Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

Le gendarme Chitrena a été accusé de deux infractions au code de déontologie de la GRC. La question à trancher portait sur le comportement du membre visé qui a saisi et imprimé, sans aucun motif opérationnel, la photo d’une femme partiellement nue qui était détenue dans une cellule de la GRC.

Les éléments de preuve présentés au comité de déontologie étaient exhaustifs et complets. Cependant, le gendarme Chitrena a demandé la possibilité de vérifier les éléments de preuve de trois témoins de l’autorité disciplinaire dans le cadre d’un contre interrogatoire et de fournir lui même un témoignage oral, et la requête lui a été accordée. L’audience disciplinaire a eu lieu les 27 et 28 octobre 2020 ainsi que le 2 novembre 2020, par vidéoconférence.

Les deux allégations contre le gendarme Chitrena ont été jugées établies. Le 2 novembre 2020, le comité de déontologie lui a ordonné de démissionner dans un délai de 14 jours.

Contenu de la décision

Protégé A

2020 DAD 29

Logo of the Royal Canadian Mounted Police

GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

DANS L’AFFAIRE D’UNE

AUDIENCE DISCIPLINAIRE AU TITRE DE LA

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R-10

ENTRE :

Commissaire adjoint Mark Fisher

Autorité discipline désignée

et

Gendarme Wade Chitrena

Numéro de matricule 57488

Membre visé

Décision du Comité de déontologie

Gerald Annetts

Le 8 décembre 2020

Sergent James Rowland et Mme Shahana Khan, représentants de l’autorité disciplinaire

M. Brad Mitchell, représentant du membre visé


TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ 1

INTRODUCTION 1

ALLÉGATIONS 1

Décision sur les allégations 5

MESURES DISCIPLINAIRES 11

CONCLUSION 22

 

RÉSUMÉ

Le gendarme Chitrena a été accusé de deux infractions au code de déontologie de la GRC. La question à trancher portait sur le comportement du membre visé qui a saisi et imprimé, sans aucun motif opérationnel, la photo d’une femme partiellement nue qui était détenue dans une cellule de la GRC.

Les éléments de preuve présentés au comité de déontologie étaient exhaustifs et complets. Cependant, le gendarme Chitrena a demandé la possibilité de vérifier les éléments de preuve de trois témoins de l’autorité disciplinaire dans le cadre d’un contre‑interrogatoire et de fournir lui‑même un témoignage oral, et la requête lui a été accordée. L’audience disciplinaire a eu lieu les 27 et 28 octobre 2020 ainsi que le 2 novembre 2020, par vidéoconférence.

Les deux allégations contre le gendarme Chitrena ont été jugées établies. Le 2 novembre 2020, le comité de déontologie lui a ordonné de démissionner dans un délai de 14 jours.

INTRODUCTION

[1] Le 25 septembre 2019, l’autorité disciplinaire a convoqué l’audience disciplinaire relative à cette affaire. Le gendarme Chitrena faisait face à deux allégations d’inconduite relativement à un incident survenu le 11 octobre 2018, pendant ses heures de travail. Le 30 septembre 2019, j’ai été désigné « comité de déontologie ».

ALLÉGATIONS

[2] Le 2 avril 2020, un Avis d’audience disciplinaire contenant deux allégations d’inconduite a été signifié au gendarme Chitrena. Les allégations sont les suivantes :

Allégation 1

Le 11 octobre 2018 ou vers cette date, à Dillon ou près de cet endroit, dans la province de la Saskatchewan, le gendarme Wade Chitrena s’est comporté de manière susceptible de jeter un discrédit sur la Gendarmerie, ce qui va à l’encontre de l’article 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Précisions

1. À toutes les dates pertinentes, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division F, au détachement de Buffalo Narrows, dans la province de la Saskatchewan.

2. Le 21 août 2018, Mme [K.B.] a été arrêtée relativement au dossier du SIRP numéro 2018‑[numéro caviardé] et a été placée dans une cellule de désintoxication au détachement de Buffalo Narrows. Vous n’avez pas participé à cette arrestation ni au placement de Mme [K.B.] dans la cellule de désintoxication.

3. Le 10 octobre 2018, en tant que caporal intérimaire, vous avez examiné le dossier du SIRP numéro 2018‑[numéro caviardé], lequel incluait le rapport d’incident complémentaire de la [gendarme (gend.)] Kristin Larton. À [17 h 25] vous avez modifié l’information sous « Remarques », qui est passée de « nul » à « tâche terminée WJC ».

4. Le rapport d’incident complémentaire de la gend. Larton comprenait, en partie, le compte rendu ci-dessous des gestes posés par Mme [K.B.] lorsqu’elle se trouvait dans la cellule de désintoxication :

[Traduction]

« [Mme K.B.] est allée dans le fond de la cellule et a commencé à crier après les membres. Elle s’est mise à retirer ses vêtements. Elle a enlevé son chandail et l’a lancé sur le sol, elle a enlevé son soutien‑gorge et l’a lancé sur le sol. [Mme K.B.] se trouvait face aux membres et elle n’a aucunement essayé de se couvrir. Elle se tenait debout, à moitié nue (elle portait un pantalon et un sous-vêtement) devant les trois membres. […] Puis, [Mme K.B.] a retiré son pantalon. Debout, vêtue de son sous-vêtement, sans chandail et sans soutien‑gorge, elle continuait de crier après les membres. »

5. L’ordinateur situé dans le bureau du caporal du détachement à Dillon que vous avez utilisé, un Lenovo ThinkPad (bien de la GRC n945110) (« Lenovo ThinkPad »), fonctionne au moyen du système ROSS de la GRC. Lorsqu’un utilisateur ouvre une session dans le système ROSS, un fichier est créé indiquant le numéro de l’utilisateur dans le [Système de gestion de l’information des ressources humaines (SGIRH)] dans le répertoire des utilisateurs. Le nom de votre compte d’utilisateur est votre numéro dans le SGIRH : 000179917.

6. Le Lenovo ThinkPad comprend le programme informatique Mitsubishi DX‑PC60U, qui peut être utilisé pour voir la séquence filmée provenant de la cellule de désintoxication du détachement de Buffalo Narrows. Le répertoire de sauvegarde par défaut de toute capture d’écran effectuée au moyen du programme Mitsubishi DX-PC60U est le suivant : C:\Users\{username}\Documents\cap_img.

7. Le 11 octobre 2018, seul votre compte d’utilisateur 000179917 comprenait une activité dans le système ROSS, accessible au moyen du Lenovo ThinkPad.

8. Le 11 octobre 2018, à [13 h 57], vous avez créé une photo intitulée « P_RecorderA_20180822012748_082.bmp », qui avait été sauvegardée dans le répertoire C:\Users\000179917\Documents\cap_img. La photo est une capture d’écran de la séquence vidéo provenant de la cellule de désintoxication du détachement de Buffalo Narrows (date et heure de l’enregistreur vidéo numérique indiquant 2018/08/22 01:27:48 AM) qui montre Mme [K.B.] dans la cellule de désintoxication, torse nu, ne portant qu’un sous-vêtement. La gend. Larton apparaît également de dos dans la capture d’écran.

9. Aucun motif opérationnel ne justifiait la création de la capture d’écran de Mme [K.B.].

10. Le 11 octobre 2018, à [13 h 58], vous avez imprimé cette capture d’écran de Mme [K.B.] au moyen de l’imprimante Xerox A2M734121 du détachement à Dillon, où elle été trouvée. Elle y avait été abandonnée, bien en vue.

11. Aucun motif opérationnel ne justifiait l’impression de la capture d’écran de Mme [K.B.].

12. La capture d’écran est une image intime et de nature sexuelle de Mme [K.B.].

13. En raison de ce qui précède, le 6 novembre 2018, vous avez été accusé d’un chef d’abus de confiance, en contravention de l’article 122 du Code criminel.

14. Vos actes constituent une conduite déshonorante.

Allégation 2

Le 11 octobre 2018 ou vers cette date, à Dillon ou près de cet endroit, dans la province de la Saskatchewan, le gendarme Wade Chitrena s’est servi des technologies de l’information de la GRC pour des fins inappropriées en contravention de l’article 4.6 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Précisions

1. À toutes les dates pertinentes, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division F, au détachement de Buffalo Narrows, dans la province de la Saskatchewan.

2. Le 21 août 2018, Mme [K.B.] a été arrêtée relativement au dossier du SIRP numéro 2018‑[numéro caviardé] et a été placée dans une cellule de désintoxication au détachement de Buffalo Narrows. Nous n’avez pas participé à cette arrestation ni au placement de Mme [K.B.] dans la cellule de désintoxication.

3. Le 10 octobre 2018, en tant que caporal intérimaire, vous avez examiné le dossier du SIRP numéro 2018‑[numéro caviardé], lequel incluait le rapport d’incident complémentaire de la [gendarme (gend.)] Kristin Larton. À [17 h 25] vous avez modifié l’information sous « Remarques », qui est passée de « nul » à « tâche terminée WJC ».

4. Le rapport d’incident complémentaire de la gend. Larton comprenait, en partie, le compte rendu ci-dessous des gestes posés par Mme [K.B.] lorsqu’elle se trouvait dans la cellule de désintoxication :

[Traduction]

« [Mme K.B.] est allée dans le fond de la cellule et a commencé à crier après les membres. Elle s’est mise à retirer ses vêtements. Elle a enlevé son chandail et l’a lancé sur le sol, elle a enlevé son soutien‑gorge et l’a lancé sur le sol. [Mme K.B.] se trouvait face aux membres, et elle n’a aucunement essayé de se couvrir. Elle se tenait debout, à moitié nue (elle portait un pantalon et un sous-vêtement) devant les trois membres. […] Puis, [Mme K.B.] a retiré son pantalon. Debout, vêtue de son sous-vêtement, sans chandail et sans soutien‑gorge, elle continuait de crier après les membres. »

5. L’ordinateur situé dans le bureau du caporal du détachement à Dillon que vous avez utilisé, un Lenovo ThinkPad (bien de la GRC n945110) (« Lenovo ThinkPad »), fonctionne au moyen du système ROSS de la GRC. Lorsqu’un utilisateur ouvre une session dans le système ROSS, un fichier est créé indiquant le numéro de l’utilisateur dans le [Système de gestion de l’information des ressources humaines (SGIRH)] dans le répertoire des utilisateurs. Le nom de votre compte d’utilisateur est votre numéro dans le SGIRH : 000179917.

6. Le Lenovo ThinkPad comprend le programme informatique Mitsubishi DX‑PC60U, qui peut être utilisé pour voir la séquence filmée provenant de la cellule de désintoxication du détachement de Buffalo Narrows. Le répertoire de sauvegarde par défaut de toute capture d’écran effectuée au moyen du programme Mitsubishi DX-PC60U est le suivant : C:\Users\{username}\Documents\cap_img.

7. Le 11 octobre 2018, seul votre compte d’utilisateur 000179917 comprenait une activité dans le système ROSS, accessible au moyen du Lenovo ThinkPad.

8. Le 11 octobre 2018, à [13 h 57], vous avez créé une photo intitulée « P_RecorderA_20180822012748_082.bmp », qui avait été sauvegardée dans le répertoire C:\Users\000179917\Documents\cap_img. La photo est une capture d’écran de la séquence vidéo provenant de la cellule de désintoxication du détachement de Buffalo Narrows (date et heure de l’enregistreur vidéo numérique indiquant 2018/08/22 01:27:48 AM) montrant Mme [K.B.] dans la cellule de désintoxication, torse nu, ne portant qu’un sous-vêtement. La gend. Larton apparaît également de dos dans la capture d’écran.

9. Aucun motif opérationnel ne justifiait la création de la capture d’écran de Mme [K.B.].

10. Le 11 octobre 2018, à [13 h 58], vous avez imprimé cette capture d’écran de Mme [K.B.] au moyen de l’imprimante Xerox A2M734121 du détachement à Dillon, où elle été trouvée. Elle y avait été abandonnée, bien en vue.

11. Aucun motif opérationnel ne justifiait l’impression de la capture d’écran de Mme [K.B.].

12. La capture d’écran est une image intime et de nature sexuelle de Mme [K.B.].

13. Par conséquent, vous avez utilisé de façon inappropriée des biens et du matériel de la GRC pour imprimer une image intime et de nature sexuelle de Mme [K.B.].

[traduit tel que reproduit dans la version anglaise]

[3] Conformément au paragraphe 15(3) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291 [CC (déontologie)], le gendarme Chitrena a fourni sa réponse à l’Avis d’audience disciplinaire. Il a reconnu avoir regardé la vidéo de Mme K.B. dans la cellule de désintoxication pour s’assurer que les membres avaient utilisé la force appropriée dans leurs interactions auprès de la femme, mais il a nié avoir saisi ou imprimé des photographies prises de la séquence vidéo.

Décision sur les allégations

[4] En plus d’examiner les documents d’enquête, le comité de déontologie a entendu les trois témoins de l’autorité disciplinaire lors de l’audience proprement dite : la gendarme Kristin Larton, la caporale Ashley St. Germaine et le sergent Paul Fisher. Le gendarme Chitrena a également témoigné pour sa propre défense.

[5] Au final, la plupart des faits ne sont pas contestés. Les gendarmes Larton et Rochlow ont appréhendé Mme K.B. tard le soir du 21 août 2018 et elle a été transportée au Détachement de Buffalo Narrows et placée dans une cellule. Elle était en état d’ébriété avancé et, par conséquent, elle faisait preuve d’hostilité, de résistance, d’obstruction et, sans doute, d’agressivité, envers les membres qui traitaient avec elle.

[6] Puisqu’on croyait que la femme pouvait présenter un risque de suicide, les membres, après l’avoir placée en cellule, lui ont demandé de retirer ses vêtements et de ne garder qu’une seule couche de vêtements. À un moment donné, elle s’est mise en colère et a affirmé, tandis qu’elle lançait son pantalon en direction de la gendarme Larton, que les membres voulaient simplement la voir nue. Plus tard, lorsqu’elle a semblé tenter de s’étrangler avec un morceau de vêtement, les membres ont décidé qu’elle devait retirer ses vêtements et porter une jaquette antisuicide. À ce moment-là, elle a refusé de retirer sa culotte. Trois membres l’ont donc couchée au sol pour la lui enlever, avant de lui donner la jaquette antisuicide.

[7] La gendarme Larton a fait un compte rendu complet de tout cela dans son rapport complémentaire et les événements ont été enregistrés par la caméra vidéo du bloc cellulaire. Environ six semaines plus tard, le 10 octobre 2018, le dossier papier de la gendarme Larton a été déposé sur le bureau du gendarme Chitrena, qui occupait, par intérim, les fonctions de caporal superviseur. Il a examiné le dossier ainsi que le dossier connexe dans le SIRP comprenant le rapport complémentaire et la vidéo du bloc cellulaire. Le jour suivant, le 11 octobre 2018, le gendarme Chitrena a ouvert une session dans l’ordinateur portable ROSS de la GRC au détachement, et il a de nouveau regardé la vidéo du bloc cellulaire. L’examen judiciaire de cet ordinateur effectué dans le cadre de l’enquête relative au code de déontologie a permis d’établir qu’à 13 h 57 min 9 s ce jour‑là, une capture d’écran de la vidéo a été prise, laquelle montre Mme K.B. dans sa cellule, vêtue uniquement de sa culotte. Une copie de cette image a ensuite été envoyée à l’imprimante/télécopieur général du détachement. Le lendemain, la gendarme Larton a trouvé sur l’imprimante l’image imprimée. Le gendarme Chitrena a admis avoir regardé la vidéo provenant du bloc cellulaire, mais il a nié avoir fait une capture d’écran de la vidéo ou imprimé la photo.

[8] Lors du contre-interrogatoire du témoin par le conseiller juridique et au cours de l’argumentation des deux parties, beaucoup d’attention a été portée sur la nécessité, sur le plan opérationnel, que le gendarme Chitrena regarde la séquence vidéo provenant du bloc cellulaire montrant ce qui s’est passé le 21 août 2018 avec Mme K.B. L’autorité disciplinaire soutient que ce n’était pas nécessaire et le fait que le gendarme Chitrena ait inutilement regardé la vidéo soutient l’allégation qu’il a effectué la capture d’écran et qu’il l’a ensuite imprimée. Le gendarme Chitrena soutient qu’il ne faisait que son travail afin de s’assurer que les membres impliqués avaient agi de façon appropriée lors de leurs interventions auprès de Mme K.B. Dans les circonstances de la présente affaire, je comprends comment un superviseur raisonnable pourrait juger qu’il est nécessaire de regarder la vidéo étant donné la possibilité qu’une plainte publique soit déposée et pour s’assurer qu’une force raisonnable avait été utilisée. Je ne peux donc pas dire que cela n’avait aucun rapport avec ses tâches.

[9] La présente affaire ne porte cependant pas sur cette question. Le fait qu’il ait regardé la vidéo ne constitue pas la contravention alléguée au code de déontologie. La question dans les deux allégations consiste à savoir s’il a saisi et imprimé, sans motif opérationnel, une capture d’écran d’une image « intime et de nature sexuelle » provenant de la vidéo du bloc cellulaire montrant Mme K.B. presque nue. La preuve qu’il l’a fait est convaincante.

[10] Une capture d’écran a été effectuée à partir de la séquence filmée par l’équipement vidéo en circuit fermé de l’entrée pour employés du Détachement de la GRC de Dillon à 13 h 51, le 11 octobre 2018. Le gendarme Chitrena reconnaît que c’est lui que l’on voit sur la capture d’écran et qu’à ce moment‑là, il retournait au détachement. Il reconnaît également que la seule personne en service cette journée-là était le gendarme Rochlow, et qu’au moment pertinent, ce dernier se trouvait à Buffalo Narrows pour accompagner un détenu. Il indique qu’il n’a vu aucune autre personne au détachement pendant le reste de la journée. Cela signifie nécessairement que lorsque la capture d’écran de Mme K.B. a été prise de la vidéo à 13 h 57 et imprimée à 13 h 58, comme l’a précisé le sergent Fisher, le gendarme Chitrena était seul au détachement. Il n’a pas quitté le détachement avant 14 h 11, pour donner suite à un appel de service à l’école de l’autre côté de la rue. L’appel a été fait directement au gendarme Chitrena au détachement, et non par l’entremise des télécommunications. Aucun dossier ne peut donc confirmer l’heure à laquelle l’appel a été effectué, mais c’était évidemment avant 14 h 11, lorsqu’il a informé les télécommunications qu’il se rendait à l’école.

[11] Le sergent Fisher a témoigné que la capture d’écran avait été sauvegardée et imprimée à partir de l’ordinateur portable dans lequel seul le gendarme Chitrena avait ouvert une session à ce moment-là. Personne d’autre n’avait ouvert une session dans cet ordinateur cette journée-là. Cette information, combinée aux autres éléments de preuve, fait en sorte qu’une seule conclusion raisonnable peut être tirée : le gendarme Chitrena a effectué une capture d’écran et l’a envoyée à l’imprimante, où la gendarme Larton a trouvé l’impression le lendemain.

[12] Le témoignage du sergent Fisher et de la caporale St. Germaine est également convaincant, car il n’est pas possible d’effectuer une capture d’écran et de l’envoyer à l’imprimante par inadvertance. Les deux images, celle enregistrée et celle imprimée, sont exactement les mêmes. Cela signifie que la vidéo a été arrêtée et qu’une capture d’écran a été effectuée au moment même où Mme K.B. était entièrement exposée à la caméra. Puis, les deux étapes suivantes ont été effectuées : la capture d’écran et la commande d’impression. En tout, quatre interventions effectuées par l’utilisateur étaient requises pour saisir et imprimer l’image intime. Par conséquent, cela ne peut qu’avoir été effectué intentionnellement par le gendarme Chitrena.

[13] Ainsi, je conclus que le premier élément du critère en quatre volets relatif à la conduite déshonorante a été établi puisque l’autorité disciplinaire a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, les précisions de l’allégation 1, plus précisément, que le gendarme Chitrena a effectué la capture d’écran et imprimé l’image intime de Mme K.B. sans motif opérationnel.

[14] Ayant tiré cette conclusion, je dois maintenant décider si une personne raisonnable dans la société, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités policières en général et celles de la GRC en particulier, considérerait la conduite du gendarme Chitrena comme susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie. Je conclus que c’est le cas en l’espèce, pour les raisons ci-dessous.

[15] Mme K.B. avait été arrêtée et placée sous la garde de la GRC. Peu importe son comportement cette nuit-là, dès l’instant où elle a été placée en détention, la Gendarmerie devait assurer sa sécurité et veiller à ce que ses droits soient respectés. La responsabilité de la GRC est énoncée de façon minime et confirmée brièvement aux sections 19.3.1.3 et 19.3.1.4. du Manuel des opérations, en ce qui a trait à la manière dont il faut s’occuper des personnes placées en détention :

1.3. Toute personne sous la garde de la GRC doit être traitée convenablement et doit se voir accorder tous les droits prévus par la loi.

1.4. La GRC est responsable du bien-être et de la protection des personnes sous sa garde.

[16] La gendarme Larton et les autres membres qui travaillaient cette nuit-là ont pris cette responsabilité au sérieux en s’assurant qu’elle ne puisse pas se faire du mal. Dans les circonstances, ils ont malheureusement été obligés de lui retirer ses vêtements et de lui faire porter une jaquette antisuicide. Comme on peut le constater dans la séquence vidéo montrant les interactions survenues dans le bloc cellulaire, les membres ont fait de leur mieux, étant donné les circonstances, pour lui donner de l’intimité lorsqu’elle était peu vêtue.

[17] Cependant, après avoir regardé la séquence vidéo à des fins de supervision parfaitement légitimes, le gendarme Chitrena a ensuite pris plusieurs mesures actives pour faire une capture d’écran et imprimer l’image de Mme K.B. qui était presque nue, et ce, à des fins personnelles. Il a agi à des fins personnelles parce qu’il a lui‑même admis qu’aucune raison opérationnelle ne justifiait ces mesures. Il s’agit d’une violation flagrante du droit de Mme K.B. à la vie privée et une atteinte à son intégrité sexuelle. Je tire cette conclusion en gardant à l’esprit la conclusion de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Jarvis [2019] 1 CSC (CanLII). Dans l’arrêt Jarvis, la Cour a estimé que la question de savoir si l’acte d’observer était de nature sexuelle et portait atteinte à l’intégrité sexuelle de la personne devait être tranchée selon une norme objective à la lumière de toutes les circonstances. Puisque Mme K.B. était peu vêtue sur la capture d’écran et que l’image a été imprimée et en raison de l’absence d’une raison opérationnelle justifiant la capture d’écran ou l’impression de l’image, la seule conclusion raisonnable à tirer est que l’acte d’observer était de nature sexuelle et portait atteinte à l’intégrité sexuelle de Mme K.B. Il s’agit donc d’une conduite susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie.

[18] Enfin, je dois déterminer si la conduite est suffisamment liée à ses devoirs et fonctions de policier pour que la Gendarmerie ait une raison légitime d’imposer des mesures disciplinaires. D’après les éléments de preuve dont je dispose, je conclus que le gendarme Chitrena a commis cette infraction alors qu’il était en service et chargé de protéger les intérêts des personnes en situation de vulnérabilité comme Mme K.B. Par conséquent, je conclus sans hésitation que l’allégation 1 est fondée.

[19] L’allégation 2 indique que le gendarme Chitrena « s’est servi des technologies de l’information pour des fins inappropriées » en contravention de l’article 4.6 du code de déontologie. Le libellé de l’article 4.6 du code de déontologie est le suivant :

Les membres utilisent les biens et le matériel fournis par l’État seulement pour les fins et les activités autorisées.

[20] Les précisions associées à l’allégation 2 sont essentiellement les mêmes que celles contenues dans l’allégation 1. Donc, pour les mêmes raisons, je conclus que l’autorité disciplinaire a prouvé que le gendarme Chitrena s’est servi de l’ordinateur portable pour accéder au système ROSS de la GRC afin d’effectuer une capture d’écran et d’imprimer la photo intime de Mme K.B. Puisque j’ai conclu qu’il n’y avait aucune raison opérationnelle justifiant ces actes, l’utilisation de l’ordinateur et de l’imprimante équivalent nécessairement à une utilisation à des fins non autorisées. Par conséquent, je conclus que l’allégation 2 est également établie.

[21] Les parties conviennent que le principe de l’arrêt Kienapple (Kienapple c. R., 1974 (CanLII) 14 (CSC)) s’applique dans les circonstances de la présente affaire. Par conséquent, je suspends conditionnellement l’allégation 2 en attendant les résultats de tout appel potentiel relativement à l’une ou l’autre des allégations, ou aux deux.

MESURES DISCIPLINAIRES

[22] Les allégations étant établies, le paragraphe 45(4) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC, 1985, c R-10 [Loi sur la GRC] et le Guide des mesures disciplinaires exigent que j’impose « une mesure juste et équitable selon la gravité de l’infraction, le degré de culpabilité du membre et la présence ou l’absence de circonstances atténuantes ou aggravantes ». En vertu de l’alinéa 36.2e) de la Loi sur la GRC, les mesures disciplinaires doivent être « adaptées à la nature et aux circonstances de l’infraction et, autant que possible, éducatives et réparatrices plutôt que punitives ».

[23] L’autorité disciplinaire demande le congédiement du gendarme Chitrena, alors que ce dernier soutient que toute mesure autre que le congédiement est appropriée. Aucune partie n’a présenté de témoignage à l’étape des mesures disciplinaires. Le gendarme Chitrena ne s’est pas présenté à la barre des témoins à cette étape de l’audience, mais il s’est adressé au comité de déontologie lorsque le conseil juridique a présenté ses observations. Il a également déposé un rapport médical préparé par son psychologue traitant.

[24] Pour rendre ma décision sur la peine adéquate à imposer, je dois d’abord examiner l’éventail des mesures approprié et tenir compte des facteurs aggravants et des facteurs atténuants. Je n’ai pas à fonder ma décision sur les décisions prises par d’autres comités de déontologie, mais les décisions sur les cas antérieurs de nature semblable sont utiles pour établir les peines possibles. Le principe de la parité des peines vise à garantir l’équité afin que des formes semblables d’inconduite soient traitées de la même façon. Cela favorise la prévisibilité quant aux questions en matière de déontologie. De plus, le Guide des mesures disciplinaires fournit des lignes directrices quant aux points à prendre en considération au moment d’imposer des mesures disciplinaires. Ce guide n’est toutefois pas contraignant ou déterminant puisqu’il ne s’agit effectivement que d’un guide.

[25] J’ai étudié les cas présentés par les deux parties, et lorsqu’il est question de cas d’inconduite concernant un abus de confiance et une inconduite sexuelle pendant les heures de travail, l’éventail des peines est assez limité, allant d’une importante confiscation de la solde au congédiement. Bien que cette infraction en particulier ne soit pas traitée dans le Guide des mesures disciplinaires, on constate que des infractions liées à l’inconduite sexuelle et à l’abus de confiance sont traitées de façon très sérieuse : la présente affaire en démontre clairement la raison. La nuit du 21 août 2018, Mme K.B. vivait un moment difficile. Elle était détenue par la police et se trouvait en état d’ébriété avancé. Par conséquent, elle n’affichait pas un comportement exemplaire. Pour des raisons de supervision et de documentation, ses agissements cette nuit-là ont été enregistrés par la vidéo du bloc cellulaire, ce dont elle aurait été au courant. De nos jours, c’est ce à quoi on doit s’attendre lorsqu’une personne est placée en détention.

[26] Cependant, lorsqu’il existe un enregistrement vidéo de détenus, l’obligation de protéger leur droit à la vie privée ne cesse pas lorsque les détenus sont remis en liberté. Mme K.B. ne pouvait s’attendre à ce que six semaines plus tard, une personne prenne une capture d’écran d’une image intime et l’imprime pour sa propre satisfaction personnelle. Cela constituait une violation de son intégrité sexuelle et de son droit à la vie privée, ainsi qu’un sérieux manquement à l’obligation de diligence que le gendarme Chitrena, un policier, devait avoir envers Mme K.B. Qu’il soit déclaré coupable ou non au tribunal criminel pour l’infraction d’abus de confiance dont il a été accusé, ses agissements entrent généralement dans cette catégorie d’inconduite.

[27] Habituellement, lorsque ce type de cas ne mène pas à un congédiement, c’est que les facteurs atténuants l’emportent sur les facteurs aggravants dans les circonstances d’un cas en particulier. Dans l’affaire en cours, je suis d’avis que l’éventail des mesures disciplinaires appropriées va d’une importante saisie de la solde et d’autres mesures secondaires au congédiement.

[28] J’ai établi l’éventail des mesures disciplinaires appropriées et je dois maintenant évaluer les facteurs aggravants et atténuants présents dans les circonstances de l’espèce. L’autorité disciplinaire a présenté les facteurs aggravants suivants :

  • Le gendarme Chitrena a déjà fait l’objet d’une mesure disciplinaire. En 2014, il a été réprimandé pour comportement scandaleux au titre de l’ancien régime disciplinaire. Lorsqu’il était en service et sans le consentement de la surveillante, il s’est placé derrière elle et a tiré sur son chandail afin de voir le tatouage qu’elle avait dans le haut du dos. Bien que cette mesure disciplinaire date d’un bon nombre d’années, elle est pertinente puisqu’elle porte sur une violation de l’intégrité physique d’une autre femme. L’avertissement que le gendarme Chitrena a reçu aurait dû lui servir de mise en garde contre le type d’inconduite dont il est question dans le cas présent.
  • Le gendarme Chitrena est un policier d’expérience et au moment des faits, il occupait un poste de superviseur intérimaire. Il savait ce qu’il faisait.
  • Les agissements du gendarme Chitrena ont mené au dépôt d’accusations criminelles et l’affaire a été rendue publique. Bien qu’il soutienne que les membres du public l’ont appuyé dans cette affaire, il ne fait aucun doute qu’étant donné que l’incident est connu du public, la réputation de la Gendarmerie sera, dans une certaine mesure, ternie, de même que la réputation des autres membres qui portent l’uniforme.

[29] L’autorité disciplinaire a soutenu que le gendarme Chitrena a menti lors de son témoignage et qu’il s’agit là d’un facteur aggravant important. On lui a demandé directement lors du contre‑interrogatoire s’il avait pris la capture d’écran de Mme K.B. et il a répondu « non ». On lui a également demandé s’il avait imprimé l’image de Mme K.B. et il a de nouveau répondu par la négative. L’autorité disciplinaire a soutenu que ce n’est pas une situation où le membre avait choisi de garder le silence et de vérifier les éléments de preuve, et où l’on avait conclu qu’il avait contrevenu au code de déontologie. Il a plutôt choisi de se présenter à la barre pour témoigner. Puis, lors de son témoignage, il a menti sous serment aux questions très précises qui lui ont été posées relativement aux éléments de preuve accablants.

[30] Il s’agit d’une question très nuancée. Tout d’abord, il est difficile de déterminer où le fait de nier l’allégation outrepasse la pertinence. Personne ne remettrait en question le fait qu’un membre accusé est en droit de demander à la poursuite de prouver le bien-fondé de sa cause. La question ne se pose pas si la personne accusée n’a pas pris position et a simplement forcé la poursuite à prouver le bien-fondé de sa cause. Cependant, quelle est l’incidence si la personne décide de témoigner et, sous serment, elle nie les allégations malgré la présence d’une preuve accablante?

[31] Cette question a été traitée par la Cour d’appel de l’Alberta dans l’arrêt Toy v Edmonton (Police Service), 2018 C.A. Alberta 37 (CanLII) [Toy]. Dans cette affaire, le gendarme Toy faisait appel d’une décision de l’Alberta Law Enforcement Review Board de maintenir la décision d’un officier président de le congédier du Service de police d’Edmonton. L’officier président a conclu que le gendarme Toy avait fait preuve de tromperie lorsqu’il a présenté sa déclaration involontaire faite sous serment ainsi que son témoignage de vive voix (témoignage) au cours d’une audience relative à une affaire disciplinaire antérieure distincte.

[32] Le gendarme Toy avait été cité comme témoin lors d’une audience d’appel en 2009 devant l’Alberta Law Enforcement Review Board. Dans sa déclaration sous serment, le gendarme Toy avait nié avoir regardé des documents se trouvant sur la table du conseiller juridique ou à côté de celle-ci pendant une pause dans le cadre de cette procédure. En 2012, lors de sa propre audience disciplinaire, il a été reconnu coupable de conduite déshonorante pour avoir regardé les documents après son témoignage lors duquel sa négation des allégations n’a pas été jugée crédible. Cela a mené à d’autres accusations d’infractions disciplinaires et à une déclaration de culpabilité pour tromperie en 2015, après que l’officier président a conclu que le gendarme Toy avait menti dans sa déclaration sous serment et dans son témoignage présenté lors de l’audience de 2012. Il a donc été congédié.

[33] Parmi ses motifs d’appel, le gendarme Toy a fait valoir que l’Alberta Law Enforcement Review Board avait commis une erreur en approuvant la création d’une nouvelle catégorie d’infractions disciplinaires. Essentiellement, le gendarme Toy a fait valoir que si un policier conteste une version des faits lors d’une audience disciplinaire plutôt que d’admettre avoir commis un acte répréhensible, et que sa version n’est pas acceptée, il sera alors accusé de tromperie lors d’un témoignage livré sous serment, ce qui sera inévitablement sanctionné par un congédiement. La Cour d’appel a traité cet argument au paragraphe 69 :

[69] [Traduction] Comme indiqué dans Quaidoo, au paragraphe 50, sa position semble supposer qu’un officier président serait incapable de faire la distinction entre « une perspective sincère, mais erronée, quant aux faits considérés avec du recul » et ce qui a été établi ici, soit une tromperie délibérée et prolongée motivée par l’intérêt personnel et dépourvue de remords. « Il y a une différence entre demander à la poursuite de faire valoir ses arguments et raconter activement des mensonges. »

[34] Bien que la Cour d’appel de l’Alberta ait reconnu qu’il existait une différence entre les deux situations, cela a fourni quelques indications quant à la façon dont elle a pris sa décision. Le gendarme Chitrena a-t-il raconté activement des mensonges en répondant aux questions par la négative ou demandait-il à la poursuite de faire valoir ses arguments?

[35] À mon avis, ses réponses négatives aux questions qui lui ont été posées ne sont guère plus qu’une répétition de sa négation des allégations, étant donné que ces questions constituent précisément l’inconduite alléguée. Ce serait différent si, en répondant à ces questions, il tissait un tissu de mensonges, par exemple en témoignant qu’il a vu quelqu’un d’autre créer et imprimer l’image. Il n’a pas fait cela, il a simplement nié que c’était lui, une position qu’il maintient depuis le début de la procédure. Selon moi, cela ne peut pas être un important facteur aggravant, comme le soutient l’autorité disciplinaire.

[36] Dans une certaine mesure, je crois que cette position est soutenue par le juge en chef Fraser de la Cour d’appel de l’Alberta dans l’affaire criminelle R. v Ambrose, 2000 C.A. Alberta 264 (CanLII). Aux paragraphes 71 à 75, le juge en chef Fraser a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

71 Le remords a toujours été considéré comme un facteur atténuant : R. v. Sawchyn, [1981] 5 W.W.R. 207 (C.A. Alberta) (autorisation d’appel refusée [1981] 2 R.C.S. xi (S.C.C.)); R. v. Anderson (1992), 74 C.C.C. (3d) 523 (C.A. C.-B.). Toutefois, l’absence d’un facteur atténuant ne se traduit pas nécessairement par un facteur aggravant. Le principe général souvent cité est qu’une peine plus élevée que celle qui est appropriée pour l’infraction ne devrait pas être imposée pour l’absence de remords, mais ce facteur pourrait bien priver l’accusé d’une clémence qui aurait pu être prolongée autrement : Sawchyn, précipité.

72 Deux justifications différentes ont été avancées à l’appui de cette approche. L’une est liée au droit de l’accusé à une défense pleine et entière. La théorie est que si l’absence de remords devait être traitée comme un facteur aggravant, cela punirait en fait ceux qui choisissent de se fier à leurs droits constitutionnels. Tout accusé a le droit constitutionnel de présenter une défense pleine et entière et d’exiger de la Couronne qu’elle prouve sa cause hors de tout doute raisonnable : R. v. Kozy (1990), 58 C.C.C. (3d) 500 (C.A. de l’Ont.); R. v. Valentini (1999), 132 C.C.C. (3d) 262 (C.A. de l’Ont.).

73 L’autre justification est la proposition selon laquelle un accusé ne devrait pas être condamné pour une infraction pour laquelle il n’a pas été reconnu coupable. Cette théorie repose sur le principe voulant que si un accusé commet une inconduite lors de sa défense, par exemple en mentant à la barre des témoins, la marche à suivre adéquate consiste à accuser la personne de parjure plutôt que d’alourdir la peine pour l’infraction commise : R. v. V. (J.T.) (1998), 105 C.A. C.-B. 42, 171 W.A.C. 42 (C.A. C.-B.). Dans cette décision, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a expressément rejeté la suggestion selon laquelle le principe applicable est fondé sur le droit à une défense pleine et entière en soulignant qu’il n’existe pas de droit constitutionnel de mentir.

74 Les autorités anglaises ont toujours refusé de prendre en compte la manière dont une personne accusée mène sa défense comme un facteur dont le tribunal tient compte lors de la détermination de la peine : R. v. Dunbar (1966), 51 Cr. App. R. 57 (C.A. Angl.); R. v. Skone (1966), 51 Cr. App. R. 165 (C.A. Angl.); R. v. Harper (1967), 52 Cr. App. R. 21 (C.A. Angl.); et R. v. Blaize (10 juin 1997), Doc. 97/7862/Z3 (C.A. Angl.). Ce point de vue a été accepté en Alberta : Sawchyn, précipité. Il serait donc erroné de suggérer qu’un accusé devrait être soumis à une peine plus grave simplement en raison de la manière dont il a mené, ou mal mené, sa défense.

75 Cela ne veut pas dire pour autant qu’un accusé reçoit ou devrait recevoir la même peine, qu’il ait ou non des remords, bien au contraire. Comme l’explique le juge d’appel Laycraft (comme il était alors) dans la décision Sawchyn, précipité, 218 :

… un accusé qui ne manifeste aucun remords alors que tous les autres facteurs sont égaux recevra une peine plus importante qu’un accusé qui en manifeste.

[37] Il est important de noter que les commentaires du juge en chef, au paragraphe 73, se reflètent dans les mesures prises par le chef de police dans l’arrêt Toy. L’officier président n’a pas augmenté la peine du gendarme Toy lors de la première audience pour la tromperie dont il a fait preuve lorsqu’il a témoigné au cours de l’audience. Au lieu de cela, une nouvelle enquête a été menée, qui a abouti à de nouvelles accusations pour infractions disciplinaires ainsi qu’à une conclusion de tromperie, qui a mené à son congédiement lors d’une deuxième audience.

[38] Pour résumer, je peux uniquement imposer des mesures disciplinaires pour les allégations que j’ai jugées comme étant établies lors de la présente audience disciplinaire. Le fait que le gendarme Chitrena ait choisi de continuer de nier les allégations lors de son témoignage constitue l’exercice de son droit à une défense pleine et entière. L’exercice de ce droit ne peut pas constituer un facteur aggravant. Toutefois, le fait qu’il n’ait pas assumé la responsabilité de ses actes et n’ait montré aucun remords mène à l’absence d’un important facteur atténuant et, toutes choses étant égales par ailleurs, entraînera des mesures disciplinaires plus graves que celles prises à l’encontre d’une personne qui a manifesté des remords.

[39] Le gendarme Chitrena a souligné les facteurs atténuants suivants :

  • Son dossier de travail est positif et au moment de l’incident, il faisait partie du processus de promotion par dérogation.
  • Lorsque sa sergente d’état-major l’a interrogé au moment de l’inconduite, il a été franc en répondant qu’il souffrait d’une dépendance à la pornographie et qu’il continuait d’obtenir des services de counseling à ce sujet. Dans son témoignage, le gendarme Chitrena a reconnu avoir fait cette déclaration à sa sergente d’état‑major; cependant, la question n’a pas été approfondie au cours de l’audience. Cet élément n’a pas été présenté à titre d’explication pour son inconduite. Il a plutôt affirmé dans son témoignage qu’il l’avait dit à la sergente d’état‑major simplement parce que cela faisait partie de son identité.
  • Le gendarme Chitrena compte sur le soutien qualifié de sa sergente d’état-major, qui a indiqué que le gendarme Chitrena avait un très bon rendement avant l’incident et qu’il était engagé au sein de la collectivité. Elle a indiqué que depuis l’incident et pendant qu’il était suspendu avec solde, il avait respecté les exigences en matière de rendement de comptes.

[40] Le gendarme Chitrena a également fait valoir qu’il souffrait d’un problème médical sous‑jacent qui devrait être considéré comme un facteur atténuant. Pour étayer cette observation, il a présenté une lettre de son psychologue traitant, le Dr Doug Jurgens, datée du 29 octobre 2020.

[41] Dans sa lettre, le Dr Jurgens a affirmé qu’il a commencé à traiter le gendarme Chitrena le 25 avril 2014, à la suite d’un incident traumatisant au travail. Il a indiqué que le gendarme Chitrena ne pouvait recevoir le diagnostic de trouble de stress post-traumatique (TSPT) puisqu’il ne présentait l’éventail des symptômes requis et qu’une évaluation diagnostique officielle n’avait jamais été demandée ni effectuée. Selon l’opinion clinique du Dr Jurgens, l’incident au travail impliquant le gendarme Chitrena en 2014 a eu sur ce dernier des répercussions psychologiques et émotionnelles. Son comportement d’évitement n’était pas suffisamment évident pour poser un diagnostic de TSPT, même s’il manifestait une hyperexcitation évidente et présentait des symptômes de reviviscence. Par ailleurs, il luttait de façon considérable contre les symptômes permanents d’exposition à un traumatisme, que l’on appelle parfois le « TSPT partiel », bien qu’il ne s’agisse pas d’une catégorie officielle de diagnostics. Il a indiqué que l’expérience traumatique au travail et les facteurs de stress associés au travail qui ont suivi ont eu des répercussions négatives sur le rendement du gendarme Chitrena. Les symptômes de l’exposition aux traumatismes, notamment l’irritabilité, l’impatience, les problèmes d’attention et de concentration dus aux perturbations permanentes du sommeil, la difficulté à contrôler l’éveil physiologique, la difficulté à contrôler ses pensées conduisant à l’obsession sont des problèmes psychologiques importants qui ont contribué à son rendement inférieur aux attentes.

[42] Le Dr Jurgens a également indiqué qu’après l’incident faisant l’objet de la présente procédure, le gendarme Chitrena s’est plaint de comportement compulsif associé à la pornographie, ou, plus précisément, qu’[traduction] « il trouvait qu’il s’attardait davantage à l’idée de la pornographie qu’au visionnement compulsif de pornographie ». Cependant, chose importante, il a indiqué que le gendarme Chitrena n’avait pas fait mention d’actes impulsifs associés à ses obsessions. Le Dr Jurgens a souligné que le contenu précis des obsessions est souvent non pertinent à moins qu’il soit associé à un comportement compulsif.

[43] Le Dr Jurgens n’a pas pu établir de lien entre l’inconduite et le possible « TSPT partiel » ou son obsession à l’égard de la pornographie. Il n’a pas non plus été en mesure de fournir un diagnostic ou un pronostic formel qui aiderait à évaluer le potentiel de réhabilitation du gendarme Chitrena ou sa probabilité de récidive. L’examen des cas passés révèle l’importance de cette information dans la détermination des mesures disciplinaires appropriées par un comité de déontologie. Il s’agit là d’un élément d’information important qui fait défaut dans cette affaire.

[44] Il est également important d’examiner les antécédents du gendarme Chitrena en matière de counseling auprès du Dr Jerguns. Après sa séance initiale avec le Dr Jerguns en 2014, le gendarme Chitrena a participé à des séances régulières de thérapie jusqu’en juin 2015 et ensuite à l’occasion pendant plusieurs mois. Il importe de souligner que le Dr Jurgens n’a pas vu le gendarme Chitrena après mars 2017, jusqu’à ce qu’il recommence à se présenter à des rendez-vous de counseling en novembre 2018.

[45] Au cours de la période de 19 mois où il n’a pas participé à des séances de counseling avec le Dr Jurgens, le gendarme Chitrena a vécu le stress associé à la rupture de son mariage, il a commencé à vivre avec une nouvelle conjointe et ses enfants et il a été muté du Détachement de La Ronge au Détachement de Buffalo Narrows, avant de remplir les fonctions de caporal intérimaire à Dillon. C’est lors de ces types de situations stressantes que la plupart des personnes qui ont tendance à recevoir des services de counseling solliciteraient l’aide de leur thérapeute. Ce n’est pas ce qu’a fait le gendarme Chitrena. Il a expliqué que sa nouvelle conjointe était une bonne conseillère et une personne à qui il pouvait parler. Bien sûr, le moment auquel il a recommencé à consulter son thérapeute en novembre 2018 coïncide également avec la période à laquelle se déroulaient l’enquête criminelle et l’enquête en matière de déontologie concernant l’incident faisant l’objet de la présente audience.

[46] Tout cela me rend peu enclin à considérer les problèmes médicaux du gendarme Chitrena comme un facteur atténuant. On ne m’a fourni aucune preuve me permettant d’évaluer avec certitude son potentiel de réhabilitation ou la probabilité de récidive.

[47] Le gendarme Chitrena s’est adressé au comité de déontologie lors de l’étape des mesures disciplinaires. Il a décrit comment il a été affecté par cette procédure et comment il estime ne pas avoir reçu le soutien qu’il aurait dû recevoir de la part de ses collègues et de la Gendarmerie avant même le début de la procédure. Il n’a accepté aucune responsabilité pour son inconduite, n’a présenté aucune excuse et n’a jamais semblé prendre conscience de la manière dont ses agissements ont eu une incidence négative sur ses collègues ou sur la Gendarmerie. En bref, il n’a manifesté aucun remords pour ses actes et a fait preuve d’un manque profond de conscience de soi.

[48] J’accorde également un poids limité aux conséquences naturelles de son inconduite sur lui-même et sur sa famille en tant que facteur atténuant. Ce sont souvent les conséquences prévisibles, bien que malheureuses, associées à l’inconduite d’une personne. Il n’y a eu dans ses déclarations aucune indication qu’il avait appris de ses erreurs et aucune assurance que ce type d’inconduite ne se reproduirait pas. Bref, j’ai eu la nette impression que le gendarme Chitrena se considère comme la victime et non comme l’auteur de cette inconduite.

[49] L’autorité disciplinaire s’est appuyée sur les cas suivants : Commandant de la Division E et gendarme Eden, 2017 DARD 7; Commandant de la Division E et gendarme Hedderson, 2018 DARD 19; Commandant de la Division E et gendarme Genest, 2017 DARD 2 (confirmé par la commissaire dans 2020 DAD 15) [Genest]. Il s’est également appuyé sur l’arrêt R. v Tompkins, 2013 C.S. C.-B. 2265 (CanLII) [Tompkins]. L’arrêt Tompkins est une affaire criminelle impliquant un gardien du bloc cellulaire au Détachement de la GRC de Kamloops, en Colombie‑Britannique qui a « visionné et invité d’autres personnes à visionner, au moyen de l’équipement vidéo en circuit fermé, des actes sexuels entre deux prisonniers, en violation de l’article 122 du Code criminel ». Cette affaire a été présentée pour faire valoir que les agissements du gendarme Chitrena dans le cas présent constituent un abus de confiance au sens du Code criminel, L.R.C. (1985), c C-46. Que cela soit finalement le cas ou non, je considère que ses agissements constituent un abus de confiance au sens général de ce terme.

[50] Le gendarme Chitrena s’est également appuyé sur l’arrêt Genest pour suggérer que ce type de comportement ne devrait pas entraîner le congédiement d’un membre. La citation pertinente de l’arrêt Genest sur laquelle les deux parties se sont appuyées est la suivante :

[…] La Gendarmerie est effectivement une institution qui favorise la réinsertion lorsque les circonstances le permettent et la plupart des mesures disciplinaires entrent dans cette catégorie. Pour les membres qui, comme le membre visé, sont prêts à accepter les conséquences de leurs actes, à condition que leur inconduite ne soit pas grave au point de justifier leur congédiement, la Gendarmerie fera un effort considérable pour les aider dans leurs efforts continus de réhabilitation. Notre personnel reste notre plus grand atout et le congédiement ne doit être envisagé qu’en dernier recours […] [traduit tel que reproduit dans la version anglaise]

[51] Malgré la contradiction évidente contenue dans la deuxième phrase de cette citation, je pense que l’intention voulue est juste. Lorsqu’un membre accepte la responsabilité de ses actes (finalement), le premier objectif de la mesure disciplinaire est la réhabilitation. Malheureusement, le gendarme Chitrena n’a pas accepté la responsabilité de ses actes.

[52] Le gendarme Chitrena s’est également fondé sur les décisions suivantes : Commandant de la Division F et gendarme Tremblay, 2018 DARD 15; Commandant de la Division K et gendarme Coulombe, 2019 DARD 19; et Commandant de la Division K et gendarme Burgess, 2019 DARD 14.

[53] Les décisions citées par les parties ont mené à des résultats différents pour les membres visés concernés : certains ont été congédiés, tandis que d’autres ont été maintenus en poste avec l’imposition de mesures disciplinaires très graves. Toutefois, le point commun entre les cas est que le congédiement était un résultat potentiel pour chacun d’entre eux. Dans les cas où le congédiement n’a pas constitué la mesure disciplinaire appropriée, les facteurs atténuants l’emportaient sur les facteurs aggravants. Le facteur atténuant prédominant présent dans ces cas était l’acceptation de la responsabilité par le membre visé, combinée à une explication relative à l’inconduite commise. Ce sont là des facteurs qui ont permis aux comités de déontologie d’évaluer et de prévoir le potentiel de réhabilitation et le risque de récidive. Comme je l’ai déjà indiqué, ces éléments de preuve importants ne sont pas présents ici. Par conséquent, je ne suis pas en mesure de m’assurer que le gendarme Chitrena ne répètera pas ce type d’inconduite.

[54] Lorsque ces facteurs ne sont pas présents dans les cas d’inconduite très graves, le congédiement est alors considéré. Ce principe est reflété dans l’arrêt Ennis v the Canadian Imperial Bank of Commerce, (1986) BCJ 1742, qui traite du congédiement d’un employé :

[Traduction] […] L’inconduite ou l’incompétence réelle doit être démontrée. La conduite de l’employé et la réputation qu’elle révèle doivent être de nature à miner ou à compromettre gravement la confiance essentielle que l’employeur est en droit d’accorder à un employé dans les circonstances de leur relation particulière. Le comportement de l’employeur doit démontrer que l’employé répudie le contrat de travail ou l’un de ses éléments essentiels. […]

[55] Comme l’a noté le comité de déontologie dans la décision Commandant de la Division E et gendarme Vellani, 2017 DARD 3, bien que le potentiel de réhabilitation soit une considération importante, il n’annule pas le droit de mettre fin à l’emploi lorsque la violation touche au cœur de la relation employeur-employé.

[56] Selon moi, la conduite du gendarme Chitrena ne cadre pas avec ses conditions d’emploi et est incompatible avec l’exercice fidèle et convenable de ses fonctions. Il a utilisé sa position d’agent de la GRC pour capturer et imprimer une image intime d’une jeune détenue vulnérable qui était sous la garde de la GRC et ce, pour satisfaire son propre voyeurisme. Ce faisant, il a violé l’intégrité sexuelle de cette femme. Les facteurs aggravants présents dans son cas l’emportent sur les facteurs atténuants. En particulier, il n’a reconnu aucune responsabilité pour ses actes en dépit d’une preuve accablante. Il n’a pas non plus abordé les raisons de son inconduite. En bref, il ne m’a fourni aucun motif pour me convaincre qu’il pouvait être réhabilité.

CONCLUSION

[57] Les pouvoirs accordés à un policier sont considérables et, par conséquent, le public s’attend raisonnablement à ce que les membres de la GRC respectent les normes éthiques et professionnelles les plus élevées. Dans ces circonstances et compte tenu de la position de responsabilité et de confiance qu’occupait le gendarme Chitrena en tant que policier assermenté à faire respecter la loi, je ne peux tout simplement pas justifier son maintien en tant que membre de la Gendarmerie. Ce ne serait pas dans l’intérêt du public. Par conséquent, j’ordonne au gendarme Chitrena de démissionner. S’il ne l’a pas fait dans les 14 jours qui suivent, j’ordonne son congédiement.

[58] L’une ou l’autre des parties peut interjeter appel de cette décision en déposant une déclaration d’appel auprès de la commissaire dans les 14 jours suivant la signification de cette décision au gendarme Chitrena, comme il est indiqué à l’article 45.11 de la Loi sur la GRC et à l’article 22 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289.

 

 

Le 8 décembre 2020

Gerald Annetts

Comité de déontologie

 

Edmonton (Alberta)

 

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