Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

Le gendarme Fulcher a reçu un Avis d’audience disciplinaire contenant une allégation d’infraction à l’article 7.1 du Code de déontologie de la GRC pour s’être conduit de façon déshonorante en s’exhibant à la vue de membres du public.
L’audience disciplinaire à ce sujet devait commencer le 12 janvier 2021. Toutefois, l’autorité disciplinaire a présenté un Avis d’audience disciplinaire modifié le 8 janvier 2021. Peu de temps après, le gendarme Fulcher a présenté sa réponse à cet Avis d’audience disciplinaire modifié, dans laquelle il admettait l’allégation.
Le 11 janvier 2021, l’audience a été suspendue, comme l’ont proposé toutes les parties, jusqu’à la présentation d’une proposition conjointe sur les mesures disciplinaires.
Le 18 janvier 2021, le Comité de déontologie a reçu des présentations de la part de chacune des parties. Les présentations contenaient la même proposition sur les mesures disciplinaires. Le Comité de déontologie a alors accepté la proposition conjointe et a imposé les mesures disciplinaires suivantes : la confiscation de 10 jours de solde et la suppression de 10 jours de congé.

Contenu de la décision

Protégé A

2021 DAD 04

Ordonnance de non-publication : Sur ordre du Comité de déontologie, les renseignements qui pourraient mener à l’identification de tout témoin mentionné dans la décision ne peuvent pas être publiés, diffusés ou transmis de quelque manière que ce soit.

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GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

dans l’affaire d’une

audience disciplinaire au titre de la

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C., 1985, ch. R-10

Entre

le surintendant principal Michel Legault

Autorité disciplinaire de niveau III, Division E

Autorité disciplinaire

et

le gendarme Ryan Fulcher

numéro de matricule 51465

Membre visé

Décision du Comité de déontologie

l’inspecteur Colin Miller

2021-01-29

Madame France Saint-Denis, représentante de l’autorité disciplinaire

Monsieur David Butcher, représentant du membre visé


Table des matières

RÉSUMÉ 4

INTRODUCTION 4

Audience à huis clos et ordonnance de non-publication 8

ALLÉGATION 9

Décision relative à l’allégation 11

Est-ce que les gestes sont prouvés? 11

Est-ce que l’identité du membre a été bien établie? 12

Est-ce que la conduite du gendarme Fulcher était déshonorante? 12

Est-ce que la conduite du gendarme Fulcher est suffisamment liée à ses devoirs et fonctions pour que la GRC ait un intérêt légitime à prendre des mesures disciplinaires à son endroit? 13

Conclusion 13

MESURES DISCIPLINAIRES 14

Observations de la représentante de l’autorité disciplinaire 14

Observations du représentant du membre visé 15

Décision au sujet des mesures disciplinaires 15

Facteurs aggravants 17

Facteurs atténuants 17

Conclusion 19

RÉSUMÉ

Le gendarme Fulcher a reçu un Avis d’audience disciplinaire contenant une allégation d’infraction à l’article 7.1 du Code de déontologie de la GRC pour s’être conduit de façon déshonorante en s’exhibant à la vue de membres du public.

L’audience disciplinaire à ce sujet devait commencer le 12 janvier 2021. Toutefois, l’autorité disciplinaire a présenté un Avis d’audience disciplinaire modifié le 8 janvier 2021. Peu de temps après, le gendarme Fulcher a présenté sa réponse à cet Avis d’audience disciplinaire modifié, dans laquelle il admettait l’allégation.

Le 11 janvier 2021, l’audience a été suspendue, comme l’ont proposé toutes les parties, jusqu’à la présentation d’une proposition conjointe sur les mesures disciplinaires.

Le 18 janvier 2021, le Comité de déontologie a reçu des présentations de la part de chacune des parties. Les présentations contenaient la même proposition sur les mesures disciplinaires. Le Comité de déontologie a alors accepté la proposition conjointe et a imposé les mesures disciplinaires suivantes : la confiscation de 10 jours de solde et la suppression de 10 jours de congé.

INTRODUCTION

[1] En fin de soirée le 29 septembre 2018, deux adolescentes, mesdemoiselles L. et H., marchaient dans la rue quand elles ont aperçu un homme nu à une grande fenêtre de la façade avant d’une résidence. Les deux adolescentes pouvaient voir l’homme et, de leur point de vue, il semblait peut-être se masturber. Les adolescentes sont allées directement chez mademoiselle L, qui vit non loin de là, et elles ont immédiatement parlé à sa mère, madame M.L., de ce qu’elles venaient de voir. Mademoiselle L. a appelé la GRC de sa région une première fois pour porter plainte.

[2] Madame M.L. a pris les adolescentes à bord de sa voiture pour parcourir le quartier et localiser la résidence où l’homme nu avait été observé. Madame M.L. a trouvé la résidence en se fiant aux indications de mesdemoiselles L. et H.; madame M.L. a pu voir elle aussi l’homme nu à la grande fenêtre de la façade avant de la résidence.

[3] Madame M.L. a appelé la GRC à son tour pour confirmer ce que mademoiselle L. avait signalé un peu plus tôt. Le numéro de la maison du suspect n’était pas visible d’où se trouvait madame M.L., alors cette dernière a décrit la résidence à la GRC.

[4] Des membres du détachement local de la GRC ont visité la résidence et y ont rencontré un homme qui correspondait à la description qui avait été fournie par les témoins. Il a été confirmé par la suite que cet homme était le gendarme Fulcher.

[5] Conformément au paragraphe 40(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C., 1985, ch. R-10 [Loi sur la GRC], une enquête sur les agissements du gendarme Fulcher a été lancée le 3 octobre 2018.

[6] Le 9 mai 2019, l’autorité disciplinaire désignée pour la Division E (l’autorité disciplinaire) a signé l’Avis à l’officier désigné, dans lequel elle demande que soit amorcée une audience disciplinaire dans cette affaire. J’ai été désignée Comité de déontologie le 14 mai 2019, au titre du paragraphe 43(1) de la Loi sur la GRC.

[7] L’avis d’audience disciplinaire a été signé par l’autorité disciplinaire le 9 mai 2019. L’avis a été signifié au gendarme Fulcher le 14 juin 2019, et le dossier d’enquête lui a été remis au même moment.

[8] Le gendarme Fulcher a fourni sa réponse à l’Avis d’audience disciplinaire initial, conformément au paragraphe 15(3) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014291 [CC (déontologie)], le 15 juillet 2019. Dans sa réponse, il niait l’allégation, mais admettait certains détails.

[9] Le 16 août 2019 a eu lieu une conférence préparatoire à l’audience, pendant laquelle j’ai accepté la demande des deux parties visant à remettre l’audience disciplinaire à après a le procès criminel lié à cette affaire, prévu pour les 12 et 13 décembre 2019. Il a été entendu que l’audience disciplinaire aurait lieu en Colombie-Britannique à partir du 14 janvier 2020. Il a également été entendu qu’il serait interdit de publier l’identité des trois témoins.

[10] Le 12 décembre 2019, le représentant de l’autorité disciplinaire a suggéré que l’affaire soit remise à après la résolution du procès criminel, quand les témoins seraient disponibles. Pour appuyer cette proposition, le représentant de l’autorité disciplinaire a fourni un courriel provenant du détachement concerné de la GRC expliquant que les témoins ne seraient pas disponibles aux dates prévues pour l’audience disciplinaire et que le procès criminel avait été repoussé jusqu’à juillet 2020.

[11] Le 17 décembre 2019, une autre conférence préparatoire à l’audience a eu lieu. La représentante de l’autorité disciplinaire a confirmé que le procès criminel était suspendu jusqu’en juillet 2020 en raison de l’indisponibilité des témoins, et du fait que le gendarme Fulcher avait été impliqué dans un accident de la route qui l’avait rendu incapable de donner des directives à son avocat. Les deux parties étaient d’accord pour remettre l’affaire à après la conclusion du procès criminel.

[12] Le 27 janvier 2020, madame Saint-Denis a pris la relève à titre de représentante de l’autorité disciplinaire dans cette affaire.

[13] Le 12 février 2020, la représentante de l’autorité disciplinaire a indiqué que le procès criminel du gendarme Fulcher était dorénavant prévu pour les 30 et 31 juillet 2020.

[14] Le 22 mai 2020, monsieur Neville McDougall a annoncé qu’il prenait la relève en tant que représentant du gendarme Fulcher dans cette affaire. Le 29 juin 2020, monsieur David Butcher a annoncé que la Fédération de la police nationale l’avait désigné comme nouveau représentant pour le gendarme Fulcher.

[15] Le 10 juillet 2020, on a provisoirement planifié la tenue d’une audience disciplinaire entre le 22 et le 24 septembre 2020. L’audience se passerait à ces dates si la présence à un autre procès du représentant du membre visé pouvait être remise à une autre date.

[16] Le 26 août 2020, le représentant du membre visé a affirmé que le procès ne pouvait pas être remis à une autre date et qu’il fallait planifier une nouvelle date pour l’audience dans cette affaire. Le 25 septembre 2020, on a planifié l’audience disciplinaire pour la semaine du 11 janvier 2021.

[17] Le 14 décembre 2020, le représentant de l’autorité disciplinaire a présenté une Modification à l’Avis d’audience disciplinaire, qui avait été signée le jour même par l’autorité disciplinaire. L’avis contient la même unique allégation que l’original, mais les détails ont été abrégés.

[18] Le 21 décembre 2020, j’ai informé les parties que, en raison des restrictions sur les déplacements et les rassemblements en temps de pandémie, l’audience se déroulerait dorénavant par téléconférence au lieu d’en personne en Colombie-Britannique.

[19] Plus tard le même jour, le gendarme Fulcher a présenté une réponse à l’Avis d’audience disciplinaire modifié dans laquelle il admettait que sa conduite avait été déshonorante, mais il niait avoir commis un geste indécent.

[20] Le 8 janvier 2021, une autre conférence préparatoire à l’audience a eu lieu, au cours de laquelle les parties ont décrit ce qu’elles ont tenté de faire pour résoudre ce différend. Les deux parties semblaient sûres qu’une entente pourrait être conclue et qu’il n’y aurait nul besoin d’une audience contestée.

[21] Plus tard le même jour, j’ai reçu une nouvelle version modifiée de l’Avis d’audience disciplinaire contenant une version abrégée de l’allégation, accompagnée des mêmes détails que dans l’avis précédent. Peu de temps après, j’ai reçu une réponse à cet Avis d’audience disciplinaire modifié, dans laquelle le gendarme Fulcher admettait l’allégation.

[22] Le 11 janvier 2021, comme l’avaient proposé toutes les parties, j’ai suspendu l’audience jusqu’à la présentation d’une proposition conjointe sur les mesures disciplinaires.

[23] Le 18 janvier 2021, j’ai reçu des présentations de chaque partie contenant la même proposition sur les mesures disciplinaires. Les deux parties proposaient conjointement les mesures disciplinaires suivantes : la confiscation de 10 jours de solde et la suppression de 10 jours de congé. Les parties ont affirmé accepter que la décision soit rendue par écrit, ce qui éliminait le besoin de tenir l’audience en personne.

Audience à huis clos et ordonnance de non-publication

[24] Le 10 septembre 2019, le représentant du membre visé nous a informés, le représentant de l’autorité disciplinaire et moi, qu’il demandait à ce que l’audience se tienne à huis clos. Le représentant du membre visé a expliqué qu’une ordonnance de non-publication aux termes de l’article 486 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, avait été émise dans le processus parallèle au criminel, mais qu’un journaliste local avait enfreint cette ordonnance.

[25] Le même jour, j’ai informé le représentant du membre visé que les audiences sont conçues pour être publiques, et j’ai donc exigé que des demandes d’audience à huis clos soient présentées en respectant des échéances.

[26] Le 13 décembre 2019, le représentant du membre visé a présenté une requête d’audience à huis clos aux termes de l’alinéa 45.1(2) de la Loi sur la GRC. De plus, le représentant du membre visé a demandé à ce que soit émise une ordonnance de non-publication pour tout renseignement ou toute photographie permettant d’identifier le gendarme Fulcher ou d’associer son nom à son apparence physique, au titre de l’alinéa 45.1(7) de la Loi sur la GRC.

[27] Le même jour, la représentante de l’autorité disciplinaire a indiqué qu’elle ne s’opposait pas à la requête.

[28] Le 20 décembre 2019, j’ai rendu ma décision au sujet de la requête du représentant du membre pour une audience à huis clos et au sujet de l’ordonnance de non-publication. En résumé, j’ai examiné les documents qui m’ont été fournis et j’ai accepté la requête, car la divulgation des renseignements susmentionnés pourrait être préjudiciable pour les forces de l’ordre et exposer le gendarme Fulcher, sa famille et d’autres enquêteurs à des risques importants.

[29] De plus, le 14 décembre 2020, la représentante de l’autorité disciplinaire a demandé une ordonnance de non-publication, aux termes de l’alinéa 45.1(7) de la Loi sur la GRC, pour toute information qui pourrait permettre d’identifier les témoins, qui étaient mineures au moment de la conduite visée par l’allégation. Ces renseignements comprennent le nom des adolescentes et de la mère d’une d’elles.

[30] Je suis d’avis que l’ordonnance de non-publication est dans l’intérêt du public, et j’ordonne d’interdire la publication, la diffusion ou la transmission de quelque manière que ce soit de tout renseignement qui pourrait mener à l’identification de tout témoin mentionné dans la décision. C’est pourquoi les noms des témoins ont été remplacés par leurs initiales.

[31] La présentation du 18 janvier 2021 du représentant du membre visé comprenait une demande d’ordonnance de non-publication pour tous les documents médicaux présentés par le gendarme Fulcher ou ajoutés au dossier avant l’arrivée du présent représentant du membre visé. Le représentant du membre visé a affirmé que la représentante de l’autorité disciplinaire ne s’y était pas opposée.

[32] Je n’ai pas émis d’ordonnance de non-publication pour les renseignements médicaux du gendarme Fulcher, car je ne détiens pas le pouvoir législatif pour ce type de renseignement en particulier. Le gendarme Fulcher comptait se fier à ces renseignements pour prouver un facteur atténuant à l’étape des mesures disciplinaires. Toutefois, il est à noter que les documents que j’ai reproduits dans ma décision sont uniquement ceux que je jugeais pertinents, notamment le diagnostic et un extrait de l’exposé du docteur B.

[33] Le 19 janvier 2021, j’ai reçu une demande de la part de l’avocat du gendarme Fulcher visant à ne pas identifier le gendarme Fulcher dans ma décision. Le lendemain, j’ai reçu une réponse de la représentante de l’autorité disciplinaire, qui s’opposait à cette demande.

[34] Le 21 janvier 2021, j’ai écrit aux deux parties par courriel pour les informer que je divulguerais le nom du gendarme Fulcher dans ma décision, car c’est son apparence qui doit être protégée, et non son identité.

[35] J’ai toutefois omis tout détail quant à l’apparence du gendarme Fulcher qui me semblait non nécessaire afin de respecter l’esprit de ma décision en ce qui a trait à cette requête.

ALLÉGATION

[36] L’avis d’audience disciplinaire modifié, en date du 8 janvier 2021, comprenait l’allégation suivante :

Allégation no 1

Vers le 29 septembre 2018, à [XXXX], en Colombie-Britannique, ou à proximité de cet endroit, le gendarme Ryan Fulcher a eu une conduite déshonorante, en contravention de l’article 7.1 du Code de déontologie inscrit dans la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé de l’allégation no 1

1. Le 29 septembre 2018, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) à la Division E [XXXX], en Colombie-Britannique.

2. En fin de soirée le 29 septembre 2018, vous étiez nu dans la salle de séjour de votre résidence sur la rue [nom de la rue] à [XXXX], en Colombie-Britannique. La lumière était allumée et les rideaux étaient ouverts. Deux adolescentes, [mademoiselle L.], âgée de 16 ans, et [mademoiselle H.], âgée de 17 ans, marchaient de l’autre côté de la rue, à plus de 15 mètres de votre fenêtre. [Mademoiselle L.] pense que vous étiez en train de vous masturber. [Mademoiselle H.] a affirmé que vous sembliez « peut-être [vous] toucher, mais pas vraiment », et que vous vous teniez devant la fenêtre.

3. Un peu plus tard, la mère de [mademoiselle L.], [madame M.L.], a passé devant votre résidence en voiture. Elle dit que vous étiez nu et que vous aviez placé votre main sur votre pénis.

4. [Mademoiselle L.] a signalé ce qu’elle avait vu à la GRC de [XXXX] à [23 h 34] ce soir-là.

5. Vous vous êtes conduit de façon déshonorante en vous tenant devant votre fenêtre nu, tard le soir, avec les rideaux ouverts, vous exhibant ainsi à la vue des membres du public qui passaient devant chez vous.

[traduit tel que reproduit dans la version anglaise]

[37] Il incombe à l’autorité disciplinaire d’établir l’allégation selon la prépondérance des probabilités. En pratique, cela signifie que je dois déterminer si l’autorité disciplinaire a trouvé qu’il est probable que le gendarme Fulcher a enfreint l’article 7.1 du Code de déontologie de la GRC.

Décision relative à l’allégation

[38] Le critère d’une conduite déshonorante selon le paragraphe 7.1 du Code de déontologie est que l’autorité disciplinaire arrive à prouver ce qui suit selon la prépondérance des probabilités :

  1. les gestes qui constituent le comportement allégué;
  2. l’identité du membre qui a commis les gestes visés par les allégations;
  3. le fait que le comportement du membre est susceptible de jeter le discrédit sur la GRC;
  4. le fait que le comportement est suffisamment lié aux devoirs et fonctions du membre pour donner à la GRC un intérêt légitime à le discipliner.

Est-ce que les gestes sont prouvés?

[39] Le gendarme Fulcher reconnait avoir commis le geste allégué, mais apporte les commentaires suivants en ce qui a trait à certains détails :

[…] Le membre visé admet qu’il se tenait nu dans le salon de sa résidence de [XXXX] le 29 septembre 2018. Il admet que les rideaux étaient ouverts et qu’une lumière était allumée, le rendant ainsi visible à partir de la rue. Il affirme que les passantes étaient à environ 30 mètres de sa fenêtre. Le membre nie s’être masturbé, mais admet que sa main a peut-être touché son pénis. […]

[40] Je reçois l’explication du gendarme Fulcher, mais je souligne qu’elle touche le récit des détails et non les questions de fond. Mon examen des documents au dossier, y compris l’admission du gendarme Fulcher, m’amène donc à déterminer que les gestes décrits dans les détails sont établis.

Est-ce que l’identité du membre a été bien établie?

[41] De la même façon, compte tenu de l’aveu du gendarme Fulcher et de mon examen des documents au dossier, je conclus que l’identité du membre est établie et qu’il s’agissait bien du gendarme Fulcher.

Est-ce que la conduite du gendarme Fulcher était déshonorante?

[42] L’inviolabilité du domicile d’une personne est ancrée dans nos divers systèmes juridiques et fait partie intégrante des droits et libertés des Canadiens, comme l’établit la Charte canadienne des droits et libertés. [1] Cette inviolabilité est toutefois un droit contestable. Il peut être restreint, par exemple, dans les cas où l’occupant se livre à des activités qui peuvent avoir des conséquences sur les gens à l’extérieur du domicile. Le cas présent en est un exemple. Le fait que des accusations criminelles ont été portées contre le gendarme Fulcher pour avoir commis un geste indécent, même si les accusations ont par la suite été retirées, prouve que ses activités ont affecté des gens à l’extérieur de son domicile.

[43] Il n’est pas surprenant que la conduite du gendarme Fulcher ait été alarmante pour les témoins. Il était nu devant une grande fenêtre, dans une pièce éclairée, pendant qu’il faisait nuit dehors. Il était prévisible qu’il puisse être vu et que son motif pour agir de la sorte éveille des doutes. C’est sans mentionner le fait que la fenêtre est proche de la rue et qu’une école primaire se trouve non loin de chez lui.

[44] En tant que membre de la GRC, le gendarme Fulcher aurait dû prévoir les conséquences de ce comportement et il ne peut pas être dispensé de ses responsabilités simplement parce qu’il se trouvait dans sa propre résidence. Je suis d’avis qu’une personne raisonnable dans la société, connaissant toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités du travail policier en général et celles de la GRC en particulier, considérerait ses agissements comme étant susceptibles de jeter le discrédit sur la Gendarmerie.

Est-ce que la conduite du gendarme Fulcher est suffisamment liée à ses devoirs et fonctions pour que la GRC ait un intérêt légitime à prendre des mesures disciplinaires à son endroit?

[45] À la page 21 du Code de déontologie annoté, le commentaire suivant a été apporté à l’article 7.1 :

En tant que membre de la GRC, le policier, qu’il soit de service ou non, se doit de songer à l’incidence de ses actes et de son comportement sur sa capacité de préserver sa crédibilité et la confiance du public. Ces deux éléments sont nécessaires pour exécuter efficacement les fonctions relatives au maintien de l’ordre. Étant donnée la nature de vos responsabilités, tout comportement criminel serait considéré comme déshonorant. […]

[46] Le gendarme Fulcher n’était pas en service au moment de l’incident. Toutefois, il a agi d’une façon qui a poussé des membres du public à appeler la police, ce qui a entraîné une intervention des policiers et qui a justifié la tenue d’enquête en application du Code de déontologie. En tant que membre de la GRC, il est appelé à intervenir et à enquêter sur des situations du même type.

[47] De plus, quand des membres de la GRC ont entrepris les premières enquêtes, le gendarme Fulcher s’est identifié en tant que membre de la GRC lui-même. J’estime donc que la conduite du gendarme Fulcher est suffisamment liée à ses devoirs et fonctions pour que la GRC ait un intérêt légitime à prendre des mesures disciplinaires à son endroit

Conclusion

[48] Pour toutes les raisons susmentionnées, je conclus que le gendarme Fulcher s’est exhibé à la vue des membres du public et a touché son pénis, pendant une durée de temps qui pourrait avoir été brève ou non. J’estime que ses gestes jettent le discrédit sur la GRC et que sa conduite est suffisamment liée à ses devoirs et fonctions pour que la GRC ait un intérêt légitime à prendre des mesures disciplinaires à son endroit. Je conclus donc que sa conduite était déshonorante et que l’allégation est prouvée selon la prépondérance des probabilités.

MESURES DISCIPLINAIRES

[49] Ayant déterminé que l’allégation est fondée, je dois maintenant, aux termes de l’alinéa 36.2e) de la Loi sur la GRC, imposer des mesures disciplinaires « adaptées à la nature et aux circonstances des contraventions aux dispositions du code de déontologie et, s’il y a lieu, des mesures éducatives et correctives plutôt que punitives ».

[50] Le représentant du membre visé et la représentante de l’autorité disciplinaire proposent conjointement les mesures disciplinaires suivantes : la confiscation de 10 jours (80 heures) de solde et la suppression de 10 jours (80 heures) de congé, conformément aux alinéas 5(1)(i) et 5(1)(j) du CC (déontologie).

Observations de la représentante de l’autorité disciplinaire

[51] La représentante de l’autorité disciplinaire fait remarquer que les exemples d’inconduite sexuelle qui figurent dans le Guide des mesures disciplinaires sont très différents du cas présent, mais elle fait valoir que les cas d’inconduite sexuelle entraînent généralement des mesures disciplinaires sévères, allant jusqu’au congédiement.

[52] La représentante de l’autorité disciplinaire s’est également opposée à certains des facteurs atténuants offerts par le représentant du membre visé. Elle estime que l’admission des responsabilités du gendarme Fulcher ne devrait pas être un facteur, car elle est survenue plus de deux ans après l’incident.

[53] Elle estime également que le diagnostic de trouble de stress post•traumatique (TSPT) ne devrait pas être un facteur, car rien ne prouve un lien entre le TSPT et l’inconduite. Autrement dit, rien ne vient démontrer que le TSPT a été un facteur menant à l’inconduite.

[54] De plus, elle affirme que le diagnostic ou l’opinion du docteur B. sur le récidivisme ne devrait pas non plus être un facteur, car la procédure pour établir que le docteur est un expert à ce sujet n’a pas été suivie.

Observations du représentant du membre visé

[55] Le représentant du membre visé a fait valoir que le gendarme Fulcher avait eu une excellente carrière à la GRC avant cet incident. Il avait acquis des compétences dans l’utilisation de diverses techniques d’enquête qui sont un atout pour la GRC et avait dirigé une équipe qui avait enquêté sur diverses cibles impliquées dans le crime grave et organisé.

[56] Il a également affirmé que les évaluations de rendement du gendarme Fulcher démontrent une volonté exceptionnelle de faire plus que ce qui est attendu, et soulignent qu’il a été félicité plus d’une fois pour ses heures supplémentaires volontaires ainsi que pour sa volonté d’assumer des tâches supplémentaires pour assurer le succès de l’équipe.

[57] De plus, le représentant du membre visé a affirmé que les circonstances entourant cette inconduite étaient inhabituelles. Rien de tel ne s’était produit auparavant dans la vie de l’agent Fulcher et aucun autre problème n’a été soulevé depuis plus de deux ans. Le gendarme Fulcher continue de voir son psychologue et a pris des mesures importantes pour s’assurer que cela ne se reproduise jamais.

Décision au sujet des mesures disciplinaires

[58] Lorsque des mesures disciplinaires sont proposées conjointement, le Comité de déontologie ne peut les refuser que dans des circonstances très précises.

[59] En général, les cours de justice et les tribunaux administratifs comme celui-ci ne refusent pas les ententes conclues entre les parties, à moins que l’entente aille à l’encontre de l’intérêt public. Le critère de l’intérêt public a un seuil très élevé. En 2016, dans l’arrêt R. c. Anthony- Cook, 2016 CSC 43, la Cour suprême du Canada a reconnu la valeur des discussions de conciliation et a déclaré qu’on ne doit pas rejeter trop facilement une recommandation conjointe.

[60] Le critère de l’intérêt public a également été appliqué dans le contexte de la discipline professionnelle dans l’arrêt Rault c. Law Society (Saskatchewan), 2009 SKCA 81 (Canlii) [Rault], et par le commissaire de la GRC dans la l’arrêt (2018) 18 AD (4th) 270.

[61] Selon l’arrêt Rault, un comité de déontologie est tenu d’examiner sérieusement une recommandation conjointe à moins qu’elle soit inadéquate, déraisonnable ou contraire à l’intérêt public. En outre, lorsqu’il s’écarte d’une recommandation conjointe, un comité de déontologie doit également donner des raisons convaincantes afin d’expliquer pourquoi la recommandation n’est pas appropriée.

[62] Pour déterminer si les mesures disciplinaires proposées par les parties sont contraires à l’intérêt public, je dois déterminer l’étendue des mesures possibles. Il est important de préciser que le congédiement est la sanction la plus grave qui puisse être imposée dans un processus disciplinaire comme celui-ci.

[63] Dans ses observations, la représentante de l’autorité disciplinaire a indiqué qu’elle avait examiné les cas de discipline liés à l’outrage à la pudeur contre un membre du public en vertu de l’ancienne et de l’actuelle Loi sur la GRC, mais qu’elle n’avait trouvé aucun cas similaire qui pourrait m’aider à établir l’étendue des mesures appropriées.

[64] De même, le Guide des mesures disciplinaires ne traite pas précisément d’inconduites comme celle commise par le gendarme Fulcher. Toutefois, je note qu’à la page 59, une conduite déshonorante liée à une allégation d’activité sexuelle en service (relation préexistante) implique que le fait de s’adonner à cette activité avec la possibilité d’être pris sur le fait en uniforme constitue une circonstance aggravante et suggère des mesures de l’ordre de 16 à 30 jours de confiscation de la solde.

[65] L’étendue des mesures pour cette inconduite suggère des mesures comprises entre 11 et 15 jours de confiscation de la solde.

[66] Bien qu’il ne fasse aucun doute que le comportement noté dans le Guide des mesures disciplinaires est beaucoup plus grave que ce qui a été établi dans le cas du gendarme Fulcher, je pense que le Guide est tout de même utile, car il fournit une limite supérieure pour les mesures disciplinaires qui pourraient raisonnablement être imposées contre lui. À ce titre, je conclus que la gamme des mesures disciplinaires est une confiscation du solde pour une période allant de 11 à 30 jours.

Facteurs aggravants

[67] J’ai examiné les facteurs présentés par les parties et je conclus que les éléments suivants sont en effet des facteurs aggravants :

  1. Des membres du public étaient impliqués, y compris deux mineures.
  2. Le domicile du gendarme Fulcher est situé près d’une école primaire.
  3. Les actes du gendarme Fulcher ont poussé quelqu’un à appeler la police.
  4. Les actes du gendarme Fulcher ont attiré l’attention des médias.

Facteurs atténuants

[68] Je retiens les facteurs atténuants suivants :

  1. Bien que la valeur de l’aveu du gendarme Fulcher soit réduite parce qu’il est arrivé tardivement, cet aveu a permis d’éviter la tenue d’une audience contestée.
  2. Le gendarme Fulcher a exprimé des remords pour ses actes.
  3. La gendarme Fulcher n’a aucun antécédent disciplinaire.
  4. L’agent Fulcher a de bons antécédents professionnels et a toujours été reconnu pour son esprit d’équipe.
  5. Il s’agissait d’une erreur de jugement momentanée de l’agent Fulcher due, en partie, à un manque de sommeil.
  6. Dans une lettre de recommandation, le superviseur actuel du gendarme Fulcher, le sergent intérimaire C.P., donnait des commentaires positifs sur le rendement de l’agent Fulcher et exprimait son souhait qu’il retourne en service actif.
  7. L’absence d’intention malveillante a été proposée et, bien que j’estime qu’il était quelque peu prévisible que le gendarme Fulcher soit observé par des individus à l’extérieur de son domicile, j’accorderai un certain poids à ce facteur. Ceci est uniquement basé sur ma présomption que, s’il y avait eu une telle intention, cette affaire aurait été résolue d’une autre manière.
  8. Le gendarme Fulcher a pris des mesures pour éviter que cet événement se reproduise.

[69] Le gendarme Fulcher a proposé que son diagnostic de TSPT, survenu plus tard comme en témoigne la lettre du docteur B., ainsi que l’opinion du docteur B. concernant le risque de récidive du gendarme Fulcher, soient considérés comme des facteurs atténuants. Bien que je considère que le fait qu’il s’occupe de sa santé mentale constitue une étape positive pour le gendarme Fulcher, je n’ai pas retenu sa demande concernant son état de santé ou le risque de récidive. En plus du fait que le docteur B. n’a pas été dûment qualifié en tant qu’expert (ce qui peut avoir été le résultat de la résolution de cette question par une soumission conjointe), il y a l’absence d’un lien de causalité dans le rapport.

[70] En outre, et plus troublant encore, les faits sur lesquels le docteur B. s’est appuyé ne sont pas exacts. À la page 3 de la lettre du docteur B. datée du 12 novembre 2020, le premier paragraphe associé au sujet de « l’historique juridique », le docteur B. a déclaré ce qui suit :

[Le gendarme Fulcher] rapporte qu’il a été en arrêt de travail pendant environ un an après que deux adolescentes aient prétendument confondu l’endroit où elles ont vu un homme de [XXXX] se toucher devant la fenêtre d’un salon alors que les filles passaient devant. Bien que les déclarations des témoins soient contradictoires et décrivent une personne qui ne correspond pas à la description de [le gendarme Fulcher], la Couronne a porté des accusations, peut-être simplement parce qu’il est un gendarme.

[71] On peut raisonnablement déduire qu’au moment où le docteur B. a écrit sa lettre, le gendarme Fulcher lui avait représenté qu’il n’avait pas commis les actions alléguées, ce qui est en contradiction avec l’aveu que j’ai reçu.

[72] De plus, à la page 2 de sa lettre, bien qu’il reconnaisse son devoir d’aider le Comité de déontologie et de ne pas défendre les intérêts d’une partie, le docteur B. plaide en faveur du retour au travail du gendarme Fulcher.

[73] Par conséquent, je ne peux accorder que peu de poids au rapport du docteur B.

[74] Enfin, comme le montre la proposition conjointe sur les mesures disciplinaires, l’autorité disciplinaire ne demande plus le congédiement du gendarme Fulcher. Bien que cela ne soit pas expressément désigné comme un facteur atténuant, cela dénote la volonté de l’autorité disciplinaire de voir le gendarme Fulcher reprendre ses fonctions.

Conclusion

[75] Après avoir examiné les documents dont je dispose, la nature de l’inconduite ainsi que les facteurs atténuants et aggravants, je ne peux pas conclure que les mesures disciplinaires proposées vont à l’encontre de l’intérêt public. Ces mesures de conduite se situent dans la marge proposée et constituent une sanction considérable pour le gendarme Fulcher, ce qui indique clairement qu’il est tenu responsable de son comportement. De plus, je crois que ces mesures disciplinaires auront un effet dissuasif important, tant de façon spécifique que générale.

[76] Par conséquent, j’accepte la recommandation conjointe des parties et j’impose les mesures disciplinaires suivantes :

  1. Conformément à l’alinéa 5(1)(j) des CC (déontologie), une sanction pécuniaire de 10 jours (80 heures) de solde du gendarme Fulcher sera confisquée;
  2. Conformément à l’alinéa 5(1)(i) des CC (déontologie), 10 jours (80 heures) seront confisqués de la banque de congés annuels.

[77] Le gendarme Fulcher s’est vu offrir la possibilité de poursuivre sa carrière au sein de la GRC. Cependant, toute infraction subséquente au Code de déontologie sera évaluée de près par l’autorité disciplinaire appropriée et pourrait mener à son congédiement.

[78] J’ose espérer que, à l’avenir, il sera plus conscient de ce qui l’entoure et qu’il se comportera d’une manière conforme aux attentes du public à l’égard des membres de la GRC.

[79] Toute mesure disciplinaire provisoire en place devrait être réglée, conformément à l’article 23 du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (2014), DORS/2014281.

[80] L’une ou l’autre des parties peut faire appel de la présente décision en déposant une déclaration d’appel auprès du commissaire dans les 14 jours suivant la signification de la présente décision au membre visé, comme il est indiqué à l’article 45.11 de la Loi sur la GRC et à l’article 22 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014289.

 

 

2021-01-29

Inspecteur Colin Miller

Comité de déontologie

 

Ottawa (Ontario)

 



[1] Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, chap. 11.

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