Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

L’appelante, la commandante de la Division E, à titre d’autorité disciplinaire, interjette appel de la décision du comité de déontologie (le comité). L’intimé, un membre de la GRC, devait répondre de quatre allégations selon lesquelles il aurait contrevenu au code de déontologie de la GRC lors d’une fête de Noël organisée après les heures de travail par des membres de la veille de sa conjointe, qui est également membre de la GRC. L’intimé devait répondre de trois allégations de conduite déshonorante (article 7.1) et d’une allégation de harcèlement (article 2.1).
Les quatre allégations ont été établies. L’appelante a demandé le congédiement. En ce qui concerne l’allégation fondée sur l’article 2.1, le comité n’était pas convaincu que les actes de l’intimé constituaient du harcèlement. Le comité a plutôt conclu que le comportement était irrespectueux et discourtois. Pour les quatre allégations, le comité a imposé à l’intimé la confiscation de sa solde pour une période de 45 jours, ainsi qu’une ordonnance de mutation ou de réaffectation, et il a ordonné à l’intimé de poursuivre sa psychothérapie et de suivre le traitement recommandé par le médecin-chef.
En appel, l’appelante a soutenu que le comité avait commis une erreur de droit en ne concluant pas que le comportement de l’intimé correspondait à du harcèlement sexuel. Elle a également contesté les mesures disciplinaires en insistant pour dire que le comité aurait dû examiner les allégations de façon globale et que, s’il l’avait fait, il aurait conclu que le congédiement constituait la sanction appropriée.
L’appel a été renvoyé au Comité externe d’examen de la GRC (le CEE) pour qu’il l’examine. Le CEE a conclu que le comportement de l’intimé correspondait à du harcèlement sexuel. Le CEE a conclu que les mesures disciplinaires imposées par le comité relativement à l’allégation fondée sur l’article 2.1 étaient manifestement déraisonnables, et il a recommandé une confiscation de la solde pour 20 jours plutôt que 5 jours.
La commissaire a accepté les conclusions et la recommandation du CEE et a accueilli l’appel en partie.

Contenu de la décision

Protégé A

Dossier : 20173351282 (C-042)

2021 DAD 05

Logo de la Gendarmerie royale du Canada

DANS L’AFFAIRE CONCERNANT

un appel interjeté au titre du paragraphe 45.11(1) de la

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R-10

Entre :

la commandante de la Division E

Gendarmerie royale du Canada

(appelante)

et

le gendarme Benjamin Caram

Matricule 51805

(intimé)

(Parties)

Décision de la commissaire

Gendarmerie royale du Canada

2021


Table des matières

RÉSUMÉ 2

INTRODUCTION 3

CONTEXTE 4

PROCÉDURE DISCIPLINAIRE 5

PROCÉDURE D’APPEL 47

Observations en appel de l’appelante 47

Observations en appel de l’intimé 48

Observations en réplique de l’appelante 49

COMITÉ EXTERNE D’EXAMEN 49

DÉCISION DE LA COMMISSAIRE 50

Questions préliminaires 50

Le dépôt en temps opportun 50

Le cadre législatif et la norme de contrôle 51

Le fond de l’appel 54

a) Le comité a-t-il commis une erreur de droit en ne concluant pas que la conduite de l’intimé décrite à la troisième allégation constituait du harcèlement sexuel? 54

b) Les mesures disciplinaires imposées par le comité étaient-elles manifestement déraisonnables? 60

Analyse 64

DISPOSITIF 76

RÉSUMÉ

L’appelante, la commandante de la Division E, à titre d’autorité disciplinaire, interjette appel de la décision du comité de déontologie (le comité). L’intimé, un membre de la GRC, devait répondre de quatre allégations selon lesquelles il aurait contrevenu au code de déontologie de la GRC lors d’une fête de Noël organisée après les heures de travail par des membres de la veille de sa conjointe, qui est également membre de la GRC. L’intimé devait répondre de trois allégations de conduite déshonorante (article 7.1) et d’une allégation de harcèlement (article 2.1).

Les quatre allégations ont été établies. L’appelante a demandé le congédiement. En ce qui concerne l’allégation fondée sur l’article 2.1, le comité n’était pas convaincu que les actes de l’intimé constituaient du harcèlement. Le comité a plutôt conclu que le comportement était irrespectueux et discourtois. Pour les quatre allégations, le comité a imposé à l’intimé la confiscation de sa solde pour une période de 45 jours, ainsi qu’une ordonnance de mutation ou de réaffectation, et il a ordonné à l’intimé de poursuivre sa psychothérapie et de suivre le traitement recommandé par le médecin-chef.

En appel, l’appelante a soutenu que le comité avait commis une erreur de droit en ne concluant pas que le comportement de l’intimé correspondait à du harcèlement sexuel. Elle a également contesté les mesures disciplinaires en insistant pour dire que le comité aurait dû examiner les allégations de façon globale et que, s’il l’avait fait, il aurait conclu que le congédiement constituait la sanction appropriée.

L’appel a été renvoyé au Comité externe d’examen de la GRC (le CEE) pour qu’il l’examine. Le CEE a conclu que le comportement de l’intimé correspondait à du harcèlement sexuel. Le CEE a conclu que les mesures disciplinaires imposées par le comité relativement à l’allégation fondée sur l’article 2.1 étaient manifestement déraisonnables, et il a recommandé une confiscation de la solde pour 20 jours plutôt que 5 jours.

La commissaire a accepté les conclusions et la recommandation du CEE et a accueilli l’appel en partie.

INTRODUCTION

[1] La commandante de la Division E, à titre d’autorité disciplinaire (l’appelante), interjette appel de la décision du comité de déontologie de la GRC (le comité) et des mesures disciplinaires imposées par celui-ci. Le comité a conclu que les quatre allégations selon lesquelles le gendarme (le gend.) Benjamin Caram, matricule 51805 (l’intimé), a contrevenu au code de déontologie de la GRC (le code) (énoncé dans le Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (2014), DORS/2014-281) ont été établies. En vertu de l’alinéa 45(4)c) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R-10, le comité a imposé la confiscation de la solde pour une période de 45 jours ainsi que des mesures supplémentaires. L’appelante a fait valoir que le comité a commis une erreur de droit dans ses conclusions et que les mesures disciplinaires étaient manifestement déraisonnables.

[2] La procédure d’appel relative à ce genre de décisions est régie par le paragraphe 45.11(1) de la Loi, qui permet d’interjeter appel d’une décision rendue par un comité de déontologie devant le commissaire. Conformément au paragraphe 45.11(1) de la Loi, l’appel a été renvoyé au Comité externe d’examen de la GRC (le CEE) pour qu’il l’examine. Dans le document C-042 renfermant les conclusions et les recommandations du CCE, daté du 8 octobre 2020 (le rapport), le président du CEE, M. Charles Randall Smith, a recommandé que l’appel soit accueilli en partie.

[3] En rendant la présente décision, j’ai tenu compte du dossier dans son ensemble, y compris la documentation dont disposait le comité (la documentation) et les documents relatifs à l’appel (l’appel) préparés par le Bureau de la coordination des griefs et des appels (le BCGA). Les références à la documentation et à l’appel renvoient à la pagination électronique des documents correspondants. Les références au rapport et à la décision écrite du comité (la décision) renvoient au numéro de paragraphe correspondant.

[4] Je m’excuse sincèrement auprès des parties pour tout retard attribuable à la GRC dans le processus de règlement du présent appel.

[5] Pour les motifs qui suivent, je souscris aux recommandations du CEE, j’accueille l’appel en partie et je confirme la décision du comité pour le reste.

CONTEXTE

[6] À l’instar du CEE, j’estime que le comité a le mieux décrit le contexte factuel de l’affaire (décision, p. 4) :

Le membre visé devait répondre de trois allégations de conduite déshonorante et d’une allégation de comportement discourtois et harcelant. Il s’est présenté en compagnie de sa conjointe à une fête de Noël que des collègues à elle avaient organisée. Le membre visé s’est fortement enivré. Il a passé le bras autour du cou de la gendarme A et, sans son consentement et par-dessus son vêtement, a brièvement joué avec son mamelon. Sur le coup, l’incident a fait rire. Plus tard, le membre visé a enlacé la gendarme A par derrière et fait glisser ses mains, toujours par-dessus ses vêtements, de son ventre à son pubis. La gendarme B l’a vu faire et a dit au membre visé de s’éloigner. La gendarme A n’avait pas consenti à cet attouchement, en a été surprise, mais n’en a pas gardé le souvenir parce qu’elle-même avait bu beaucoup d’alcool. Plus tard, le membre visé a touché les pommettes d’une autre invitée, la gendarme C, avec son consentement. Il a ensuite fait des gestes avec les doigts d’une main, gestes que la gendarme C n’a pas compris. Quand elle lui a demandé ce que ces gestes signifiaient, le membre visé a expliqué en termes crus qu’il voulait insérer ses doigts dans son vagin. Plus tard, le membre visé a passé le bras autour du cou de la gendarme C, qui était ivre et n’a pas consenti, et a effleuré son mamelon des doigts environ trois fois, par-dessus ses vêtements. La gendarme B l’a vu faire et l’a poussé. Une accusation criminelle d’agression sexuelle a été déposée contre le membre visé pour ses attouchements sur la gendarme C, qui a finalement été réglée au programme des mesures de rechange.

PROCÉDURE DISCIPLINAIRE

[7] Le CEE a décrit en détail la procédure disciplinaire (rapport, par. 7-32) :

[TRADUCTION]

[7] Une enquête a été réalisée concernant les gestes posés par l’intimé en contravention du code de déontologie. L’intimé a également été accusé d’un chef d’agression sexuelle, une infraction visée par le Code criminel du Canada. À mon avis, il n’est pas nécessaire d’élaborer davantage en ce qui a trait aux documents clés tels que l’avis d’audience disciplinaire, puisque ceux-ci ne sont pas contestés.

A. Allégations relatives aux code de déontologie et énoncés détaillés des faits

[8] Les allégations et les énoncés détaillés des faits ont été cités dans la décision faisant l’objet de l’appel (appel, p. 22-24) :

Allégation 1

Entre le 28 novembre 2015 et le 29 novembre 2015 inclusivement, à Nanaïmo ou dans les environs, dans la province de la Colombie-Britannique, [le membre visé] s’est comporté d’une manière déshonorante, contrevenant ainsi à l’art. 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé des faits

1. Pendant toute la période en cause, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et affecté au Détachement de Nanaïmo, en Colombie-Britannique, dans la Division E.

2. Entre le 28 novembre 2015 et le 29 novembre 2015, alors que vous n’étiez pas de service, vous vous êtes présenté à une fête de Noël organisée par les membres de la veille D du Détachement de Nanaïmo de la GRC, à une résidence privée.

3. À un moment donné pendant la soirée, vous êtes descendu et avez pris place à côté de la gendarme [A] qui regardait des invités jouer au billard. Vous avez passé le bras autour de son cou et avez mis la main par-dessus ses vêtements sur son sein gauche.

4. Vous avez touché son sein gauche et joué avec son mamelon pendant environ cinq secondes.

5. À ce moment-là, la gendarme [A] était ivre, elle n’avait pas consenti à ce que vous la touchiez et n’aurait pas pu le faire.

6. Vos gestes constituaient un attouchement sexuel non désiré et ils ont été posés ouvertement, à proximité d’autres invités.

Allégation 2

Entre le 28 novembre 2015 et le 29 novembre 2015 inclusivement, à Nanaïmo ou dans les environs, dans la province de la Colombie-Britannique, [le membre visé] s’est comporté d’une manière déshonorante, contrevenant ainsi à l’art. 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé des faits

1. Pendant toute la période en cause, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et affecté au Détachement de Nanaïmo, en Colombie-Britannique, dans la Division E.

2. Entre le 28 novembre 2015 et le 29 novembre 2015, alors que vous n’étiez pas de service, vous vous êtes présenté à une fête de Noël organisée par les membres de la veille D du Détachement de Nanaïmo de la GRC, à une résidence privée.

3. À un moment donné pendant la soirée, vous vous êtes approché par derrière de la gendarme [A] qui était debout sur le balcon, vous avez passé vos bras autour de sa taille et avez lentement fait glissé vos deux mains par-dessus ses vêtements, de manière sensuelle, jusqu’à son pubis.

4. À ce moment-là, la gendarme [A] était ivre, elle n’avait pas consenti à ce que vous la touchiez et n’aurait pas pu le faire.

5. La gendarme [A] a été surprise de sentir vos mains sur son pubis.

6. La gendarme [B] est intervenue et vous a sommé de laisser la gendarme [A] tranquille et de rentrer à l’intérieur.

7. Vos gestes constituaient un attouchement sexuel non désiré.

Allégation 3

Entre le 28 novembre 2015 et le 29 novembre 2015 inclusivement, à Nanaïmo ou dans les environs, dans la province de la Colombie-Britannique, [le membre visé] a tenu des propos offensants et s’est livré à du harcèlement, contrevenant ainsi à l’art. 2.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé des faits

1. Pendant toute la période en cause, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et affecté au Détachement de Nanaïmo, en Colombie-Britannique, dans la Division E.

2. Entre le 28 novembre 2015 et le 29 novembre 2015, alors que vous n’étiez pas de service, vous vous êtes présenté à une fête de Noël organisée par les membres de la veille D du Détachement de Nanaïmo de la GRC, à une résidence privée.

3. Vous vous êtes approché de la gendarme [C] en-bas, près du bar, et avez approché vos mains dans son visage, la complimentant sur ses pommettes. Vous lui avez demandé si vous pouviez toucher son visage et elle vous a laissé faire parce qu’elle n’y voyait rien de mal.

4. Vous avez ensuite retiré les mains de son visage, avez fait un geste avec les mains en tenant vos doigts serrés les uns contre les autres et lui avez dit que vous vouliez la « fister » et que vous vouliez les lui « rentrer au fond du vagin juste là » ou des propos à cet effet.

5. La gendarme [C] a dit « non » et s’est immédiatement éloignée de vous.

6. Vos gestes et propos offensants ont choqué la gendarme [C].

Allégation 4

Entre le 28 novembre 2015 et le 29 novembre 2015 inclusivement, à Nanaïmo ou dans les environs, dans la province de la Colombie-Britannique, [le membre visé] s’est comporté d’une manière déshonorante, contrevenant ainsi à l’art. 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé des faits

1. Pendant toute la période en cause, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et affecté au Détachement de Nanaïmo, en Colombie-Britannique, dans la Division E.

2. Entre le 28 novembre 2015 et le 29 novembre 2015, alors que vous n’étiez pas de service, vous vous êtes présenté à une fête de Noël organisée par les membres de la veille D du Détachement de Nanaïmo de la GRC, à une résidence privée.

3. À un moment donné pendant la soirée, vous avez suivi la gendarme [C] en- bas et avez passé le bras autour d’elle.

4. Vous avez laissé tomber votre main du côté gauche de son corps, par-dessus ses vêtements, et avez frotté son sein gauche de la main dans un mouvement de haut en bas, environ trois fois.

5. Vos gestes ont choqué la gendarme [C] et elle vous a demandé de partir, mais vous êtes resté et avez continué de toucher les cheveux de la gendarme [C].

6. La gendarme [B] est intervenue, vous a dit de partir et vous a poussé pour vous éloigner de la gendarme [C].

7. Vos gestes constituaient un attouchement sexuel non désiré.

B. Décision faisant l’objet de l’appel

[9] Le comité a rendu une décision, qui a par la suite été corrigée. La décision à laquelle je fais référence tout au long du présent rapport est intitulée « Décision du comité de déontologie (« CORRECTED »), John A. McKinlay, [l]e 10 novembre 2017 » (appel, p. 7-51).

[10] Les conclusions de fait générales qui n’ont pas été contestées sont résumées à partir des renseignements énoncés dans la décision (appel, p. 25-31) :

a. Au moment des faits, l’intimé était affecté à la Division E, à la veille C, en C.-B.;

b. L’horaire de travail régulier de l’intimé consistait en deux quarts de 12 heures de jour, suivis de deux quarts de 11 heures de nuit. Il a fait des quarts de jour les 24 et 25 novembre 2015, puis des quarts de nuit les 26 et 27 novembre 2015. Le 28 novembre 2015, il est rentré à la maison entre 6 h 30 et 7 h, après avoir terminé son quart à 6 h;

c. L’intimé a seulement dormi trois heures le 28 novembre et a peu mangé étant donné qu’il savait que beaucoup de nourriture serait servie à la fête de Noël où il se rendait. Sa conjointe est une gendarme de la veille D et ils allaient ensemble à la fête;

d. L’intimé et son épouse, alors qu’ils n’étaient pas en service, se sont présentés à la fête dans une résidence privée;

e. L’intimé n’a pas bu d’alcool avant de partir à la fête. Il a apporté quatre bières;

f. L’intimé a commencé à boire une de ses bières en arrivant à la fête. Il se souvient d’avoir bu d’autres boissons alcoolisées qu’il n’avait pas apportées de chez lui, notamment deux [TRADUCTION] « shooters de Jello » et deux shooters. Il se souvient d’avoir bu un autre shooter qu’un membre avait préparé pour lui;

g. À partir de ce moment-là, les souvenirs de l’intimé sont devenus vagues. Il se souvient de bribes de conversations et de visages, ainsi que d’avoir continué à boire, puis il ne se souvient plus de rien;

h. Le matin du 29 novembre, l’intimé s’est réveillé chez lui dans une chambre d’amis. Il était tout habillé et avait encore ses chaussures aux pieds;

i. Le comité a conclu que l’intimé s’était fortement enivré à la fête. L’intimé a admis les quatre allégations et la majeure partie de l’énoncé détaillé des faits figurant dans l’avis d’audience disciplinaire du 30 septembre 2016. À un moment donné, le membre visé a perdu la carte, et il ne se souvient plus des événements qui se sont produits au cours de la soirée;

j. La gend. A et la gend. C étaient des membres de la veille D et se trouvaient à la fête avec leurs conjoints respectifs. L’intimé avait déjà travaillé avec la gend. A, et sa conjointe et lui étaient des amis de longue date de la gend. A et de son conjoint;

k. La gend. A est devenue intoxiquée à un moment donné pendant la fête;

l. D’autre convives ont affirmé que l’intimé était ivre ou très ivre;

m. L’intimé connaissait peu la gend. C à ce moment-là. La gend. C a remarqué qu’il était passablement ivre.

Allégation 1

[11] Au sujet de la première allégation, le comité a conclu ce qui suit :

a. La gend. A était intoxiquée;

b. Selon la gend. B, la gend. A et l’intimé parlaient de sexe, d’abord à la blague;

c. L’intimé a mis son bras autour des épaules de la gend. A, qui a ri. Puis, il a mis sa main par-dessus ses vêtements sur son sein gauche et a joué avec son mamelon pendant environ cinq secondes;

d. La gend. A a fait des blagues et elle en a ri avec l’intimé;

e. La gend. A n’a pas consenti aux attouchements de l’intimé et, en raison de son degré d’intoxication, elle n’avait peut-être pas la capacité de consentir à ce que l’intimé touche son sein comme il l’a fait;

f. L’intimé a arrêté de toucher la gend. A sans que cela lui ait été demandé;

g. La gend. B a vu ce qu’a fait l’intimé;

h. Les gestes de l’intimé constituaient un attouchement sexuel non désiré et ils ont été posés ouvertement, à proximité d’autres invités.

Allégation 2

[12] En ce qui a trait à cette allégation, le comité a conclu ce qui suit :

a. Plus tard en soirée, l’intimé s’est approché de la gend. A, qui se trouvait dehors sur le balcon, penchée par-dessus la rambarde;

b. L’intimé a enroulé ses bras autour de la taille de la gend. A dans un geste qui a d’abord passé pour un câlin. Il riait;

c. Ayant ses mains à la taille de la gend. A, l’intimé a commencé à les laisser glisser par-dessus ses vêtements, de manière sensuelle, jusqu’à son pubis;

d. D’autres convives ont entendu la gend. A dire [TRADUCTION] « qu’est- ce que tu fous? » ou quelque chose du genre;

e. L’intimé a arrêté ce qu’il faisait;

f. Ses mains sont demeurées par-dessus les vêtements de la gend. A en tout temps;

g. La gend. A n’a pas consenti à ces attouchements;

h. La gend. B a été témoin de l’incident et elle est intervenue pour ordonner à l’intimé de laisser la gend. A tranquille et de rentrer dans la maison de leur hôte;

i. Les gestes de l’intimé constituaient un attouchement sexuel non désiré;

j. La gend. A ne se rappelait pas de l’incident lorsqu’elle a été interrogée par l’enquêteur chargé de l’enquête relative au code de déontologie;

k. Dans sa lettre du 5 décembre 2016, la gend. A a indiqué se rappeler que l’intimé était sorti sur le balcon, qu’il avait mis ses bras autour d’elle, et que la gend. A lui avait dit de la laisser tranquille;

l. Lorsque la gend. B a dit à la gend. A ce qui s’était passé, celle-ci n’était pas choquée, elle ne sentait pas qu’elle avait été victime d’une agression, mais elle considérait que ce comportement était déplacé.

Allégation 3

[13] Les conclusions de fait tirées par le comité sont les suivantes (il convient de noter que cet incident s’est déroulé après les événements qui ont mené à la première et à la deuxième allégation) :

a. L’intimé s’est approché de la gend. C en bas, près du bar, et il a approché ses mains de son visage en la complimentant sur ses pommettes;

b. L’intimé a demandé à la gend. C s’il pouvait toucher ses pommettes, et elle a répondu qu’il pouvait le faire;

c. Rien ne donne à penser que ce comportement constituait une conduite déshonorante;

d. L’intimé a ensuite retiré ses mains du visage de la gend. C et il a fait un geste avec ses mains, en tenant tous ses doigts collés ensemble. Elle a ri et lui a demandé quelque chose du genre : [TRADUCTION] « Qu’est-ce que ça veut dire? » Le membre visé lui a alors dit qu’il voulait la « fister », les lui « rentrer au fond du vagin juste là » ou des propos à cet effet;

e. La gend. C a dit [TRADUCTION] « non » et elle s’est immédiatement éloignée de l’intimé;

f. Le comité a ajouté ce qui suit : « Je ne suis pas convaincu que le membre visé est resté et a continué à toucher les cheveux de la gend. C, comme il est dit au point 5 de l’énoncé détaillé, puisqu’il aurait été plus probable de voir le membre visé toucher les cheveux de la gend. C plus tôt, lors de l’interaction concernant les pommettes, avant que le membre visé fasse son geste et tienne ses propos déplacés »;

g. Par la suite, le comité a énoncé que « [l]es gestes et propos offensants du membre visé ont choqué la gendarme [C] ».

Allégation 4

[14] En ce qui a trait à la quatrième allégation, le comité a tiré les conclusions de fait suivantes :

a. Peu de temps après, l’intimé a suivi la gend. C, qui était en bas, et il a placé son bras autour d’elle;

b. L’intimé a placé sa main du côté gauche du corps de la gend. C, par-dessus sa robe de coton, et il a frotté sa main de haut en bas sur son sein gauche très vite, environ trois fois;

c. Le comité a conclu que ces gestes ont choqué la gend. C;

d. La gend. C se souvient qu’il lui a frotté le sein sans le saisir comme tel;

e. La gend. B a encore observé les gestes de l’intimé et elle est intervenue en lui disant de remonter à l’étage.

C. Décision relative aux allégations

[15] Le comité a conclu que l’énoncé détaillé des faits était « suffisamment » prouvé selon la prépondérance des probabilités pour établir chacune des allégations (appel, p. 23). Il a conclu que la première, la deuxième et la quatrième allégation de contravention à l’article 7.1 du code de déontologie étaient établies.

[16] Comme nous le verrons plus loin, l’appelante conteste les conclusions et les mesures disciplinaires associées à la troisième allégation. Pour ce motif, je suis d’avis qu’il est crucial de citer la décision du comité relative à cette allégation (appel, p. 30-31) :

Pour ce qui est de l’allégation 3, je suis convaincu que l’énoncé détaillé est suffisamment prouvé selon la prépondérance des probabilités pour trouver établie une contravention à l’article 2.1 du code de déontologie qui dit ceci : « La conduite des membres envers toute personne est empreinte de respect et de courtoisie; ils ne font pas preuve de discrimination ou de harcèlement. »

Je conclus que le membre visé a fait les gestes et tenu les propos offensants décrits dans l’énoncé détaillé de l’allégation 3 et que la gend. C en a été choquée. Je considère que le membre visé a clairement manqué de respect et de courtoisie à l’égard de la gend. C. Toutefois, sur le plan du droit, je ne peux pas conclure que le comportement nettement offensant du membre visé constituait du harcèlement ou de la discrimination. Je reconnais pleinement qu’une conduite déplacée n’a pas à être tenue en milieu de travail ou durant les heures de travail, ou dans un événement commandité ou organisé par l’employeur pour constituer du harcèlement. Mais en l’occurrence, plusieurs facteurs, pris ensemble, m’amènent à conclure au comportement nettement discourtois et irrespectueux, mais pas au harcèlement. Les voici :

- la nature non officielle de la rencontre sociale, son cadre dans une résidence privée, en-dehors des heures de travail;

- le fait que le membre visé s’est présenté à la fête à titre de conjoint d’une membre de la veille D;

- l’absence de lien professionnel entre le membre visé et la gend. C, hormis qu’ils sont tous deux à l’emploi de la GRC;

- l’unique interaction irrespectueuse et discourtoise (et non, à ce moment, un comportement discourtois à répétition);

- le degré auquel l’interaction a dérangé la gend. C sur le coup.

Pour ces raisons, je conclus que le membre visé a contrevenu à l’article 2.1 du code de déontologie et que l’allégation 3 est établie.

PIÈCES SOUMISES À L’EXAMEN DU COMITÉ – AUDIENCE PORTANT SUR LES MESURES DISCIPLINAIRES

[17] À ce stade-ci, je crois qu’il serait utile d’énumérer, de décrire et parfois de reprendre textuellement les nombreux renseignements soumis à l’examen du comité. Ces documents sont notamment les suivants : i) des lettres de référence et de soutien; ii) des évaluations annuelles de la GRC et des documents similaires concernant l’intimé; iii) des évaluations et des rapports médicaux : un préparé par un psychologue (le Dr W) et l’autre par un psychiatre (le Dr O); iv) les déclarations des victimes, soit une par la gend. A et deux par la gend. C. Je suis également d’avis qu’il est très important de reproduire textuellement les deux lettres d’excuses adressées par l’intimé à la gend. A et à la gend. C.

1. Lettres de référence et de soutien

[18] À titre d’observation générale, il convient de dire que plusieurs lettres de soutien font l’éloge de l’intimé. Il est tout aussi important de mentionner les nombreuses déclarations selon lesquelles les gestes posés par l’intimé dans la nuit du 28 au 29 novembre 2015 ne lui ressemblent pas.

[19] À mon avis, en raison des conséquences que pourrait subir l’intimé en l’espèce, il est important pour la commissaire d’obtenir une appréciation exhaustive de la personnalité de l’intimé :

A. s.é.-m. J.V. B., s.-off. resp veille C (documentation, volume 4, page 1513)

[TRADUCTION]

Je suis d’avis que les allégations à l’égard du gend. Caram ne correspondent pas du tout à la personnalité de l’homme que je connais.

Au cours des trois dernières années et demie, j’ai eu le plaisir de superviser le gend. Ben Caram au sein de l’équipe des services généraux de la ville de [x]. Le gend. Caram a toujours fait preuve d’un grand sens des responsabilités et il est un pilier de notre veille et de la GRC. Quelles que soient les circonstances, le gend. Caram a placé les exigences de la Gendarmerie à l’avant-plan de son travail. Malgré les pressions constantes exercées sur l’équipe des services généraux, il a toujours servi le public et ses collègues comme il devait le faire. Le gend. Caram est de nature réservée et il ne cherche jamais l’admiration de ses pairs ou du public. Il s’exprime d’une façon claire et mène ses enquêtes efficacement et directement. Je n’ai jamais vu ou entendu le gend. Caram manquer de respect envers une membre de la GRC ou une femme en général, ou adopter un comportement inapproprié à l’égard de celles-ci. Le gend. Caram m’a toujours semblé honnête et coopératif, même lorsque cela le fait mal paraître. Par exemple, le gend. Caram a été appelé à intervenir dans un foyer de groupe où un garçon de 11 ans hors de contrôle brandissait un couperet à viande et menaçait les occupants. En arrivant sur place, le gend. Caram a essayé de calmer le garçon et il a utilisé une chaise, à la manière d’un dresseur de lions, pour le garder à une distance sécuritaire. Le gend. Caram a finalement réussi à faire tomber le garçon, qui a lâché son arme, mais celui-ci a refusé de rester par terre et a essayé de reprendre le couperet. Le gend. Caram a frappé le garçon (de la main), ce qui a mis fin à l’incident. Il m’a raconté ces événements en expliquant qu’il était mécontent d’en être venu à frapper le garçon, mais qu’il n’avait rien pu faire d’autre. Il a rempli les documents appropriés relatifs à l’incident et, bien que cela ait pu le rendre inconfortable, il a été félicité pour sa gestion de cette situation difficile.

En termes clairs, Ben est de ceux qui ne se plaignent jamais et il s’efforce de faire son travail du mieux qu’il peut, peu importe l’environnement qui l’entoure. Que nous manquions de personnel ou que nous soyons sous pression pour produire des résultats, Ben est des plus solides. J’ai dit par le passé que si un superviseur avait 20 membres comme Ben au sein de sa veille, celle-ci serait particulièrement efficace, solide et facile à superviser. Je serais très heureux d’avoir la chance de superviser le gend. Caram de nouveau.

B. serg. J. (documentation, volume 4, pages 1514-1515)

[TRADUCTION]

En 19 ans à la Gendarmerie, j’ai travaillé avec un grand nombre de membres vaillants et dévoués. Cependant, j’ai également travaillé avec plusieurs membres « égocentriques », y compris pendant près de deux ans à titre de partenaire des services généraux de [x], des employés à faible rendement qui sont libérés des unités avant ceux qui constituent un atout pour l’unité, y compris au moins un membre qui a invoqué être victime de

« harcèlement » pour être muté à un poste pour lequel il n’aurait pas été considéré autrement, ainsi qu’un membre qui a prétendu être victime de « harcèlement » et de racisme de la part d’un officier responsable après une tentative ratée d’obtenir une promotion. Ben a prouvé à maintes reprises qu’il fait partie des membres travaillants et dévoués, qui ne cherchent pas à obtenir des passe-droits. Ben a démontré cette capacité lorsque, à la suite des récentes allégations contre lui, il a respecté la requête provisoire de la gestion l’enjoignant à travailler dans un autre détachement. Considérant que la gestion était d’avis que Ben se battrait pour conserver son poste dès le départ, celui-ci a continué à se présenter au travail et à être le membre qu’il a toujours été. Lorsque j’ai rempli son rapport de rendement annuel pour 2015, j’ai communiqué avec les s.-off. responsables des deux endroits où Ben avait été assigné de façon temporaire, et j’ai reçu des rapports qui témoignaient de sa valeur en tant que membre. De plus, les deux s.-off. ont affirmé qu’ils auraient voulu le garder une fois les procédures le visant réglées, puisque TOUT le personnel l’aimait.

C. cap. K. C. (documentation, volume 4, page 1516)

[TRADUCTION]

Madame,

Monsieur,

Je suis actuellement caporal au sein de la veille C du détachement de [x] et superviseur routier d’un maximum de 15 membres lors de tout quart de travail donné. Je suis responsable des membres sur la route, de l’examen de leurs dossiers et de leur conduite, et des évaluations annuelles, entre autres tâches. Je suis chargé de ces fonctions de supervision depuis plus de douze ans et j’ai supervisé directement plus de 200 membres. Au cours de mes trente années de carrière, j’ai travaillé avec des milliers de membres dans diverses fonctions.

Le gend. Ben CARAM est un membre de la veille C, que je supervise directement depuis 2012. J’ai évalué son travail et observé son comportement auprès de victimes, de suspects, de clients et de collègues. Il m’a semblé respectueux et patient dans toutes ses interactions. Il connaît bien le Code criminel et emploie la force de manière responsable. Son attitude calme lors d’incidents stressants constitue un atout énorme qui lui permet d’évaluer une situation donnée et de prendre des mesures appropriées. Il sait analyser un problème et trouver la meilleure solution possible. De plus, il anticipe rapidement les problèmes et sait à quel moment une action immédiate est nécessaire, que ce soit pour arrêter un suspect ou pour atténuer un danger auquel un client potentiel ou un collègue est exposé. Il peut aisément expliquer et justifier toute action qu’il a entreprise dans le contexte d’un incident ou d’un dossier.

Le rendement du gend. Ben Caram au sein de la veille s’est avéré supérieur à la moyenne. Il est constant et fiable dans tout ce qu’il entreprend. J’ai également eu l’occasion d’observer Ben CARAM dans le cadre de ses fonctions au sein de la veille, y compris lors d’événements où de l’alcool était consommé ou non. Au cours de mes trente ans de carrière, j’ai participé à plusieurs « événements sociaux », y compris des soupers et des bals de la GRC. J’ai observé toutes sortes de comportements, y compris lors d’événements approuvés par la GRC. Je n’ai jamais, lors d’événements où le gend. Ben CARAM était présent, vu son comportement changer et je ne l’ai jamais vu consommer plus d’une ou deux boissons alcoolisées.

Je suis bien au fait des allégations de contravention du code de déontologie et je sais qu’une audience a eu lieu. Je n’ai pas personnellement eu connaissance des événements, mais je peux seulement affirmer que le comportement allégué ne correspond en rien à ce que j’ai vu ou entendu au sujet du gend. Ben CARAM. J’ai une confiance totale en ses capacités et en son comportement, et je n’hésiterais pas à le superviser de nouveau et à le faire travailler au sein de la veille.

D. cap. K. G. (documentation, volume 4, page 1517)

[TRADUCTION]

Je suis très heureux d’écrire une lettre de recommandation pour le gendarme Ben CARAM. Ben a été transféré au détachement de [x] le 28 février 2016, et il a été assigné à la veille B, que je supervise, jusqu’à son départ survenu le 26 mai 2016.

J’ai beaucoup apprécié le temps que j’ai passé à travailler avec Ben et à le superviser, et j’en suis venu à croire qu’il constitue un atout précieux pour le détachement de [x] et pour la Gendarmerie royale du Canada. Durant le cours laps de temps où Ben a été affecté au détachement de [x], il s’est montré honnête, fiable et très travaillant.

Ben venait travailler avec une attitude positive à chacun de ses quarts et il n’a pas laissé les allégations de contravention au code de déontologie ou au Code criminel empiéter sur ses responsabilités en tant que policier. Ben s’est montré fort tout au long de cette épreuve et il a accepté sa suspension sans broncher.

Je n’hésiterais pas à travailler avec Ben ou à le superviser dans l’avenir.

N’hésitez pas à communiquer avec moi au [XXX-XXX-XXXX] si vous souhaitez obtenir davantage d’information au sujet de Ben.

E. gend. I. S. (documentation, volume 4, page 1518) extrait

[TRADUCTION]

Ben assume sa part de la charge de travail et souvent davantage. Au travail, ce n’était jamais long avant que j’entende Ben s’enquérir du prochain dossier à la radio. En ce qui a trait aux dossiers complexes qui demandaient plus d’un membre sur place, Ben était toujours l’un des premiers à prendre un rôle de meneur pour aider avec les tâches à accomplir.

Ben a les meilleures qualités que l’on puisse trouver chez un agent de police. Il est juste, intelligent, patient, empathique et travaillant. En plus de ces qualités, il s’est montré attentif aux différences culturelles et aux difficultés éprouvées par les minorités.

Sur le plan personnel, Ben est un agent et un ami que je consulte pour obtenir des conseils. À titre d’agent, il prodigue des conseils réfléchis et judicieux en cas d’incidents policiers difficiles ou complexes. Son esprit d’équipe et sa confiance sont plus que bienvenus lors de moments tendus et dangereux au travail.

À titre d’ami, Ben a été présent pour m’accompagner lors de moments difficiles, que ce soit au travail ou dans ma vie personnelle.

F. gend. K. B. (documentation, volume 4, page 1519)

[TRADUCTION]

Madame,

Monsieur,

Mon nom est K. B. et je travaille pour la GRC depuis 1999. J’ai commencé en tant que préposé aux communications avant de devenir membre régulier en mars 2014.

J’ai commencé à travailler avec Ben Caram en mars 2014 alors que j’étais une recrue à la Division Dépôt. Ben n’était pas mon instructeur, mais je l’ai accompagné dans sa voiture à plusieurs reprises et il m’a aidé et formé relativement à plusieurs dossiers. Au cours de ma formation, Ben s’est toujours montré très patient et il prenait le temps de m’expliquer les choses au fur et à mesure que j’apprenais et que j’évoluais. Il était toujours professionnel et compréhensif, et il m’encourageait en me donnant des trucs et des outils pour que je puisse m’améliorer. Cela fait maintenant plus de deux ans que je travaille au sein de la veille et Ben est un collègue vers lequel tout le monde se tourne en raison de ses connaissances, de sa capacité à évaluer une situation dans son ensemble et de son professionnalisme. Il est l’un des rares membres qui puissent répondre à un appel et, peu importe le niveau de stress ou d’intensité du client, il est toujours en mesure de gérer la situation avec une attitude calme et confiante, ce qui a souvent pour effet de désamorcer la situation et d’éviter que quelqu’un ne soit blessé. Souvent, lorsque je répondais à un appel et que je n’avais aucun renfort, Ben se présentait sur place et il était là pour me prêter main-forte et m’offrir du soutien au besoin. Il a toujours été gentil et respectueux avec moi.

J’ai aussi connu Ben et sa famille à l’extérieur du travail. Nous avons fait du camping ensemble, nous sommes allés à des événements sociaux avec nos collègues de la veille et nos familles, et jamais je n’ai vu Ben agir d’une manière offensante ou grossière. Ben m’a toujours semblé honnête, digne de confiance, ainsi qu’une bonne personne en général, au travail comme à l’extérieur.

Bien que je ne sois pas un membre régulier depuis longtemps, je travaille avec la GRC depuis des années. Au fil des ans, j’ai vu de nombreuses personnalités se succéder et je peux affirmer avec certitude que Ben est l’un des agents les plus doués, les plus compétents et les plus professionnels avec qui j’ai travaillé. La GRC devrait être fière d’avoir un agent de son calibre patrouillant dans les rues et les lignes de front. Je souhaiterais qu’il y ait davantage d’agents aussi travaillants et dévoués que lui à la GRC. Je retravaillerais avec Ben n’importe quand et je sais que j’apprendrais et que j’évoluerais en tant qu’agent en raison de la personne qu’il est et de la qualité de son travail.

Je suis au fait de l’audience du gend. Caram pour contravention au code de déontologie et des allégations qui pèsent sur lui. Je peux dire sans douter que ces gestes ne lui correspondent pas du tout et je sais qu’il ne ferait jamais intentionnellement du mal à quelqu’un ou ne le mettrait pas mal à l’aise de quelque façon que ce soit.

G. gend. M. W. (documentation, volume 4, page 1520)

[TRADUCTION]

La présente est une lettre de recommandation visant le gend. Benjamin CARAM. Je connais Ben depuis 2009. Je l’ai rencontré pour la première fois lorsque j’ai commencé à travailler à la GRC au détachement de [x] à [x], en C.-B. Ben était mon précepteur. Il me donnait des conseils et m’aidait à me familiariser avec les politiques et procédures de la GRC, puisque j’arrivais d’un autre service. Avant de me joindre à la GRC, j’ai passé sept ans dans les Forces armées canadiennes, où j’ai été membre de la police militaire et, pendant un certain temps, soldat d’infanterie. Rapidement, j’ai conclu que Ben était un agent de police compétent et chevronné. De nombreux traits sont venus confirmer l’opinion que je m’étais faite de lui, notamment son apparence professionnelle, son expérience sur le terrain, sa condition physique supérieure à la moyenne et, par-dessus tout, sa personnalité. Lorsque j’observais d’autres collègues interagir avec Ben, le respect et la confiance que les membres du groupe et les superviseurs avaient à son égard ne faisaient aucun doute.

Pendant la période où j’ai travaillé avec Ben, j’ai remarqué qu’il était toujours posé, qu’il ne se montrait jamais agressif, qu’il n’avait pas une tendance à la provocation et qu’il faisait toujours preuve de professionnalisme. Souvent, des clients impatients de plus en plus agressifs ont tenté, sans succès, de pousser Ben à se comporter d’une manière qui n’était pas professionnelle. Cela valait également pour les cas où Ben traitait avec les clients indirectement, c.-à-d. pour les plaintes téléphoniques. Selon mon expérience dans les forces policières et militaires, je considère que Ben possède certaines qualités qui en feraient un excellent superviseur hautement qualifié pour diriger les autres. Si l’occasion se présentait, Ben devrait, selon moi, être affecté à un poste de leadership immédiatement.

J’ai fréquenté Ben socialement lors d’événements organisés par le bureau et en général, en dehors de tout événement lié au bureau. Je n’ai jamais vu ou entendu Ben avoir un comportement qui ternirait l’image de la GRC ou son image en tant que mari et père. En juin 2015, j’ai quitté la GRC pour me joindre à la Police provinciale de l’Ontario (PPO). Bien qu’il ait été déçu de me voir partir, Ben a soutenu ma décision. Depuis mon départ, j’ai gardé contact avec Ben par téléphone et par courriel, et nos deux conjointes ont gardé contact entre elles.

Au début de 2016, Ben m’a informé qu’il faisait l’objet d’une plainte ayant mené à des allégations d’inconduite sexuelle fondées sur le code de déontologie de la GRC et sur le Code criminel et qu’il avait donc été temporairement relevé de ses fonctions. Je considère que les allégations ne lui ressemblent pas du tout. Je n’ai jamais entendu parler de Ben de manière le moindrement négative. Malgré les allégations qui pèsent contre lui, je considère quand même Ben comme un membre formidable de la GRC et comme le genre de personne que la police devrait rechercher comme candidats. Je suis récemment revenu travailler à la GRC au sein des services généraux du détachement de [x] et j’ai hâte de travailler à nouveau avec Ben très bientôt.

[20] Les lettres de soutien sont trop nombreuses pour les décrire une à une. Cependant, je vais les énumérer (documentation, volume 4) :

a. Josef Landrum, page 1522

b. Gend. Steve Trevor, page 1524

c. Gend. Jen Morgan, pages 1526-1527

d. Gend. Jaclyn Rochette, page 1528

e. Gend. Andrea Poitras, page 1530

f. Gend. Craig Schnablegger, page 1536

g. Ewan Bentley-Williams, page 1538

[21] Là encore, toutes les lettres ci-dessus viennent appuyer de façon solide et convaincante – souvent à l’aide d’exemples d’incidents et d’événements – la force de caractère du défendeur dans sa vie professionnelle et personnelle ainsi qu’à quel point les événements des 28 et 29 novembre 2015 ne lui ressemblaient pas.

[22] Je crois qu’il est très important de mentionner qu’une autre personne a déposé une lettre d’appui au défendeur, à savoir l’une des victimes, la gend. A (documentation, volume 4, pages 1532-1533) :

[TRADUCTION]

Le 5 décembre 2016

Je m’appelle […] et je suis membre de la Gendarmerie royale du Canada depuis octobre 2003. J’ai été affecté à [x] et à [y]. En 2005, Ben et Samantha Caram sont arrivés au détachement de

[x] de la GRC, et nous nous sommes tout de suite liés d’amitié. J’ai passé du temps avec Ben et Samantha au travail et en dehors du travail. Au fil du temps, nous avons tous eu des enfants à peu près à la même époque et nous avons continué de passer du temps ensemble, que ce soit lors d’activités, de fêtes d’anniversaire ou de fêtes d’équipe ou de détachement/veille.

J’ai toujours tenu Ben en haute estime. Il est gentil, généreux, sincère, honnête, empathique et respectueux et a des valeurs, une morale et une éthique irréprochables. Toutes ces qualités, je les ai remarquées chez Ben dans son rôle d’agent de police et dans ceux de père, ami et mari. Même si Ben est habituellement assez introverti (il n’est pas prétentieux), il n’hésite jamais à aider une personne dans le besoin.

J’ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec Ben dans le [x]. Ben était toujours prompt à prendre en charge des dossiers, à remplacer d’autres membres et à gérer des situations calmement et respectueusement. Je me souviens d’un accident d’automobile sur les lieux duquel Ben et moi nous étions rendus ensemble. Une femme âgée avait coupé la voie à une semi-remorque, causant une collision, et elle était morte sur le coup. Ben et moi avions traité avec les témoins, les pompiers, les SUS et le coroner et nous étions occupés de la conductrice décédée et de l’enlèvement de la dépouille au salon funéraire. Ben avait fait preuve d’empathie, de professionnalisme, de respect et d’intégrité dans sa gestion de la situation, tout comme tous les partenaires au cours de l’intervention. Je me rappelle que Ben m’avait demandé si j’allais bien, comme les dossiers impliquant un décès peuvent être difficiles. Tous les membres du détachement de [x] aimaient bien Ben, et je n’ai jamais entendu quelqu’un parler en mal de lui lorsque j’étais affectée à [x] ou à [y].

J’ai vu Ben agir dans son rôle de père et de mari. Il est gentil et aimant, et je ne l’ai jamais entendu hausser le ton. Ben s’est toujours bien occupé de ses filles et il est un modèle positif pour elles.

Ben et Samantha ont été mutés à [y] en novembre 2011. J’étais triste de les voir partir, puisqu’ils faisaient partie de notre

« famille » de la GRC à [x].

En 2012, mon ancien partenaire et moi avons été mutés à [y] pour raisons familiales (mon fils était atteint d’un cancer à sa naissance et nous devions nous rapprocher des maréchaux- ferrants pour nous rendre à l’hôpital pour enfants de la C.-B. et en revenir). Bien qu’il s’agissait d’une période éprouvante pour notre famille, j’étais enthousiaste à l’idée d’aller à [y], puisque je savais que Ben et Samantha y étaient. Dans une nouvelle situation, c’est toujours rassurant de savoir que des amis seront là pour vous accueillir. Même si je ne faisais pas partie de la veille de Ben, j’entendais souvent d’autres membres parler de lui en disant à quel point il était un agent de police et un ami gentil, réfléchi et accompli.

Samantha et moi avons fini par travailler dans la même veille (veille D) et, le 28 novembre 2015, notre veille a organisé une fête de Noël à la maison d’un membre. J’ai apporté trois bouteilles de bière Blue Buck à la fête ainsi que quelques entrées. Je me rappelle avoir bu une bière, puis un membre a commencé à faire des shooters appelés « Burt Reynolds ». J’en ai bu deux. Je n’avais pas l’intention de me saouler cette soirée-là. Cela dit, nous (mon ancien partenaire et moi) n’avions pas beaucoup de soirées d’adulte ensemble sans les enfants. Alors c’était bien de juste pouvoir avoir du plaisir. J’ai mangé quelques entrées, puis j’ai bu deux shooters de Jello. Je me rappelle m’être rendue en bas, où il y avait une chaîne audio-vidéo et une table de billard. On était un petit groupe à se tenir autour de la table de billard, et je me rappelle que Ben était là et qu’il a mis son bras autour de moi. J’étais assez ivre à ce moment-là (ce qui n’est pas habituel chez moi) et je voyais bien que Ben avait également bu (Ben n’est pas du genre à s’approcher d’une personne et à simplement lui mettre le bras autour d’elle). On a discuté, puis je me rappelle que Ben m’a pincé le mamelon gauche. Nous avons plaisanté à ce sujet, ri, et je n’en ai pas fait de cas par la suite. J’ai été agressé sexuellement lorsque j’étais plus jeune et, si son geste m’avait dérangé, je lui aurais demandé d’arrêter ou je l’aurais repoussé. Ce comportement ne lui ressemblait pas, et je savais que c’était l’« alcool » qui l’avait rendu plus extraverti. Je suis retournée en haut et je suis sortie sur le patio. Il a mis ses bras autour de moi, puis […] lui a dit de me laisser tranquille, puisque je ne me sentais pas bien. Peu après, mon ancien partenaire m’a ramenée à la maison.

Le matin, j’ai reçu un texto de […], qui me demandait si j’allais bien. […] m’a demandé si je me rappelais que Ben avait été déplacé à mon égard en bas et sur le patio. Je lui ai dit que je me souvenais de l’incident en bas, mais pas sur le patio. […] m’a dit que Ben s’était approché de moi par derrière, qu’il avait mis ses bras autour de moi, puis qu’il avait mis ses mains entre mes jambes. […] a dit à Ben de me laisser tranquille, puisque je ne me sentais pas bien. Il l’a fait et est parti. Lorsque […] m’a raconté ce qui s’était passé sur le patio, je n’étais pas bouleversée et je ne sentais pas non plus comme une victime d’une agression.

Peu après avoir texté avec […], Sam m’a textée pour s’excuser du comportement « négligent » de Ben. Sam a dit que Ben s’était endormi avec ses bas et ses chaussures et qu’à son réveil le matin, il ne se sentait pas bien. Je n’en ai pas fait grand cas et lui ai dit de dire à Ben que tout allait bien.

Lors de notre quart de jour suivant, S. L. m’a dit que Ben avait fait ou dit quelque chose de déplacé à […]. Pendant que je déjeunais avec le s.-off. de ma veille, nous avons commencé à parler de la fête de Noël. J’ai mentionné que j’avais clairement bu plus que d’habitude, puisque j’étais étourdie et que je ne me sentais pas bien. Nous avons parlé de l’état d’ébriété des autres personnes, et j’ai dit à mon s.-off. que Ben avait eu un comportement déplacé (sexuellement), qu’il s’était excusé le lendemain et que c’était anodin. Le serg. C m’a dit qu’il trouvait que c’était un comportement déplacé et que, comme il était s.-off., il devait le signaler. Je n’en ai pas fait grand cas, puisque je considérais que l’incident était inoffensif, qu’il s’était produit à une fête où tout le monde buvait et que je savais que Ben était une personne différente lorsqu’il était sobre. Plus tard dans la journée, mon serg. C est venu me voir pour me dire qu’une autre personne s’était plainte du comportement de Ben à la fête et que notre enquêteur interne viendrait me parler. L’enquêteur interne est venu me voir et m’a expliqué ce qui s’était passé. Je lui ai dit que je ne souhaitais pas déposer d’accusations contre Ben et que je ne ferais pas de déclaration pour les accusations fondées sur le Code criminel. On m’a demandé de fournir une déclaration concernant les événements de la soirée pour les accusations fondées sur le code de déontologie et on m’a dit que si je ne le faisais pas, je pourrais faire l’objet d’une enquête au titre du code de déontologie. Je me suis sentie obligée de fournir une déclaration, ce que j’ai fait, même si j’étais mal à l’aise de le faire.

Le stress que j’ai ressenti pendant cette situation est intense. Je connais Ben depuis tellement longtemps dans tellement de fonctions différentes. Je crois qu’il a effectivement fait un mauvais choix cette soirée-là et qu’il se sent très mal d’avoir agi ainsi. Il est allé consulter, il n’a plus bu une goutte d’alcool depuis (à ma connaissance) et m’a écrit une lettre d’excuse (ci-jointe). Ben a été muté à [x] de la GRC, où il a travaillé quelque temps jusqu’à que ce […] le voit dans un café du coin et s’en plaigne (même si Ben ne lui a même pas adressé la parole). Ben n’a rien fait de mal et a encore été muté à [y] de la GRC. Je me souviens de la journée où on m’a parlé de l’arrestation de Ben. J’ai été choquée que Ben ait été arrêté au travail. Depuis quand traitons-nous nos propres collègues ainsi? Je suis certaine que si Ben avait reçu un appel de notre officier responsable, il se serait rendu de son plein gré. Pire encore, des membres de sa propre veille ont prélevé ses empreintes. Je suis fière d’être membre de la GRC, mais la manière dont Ben a été traité m’est restée en travers de la gorge. J’ai vu d’autres membres faire et dire des choses pires lors de fêtes ou de sorties de notre veille, et ils n’ont pas été réprimandés comme Ben l’a été. Pour avoir parlé à Ben et à Sam, je sais que Ben a appris une précieuse leçon et qu’il aimerait pouvoir rester un membre de cette organisation.

Encore aujourd’hui, Ben et moi restons amis. Je travaillerais avec Ben sans l’ombre d’une hésitation, et je serais honorée qu’il fasse partie de ma veille ou de mon groupe en raison de son éthique de travail, son sens moral, sa personnalité, son empathie, etc. Sam et moi travaillons actuellement ensemble dans le Groupe pour les jeunes. Je n’éprouve aucune rancœur envers eux. J’essaie plutôt de les soutenir du mieux que je peux. J’estime que si Ben était démis de ses fonctions à titre d’agent de police, l’organisation perdrait un précieux membre.

2. Rapports d’évaluation du rendement

[23] Les rapports d’évaluation du rendement du défendeur, y compris son rapport de la Division Dépôt, se trouvent dans la documentation, volume 3, pages 1394-1478.

[24] Toutes les évaluations décrivent le défendeur de façon élogieuse, dans sa vie tant professionnelle que personnelle. Il est décrit comme quelqu’un de très dévoué, vaillant, enthousiaste et calme.

3. Preuve d’expert

[25] Deux rapports d’expert rédigés par le Dr W en date du 10 janvier 2017 et du 11 avril 2017 ont été déposés comme pièces. Le Dr W était le psychologue traitant du défendeur. Le représentant des autorités disciplinaires (RAD) n’a pas contre-interrogé le Dr W. Le Dr O, psychiatre, a rédigé un rapport en date du 9 février 2017 et un courriel en date du 2 mai 2017. Il a ensuite été contre-interrogé au téléphone par le RAD. La preuve fournie par les deux experts peut être résumée comme suit :

A. Preuve du Dr W

Rapport du 10 janvier 2017 (documentation, volume 3, pages 1487-1499; volume 4, page 1501)

[26] Selon moi, voici les points saillants du rapport :

a. Il a vu le défendeur pendant 12 séances d’une heure avant de rédiger son rapport;

b. Le défendeur souffre d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT) en raison de ses fonctions à la GRC;

c. Le risque de récidive, à savoir que le défendeur boive encore excessivement ou reproduise un comportement semblable, est très faible, voire nul;

d. Il fait peu de doute, après avoir examiné plusieurs documents versés au dossier, que son comportement découlait d’un état d’ébriété avancé et qu’il a bu autant en raison de son TSPT;

e. Le défendeur se fait traiter, et il est peu probable qu’il laisse autant dépérir une condition avant de chercher à se faire traiter;

f. Le TSPT du défendeur a commencé en 2006, après s’être rendu sur les lieux d’un accident d’automobile à [x], en C.-B. Il a été exposé à plusieurs événements traumatisants, qui ont accentué l’intensité du TSPT, ce qui a contribué aux allégations dont le commissaire est aujourd’hui saisi;

g. Le TSPT du défendeur est chronique.

Rapport du 11 avril 2017, documentation, volume 4, pages 1633-1637

[27] Ce rapport a été rédigé en réponse à des questions posées par le représentant du défendeur. Le Dr W a formulé les commentaires suivants :

a. Il affirme avoir procédé à un examen beaucoup plus poussé que le Dr O et il maintient son diagnostic selon lequel le défendeur souffre d’un TSPT ainsi que d’une dépression secondaire et d’anxiété;

b. Lorsque le défendeur est sur le point de se retrouver dans une situation inconnue, il souffre d’anxiété, car il ne sait pas ce qui l’attend. Il a géré cette anxiété en consommant de l’alcool, ce qui lui a permis de devenir moins gêné avec les autres et d’atténuer les symptômes liés à son TSPT. Il ne se serait normalement pas comporté de cette manière s’il n’avait pas consommé autant d’alcool;

c. De l’aveu du défendeur, il lui est arrivé d’abuser de l’alcool, surtout dans des situations sociales où il se sent mal à l’aise;

d. Bien que les autres le tiennent en haute estime, le défendeur a de réels problèmes d’estime de soi et de confiance en soi, ce qui, dans des situations sociales, se transformait souvent en anxiété;

e. Le défendeur a participé à la fête de Noël de la veille D l’année suivante et n’a pas bu;

f. Le défendeur travaille fort pour régler ses problèmes;

g. Il est peu probable que le défendeur consomme de l’alcool de façon excessive à l’avenir.

B. Preuve du Dr O, psychiatre, dans une lettre en date du 9 février 2017 (documentation, volume 3, pages 1042-1063)

[28] Là encore, voici les faits saillants de ce rapport :

a. Il a rencontré le défendeur le 2 février 2017 pour une entrevue psychiatrique qui a duré un peu moins de trois heures;

b. Bien que, selon lui, le défendeur ne souffre pas d’un TSPT, il souffre de plusieurs symptômes que l’on observe souvent chez les personnes souffrant de TSPT, tous attribuables à des incidents liés au travail;

c. Le défendeur souffre d’un trouble de l’adaptation et, en général, le pronostic est meilleur que pour le TSPT;

d. Son inconduite en novembre 2015 était attribuable à sa consommation abusive d’alcool;

e. Le défendeur est à faible risque de répéter le comportement à l’avenir, mais [TRADUCTION] « […] il serait prudent d’éviter tout épisode d’intoxication subséquent » (page 1048);

f. Le défendeur profiterait d’entreprendre une psychothérapie.

4. Lettres d’excuse

[29] Le défendeur a écrit des lettres d’excuse à la gend. A et à la gend. C. Je souligne qu’en raison de circonstances indépendantes de la volonté du défendeur, la lettre adressée à la gend. C ne lui avait pas encore été envoyée au moment de l’audience. Je considère qu’il est important, aux fins du présent appel, de les intégrer à mon rapport :

A. À la gend. A. (documentation, volume 3, pages 1386-1387)

[TRADUCTION]

Salut [gend. A]… jamais je n’aurais cru devoir écrire une lettre comme celle-ci, mais je me lance…

Je m’excuse profondément de ce qui s’est passé cette soirée-là; je n’étais pas moi-même. Je n’ai absolument aucun souvenir de plus de la moitié de la soirée, et le reste n’est qu’un fouillis d’images floues. Il va sans dire que j’ai beaucoup, beaucoup trop bu. Mais je ne crois pas aux défaites et je n’essaie pas de me défiler. L’alcool n’est pas une excuse, mais c’est la raison pour laquelle j’ai agi de manière aussi ridicule cette soirée-là. Je n’ai pas tendance à tripoter les gens quand je suis sobre!

Lorsqu’on m’a expliqué plus tard les allégations qui pesaient sur moi, ce fut un choc total. Honnêtement, je suis encore sous le choc. J’ai l’impression d’avoir laissé tomber ma famille et, selon l’issue de la situation, il se pourrait que je reçoive des chèques de paie d’une autre source! Toute cette affaire a des répercussions surréelles sur ma famille.

J’ai l’impression de vivre deux vies maintenant : l’une est le souvenir de ce que j’avais avant, et l’autre est la réalité que je vis maintenant.

Ok, c’en est assez de m’apitoyer sur mon sort. Sam m’a dit à quel point toute cette affaire est difficile pour toi. Je veux juste que tu saches que c’est correct que tu aies fait une déclaration. C’est plate qu’ils t’aient mis autant de pression, mais je n’ai aucun ressentiment envers toi ou toute l’affaire de la déclaration.

Même si tu avais signalé cet incident toi-même et que tu avais volontairement fait une déclaration, ma réaction aurait été la même, car je te connais et j’aurais su que j’ai fait quelque chose qui a blessé une amie.

Sam et moi avons consulté après notre retour de vacances. Parler de la situation à une personne en dehors de la GRC m’a fait du bien. J’ai eu l’occasion de réévaluer ma relation avec l’alcool et de réfléchir à mes antécédents familiaux. Mon père est alcoolique, et son père avant lui… et son père avant lui aussi. Alors, parfois, j’ai l’impression que je suis tout simplement foutu à cause de mes gênes, mais, en même temps, je n’ai jamais « envie » de boire de l’alcool et je ne suis pas l’alcoolique typique avec qui nous avons affaire dans le cadre de notre travail.

Je suis un gars calme et gêné, et je deviens très anxieux et inconfortable dans des contextes sociaux, surtout avec des personnes que je ne connais pas vraiment. Par le passé, je me suis bêtement tourné vers l’alcool pour m’aider à me calmer dans ces situations, et je crois que c’est dans ces moments-là que mes mauvaises décisions et mes antécédents familiaux se mélangent. Sam m’a dit que je ne semble pas savoir où est ma limite dans ces cas-là et que j’ai l’« alcool joyeux », mais que rapidement je deviens tellement paqueté que c’en est embarrassant et que je devrais être mis dans une cellule de dégrisement.

L’essentiel, c’est que tu n’as absolument rien à te reprocher, mais tu es maintenant prise dans ce bourbier à cause de moi.

Peu importe ce qui m’arrive, je ne veux pas que tu ressentes de la culpabilité, de la colère ou de la frustration. J’éprouverai bien assez ces sentiments pour nous deux.

J’espèce que cette situation prendra fin plus tôt que tard et que nous pourrons tous reprendre une vie normale. Ce serait bien de se rencontrer à Transfer Beach ou ailleurs et laisser nos enfants jouer et profiter de la journée.

-Ben

B. À la gend. C (documentation, volume 3, page 1390)

[TRADUCTION]

Bonjour [gend. C],

D’abord, j’aimerais te dire que tu as fait la bonne chose en signalant ce qui s’est passé le 28 novembre 2015. Malgré le stress que mes gestes ont causé à ta famille et à la mienne, selon moi, il ne s’agissait pas d’un incident qui devait être géré « officieusement ». Mon comportement cette soirée-là était inexcusable, et je le regretterai jusqu’à la fin de mes jours.

Un état d’ivresse avancée n’excuse pas du tout ce que j’ai fait. Je n’avais pas prévu de me saouler, mais le lendemain, je me suis réveillé dans la chambre d’ami, complètement habillé et avec mes chaussures. Je ne me souvenais pas du tout de la manière dont j’étais revenu à la maison.

Je suis gêné de dire que j’ai perdu la carte. Je ne me rappelle pas beaucoup ce qui s’est passé pendant la première heure environ, et le reste de la soirée n’existe tout simplement pas dans ma mémoire.

C’était un choc énorme d’apprendre deux jours plus tard ce qui s’était passé. Je me sens humilié et j’ai honte de moi.

Ce n’est pas normal pour une personne de 39 ans d’aller à une fête sans aucune intention de se saouler, puis de le faire de manière aussi ridicule.

J’ai dû demander de l’aide tellement mon comportement n’était pas normal. En plus, mon père est alcoolique, et j’ai eu peur de me sentir glisser vers cette pente.

Depuis un an maintenant déjà, j’ai accompli des progrès considérables pour devenir une meilleure personne, même si je consulte encore pour les problèmes qui ont été cernés. Je le mentionne uniquement pour réaffirmer mon premier point. Si l’on avait simplement tenté de balayer cette affaire sous le tapis, je ne pense pas que j’aurais été chercher de l’aide. J’aurais peut-être été tenté de mettre la situation sur le compte de la stupidité d’ivrogne.

Bizarrement, je pense que toute cette affaire m’a rendu service. Une intervention forcée, peut-être. La GRC va peut-être décider de me mettre à la porte quand même, mais peu importe, je serai quand même en meilleure forme psychologique.

Cette lettre est pour moi une manière détournée et maladroite de te remercier d’avoir été forte. Merci d’avoir eu l’intégrité de faire la bonne chose dans les circonstances. Je suis désolé que tu aies souffert à cause de mes gestes et que ton mari et tes enfants aient aussi eu à traverser cette épreuve.

J’estime que la santé et le bonheur de la famille passent avant tout. J’espère que ce processus long et stressant prendra bientôt fin pour que nous retournions tous à nos familles respectives.

5. Déclarations de la victime

[30] Dans le cadre de la preuve soumise à l’attention du comité, le RAD a déposé deux déclarations de la gend. C.

A. Première déclaration de la gend. C, datée du 1er juin 2016 (documentation, volume 1, pages 33-34)

[TRADUCTION]

Dès que c’est arrivé, je me suis tout de suite sentie dégoûtée, bouleversée, dénigrée, dévalorisée, sexualisée, envahie et dérobée de mon professionnalisme. Des sentiments de nausée, de colère et de frustration m’ont immédiatement envahie en raison de ce que j’étais maintenant forcée de gérer et du choc lié au manque immédiat de professionnalisme.

Sur le chemin du retour après l’événement, ma réaction a continué d’évoluer. J’ai eu des sensations de brûlure dans mon ventre, et ma gorge s’est serrée. Et mon cœur se débattait de rage lorsque j’ai informé mon mari que la confiance que lui et moi avions en mes collègues venait d’être brisée, mais surtout qu’il y avait eu atteinte à l’intimité de sa propre femme. Pendant que je lui racontais, je pouvais voir qu’il était bouleversé. J’ai vu sa mâchoire se serrer, son torse se redresser et sa respiration s’intensifier. La douleur et la colère étaient évidentes. Le voir réagir de la sorte m’a brisé le cœur et m’a fait pleurer. Je me suis sentie loin de mon mari. Émotionnellement, j’étais tiraillée entre le besoin de le soulager de sa douleur et le besoin qu’il me soulage de la mienne. Mon intimité a été violée, tout comme mon lien avec mon mari. Nous avons tous deux dû vivre avec le contrecoup.

Le premier jour de mon retour au travail a été teinté d’humiliation, de dégoût et d’un sentiment de nausée d’avoir à parler d’une telle atteinte à ma vie privée à mes superviseurs. À mesure que leur racontais, j’ai vu avec une douleur viscérale que le choc se transformait en déception, puisqu’ils devaient maintenant signaler l’incident à leurs supérieurs. La réalité de ce qui se passait s’est imposée. Je pouvais à peine manger et, chaque fois que je n’étais pas avec mes collègues, je me mettais à trembler et j’essayais désespérément de cacher l’effet que la situation avait sur moi. J’ai commencé à avoir peur de ce que mes collègues pensaient, et la confiance que j’avais bâtie dans mon lieu de travail a commencé à s’effriter. J’ai été forcée au centre d’une enquête sur laquelle je n’avais aucun contrôle et que je n’avais jamais souhaitée. J’ai tenté désespérément de rester au travail pour pouvoir distinguer les conséquences sur ma vie personnelle de celles sur ma vie professionnelle. J’avais commencé à trembler fortement de façon incontrôlable; je n’étais pas capable d’arrêter. Je me mettais à pleurer de manière inattendue et j’avais de la difficulté à rester concentrée. À ce moment-là, mon corps et mon esprit étaient en conflit. J’ai essayé de passer par-dessus, mais la réalité de la situation me rattrapait constamment. Je sentais le regard de mes collègues; je ne savais jamais ce qu’ils pensaient vraiment. La peur qu’ils me haïssaient d’avoir signalé l’un des nôtres pour quelque chose sur lequel je n’avais aucun contrôle me paralysait. Je savais que je devais le signaler, que c’était mon devoir. Je devais avoir l’intégrité de le faire et je ne pouvais pas reporter l’uniforme de la GRC sans défendre la même loi que j’appliquais aux autres. J’étais déchirée. Je repensais constamment à mes décisions, mais chaque fois, je revenais aux mêmes, à savoir que je devais signaler l’incident et vivre avec les conséquences. Mes réactions physiques ont commencé à devenir plus évidentes et, par conséquent, j’ai dû quitter le travail. Je n’ai pas pu revenir avant trois mois.

Pendant cette période, j’ai consulté mon psychologue. Mes pensées étaient confuses, je n’étais pas capable de me concentrer, je pleurais spontanément, j’avais des cauchemars et j’avais de la difficulté à dormir. Je faisais des crises de colère, puis je pleurais, me fermais et tombais dans la lune. Devant une tâche aussi simple que celle de choisir quoi porter, je me retrouvais à fixer mes vêtements. J’étais dégoûtée à la seule idée de porter quelque chose d’« attirant ». J’avais peur que si je prenais soin de moi, quelqu’un me remarquerait, me parlerait et, pire, ferait quelque chose. J’essayais de faire des choses normales, comme boucler mes cheveux ou me maquiller, mais la nausée m’envahissait. Je finissais par pleurer en enlevant mon maquillage et en ébouriffant mes cheveux, alors que la peur et la panique m’étranglaient. La peur que je ressentais dictait mes activités. Je ne voulais pas partir ni sortir, et je me haïssais. J’espérais pouvoir rapetisser et disparaître.

Pendant les premiers mois, sortir de la maison me rendait malade physiquement. J’avais aussi peur de le rencontrer et qu’une confrontation s’ensuive, puisque j’avais appris qu’il travaillait maintenant dans la petite communauté où je vivais. En allant à la petite épicerie du coin, j’avais peur qu’il soit là à exercer ses fonctions et qu’une confrontation s’ensuive. Ou encore, en allant à la pharmacie sur la rue principale, j’avais peur qu’il soit en train de patrouiller, qu’il me voie et qu’il décide de me confronter. Lorsque j’ai vu une voiture de police descendre la rue devant ma maison, j’ai réalisé qu’il pouvait simplement venir chez moi pour me confronter, ce qui m’a fait paniquer à l’idée que ce soit lui dans la voiture. Je me sentais tellement exposée et vulnérable. Une deuxième fois sur le chemin du retour, une voiture de police a tourné devant moi. Alors que je la suivais, je me suis sentie tellement exposée et vulnérable. La peur de ce qu’il pourrait faire à cause du rapport que j’avais eu à faire me faisait craindre d’accomplir mes tâches quotidiennes dans ma communauté. Je ne voulais rien faire qui pouvait provoquer une confrontation. Puis, des questions ont commencé à me hanter, par exemple « Que ferais-je si je devais appeler la police à l’aide? » ou « Qu’arriverait-il s’il était le policier envoyé, puisqu’il n’y a que quelques membres à la fois qui travaillent? »

Mes enfants m’ont vu alors que je me comportais parfois de façon irréfléchie, alors qu’ils étaient étonnés et perplexes devant mes comportements anormaux et aléatoires. Ils n’en connaissaient pas la cause et ont même eu à m’aider à quelques reprises. Puisque l’affaire avait visiblement des répercussions sur moi, j’ai été forcée de dire à mes enfants que j’avais été victime d’un incident lié au travail, mais que je me faisais aider. Mes propres enfants étaient maintenant touchés par la situation, ce qui me rendait encore plus en colère. Je devrais leur donner de la force et les aider, pas le contraire.

Lorsque je suis revenue travailler, j’ai dû revenir à temps partiel, puis augmenter mes heures, puisque certains jours, juste me rendre au travail était difficile. Je sentais la panique s’installer, la peur de revoir mes collègues. Je ne savais pas comment leur faire confiance et faire face à leurs regards. Cela me tourmentait. Certains jours étaient pires, alors que je n’étais pas capable de calmer l’attaque de panique et que je devais quitter le travail. Je me suis alors rendu compte que je devais accepter que ma confiance avait été brisée, que je ne saurais jamais ce que les autres pensent et que je devais trouver une manière d’être fonctionnelle au travail, même dans un travail qui demande que j’aie confiance en mes collègues.

J’ai réalisé qu’il y a certaines choses avec lesquelles je devrai vivre à jamais. La sécurité que je ressentais est disparue, et la confiance pour socialiser avec mes collègues a été brisée. Rien ne peut réparer cela. Des vagues de tristesse liée à la perte des relations et de la confiance que j’ai déjà eue avec mes collègues me submergent maintenant soudainement. Tout comme d’être aux prises avec le spectre de la colère lorsqu’on me rappelle ce que j’ai été forcée de vivre et les répercussions de la situation. Je dois faire le choix d’aller de l’avant. J’espère simplement qu’une telle situation ne se reproduira plus, car je sais maintenant plus que jamais que je ne peux contrôler ni toujours prédire les gestes des autres, peu importe qui ils sont.

B. gend. C – Deuxième déclaration de la victime, datée du 10 mai 2017 (documentation, volume 3, pages 1064-1066)

[TRADUCTION]

Le 19 mai 2017

Je suis reconnaissante de l’occasion qui m’est donnée de vous faire part des autres répercussions de cet incident et j’aimerais vous remercier de prendre le temps de lire ce que j’ai écrit. Tout au long de cette dernière année, j’ai tenté d’aller de l’avant, de rester positive, de faire fi du conflit dans le cadre de mon travail au détachement et de maintenir un équilibre au travail et dans mes relations professionnelles. D’autres événements – qui sont décrits ci-après – ont exacerbé le stress lié au report continuel des dates d’audience et à ma participation accrue à l’audience imminente relative au code de déontologie. Il s’agit d’un processus long et stressant qui n’a pas avancé, me laissant dans un état constant d’incertitude et de vulnérabilité, sans que rien ne change.

Dans ma première déclaration, je ne suis pas entrée dans les détails concernant certains incidents qui se sont produits au travail, mais je souhaite maintenant les expliquer plus en détail. Le jour même où j’ai révélé ce qui s’était passé, j’ai été convoquée à une autre réunion concernant la nécessité de remplir un formulaire d’obligation de prendre des mesures d’adaptation en raison des restrictions permanentes qui m’étaient imposées. J’étais submergée d’émotions à ce moment par la révélation de l’agression, ainsi que par ma charge de travail quotidienne et maintenant par la nécessité de remplir ce formulaire. J’ai informé [les personnes présentes] lors de la réunion que je ne pouvais pas remplir le formulaire dans le court délai demandé compte tenu de tout ce qui se passait, puis on m’a dit qu’on ne me donnerait pas plus de temps. J’ai fini par prendre un congé de maladie cette semaine-là et même pendant ce congé, j’ai continué à rencontrer mes supérieurs pour remplir le formulaire d’obligation de prendre des mesures d’adaptation comme prévu. Je me suis sentie intimidée, comme si on ne reconnaissait pas la légitimité des répercussions des événements, et j’ai donc commencé à sentir que je ne valais rien. Qui plus est, lorsque je suis retournée au travail, le formulaire n’a pas été respecté et je n’ai jamais été autorisée à faire ce qui était prévu dans le contrat, provoquant chez moi des sentiments de colère, de frustration et de rejet.

J’ai parlé brièvement des répercussions de son affectation dans ma petite ville après avoir rapporté l’incident dans ma première déclaration. Je n’ai pas abordé ce qui est arrivé lorsque j’ai demandé à mes inspecteurs pourquoi il avait été envoyé là-bas. Je leur ai posé cette question environ un mois et demi après avoir pris congé lors d’une réunion que j’ai convoquée pour comprendre leur point de vue. Après avoir posé ma question, on a fini par me dire qu’il était de ma responsabilité de faire savoir que cela me mettait mal à l’aise, que j’étais un membre parmi 150 autres membres avec des problèmes. J’ai eu le sentiment que c’était mon problème et que mes employeurs s’en lavaient les mains, et on ne m’a même pas expliqué pourquoi. Je suis restée assise là, réalisant que ce qui se passait était exactement ce que je craignais : la peur de ne pas être entendue ou considérée et de sentir en quelque sorte qu’on me culpabilisait pour quelque chose qui me faisait souffrir, ce qui m’insultait jusqu’au plus profond de moi-même. On m’a dit plus tard que ce n’était pas correct de leur part de l’affecter dans ma ville et que cela n’aurait pas dû arriver, mais il était déjà trop tard, et je me sentais déjà comme si je n’avais pas d’importance.

Quand je suis revenue au travail, j’étais dans la même veille qu’avant. Cela m’a aidé parce les personnes qui en faisaient partie étaient au courant de ce qui s’était passé, ce qui facilitait ma capacité à aborder mes supérieurs en cas de conflit. Bien que cela signifiait que je faisais toujours partie de la même veille que sa femme, je travaillais dans le bureau alors qu’elle travaillait dans le district nord. Puisque j’étais affectée au quart du matin et elle, au quart d’après-midi, je ne la croisais jamais vraiment; il y avait donc une certaine distance qui me rassurait. Quelques mois après mon retour au travail, un événement survenu dans le vestiaire a déclenché un sentiment brutal d’anxiété et de peur. Je me trouvais devant mon casier, rangeant mon arme et mon ensemble pour la journée, quand elle est entrée. Elle s’est rendue à son casier et je lui ai tourné le dos. C’est alors que je l’ai entendue sortir son arme de son étui. Je n’ai jamais senti une telle montée soudaine de peur et d’adrénaline de la tête aux pieds. Apeurée, j’ai réalisé sur le coup que je n’avais aucune idée de ce qu’elle avait en tête; pouvait-elle être dégoûtée de moi au point de vouloir me tirer dessus juste là? Mes jambes sont devenues toutes molles, j’ai figé, j’avais le cœur au bord des lèvres et après son départ, je me suis effondrée, j’ai pleuré et je me suis mise à trembler. Cette peur était réelle et j’avais besoin de parler de ce qui s’était passé avec mon s.-off. du quart de travail suivant. Quand je lui ai parlé de l’incident, il m’a répondu : « Penses-tu vraiment qu’elle t’aurait tiré dessus? » Je lui ai répondu que je ne pouvais pas savoir ce qu’elle avait en tête ou le niveau de stress qu’elle subissait dans tout ça. Mon s.-off. m’a alors rappelé qu’elle est aussi une victime dans cette affaire. Je me suis alors tue, puisque mon inquiétude n’était manifestement pas considérée et que je me suis sentie stupide d’avoir de telles craintes. J’ai demandé à partir quelques minutes plus tôt pour éviter de la croiser à nouveau, car je ne voulais pas risquer une confrontation, et mon s.-off. a accepté. Un mois plus tard environ, j’ai été troublée de la voir à la réunion de début de quart, un petit groupe de six personnes seulement; j’étais désormais obligée d’être près d’elle tous les jours. J’étais en colère, blessée et je me sentais complètement laissée pour compte du fait que même après avoir communiqué mon besoin d’être à distance d’elle, on ne m’avait même pas prévenu qu’elle ferait maintenant partie du quart du matin. J’ai alors décidé de ne pas en parler à mon s.-off. par crainte qu’on minimise encore mes problèmes. J’ai commencé à me détester, à me ridiculiser et à m’en vouloir pour tout ce qui m’arrivait. J’avais l’impression de ne pas pouvoir parler, de ne pas être respectée, de ne pas avoir de lieu sûr et de n’avoir personne vers qui me tourner.

[…]

Ce n’est qu’après avoir quitté le détachement que j’ai pris conscience du stress que je vivais et que je ramenais à la maison. Le fait d’être si seule au travail, sans soutien solide, ni même une personne pour surveiller la situation et ses répercussions, a provoqué un cercle vicieux m’entraînant toujours plus bas, une dynamique de manque de respect et de minimisation créée par moi-même, et peut-être aussi par mes supérieurs. Je suis la seule à pouvoir reconnaître les répercussions que cela a eu, et a encore, sur moi, car je suis la seule à le vivre. Malheureusement, il a fallu un certain temps pour finalement l’accepter et voir comment le fait d’avoir dû faire face à cette adversité a affecté ma santé mentale (mentalement et physiquement), ainsi que ma vie familiale et personnelle. Mais en essayant de braver la tempête, j’ai fini par ne plus être en mesure d’évaluer l’ampleur ou la gravité des répercussions de cette situation, et j’ai ramené chez moi, chaque jour, mes sentiments de solitude, de rejet et de frustration. Je ne me sens plus libre d’être moi-même; je me sens coupable lorsque je suis heureuse parce que je pense ne pas y avoir droit alors que je n’ai rien fait et que je n’ai jamais eu mon mot à dire dans toute cette histoire. Je reçois régulièrement de l’aide psychologique auprès d’un professionnel pour surmonter ces difficultés, puisque cette affaire n’a pas encore été réglée et que je suis forcée de vivre dans l’incertitude.

DÉCISION RELATIVE AUX MESURES DISCIPLINAIRES

[31] Le reste de la décision (appel, p. 25-51) contient l’analyse et le raisonnement du comité relativement aux sanctions disciplinaires imposées. J’estime que le comité a rendu fidèlement compte de la preuve qui lui a été présentée. Je ne tenterai donc pas de résumer ce qui en est ressorti.

[32] Comme il s’agit d’un appel portant essentiellement sur des mesures disciplinaires, je crois qu’il est nécessaire de reprendre la partie de la décision s’y rapportant dans mon rapport :

MESURES DISCIPLINAIRES

Le paragraphe 24(1) des CC (déontologie) porte que :

Afin de déterminer les mesures disciplinaires appropriées à imposer, le comité de déontologie peut examiner tout élément soumis par les parties et entend leurs observations verbales et témoins, y compris ceux figurant à la liste visée au paragraphe 18(1).

Aucun témoin n’a été appelé à la phase de l’audience relative aux allégations, comme il est prévu au paragraphe 18(1) des CC (déontologie). Le membre visé a témoigné à la phase relative aux mesures disciplinaires. Le Dr O a subi par téléconférence le contre-interrogatoire du RAD sur les opinions d’expert produites en preuve par écrit par la RM.

[…]

Preuve produite par le RAD

Le RAD a retenu la première déclaration de la victime rédigée par la gend. C, le 1er juin 2016, déjà produite. Le RAD a ensuite produit une seconde déclaration, datée du 10 mai 2017, pièce qui a été notée CAR-2.

Bien que la pièce n’ait été transmise à la RM qu’au matin du 12 juillet 2017 et que la RM s’y soit objectée, le comité de déontologie a accepté un extrait du manuel des politiques des procureurs qui présente les critères applicables au programme des mesures de rechange en Colombie-Britannique. Le RAD les a tirés du Web et l’a noté pièce CAR-3.

Preuve produite par la RM

Pour la phase relative aux mesures disciplinaires, nous avons examiné des rapports datés du 10 janvier 2017 et du 11 avril 2017 rédigés par le psychologue traitant du membre visé, Dr W (pièces MR-7 et MR-9).

Nous avons aussi examiné le rapport du 9 février 2017 et le courriel du 2 mai 2017 d’un psychiatre indépendant dont les services ont été retenus pour les fins de notre processus disciplinaire, Dr O (pièces CAR-4 ou MR-8, et MR-10).

Le comité de déontologie a accepté ces opinions d’experts à titre de témoignages par les Drs W et O à la défense du membre visé. Le RAD n’a pas demandé à contre-interroger le Dr W. Avec l’accord des parties, le Dr O a été contre-interrogé par téléphone au cours de la phase relative aux mesures disciplinaires. Le comité de déontologie a reconnu au Dr W la qualité d’expert en psychologie, en matière d’évaluation, de diagnostic, de traitement et de pronostic, et au Dr O la qualité d’expert en psychiatrie, en matière d’évaluation, de diagnostic, de traitement et de pronostic, et les parties ont acquiescé à cette reconnaissance.

D’autre part, la RM a déposé un diagramme créé par le membre visé pendant son interrogatoire au sujet d’un accident traumatisant (pièce MR-1), ses lettres d’excuses à la gend. A et à la gend. C (pièces MR-2 et MR-3, cette dernière n’ayant pas encore été livrée), une lettre qui confirme le bénévolat du membre visé au foyer communautaire de Nanaïmo (pièce MR-4), des évaluations du rendement et des documents relatifs à la carrière du membre visé (pièce MR-5), des fiches de rendement, une lettre et un certificat (pièce MR-6).

Afin de confirmer officiellement l’acceptation par le ministère public du renvoi de l’affaire criminelle du membre visé au programme des mesures de rechange, la RM a déposé le courriel de confirmation reçu du ministère public par l’avocat de la défense au procès criminel du membre visé, daté du 7 juillet 2017 (pièce MR-12). Le comité de déontologie ne considère pas que ce courriel est protégé par une forme quelconque de secret professionnel et il estime nécessaire d’en tenir compte par souci d’équité d’audience. La RM a aussi déposé l’affidavit de l’avocat de la défense au procès criminel, qui établit que le membre visé était prêt à assumer sa responsabilité sous le régime du programme des mesures de rechange peu après avoir été mis en accusation, et que les ajournements et l’attente de la décision du ministère public de renvoyer l’affaire aux mesures de rechange ne pouvaient pas être imputés au membre visé (pièce MR-13).

Témoignage du membre visé

Comme je l’ai exprimé dans ma décision orale abrégée, je conclus que le témoignage du membre visé, étudié longuement, tant en interrogatoire qu’en contre-interrogatoire, est extraordinaire. Le membre visé a fait preuve d’une franchise désarmante. Il a montré une courtoisie naturelle non seulement dans son comportement pendant qu’il témoignait, mais aussi dans son choix de mots réfléchi qui n’avait rien d’auto-gratifiant. Je considère que le témoignage du membre visé est parmi les plus impressionnants qu’il m’ait été donné d’entendre dans les 15 années de ma carrière à la GRC consacrées aux affaires disciplinaires. Le membre visé n’a pas nuancé la vérité. Il n’a pas cherché à déformer le moindre élément pour servir sa cause. Il a fait des aveux qui étaient sincères et louables. Son témoignage n’a fait qu’accroître sa crédibilité de membre dévoué; il traduisait visiblement la bonne réputation exprimée dans les lettres de référence des membres de la GRC qui l’ont soutenu.

La RM a amené le membre visé à faire un compte rendu détaillé de certains aspects de sa vie avant l’inconduite commise à la fête du 28 novembre 2015, abordant notamment :

- sa famille et son éducation;

- l’intimidation subie pendant son enfance;

- sa faible estime de soi et son choix d’activités sportives solitaires;

- l’obtention d’un diplôme avec honneur pour un programme de deux ans en administration du droit et de la sécurité, qui lui a permis de décrocher un emploi temporaire dans le domaine de la sécurité dans le secteur privé;

- l’obtention d’un baccalauréat de quatre ans en psychologie, puis un emploi dans le secteur privé en prévention de perte, puis un bref emploi comme spécialiste en réhabilitation auprès de clients ayant subi des blessures cérébrales;

- l’obtention du diplôme de l’École de la GRC à la Division Dépôt, le 25 janvier 2005;

- son mariage le 9 septembre 2006 avec sa conjointe qui était de la même troupe que lui;

- la naissance de ses filles qui ont aujourd’hui sept et cinq ans, l’aînée ayant connu des problèmes de sommeil et ayant développé des problèmes d’anxiété;

- le manque de sommeil et la fatigue;

- la culpabilité d’avoir peut-être transmis à sa fille ses problèmes d’anxiété;

- le sentiment de ne jamais se sentir à l’aise et bien dans sa peau, voir la moindre rencontre sociale comme un cauchemar pour laquelle il doit répéter les conversions qu’il pourrait y avoir;

- l’épuisement ressenti après tout événement social;

- l’alcoolisme de son père et de son grand-père paternel;

- le cancer ovarien de sa mère traité à compter de 2006 jusqu’à son décès en 2012;

- le sentiment d’être détaché de ses expériences de vie personnelles.

À sa première affectation, le membre visé a été envoyé à Alexis Creek, en Colombie- Britannique, à plus de 700 km au nord de Vancouver. Il s’agissait d’une affectation d’une durée limitée qu’il a tenue jusqu’à la fin de 2006; cette affectation comportait aussi le travail policier dans quatre territoires des Premières Nations. Très tôt en carrière, le membre visé a été exposé à deux incidents de surdoses mortelles d’alcool et il a souvent eu à travailler dans un climat communautaire qui lui semblait hostile à la police. Je retiens que le membre visé a été personnellement exposé à une victime d’une agression à la hache qu’il lui a fallu transporter dans le véhicule de police, sa jambe ayant été presqu’entièrement sectionnée. Il a aussi été partie à un accident de la route traumatisant en juin 2006, où des nombreuses victimes ont subi des blessures marquantes et criaient à l’aide; il est resté sur place pendant 10 heures pour assurer la sécurité des lieux. Je comprends que les appels suivants concernant des accidents de la route ont éveillé des souvenirs pénibles pour le membre visé, qui revoyait les blessés et entendaient leurs cris. J’admets que le membre visé ait appris à se détacher de ses émotions pour pouvoir composer avec les facteurs de traumatisme et de stress vécus dans son travail.

À la fin de 2006, le membre visé a été muté à Comox Valley, sur l’île de Vancouver. Il a dû maîtriser les membres hystériques d’une famille après la découverte du suicide par pendaison d’un jeune de 17 ans. Il a lutté physiquement avec une personne droguée qui voulait mettre la main sur un couteau à utiliser sur elle ou sur le membre visé. Il a été exposé à la scène horrible d’une personne qui s’était suicidée d’une balle dans le crâne. Il a dû intervenir sur les lieux d’un suicide par ouverture des veines du poignet, avec tout le sang et les odeurs de putréfaction que cela comportait. Il se souvient l’avoir échappé belle quand il s’est battu pour enlever un fusil de chasse chargé à une personne qu’on pensait suicidaire. Il se rappelle avoir évité le pire devant une personne suicidaire intoxiquée qui balançait un billot en implorant « Tuez-moi, tuez-moi ».

Le membre visé a ensuite été muté au Détachement de Nanaïmo. C’est à cet endroit que le membre visé a participé le 3 novembre 2015 à une lutte violente avec un individu qui s’était tranché les veines. Les gestes du membre visé ont entraîné la fracture du bras de l’individu au même emplacement qu’une ancienne fracture guérie. En raison de cette blessure, une enquête a été menée par l’Independent Investigation Office for British Columbia qui lui a fait éprouver un grand stress. Étant donné l’enquête, le membre visé a hésité à utiliser le degré de force nécessaire pour procéder à deux autres arrestations en novembre 2015. Le membre visé a admis avoir délibérément évité les appels concernant des suicides et des accidents de la route mortels à Nanaïmo, quand il savait que d’autres membres y répondaient.

J’accepte le témoignage du membre visé au sujet de son état d’esprit quand il est arrivé à la fête le 28 novembre 2015. Il a senti une grande anxiété, s’est mis à transpirer et à sentir son coeur s’emballer. Il a voulu quitter sur-le-champ. Puisque les invités à la fête étaient d’autres membres, il se sentait observé et jugé par eux, ce qui l’a rendu nerveux. Il dit qu’il a senti une anxiété accrue, ce qui n’est pas confortable. Pour composer avec ces sentiments, il a décidé de prendre une bière ou deux, pensant que ça aiderait peut-être à dissiper ces étranges sentiments d’anxiété.

La fête a continué jusqu’aux premières heures du 29 novembre 2015, qui était un jour de congé à la fois pour le membre visé et pour sa conjointe. Le 30 novembre 2015, le surintendant M.F. a communiqué avec le membre visé et s’est présenté chez lui pour l’aviser qu’il y avait eu des plaintes formulées à son encontre en raison de son comportement à la fête. Il a été décidé de muter immédiatement le membre visé au Détachement X. Au retour de vacances en famille préapprouvées du 2 au 15 décembre 2015, le membre visé a commencé à travailler au Détachement X à compter du 17 décembre 2015. On lui a alors signifié des avis de mutation temporaire et d’enquête pour contravention au code de déontologie. La gend. C vivait à X et s’est plainte après avoir vu le membre visé sortir d’un café un matin. L’administration avait tout simplement négligé de tenir compte du lieu de résidence de la gend. C, et le membre visé a donc été temporairement muté au Détachement d’Oceanside, à compter du 23 février 2016. Le membre visé a continué de remplir des fonctions opérationnelles aux Services généraux en uniforme au Détachement d’Oceanside jusqu’à sa suspension avec solde, le 26 mai 2016, date du dépôt d’une accusation criminelle pour agression sexuelle sur la personne de la gend. C.

En vacances en Ontario, le membre visé a utilisé le service d’aiguillage 1-800 de la Gendarmerie et avec sa conjointe, il a rencontré un thérapeute, J.C., le 16 janvier 2016, à Nanaïmo, pour parler de stress et de tout ce qui se passait. Il l’a rencontré de nouveau le 24 février 2016, et il a trouvé utile de pouvoir parler avec quelqu’un d’autre que sa conjointe. Je comprends qu’on a cherché à obtenir du thérapeute des documents cliniques à propos de ces deux rencontres, mais qu’étant donné la nature du système d’aiguillage et de counselling, aucun document n’a été produit. Cette situation n’a jamais été mentionnée par la RM lors d’une conférence préparatoire; il n’y a donc pas eu d’ordonnance de communication de la part du comité de déontologie à cet égard.

Éléments à considérer lors du choix de mesures disciplinaires

On trouve au paragraphe 24(2) des CC (déontologie) : « Le comité impose des mesures disciplinaires proportionnées à la nature et aux circonstances de la contravention au code de déontologie. » L’article 11.15 du chapitre XII.1 du Manuel d’administration de la GRC stipule ceci :

L’existence de circonstances aggravantes ou atténuantes doit être prise en considération lors du choix des mesures disciplinaires à imposer au membre visé relativement à la contravention au code de déontologie. Voir l’ann. XII- 1-20.

L’annexe présente une liste assez complète des facteurs et circonstances qui pourraient être aggravants ou atténuants.

Facteurs aggravants

Le RAD a soumis plusieurs facteurs aggravants à l’examen du comité de déontologie; ceux qui suivent ont été retenus :

- La nature grave des allégations, à savoir des attouchements sexuels non désirés et, dans le cas de la gend. C, même si cela a été très bref, le membre visé a avoué avoir touché le mamelon de la gend. C par-dessus ses vêtements sans son consentement. Bien que le ministère public appuie le renvoi de l’affaire à un programme de mesures de rechange, l’inconduite décrite à l’allégation 4 est assez grave pour avoir mérité à l’origine une accusation criminelle. De plus, le geste vulgaire que le membre visé a fait suivre de propos encore plus vulgaires et dérangeants à l’endroit de la gend. C ont tous les deux atteint la gend. C dans son intégrité physique.

- À l’égard de la gend. C, le membre visé a posé les gestes décrits dans l’allégation 4 même après que la gend. C se fût objectée plus tôt à son geste et à ses propos qui constituent l’allégation 3 par un « non » et par la fin immédiate de ses échanges avec lui. J’accepte que dans ce sens particulier, il y avait donc un élément d’insistance.

- Bien qu’il ne s’agisse pas de harcèlement en milieu de travail comme tel, il reste que les gestes et les propos du membre visé décrits dans l’allégation 3 et l’inconduite décrite dans l’allégation 4 visaient une collègue de travail, même si le membre visé et la gend. C n’ont jamais travaillé ensemble, ni interagi autrement en milieu de travail.

- La gend. C a subi des séquelles personnelles et professionnelles de l’inconduite du membre visé, qui ont pu exacerbé des difficultés qu’elle éprouvait déjà. Soulignons que, nonobstant la teneur des deux déclarations de victime reçues de la gend. C, elle indiquait, le 11 janvier 2016, se satisfaire de procédures strictement internes. Précisons aussi qu’une bonne partie du second document produit par la gend. C (daté du 10 mai 2017, pièce CAR-2) ne traite pas des effets de l’inconduite du membre visé, mais d’autres situations administratives fâcheuses qu’elle avait subies ou qu’elle continuait de subir.

- Le membre visé était un membre chevronné qui a eu un comportement déshonorant dans un contexte strictement social, en-dehors des heures de travail, quoiqu’en présence d’autres membres. Je ne considère pas qu’il s’agisse d’un abus de confiance.

- Il n’y a pas eu une unique inconduite isolée, mais quatre incidents.

- En ce qui a trait surtout à l’allégation 2, l’objet de l’attouchement non sollicité du membre visé était quelque peu vulnérable, puisque la gend. A se sentait mal lorsque les mains du membre visé se sont posées sur son ventre et ont glissé jusqu’à son pubis. Je ne considère pas que le membre visé ait ciblé ni la gend. A ni la gend. C parce que leur consommation d’alcool les avait rendues vulnérables, mais leur degré d’ébriété aurait pu vicier leur consentement, si un consentement avait été exprimé.

- Si le RAD admet que les contraventions établies à l’encontre du membre visé ne nuisent pas à sa capacité de témoigner en qualité d’enquêteur (ce qui pourrait être un enjeu étant donné la décision McNeil), son dossier disciplinaire pourrait imposer un fardeau administratif insoutenable à la Gendarmerie. Je n’adhère pas à la notion que les contraventions établies empêcheront le membre visé de s’acquitter de toutes les formes d’enquête que peut avoir à mener un enquêteur aux Services généraux.

- La Gendarmerie a subi le contrecoup de la couverture médiatique après la publication d’un communiqué de presse faisant état de la suspension du membre visé et de l’enquête en cours.

Facteurs atténuants

Le RAD a reconnu comme facteur atténuant l’acceptation de sa responsabilité par le membre visé, qui aurait pu être absolue s’il avait fourni aux enquêteurs une déclaration immédiate, et si la RM n’avait pas contesté des aspects particuliers des énoncés détaillés dans ses argumentations écrites, etc. Je souligne que le souvenir limité que le membre visé garde de ses gestes et propos déshonorants à la fête, et je le crois sincère à cet égard, aurait enlevé de la valeur à toute déclaration qu’il aurait faite aux enquêteurs.

La RM a soumis plusieurs facteurs atténuants à l’examen du comité de déontologie; ceux qui suivent ont été retenus.

La responsabilité pleinement assumée par le membre visé qui a reconnu que ses gestes étaient déplacés :

- son admission de toutes les allégations dans sa réplique initiale conforme aux CC (déontologie);

- son appui à l’interdiction de publication visant à protéger l’identité non seulement de la gend. C mais aussi de la gend. A;

- le rappel constant par son avocat de la défense que le membre visé était prêt à assumer sa responsabilité en participant au programme des mesures de rechange relativement à l’accusation criminelle déposée le 26 mai 2016 à l’égard de la gend. C;

- ses aveux dans le processus disciplinaire et l’acceptation d’un arbitrage fondé uniquement sur le dossier de preuve, afin d’éviter le gaspillage de ressources et les témoignages potentiels.

Les regrets et les excuses sincères du membre visé :

- les excuses personnelles faites pendant son témoignage;

- les excuses faites à la gend. A par l’entremise de sa conjointe au lendemain de la fête, alors qu’il lui restait à comprendre que son comportement n’était pas que l’affaire de quelqu’un qui ne sait pas boire;

- la lettre d’excuses qu’il a adressée à la gend. A en janvier 2016;

- la lettre d’excuses qu’il a rédigée à l’intention de la gend. C, bien que la lettre ne lui ait jamais été présentée, pour des raisons légitimes soulevées dans des discussions avec des officiers le 23 février 2016, et compte tenu de la délivrance d’une interdiction de communiquer le 26 mai 2016;

- son ouverture à participer au volet de réconciliation entre la victime et le délinquant prévu au programme des mesures de rechange;

- la honte et les remords profonds que montre le membre visé, que confirme la lettre rédigée par sa conjointe et présentée par la RM ainsi que les observations cliniques des témoins experts.

Les antécédents médicaux du membre visé :

- son trouble d’anxiété sociale qu’il traîne depuis l’enfance sans qu’il ait jamais été traité;

- l’alcoolisme que le membre visé soupçonne d’exister chez son père et chez son grand- père paternel;

- au moment de la fête, il aurait, selon les dires de l’expert psychiatrique indépendant, Dr O, dans son courriel et reconfirmé en contre-interrogatoire, souffert de troubles mentaux reconnus – anxiété sociale, trouble de l’adaptation et ébriété extrême – et de symptômes associés au stress post-traumatique dû à l’exposition à des événements stressants dans son travail;

- il aurait pu ne pas boire d’alcool à la fête, mais il a commencé à boire pour surmonter son anxiété sociale, et il a perdu le contrôle et s’est saoulé;

- sans avoir eu de diagnostic d’alcoolisme, le membre visé est néanmoins abstinent depuis janvier 2017, et depuis février 2017, il assiste régulièrement aux réunions des Alcooliques anonymes;

- selon le psychologue traitant du membre visé, Dr W, la consommation d’alcool du membre visé à la fête a servi à atténuer ses symptômes de stress post-traumatique – c’est ce qu’a diagnostiqué et traité le Dr W plutôt qu’un trouble de l’adaptation;

- le régime fédéral d’indemnisation des invalidités administré par Anciens Combattants Canada a reconnu que le membre visé souffre de stress post-traumatique.

L’ouverture du membre visé à suivre un traitement en santé mentale :

· sa démarche en décembre 2015 pour trouver un thérapeute par l’entremise du programme d’aiguillage de la GRC et sa participation régulière et volontaire à une psychothérapie auprès du Dr W depuis juin 2016 (et depuis la retraite du Dr W, à une thérapie cognitivo-comportementale auprès de son successeur désigné); par ailleurs, de sa propre initiative, il assiste aux rencontres des Alcooliques anonymes depuis février 2017. Le membre visé avoue avoir bu à l’excès en moyenne une fois ou deux par année depuis son entrée au service de la GRC, notamment lors d’une récente visite de son frère avec lequel il est sorti et a bu au point de ne garder aucun souvenir de la soirée. Avant le 28 novembre 2015, il n’y avait eu aucun épisode où le membre visé avait bu au point de se comporter d’une manière qui puisse constituer une inconduite. Ni l’une ni l’autre des parties ne l’a soulevé pendant la phase de l’audience relative aux mesures disciplinaires, mais je ne considère pas que l’information présentée dans la déclaration non caviardée de la gend. B concernant des textos qu’elle avait reçus de la gend. A établit une semblable inconduite sexuelle antérieure par le membre visé quand il est ivre. Je conclus que, quand il consommait de l’alcool, le membre visé devenait plus extraverti et plus dégourdi. Après tout, la gend. B a entendu le membre visé et la gend. A parler de sexe avant qu’il ne touche le sein de la gend. A. Mais la preuve ne permet pas d’établir que le membre visé aurait dû savoir qu’une consommation abusive d’alcool l’amènerait à un tel degré de désinhibition qu’il se livrerait à des attouchements sexuels non désirés ou qu’il aurait des gestes ou des propos franchement discourtois. Il n’avait pas d’antécédents d’inconduite sous l’effet de l’alcool. J’accepte qu’il a fallu au membre visé environ six mois après la fête pour commencer à consulter le Dr W afin de suivre une thérapie; mais de son témoignage, il ressort clairement que le membre visé n’a pris conscience de l’étendue de son inconduite qu’à la réception du dossier d’enquête. Ses premières démarches pour obtenir de l’aide et la description qu’il donnait de son comportement trahissaient nécessairement une connaissance insuffisante des événements. Le 28 novembre 2015, il savait que la fois où il s’était soulé avec son frère, il ne se rappelait pas de tout ce qu’il avait fait la veille. Le soir où il avait bu avec son frère, il avait tiré au poignet avec plusieurs adversaires, avec succès, mais pas avec l’adversaire dont le membre visé se rappelait le lendemain. Le fait de n’avoir gardé aucun souvenir de la soirée ne laissait pas entendre au membre visé que sa consommation excessive d’alcool pouvait l’amener à mal se conduire, juste à ne pas en garder de souvenirs.

L’évaluation clinique du membre visé par le Dr O indique un risque extrêmement faible et très improbable de récidive, et l’absence d’un trouble de personnalité ou d’une dysfonction sous- jacents. L’évaluation du Dr W indique qu’il présente un risque extrêmement faible, voire inexistant, de jamais reboire à l’excès ou de se comporter de manière semblable.

Bien que l’inconduite établie ait comporté quatre incidents distincts, tous se sont produits à une même occasion sociale alors que le membre visé était extrêmement ivre.

Le membre visé a reçu en soutien des lettres rédigées par d’autres membres, notamment des supérieurs immédiats, des s. offs supérieurs qui le connaissent bien, des collègues féminines avec lesquelles le membre visé a travaillé, et même la gend. A, qui s’est sentie obligée, à titre de membre, de confirmer les gestes du membre visé, mais qui n’a jamais formulé d’allégations internes ou criminelles contre lui, tant elle était convaincue que son état d’ébriété en était le facteur absolument fondamental.

Pour l’allégation 1, la gend. A n’a pas trouvé l’inconduite grave sur le coup; en fait, elle en a ri immédiatement avec le membre visé.

Le dossier du membre visé montre son rendement exemplaire dans ses fonctions de policier et sa réputation de leader tranquille, ce que confirment ses évaluations du rendement, les lettres d’appui pertinentes et les fiches de rendement (formulaire 1004). De plus, il a reçu une distinction d’un ministre provincial de la Justice pour le sauvetage courageux d’un plaisancier qui se noyait.

Tous ces éléments montrent à quel point le comportement du membre visé dans ces allégations sont complètement contre sa nature.

Le membre visé a continué de se consacrer à l’exécution de ses fonctions et de faire un travail exemplaire, malgré sa situation de membre sous enquête, après sa mutation administrative à une veille différente dans un détachement différent.

Observations du RAD

Le RAD a invoqué les affaires suivantes au soutien d’une ordonnance pour mettre un terme à l’emploi du membre visé :

[…]

Certaines des affaires présentées par le RAD ne sont pas utiles au premier plan pour déterminer la proportionnalité des mesures disciplinaires, traitant plutôt de questions soulevées par l’analyse de la discrimination en matière de droits de la personne (Janzen), ou de la rétention d’un employé aux prises avec une dépendance à l’alcool qui vole (Stewart). Le harcèlement sexuel en milieu de travail peut constituer de la discrimination fondée sur le sexe interdit par la Charte et la cessation d’emploi est envisageable, non pas pour la dépendance de l’employé, mais pour le non- respect des politiques. Dans une autre affaire, un arbitre a statué que les vols en milieu de travail d’une employée n’étaient pas compulsifs et qu’elle n’avait pas assumé l’entièreté de son inconduite, et donc que sa dépendance dont elle n’avait jamais parlé ne pouvait pas être retenue comme facteur atténuant (Cambridge Memorial Hospital). Le RAD a fait valoir que, puisque le membre visé avait eu la capacité initiale de limiter sa consommation d’alcool à la fête, il ne pouvait pas demander qu’on considère son « incapacité » comme un facteur atténuant. Le RAD a fait valoir que quels qu’aient été les problèmes de santé du membre visé au début de la fête, il avait l’obligation de les faire traiter, et que la Gendarmerie offrait des moyens pour obtenir des traitements.

Le RAD prétend que le membre visé n’a pas réussi à établir que « n’eut été » son état psychologique à la fête, il n’aurait pas commis d’inconduite (Pizarro, gend. [F.V.]); par conséquent, un important facteur atténuant lui fait défaut. De plus, le RAD a fait valoir qu’il faudrait tenir compte d’une affaire dans laquelle l’arbitre avait rejeté la réintégration, parce qu’il n’était pas convaincu que le plaignant volait à répétition par compulsion et que la cause clinique du vol était un épisode d’anxiété et un trouble de dépression majeur (Cadbury Adams). Le RAD avance que notre comité de déontologie devrait en arriver à la même décision que celle rendue dans l’affaire du gend. [F.V.], dans laquelle il a été décidé que l’état psychologique du membre, à deux occasions distinctes, n’était pas en cause dans le manque de jugement qui l’a amené à faire une fausse déclaration à un autre membre et à produire un faux rapport sous serment.

Le RAD fait valoir qu’en dépit de l’existence de plusieurs facteurs atténuants, un comité d’arbitrage de la GRC avait imposé la cessation de l’emploi dans un cas extrême, malgré un rendement fort soutenu, l’appui de collègues et l’auto-dénonciation de l’inconduite par le membre. Cependant, il faut souligner que dans cette affaire, il y avait eu clairement abus de confiance : inconduite sexuelle pendant les heures de travail avec une personne aux capacités affaiblies dans un secteur isolé, utilisation d’un véhicule de police, menace à la personne aux capacités affaiblies si elle dénonçait l’inconduite et utilisation d’une fausse identité (gend. [GBC]). D’autre part, il ne semble pas y avoir dans l’affaire du gend. [GBC] un trouble psychologique reconnu, mais seulement accumulation de stress.

Essentiellement, le RAD fait valoir que le principe de la parité des peines ne doit être appliqué qu’en fonction de la décision rendue par la Cour fédérale dans l’affaire Rendell, qui confirme que, bien que pertinente, la parité ne doit pas être appliquée de manière à porter atteinte au pouvoir discrétionnaire. Le RAD fait valoir que bon nombre des dossiers soumis par la RM ne traitent pas adéquatement de la victime de l’inconduite, renvoyaient à des propositions conjointes autres que le renvoi qui méritaient la déférence et donc leur acceptation par le comité d’arbitrage, et qu’ils ne reflétaient pas une dissuasion suffisante à l’égard du harcèlement en milieu de travail. Pour sa part, le RAD s’est fondé sur l’affaire Rendell pour proposer que, puisque l’inconduite du membre visé était de nature sexuelle, ce type d’inconduite appelait l’envoi d’un message particulièrement dissuasif, et donc qu’il y avait lieu d’ordonner au membre visé de démissionner.

Le RAD renvoie au Guide des mesures disciplinaires de la GRC (novembre 2014), précisant que le Guide donne un éventail de 2 à 10 jours de confiscation de la solde pour un comportement discourtois contraire à l’article 2.1 du code de déontologie, et qu’étant donné la nature sexuelle et le degré de violence du geste et des propos du membre visé, son inconduite justifiait une mesure disciplinaire allant de 20 jours de confiscation jusqu’au renvoi.

Pour ce qui est des contraventions à l’article 7.1 du code de déontologie, le RAD s’en remet au Guide, où il est dit que dans le cas d’une inconduite qui comporte une agression sexuelle, le renvoi est de mise. Afin de maintenir la confiance du public et de renforcer les normes élevées de la Gendarmerie, aucune mesure inférieure au renvoi ne serait justifiée.

Observations de la RM

La RM a présenté les affaires suivantes au soutien de son argumentation, mettant en lumière plusieurs mesures disciplinaires autres que le renvoi, comprenant la confiscation de la solde, pour régler des contraventions à titre individuel ou collectif :

[…]

En se fondant principalement sur les pouvoirs des RM, la RM a proposé la confiscation de la solde pour les périodes suivantes à titre de mesures disciplinaires à imposer :

- Allégation 1 : 10 jours

- Allégation 2 : 4 à 7 jours

- Allégation 3 : 1 à 3 jours

- Allégation 4 : 10 jours

En réponse aux questions du comité de déontologie, la RM a confirmé que le membre visé serait ouvert à une mutation et que l’ordre de poursuivre une thérapie auprès d’un professionnel de la santé ou de suivre un programme de réadaptation serait raisonnable.

La RM s’est objectée à l’utilisation du Guide de mesures disciplinaires de la GRC (novembre 2014) par le RAD, faisant valoir ces arguments : il n’a pas été déposé en preuve; ses auteurs sont inconnus; rien n’indique si des modifications ont pu y être apportées depuis son entrée en vigueur; il s’agit d’un guide qui ne lie pas le comité de déontologie. D’ailleurs, le Guide laisse entendre que pour certains types d’inconduite, le renvoi est automatique, or ce principe est contraire à la jurisprudence à la GRC.

Citant le commentaire inclus dans la décision gend. [F.V.], la RM fait valoir que bien qu’un comité de déontologie ne soit pas lié par les décisions d’autres comités, les décisions antérieures aident à déterminer l’éventail des peines applicables. Le principe de la parité sert à atteindre l’équité en faisant en sorte que des formes semblables d’inconduite soient traitées de la même manière. Aussi la RM fait valoir qu’une affaire qui sous l’ancien régime aurait mérité une peine autre qu’un renvoi ne devient pas un cas de renvoi simplement parce qu’il existe des pénalités financières plus lourdes sous le nouveau régime. Pour conclure son argumentaire sur la parité des peines, la RM précise avoir présenté des décisions rendues par des comités d’arbitrage en vertu de l’ancien régime après l’entrée en vigueur du nouveau régime, le 28 novembre 2014.

Analyse

L’éventail des peines pour des affaires mettant en cause des attouchements sexuels déplacés en-dehors des heures de travail, selon les décisions rendues par d’anciens comités d’arbitrage de la GRC (limités de par la loi à la confiscation de la solde pour une période de 10 jours), vont de périodes de confiscation moyennes à longues. L’éventail des peines pour des propos déplacés et vulgaires en-dehors des heures de travail vont de périodes de confiscation courtes à moyennes (le Guide sur les mesures disciplinaires de la GRC (novembre 2014) donne des exemples de situations qui justifient des mesures graves sans aller jusqu’à la cessation d’emploi).

Il ressort de la jurisprudence de la GRC présentée par les parties que le genre d’inconduite sexuelle établie à l’encontre du membre visé en contravention de l’article 7.1 du code de déontologie a souvent amené les comités d’arbitrage de la GRC à imposer des peines qui n’allaient pas jusqu’à l’ordre de démissionner ou au renvoi, mais que l’éventail des peines a pu inclure la cessation d’emploi lorsque, par exemple, il existait une dimension de violence, une condamnation criminelle ou des antécédents disciplinaires. Le Guide des mesures disciplinaires prévoit un éventail qui inclut la cessation d’emploi.

Comme je l’ai dit quand j’ai rejeté la requête de la RM pour une ordonnance de communication relativement à un « rapport de décision », dans l’affaire Gill c. Canada (A.G.), 2007 CAF 305, au paragraphe 14, la Cour d’appel fédérale a confirmé que « les conclusions de conduite scandaleuse et celles ayant trait aux sanctions à imposer sont principalement de nature factuelle et discrétionnaire. » Par conséquent, pour déterminer les mesures disciplinaires qui conviennent, j’ai nécessairement dû évaluer le dossier, établir les facteurs aggravants et les facteurs atténuants, examiné la jurisprudence disciplinaire émanant de décisions de comités d’arbitrage de la GRC et d’autres affaires, consulter les commentaires pertinents dans le Guide des mesures disciplinaires, et tenir compte de la nature et des circonstances des contraventions, y compris les aspects pertinents de l’état psychologique du membre visé.

L’un des arguments fondamentaux du RAD est que le membre visé n’avait ni compulsion, ni dépendance physique qui l’a amené à boire de l’alcool et qu’il n’y a pas eu démonstration de cause à effet entre son trouble d’anxiété sociale et sa consommation excessive d’alcool, ni entre son trouble et l’inconduite commise alors qu’il était très ivre. Je ne crois pas comme lui que nous sommes ici en présence d’un membre qui cherche à éviter de subir de graves conséquences professionnelles en invoquant au mieux la négligence et l’imprudence pour expliquer son inconduite.

Le témoignage du membre visé et le témoignage d’expert des Drs W et O établissent selon la prépondérance des probabilités que le trouble d’anxiété sociale non traité du membre visé (combiné soit à un stress post-traumatique, soit aux effets permanents d’un trouble de l’adaptation) a contribué directement et considérablement à sa consommation abusive d’alcool à la fête. Ayant examiné les observations faites sur le degré d’ébriété du membre visé dans le dossier d’enquête, je conclus qu’il existait un degré extrême d’ébriété. Il devait exister un tel degré extrême d’ébriété pour qu’un homme habituellement sensé et courtois non seulement échappe sa bière dans l’escalier pour se rendre au sous-sol, mais qu’il ne se sente pas l’obligation de ramasser son dégât.

Je conclus aussi que, bien que la Gendarmerie ait un intérêt légitime à imposer au membre visé des mesures disciplinaires pour sa conduite éminemment inappropriée, le degré extrême d’ébriété du membre visé l’a amené à un tel niveau de désinhibition qu’il en est venu à poser ces gestes grossiers, offensants et agressants. Ces gestes d’inconduite étaient tout à fait contraire [sic] à sa bonne réputation au travail et à la ville. Les lettres de référence produites par la RM, notamment par plusieurs membres féminines de la GRC parmi lesquelles la gend. A, a clairement brossé le caractère hors nature de l’inconduite du membre visé. J’estime que les membres qui ont fortement soutenu la rétention du membre visé et qui ont exprimé n’avoir aucune réserve à retravailler avec lui l’ont fait en sachant l’inconduite qui lui était reprochée. De sorte que ce soutien de la part de membres qui eux-mêmes comptent sur le fort soutien du public envers la Gendarmerie, ne peut que constituer un facteur atténuant non négligeable.

Les deux experts appelés à se prononcer par la RM ne s’entendent pas sur un diagnostic soit de stress post-traumatique, soit de trouble de l’adaptation chez le membre au moment de son inconduite. Ayant entendu le témoignage du membre visé, dans lequel il a parlé du stress qu’il avait vécu en raison de l’enquête sur l’utilisation d’une force excessive plus tôt en novembre 2015 qui a finalement été trouvée non fondée, j’estime que la consommation excessive d’alcool par le membre visé ne reposait pas que sur son trouble d’anxiété sociale, mais aussi sur le degré de stress qu’il ressentait, notamment en lien avec des images récurrentes de lieux de crime. Je crois que ce niveau de stress, qu’il ait ou non été le symptôme d’un trouble qui pourrait entraîner un diagnostic de stress post-traumatique ou de trouble de l’adaptation, a aussi joué pour beaucoup dans la consommation abusive d’alcool par le membre visé. Bien que le membre visé, à un certain point, ait encore eu la capacité d’arrêter de boire de l’alcool, j’estime que sa descente jusqu’à l’ébriété extrême avait clairement un lien avec son état psychologique à l’époque.

Je ne suis pas persuadé que, pour que son état psychologique au début de la fête constitue un facteur atténuant légitime, il aurait fallu que le membre visé ait déjà cherché à obtenir un traitement psychologique. Je ne crois pas non plus qu’il lui soit interdit d’invoquer ce facteur atténuant parce qu’il a avoué quelques épisodes antérieurs de beuverie et des trous de mémoire très rares après avoir bu à l’excès. Ces expériences antérieures, en fait, ne laissaient pas entrevoir que le membre visé agirait de manière inappropriée une fois ivre. On ne saurait non plus le priver de ce facteur atténuant en retenant contre lui son expérience de travail auprès de clients ivres, ses études universitaires en psychologie et sa formation d’utilisateur de Datamaster pour mener des enquêtes sur la conduite avec les capacités affaiblies.

Conclusion

Je comprends que, ce soir-là, la personne qui a commis ces gestes d’inconduite grave n’était pas la personne qu’est habituellement le membre visé. Cependant, à moins de n’avoir aucune conscience de leurs gestes, les membres doivent en assumer la responsabilité. Et bien que j’aie relevé plusieurs facteurs atténuants et leur aie accordé beaucoup de poids, je dois réaffirmer au membre visé à quel point son comportement a été inacceptable ce soir-là.

[…]

En l’occurrence, sans nier la gravité de l’inconduite, je ne crois pas que d’imposer au membre visé une mesure disciplinaire qui lui ferait perdre son emploi serait proportionné. Toutefois, je ne veux laisser l’impression ni au membre visé, ni aux membres de la Gendarmerie en général que ce type de comportement échappera régulièrement aux mesures disciplinaires les plus lourdes à notre disposition. Ce sera le cas notamment si, pour quelque raison que ce soit, ce type d’inconduite se répétait. Si des membres ont parfois eu droit à une deuxième et même à une troisième chance en la matière, il en ira dorénavant tout autrement dans la GRC de 2017.

Étant donné ce qui précède, j’impose ici au membre visé les mesures disciplinaires que voici :

- Pour l’ensemble des contraventions constituant l’inconduite, j’impose un avertissement officiel que constitue la présente décision écrite;

- Pour l’ensemble de l’inconduite, j’impose une ordonnance de mutation ou de réaffectation, à la discrétion de l’autorité disciplinaire;

- Pour l’ensemble de l’inconduite, j’ordonne au membre visé de suivre le traitement choisi par le médecin-chef de la Division E; entretemps, j’ordonne au membre visé de poursuivre la psychothérapie qu’il peut obtenir du successeur clinique du Dr W, qui a pris sa retraite;

- Relativement à l’allégation 1, j’impose la confiscation de la solde pour une période de 10 jours (80 heures);

- Relativement à l’allégation 2, j’impose la confiscation de la solde pour une période de 10 jours (80 heures);

- Relativement à l’allégation 3, j’impose la confiscation de la solde pour une période de 5 jours (40 heures);

- Relativement à l’allégation 4, j’impose la confiscation de la solde pour une période de 20 jours (160 heures).

[…]

Comme je l’ai expliqué plus haut, j’estime que la cessation d’emploi du membre visé ne constituerait pas une mesure proportionnelle à la nature et aux circonstances des contraventions. J’ai soigneusement tenu compte de la suggestion faite à la p. 7 du Guide, à savoir que si la confiscation de la solde pour une période de 45 jours n’est pas suffisante, alors le renvoi n’est pas trop sévère. En l’occurrence, la cessation d’emploi serait trop sévère, mais puisqu’il faut assurer une forte dissuasion générale et maintenir la confiance du public en la Gendarmerie, il n’est pas déraisonnable que la perte financière du membre visé atteigne 45 jours.

PROCÉDURE D’APPEL

[8] Le 21 novembre 2017, l’appelante a déposé une déclaration d’appel, faisant valoir que la décision du comité avait été rendue d’une façon qui contrevenait aux principes d’équité procédurale, était entachée d’une erreur de droit et était manifestement déraisonnable. L’appelante demande qu’il soit ordonné à l’intimé de démissionner dans un délai de 14 jours, sans quoi il serait congédié (appel, p. 5-6).

Observations en appel de l’appelante

[9] Le 5 mars 2018, l’appelante a déposé ses observations en appel. Elle soutient que le comité a commis une erreur de droit dans l’application du critère relatif au harcèlement sexuel énoncé dans Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 RCS 1252 (Janzen). Elle fait valoir que le comité a conclu à tort qu’il n’y avait pas eu de harcèlement en milieu de travail relativement à la troisième allégation. L’appelante explique que, bien qu’ils ne se soient pas produits sur le lieu de travail, les gestes de l’intimé ont nui au milieu de travail de la victime. Par conséquent, l’appelante soutient que les mesures disciplinaires qu’a imposées le comité étaient déraisonnables et que, compte tenu de l’ensemble des circonstances, il y a lieu d’ordonner à l’intimé de démissionner dans un délai de 14 jours, sans quoi il serait congédié (appel, p. 112-114).

[10] L’appelante fait valoir les arguments suivants à l’appui de sa thèse selon laquelle les mesures disciplinaires qu’a imposées le comité étaient manifestement déraisonnables (appel, p. 114-117) :

  • le comité a commis une erreur dans son appréciation de la preuve;
  • le comité a commis une erreur en ne considérant pas les allégations prises dans leur ensemble comme du harcèlement sexuel en milieu de travail;
  • le comité a commis une erreur en n’accordant pas suffisamment d’importance et de poids aux déclarations de la gend. C;
  • le comité a commis une erreur en ne tenant pas compte de la confiance des membres de la GRC;
  • le comité a commis une erreur en ne concluant pas que le congédiement constituait la mesure disciplinaire appropriée dans les circonstances.

Observations en appel de l’intimé

[11] Le 11 avril 2018, l’intimé a déposé ses observations écrites. L’intimé fait valoir que l’appelante ne précise pas le critère relatif au harcèlement sexuel pas plus qu’elle n’explique en quoi le comité a commis une erreur dans l’application de ce critère (appel, p. 139-141). Il soutient qu’il faut faire preuve de retenue à l’égard de la conclusion et de la décision du comité en ce qui a trait à la troisième allégation.

[12] En réponse aux observations de l’appelante concernant le caractère manifestement déraisonnable des mesures imposées par le comité, l’intimé fait valoir les arguments suivants (appel, p. 142-145) :

  • le comité n’a pas commis d’erreur dans son appréciation de la preuve et a imposé des mesures disciplinaires qu’il était autorisé à imposer en vertu du Règlement de la GRC;
  • le comité n’a pas commis d’erreur en ne considérant pas les éléments des allégations comme des facteurs aggravants dans l’imposition de mesures disciplinaires. Les facteurs aggravants doivent aller au-delà des éléments essentiels de l’allégation elle-même;
  • le comité a dûment pris en compte tous les éléments de preuve pertinents, y compris les déclarations de la victime produites par la gend. C, en imposant les mesures disciplinaires;
  • rien n’indiquait que l’intimé ou les gestes de celui-ci avaient eu une incidence sur la confiance des membres de la GRC [TRADUCTION] « au sens général »;
  • la décision du comité quant aux mesures disciplinaires appartenait aux issues possibles et le comité a exposé des motifs détaillés à l’égard des sanctions imposées.

[13] Par conséquent, l’intimé demande que l’appel soit rejeté.

Observations en réplique de l’appelante

[14] Le 26 avril 2018, l’appelante a déposé sa réplique aux observations de l’intimé. Elle précise le critère relatif au harcèlement sexuel en milieu de travail énoncé dans Janzen et ajoute que, même s’il a examiné la définition de harcèlement énoncée dans le code, le comité aurait dû conclure qu’il y avait eu harcèlement sexuel en milieu de travail. L’appelante fait valoir que l’omission de conclure qu’il y avait eu harcèlement sexuel en milieu de travail a fait en sorte que les déclarations de la victime de la gend. C n’ont pas été examinées sous le bon angle. Elle soutient que les mesures disciplinaires qu’a imposées le comité étaient manifestement déraisonnables et que celui-ci aurait dû tenir compte de toutes les allégations de l’intimé prises dans leur ensemble et de l’abus de la confiance des membres de la GRC qu’a entraîné la conduite de l’intimé, et qu’il aurait dû évaluer les conséquences sur les victimes au moment de décider de la sanction à imposer (appel, p. 214-216).

[15] J’exposerai dans le détail la position en appel de chacune des parties à mesure que j’aborderai les questions ci-dessous.

COMITÉ EXTERNE D’EXAMEN

[16] Le CEE n’a relevé aucune question se rapportant au dépôt en temps opportun de l’appel ou des observations (rapport, par. 37).

[17] Quant au fond, le CEE a conclu que le comité avait commis une erreur de droit dans sa conclusion relative à la conduite de l’intimé décrite à la troisième allégation. Le CEE a expliqué qu’il existait un lien suffisant entre l’inconduite de l’intimé et le contexte d’emploi parce qu’il s’agissait d’une fête de Noël de veille de la GRC et que l’incident avait nui à l’environnement de travail de la gend. C. Selon le CEE, la conduite de l’intimé [TRADUCTION] « dépassait le simple comportement discourtois » et constituait du harcèlement sexuel en milieu de travail (rapport, par. 61-70).

[18] Le CEE a également statué qu’en ne concluant pas au harcèlement sexuel en milieu de travail relativement à la troisième allégation, le comité n’a pas examiné les mesures disciplinaires appropriées. Le CEE a indiqué que, selon le Guide des mesures disciplinaires de la GRC (novembre 2014) (le Guide), la mesure disciplinaire appropriée allait de 20 jours de confiscation de la solde au congédiement. En recommandant la mesure disciplinaire appropriée, le CEE a souligné l’importance de prendre en considération les facteurs aggravants et atténuants. Compte tenu des nombreux facteurs atténuants jouant en faveur de l’intimé, le CEE n’était pas convaincu que le congédiement constituait la sanction appropriée. Le CEE a plutôt proposé que l’intimé perde 20 jours de solde, au lieu de 5 jours, relativement à la troisième allégation. Le CEE n’a pas contesté les mesures disciplinaires imposées par le comité quant aux première, deuxième et quatrième allégations (rapport, par. 91-107).

DÉCISION DE LA COMMISSAIRE

Questions préliminaires

Le dépôt en temps opportun

[19] Selon l’article 22 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289 (CC (griefs et appels)), l’appel devant le commissaire « est fait dans les quatorze jours suivant la date de la signification au membre en cause d’une copie de la décision visée par l’appel par le dépôt auprès du BCGA d’une déclaration d’appel ». Le dossier indique que la décision écrite du comité a été signifiée à l’appelante le 10 novembre 2017 (documentation, p. 3703; appel, p. 5). L’appelante a ensuite déposé l’appel le 21 novembre 2017 (appel, p. 3). Je suis convaincue que l’appel de l’appelante a été déposé en temps opportun.

Le cadre législatif et la norme de contrôle

[20] Le présent appel est régi par la partie IV de la Loi. Le paragraphe 45.11(1) prévoit ce qui suit :

Tout membre dont la conduite fait l’objet d’une décision du comité de déontologie ou l’autorité disciplinaire qui a convoqué l’audience relative à cette décision peut, dans les délais prévus aux règles, faire appel de la décision devant le commissaire :

a) soit en ce qui concerne la conclusion selon laquelle est établie ou non, selon le cas, une contravention alléguée à une disposition du code de déontologie;

b) soit en ce qui concerne toute mesure disciplinaire imposée après la conclusion visée à l’alinéa a).

[21] Les CC (griefs et appels) énoncent les facteurs à prendre en considération lorsqu’il s’agit de rendre une décision :

33 (1) Lorsqu’il rend une décision sur la disposition d’un appel, le commissaire évalue si la décision qui fait l’objet de l’appel contrevient aux principes d’équité procédurale, est entachée d’une erreur de droit ou est manifestement déraisonnable.

[22] En appel, l’appelante soulève la question de savoir si le comité a commis une erreur de droit dans ses conclusions relatives à la troisième allégation et si les mesures disciplinaires imposées étaient manifestement déraisonnables. Bien que l’appelante indique dans la déclaration d’appel que la décision du comité a été rendue d’une façon qui contrevenait aux principes d’équité procédurale, elle n’a pas fourni d’autres éléments à l’appui de cet argument (appel, p. 5). Par conséquent, je ne m’attarderai pas davantage sur cette question.

[23] L’erreur de droit est généralement décrite comme l’application d’une exigence juridique incorrecte ou le défaut de tenir compte d’un élément essentiel d’un critère juridique, et elle est assujettie à la norme de la décision correcte (voir, par exemple, Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, par. 36 (Housen)). Autrement dit, [TRADUCTION] « [l]a question qui vise à déterminer l’interprétation qu’il convient de donner à une exigence juridique [ou une disposition législative] plutôt que la manière dont l’exigence s’applique aux faits particuliers de l’affaire constitue une question de droit » (Robert Macaulay et James Sprague, Practice and Procedure before Administrative Tribunals, feuilles mobiles (Toronto : Thompson Reuters, 2017), vol. 3, à 28-336,n. 236). Si un critère juridique incorrect a été appliqué, l’organe d’appel ne doit faire preuve d’aucune déférence envers le décideur initial (voir Dunsmuir c. Nouveau-Burnswick, 2008 CSC 9, par. 34).

[24] L’expression « manifestement déraisonnable » décrit la norme à appliquer dans l’examen des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit. Dans Kalkat c. Canada (Procureur général), 2017 CF 794, la Cour fédérale a examiné l’expression « manifestement déraisonnable » figurant au paragraphe 33(1) des CC (griefs et appels) :

[62] Par conséquent, étant donné qu’il est expressément indiqué que la décision doit être « clearly unreasonable » et prenant en compte la traduction en français de l’expression (manifestement déraisonnable), je conclus que le délégataire n’a commis aucune erreur. Il est raisonnable d’interpréter la norme de la décision « clearly unreasonable » comme si elle équivalait à la norme de la décision « manifestement déraisonnable » dans le contexte du régime législatif et sur celui des principes. Il s’ensuit que le délégataire doit faire preuve de retenue à l’égard d’une conclusion par l’autorité disciplinaire lorsqu’il estime simplement que la preuve est insuffisante pour étayer la conclusion (Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Appeal Tribunal) c Fraser Health Authority, 2016 CSC 25).

[25] Dans Smith c. Canada (Procureur général), 2019 CF 770, une conclusion similaire a été étudiée et adoptée :

[38] L’arbitre a effectué une analyse approfondie pour en arriver à la conclusion que la norme de la décision manifestement déraisonnable s’appliquait à la décision de l’autorité disciplinaire. Dans son analyse, l’arbitre a examiné la jurisprudence applicable, le sens du terme « manifestement », ainsi que le libellé en français du paragraphe 33(1). La conclusion de l’arbitre selon laquelle la norme de contrôle applicable était celle de la décision manifestement déraisonnable est justifiable, transparente et intelligible. La Cour est d’accord qu’il s’agissait là d’une conclusion raisonnable.

[26] Dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc, [1997] 1 RCS 748, au paragraphe 57, la Cour suprême du Canada (la Cour) a expliqué que la décision est manifestement déraisonnable si le « défaut est manifeste au vu des motifs du tribunal », c’est-à-dire si « on ne peut contester [et qu’il] est tout à fait [évident] » qu’elle est erronée. La Cour a subséquemment affirmé, dans Barreau du Nouveau-Brunswick c Ryan, 2003 CSC 20, au paragraphe 52, que la décision manifestement déraisonnable est une décision qui est « clairement irrationnelle », « de toute évidence non conforme à la raison » ou « à ce point viciée qu’aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir ».

[27] Dans R c. Lacasse, 2015 CSC 64, la Cour a exposé en détail la déférence dont il faut faire preuve en matière de contrôle de sanctions (par. 43-44) :

Je reconnais que la présence d’une erreur de principe, l’omission de tenir compte d’un facteur pertinent ou encore la considération erronée d’un facteur aggravant ou atténuant peut justifier l’intervention d’une cour d’appel, et lui permettre d’évaluer la justesse de la peine et d’y substituer la peine qu’elle estime appropriée. Cependant, je suis d’avis que ce ne sont pas toutes les erreurs de ce genre, quel que soit leur impact sur le raisonnement du premier juge, qui autorisent une cour d’appel à intervenir. L’application d’une règle aussi stricte risquerait de miner la discrétion accordée au juge de première instance.

[…]

À mon avis, la présence d’une erreur de principe, l’omission de tenir compte d’un facteur pertinent ou encore la considération erronée d’un facteur aggravant ou atténuant ne justifiera l’intervention d’une cour d’appel que lorsqu’il appert du jugement de première instance qu’une telle erreur a eu une incidence sur la détermination de la peine.

[28] Par conséquent, les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit soulevées en l’espèce commandent une grande déférence, et seule la présence d’une erreur manifeste ou déterminante permettrait de conclure que la décision rendue par le comité est manifestement déraisonnable.

[29] La Cour s’est penchée de nouveau sur la norme de contrôle dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov), et a confirmé que les normes de contrôle établies par voie législative doivent être respectées (par. 34-35). Les juges majoritaires ont également établi une distinction entre l’approche à adopter à l’égard des appels prévus par la loi et l’approche appropriée pour le contrôle judiciaire des décisions administratives (par. 36-45).

Le fond de l’appel

a) Le comité a-t-il commis une erreur de droit en ne concluant pas que la conduite de l’intimé décrite à la troisième allégation constituait du harcèlement sexuel?

[30] L’appelante soutient que le comité a commis une erreur de droit en n’appliquant pas le bon critère en matière de harcèlement sexuel en milieu de travail. Plus précisément, l’appelante renvoie à la définition suivante (Janzen, p. 1284) :

[…] le harcèlement sexuel en milieu de travail peut se définir de façon générale comme étant une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d’emploi pour les victimes du harcèlement.

Elle mentionne également les éléments du harcèlement en milieu de travail exposés en détail dans le Rapport sur le harcèlement en milieu de travail à la GRC de la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes (Ottawa : avril 2017) (le rapport de la CCETP) (appel, p. 113) :

  1. la personne savait ou aurait dû savoir que ses propos ou ses comportements seraient mal reçus;

  2. il doit y avoir un lien direct avec le milieu de travail.

[31] Par conséquent, l’appelante soutient que le comité a commis une erreur de droit en ne concluant pas que la conduite de l’intimé décrite à la troisième allégation constituait du harcèlement sexuel en milieu de travail. Elle affirme que l’incident d’inconduite ne doit pas forcément se produire sur le lieu de travail pour constituer du harcèlement sexuel en milieu de travail et explique qu’il y avait un lien clair entre la fête et le milieu de travail puisque les membres qui assistaient à la fête avaient non seulement le même employeur, mais aussi le même milieu de travail (la veille D).

[32] L’appelante soutient également que le comité a qualifié à tort le degré auquel l’interaction a dérangé la gend. C « sur le coup » de facteur déterminant l’ayant amené à conclure au comportement discourtois de l’intimé. L’appelante s’appuie sur les déclarations de la victime de la gend. C pour établir l’effet défavorable qu’a eu l’incident sur le milieu de travail de celle-ci. Elle fait valoir que le comité n’a pas accordé assez d’importance aux répercussions du comportement de l’intimé sur la victime. Enfin, l’appelante soutient que la conduite de l’intimé à l’endroit de la gend. C ne constituait pas une unique interaction et que les troisième et quatrième allégations auraient dû être prises en compte globalement et mener à une conclusion de harcèlement sexuel (appel, p. 113-114).

[33] L’intimé soutient qu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit et non d’une erreur de droit et que, par conséquent, il faut faire preuve d’une grande retenue à l’égard de la décision du comité. Il précise qu’il ne cherche pas à obtenir une conclusion différente quant aux allégations, mais demande plutôt des mesures disciplinaires différentes de celles imposées (appel, p. 139).

[34] L’intimé soutient que le comité n’a pas commis d’erreur de droit dans sa conclusion relative à la troisième allégation puisque la gend. C n’a pas eu à faire face à des gestes sexuels importuns ou à des demandes sexuelles explicites sur le lieu de travail, et que la gend. C et lui n’ont jamais travaillé ensemble. Il explique que l’incident s’est produit à une fête et a été signalé à la direction de la GRC dans les deux jours suivants, et qu’il a été muté presque immédiatement. L’intimé soutient également que le comité n’est pas lié par le rapport de la CCETP et qu’il a rendu une décision en application de la Loi et du code, concluant à bon droit que ses gestes constituaient un comportement discourtois et irrespectueux. De plus, l’intimé souligne que l’appelante a eu l’occasion de demander au comité d’examiner les troisième et quatrième allégations ensemble, mais ne l’a pas fait, et qu’elle ne peut soulever la question en appel (appel, p. 139-142).

[35] En réplique, l’appelante souligne que, dans Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Forces armées), [1999] 3 CF 653, la Cour fédérale a confirmé le critère établi dans Janzen pour déterminer s’il y a eu harcèlement sexuel en milieu de travail. L’appelante fait observer que, peu importe si le comité avait appliqué le critère de common law en matière de harcèlement sexuel ou la définition de harcèlement énoncée dans le code, il aurait conclu qu’il y avait eu harcèlement sexuel en milieu de travail. Elle soutient également que la [TRADUCTION] « responsabilité [du comité] de bien appliquer la loi ne dépend pas des arguments des parties » et que l’arrêt de principe sur le harcèlement sexuel figurait dans le dossier à l’intention du comité, mais qu’il n’a pas été suivi (appel, p. 214-215).

[36] À l’instar du CEE, j’estime que les conclusions du comité se rapportant à la troisième allégation étaient viciées et constituaient une erreur de droit. La troisième allégation indiquait que l’intimé avait tenu des propos offensants et avait commis un acte de harcèlement, contrevenant ainsi à l’article 2.1 du code. Plus précisément, l’article 2.1 prévoit que « [l]a conduite des membres envers toute personne est empreinte de respect et de courtoisie; ils ne font pas preuve de discrimination ou de harcèlement ». Selon l’énoncé détaillé des faits concernant cette allégation, lors d’une fête de Noël organisée par les membres de la veille D du détachement, à une résidence privée, l’intimé s’est approché de la gend. C, a approché ses mains de son visage, la complimentant sur ses pommettes, a touché son visage après qu’elle l’eut laissé faire parce qu’elle n’y voyait rien de mal, puis a fait un geste avec les mains et les doigts en lui tenant des propos selon lesquels il voulait la « fister » et lui « rentrer [les doigts] au fond du vagin juste là » (documentation, p. 24).

[37] Le comité a estimé que l’énoncé détaillé des faits concernant la troisième allégation était suffisamment établi, selon la prépondérance des probabilités, pour permettre de conclure à une contravention à l’article 2.1 du code. Bien qu’il ait conclu que les gestes et les propos offensants de l’intimé décrits dans l’énoncé détaillé des faits étaient irrespectueux et discourtois, le comité n’était pas convaincu que ses gestes constituaient du harcèlement ou de la discrimination. Le comité a reconnu qu’une conduite déplacée ne devait pas forcément avoir lieu en milieu de travail ou durant les heures de travail pour constituer du harcèlement, mais a énuméré les facteurs qui l’ont amené à conclure que le comportement était « nettement discourtois et irrespectueux, mais [ne constituait pas du] harcèlement » (décision, par. 45-46) :

  • la nature non officielle de la rencontre sociale, son cadre dans une résidence privée, en dehors des heures de travail;
  • le fait que le membre visé s’est présenté à la fête à titre de conjoint d’une membre de la veille D;
  • l’absence de lien professionnel entre le membre visé et la gend. C, hormis qu’ils sont tous deux à l’emploi de la GRC;
  • l’unique interaction irrespectueuse et discourtoise (et non, à ce moment, un comportement discourtois à répétition);
  • le degré auquel l’interaction a dérangé la gend. C sur le coup.

[38] À mon avis, les gestes de l’intimé dépassaient de loin le comportement discourtois et irrespectueux et constituaient du harcèlement sexuel. L’article 2.8 du Manuel d’administration (MA) de la GRC, partie XII « Déontologie », chapitre 8 « Enquête et règlement des plaintes de harcèlement » définit ainsi le harcèlement :

Tout comportement déplacé et offensant qu’une personne manifeste à l’égard d’une autre personne sur le lieu de travail, y compris lors d’une activité ou en un lieu qui se rapporte au travail, et dont elle savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’il risquait d’offenser ou de causer préjudice. Constitue du harcèlement tout acte, commentaire ou geste répréhensible qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne, de même que tout acte d’intimidation ou de menace.

Le harcèlement est également décrit comme prenant « le plus souvent la forme d’une série d’incidents, mais [il peut] consister en un incident unique particulièrement grave qui entraîne des conséquences durables pour une personne », ce qui comprend également le harcèlement sexuel. L’article 2.23 du chapitre XII.8 du MA définit ainsi le harcèlement sexuel :

Tout comportement, commentaire, geste ou contact à caractère sexuel susceptible d’offenser ou d’humilier un employé ou pouvant raisonnablement être perçu par cet employé comme posant une condition de nature sexuelle à l’obtention d’un emploi, d’une promotion ou d’une formation. Le harcèlement sexuel rentre dans la définition du harcèlement donnée plus haut.

[39] Dans British Columbia Human Rights Tribunal c. Schrenk, 2017 CSC 62 (Schrenk), la Cour a souscrit à la définition de harcèlement sexuel en milieu de travail énoncée dans Janzen, affirmant plus précisément que le harcèlement sexuel inclut la « conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d’emploi pour les victimes du harcèlement », et indiquant que l’« essentiel consiste à savoir si ce harcèlement a un effet préjudiciable sur le milieu de travail du plaignant » (citations internes omises) (Schrenk, par. 89). En examinant l’alinéa 13(1)b) du Human Rights Code de la Colombie-Britannique, la Cour a souligné qu’il y a harcèlement ou discrimination en milieu de travail dès lors que le harcèlement ou la discrimination a « un lien suffisant avec le contexte d’emploi ». La Cour a énuméré les facteurs non exhaustifs à prendre en compte pour déterminer si le comportement a un lien suffisant (Schrenk, par. 67) :

  1. si le défendeur faisait partie intégrante du milieu de travail du plaignant;
  2. si la conduite reprochée a été adoptée sur le lieu de travail du plaignant;
  3. si le comportement a nui à l’emploi du plaignant ou à son environnement de travail.

[40] Compte tenu de ces facteurs et de la définition de harcèlement sexuel, je suis convaincue que la conduite de l’intimé constituait du harcèlement sexuel en milieu de travail. Il ne fait aucun doute que les commentaires et les gestes de l’intimé étaient « à caractère sexuel » et qu’ils ont offensé et humilié la gend. C. Dans sa déclaration de la victime, la gend. C a indiqué qu’elle s’était [TRADUCTION] « tout de suite sentie dégoûtée, bouleversée, dénigrée, dévalorisée, sexualisée, envahie et dérobée de [s]on professionnalisme » (documentation, p. 33).

[41] De plus, il existe un lien suffisant entre la conduite de l’intimé et l’effet défavorable qu’elle a eu sur le milieu de travail de la gend. C. La définition de harcèlement figurant au chapitre XII.8 du MA indique que le comportement reproché peut se produire « lors d’une activité ou en un lieu qui se rapporte au travail, et dont elle [la personne] savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’il [le comportement] risquait d’offenser ou de causer préjudice » (caractères gras ajoutés). Il s’agissait d’une fête de Noël de veille de la GRC organisée à une résidence privée dont les convives travaillaient au même détachement. N’eût été leur emploi au sein de la GRC, il n’y aurait pas eu de fête.

[42] Bien qu’il ait assisté à la fête à titre d’invité de sa conjointe qui était membre du détachement, l’intimé savait ou aurait raisonnablement dû savoir que l’activité se rapportait au travail et que son comportement risquait d’offenser ou de causer préjudice. Étant donné que l’intimé et la gend. C travaillaient tous les deux pour la GRC, et que la conjointe de l’intimé était membre du détachement, comme la gend. C, il ne fait aucun doute que l’intimé faisait partie intégrante du milieu de travail.

[43] De plus, il ressort clairement des déclarations de la victime de la gend. C que l’inconduite de l’intimé a nui à son environnement de travail. Je souligne quelques-unes des remarques qu’a formulées la gend. C dans sa première déclaration de la victime (documentation, p. 33) :

[TRADUCTION]

- Le premier jour de mon retour au travail a été teinté d’humiliation, de dégoût et d’un sentiment de nausée d’avoir à parler d’une telle atteinte à ma vie privée à mes superviseurs. À mesure que leur racontais, j’ai vu avec une douleur viscérale que le choc se transformait en déception, puisqu’ils devaient maintenant signaler l’incident à leurs supérieurs.

- J’ai commencé à avoir peur de ce que mes collègues pensaient, et la confiance que j’avais bâtie dans mon lieu de travail a commencé à s’effriter. J’ai été forcée au centre d’une enquête sur laquelle je n’avais aucun contrôle et que je n’avais jamais souhaitée. J’ai tenté désespérément de rester au travail pour pouvoir distinguer les conséquences sur ma vie personnelle de celles sur ma vie professionnelle. J’avais commencé à trembler fortement de façon incontrôlable; je n’étais pas capable d’arrêter. Je me mettais à pleurer de manière inattendue et j’avais de la difficulté à rester concentrée.

- Je sentais le regard de mes collègues; je ne savais jamais ce qu’ils pensaient vraiment.

[44] Les répercussions négatives de l’inconduite de l’intimé sur l’environnement de travail de la gend. C sont évidentes. Si l’intimé ne travaillait pas pour la GRC, la gend. C n’aurait pas eu à composer avec le fait de devoir parler de l’inconduite à ses superviseurs, ou à s’inquiéter de la réaction de ses collègues. Par conséquent, bien que l’inconduite se soit produite en dehors des heures de service, dans une résidence privée, elle avait un lien suffisant avec le milieu de travail. Je rappelle que le code s’applique à tous les membres de la Gendarmerie et qu’il établit la norme de conduite des membres « qu’ils soient ou non en service — au Canada et à l’étranger » (article 1.1). La version annotée du code précise ce qui suit :

En tant que membre de la GRC, vous avez choisi une profession unique pour laquelle les normes de conduite sont élevées. Il s’agit d’une responsabilité qui est constante. La relation entre un membre et la Gendarmerie n’est pas la même que celle qui existe entre un citoyen et le gouvernement. Votre conduite, peu importe que vous soyez en service ou en congé, sera examinée minutieusement en raison de votre statut de policier (Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada (version annotée, p. 8).

[45] Je ne souscris pas du tout au raisonnement du comité selon lequel l’inconduite de l’intimé constituait une « unique interaction irrespectueuse et discourtoise » et à son atténuation du « degré auquel l’interaction a dérangé la gend. C sur le coup ». Je souligne que, selon la définition du harcèlement figurant au chapitre XII.8 du MA, le harcèlement peut prendre la forme d’une série d’incidents ou d’un incident unique particulièrement grave qui entraîne des conséquences durables pour une personne. Compte tenu du fait que l’inconduite de l’intimé constituait du harcèlement sexuel, tel qu’il est décrit par la Cour et dans la politique, j’estime que les conclusions du comité à l’égard de la troisième allégation constituaient une erreur de droit. Dans sa décision, le comité n’a pas fait état des définitions ou critères juridiques relatifs au harcèlement sexuel en milieu de travail. Je conviens avec le CEE que les motifs du comité étaient [TRADUCTION] « viciés quant aux raisons pour lesquelles le comportement décrit à la troisième allégation constituait un comportement discourtois » (rapport, par. 62). Bien qu’il ait eu raison de conclure que l’énoncé détaillé des faits concernant la troisième allégation était suffisamment établi, selon la prépondérance des probabilités, pour permettre de conclure à une contravention à l’article 2.1 du code, le comité a commis une erreur en concluant que le comportement de l’intimé n’était qu’un comportement discourtois et irrespectueux. Comme l’a expliqué la Cour dans Housen, l’erreur « imputable à l’application d’une norme incorrecte, à l’omission de tenir compte d’un élément essentiel d’un critère juridique ou à une autre erreur de principe semblable » est qualifiée d’erreur de droit (par. 36).

[46] L’erreur de droit est assujettie à la norme de la décision correcte, qui n’exige aucune déférence envers le décideur initial. Par conséquent, je conclus que l’énoncé détaillé des faits concernant la troisième allégation était suffisamment établi pour permettre de conclure que la conduite de l’intimé équivalait à du harcèlement sexuel, en contravention de l’article 2.1 du code.

b) Les mesures disciplinaires imposées par le comité étaient-elles manifestement déraisonnables?

[47] Compte tenu de ma conclusion sur la troisième allégation, les mesures disciplinaires imposées par le comité doivent faire l’objet d’un examen. L’appelante soutient que les mesures disciplinaires imposées étaient manifestement déraisonnables. J’aborderai les arguments de l’appelante plus en détail ci-dessous (appel, p. 114-117).

Le comité a commis une erreur lorsqu’il a examiné la preuve

[48] L’appelante affirme que le comité a commis une erreur lorsqu’il a examiné la preuve et qu’il a par conséquent imposé des mesures disciplinaires manifestement déraisonnables, mais elle ne donne pas de précisions sur ce motif d’appel (appel, p. 115).

Le comité a commis une erreur en n’examinant pas les allégations dans leur ensemble pour déterminer s’il y avait eu harcèlement sexuel en milieu de travail

[49] L’appelante fait valoir que le comité aurait dû examiner [TRADUCTION] « toutes les allégations et la question de la conduite du membre visé dans leur ensemble ». Elle souligne que [TRADUCTION] « l’ensemble des gestes reconnus par le membre visé correspond à la définition de harcèlement sexuel » et qu’il existe un lien suffisant avec le milieu de travail. L’appelante renvoie à 16 documents dont disposait le comité et dans lesquels était souligné le problème d’inconduite sexuelle et de harcèlement en milieu de travail au sein de la GRC. L’appelante reconnaît que le comité peut uniquement statuer sur les allégations qui lui sont présentées, mais elle allègue que le comité aurait dû raisonnablement déterminer que toutes les allégations constituaient du harcèlement sexuel en milieu de travail, ce qui aurait constitué un facteur aggravant (appel, p. 115).

Le comité a commis une erreur en n’accordant pas suffisamment de poids aux déclarations de la victime produites par la gend. C

[50] L’appelante insiste sur le fait que, en ne concluant pas qu’il y a eu harcèlement sexuel en milieu de travail, le comité a discrédité les deux déclarations de la victime produites par la gend. C. L’appelante renvoie aux commentaires du comité selon lesquels les conséquences de l’inconduite de l’intimé « ont pu exacerb[er] des difficultés qu’elle éprouvait déjà » et qu’« une bonne partie du second document produit par la gend. C (daté du 10 mai 2017, pièce CAR-2) ne traite pas des effets de l’inconduite du membre visé, mais d’autres situations administratives fâcheuses qu’elle avait subies ou qu’elle continuait de subir ». Ces commentaires ont pour conséquence d’affaiblir les déclarations de la victime de la gend. C et l’allégation selon laquelle, n’eût été le comportement de l’intimé à la fête, la gend. C ne se serait pas retrouvée dans une [TRADUCTION] « situation où elle doit subir des répercussions négatives sur sa santé et sa carrière » (appel, p. 115-116).

Le comité a commis une erreur en ne tenant pas compte de la confiance des membres de la GRC

[51] L’appelante affirme que le RAD a versé 16 documents au dossier afin que le comité en prenne connaissance d’office, mais que celui-ci a refusé de le faire. Figurait parmi ces documents le rapport de la CCETP dans lequel il est indiqué que des années de politiques inefficaces ont « min[é] […] la confiance des membres et des employés de la GRC ». L’appelante conteste la conclusion du comité selon laquelle la conduite de l’intimé n’a pas eu pour effet de rompre d’une quelconque façon le lien de confiance, puisqu’elle a eu lieu « dans un contexte strictement social, en-dehors des heures de travail ». Elle soutient que le comité était tenu de prendre en compte le fait que les membres et les employés de la GRC ont confiance en l’organisation ainsi que les uns envers les autres pour garantir un milieu de travail sûr, et elle insiste sur le fait que cette confiance s’applique tant en milieu de travail que dans des contextes sociaux (appel, p. 116).

Le comité a commis une erreur en ne concluant pas que le congédiement constituait la mesure disciplinaire appropriée dans les circonstances

[52] L’appelante souligne que le fait que le comité n’a pas adéquatement tenu compte de la preuve ainsi que des facteurs aggravants et atténuants a donné lieu à des mesures disciplinaires manifestement déraisonnables. Selon l’appelante, [TRADUCTION] « même si les allégations avaient été prises en compte séparément, c’est-à-dire qu’une confiscation d’au moins 15 jours de solde aurait été imposée pour chaque allégation, les mesures disciplinaires imposées auraient été supérieures à une confiscation de 60 jours de solde », ce qui aurait dû pousser le comité à conclure que le congédiement était la mesure appropriée. L’appelante soutient que l’intimé devrait recevoir l’ordre de démissionner dans les 14 jours ou être congédié (appel, p. 117).

[53] L’intimé a répondu à chacun des arguments de l’appelante (appel, p. 142-145).

Le comité a commis une erreur lorsqu’il a examiné la preuve

[54] L’intimé affirme que l’appelante n’a pas fourni de détails à l’appui de cet argument, et il soutient que le comité n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a examiné la preuve et imposé les mesures disciplinaires permises par les [TRADUCTION] « règles » (appel, p. 142).

Le comité a commis une erreur en n’examinant pas les allégations dans leur ensemble pour déterminer s’il y avait eu harcèlement sexuel en milieu de travail

[55] L’intimé affirme que le RAD n’a pas demandé que le comité examine les allégations dans leur ensemble, ni à la conférence préparatoire ni à l’audience. Par conséquent, l’appelante n’est pas autorisée à le faire en appel (appel, p. 142-143).

Le comité a commis une erreur en n’accordant pas suffisamment de poids aux déclarations de la victime produites par la gend. C

[56] L’intimé soutient que le comité a tenu compte adéquatement de tous les documents pendant l’étape des mesures disciplinaires, y compris des déclarations de la victime produites par la gend. C. Il fait valoir que l’affirmation de l’appelante selon laquelle son comportement était la seule et unique cause des répercussions négatives sur la santé et la carrière de la gend. C est une déclaration générale et spéculative qui n’est pas étayée par la preuve (appel, p. 143-144).

Le comité a commis une erreur en ne tenant pas compte de la confiance des membres de la GRC

[57] L’intimé soutient que l’appelante n’a pas demandé au comité de prendre connaissance d’office de la question de la confiance des membres de la GRC et que rien ne prouve que sa conduite a eu une incidence sur cette confiance [TRADUCTION] « au sens général ». Il fait référence à la lettre d’appui dans laquelle la gend. A a affirmé qu’elle travaillerait encore avec lui sans l’ombre d’une hésitation (appel, p. 144).

Le comité a commis une erreur en ne concluant pas que le congédiement constituait la mesure disciplinaire appropriée dans les circonstances

[58] L’intimé décrit en détail les règles énoncées aux paragraphes 45(1) à 45(4) de la Loi, ainsi que les Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291 (CC (déontologie)), et il soutient que la décision du comité appartenait aux issues possibles et était motivée de manière exhaustive, ce qui démontre qu’elle est « suffisamment justifiée, transparente et intelligible ». Il soutient qu’il faut faire preuve de retenue à l’égard de la décision du comité, que la procédure d’appel n’a pas pour but d’examiner l’affaire de nouveau et que l’appel devrait être rejeté (appel, p. 145).

[59] En réplique, l’appelante affirme qu’il importe peu que des observations aient été formulées sur la question de l’examen des allégations dans leur ensemble, puisque le comité était tenu d’une façon ou d’une autre d’en tenir compte lors de la détermination de la sanction. Elle insiste également sur le fait que la gend. C est une victime de harcèlement sexuel en milieu de travail et que le comité aurait dû accorder plus de poids aux répercussions négatives qu’elle subit en tant que victime lorsqu’il a rendu sa décision sur la sanction. Enfin, l’appelante fait valoir que la rupture du lien de confiance causée par la conduite de l’intimé devrait être [TRADUCTION] « évidente » et qu’il n’est donc pas nécessaire de présenter des observations à cet égard (appel, p. 215-216).

Analyse

[60] Comme le comité a commis une erreur en ne concluant pas que l’intimé avait harcelé sexuellement la gend. C, je conviens que les mesures disciplinaires qu’il a imposées relativement à la troisième allégation étaient manifestement déraisonnables. Comme l’explique le CEE, [TRADUCTION] « [e]n ne concluant pas que la conduite de l’intimé correspondait à la définition du harcèlement sexuel, le comité a commis une erreur puisqu’il ne s’est pas appuyé sur l’éventail des mesures disciplinaires appropriées recommandées dans le Guide des mesures disciplinaires » (rapport, par. 93). Comme le comité a conclu que les gestes de l’intimé étaient simplement discourtois et irrespectueux, il s’est fondé sur l’éventail des sanctions applicables pour des propos vulgaires et offensants, soit une confiscation de deux à dix jours de solde dans les cas graves (Guide, p. 14). Ce faisant, le comité a commis une erreur manifeste et déterminante. Par conséquent, je me prononcerai sur les mesures disciplinaires appropriées.

[61] Selon le paragraphe 45(4) de la Loi, si le comité de déontologie conclut que le membre a contrevenu à l’une des dispositions du code de déontologie, il prend à son égard une ou plusieurs des mesures disciplinaires suivantes :

  1. il recommande que le membre soit congédié de la Gendarmerie, s’il est sous-commissaire, ou, s’il ne l’est pas, le congédie de la Gendarmerie;
  2. il ordonne au membre de démissionner de la Gendarmerie, et si ce dernier ne s’exécute pas dans les quatorze jours suivants, il prend à son égard la mesure visée à l’alinéa a);
  3. il impose une ou plusieurs des mesures disciplinaires prévues dans les règles.

L’alinéa 36.2e) de la Loi prévoit « des mesures disciplinaires adaptées à la nature et aux circonstances des contraventions […] et, s’il y a lieu, des mesures éducatives et correctives plutôt que punitives ».

[62] En vertu de l’alinéa 39.1a) de la Loi, le commissaire a le pouvoir de fixer des règles « établissant les mesures disciplinaires, autres que le congédiement ou la recommandation de congédiement, qui peuvent être prises relativement à la contravention à une disposition du code de déontologie et précisant lesquelles parmi ces mesures chaque catégorie d’autorités disciplinaires peut imposer ». Le paragraphe 5(3) des CC (déontologie) permet à un comité de déontologie d’imposer au membre visé les mesures mentionnées au paragraphe 5(1). Le paragraphe 5(1) énumère la liste des « mesures disciplinaires graves » qui peuvent être imposées au membre visé :

  1. le retrait, la limitation ou la modification de fonctions [que l’autorité disciplinaire] précise, pour une période d’au plus trois ans;
  2. l’inadmissibilité à toute promotion pour une période d’au plus trois ans;
  3. le report de l’augmentation d’échelon de la solde pour une période d’au plus deux ans;
  4. le retour à l’échelon de la solde inférieur précédent pour une période d’au plus deux ans;
  5. la rétrogradation pour une période d’au plus trois ans;
  6. la rétrogradation pour une période indéfinie;
  7. la mutation à un autre lieu de travail;
  8. la suspension sans solde;
  9. une réduction de la banque de congés annuels d’au plus cent soixante heures;
  10. une pénalité financière à déduire de la solde du membre.

[63] Selon le paragraphe 24(2) des CC (déontologie), le comité de déontologie est tenu d’imposer des mesures disciplinaires « proportionnées à la nature […] de la contravention au code de déontologie ». L’article 9.2.1.7 du MA XII.1 précise qu’« [i]l faut tenir compte des circonstances atténuantes et aggravantes au moment de déterminer quelles sont les mesures disciplinaires qu’il convient d’imposer à l’égard de la contravention au code de déontologie commise par le membre visé ».

[64] Les facteurs aggravants sont les « circonstances de la perpétration d’un crime ou d’un délit qui en accroissent la culpabilité ou l’énormité ou qui s’ajoutent aux conséquences injurieuses, mais qui dépassent les éléments essentiels du crime ou du délit » (Guide, p. 11). Les facteurs aggravants sont notamment la gravité de l’inconduite, le manque d’honnêteté et d’intégrité, la possibilité de mettre en péril le public et les membres, l’inconduite antérieure, la déclaration de culpabilité d’une infraction au Code criminel, la perte de la confiance de la communauté ou la rupture du lien de confiance avec le public, l’absence de remords, l’attention médiatique, l’incidence sur la victime et la possibilité de compromettre l’enquête (Guide, p. 12).

[65] Les circonstances atténuantes ne sont pas une « justification ou une excuse qui exonère le membre de toute responsabilité », mais plutôt des « circonstances qui peuvent aider à expliquer ou à atténuer la gravité d’une infraction donnée ». Les circonstances atténuantes sont notamment l’acceptation de la responsabilité, l’admission des allégations et la reconnaissance de l’inconduite à la première occasion, les excuses et les remords, l’absence de mesures disciplinaires antérieures, un bon dossier de travail, l’appui du commandant divisionnaire, l’état de santé, le fait qu’il s’agissait d’un incident isolé ou inhabituel, les éléments de stress dans la vie personnelle, le fait que la personne a demandé et obtenu un traitement, une thérapie ou de l’aide médicale, l’esprit d’équipe, un manque de jugement momentané, les lettres de recommandation et d’appui, l’engagement dans la communauté et une probabilité minimale de récidive (Guide, p. 10-11).

[66] En ce qui concerne l’article 2.1 du code, le Guide souligne l’importance de « la prévention, [d]es enquêtes efficaces et [de] l’élimination des comportements pouvant être perçus comme du harcèlement » (Guide, p. 15). Le Guide insiste également sur le fait que le harcèlement sexuel « doit être traité comme une forme particulièrement grave de harcèlement qui n’est nullement tolérée à la GRC. Tout employé reconnu coupable de harcèlement sexuel doit s’attendre à subir des mesures disciplinaires graves. À moins que des circonstances atténuantes importantes s’appliquent, un cas de harcèlement sexuel justifie des mesures disciplinaires dans l’échelle des cas graves. » Les sanctions prévues pour le harcèlement au travail sont les suivantes : une confiscation de la solde pour une durée de 10 jours pour les cas mineurs, une confiscation de la solde pour une période de 11 à 20 jours pour les cas ordinaires, et une confiscation de la solde pour une période minimale de 20 jours ou le congédiement pour les cas graves (Guide, p. 15-16).

[67] Je voudrais commencer par dire à quel point j’ai été profondément consternée et déçue à la lecture des allégations et des détails relatifs à ce qui s’est passé à la fête de Noël. La GRC célébrera sous peu son 150e anniversaire, et la Vision 150 a été créée pour faire de la GRC une organisation moderne, digne de confiance et inclusive. L’une des initiatives de la Vision 150 est de changer les normes associées à la culture de la GRC, notamment en améliorant notre processus de règlement des plaintes de harcèlement, en mettant en place une gouvernance transparente et responsable, en veillant à ce que les employés et les membres soient protégés contre l’intimidation, le harcèlement et la violence sexuelle, et en réglant les problèmes sous-jacents recensés dans le rapport de la CCETP. Le harcèlement sexuel ne doit pas être toléré dans la GRC. Les membres sont tenus de respecter les normes les plus élevées possible, lesquelles sont essentielles au maintien de la confiance de la population canadienne. Je condamne fermement la conduite de l’intimé. Les gestes qu’il a commis sont déplorables et incompatibles avec ce que l’on attend des membres de la GRC.

[68] Pour déterminer la sanction qu’il convient d’imposer, je me pencherai d’abord sur les facteurs aggravants dans cette affaire. Les gestes de l’intimé ont eu des répercussions importantes sur la victime. Une accusation criminelle d’agression sexuelle a été déposée contre lui pour la conduite qu’il a eue envers la gend. C. En outre, ses gestes ont attiré l’attention des médias et étaient susceptibles de jeter le discrédit sur la GRC et de nuire à la relation de confiance entre les forces de police et le public. Il s’agit-là d’importants facteurs aggravants.

[69] Il est essentiel de tenir compte des répercussions de la conduite de l’intimé sur la gend. C. En plus des commentaires présentés ci-dessus, je souligne les extraits suivants tirés de la première déclaration de la victime produite par la gend. C, dans laquelle elle décrit en détail les répercussions négatives que la conduite de l’intimé a eues au travail et dans sa vie personnelle :

[TRADUCTION]

- J’ai eu des sensations de brûlure dans mon ventre, et ma gorge s’est serrée. Et mon cœur se débattait de rage lorsque j’ai informé mon mari que la confiance que lui et moi avions en mes collègues venait d’être brisée, mais surtout qu’il y avait eu atteinte à l’intimité de sa propre femme (documentation, p. 33).

- Je me suis sentie loin de mon mari. Émotionnellement, j’étais tiraillée entre le besoin de le soulager de sa douleur et le besoin qu’il me soulage de la mienne. Mon intimité a été violée, tout comme mon lien avec mon mari. Nous avons tous deux dû vivre avec le contrecoup (documentation, p. 33).

- [J]’ai dû quitter le travail. Je n’ai pas pu revenir avant trois mois. Pendant cette période, j’ai consulté mon psychologue. Mes pensées étaient confuses, je n’étais pas capable de me concentrer, je pleurais spontanément, j’avais des cauchemars et j’avais de la difficulté à dormir.

- Puisque l’affaire avait visiblement des répercussions sur moi, j’ai été forcée de dire à mes enfants que j’avais été victime d’un incident lié au travail, mais que je me faisais aider (documentation, p. 34).

- Lorsque je suis revenue travailler, j’ai dû revenir à temps partiel, puis augmenter mes heures, puisque certains jours, juste me rendre au travail était difficile. Je sentais la panique s’installer, la peur de revoir mes collègues. Je ne savais pas comment leur faire confiance et faire face à leurs regards. Cela me tourmentait (documentation, p. 34).

[70] Je reconnais aussi les commentaires formulés par la gend. C dans sa deuxième déclaration de la victime :

[TRADUCTION]

- Le jour même où j’ai révélé ce qui s’était passé, j’ai été convoquée à une autre réunion concernant la nécessité de remplir un formulaire d’obligation de prendre des mesures d’adaptation en raison des restrictions permanentes qui m’étaient imposées. J’étais submergée d’émotions à ce moment par la révélation de l’agression, ainsi que par ma charge de travail quotidienne et maintenant par la nécessité de remplir ce formulaire. […] Qui plus est, lorsque je suis retournée au travail, le formulaire n’a pas été respecté et je n’ai jamais été autorisée à faire ce qui était prévu dans le contrat, provoquant chez moi des sentiments de colère, de frustration et de rejet (documentation, p. 1064).

- J’ai parlé brièvement des répercussions de son affectation dans ma petite ville après avoir rapporté l’incident dans ma première déclaration. Je n’ai pas abordé ce qui est arrivé lorsque j’ai demandé à mes inspecteurs pourquoi il avait été envoyé là-bas. Je leur ai posé cette question environ un mois et demi après avoir pris congé lors d’une réunion que j’ai convoquée pour comprendre leur point de vue. Après avoir posé ma question, on a fini par me dire qu’il était de ma responsabilité de faire savoir que cela me mettait mal à l’aise, que j’étais un membre parmi 150 autres membres avec des problèmes […] On m’a dit plus tard que ce n’était pas correct de leur part de l’affecter dans ma ville et que cela n’aurait pas dû arriver, mais il était déjà trop tard, et je me sentais déjà comme si je n’avais pas d’importance (documentation, p. 1064).

- Quelques mois après mon retour au travail, un événement survenu dans le vestiaire a déclenché un sentiment brutal d’anxiété et de peur. Je me trouvais devant mon casier, rangeant mon arme et mon ensemble pour la journée, quand [la femme de l’intimé] est entrée. Elle s’est rendue à son casier et je lui ai tourné le dos. C’est alors que je l’ai entendue sortir son arme de son étui. Je n’ai jamais senti une telle montée soudaine de peur et d’adrénaline de la tête aux pieds. Apeurée, j’ai réalisé sur le coup que je n’avais aucune idée de ce qu’elle avait en tête; pouvait-elle être dégoûtée de moi au point de vouloir me tirer dessus juste là? (documentation, p. 1064)

- J’étais enthousiaste à l’idée de poser ma candidature [au poste d’agente de liaison avec les écoles], car j’avais l’impression que les choses allaient s’améliorer, et je me sentais soutenue par les encouragements de mon s.-off. J’ai rempli et présenté la demande, puis on m’a dit, après la séance du comité, que je n’avais pas obtenu le poste parce que je ne travaillais pas aux services généraux, mais que je pourrais présenter ma candidature pour le poste qui n’avait pas été pourvu lorsqu’il serait annoncé de nouveau. J’ai appris plus tard que [la] femme [de l’intimé] avait obtenu l’un des postes, et ça m’a anéantie (documentation, p. 1065).

- Lorsque je suis allée informer mon s.-off. que j’étais angoissée parce qu’une nouvelle date d’audience approchait, il a simplement déclaré : « Je ne comprends pas ce qui t’inquiète autant. Tu n’as rien fait de mal, alors tu ne devrais pas être aussi anxieuse. » Je lui ai dit que je ne pouvais pas expliquer pourquoi j’étais autant atteinte, mais je l’étais, tout simplement, et j’essayais de faire de mon mieux pour m’en sortir, mais je ne pouvais pas y parvenir au travail (documentation, p. 1065).

- [À] l’automne, j’ai pu interroger un enfant à nouveau. Une fois de retour à mon bureau, mon s.-off. est entré pour me parler et a fermé la porte derrière lui. Il a déclaré qu’il ne savait pas que j’avais interrogé un enfant et m’a demandé comment je me sentais compte tenu de mes restrictions. J’étais abasourdie et choquée qu’il me demande une telle chose puisque je n’avais aucune restriction quant à mes relations avec les clients et que je l’en avais informé (documentation, p. 1065).

- Je ne savais pas à qui adresser mes préoccupations ou mes questions [concernant les enquêtes menées au titre du Code criminel et du code de déontologie]. Pour couronner le tout, le PRRF a été dissous juste au moment où je revenais au travail et où j’avais des questions à poser. J’étais à la merci de mon s.-off. et je dépendais entièrement de sa capacité et de sa volonté à me soutenir et à essayer de comprendre. Mais, comme je l’ai mentionné, il n’a fait pratiquement pas d’efforts en ce sens, voire aucun. […] Le fait d’être si seule au travail, sans soutien solide, ni même une personne pour surveiller la situation et ses répercussions, a provoqué un cercle vicieux m’entraînant toujours plus bas, une dynamique de manque de respect et de minimisation créée par moi-même, et peut-être aussi par mes supérieurs (documentation, p. 1065-1066).

[71] Je comprends la douleur et les difficultés avec lesquelles la gend. C a dû vivre en raison de l’inconduite de l’intimé. À mon avis, l’équipe de direction de la GRC aurait dû en faire plus pour la soutenir. Aucun membre ne devrait avoir à subir une telle épreuve, que ce soit dans son milieu de travail ou dans sa vie personnelle. Les membres devraient se sentir en sécurité et avoir le sentiment qu’on les appuie dans leur milieu de travail. Je suis profondément désolée des expériences négatives que la gend. C a dû vivre à la suite des gestes commis par l’intimé à la fête. En tant qu’organisation, nous pouvons et nous devons faire mieux dans de telles situations.

[72] Sans minimiser les répercussions décrites par la gend. C dans sa deuxième déclaration de la victime, j’estime qu’il serait inapproprié de toutes les attribuer à l’intimé. Par exemple, le comité a constaté ce qui suit (documentation, p. 3564) :

[TRADUCTION]

[…] la référence à la femme du membre […] Je ne considère pas que cela soit — ce n’est pas pertinent en ce qui concerne — je ne minimise pas les sentiments ou les appréhensions exprimés par [la gend. C] dans le courriel du 11 mai 2017 (pièce CAR-2). Cela ne signifie pas pour autant que je n’ai pas le droit d’évaluer dans quelle mesure le gend. Caram, l’inconduite du gend. Benjamin Caram, joue un rôle dans ces sentiments même plusieurs mois après les faits. […] il est évident pour moi que certaines parties de la deuxième déclaration ne sont pas vraiment pertinentes ou ne peuvent pas être liées à l’inconduite du gend. Caram.

Le comité a expliqué que certains éléments de la déclaration de la gend. C [TRADUCTION] « ne sont pas attribuables au membre visé et ne sont pas liés à son inconduite, ce que le RAD a reconnu. Le RAD a toutefois également répondu que les gestes du membre visé ont eu des répercussions sur certains aspects de l’état de la [gend. C] et les ont aggravés » (documentation, p. 3641). Je suis d’accord. Il ne fait aucun doute que l’inconduite de l’intimé a eu des répercussions négatives sur la gend. C. Cependant, bon nombre des expériences qu’elle a vécues, comme celles relatives à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, aux occasions d’emploi et à la façon dont, selon elle, ses supérieurs ont géré la situation, ne sont pas attribuables à l’intimé puisqu’elles étaient hors de son contrôle.

[73] Je reconnais les préoccupations soulevées dans le rapport de la CCETP relativement au niveau élevé de méfiance et au manque de confiance des membres de la GRC envers la haute direction (rapport de la CCTEP, p. 14). Je reconnais que la GRC devrait faire tout en son pouvoir pour favoriser un environnement sécuritaire et de confiance entre les employés qui comptent les uns sur les autres, ainsi qu’avec les membres qui comptent sur la haute direction pour répondre à leurs préoccupations. Il est évident que la conduite de l’intimé a eu une incidence sur la confiance qu’avait en lui la gend. C et qu’elle a donné lieu par inadvertance aux préoccupations que la gend. C a eues avec la direction. Cela dit, bien que les répercussions négatives subies par la gend. C en raison de la conduite de l’intimé soient un facteur aggravant important dans la détermination de la mesure disciplinaire appropriée, seules celles qui sont directement attribuables à l’inconduite de l’intimé devraient être examinées.

[74] Il convient non seulement de tenir compte des facteurs aggravants, mais aussi des facteurs atténuants. Je souligne les facteurs suivants :

- L’admission par l’intimé de toutes les allégations de contravention au code, son appui à l’interdiction de publication visant à protéger l’identité de la gend. C et de la gend. A, ses aveux dans le sommaire des faits et l’acceptation de l’arbitrage fondé uniquement sur le dossier de preuve afin d’éviter le gaspillage de ressources et les témoignages potentiels (documentation, p. 3491, 3496, 3636, 3686).

- La volonté de l’intimé d’assumer sa responsabilité en participant au programme des mesures de rechange relativement à l’accusation criminelle concernant la gend. C. Il est aussi disposé à rencontrer la gend. C dans le cadre du volet de réconciliation de la victime et du délinquant prévu au programme. La gend. C est aussi prête à participer à une telle réunion (documentation, p. 3493-3500, 3636). Je constate que l’admission au programme des mesures de rechange est déterminée au cas par cas par le ministère public. Celui-ci détermine si le programme serait plus adapté et, en fin de compte, plus bénéfique pour la victime, la communauté et le délinquant. Les mesures de rechange sont aussi connues sous le nom de « mesures de déjudiciarisation » puisque, dans le cadre du programme, les candidats sont tenus d’écrire une lettre d’excuses, de suivre une thérapie et de faire du travail communautaire (Alternative Measures – An Overview, en ligne : gouvernement de la Colombie-Britannique <https://www2.gov.bc.ca/gov/content/justice/criminal- justice/bcs-criminal-justice-system/understanding-criminal-justice/alternative-measures> [en anglais seulement]).

- L’intimé a rapidement présenté des excuses à la gend. A, et il aurait fait de même avec la gend. C si les circonstances ne l’en avaient pas empêché. Dans les lettres d’excuses écrites à la gend. A et à la gend. C, l’intimé a exprimé ses plus sincères excuses, a assumé la responsabilité de ses gestes, n’a pas tenté de justifier ses gestes et a semblé regretter sincèrement ce qui s’était passé (documentation, p. 1386-1390, 3637).

- L’intimé ne consomme plus d’alcool depuis janvier 2017 et, depuis février 2017, il assiste aux réunions des Alcooliques anonymes une fois par semaine (documentation, p. 3311-3312).

- Dans un rapport psychologique daté du 10 janvier 2017, le Dr W a indiqué que l’intimé souffrait d’un TSPT attribuable à l’effet cumulatif de sa participation à de nombreux incidents très traumatisants, et il a précisé que la consommation excessive d’alcool de l’intimé le soir de la fête était le résultat de ce trouble et d’une tentative [TRADUCTION] d’« automédication ». Ce trouble a été reconnu par le ministère des Anciens Combattants, qui verse une indemnité d’invalidité à l’intimé. Compte tenu des progrès de l’intimé, le Dr W était d’avis que ce dernier présentait un [TRADUCTION] « risque extrêmement faible, voire inexistant, de reboire de nouveau à l’excès ou de se comporter de manière semblable. Ben a fait plusieurs déclarations à cet égard en thérapie, et je suis convaincu que ses déclarations étaient sincères. » Le Dr W était aussi d’avis qu’il n’y avait [TRADUCTION] « pratiquement pas de risque » que l’inconduite se reproduise (documentation, p. 1487-1508, 3637-3639).

- Dans une évaluation psychiatrique datée du 9 février 2017, le Dr O a estimé que la conduite de l’intimé le soir de la fête ne lui ressemblait pas et que [TRADUCTION] « rien ne laissait penser qu’il ait déjà eu un autre comportement sexuel inapproprié, que ce soit verbalement ou par son comportement ». Le Dr O a constaté que l’intimé avait souffert pendant toute son enfance d’un trouble d’anxiété sociale dont il n’avait jamais parlé à personne, qu’il y avait des antécédents d’alcoolisme dans sa famille puisque son grand-père et son père étaient tous deux alcooliques, et qu’il avait été exposé à des situations difficiles et traumatisantes tout au long de sa carrière d’agent de la GRC. Le Dr O considérait que [TRADUCTION] « le risque que l’intimé reproduise le comportement reproché était très faible, bien que, manifestement, étant donné que les événements se sont produits alors qu’il était en état d’ébriété avancé ayant entraîné une désinhibition comportementale, il serait prudent d’éviter tout épisode d’intoxication subséquent ». Comme l’intimé n’a pas de trouble de la personnalité ni de dysfonctionnement sous-jacent, le Dr O a souligné qu’il était parfaitement en mesure de modifier son comportement et qu’il avait démontré qu’il éprouvait suffisamment de remords, de culpabilité et de gêne par rapport à ses gestes (documentation, p. 1586-1600, 3637-3639).

- L’intimé a participé à des consultations psychologiques avec une conseillère clinicienne agréée à son retour de vacances après les événements le 16 décembre 2015. Il l’a de nouveau consultée en 2016. Il a consulté un psychologue, le Dr W, du 2 juin 2016 à juin 2017, et il a l’intention de continuer sa thérapie avec un autre psychologue, le Dr W ayant récemment pris sa retraite. Il s’est engagé à suivre un traitement pour sa santé mentale, comme le lui ont suggéré le Dr W et le Dr O (documentation, p. 3515-3518).

- L’intimé a reçu un immense soutien par l’intermédiaire de lettres de recommandation rédigées par d’autres membres, y compris ses superviseurs immédiats, des sous-officiers supérieurs, des membres de sexe féminin avec qui l’intimé a travaillé, et la gend. A elle-même (documentation, p. 1513-1543). Je ne reproduirai pas toutes ces lettres puisque j’ai présenté la majorité d’entre elles plus haut, mais je soulignerai certaines remarques cohérentes dans l’ensemble des lettres :

- L’incident [TRADUCTION] « ne [correspondait] pas du tout » à l’intimé et formait un [TRADUCTION] « contraste frappant avec la personne qu’il est et ce qu’il prône ». Un superviseur de l’intimé qui est ami avec lui depuis plus de dix ans et qui a assisté à des événements sociaux avec lui (où il y avait consommation d’alcool) a expliqué qu’il n’avait [TRADUCTION] « JAMAIS vu ou entendu Ben agir de façon inappropriée envers une femme, que ce soit sa femme, une membre de sa famille, une collègue, une civile, une cliente, etc. »

- L’intimé a une éthique de travail rigoureuse et est [TRADUCTION] « un pilier de [la] veille et de la GRC », il fait [TRADUCTION] « partie intégrante de la veille et a contribué à créer un environnement dans lequel les membres veulent venir travailler, même lorsqu’ils sont blessés ». Il est [TRADUCTION] « honnête, fiable et très travaillant » et constitue un [TRADUCTION] « atout » pour la GRC.

- L’intimé est une personne responsable qui a à cœur les six valeurs de la GRC. Il est [TRADUCTION] « respectueux et patient dans toutes ses interactions » avec ses collègues, ses clients, les victimes et les suspects. Il [TRADUCTION] « ne ferait jamais intentionnellement du mal à quelqu’un ou ne le mettrait pas mal à l’aise de quelque façon que ce soit ».

- La gend. A, la victime dans les première et deuxième allégations, a écrit qu’elle avait toujours tenu l’intimé [TRADUCTION] « en haute estime » et elle l’a décrit comme quelqu’un de [TRADUCTION] « gentil, généreux, sincère, honnête, empathique et respectueux et [qui] a des valeurs, une morale et une éthique irréprochables ». Elle a indiqué qu’elle avait remarqué ces qualités chez l’intimé tant dans son rôle d’agent de police que dans celui de père, d’ami et de mari. Elle a expliqué que la conduite de l’intimé [TRADUCTION] « ne lui ressemblait pas » et qu’elle savait que ses gestes étaient attribuables à l’« alcool ». À son avis, [TRADUCTION] « il a […] fait un mauvais choix cette soirée-là et [il] se sent très mal d’avoir agi ainsi. Il est allé consulter, il n’a plus bu une goutte d’alcool depuis (à [sa] connaissance) et [lui] a écrit une lettre d’excuse ». Elle a indiqué que l’intimé et elle étaient toujours amis, qu’elle travaillerait avec lui [TRADUCTION] « sans l’ombre d’une hésitation » et qu’elle serait [TRADUCTION] « honorée qu’il fasse partie de [s]a veille ou de [s]on groupe en raison de son éthique de travail, son sens moral, sa personnalité, son empathie, etc. »

- La femme de l’intimé a expliqué qu’après avoir pris connaissance des allégations formulées contre lui, [TRADUCTION] « [son mari] a pris l’initiative de chercher immédiatement de l’aide psychologique et participe à des séances de consultation depuis » l’incident. Elle a précisé qu’il n’a pas consommé d’alcool lors de rencontres sociales depuis que les allégations ont été formulées, et ce, malgré les pressions exercées par ses amis. Elle a décrit l’événement comme un incident isolé et a indiqué qu’elle ne s’attendait pas à ce qu’il se reproduise.

[75] À l’instar du CEE, j’estime que les facteurs atténuants dans cette affaire sont solides et convaincants. De l’acceptation par l’intimé de sa responsabilité et sa coopération pendant toute la durée du processus d’enquête jusqu’aux nombreuses lettres de soutien (dont une provenant de l’une des victimes) décrivant sa bonne réputation en général, les facteurs atténuants qui m’ont été présentés sont importants. Les membres qui ont rédigé les lettres de soutien étaient au courant des incidents survenus à la fête. Comme l’a constaté le comité, le fait que des « membres qui eux-mêmes comptent sur le fort soutien du public envers la Gendarmerie » et qui ont « fortement soutenu la rétention du membre visé et […] ont exprimé n’avoir aucune réserve à retravailler avec lui l’ont fait en sachant l’inconduite qui lui était reprochée » ne peut que constituer un « facteur atténuant non négligeable » (décision, par. 99).

[76] Qui plus est, les éléments de preuve fournis par des experts médicaux ont donné un aperçu du trouble d’anxiété sociale non traité et du TSPT de l’intimé, ainsi que de la façon dont ces troubles ont contribué à sa consommation excessive d’alcool à la fête. Comme le comité, je ne suis pas convaincue que l’état psychologique de l’intimé au début de la fête constitue un facteur atténuant légitime, mais je suis d’avis que le fait que l’intimé a depuis demandé de l’aide pour ses problèmes (thérapie, rencontres aux Alcooliques anonymes, consultation psychologique) et que les mêmes experts ont conclu que la possibilité de récidive était [TRADUCTION] « faible, voire inexistante » constitue quant à lui un facteur atténuant. En outre, le dossier disciplinaire de l’intimé est autrement impeccable, et ses rapports de rendement font l’éloge de ses capacités à titre de membre de la GRC. Je souligne toutefois que l’examen de ces facteurs atténuants n’a pas pour but de minimiser ou de tolérer d’une quelconque façon le harcèlement sexuel qui a eu lieu, ni de justifier les gestes de l’intimé ou d’atténuer sa responsabilité.

[77] Il m’a été extrêmement difficile de trancher cette affaire compte tenu du comportement inacceptable et disgracieux de l’intimé. Je me fais un point d’honneur de veiller à ce que tout type de harcèlement, qu’il se produise pendant les heures de travail ou en dehors, soit traité avec la plus grande vigilance. Je suis également déterminée à garantir que la GRC, en tant qu’organisation, accorde la priorité à la santé et à la sécurité de ses membres et de ses employés et assure une protection à cet égard et à ce qu’elle maintienne la responsabilisation et conserve la confiance du public.

[78] Passons aux première, deuxième et quatrième allégations. J’accepte la recommandation du CEE de confirmer les mesures disciplinaires imposées par le comité, qui correspondent à une confiscation de la solde pour une période totale de 40 jours, ainsi que les autres sanctions et directives globales [rapport, par. 107]. Les conclusions du comité relativement à ces allégations n’ont pas été contestées, et rien dans mon examen des mesures disciplinaires imposées pour ses allégations ne justifie que j’intervienne. Le comité a suivi les recommandations énoncées dans le Guide, et rien n’indique qu’il y a eu une erreur manifeste ou déterminante.

[79] Dans le cadre de mon examen des directives énoncées dans le Guide concernant les mesures disciplinaires appropriées pour la troisième allégation, j’ai soigneusement examiné les facteurs aggravants et les facteurs atténuants. La conduite de l’intimé justifie les mesures prévues dans le Guide pour les cas graves, lesquelles vont d’une confiscation de la solde pour une période de 20 jours au congédiement. Compte tenu des nombreux facteurs atténuants décrits plus haut, je souscris à la recommandation du CEE selon laquelle le congédiement de l’intimé n’est pas la mesure appropriée dans cette affaire. À mon avis, la sanction appropriée pour la troisième allégation est une confiscation de la solde pour une période de 20 jours.

[80] Pour imposer cette mesure disciplinaire, j’ai tenu compte des directives du Guide sur les pénalités financières maximales. Bien que la Loi ne prévoit aucune pénalité financière maximale, le Guide indique qu’une pénalité financière de 45 jours devrait être la pénalité maximale imposée à un membre. Pareille pénalité devrait être envisagée dans les cas où le congédiement est une possibilité, mais où l’examen des facteurs aggravants et atténuants favorise le maintien en poste du membre. Le Guide précise toutefois qu’il est difficile « de concevoir une situation où la confiscation de la solde pour une période de 45 jours serait insuffisante lorsqu’un congédiement est trop sévère » (Guide, p. 5-7).

[81] Je reconnais que la pénalité financière totale pour les quatre allégations équivaudra désormais à une confiscation de 60 jours de solde. Bien que je garde en tête les propositions du Guide, j’estime que le congédiement est trop sévère dans cette affaire compte tenu du grand nombre de facteurs atténuants. Cela ne diminue toutefois en rien la gravité de l’inconduite de l’intimé et la nécessité d’imposer une pénalité financière appropriée. Compte tenu des circonstances de l’espèce, je suis convaincue qu’une confiscation de 60 jours de solde au total est appropriée et j’espère que cette mesure servira de mesure dissuasive générale, favorisera la réadaptation de l’intimé et préservera la confiance du public envers la GRC. Je prends le harcèlement sexuel très au sérieux et, bien que j’aie décidé de ne pas ordonner le congédiement de l’intimé, celui-ci n’aura pas de deuxième chance. Comme le précise le Guide, le membre qui se voit imposer une sanction d’au moins 45 jours devrait être soulagé de pouvoir conserver son emploi.

DISPOSITIF

[82] En vertu des alinéas 45.16(1)b) et 45.16(3)b) de la Loi, j’accueille l’appel en partie. En ce qui concerne la troisième allégation, je conclus que l’intimé a contrevenu à l’article 2.1 du code en commettant un acte de harcèlement sexuel en milieu de travail, et j’impose une confiscation de 20 jours de solde. Je reconnais que cinq de ces jours ont déjà été confisqués.

[83] L’appel est rejeté en partie en vertu de l’alinéa 45.16(3)a) de la Loi. Je confirme les mesures disciplinaires imposées par le comité en ce qui concerne les première, deuxième et quatrième allégations. Je confirme également les sanctions et directives globales imposées par le comité.

[84] Enfin, je suis préoccupée par la façon dont l’enquête subséquente au titre du code de déontologie a été menée, ainsi que par le manque de soutien ultérieur offert aux victimes et l’apparente indifférence dont a fait preuve la direction de la GRC envers elles. J’ordonne donc au dirigeant de la Responsabilité professionnelle et au dirigeant principal des Ressources humaines de se pencher sur les pratiques et les procédures applicables de la GRC afin de proposer des changements appropriés et significatifs dans les quatre mois suivant la présente décision.

 

 

 

Brenda Lucki, commissaire

 

Date

 

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