Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

Le gendarme Maxime Lecours fait face à un total de sept allégations de contravention au Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada. La première allégation est une contravention à l’article 2.1 du Code de déontologie pour harcèlement. Quatre allégations indiquent que le gendarme Lecours a contrevenu à l’article 3.3 du Code de déontologie pour avoir désobéi aux ordres de ses supérieurs. Enfin, deux allégations de contravention concernent l’article 7.1 du Code de déontologie pour conduite déshonorante.

Après la tenue d’une audience contestée, le Comité de déontologie a conclu que les sept allégations n’étaient pas établies selon la prépondérance des probabilités. Par conséquent, aucune mesure disciplinaire n’a été imposée.

Contenu de la décision

Protégé A

2020 DAD 28

Interdiction de publication : Sur ordre du Comité de déontologie, les informations susceptibles d’identifier la gendarme L. dans cette décision ne peuvent être publiées, diffusées ou transmises. De plus, toute documentation médicale soumise par le membre visé pendant l’audience et contenue dans le dossier devant le Comité de déontologie ne peut être publiée, diffusée ou transmise.

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GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

AUDIENCE DISCIPLINAIRE

DANS L’AFFAIRE INTÉRESSANT LA

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC (1985), c R-10

Entre :

Commandant de la Division C

Autorité disciplinaire

et

Gendarme Maxime Lecours

Numéro de matricule 58636

Membre visé

Décision du Comité de déontologie

Josée Thibault

Le 18 novembre 2020

Me Denys Morel et la sergente d’état-major Chantal Le Dû, pour l’autorité disciplinaire

Me Isabel Schurman et Me Francis Villeneuve-Ménard, pour le membre visé


TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ DE LA DÉCISION 1

INTRODUCTION 1

Allégations 2

Résumé des faits établis 7

DÉCISION RELATIVE AUX ALLÉGATIONS 11

Crédibilité des témoins 11

Analyse des allégations 13

Est-ce que le gendarme Lecours a été diagnostiqué avec un trouble psychologique? 14

Est-ce que la conduite du gendarme Lecours est liée à son état psychologique? 15

Est-ce que la conduite du gendarme Lecours enfreint le Code de déontologie? 19

Récidive et mesures facilitantes pour le retour au travail 28

CONCLUSION 30

 

RÉSUMÉ DE LA DÉCISION

Le gendarme Maxime Lecours fait face à un total de sept allégations de contravention au Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada. La première allégation est une contravention à l’article 2.1 du Code de déontologie pour harcèlement. Quatre allégations indiquent que le gendarme Lecours a contrevenu à l’article 3.3 du Code de déontologie pour avoir désobéi aux ordres de ses supérieurs. Enfin, deux allégations de contravention concernent l’article 7.1 du Code de déontologie pour conduite déshonorante.

Après la tenue d’une audience contestée, le Comité de déontologie a conclu que les sept allégations n’étaient pas établies selon la prépondérance des probabilités. Par conséquent, aucune mesure disciplinaire n’a été imposée.

INTRODUCTION

[1] Le 11 juillet 2019, le commandant de la Division C émet un Avis à l’officier désigné dans lequel il demande la tenue d’une audience disciplinaire dans cette affaire. Le 16 juillet 2019, j’ai été nommée au Comité de déontologie en vertu du paragraphe 43(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC (1985), c R-10 [Loi sur la GRC].

[2] Le 19 juillet 2019, l’autorité disciplinaire signe l’Avis d’audience disciplinaire, qui a été signifié au gendarme Lecours avec le dossier d’enquête le 29 juillet 2019. L’avis contenait un total de sept allégations.

[3] Dans la première allégation, il est allégué que le gendarme Lecours a contrevenu à l’article 2.1 du Code de déontologie en ayant une conduite qui constitue du harcèlement envers la gendarme L. Il y a quatre allégations dans lesquelles il est allégué que le gendarme Lecours a contrevenu à l’article 3.3 du Code de déontologie pour avoir désobéi aux ordres de ses supérieurs. Enfin, il y a deux allégations de contravention à l’article 7.1 du Code de déontologie pour conduite déshonorante.

[4] Le 13 septembre 2019, le gendarme Lecours fournit sa réponse à l’avis d’audience, conformément au paragraphe 15(3) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291. Le gendarme Lecours admet tous les énoncés détaillés des sept allégations. Or, il nie que sa conduite contrevenait au Code de déontologie, et ce, parce que les gestes inappropriés découlaient de son état psychologique.

[5] L’audience s’est tenue par vidéoconférence du 8 au 11 septembre 2020. Le Comité de même que les représentants de l’autorité disciplinaire étaient situés dans la ville d’Ottawa, Ontario, tandis que le gendarme Lecours et ses représentants étaient à Montréal, Québec. Deux témoins experts ont également témoigné par vidéoconférence en provenance de la ville de Montréal, Québec. La décision orale sur les allégations a été rendue par vidéoconférence
le 21 septembre 2020. Les sept allégations n’ont pas été établies.

Allégations

[6] Les sept allégations dont le Comité de déontologie était saisi se lisent comme suit :

Allégation 1

Entre le 1 décembre et le 9 octobre 2019, inclusivement, à ou près de Saint-Jean-sur-le-Richelieu dans la province de Québec, le gendarme Maxime Lecours a contrevenu à l’article 2.1 du Code de déontologie

Énoncés détaillés de l’allégation :

1. À toutes les époques pertinentes, vous étiez et vous êtes toujours un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), affecté à l’Équipe intégrée de la police des frontières (« ÉIPF ») d’un détachement de la Division « C », dans la province de Québec.

2. Le 9 novembre 2017, la gendarme L. s’est jointe à l’ÉIPF du détachement. Vous étiez tous les deux assignés à l’équipe C.

3. Vers la fin du mois de décembre 2017, la gendarme L., réalisant que vous lui démontrez de l’intérêt sur le plan personnel, vous a clairement indiqué qu’elle n’était pas intéressée à avoir une relation personnelle avec vous allant plus loin qu’une amitié.

4. Vous compreniez que la gendarme L. n’était pas intéressée à avoir une relation personnelle avec vous. Malgré ses refus répétés, vous avez persisté avec vos commentaires, avances et messages textes, la rendant inconfortable et frustrée dans son milieu de travail. Votre comportement a fait en sorte qu’elle a demandé de ne plus faire de patrouille avec vous.

5. Malgré l’intervention des supérieurs, vous avez persisté à essayer de communiquer avec la gendarme L., faisant en sorte que l’on vous a réassigné à une autre équipe.

6. Malgré l’intervention de la Cour criminelle [du Québec] et votre engagement à ne plus communiquer avec la gendarme L. vous avez persisté dans votre comportement.

7. Votre conduite envers la gendarme L. constitue du harcèlement.

Allégation 2

Le ou vers le 27 juin 2018, à ou près de Saint-Jean-sur-le-Richelieu dans la province de Québec, le gendarme Maxime Lecours a contrevenu à l’article 3.3 du Code de déontologie.

Énoncés détaillés de l’allégation :

1. À toutes les époques pertinentes, vous étiez et vous êtes toujours un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), affecté à l’Équipe intégrée de la police des frontières (« ÉIPF ») d’un détachement de la Division « C », dans la province de Québec.

2. Vous étiez l’utilisateur du numéro de téléphone [se terminant par 7729].

3. Le 6 juin 2018, le sergent d’état-major [(s.é.-m)] R.S-J. vous a rencontré avec le caporal J.D. Il vous a donné une consigne verbale de ne plus entrer en contact avec la gendarme L. et vous a temporairement réaffecté à des tâches alternatives sur l’équipe A. Vous lui avez confirmé comprendre la consigne.

4. Le 14 juin 2018, le s.é.-m. R.S-J. vous a rencontré avec le caporal C.M. et vous a donné une directive verbale de ne plus communiquer avec la gendarme L. Il a modifié votre quart de travail afin d’éviter tout contact avec elle.

5. Le 27 juin 2018, vers 16h17, vous avez utilisé le numéro de téléphone [mentionné précédemment] et vous avez contacté la gendarme L. afin de vous excuser.

6. Vous avez désobéi à la directive du s.é.-m. R.S-J.

Allégation 3

Le ou vers le 10 juillet 2018, à ou près de Saint-Jean-sur-le-Richelieu dans la province de Québec, le gendarme Maxime Lecours a contrevenu à l’article 3.3 du Code de déontologie.

Énoncés détaillés de l’allégation :

1. À toutes les époques pertinentes, vous étiez et vous êtes toujours un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), affecté à l’Équipe intégrée de la police des frontières (« ÉIPF ») d’un détachement de la Division « C », dans la province de Québec.

2. Le 28 juin 2018, le [s.é.-m.] R.S-J. vous a rencontré avec le caporal C.M. Ils essayaient de comprendre pourquoi vous contactiez toujours la gendarme L. malgré que vous ayez reçu une directive de ne pas communiquer avec elle.

3. Vous avez expliqué que c’était plus fort que vous et que les conséquences de ne pas respecter une directive étaient moins importantes à vos yeux.

4. Le 29 juin 2018, le s.é.-m. R.S-J vous a donné un ordre verbal formel de ne plus communiquer avec la gendarme L. de votre téléphone cellulaire.

5. Le 10 juillet 2018, la gendarme L. était en compagnie de la gendarme V. Elles terminaient leur quart de travail et retournaient leur équipement dans la salle du « key watcher » du détachement, lorsque vous avez initié une conversation avec elles.

6. Vous avez désobéi à l’ordre du s.é.-m. R.S-J.

Allégation 4

Le ou vers le 10 juillet 2018, à ou près de Saint-Jean-sur-le-Richelieu dans la province de Québec, le gendarme Maxime Lecours a contrevenu à l’article 3.3 du Code de déontologie.

Énoncés détaillés de l’allégation :

1. À toutes les époques pertinentes, vous étiez et vous êtes toujours un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), affecté à l’Équipe intégrée de la police des frontières (« ÉIPF ») d’un détachement de la Division « C », dans la province de Québec.

2. Vous étiez l’utilisateur du numéro de téléphone [se terminant par 7729].

3. Le 11 juillet 2018, l’inspectrice M.-J.D., Officier responsable du District ouest, vous a rencontré et vous a donné une ordre verbal formel de ne plus communiquer avec la gendarme L. Vous avez compris l’ordre et avez affirmé que vous alliez respecter cet ordre.

4. Le 15 juillet 2018, vers 16h07, en utilisant votre téléphone [se terminant par 7729] vous avez tenté de communiquer avec la gendarme L. en lui laissant un message vocal lui demandant si elle voulait aller faire de la moto avec vous.

5. Le 23 juillet 2018, vers 18h40, alors que la gendarme L. commençait son quart de travail de nuit et marchait en direction du détachement, vous l’avez interpellée dans le stationnement.

6. Vous avez désobéi à l’ordre de l’inspectrice M.-J.D. en communiquant avec la gendarme L.

Allégation 5

Entre le 15 juillet 2018 et le 23 juillet 2018, à ou près de Saint-Jean-sur-le-Richelieu dans la province de Québec, le gendarme Maxime Lecours a contrevenu à l’article 3.3 du Code de déontologie.

Énoncés détaillés de l’allégation :

1. À toutes les époques pertinentes, vous étiez et vous êtes toujours un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), affecté à l’Équipe intégrée de la police des frontières (« ÉIPF ») d’un détachement de la Division « C », dans la province de Québec.

2. Vous étiez l’utilisateur du numéro de téléphone [se terminant par 7729].

3. Vous étiez affecté à l’équipe A.

4. Le 24 juillet 2018, le [s.é.-m.] R.S-J. vous a rencontré avec le caporal C.M. et vous a remis un ordre écrit formel de ne plus avoir aucun contact avec la gendarme L. Ils vous ont expliqué les conséquences de ne pas respecter cet ordre, incluant la possibilité de faire face à un processus disciplinaire. Vous avez compris cet ordre et l’avez signé.

5. Le 5 août 2018, vers 09h55, vous avez utilisé votre téléphone [se terminant par 7729] pour téléphoner la gendarme L.

6. Vous avez désobéi à un ordre formel écrit.

Allégation 6

Le ou vers le 7 août 2018, à ou près de Saint-Jean-sur-le-Richelieu dans la province de Québec, le gendarme Maxime Lecours a eu une conduite déshonorante en contravention de l’article 7.1 du Code de déontologie.

Énoncés détaillés de l’allégation :

1. À toutes les époques pertinentes, vous étiez et vous êtes toujours un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), affecté à l’Équipe intégrée de la police des frontières (« ÉIPF ») d’un détachement de la Division « C », dans la province de Québec.

2. Entre le mois d’avril et août 2018, vous avez été rencontré à plusieurs reprises par vos superviseurs qui vous ont avisé de cesser votre comportement envers la gendarme L. Vous avez reçu consignes, ordres verbaux et écrits, de ne plus communiquer avec elle.

3. Le 7 août 2018, vous avez rencontré votre superviseur le caporal C.M. Faisant référence à la gendarme L, il vous a demandé « Y as-tu quelque chose que tu veux me dire? As-tu tenté de communiquer avec elle? L’as-tu appelée? L’as-tu textée? » Vous lui avez répondu « non », alors que le 5 août 2018, vers 09h55, vous aviez tenté de communiquer avec la gendarme L. [en lui téléphonant].

4. Un fois confronté par le caporal C.M. avec l’information qu’il détenait concernant votre contravention à l’ordre de ne pas communiquer avec la gendarme L., vous lui avez avoué avoir communiqué avec elle.

5. Vous avez donné des explications fausses et trompeuses à un superviseur.

Allégation 7

Le ou vers le 9 octobre 2018, à ou près de Saint-Jean-sur-le-Richelieu dans la province de Québec, le gendarme Maxime Lecours a eu une conduite déshonorante en contravention de l’article 7.1 du Code de déontologie.

Énoncés détaillés de l’allégation :

1. À toutes les époques pertinentes, vous étiez et vous êtes toujours un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), affecté à l’Équipe intégrée de la police des frontières (« ÉIPF ») d’un détachement de la Division « C », dans la province de Québec.

2. Le 17 août 2018, un mandat d’arrestation a été émis contre vous pour harcèlement criminel.

3. Le 20 août 2018, vous avez été arrêté et libéré sur promesse remise à un agent de la paix. Une des conditions de votre remise en liberté était de ne plus entrer en contact directement ou indirectement avec la gendarme L.

4. Le 21 août 2018, vous avez été suspendu de vos fonctions.

5. Le 9 octobre 2018, vers 11h50, vous avez contrevenu à une des conditions de votre engagement en communiquant [par téléphone] avec la gendarme L.

6. Vous avez été arrêté, détenu et libéré sous conditions, incluant la condition de ne plus entrer en contact directement ou indirectement avec la gendarme L.

7. Vous vous êtes comporté de manière à jeter le discrédit sur la GRC.

[Cité textuellement]

Résumé des faits établis

[7] Au moment des incidents en 2017, le gendarme Lecours était affecté à l’Équipe intégrée de la police des frontières « ÉIPF » dans la Division C, province de Québec.

[8] Le 9 novembre 2017, la gendarme L. s’est jointe à l’Équipe et les deux membres travaillaient ensemble dans l’équipe C.

[9] Dès l’arrivée de la gendarme L. au Détachement, le gendarme Lecours s’est pris d’une affection démesurée et obsessionnelle pour elle, qui s’est poursuivie du mois de décembre 2017 jusqu’au mois d’août 2018.

[10] Dès décembre 2017, la gendarme L. fait une première mise au claire avec le gendarme Lecours. Elle lui dit qu’elle veut simplement entretenir avec lui une relation professionnelle et non une relation amoureuse comme il le désire.

[11] En février 2018, la gendarme L. tente une fois de plus de mettre fin à ses avances. Elle précise qu’elle ne veut pas qu’il l’appelle ou qu’il lui envoie des messages textes durant ses journées de congé parce que leur relation est strictement professionnelle. Elle l’avise aussi que les messages textes doivent être liés au travail. Le gendarme Lecours lui confirme avoir compris.

[12] Malgré tout, lors d’un quart de travail, le gendarme Lecours lui propose une liste d’activités qu’ils pourraient faire ensemble comme aller au Costco, au cinéma. Il mentionne que le dernier item sur sa liste est de l’embrasser.

[13] Malgré les refus répétés, le gendarme Lecours continue d’envoyer des messages textes à la gendarme L. En mars 2018, il l’invite à prendre un café dans un lieu de son choix. De plus, le gendarme Lecours avise la gendarme L. au travail qu’il lui a écrit une lettre dans laquelle il admet éprouver des sentiments à son égard et lui demande de sortir avec elle.

[14] En avril 2018, voyant que ses discussions avec le gendarme Lecours sont en vain, la gendarme L. parle à son superviseur. Elle lui demande de ne plus être jumelé au gendarme Lecours lors des patrouilles. La journée même, le gendarme Lecours est avisé par le superviseur de ne plus contacter la gendarme L., à défaut de quoi il ferait face à une plainte de harcèlement.
Le gendarme Lecours lui répond avoir compris.

[15] Les actions du gendarme Lecours affectent la vie professionnelle et personnelle de la gendarme L. qui tente continuellement de mettre un terme à ses avances persistantes.

[16] Le 6 juin 2018, le sergent d’état-major R.S.-J. donne une première consigne verbale au gendarme Lecours de ne plus entrer en contact avec la gendarme L. et lui retire son arme de service. Le gendarme Lecours est avisé qu’il devra obligatoirement rencontrer le psychologue de la GRC pour une évaluation spéciale de santé.

[17] Le 14 juin 2018, le sergent d’état-major R.S.-J. avise le gendarme Lecours que ses heures de travail ont changé, et ce, afin d’éviter tout contact avec la gendarme L. De plus, le sergent d’état-major R.S.-J. réitère la consigne d’éviter tout contact avec la gendarme L., autant par téléphone que par texto ou courriel. Le gendarme Lecours lui affirme avoir compris l’ordre.

[18] Le 27 juin 2018, le gendarme Lecours désobéit à cet ordre en appelant la gendarme L. pour s’excuser de son comportement.

[19] Devant l’incompréhensibilité de la situation, le 28 juin 2018, le sergent d’état-major R.S.‑J. et le caporal C.M. rencontrent le gendarme Lecours. Celui-ci leur explique que communiquer avec la gendarme L. est plus fort que lui et que c’est plus important à ses yeux que de contrevenir à un ordre. Pour éviter tout contact avec la gendarme L, l’horaire de travail du gendarme Lecours est modifié.

[20] Le 29 juin 2018, le sergent d’état-major R.S.-J. donne un deuxième ordre verbal au gendarme Lecours de ne plus communiquer avec la gendarme L. sous aucun prétexte. Pour éviter d’appeler la gendarme L., le gendarme Lecours supprime son nom de sa liste de contacts sur son cellulaire.

[21] Le 4 juillet 2018, le gendarme Lecours rencontre le psychologue de la GRC, Dr N.S., dans le cadre de l’évaluation spéciale de santé demandée par le sergent d’état-major R.S.-J.
Le 10 juillet 2018, le Dr N.S. indique dans son rapport que le gendarme Lecours est apte au travail sans restriction.

[22] Le 11 juillet 2018, le gendarme Lecours retourne au travail où il réintègre ses fonctions régulières de patrouilleur/enquêteur et son arme à feu lui est remise. Il change aussi d’équipe afin de ne pas travailler avec la gendarme L. De plus, il reçoit l’ordre verbal de l’inspectrice M.-J.D., de ne plus communiquer avec la gendarme L. à des fins personnelles. Le gendarme Lecours lui affirme avoir compris l’ordre.

[23] Quatre jours plus tard, soit le 15 juillet 2018, le gendarme Lecours désobéit à l’ordre de l’inspectrice en laissant un message sur la boîte vocale de la gendarme L. dans lequel il l’invite à l’accompagner en motocyclette.

[24] Le 23 juillet 2018, alors qu’il avait déjà terminé sa journée de travail à 16 h, le gendarme Lecours interpelle la gendarme L. vers 18 h 40 alors qu’elle marchait dans le stationnement du détachement avant son quart de travail.

[25] Désemparés, le 24 juillet 2018, le sergent d’état-major R.S.-J. et le caporal C.M. rencontrent une fois de plus le gendarme Lecours. Cette fois-ci, il reçoit un ordre écrit de ses supérieurs de ne plus communiquer avec la gendarme L. Ceux-ci lui expliquent qu’il peut faire face à des mesures disciplinaires s’il ne respecte pas l’ordre. Il est alors assigné à des tâches administratives et il est avisé qu’il devra rencontrer le psychologue de la GRC pour une deuxième évaluation spéciale de santé.

[26] Le 5 août 2018, le gendarme Lecours appelle la gendarme L. sur son cellulaire, mais il ne laisse pas de message.

[27] Le 6 août 2018, les gestionnaires du gendarme Lecours sont avisé par le Dr N.S., psychologue de la GRC, que ce dernier est une fois de plus apte au travail sans restriction.

[28] Le 7 août 2018, le gendarme Lecours se présente au bureau du caporal C.M. pour parler de son coup de foudre pour la gendarme L. Cette journée même, le surintendant principal C.C., Commandant par intérim de la Division C, ordonne le retrait immédiat de l’arme de service du gendarme Lecours ainsi que tous ses accès au Détachement et aux deux détachements satellites. Le gendarme Lecours est également assigné à des fonctions administratives et est muté au quartier général de Westmount à compter du 9 août 2018.

[29] Le 10 août 2018, un mandat d’enquête relatif au Code de déontologie de la GRC est signifié au gendarme Lecours. Quelques heures après avoir reçu le document, le gendarme Lecours envoie un texto à la gendarme L. lui demandant s’il peut la voir 15 minutes.

[30] Cette journée même, la gendarme L. avoue à sa supérieure que le comportement du gendarme Lecours à son égard l’inquiète. À la fin de son quart de travail, par mesure de sécurité, la gendarme L. est escortée à sa résidence où une amie l’attend.

[31] Le 17 août 2018, un mandat d’arrestation est émis contre le gendarme Lecours afin qu’il contracte un engagement de ne plus communiquer directement ou indirectement avec la gendarme L., et ce, conformément au paragraphe 810(3) du Code criminel, LRC (1985), c C-46 [Code criminel].

[32] Le mandat d’arrestation est lié aux incidents survenus entre le 1er novembre 2017 et le 10 août 2018, entre la gendarme L. et le gendarme Lecours. La gendarme L. craint qu’il ne lui cause des lésions personnelles ou endommage sa propriété.

[33] Le 20 août 2018, le gendarme Lecours est arrêté et libéré. Parmi les conditions de libération, il s’engage à ne plus communiquer directement ou indirectement avec la gendarme L.

[34] Le 9 octobre 2018, le gendarme Lecours brise la condition de son engagement en appelant la gendarme L.

[35] En octobre 2018, le gendarme Lecours comparaît à la Cour criminelle du Québec pour son bris de condition. Le juge ordonne deux évaluations psychiatriques du gendarme Lecours à l’Institut Philippe-Pinel de Montréal. La première évaluation de cinq jours est pour déterminer s’il est apte à subir son procès. La deuxième évaluation a pour but d’obtenir une évaluation plus approfondie de son état de santé mentale, et ce, à la suite de la recommandation faite par le psychiatre lors de la première évaluation.

[36] Le 27 novembre 2018, la psychiatre, Dre M-A.S., conclut dans son rapport d’expertise sur la responsabilité criminelle du gendarme Lecours que ce dernier souffre d’un trouble délirant de type érotomaniaque avec des éléments paranoïdes. Selon le rapport, il a également des traits d’une personnalité obsessionnelle-compulsive et évitante. Or, il ne présente pas de danger pour lui-même ou autrui ni de motivations vindicatives à l’égard de la gendarme L. ou d’un désir de transgresser à nouveau un interdit de contact.

[37] À la suite de ce diagnostic, le gendarme Lecours est reconnu non responsable pour cause de troubles mentaux en vertu de l’article 16 du Code criminel.

[38] Par la suite, il est suivi en psychiatrie. Enfin, il comparaît en 2019 devant la Commission d’examen des troubles mentaux du Québec qui conclut que le gendarme Lecours ne représente pas un risque important pour la sécurité du public. Il est donc libéré inconditionnellement.

DÉCISION RELATIVE AUX ALLÉGATIONS

Crédibilité des témoins

[39] Lors de l’audience, j’ai entendu le témoignage du gendarme Lecours, de même que le témoignage de deux témoins experts. Je tiens à préciser que les témoignages des Drs S.G. et L.B. ont été importants afin de mieux comprendre la complexité du trouble psychologique dont souffrait le gendarme Lecours lors des événements décrits précédemment.

[40] Dans l’arrêt F.H. c McDougall, 2008 CSC 53, la Cour suprême du Canada s’est prononcée sur les questions de crédibilité et de fiabilité des témoins. Elle a énoncé que « la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. » Par conséquent, j’ai évalué soigneusement chaque témoignage à la lumière de la preuve recueillie.

[41] J’ai trouvé que le gendarme Lecours s’exprimait clairement. Il était direct. Il a exprimé avec émotion et franchise la peine et la douleur qu’il ressent encore aujourd’hui lorsqu’il regarde avec recul les gestes qu’il a posés envers la gendarme L. Il a indiqué qu’il est également attristé des commentaires de ses collègues à son égard. En regardant la totalité de la preuve, je n’ai pas noté de contradictions majeures. Je conclus qu’il était un témoin crédible et que sa preuve était fiable.

[42] Lors de son témoignage, le Dr L.B. possédait une expertise marquée dans les troubles délirants de type érotomaniaque. En tant que témoin de l’autorité disciplinaire, le Dr L.B. a su expliquer dans un langage commun les résultats de ses évaluations psychiatriques. Sa preuve était claire, directe, objective et convaincante. Je conclus donc qu’il était crédible et que la preuve présentée était fiable.

[43] Pour ce qui est du Dr S.G., celui-ci est un psychiatre indépendant. En mars 2019, il a été mandaté par la GRC pour procéder à une évaluation psychiatrique du gendarme Lecours afin de déterminer s’il était apte à travailler. Cette évaluation a eu lieu après que le gendarme Lecours ait été trouvé non criminellement responsable de ses actes par la Cour criminelle du Québec. À l’audience, le Dr S.G. a témoigné principalement sur les résultats de son évaluation qui confirment que le gendarme Lecours est en rémission de son trouble psychologique. Son témoignage était convaincant et sans contradiction avec son rapport. Je conclus donc que le Dr S.G. était un témoin crédible et que sa preuve était fiable.

Analyse des allégations

[44] Dans le processus déontologique, l’autorité disciplinaire a le fardeau de démontrer que les allégations sont établies selon la prépondérance des probabilités. Par la suite, le Comité de déontologie est responsable de déterminer si celle-ci s’est acquittée de ce fardeau.

[45] Pour ce qui est de l’établissement des énoncés détaillés des sept allégations, je suis d’accord avec la position de l’autorité disciplinaire, qu’en raison de la preuve au dossier et des admissions du membre, tous les énoncés détaillés des sept allégations ont été établis selon la prépondérance des probabilités. Ceci n’a pas été contesté par la représentante du membre visé.

[46] L’enjeu dans ce dossier concerne l’établissement des allégations. Bien que les arguments présentés par les parties seront analysés plus profondément dans l’analyse qui suit, voici brièvement la position des parties.

[47] Pour sa part, le représentant de l’autorité disciplinaire soutient que l’état psychologique du gendarme Lecours permet de fournir une explication aux actes auxquels il a admis avoir commis. Or, ce trouble psychologique ne le dégage pas de toute responsabilité ni n’interdit l’imposition de mesures disciplinaires. Il demande donc au Comité de déontologie d’établir les allégations et de traiter le trouble psychologique comme un facteur atténuant dans la phase des mesures disciplinaires.

[48] D’autre part, la représentante du membre visé soutient que les allégations ne sont pas établies malgré le fait que le gendarme Lecours a admis aux actes énumérés dans celles-ci. En effet, au moment des incidents, le gendarme Lecours souffrait d’un trouble psychologique rare qui ne lui permettait pas d’apprécier la nature et la qualité de ses actes ou encore de savoir que ses actes étaient mauvais. Puisque sa conduite était involontaire, le Comité de déontologie ne peut donc établir les allégations. La représentante du membre visé s’oppose carrément à l’argument du représentant de l’autorité disciplinaire voulant que l’état psychologique du gendarme Lecours ne soit considéré qu’au moment de l’imposition des mesures disciplinaires. Elle soutient que de procéder ainsi dans les circonstances particulières de ce dossier serait une erreur de droit.

Est-ce que le gendarme Lecours a été diagnostiqué avec un trouble psychologique?

[49] Pour bien situer le dossier et répondre à cette question, je crois qu’il est important de reprendre avec plus de détails les faits saillants qui ont mené au diagnostic du gendarme Lecours.

[50] Ainsi, le 11 octobre 2018, après avoir été arrêté, le juge de la Cour criminelle du Québec ordonne une évaluation de l’état mental du gendarme Lecours à l’Institut Philippe-Pinel de Montréal pour une période de cinq jours, dans le but de déterminer l’aptitude du gendarme Lecours à subir son procès.

[51] Dans son rapport du 16 octobre 2018, le Dr B.D., psychiatre de l’Institut Philippe-Pinel, conclut que le gendarme Lecours est apte à comparaître au procès. Or, son diagnostic indique que le gendarme Lecours démontre des signes évoquant une érotomanie.

[52] Par conséquent, le 18 octobre le juge de la Cour criminelle du Québec ordonne au gendarme Lecours de procéder à une deuxième évaluation psychiatrique du gendarme Lecours afin de déterminer cette fois-ci s’il est atteint de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle conformément au paragraphe 16(1) du Code criminel.

[53] Le 27 novembre 2018, la Dre M-A.S. confirme que le gendarme Lecours est atteint d’un trouble délirant de type érotomaniaque avec des éléments paranoïdes et des traits d’une personnalité obsessionnelle-compulsive et évitante.

[54] Par la suite, ce diagnostic est retenu sans convergence par trois autres psychiatres et le médecin de famille du gendarme Lecours. En plus du Dr A.K., qui était le psychiatre traitant du gendarme Lecours, il est important de noter que deux psychiatres indépendants se sont également souscrits à ce diagnostic. Le premier était le Dr S.G. qui a été mandaté le 13 mars 2019 par la GRC pour procéder à l’évaluation psychiatrique du gendarme Lecours afin de déterminer s’il était apte à travailler. Le second était le Dr L.B. qui a été mandaté par l’autorité disciplinaire comme témoin expert à l’audience.

[55] Je tiens également à préciser qu’aucune des parties n’a contesté le diagnostic initial émis par la Dre M-A.S.

[56] Selon les renseignements consignés au dossier, je conclus que le gendarme Lecours a été diagnostiqué en novembre 2018 par la Dre M-A.S. avec un trouble psychologique.

Est-ce que la conduite du gendarme Lecours est liée à son état psychologique?

[57] Pour répondre à cette question, j’ai examiné soigneusement le rapport de la
Dre M-A.S., de même que celui du Dr L.B. en raison de leur évaluation du gendarme Lecours et de leurs connaissances pour ce type de diagnostic. De plus, j’ai examiné les témoignages rendus par les collègues de travail du gendarme Lecours qui le côtoyaient quotidiennement durant la période en question.

[58] Selon la Dre M-A.S., le gendarme Lecours souffre d’une pathologie psychotique qui le prive de toute capacité réelle d’évaluer la nature et les conséquences de ses gestes et de distinguer le bien du mal. En somme, son comportement envers la gendarme L. est motivé par sa pathologie psychotique qui l’empêche de se comporter proprement et de respecter les lois.

[59] Elle rapporte que l’attachement du gendarme Lecours envers la gendarme L. est tel que même son entourage avait remarqué la nature envahissante de ce lien. Or pour le gendarme Lecours, il n’y avait aucun doute quant à l’intérêt que la gendarme L. lui portait. Il interprétait par exemple les discussions avec sa mère, son ami et son voisin ou encore même un message en langue étrangère enregistré sur sa boîte vocale comme des signes qu’il devait vérifier auprès de la gendarme L. ce qui se passait entre eux.

[60] Dans son témoignage à l’audience, le Dr L.B. a précisé qu’il a un grand respect pour la Dre M-A.S. et qu’elle est l’une des psychiatres les plus rigoureuses qu’il connaît. Selon lui, elle pose beaucoup de questions et elle rapporte toujours les faits de manière juste.

[61] Au début de son témoignage à l’audience, le Dr L.B. a expliqué qu’un trouble délirant érotomaniaque est une conviction qu’une situation est réelle alors qu’elle ne l’est pas. Une personne qui est atteinte de ce trouble psychologique est convaincue qu’elle est aimée, désirée, voulue par une autre personne alors que ce n’est pas le cas. Le délire a des répercussions sur le fonctionnement ou le bien-être de la personne atteinte. Dans le cas du gendarme Lecours, le délire était qu’il se croyait désiré, aimé, voulu par une collègue de travail et qu’il s’est comporté en conséquence.

[62] Le Dr L.B. explique aussi que le gendarme Lecours a été atteint d’une maladie grave qui a déstabilisé une personne, qui, jusqu’à ce jour, fonctionnait bien en société et au travail. Il ne peut expliquer comment cette maladie rare est venue parce qu’il n’y a pas de facteurs précipitants comme le stress ou la consommation. Il explique qu’elle « lui est tombée dessus comme ça ». Après plusieurs mois, l’épreuve de l’arrestation, les processus judiciaire et disciplinaire, ces idées délirantes érotomanes seraient disparues, mais personne ne peut expliquer pourquoi.

[63] Lorsqu’il est questionné par les représentants à l’audience à savoir si le membre visé était conscient de ses actes et des conséquences qui en découlent, le Dr L.B. fait plusieurs affirmations précises sur l’état de santé mental du gendarme Lecours au moment des incidents qui démontrent que non :

[…] C’est assez clair que, étant donné sa certitude qu’il était aimé d’une collègue, un délire, cette certitude-là l’amenait à poser des gestes qui étaient déterminés par la certitude. Et même s’il pouvait, à un niveau très basique, savoir que, par exemple, il ne se conformait pas à certaines règles et directives, sa capacité à apprécier l’importance que ça avait était vraisemblablement compromise.

[…] Or, quand on est aux prises avec un trouble psychotique, qu’on est convaincu de l’amour de quelqu’un, les ordonnances ou règles on ne les considère pas avec le même sérieux, avec la même sagesse, si vous voulez, qu’on le ferait si on avait toute sa tête et surtout quand on a des traits de personnalité qui valorise le respect de l’autorité et le conformisme aux règles.

[…] C’est pas tant que le gendarme Lecours ne savait pas qu’il était en train de déroger à une règle ou une directive, mais sa maladie avait une telle ampleur, prenait une telle place dans sa tête que cette connaissance-là n’était pas suffisante pour l’empêcher de relancer sa collègue de travail.

[…] Cette maladie, ce délire l’a amenée à transgresser son Code de déontologie et certaines lois du Code criminel, ce qui est complètement en rupture de ce qu’il est dans le fond là, un homme droit et intègre et respectueux des règles.

[…] Si on regarde l’appréciation qu’on peut faire des conséquences, du sérieux des conséquences d’un comportement, moi je pense qu’il ne l’était pas. D’ailleurs, ça va être dit beaucoup plus clairement pas très longtemps après que oui, oui, il a compris qu’il dérogeait à un ordre, mais c’était plus fort que lui [il contrevenait à l’ordre].

[…] Je pense avec respect que le juge de la Cour criminel avait parfaitement raison. Il n’était pas responsable.

[…] [Cité textuellement]

[64] Le Dr L.B. confirme également que le gendarme Lecours a souffert en 2018, et ce, pendant plusieurs mois, d’un trouble délirant de type érotomaniaque. Selon lui, le gendarme Lecours était « vraiment au cœur de son expérience psychotique » lors d’une évaluation spéciale de santé de la GRC qui a eu lieu le 4 juillet 2018 par le Dr N.S. Lorsque questionnée par l’autorité disciplinaire dans l’interrogatoire en chef, le Dr L.B. soulève une contradiction importante dans le rapport du Dr N.S. Dans un premier temps, le Dr N.S. affirme que le gendarme Lecours a une forte tendance de se présenter exceptionnellement exempts de défauts. En conséquence, la validité des échelles cliniques en tant que représentation fidèle de son fonctionnement est compromise. Malgré tout, il conclut que le gendarme Lecours est apte à travailler sans restriction. Selon le Dr L.B., cette conclusion du Dr N.S. nécessite des explications plus approfondies.

[65] Le Dr L.B. précise à l’audience qu’il a remarqué que les explications du gendarme Lecours devenaient nébuleuses lorsqu’il tentait d’expliquer les événements qui se sont passés durant l’année 2018, qui est la période au cours de laquelle il faisait une psychose. Le Dr L.B. ajoute que la Dre M-A.S. avait elle aussi fait le même constat lors de son évaluation du gendarme Lecours. Entre autres, elle trouvait qu’il se lançait dans de longues explications où la séquence chronologique n’était plus suivie. Enfin, le Dr L.B. explique que cet état d’être n’est pas étonnant pour une personne qui vit une expérience psychotique parce qu’il y a « toute une désorganisation de la pensée » qui l’accompagne. Il est donc par la suite très difficile pour la personne qui est ressortie de la psychose d’expliquer ce qui s’est passé durant cette période.

[66] En plus de la preuve fournie par les experts dans ce dossier, je note que six témoins qui travaillaient avec le gendarme Lecours lors des incidents sont tous d’accord pour dire qu’il ne comprenait pas les consignes et les conséquences de celles-ci. Entre autres, le gendarme S.F. a dit ce qui suit lors de sa déclaration à l’enquêteur de l’enquête disciplinaire :

[…] Je voyais qu’il comprenait pas du tout ce que voulait dire le harcèlement, « ça rentre pas dans ma tête comment ça qu’il n’a pas compris c’te message là. » […] [Cité textuellement]

[67] Pour sa part, le caporal J.D. confirme que, même en présence de deux superviseurs lors des événements du 7 août 2018, le gendarme Lecours ne semblait pas comprendre les conséquences de ses gestes lorsqu’il dit :

[…] J’ai dit [gendarme Lecours] on est rendu le 7 août, pis t’as 2 superviseurs assis à ta table dans ta cuisine. Te rends-tu compte comment c’est grave là? C’était le néant dans ses yeux. Il a jamais admis rien. Il voyait rien de mal à ça. […] [Cité textuellement]

[68] Pour sa part, le caporal C.M. explique dans sa déclaration qu’il avait lui-même de la difficulté à comprendre ce qui se passait avec le gendarme Lecours lorsqu’il dit :

[…] Le gendarme Lecours quand on lui demande quelque chose, comme quand on lui donne un ordre il le fait. C’est ça qui est difficile à comprendre dans tout ça c’est tellement une personne que quand on le regarde au point de vue travail, il est quand même professionnel. Il ne dérogeait pas des procédures ou des directives qui lui étaient données. Puis quand on le retrouve dans l’autre situation qu’on se retrouve présentement puis qu’on lui donnait des directives, qu’on lui donnait des ordres, bien il dérogeait. Je ne doutais pas de ses capacités intellectuelles ou psychologique face au travail, mais c’est évident qu’il avait quelque chose qui ne fonctionnait pas du côté personnel. J’étais déchirés eu p’tit peu parce que c’est un très bon membre, très bon travail. C’est difficile à comprendre. […] [Cité textuellement]

[69] Enfin l’inspectrice M.-J.D. déclare qu’elle avait parlé avec le groupe de la déontologie de la Gendarmerie parce qu’elle avait un sentiment que le gendarme Lecours manquait de compréhension. Elle mettait même en doute l’utilisation d’une procédure disciplinaire pour régler le problème du gendarme Lecours lorsqu’elle dit ceci :

[… ] Il ne semble pas comprendre, je pense, certainement pas l’étendue, les conséquences de ses gestes répétitifs. J’essaie de m’expliquer la répétition de ses gestes, puis je me dis la raison la plus plausible que j’peux voir, c’est qu’il ne comprend pas bien là. On considère la déonto[logie], mais est-ce la bonne manière de procéder? Est-ce qu’il comprend? […] [Cité textuellement]

[70] À la lumière de la preuve au dossier provenant des témoins experts et des collègues du gendarme Lecours, je conclus que tous sont d’accord que la conduite du gendarme Lecours était irrationnelle en 2018. Il ne comprenait ni l’ampleur ni les conséquences de ses actes. Par conséquent, je conclus que sa conduite involontaire était liée à la pathologie psychotique diagnostiquée par la Dre M-A.S. en novembre 2018.

Est-ce que la conduite du gendarme Lecours enfreint le Code de déontologie?

Position du représentant de l’autorité disciplinaire

[71] Dans sa plaidoirie, le représentant de l’autorité disciplinaire affirme que la notion de responsabilité criminelle qui découle de l’article 16 du Code criminel ne s’applique pas en droit de l’emploi, y compris les cas disciplinaires comme celui du gendarme Lecours.

[72] Le représentant de l’autorité disciplinaire soutient d’ailleurs que la conduite reprochée au gendarme Lecours est liée à son emploi qui se revêt de la Loi sur la GRC. Celle-ci ne contient aucune disposition équivalente à l’article 16 du Code criminel selon laquelle une personne soit trouvée non criminellement responsable pour troubles mentaux lors de la détermination des allégations. En fait, dans un processus disciplinaire comme celui de la GRC, il propose que l’autorité disciplinaire n’a qu’à prouver les actes du membre visé et non son intention (mens rea) au moment des incidents.

[73] Le représentant de l’autorité disciplinaire précise entre autres que lors de la réforme de la Loi sur la GRC, en 2014, le législateur aurait pu ajouter des critères semblables à l’article 16 du Code criminel, mais il ne l’a pas fait. D’où la raison pour laquelle l’ensemble des dispositions du Code de déontologie de la GRC ne contient plus les termes sciemment et volontairement.

[74] Enfin, le représentant de l’autorité disciplinaire allègue que l’état psychologique du gendarme Lecours aux moments des incidents peut offrir une explication ou une justification à ses actions. Cependant, le trouble psychologique n’est pas une excuse légitime pour sa conduite. Ainsi, son trouble psychologique doit être considéré par le Comité de déontologie comme un facteur atténuant lors de la détermination des mesures disciplinaires imposées.

[75] À l’appui de ses arguments, le représentant de l’autorité disciplinaire cite trois décisions du tribunal d’appel de la Commission civile de l’Ontario sur la police. Dans la décision Carter, [1] la gendarme a été ordonnée de démissionner. Celle-ci avait menacé à l’aide d’un couteau de s’enlever la vie ainsi que celle de son enfant et de conduire de front dans un camion de transport sur la 401, une autoroute très achalandée en Ontario. Les rapports de deux témoins experts ont été soumis à l’audience, mais aucun témoin n’a témoigné pour établir un lien entre le trouble psychologique de la gendarme et sa conduite au moment de l’incident. Dans cette décision, la Commission a conclu que « [TRADUCTION] dans une audience disciplinaire, le moment approprié pour considérer l’état mental d’un gendarme, dans la plupart des circonstances, devrait être, comme dans l’affaire Favretto, lors de la prise de décision sur la sanction. » [2]

[76] Dans la décision Favretto, [3] le gendarme a été acquitté par le juge de la Cour criminelle pour avoir pointé son arme à feu vers ou dans la direction d’un collègue. À la suite du témoignage de trois témoins experts, le juge avait accepté la défense d’automatisme et de dissociation non insensée. L’arbitre de l’audience disciplinaire a conclu que la preuve divergente des trois témoins experts ne permettait pas de conclure que le gendarme Favretto était dans un état d’automatisme ou de dissociation au moment de l’incident. Par conséquent, il a ordonné la démission du gendarme. En appel, la Commission civile de l’Ontario sur la police affirme que : « [TRADUCTION] Même si l’agent d’audience avait accepté la théorie médicale du Dr Orchard, celle-ci n’aurait fait qu’expliquer les actes du gendarme Favretto et non l’excuser. La conduite du gendarme Favretto […] était clairement et indéniablement déshonorante. » [4]

[77] La décision Favretto confirme la décision McCoy, [5] qui a été rendue trois ans plus tôt par la Commission civile de l’Ontario sur la police. Dans cette décision, le gendarme McCoy avait été congédié pour conduite déshonorante. Il avait volé un jeu de crible et des pions dans un magasin. À l’audience, le psychiatre traitant du gendarme McCoy avait affirmé que ce dernier souffrait d’une détresse psychologique importante au moment de l’incident. En appel, la Commission civile de l’Ontario sur la police a affirmé que « bien que des preuves psychiatriques puissent expliquer certaines conduites, elles ne donnent pas lieu à une excuse légitime d’inconduite. »

Position de la représentante du membre visé

[78] Pour sa part, la représentante du membre visé affirme que la preuve médicale volumineuse et non contestée dans ce dossier démontre que le gendarme Lecours n’avait pas la capacité d’apprécier la nature et la qualité de ses actes lors des incidents en question ou encore de savoir que ses actes étaient mauvais. C’est pourquoi l’état psychologique du gendarme Lecours doit être considéré par le Comité de déontologie lors de la détermination des allégations et non seulement lors de l’imposition des mesures disciplinaires comme le suggère le représentant de l’autorité disciplinaire.

[79] La représentante du membre visé est d’accord avec la position du représentant de l’autorité disciplinaire que la notion de non-responsabilité criminelle prévue à l’article 16 du Code criminel ne s’applique pas dans ce processus disciplinaire. Cependant, elle soutient que l’article 16 est une codification de la common law et que les mêmes principes s’appliquent en matière de déontologie.

[80] De plus, la représentante du membre visé affirme que la défense de l’aliénation mentale codifiée à l’article 16 du Code criminel ne s’applique pas seulement aux infractions où l’intention (mens rea) est requise comme le maintien l’autorité disciplinaire. Elle s’appuie sur les traités de droit criminel de Hugues Parent [6] et Ken Roach [7] pour déclarer que cette irresponsabilité s’applique autant aux crimes traditionnels qu’aux infractions réglementaires de responsabilité stricte et absolue.

[81] De plus, pour appuyer cet argument, la représente du membre visé cite la décision Stuart [8] dans laquelle un enseignant a été reconnu coupable d’inconduite professionnelle par l’Ordre des enseignants. Ce dernier avait conclu que le trouble psychologique de l’enseignant n’était pas pertinent pour déterminer si la conduite reprochée constituait une inconduite professionnelle. La cour d’appel a infirmé cette décision en affirmant que les infractions de nature disciplinaire sont des infractions de responsabilité stricte et non des infractions de responsabilité absolue. Ainsi, l’Ordre des enseignants a commis une erreur en concluant que le trouble psychologique de l’enseignant n’était pas pertinent pour déterminer si ses actions constituaient une faute professionnelle.

[82] Enfin, la représentante du membre visé soutient que lorsque les troubles mentaux rendent la personne incapable d’apprécier la nature et la qualité de ses actes ou de savoir qu’ils sont mauvais, ceci crée une incapacité, de sorte que le membre ne peut être tenu responsable pour un manquement au Code de déontologie. En appui de cette position, la représentante du membre visé cite le test onéreux énoncé dans la décision Law Society of Canada v. Cox [9] , cité dans la décision Law Society of Ontario c Stewart. [10] Cette décision du Tribunal du Barreau de l’Ontario rendue en 2007 reposait sur la défense de l’aliénation mentale dans laquelle l’avocat devait prouver « [TRADUCTION] en raison de troubles mentaux, qu’il n’était pas en mesure d’apprécier la nature et la qualité de ses actes; ou qu’il ne détenait pas la capacité de savoir que ses actes étaient mauvais ».

[83] Dans Cox, le comité d’audience a admis que le stress, l’anxiété et la maladie mentale sont rarement une défense acceptable pour une allégation de faute professionnelle. Cependant, compte tenu des circonstances inhabituelles de cette affaire, la preuve de l’expert a prouvé que les capacités mentales de l’avocat étaient gravement compromises. La représentante du membre visé soutient que le dossier du gendarme Lecours satisfait le test onéreux énoncé dans Cox.

[84] La représentante du membre visé explique aussi que, depuis Cox, les décisions du Tribunal du Barreau de l’Ontario ont évolué et tiennent compte dans leur processus disciplinaire des problèmes de santé mentaux éprouvés par le membre au moment de l’inconduite. En fait, dans la décision Luzius, [11] le comité d’audience a conclu que, dans les cas où il est démontré qu'il existe un lien irréfutable entre la maladie mentale et la faute alléguée, « [TRADUCTION] on ne peut dire qu’il soit juste ou dans l’intérêt public de déclarer un membre coupable d’une faute professionnelle ».

Analyse du Comité de déontologie

[85] Dans un premier temps, je suis d’accord avec la position des parties selon laquelle la défense de l’aliénation mentale spécifiquement retrouvée à l’article 16 du Code criminel ne s’applique pas dans ce processus disciplinaire. Une contravention au Code de déontologie de la GRC ne constitue pas une infraction criminelle. Ainsi, il est recommandé que les parties évitent d’importer dans ce processus administratif des éléments du droit pénal.

[86] En ce qui concerne les infractions de responsabilité absolue et les infractions de responsabilité stricte, je suis d’accord avec la représentante du membre visé sur le fait qu’une infraction dans le cadre du présent processus disciplinaire est une infraction de responsabilité stricte et non une infraction de responsabilité absolue.

[87] L’objectif de la partie IV de la Loi sur la GRC est de réglementer la conduite des membres de la GRC dans une sphère d’activité limitée. Depuis la réforme de la Loi sur la GRC en 2014, une audience devant un comité de déontologie est initiée par l’autorité disciplinaire lorsqu’elle demande le congédiement du membre. Dans une infraction de responsabilité absolue, la simple preuve que le défendeur a commis l’acte prohibé entraîne une condamnation. Ce qui voudrait dire que dans le processus disciplinaire de la GRC, le membre visé ne pourrait pas se disculper en démontrant qu’il n’a commis aucune faute. Je doute que ceci fût l’intention du législateur lors de la réforme législative.

[88] Pour ce qui est du moment approprié pour considérer, en règle générale, un trouble psychologique, je suis du même avis que mes collègues dans les décisions Commandant de la Division « F » et le gendarme Mills, 2019 DRAD 04 [Mills] ainsi que Commandant de la Division « E » et la gendarme Brown, 2017 DRAD 01 [Brown]. L’état psychologique devrait, dans la plupart des cas, être considéré comme un facteur atténuant au moment de la phase des mesures disciplinaires. J’ajoute toutefois à ceci que de considérer l’état psychologique d’un membre visé lors de la détermination des allégations repose sur un seuil de preuve très élevé qui n’est atteint que dans les cas les plus rares.

[89] Comme l’indique la représentante du membre visé, dans les décisions Mills et Brown, le fait que le membre agissait volontairement ou « pleinement de son libre arbitre » malgré son état psychologique était le facteur déterminant dans ces affaires. Plus précisément, dans Brown, le comité de déontologie indique ce qui suit au paragraphe 47 :

Dans le cas où le comportement déplacé du membre survient tandis que ce dernier est aux prises avec de sérieux problèmes de santé mentale
(à l’exclusion des automatismes et des autres troubles qui empêchent l’intéressé d’exercer pleinement son libre arbitre), le fait que son état de santé mental explique en bonne partie son inconduite ne le dégage pas de toute responsabilité ni n’interdit l’imposition de mesures disciplinaires.

[…] J’estime néanmoins qu’elle [la membre] était suffisamment lucide pour savoir que sa conduite jetait le discrédit sur la Gendarmerie. […]

[90] De même, dans la décision Mills, le comité de déontologie indique au paragraphe 22 qu’il faut plus qu’un trouble psychologique pour excuser la conduite. Le membre ne doit pas agir de son plein gré:

[TRADUCTION]

Je n’accepte pas que le simple fait que l’existence d’une maladie mentale l’excuse de toute culpabilité pour son inconduite. Le Dr C.C. était très clair dans ses réponses à mes questions : le membre visé était à la fois conscient de ce qu’il faisait et du fait qu’il y aurait des conséquences à ses actions. À l’époque, sa préoccupation principale faisait que sa préservation était plus importante que les répercussions. Il agissait de son plein gré et il a fait le choix en pleine conscience de faire ce qu’il a fait chaque fois.

[91] Je souligne que les comités de déontologie dans les décisions Mills et Brown n’ont pas été aussi catégoriques dans leurs propos que la Commission civile de l’Ontario sur la police dans les décisions Favretto et McCoy présentées par le représentant de l’autorité disciplinaire selon lesquels l’état psychologique du membre doit seulement être considéré lors des mesures disciplinaires. Je note entre autres que dans Carter, la Commission civile de l’Ontario sur la police semble démontrer une ouverture sur cet enjeu lorsqu’elle précise que la position dans Favretto devrait s’appliquer dans « la plupart des cas ».

[92] Je dois admettre que le dossier du gendarme Lecours est exceptionnel. Ce dernier a dû être évalué à deux reprises par des psychiatres de l’Institut Philippe-Pinel de Montréal afin d’être diagnostiqué correctement d’une pathologie psychotique. Comme l’a bien expliqué le Dr L.B. à l’audience, les troubles délirants sont des maladies uniques. Ceux de type érotomaniaque sont les plus rares des troubles délirants.

[…] Le gendarme Lecours fait partie d’une minorité de patients souffrants de la manifestation la plus rare d’une maladie rare. […]

[…] Il a souffert d’une maladie qu’on appelle un trouble délirant, qui lui est tombé dessus Dieux sait pourquoi et qui est disparu, Dieux sait pourquoi et qui reviendra peut-être et peut-être que non […] Aujourd’hui, nous savons qu’il est en rémission. […]

[Cité textuellement]

[93] Je reconnais que je ne suis pas liée par la décision de la Cour criminelle du Québec dans laquelle le gendarme Lecours a été reconnu non criminellement responsable pour bris de la condition de sa promesse. Or, comme indiqué par la représentante du membre visé, c’est tout de même un fait important dans la séquence des événements de ce dossier.

[94] D’ailleurs, comme indiqué dans le résumé des faits établis de la présente décision, le mandat d’arrestation émis contre le gendarme Lecours fait partie de la continuité des incidents survenus entre la gendarme L. et le gendarme Lecours du 1er novembre 2017 et le 10 août 2018. La dénonciation présentée à la Cour criminelle en août 2018 demande que le gendarme Lecours contracte un engagement en vertu de l’article 810 du Code criminel parce qu’il existe des motifs raisonnables de craindre qu’il pourrait causer des lésions corporelles à la gendarme L. ou qu’il endommage sa propriété.

[95] Ces motifs provenaient des faits suivants : le gendarme Lecours persistait à entrer en contact avec la gendarme L. à des fins personnelles, et ce, malgré les nombreux ordres reçus de ses supérieurs de ne pas la contacter; il a fait l’objet d’une enquête déontologique; il a été assigné à des tâches administratives et muté au quartier général; il a nié avoir tenté de la contacter malgré les interdictions imposées envers lui; elle craint les prochaines tactiques que pourrait prendre le gendarme Lecours afin d’entrer en contact avec elle; et son comportement est de plus en plus affecté par le comportement persistant du gendarme Lecours.

[96] De plus, dans l’allégation 7 de l’avis d’audience, il est reproché au gendarme Lecours de s’être comporté de manière déshonorante, qui jette le discrédit sur la GRC, pour avoir brisé la condition de son engagement. Ainsi, cette contravention au Code de déontologie tel qu’elle est rédigée dans l’allégation renvoie directement au processus judiciaire indiqué précédemment.

[97] Selon l’article 7.1 du Code de déontologie, « Les membres se comportent de manière à éviter de jeter le discrédit sur la Gendarmerie ». Cette conduite est évaluée à l’aide d’un test en quatre étapes élaboré par le Comité externe d’examen de la GRC. Tout d’abord, aux étapes 1 et 2, l’autorité disciplinaire doit prouver selon la prépondérance des probabilités les actes constituant le comportement allégué ainsi que l’identité du membre ayant commis ces actes.

[98] À l’étape 3, le Comité de déontologie doit déterminer si le comportement du membre jette le discrédit sur la GRC. Pour ce faire, il doit déterminer si une personne raisonnable dans la société, informée de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités du travail policier en général et de la GRC en particulier, serait d’avis que le comportement est déshonorant.

[99] Enfin, à l’étape 4, le Comité de déontologie doit déterminer si le comportement est suffisamment lié aux devoirs et fonctions du membre pour donner à la GRC un intérêt légitime à le discipliner.

[100] Considérant les aveux dans la réponse du gendarme Lecours et la preuve au dossier, je conclus que les éléments des étapes 1 et 2 sont établis selon la prépondérance des probabilités.

[101] Quant aux étapes 3 et 4 du test, les expertises médicales au dossier et les déclarations de six collègues du gendarme Lecours ont toutes démontré sans équivoque qu’il y avait un lien irréfutable entre l’état psychologique du gendarme Lecours et son inconduite en 2018. C’était plus qu’un mauvais jugement. Ses actions étaient irrationnelles, involontaires et révélatrices d’une personne dont la pensée a été altérée par des troubles mentaux, ce qui l’empêchait d’apprécier la nature et la qualité de ses actes.

[102] Comme l’a bien exprimé le gendarme Lecours lors de son témoignage à l’audience, il n’avait pas besoin de plus d’ordres ou de directives. En fait, il avait besoin d’aide psychologique.

[103] Le dossier du gendarme Lecours est l’un de ces cas très rares qui satisfait le seuil de preuve très élevé requis par un comité de déontologie pour tenir compte de l’état psychologique du membre visé lors de la détermination des allégations et non seulement comme facteur atténuant lors de l’imposition des mesures disciplinaires.

[104] Par conséquent, je conclus qu’une personne raisonnable dans la société informée de toutes les circonstances pertinentes, y compris des réalités policières en général et de celle de la GRC en particulier, conclurait que la conduite du gendarme Lecours décrite aux allégations 6 et 7 de l’avis d’audience n’a pas jeté le discrédit sur la Gendarmerie et que celle-ci n’a donc aucun intérêt légitime à le discipliner.

[105] De plus, je conclus que le gendarme Lecours n’a pas, comme allégué aux allégations 2, 3, 4 et 5 de l’avis d’audience, omis ou refusé sans excuse légitime à respecter les ordres ou les directives de ses supérieurs.

[106] Enfin, je conclus que la conduite de harcèlement telle qu’elle est décrite à l’allégation 1 de l’avis d’audience n’est pas établie en raison de son état psychologique exceptionnel.

[107] Pour ces raisons, je conclus que les sept allégations de l’avis d’audience disciplinaire ne sont pas établies selon la prépondérance des probabilités. Par conséquent, aucune mesure disciplinaire n’est imposée.

Récidive et mesures facilitantes pour le retour au travail

[108] Puisque les allégations ne sont pas établies, je reconnais que je ne peux imposer de recommandations contraignantes contre le gendarme Lecours. Cependant, telle qu’elle est décrite dans la déclaration de la victime rédigée par la gendarme L., la conduite du gendarme Lecours a eu des répercussions majeures sur elle. Entre autres, elle était nerveuse de travailler avec lui, elle fermait en plein jour les rideaux de son appartement, elle a installé un système d’alarme, elle a déménagé et elle surveille toujours si elle est suivie. Elle craint qu’un jour le gendarme Lecours recommence parce qu’il n’a jamais suivi les ordres de ses supérieurs. Elle n’a plus confiance en lui ni en son jugement.

[109] Dans ce dossier, je tiens également à souligner la vigilance des superviseurs du gendarme Lecours. Ceux-ci ont fait des efforts considérables pour minimiser les contacts entre le gendarme Lecours et la gendarme L. et éviter la continuation du comportement du gendarme Lecours. En plus des ordres, il a été changé d’équipe, il a été assigné à des tâches administratives et il s’est même vu retirer son arme de service. Enfin, deux demandes d’évaluation spéciale de santé ont été soumises par son superviseur pour tenter d’expliquer le comportement irrationnel du gendarme Lecours.

[110] Je suis d’avis qu’il est important dans cette décision que je partage les conclusions et les recommandations faites par les deux témoins experts indépendants lors de l’audience quant à la probabilité de récidive du gendarme Lecours.

[111] Selon le Dr S.G., qui a été mandaté par le GRC en mars 2019, le gendarme Lecours est actuellement en rémission de son trouble psychologique. Selon cet expert, le gendarme Lecours ne présente aucune limitation fonctionnelle, ni restriction temporaire ou permanente pour accomplir un travail administratif ou celui d’un policier de façon professionnelle et sécuritaire. Il n’identifie aucun facteur ni signe de danger envers lui-même ou envers autrui.

[112] Les deux experts sont d’accord : il y a une chance sur deux que le trouble psychologique du gendarme Lecours revienne. Or, comme l’a précisé le Dr L.B., si un épisode de délire recommence, il est fort probable qu’il ne prendra pas la même ampleur que la première fois parce que le gendarme Lecours est maintenant au courant de son diagnostic et des conséquences liées à celui-ci. Sa famille, ses amis et des gens de confiance qui l’entourent pourront l’aider à minimiser les répercussions et éviter, par exemple, qu’il se retrouve dans un processus judiciaire ou même disciplinaire.

[113] Pour sa part, le Dr S.G. a précisé que le risque de rechute est assez faible considérant que le gendarme Lecours n’a pas de facteurs de risques accrus. Il étudie actuellement à l’université, il est en santé et semble heureux. De plus, il ne consomme pas de drogue, très peu d’alcool; il ne présente pas de problématique en matière de jeux pathologiques ni de déviance sexuelle.

[114] Comme mesures facilitantes pour le retour au travail du membre visé qui pourraient être considérées par l’autorité disciplinaire, les deux experts sont d’avis que, par mesure de prudence, le gendarme Lecours bénéficierait grandement d’un suivi avec un professionnel de la santé spécialisé avec les troubles délirants de type érotomaniaque avant et pendant son retour au travail sur un intervalle régulier. Selon eux, il est essentiel que le professionnel connaisse la totalité du dossier du gendarme Lecours afin que les parties puissent développer une relation de confiance qui permet de reconnaître les signes avant-coureurs de la maladie, si elle se manifeste.

[115] Enfin, les experts ont exprimé qu’il est souhaitable que le gendarme Lecours ne travaille plus avec la gendarme L. Or, comme précisé par le Dr S.G., ceci n’est pas par peur qu’il rechute, mais bien pour éviter tout malaise entre les deux parties.

CONCLUSION

[116] Le Comité de déontologie a conclu que les sept allégations déposées contre le gendarme Lecours n’étaient pas établies selon la prépondérance des probabilités. Par conséquent, aucune mesure disciplinaire n’a été imposée.

[117] Les parties peuvent faire appel de cette décision devant la commissaire en déposant une déclaration d’appel dans les 14 jours suivant la signification de la présente décision écrite au membre visé (article 45.11 de la Loi sur la GRC et l’article 22 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289).

 

 

Le 18 novembre 2020

Josée Thibault

Comité de déontologie

 

Date

 



[1] Carter v Ontario Provincial Police, 2018 ONCPC10 (CanLII) [Carter].

[2] Carter, supra note 1, au paragraphe 55.

[3] Provincial Constable A.L. Favretto v Ontario Provincial Police, 2002 CanLII 6720 (ONCPC) [Favretto].

[4] Carter, supra note 1, au paragraphe 53.

[5] Provincial Constable Robert Charles McCoy v Ontario Provincial Police, 1989 CanLII 6720 (ONCPC) [McCoy].

[6] Parent, H., La Culpabilité, traité de droit criminel, Tome 2, 3e Édition, Les Éditions Thémis.

[7] Roach, K., The Essentials of Criminal Law.

[8] Stuart v British Columbia College of Teachers, 2005 BCSC 645 (CanLII) [Stuart].

[9] Law Society of Ontario v. Cox, 2007 ONLSHP 40, au paragraphe 70

[10] Law Society of Ontario v Stewart, 2019 ONLSTH 118 [Stewart], à la page 5.

[11] Law Society of Upper Canada v Luzius, 2013 ONLSHP 193 [Luzius].

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