvé par l’insp. […].
  • 22 octobre 2018 – Les événements qui ont mené aux allégations 2 à 4 à l’endroit de la requérante se seraient produits à […].
  • 23 octobre 2018 – Le GRP de la Division H reçoit des recommandations de la Section nationale de la gestion de la déontologie.
  • Du 29 octobre au 1er novembre 2018 – La requérante assiste à un cours approuvé par l’insp. […] à Bogota, en Colombie.
  • Dernière semaine de novembre 2018 – La requérante assiste à un cours approuvé par l’insp. […] à Toronto.
  • 7 janvier 2019 – La lettre de mandat concernant l’enquête relative au code de déontologie découlant de la plainte formulée par madame P.L. le 18 juillet 2018 est signifiée à la requérante.
  • 8 janvier 2019 – Le GRP de la Division H amorce l’enquête découlant de la plainte de madame P.L.
  • Fin-février 2019 – La requérante communique avec le GRP de la Division H pour l’informer qu’elle produirait une déclaration écrite dans le but d’accélérer l’enquête, mais ce dernier lui indique qu’il n’est pas encore prêt à lui parler.
  • 5 mars 2019 – Les événements qui ont mené aux allégations 2 à 4 sont signalés à la commandante divisionnaire (CD) Lee Bergerman.
  • 7 mars 2019 – L’insp. […] fait l’objet d’une enquête relative au code de déontologie.
  • 14 mars 2019 – La CD Bergerman se retire du titre d’autorité disciplinaire en raison d’un conflit d’intérêts.
  • 19 mars 2019 – La CD de la Division D (l’intimée) est nommée à titre de nouvelle autorité disciplinaire.
  • 24 mars 2019 – La requérante reçoit un ordre de suspension et une deuxième lettre de mandat faisant état de quatre nouvelles allégations. (Seulement quatre allégations ont finalement été retenues contre la requérante.)
  • 5 avril 2019 – La requérante reçoit un courriel du GRP de la Division H l’informant que le GRP de la Division D mènerait désormais l’enquête.
  • 10 avril 2019 – Le GRP de la Division D reçoit le dossier de la Division H.
  • 30 avril 2019 – La requérante reçoit un courriel des enquêteurs qui l’informent qu’ils seront en ville du 13 au 17 mai 2019, et qu’elle a jusqu’au 9 mai 2019 pour leur indiquer si elle produira une déclaration en tant que membre visé.
  • 2 mai 2019 – La requérante est informée par le surintendant Popik que la nouvelle autorité disciplinaire serait la CD de la Division D puisque la CD Bergerman est un témoin.
  • 7 mai 2019 – Une nouvelle allégation signalée au surintendant Popik le 29 mars 2019 est signifiée à la requérante.
  • 9 mai 2019 – La requérante informe les enquêteurs qu’elle produira une déclaration.
  • 10 mai 2019 – La requérante reçoit un courriel de la part des enquêteurs pour l’informer qu’ils la rencontreront le 16 mai 2019.
  • 16 mai 2019 – La requérante rencontre les enquêteurs en tant que membre visé et leur remet ses déclarations écrites concernant l’ensemble des allégations.
  • 24 mai 2019 – La requérante reçoit un courriel de la Division D qui l’informe que l’enquête se poursuit.
  • 7 juin 2019 – La requérante transmet un rapport aux enquêteurs concernant les allégations 2 à 4.
  • 14 juin 2019 – La requérante envoie la déclaration d’un autre témoin aux enquêteurs concernant l’allégation 1 dont elle avait été informée seulement une semaine auparavant. Cette déclaration corroborait l’information qui se trouvait dans la déclaration écrite qu’elle leur avait remise le 16 mai 2019.
  • 14 juin 2019 – La requérante envoie un courriel aux enquêteurs renfermant la déclaration d’un autre témoin concernant les allégations pesant contre l’insp. […]
  • 19 juin 2019 – Les enquêteurs obtiennent la déclaration d’un témoin qui leur a été signifié le 14 juin 2019.
  • 21 juin 2019 – La requérante reçoit un courriel de la Division D qui l’informe que l’enquête se poursuit.
  • 2 juillet 2019 – La requérante reçoit un courriel du GRP de la Division D dans lequel se trouve un avis de demande de prorogation de délai (demande de l’intimée), une nouvelle lettre de mandat renfermant une allégation en moins et un nouvel ordre de suspension contenant une allégation en moins.
  • 15 août 2019 – L’officier désigné accorde une prorogation de 90 jours, soit jusqu’au 16 octobre 2019, au délai prescrit concernant l’allégation 1.
  • 24 octobre 2019 – L’officier désigné accorde une deuxième prorogation de 90 jours, soit jusqu’au 14 janvier 2020, au délai prescrit concernant l’allégation 1.
  • 3 janvier 2020 – L’intimée convoque une audience disciplinaire au sujet de quatre allégations de contravention au code de déontologie visant la requérante.
  • À la suite de la convocation de l’audience disciplinaire visant la requérante, l’intimée a retiré les trois allégations découlant des événements qui se seraient prétendument produits à […]. Ainsi, à l’heure actuelle, la requérante n’est visée que par une seule allégation, à savoir celle découlant de la plainte de madame P.L.

MOTIFS DE DÉCISION

Puis-je considérer la requête?

[5] Même si la requête est fondée sur une allégation d’abus de procédure, les parties s’entendent pour dire que la question à savoir si le délai prévu au paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC a été respecté en est une de compétence. L’intimée reconnaît que, si ce n’était des deux autorisations accordées aux termes du paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la GRC, l’allégation 1 serait frappée de prescription du fait qu’elle a été déposée après le délai et que je n’aurais pas compétence pour instruire l’affaire. Cependant, elle soutient que je n’ai pas le pouvoir nécessaire pour déterminer si les décisions de l’agent désigné de proroger le délai sont correctes. Selon elle, la requérante doit attendre que je rende une décision quant au bien-fondé de l’allégation 1, et si l’allégation se révèle fondée, elle pourra alors soulever cette question dans le cadre d’un appel de la décision. Elle indique que le bon mécanisme d’appel était signalé à la fin des deux décisions de proroger le délai prescrit.

[traduction]

[…] Cette décision peut être contestée dans le cadre d’un appel soumis conformément aux dispositions de la partie IV de la Loi sur la GRC, des Consignes du commissaire (déontologie), des Consignes du commissaire (griefs et appels) et de la politique sur la déontologie. L’appel peut être logé auprès du Bureau de la coordination des griefs et des appels dans les 14 jours suivant la signification du compte rendu de décision final de l’autorité disciplinaire ou de la décision d’un comité de déontologie à l’intimée. […]

[6] Pour appuyer son argument, l’intimée se fonde sur la décision Thielmann c. l’Association des ingénieurs et des géoscientifiques du Manitoba, 2020 MBCA 8 (CanLii) [Thielmann]. Elle se fonde également sur le cas 201633824 de l’OGCA [Solesme]. La requérante, dans ses observations, n’a pas soulevé la question de savoir si je détenais le pouvoir nécessaire pour examiner les décisions de l’agent désigné, et je ne lui ai pas non plus demandé de le faire.

[7] La Loi sur la GRC, le Règlement sur la Gendarmerie royale du Canada 2014, SOR/2014- 281 [le Règlement sur la GRC], les Consignes du commissaire ou la politique ne renferment aucune disposition expresse qui établit la personne apte à examiner une décision prise par l’officier désigné en ce qui a trait une demande de prorogation d’un délai prescrit.

[8] L’article 17 des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291 [CC (déontologie)] autorise, en tout temps, une partie à présenter une requête devant le comité de déontologie. Lorsqu’une requête est présentée, elle doit obligatoirement être traitée, d’une façon ou d’une autre par un comité de déontologie. Dans un tel cas, le comité de déontologie peut décliner compétence d’instruire la requête, mais s’il le fait, il doit préciser clairement les raisons pour lesquelles il n’a pas compétence. Je ne vois aucune raison pour laquelle je n’aurais pas compétence pour instruire la requête de la requérante. Tout tribunal administratif a le pouvoir, à un degré ou un autre, d’interpréter et d’appliquer sa loi constitutive, notamment en s’y référant pour déterminer sa compétence à l’égard d’une question donnée [voir Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (CanLii)].

[9] Thielmann n’appuie pas la position de l’intimée selon laquelle un comité de déontologie n’est pas investi du pouvoir de mener un tel examen. Dans la décision Thielmann, il est question de la mesure dans laquelle un tribunal établi par la loi devrait être autorisé à remplir son mandat avant qu’une partie fasse appel aux tribunaux pour obtenir un recours. Telle n’est pas la question dans cette affaire. Je dois décider si un tribunal administratif peut examiner une décision interlocutoire prise par un autre décideur dans le cadre de la même instance engagée devant le tribunal.

[10] À mon avis, cette question a été réglée par la Cour fédérale du Canada dans le jugement Calandrini c. Canada (Procureur général), 2018 CF 52 (CanLii) [Calandrini]. Dans le jugement Calandrini, le demandeur demandait le contrôle judiciaire de la décision prise par l’autorité de révision de convoquer une audience le concernant devant le comité de déontologie, et de la décision prise par l’officier désigné de proroger le délai prescrit pour la prise de cette décision en vertu du paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la GRC. Le demandeur affirme que la décision prise par l’officier désigné de proroger la période établie était définitive et contraignante, sauf en ce qui concerne le contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C, 1985, ch. F-7. Il ajoute qu’il s’agissait d’une décision prise par le délégué du commissaire et que tout appel de la décision du comité de déontologie serait présenté au commissaire qui avait déterminé, par l’intermédiaire de son délégué, qu’une prorogation était justifiée : « Un appel de la décision de proroger le délai, s’il était confirmé par le comité de déontologie, n’aurait aucune signification dans ces circonstances ». Par conséquent, le demandeur affirme qu’il n’a accès à aucun autre recours que le contrôle judiciaire.

[11] Le défendeur dans l’affaire Calandrini réplique notamment en soutenant que la demande est prématurée, car le processus administratif interne n’a pas été épuisé et le comité de déontologie peut déterminer si la prorogation aurait dû être accordée. Si le demandeur n’obtient pas gain de cause, il peut interjeter appel de la décision du comité de déontologie.

[12] Au paragraphe 54 du jugement Calandrini, la Cour fédérale soutient qu’en l’absence de circonstances exceptionnelles, la règle générale qui traite du contrôle judiciaire d’une décision administrative est que les parties ne peuvent pas poursuivre devant les tribunaux jusqu’à ce que le processus interne soit achevé. Les personnes qui ne sont pas satisfaites d’une décision prise dans le cadre du processus administratif doivent se prévaloir de tous les recours offerts dans ce processus. Ce n’est qu’une fois le processus achevé ou lorsqu’aucun recours n’est offert qu’elles peuvent s’adresser à la cour.

[13] Aux paragraphes 59 et 60 du jugement Calandrini, la Cour fédérale rejette l’argument du demandeur et accepte celui du défendeur. Elle affirme que la décision de proroger le délai était une décision interlocutoire dans le cadre du processus disciplinaire de la GRC; ainsi, il y avait un processus administratif en cours qui n’aurait pas été épuisé jusqu’à ce que chaque étape ouverte aux parties soit achevée. Le demandeur aurait tout de même droit au contrôle judiciaire afin de contester les résultats à la fin du processus interne.

[14] La Cour fédérale conclut ainsi cette question au paragraphe 61 du jugement Calandrini :

[61] Il est trop tôt pour prédire la décision finale du comité de déontologie en ce qui concerne les procédures qui ont été suivies ou le bien-fondé des manquements allégués, ou celle du commissaire dans le cadre de l’appel. Il faut laisser le processus disciplinaire suivre son cours. La décision d’accorder une prorogation ne lie pas les décisions à venir prises par le commissaire. Il est utile de souligner que le commissaire qui examinerait la possibilité d’un appel ne serait pas le même qui était en poste lorsque ces décisions ont été prises. Le comité de déontologie peut formuler des conclusions favorables pour le demandeur et ces conclusions peuvent être confirmées par le commissaire. Si le résultat donne gain de cause au demandeur, celui-ci n’aurait nullement besoin de s’adresser à la cour pour demander réparation. [Caractères gras ajoutés]

[15] Selon mon interprétation de cette décision, la Cour fédérale a confirmé qu’il appartenait au comité de déontologie de prendre une décision concernant « les procédures qui ont été suivies » dans le cadre du processus disciplinaire qui a mené à l’affaire qui lui est présentée. Cela comprend la décision interlocutoire prise par un officier désigné de proroger le délai prescrit en vertu du paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC. La Cour d’appel fédérale a confirmé ce pouvoir dans ses brefs motifs du jugement Calandrini c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 73 (CanLii).

[16] Ce résultat est conforme à l’obligation d’un comité de déontologie de garantir sa compétence pour instruire les allégations à l’endroit d’un membre visé. Il doit notamment veiller à ce que l’audience disciplinaire soit convoquée à temps. Cette décision de l’officier désigné de proroger le délai prescrit en vertu du paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la GRC constitue essentiellement un élargissement de la compétence du comité de déontologie pour lui permettre d’instruire l’affaire; autrement, le délai prescrit n’aurait pas été respecté. Un comité de déontologie doit être en mesure de garantir la validité de l’élargissement de sa compétence. S’il refusait d’examiner une requête qui sème le doute sur la validité de cette décision, le comité de déontologie abdiquerait sa responsabilité de veiller à ce qu’il ait compétence pour instruire l’affaire.

[17] Le comité de déontologie dans l’affaire Solesme en arrive à la conclusion contraire. En toute déférence, je suis en désaccord avec son interprétation du rôle de l’officier désigné. Contrairement à ce qu’il croit, il n’appartient pas à l’officier désigné de [traduction] « confirmer qu’il ou elle détient le pouvoir de nommer un comité de déontologie et, notamment, de veiller à ce que le délai prévu pour la convocation de l’audience disciplinaire n’est pas dépassé. La nomination d’un comité de déontologie ne devrait pas être un simple processus d’approbation automatique ».

[18] Au moment d’examiner l’exactitude de cet énoncé, il convient de rappeler le libellé du paragraphe 43(1) de la Loi sur la GRC :

43(1) Dès qu’il est avisé en vertu du paragraphe 41(1) qu’un membre aurait contrevenu à l’une des dispositions du code de déontologie, l’officier désigné pour l’application de ce paragraphe constitue, sous réserve des règlements, un comité de déontologie composé d’une ou de plusieurs personnes pour décider si le membre y a contrevenu. [Caractères gras ajoutés]

[19] Il s’agit d’une disposition obligatoire de la Loi sur la GRC. Le paragraphe 41(1) de la Loi énonce clairement qu’il appartient à l’autorité disciplinaire de convoquer une audience, et non à l’officier désigné. L’officier désigné n’a pas le pouvoir discrétionnaire de ne pas nommer un comité de déontologie une fois que l’audience a été convoquée par l’autorité disciplinaire. Selon moi, « sous réserve des règlements » traduit l’intention du Parlement d’autoriser le gouvernement à limiter les personnes que l’officier désigné peut nommer au comité de déontologie. Cela dit, aucun règlement en ce sens n’a encore été promulgué, et ainsi, cette partie de la disposition est sans intérêt.

[20] L’officier désigné n’a pas non plus la compétence pour poser les questions nécessaires qui lui permettraient de déterminer si la période prescrite est terminée. Aucune disposition de la Loi, des CC ou de la politique ne lui confère ce pouvoir. Il appartient au comité de déontologie de garantir aux deux parties qu’il a compétence pour instruire l’affaire et d’accorder au membre visé le degré approprié d’équité procédurale qui lui est dû dans toute procédure disciplinaire.

[21] De plus, même si la section des Consignes du commissaire (déontologie) intitulée « Règles de procédure du comité de déontologie » ne mentionne pas expressément l’examen de la décision d’un officier désigné en vertu du paragraphe 47.4(1), il n’est pas dit que le comité de déontologie n’a pas le pouvoir de le faire. L’audition de requêtes fait clairement partie des éléments procéduraux, et les Consignes du commissaire n’établissent aucune limite quant au type de requête pouvant être présenté par les parties ou examiné par le comité de déontologie. C’est justement ce dont il est question, une requête dans laquelle il est allégué que l’audience disciplinaire a été lancée après la fin du délai en raison de la décision déraisonnable prise par l’officier désigné de proroger le délai prescrit. Le comité de déontologie ne peut pas simplement choisir de ne pas tenir compte d’une telle requête ayant trait à une décision discrétionnaire qui a eu une incidence grave sur les droits légaux d’un membre dans le cadre de la même procédure le visant.

[22] L’intimée s’appuie à la fois sur la décision dans l’affaire Solesme et sur l’énoncé à la fin de chacune des décisions de prorogation pour affirmer qu’un appel de la décision de l’officier désigné présenté au commissaire à l’issue de l’audience disciplinaire constitue le mécanisme de recours approprié. Elle ne présente toutefois aucun fondement législatif pour défendre cette position.

[23] L’examen des dispositions relatives aux appels dans Loi sur la GRC et les Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289 [CC (griefs et appels)] qui traitent de déontologie révèle qu’aucune disposition n’appuie cette position. Les dispositions concernées dans la Loi sur la GRC se trouvent à la partie IV et celles dans les CC (griefs et appels), à la partie 2.

[24] L’article 45.11 de la Loi sur la GRC autorise toute partie à faire appel de la décision du comité de déontologie selon laquelle une allégation est fondée ou non, ou d’imposer une mesure disciplinaire après la conclusion selon laquelle une allégation est fondée. Il autorise également tout membre à faire appel d’une décision de l’autorité disciplinaire dans les mêmes circonstances. Les règles relatives à ce droit d’appel sont énoncées à partir de l’article 21 des CC (griefs et appels). Aucune disposition n’énonce explicitement le droit de faire appel de la décision d’un officier désigné de proroger un délai prescrit en vertu du paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la GRC.

[25] Cela dit, la partie 3 des CC (griefs et appels), qui traite des appels de décisions autres que disciplinaires, est éclairante. Elle établit spécifiquement les décisions pouvant faire l’objet d’un appel. L’article 37 des CC (griefs et appels) prévoit le processus pour l’appel :

  1. par un plaignant d’une décision écrite visée au paragraphe 6(1) et à l’alinéa 6(2)b) des Consignes du commissaire (enquête et règlement des plaintes de harcèlement);
  2. d’une décision écrite visée au paragraphe 9(2) des Consignes du commissaire (administration générale);
  3. des décisions écrites visées au paragraphe 20(1) des Consignes du commissaire (exigences d’emploi);
  4. de la directive visée au paragraphe 20(2) des Consignes du commissaire (exigences d’emploi);
  5. des décisions écrites visées au paragraphe 32(1) des Consignes du commissaire (déontologie). [Caractères gras ajoutés]

[26] C’est de l’appel des décisions visées au paragraphe 32(1) des CC (déontologie) dont il est question ici. Ce paragraphe traite de la décision de réaffecter temporairement un membre à d’autres fonctions pendant une enquête relative au code de déontologie, de suspendre un membre pendant une telle enquête, d’exiger la cessation du versement de sa solde et de ses indemnités, et de refuser la représentation à un membre visé par une procédure disciplinaire ou d’y mettre fin. Ces décisions, qui ne font pas partie du processus disciplinaire comme tel, y sont étroitement liées. Comme il existe un droit d’appel explicite pour chacune des décisions étroitement liées susmentionnées, mais aucun pour la décision de proroger le délai prescrit, il semble raisonnable de conclure que cette décision peut être examinée par le comité de déontologie dans le cadre de la procédure disciplinaire qui mènera à l’audience disciplinaire.

[27] Comme je l’ai déjà mentionné, les parties s’entendent pour dire que, n’eût été les prorogations accordées par l’officier désigné, l’audience aurait été lancée après la fin du délai et je n’aurais pas compétence pour instruire l’affaire. Les décisions contestées avaient essentiellement pour effet d’élargir la compétence du comité de déontologie. De ce point de vue, l’examen des décisions prises par l’officier désigné de proroger le délai prescrit en vertu du paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la GRC ne diffère en rien de l’examen de la décision de l’autorité disciplinaire. Par conséquent, je conclus que j’ai le pouvoir, voire la responsabilité, d’examiner la requête et les décisions prises par l’officier désigné afin de garantir le caractère raisonnable des prorogations accordées.

Caractère raisonnable des décisions de l’officier désigné

[28] La requérante prétend que les décisions de l’officier désigné étaient déraisonnables. Elle affirme que dans les motifs des deux décisions, il présente des conclusions incohérentes et reconnaît qu’une grande partie du retard dans l’attribution et la réalisation de l’enquête ne pouvait être expliquée de manière raisonnable. Il a malgré tout accordé les prorogations demandées. Je suis d’accord avec la requérante.

[29] Lorsqu’il examine une décision en appel, l’examinateur cherchera principalement à savoir si la décision est justifiée. Il s’attarde aussi à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphe 47). Le décideur possède un vaste pouvoir discrétionnaire relativement à l’exercice de ses responsabilités et sa décision mérite un haut degré de déférence pourvu que ses motifs démontrent la justification de la décision et la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel. Malheureusement, dans le cas présent, les décisions de l’officier désigné présentent d’importants problèmes qui ne sont pas défendables. La prorogation du délai prescrit ne peut être justifiée simplement par les circonstances.

[30] Je commencerai mon analyse en citant les dispositions pertinentes des lois et des politiques qui prévoient la prorogation du délai.

[31] Paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la GRC :

47.4(1) Le commissaire, s’il est convaincu que les circonstances le justifient, peut, de sa propre initiative ou sur demande à cet effet, après en avoir dûment avisé les membres intéressés, proroger les délais prévus aux paragraphes 31(2), 41(2), 42(2) et 44(1) pour l’accomplissement d’un acte; il peut également spécifier les conditions applicables à cet égard.

[32] Le Règlement sur la GRC et les Consignes du commissaire ne traitent ni l’un ni l’autre de cette question. Le chapitre XII.1.19 du Manuel d’administration renferme des dispositions de politique ainsi libellées :

19. Demandes de prorogation des délais

19. 1. Généralités

19. 1. 1. Les autorités disciplinaires sont tenues de respecter les délais applicables à la convocation d’une audience et à l’imposition de mesures disciplinaires, comme le prescrivent les par. 41(2) et 42(2) de la Loi sur la GRC.

19. 1. 1. 1. Une fois qu’un délai prescrit est expiré, l’autorité disciplinaire n’a plus compétence pour convoquer une audience ni pour imposer des mesures disciplinaires visant un membre, à moins qu’une prorogation de délai n’ait été accordée.

19. 1. 2. La demande de prorogation de délai peut être faite par la personne désignée comme autorité disciplinaire à l’égard du membre ou par le membre qui est visé par l’une ou l’autre des procédures prévues aux par. 41(1) et 42(1) de la Loi sur la GRC.

19. 1. 3. En vertu du par. 47.4(1) de la Loi sur la GRC, le commissaire, ou le membre à qui les pouvoirs requis ont été délégués, peut, s’il est convaincu que les circonstances le justifient, et après en avoir dûment avisé le membre intéressé, proroger le délai prescrit aux par. 41(2) et 42(2) de la Loi sur la GRC.

19. 1. 4. Avant qu’une prorogation soit accordée, la partie qui en fait la demande doit signifier à la partie adverse un Avis de demande de prorogation de délai, à moins que la signification de cet avis risque de compromettre ou d’entraver la tenue d’une enquête sur une infraction à une loi fédérale, comme le précise le par. 47.4(1.1) de la Loi sur la GRC. La signification de l’avis à un membre visé peut aussi être omise dans les cas où des restrictions d’ordre médical s’y opposent. Voir l’ann. XII-1-27 et l’ann. XII-1-28.

19. 1. 5. Le par. 47.4(1) de la Loi sur la GRC n’impose aucune limite au pouvoir du commissaire ou de son délégataire d’accorder une prorogation après l’expiration du délai prescrit au par. 41(2) ou 42(2) de la Loi sur la GRC.

19. 1. 6. Afin de déterminer si les circonstances justifient l’octroi d’une prorogation, le commissaire ou son délégataire doit se demander :

19. 1. 6. 1. s’il y a une intention constante de poursuivre la procédure visée au par. 41(1) ou 42(1) de la Loi sur la GRC;

19. 1. 6. 2. s’il semble exister des arguments défendables qui tendent à prouver que le membre visé a contrevenu au code de déontologie de la GRC;

19. 1. 6. 3. si une explication raisonnable a été fournie pour le retard;

19. 1. 6. 4. si l’octroi d’une prorogation causerait préjudice à la partie adverse;

19. 1. 6. 5. s’il y a d’autres facteurs à prendre en considération (p. ex. l’intérêt public).

NOTA : Ces facteurs reflètent les principes bien établis sur lesquels s’appuient les tribunaux.

19. 1. 7. Le poids relatif qu’il convient d’accorder à chacun des facteurs dépend des circonstances de l’espèce. Devant une demande de prorogation de délai, la considération qui doit primer est celle de l’équité.

[…] [Caractères gras ajoutés]

[33] La politique établit clairement que l’officier désigné doit être convaincu que les circonstances justifient la prorogation du délai, ainsi que les facteurs à prendre en considération pour déterminer si les circonstances susmentionnées justifient la prorogation.

[34] Cette analyse s’articule autour de la remarque formulée selon laquelle ces facteurs reflètent les principes bien établis sur lesquels s’appuient les tribunaux et du fait que « [d]evant une demande de prorogation de délai, la considération qui doit primer est celle de l’équité ». Il s’agit d’une question de premier ordre dans l’évaluation des facteurs les plus importants à prendre en considération dans le cas présent : existe-t-il une explication raisonnable quant au retard et l’intérêt public.

Explication raisonnable quant au retard

[35] Trois éléments importants ressortent de la chronologie associée au retard dans cette affaire. Certains de ces éléments sont pris en considération par l’officier désigné dans ces décisions d’accorder les prorogations du délai prescrit. L’allégation de la requérante selon laquelle les décisions de l’officier désigné sont déraisonnables s’appuie principalement sur ces éléments. Mon analyse portera sur la première prorogation accordée, mais les observations que je formulerai sont également applicables à la deuxième prorogation.

[36] Le premier élément est le temps qu’il a fallu à l’autorité disciplinaire initiale, soit six mois, pour demander une enquête relative au code de déontologie concernant la plainte de madame P.L. Cela comprend une période de plus de trois mois après que le GRP de la Division H a été informé de la plainte.

[37] Dans les motifs de sa décision, l’officier désigné juge que la période de six mois pour demander une enquête relative au code de déontologie concernant l’allégation 1 est déraisonnable. Il estime également que la période de trois mois, à l’intérieur de ces six mois, à partir du moment où le GRP de la Division H a été informé de l’allégation 1 jusqu’au moment où l’enquête a été demandée, était déraisonnable. Ces motifs sont énoncés aux paragraphes 25 à 29 de la décision. Ces conclusions sont éminemment sensées et justifiables dans les circonstances du cas, puisqu’aucune explication raisonnable n’a été fournie quant au retard.

[38] Cela m’amène au deuxième élément qui ressort de la chronologie : la décision de combiner l’enquête au sujet de la plainte de madame P.L. (allégation 1) et l’enquête concernant les événements survenus à […] (allégations 2 à 4), qui a eu pour effet de retarder de beaucoup plus la conclusion de l’enquête au sujet de l’allégation 1. L’officier désigné conclut, au paragraphe 36 de sa décision, que cette mesure était nécessaire et raisonnable, affirmant que [traduction] « compte tenu de l’ensemble des circonstances, [il] juge qu’il existe une explication raisonnable quant au retard ». Je ne suis pas d’accord avec cette conclusion.

[39] L’officier désigné en est arrivé à cette conclusion après avoir formulé des commentaires semblables dans sa décision. Aux paragraphes 31 à 33, il dit :

[traduction]

Considérés dans leur ensemble, ces comportements allégués, s’ils ont véridiques, démontrent un […] préoccupant d’inconduite […] et de comportements en ce sens :

a) Madame [P.L.] allègue que […] pour qu’elle [madame P.L.] […] et mette fin à son mariage avec [serg. D.L.];

b) Les messages sur Internet et par courrier allégués présentent […] et du contexte allégué concernant les comportements de harcèlement);

c) […]

32. Vu la possibilité que ces allégations, considérées dans leur ensemble, constituent […], il est approprié et raisonnable de combiner ces allégations aux fins d’enquête, notamment pour garantir la prise de mesures disciplinaires appropriées et équitables (ou le congédiement) par l’autorité disciplinaire (ou le comité de déontologie) si elles s’avéraient fondées.

33. De plus, il s’agit d’un cas unique du fait que l’autorité disciplinaire initiale désignée pour [la requérante] dans le cadre de cette allégation aurait […], et ces derniers constituent le fondement de nouvelles allégations.

[40] Sa conclusion selon laquelle il était nécessaire que l’intimée combine les enquêtes relatives au code de déontologie de manière à traiter globalement l’ensemble des allégations est directement attribuable à des déclarations inexactes et des omissions dans la demande de l’intimée. Dans sa demande, l’intimée a indiqué que quatre allégations « graves » et […] supplémentaires s’étaient ajoutées au mandat de l’enquête du fait des événements survenus à […].

[41] Aucune explication n’a été fournie quant à la raison pour laquelle il était nécessaire d’ajouter ces allégations sans lien au mandat ou de mener enquête sur tous les éléments en même temps; cette décision a ajouté beaucoup de complexité à l’enquête et allongé le temps nécessaire pour la mener à bien. Il s’agit d’une grave omission étant donné que l’enquête concernant l’allégation 1 aurait vraisemblablement été accomplie et conclue au moment où la demande de l’intimée est devenue nécessaire, n’eût été l’ajout de ces allégations supplémentaires au mandat. La présomption de l’officier désigné qu’il était nécessaire d’enquêter sur l’ensemble des allégations en même temps n’était pas étayée par les éléments dont il disposait.

[42] La demande de l’intimée était également incomplète; à la page 4, elle indique que madame […] au moment des événements survenus […]. Cette déclaration porterait n’importe quel lecteur de la demande à présumer que […] madame […]. Cependant, l’intimée a omis de mentionner qu’avant qu’elle présente sa demande, madame […] avait fourni une déclaration aux enquêteurs dans laquelle elle indiquait ne pas se souvenir […]. Cette absence inappropriée de communication fidèle et complète a influencé la décision de l’officier désigné de proroger le délai prescrit.

[43] Cet élément est aussi important dans l’analyse des commentaires formulés par l’officier désigné au paragraphe 33 de sa décision. Comme je l’ai déjà indiqué, lorsqu’elle a présenté sa demande, l’intimée savait qu’il n’existait aucune preuve […]

[44] Dans un même ordre d’idées, et en faisant fi de […], il n’existe aucun fondement à la conclusion de l’officier désigné selon laquelle il y avait un [traduction] […]. Le retard provoqué par la combinaison des deux enquêtes ne peut se justifier par les suppositions erronées de l’officier désigné, alimentées par des renseignements inexacts et des omissions dans la demande de l’intimée.

[45] En outre, il n’existe aucune preuve ou allégation selon laquelle la requérante aurait comploté avec l’insp. […] pour retarder l’attribution de l’enquête relative au code de déontologie comme le laisse entendre l’officier désigné dans sa décision. Au contraire, la preuve révèle qu’elle a essayé d’accélérer l’enquête en fournissant une déclaration au sujet de l’allégation 1 en février 2019.

[46] Qui plus est, lorsqu’il s’agit de déterminer le début de la prescription prévue au paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC, il suffit que les renseignements indiqués aient été portés à la connaissance de l’autorité disciplinaire pour que le chronomètre parte. Les renseignements portés à la connaissance de l’insp. […] sont imputables à l’intimée; c’est du pareil au même pour ce qui est de déterminer si le délai prescrit a été respecté. Par conséquent, l’officier désigné avait devant lui une situation pour laquelle il a conclu clairement et correctement qu’aucune explication raisonnable ne justifiait le retard dans la demande d’enquête. Si l’on corrige ses suppositions erronées concernant l’existence d’un lien entre allégations et que l’on différencie les autorités disciplinaires, il n’y a plus de fondement raisonnable à sa dernière conclusion selon laquelle il existe une explication raisonnable quant au retard.

[47] Comme l’indique la politique, « [d]evant une demande de prorogation de délai, la considération qui doit primer est celle de l’équité ». La politique exige également que la décision repose sur les principes bien établis sur lesquels s’appuient les tribunaux. À mon avis, les principes les plus applicables sont ceux établis par la Cour suprême du Canada dans R. c. Grant, [2009] CSC 32 [Grant], en droit criminel. Selon l’analyse Grant, ils doivent être appliqués lorsqu’il est déterminé qu’il y a eu violation de la Charte [1] et le tribunal doit décider si la preuve recueillie en lien avec la violation doit être écartée en application du paragraphe 24(2) de la Charte. Le dernier principe dans l’analyse Grant est le critère de l’intérêt public, c’est-à-dire l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond. Il exige l’évaluation de la gravité des accusations portées contre l’accusé. Plus les accusations sont graves, plus le désir de les juger au fond sera grand; moins elles sont graves, plus la balance penchera vers la protection de l’intégrité du système de justice pénale.

[48] Dans le contexte de procédures disciplinaires de la GRC, le critère de l’intérêt public exige également une évaluation de la gravité de l’allégation. Plus l’allégation est grave, plus le désir de la juger au fond sera grand; moins l’allégation est grave, plus la balance penchera vers la protection de l’intégrité du processus disciplinaire de la GRC.

[49] La seule allégation qui demeure dans ce cas relève de l’article 7.1 du code de déontologie. Si cette allégation s’avère fondée, la requérante a, de manière intéressée, répétitive et intensive, essayé d’informer madame P.L, de façon anonyme, que son mari la trompait. Elle l’a fait dans l’espoir que madame P.L. quitte son mari […]. Je ne suis pas là pour porter des jugements moraux et, pour paraphraser l’ancien premier ministre Pierre Elliott Trudeau, la GRC n’a rien à faire dans la chambre à coucher des Canadiens. Ainsi, dans mon évaluation de la gravité de cette allégation, je ne jugerai pas […]. Je ne jugerai pas non plus l’autre membre marié pour avoir eu une aventure extraconjugale. Je ferai simplement observer que […], et que certaines personnes condamneraient les gestes posés par la requérante pour informer madame P.L. du fait que son mari la trompait.

[50] Cela dit, la requérante est peut-être allée trop loin pour ce qui est des publications sur Pinterest. Ce faisant, elle a mis la famille et les amis de madame P.L. au courant de la situation, ce qui l’a possiblement grandement embarrassée à un moment où elle faisait déjà face à une trahison très personnelle. Il serait justifié de convoquer une audience pour y présenter des arguments de conduite déshonorante et déterminer si l’allégation est fondée. Si les intentions de la requérante à l’endroit de madame P.L. avaient été sincères, elle aurait pu l’appeler directement ou lui envoyer un courriel pour l’informer de la situation, puis la laisser prendre sa décision.

[51] Ceci étant dit, même l’intimée reconnaît que l’allégation, même fondée, n’est pas assez grave pour justifier le congédiement de la requérante. N’eût été le retard dans l’attribution de l’enquête liée au code de déontologie et l’ajout d’allégations concernant les événements qui se sont déroulés à […], cette allégation n’aurait pas mené à la tenue d’une audience disciplinaire. Elle aurait été examinée par une autorité disciplinaire de niveau inférieur et n’aurait mené qu’à des mesures disciplinaires ou correctives. Par conséquent, si l’on soupèse le désir de juger l’allégation au fond et la protection de l’intégrité du processus disciplinaire de la GRC, la balance penche en faveur de cette dernière.

Conclusion

[52] En résumé, l’officier désigné avait devant lui une allégation pour laquelle il a fallu six mois de retard inexpliqué et déraisonnable avant que l’autorité disciplinaire demande une enquête relative au code de déontologie. L’enquête a été de nouveau retardée du fait qu’elle a été combinée à une autre enquête concernant un incident sans lien qui s’est produit des mois plus tard sur un autre […]. Si l’on retire les suppositions erronées de l’officier désigné qui découlent de renseignements inexacts et d’omissions dans la demande, aucun […] ne justifierait l’enquête combinée des deux affaires. En outre, la requérante n’était en rien responsable de ce retard non justifié.

[53] Dans ces circonstances, la conclusion de l’officier désignée selon laquelle le retard global était raisonnable est, en soi, déraisonnable. La justice ne serait pas rendue entre les parties si l’on permettait à la prorogation du délai d’être maintenue. Ainsi, cette affaire a été déposée après la fin du délai et je n’ai pas compétence pour l’instruire.

[54] Étant donné qu’il s’agit d’une décision définitive pour trancher la question, toute mesure prise provisoirement devra être résolue conformément à l’article 23 du Règlement sur la GRC. L’une ou l’autre des parties peut interjeter appel de cette décision en déposant une déclaration d’appel auprès de la commissaire dans les 14 jours suivant la signification de cette décision à la sergente d’état-major Keddy, comme il est indiqué à l’article 45.11 de la Loi sur la GRC et à l’article 22 des Consignes du commissaire (griefs et appels).

 

 

Le 16 septembre 2020

Gerald Annetts

Comité de déontologie

 

Edmonton (Alberta)

 



[1] Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), c 11 [la Charte].

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.