Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

L’avis d’audience disciplinaire initial, daté du 15 avril 2020, contenait une seule allégation de conduite déshonorante, en contravention de l’article 7.1 du code de déontologie. L’allégation découle d’un conflit conjugal entre le gendarme Ozimko et son épouse, lequel a duré deux jours. Un civil a demandé la tenue d’une enquête policière après que le gendarme Ozimko se fut introduit dans une propriété résidentielle lui appartenant, sans sa permission. Initialement, la police a porté contre le gendarme Ozimko six accusations criminelles, que la Couronne a retirées par la suite.
Les parties ont soumis à mon examen une proposition conjointe quant aux mesures disciplinaires. Le gendarme Ozimko a admis l’allégation énoncée dans un avis d’audience disciplinaire modifié. Sur consentement des parties, la décision du comité de déontologie se fonde uniquement sur les éléments au dossier.
Le comité de déontologie a accepté la proposition conjointe quant aux mesures disciplinaires, jugeant qu’elle était raisonnable et qu’elle s’inscrivait dans l’éventail des mesures disciplinaires applicables. Le comité de déontologie a imposé une pénalité financière de 25 jours (200 heures), à déduire de la solde du gendarme Ozimko, conformément à l’alinéa 5(1)j) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291.

Contenu de la décision

Protégé A

2021 DAD 15

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GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

Affaire intéressant une

audience disciplinaire tenue en vertu de la

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R-10

Entre :

Commandante de la Division O

autorité disciplinaire

et

Gendarme Mikhail Ozimko

Numéro de matricule 55882

membre visé

Décision du comité de déontologie

Kevin L. Harrison

19 mai 2021

Mme Shahana Khan, représentante de l’autorité disciplinaire

Me Gordon Campbell, représentant du membre visé


Table des matières

SOMMAIRE 3

INTRODUCTION 4

ALLÉGATION 5

Contexte 7

Décision relative à l’allégation 9

MESURES DISCIPLINAIRES 11

Proposition conjointe quant aux mesures disciplinaires 11

Principes de common law en matière de propositions conjointes 11

Décision concernant les mesures disciplinaires 12

Éventail de mesures disciplinaires appropriées 13

Conclusion concernant les mesures disciplinaires 16

CONCLUSION 16

 

SOMMAIRE

L’avis d’audience disciplinaire initial, daté du 15 avril 2020, contenait une seule allégation de conduite déshonorante, en contravention de l’article 7.1 du code de déontologie. L’allégation découle d’un conflit conjugal entre le gendarme Ozimko et son épouse, lequel a duré deux jours. Un civil a demandé la tenue d’une enquête policière après que le gendarme Ozimko se fut introduit dans une propriété résidentielle lui appartenant, sans sa permission. Initialement, la police a porté contre le gendarme Ozimko six accusations criminelles, que la Couronne a retirées par la suite.

Les parties ont soumis à mon examen une proposition conjointe quant aux mesures disciplinaires. Le gendarme Ozimko a admis l’allégation énoncée dans un avis d’audience disciplinaire modifié. Sur consentement des parties, la décision du comité de déontologie se fonde uniquement sur les éléments au dossier.

Le comité de déontologie a accepté la proposition conjointe quant aux mesures disciplinaires, jugeant qu’elle était raisonnable et qu’elle s’inscrivait dans l’éventail des mesures disciplinaires applicables. Le comité de déontologie a imposé une pénalité financière de 25 jours (200 heures), à déduire de la solde du gendarme Ozimko, conformément à l’alinéa 5(1)j) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291.

INTRODUCTION

[1] Le 18 novembre 2019, la commandante et autorité disciplinaire de la Division O a signé un avis à l’officier désigné, dans lequel elle demandait la convocation d’une audience disciplinaire en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R-10 [la Loi sur la GRC]. Le 19 novembre 2019, l’officier désigné m’a nommé au comité de déontologie par application du paragraphe 43(1) de la Loi sur la GRC.

[2] L’autorité disciplinaire a signé l’avis d’audience disciplinaire initial le 15 avril 2020. Cet avis contenait une seule allégation de conduite déshonorante, en contravention de l’article 7.1 du code de déontologie, se rapportant à un conflit conjugal entre le gendarme Ozimko et son épouse, Mme B. Le conflit s’est étalé sur deux jours, à savoir les 20 et 21 novembre 2018.

[3] Le 19 juin 2019, le gendarme Ozimko a remis sa réponse à l’allégation conformément au paragraphe 15(3) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291 [les CC (déontologie)]. Il a nié les faits allégués et présenté une version nettement différente de celle de l’autorité disciplinaire, en particulier concernant ce qui s’est passé le 20 novembre 2018.

[4] À la suite de nombreuses conférences préparatoires, d’une directive ordonnant la tenue d’une enquête plus approfondie et d’une requête demandant ma récusation, les parties m’ont informé le 29 avril 2021 qu’elles avaient convenu d’un règlement qui comprenait l’admission par le gendarme Ozimko d’une allégation modifiée et une proposition conjointe quant aux mesures disciplinaires. Les parties ont préféré que j’exerce les pouvoirs qui me sont conférés en vertu des paragraphes 23(1) et 24(1) des CC (déontologie) et que je rende ma décision définitive écrite en me fondant uniquement sur les éléments au dossier, sans entendre de témoignage.

[5] Voici ma décision définitive écrite relativement à l’allégation et aux mesures disciplinaires.

ALLÉGATION

[6] L’avis d’audience disciplinaire initial contenait une seule allégation. L’énoncé détaillé contenait 20 points et alléguait ce qui suit :

  • Pendant un conflit conjugal qui est survenu le 20 novembre 2018 au domicile familial, le gendarme Ozimko :
    • aurait enlevé de force les vêtements de Mme B;
    • aurait détruit les chaussures de Mme B au moyen de pinces;
    • se serait mis un couteau sur la gorge et aurait menacé de s’enlever la vie;
    • aurait jeté Mme B par terre et lui aurait administré de force des somnifères et couvert la bouche pour l’empêcher de crier.
  • Le 21 novembre 2018, Mme B envisageait de mettre fin à la relation et avait prévu une visite d’un logement Airbnb qu’elle avait l’intention de louer. Le gendarme Ozimko :
    • aurait suivi Mme B du lieu de travail de celle-ci jusqu’au logement Airbnb;
    • se serait introduit dans le logement Airbnb sans la permission du propriétaire et aurait enlevé un sac qui contenait des effets appartenant à Mme B.

[7] Le 28 avril 2021, l’autorité disciplinaire a signé un avis d’audience disciplinaire modifié, qui contenait l’allégation et l’énoncé détaillé suivants :

[TRADUCTION]

Allégation no 1 Entre le 20 novembre 2018 et le 21 novembre 2018, à [nom de la ville] et à Richmond Hill ou dans les environs, dans la province de l’Ontario, le gendarme Mikhail Ozimko s’est conduit de façon déshonorante, en contravention de l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé :

1. Pendant toute la période pertinente, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC), affecté à la Division O, au Détachement de Toronto-Nord, en Ontario.

2. En 2017, vous avez rencontré Mme B, qui était traductrice, pendant que vous étiez un membre de la GRC déployé en Ukraine. La relation intime que vous avez développée avec Mme B, qui était membre de la population locale, pendant votre déploiement en Ukraine, contrevenait à la politique de la GRC applicable au déploiement à l’étranger.

3. Vous avez épousé Mme B en décembre 2017, et elle a déménagé en Ontario pour vivre avec vous en février 2018.

4. Le 20 novembre 2018, vers 22 h 30, Mme B est arrivée à votre domicile commun situé au [adresse municipale], à [nom de la ville]. Vous aviez bu de la vodka ce soir-là.

5. Vous vous êtes disputés pendant au moins une heure, et vous avez traité Mme B de [TRADUCTION] « chienne ».

6. Votre dispute s’est déroulée au rez-de-chaussée du domicile et à l’étage, dans la chambre que vous partagez avec Mme B.

7. Le lendemain, Mme B a pris des mesures pour quitter votre domicile commun et vous fuir.

8. Le 21 novembre 2018, à l’insu de Mme B, vous l’avez suivie de son lieu de travail jusqu’à un logement Airbnb situé au [adresse municipale], à Richmond Hill.

9. À son arrivée au logement Airbnb, Mme B a laissé un sac jaune sans surveillance à l’entrée, pendant que le propriétaire du logement lui montrait la chambre à louer. À votre arrivée au logement Airbnb, vous vous êtes introduit dans les lieux sans permission et avez enlevé le sac jaune de Mme B pour regarder à l’intérieur, et l’avez remis peu après.

10. Mme B a constaté que son sac jaune était disparu, ce qui a amené le propriétaire du logement à vous confronter. Vous vous êtes alors identifié comme le mari de Mme B.

11. Le propriétaire du logement a demandé à Mme B si elle pouvait s’en aller avec vous sans danger, et elle a répondu qu’elle ne se sentait pas en sécurité avec vous.

12. Le propriétaire du logement a appelé la police et a dit, entre autres, que Mme B lui avait dit que vous étiez un agent de la GRC.

13. La police régionale de York vous a par la suite arrêté et accusé des six infractions suivantes au Code criminel : harcèlement criminel, introduction par effraction, vol, voies de fait, administration d’une substance nocive et méfait. Le procureur de la Couronne de la région de York a par la suite retiré ces six accusations.

14. Vos actes équivalent à une conduite déshonorante.

[8] Les parties m’ont présenté cet avis d’audience disciplinaire modifié accompagné d’une proposition conjointe quant aux mesures disciplinaires. La proposition conjointe comprenait l’admission par le gendarme Ozimko de l’allégation modifiée.

Contexte

[9] Le gendarme Ozimko a été déployé en Ukraine en tant que membre de la GRC dans le cadre des activités du programme d’assistance internationale à la formation aux enquêtes criminelles. Avant de quitter le Canada, le gendarme Ozimko a signé une lettre de déploiement qui l’informait expressément que toute relation sexuelle ou intime avec des citoyens ou des résidents de la nation hôte dans le pays de déploiement était strictement interdite. En cas de violation de l’interdiction, le gendarme s’exposait à un rapatriement immédiat et à une procédure disciplinaire dès son retour au Canada.

[10] Le gendarme Ozimko a rencontré Mme B en Ukraine alors qu’il était déployé dans ce pays et assujetti à la lettre de déploiement. Mme B est une ressortissante de l’Ukraine. Le couple s’est marié en Ukraine le 20 décembre 2017. Mme B a déménagé au Canada en février 2018. Le gendarme Ozimko a alors déposé une demande auprès du ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté du Canada pour faciliter l’obtention par Mme B du statut de résident permanent au Canada.

[11] Le soir du 20 novembre 2018, Mme B s’est rendue dans un centre de conditionnement physique. À son retour à la maison, une dispute a éclaté entre elle et le gendarme Ozimko. Pendant l’heure qu’a duré la querelle, le gendarme Ozimko et Mme B sont allés dans diverses pièces de la maison. Après la dispute, Mme B a pris des mesures pour se trouver un autre logement avec l’intention de mettre fin à son mariage.

[12] Le 21 novembre 2018, le gendarme Ozimko et Mme B sont allés chacun à leur travail respectif. À un moment donné pendant la journée, le gendarme Ozimko s’est rendu au lieu de travail de Mme B pour lui parler, mais celle-ci a refusé de le voir. Après le travail, Mme B a fait appel aux services d’Uber et est allée visiter un logement Airbnb situé à Richmond Hill en vue de le louer. Le gendarme Ozimko l’a suivie à son insu. Pendant que Mme B visitait le logement Airbnb avec le propriétaire, le gendarme Ozimko s’est introduit dans les lieux sans la permission du propriétaire et a enlevé un sac jaune qui contenait les effets personnels de Mme B.

[13] Le propriétaire du logement Airbnb a confronté le gendarme Ozimko, qui a rendu le sac de Mme B. Le propriétaire du logement Airbnb a ensuite composé le 911 pour demander l’aide de la police après que Mme B lui a dit qu’elle ne se sentait pas en sécurité avec le gendarme Ozimko. Mme B a aussi informé le propriétaire du logement Airbnb du fait que le gendarme Ozimko était membre de la GRC.

[14] À la suite de leur visite sur les lieux et de leur enquête, des membres du Service de police régional de York ont arrêté le gendarme Ozimko et l’ont accusé de six infractions criminelles (voies de fait, méfait, administration d’une substance nocive, harcèlement criminel, introduction par effraction et vol). Le gendarme Ozimko a initialement plaidé coupable aux accusations de voies de fait et d’administration d’une substance nocive.

[15] Le 19 novembre 2019, le gendarme Ozimko a déposé à la Cour une demande visant à retirer son plaidoyer de culpabilité. Avant l’audience liée à la demande, le procureur de la Couronne a retiré toutes les accusations criminelles, ayant reçu de nouveaux renseignements de la part de l’avocat du gendarme Ozimko. Selon le procureur de la Couronne, les nouveaux renseignements présentaient [TRADUCTION] « des obstacles insurmontables pour la Couronne quant à la crédibilité et à la fiabilité de [Mme B] ».

[16] Le 11 mai 2020, le Service de police régional de York a accusé Mme B de méfait relativement à un autre incident conjugal qui se serait produit le 24 avril 2020. La Couronne a allégué que Mme B avait détruit des biens qui appartenaient au gendarme Ozimko. La Couronne a suspendu cette accusation le 2 juillet 2020.

Décision relative à l’allégation

[17] Pour démontrer qu’il y a eu « conduite déshonorante » aux termes de l’article 7.1 du code de déontologie, l’autorité disciplinaire doit établir les quatre éléments suivants selon la prépondérance des probabilités :

  1. les actes qui constituent le comportement allégué;
  2. l’identité du membre qui aurait commis les actes visés par les allégations;
  3. le fait que le comportement du membre est susceptible de jeter le discrédit sur la GRC;
  4. le fait que le comportement du membre est suffisamment lié à ses devoirs et fonctions pour donner à la GRC un intérêt légitime à le discipliner.

[18] L’énoncé détaillé figurant dans l’avis d’audience disciplinaire modifié correspond à la preuve contenue dans le dossier. Étant donné que le gendarme Ozimko a admis l’allégation, je conclus que les deux premiers éléments du critère sont établis.

[19] Pour ce qui est du troisième élément du critère, le Comité externe d’examen (CEE) de la GRC offre une analyse de la nature d’une conduite « susceptible de jeter le discrédit sur la GRC » dans sa recommandation C-2015-001 (C008), datée du 22 février 2016. En termes simples, le critère consiste à déterminer si une personne raisonnable, informée de toutes les circonstances pertinentes, y compris des réalités policières en général et de celles de la GRC en particulier, jugerait que la conduite du membre est déshonorante ou susceptible de jeter le discrédit sur la GRC.

[20] Le gendarme Ozimko a admis avoir contrevenu aux dispositions de la lettre de déploiement en ayant une relation intime avec Mme B, une ressortissante de l’Ukraine, pendant son déploiement dans ce pays. Il a aussi admis s’être introduit dans un domicile privé sans la permission du propriétaire civil et avoir pris les effets personnels de Mme B sans la permission de celle-ci. Il a été identifié auprès du propriétaire civil du logement en tant que membre de la GRC. Ses actes ont fait en sorte qu’un autre service de police s’est rendu sur les lieux et a enquêté sur l’affaire, et ont mené au dépôt de six accusations criminelles contre lui et à sa comparution devant la cour criminelle. Je conclus qu’une personne raisonnable, informée de toutes les circonstances pertinentes, y compris des réalités policières en général et de celles de la GRC en particulier, jugerait que la conduite du gendarme Ozimko est déshonorante ou susceptible de jeter le discrédit sur la GRC.

[21] Quant au quatrième et dernier élément du critère, je constate que les incidents qui ont eu lieu pendant la période de deux jours en novembre 2018 se sont produits en dehors des heures de travail du gendarme Ozimko. Le document 2014 Annotated Version of the RCMP Code of Conduct (version annotée du code de déontologie de la GRC), à la page 7, fournit des commentaires sur la façon de déterminer si la conduite d’un membre qui n’est pas en service peut être suffisamment liée à ses devoirs et fonctions :

[TRADUCTION]

[…]

En tant que de membre de la GRC, vous avez choisi une profession unique pour laquelle les normes de conduite sont élevées et cette responsabilité n’est pas intermittente; elle est constante. La relation entre un membre et la Gendarmerie n’est pas la même que celle qui existe entre un citoyen et le gouvernement. Votre conduite, que vous soyez en service ou non, sera examinée minutieusement en fonction de votre statut d’agent de police.

Toute conduite qui soulève un doute quant à votre intégrité, à votre honnêteté ou à votre moralité peut réduire l’efficacité en ce qui concerne l’exécution de vos fonctions et amènera le public à perdre confiance en la Gendarmerie. Les responsabilités décrites dans le Code de déontologie visent à favoriser la prise de décisions éthiques éclairées qui vont au-delà des limites du milieu de travail. En vous acquittant de ces responsabilités, vous satisferez aux attentes professionnelles de la Gendarmerie et des Canadiens.

[…]

[22] Il ne fait aucun doute que l’introduction dans une résidence privée et l’enlèvement des effets personnels d’autrui, tous deux sans permission, soulève un doute quant à l’intégrité et à la moralité du gendarme Ozimko. L’intervention de civils et d’un autre service de police dans l’affaire est susceptible de miner la confiance de la population envers la GRC.

[23] En me fondant sur l’analyse qui précède, je conclus que l’allégation contenue dans l’avis d’audience disciplinaire modifié est établie.

MESURES DISCIPLINAIRES

[24] Ayant conclu que l’allégation est établie, je suis tenu, en application du paragraphe 45(4) de la Loi sur la GRC, d’imposer au moins une des mesures disciplinaires qui y sont énoncées. Ces mesures comprennent le congédiement, l’ordre de démissionner ou l’imposition « [d’]une ou [de] plusieurs des mesures disciplinaires prévues dans les règles ». Les mesures disciplinaires « prévues dans les règles » se trouvent aux articles 3 (mesures disciplinaires simples), 4 (mesures disciplinaires correctives) et 5 (mesures disciplinaires graves) des CC (déontologie).

Proposition conjointe quant aux mesures disciplinaires

[25] Comme je l’ai fait remarquer plus tôt, les parties m’ont présenté une proposition conjointe, qui comprenait une seule mesure disciplinaire, soit une pénalité financière de 25 jours, à déduire de la solde du gendarme Ozimko, conformément à l’alinéa 5(1)j) des CC (déontologie).

[26] La proposition conjointe présente aussi l’analyse qu’ont effectuée les parties de l’éventail des mesures disciplinaires appropriées, ainsi que des circonstances aggravantes et atténuantes dont elles ont tenu compte pour établir leur proposition. Je vais revenir sur ces éléments de la proposition conjointe après un examen des principes de common law concernant la façon dont je dois examiner la proposition.

Principes de common law en matière de propositions conjointes

[27] Les tribunaux ont examiné longuement la question des propositions conjointes dans le contexte criminel. Dans l’arrêt R c Anthony-Cook, 2016 CSC 43 [Anthony-Cook], la Cour suprême a établi que les juges ne sont pas obligés d’accepter les propositions conjointes, mais qu’ils doivent les rejeter uniquement dans de rares circonstances après avoir appliqué le critère de « l’intérêt public ». Selon ce critère, il faut se demander si la peine proposée est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou si elle est par ailleurs contraire à l’intérêt public. Le juge Moldaver a donné d’autres éclaircissements au nom de la Cour, au paragraphe 34 :

[I]l ne faudrait pas rejeter trop facilement une recommandation conjointe, une conclusion à laquelle je souscris. Le rejet dénote une recommandation à ce point dissociée des circonstances de l’infraction et de la situation du contrevenant que son acceptation amènerait les personnes renseignées et raisonnables, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris l’importance de favoriser la certitude dans les discussions en vue d’un règlement, à croire que le système de justice avait cessé de bien fonctionner. Il s’agit indéniablement d’un seuil élevé — et à juste titre, comme je l’explique ci-après.

[28] Dans l’arrêt Rault v Law Society (Saskatchewan), 2009 SKCA 81 [Rault], la Cour d’appel de la Saskatchewan a souligné qu’il existe de bonnes raisons de principe de faire preuve de retenue à l’égard des recommandations conjointes dans des dossiers disciplinaires. L’objectif premier et fondamental de la prise de décisions concernant les recommandations conjointes est de maintenir la confiance du public dans l’intégrité de la profession et dans la capacité des corps professionnels d’encadrer leurs membres efficacement.

[29] Les arbitres et les comités de déontologie de la GRC, dont je fais partie, ont appliqué systématiquement les principes énoncés dans les arrêts Anthony-Cook et Rault dans les procédures disciplinaires de la GRC.

[30] En appliquant les directives des tribunaux, je dois examiner en l’espèce si la proposition conjointe quant aux mesures disciplinaires est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou si elle est par ailleurs contraire à l’intérêt public. Pour ce faire, je dois examiner si la proposition conjointe correspond si peu aux attentes d’une personne raisonnable informée des circonstances de l’affaire que celle-ci estimerait que la proposition fait échec au bon fonctionnement du régime disciplinaire de la GRC.

Décision concernant les mesures disciplinaires

[31] Le cadre d’analyse des mesures disciplinaires qu’a établi le CEE en fonction de l’ancien régime disciplinaire de la GRC demeure pertinent dans les procédures disciplinaires qui sont régies par la version actuelle de la Loi sur la GRC. En vertu de ce cadre, je dois examiner l’éventail des mesures disciplinaires appropriées et passer ensuite en revue les circonstances aggravantes et atténuantes afin de décider des mesures disciplinaires appropriées en l’espèce. Cette démarche est conforme aux dispositions énoncées au chapitre XII.1.11.15 du Manuel d’administration.

[32] Le point de départ pour établir les mesures disciplinaires appropriées est le Guide des mesures disciplinaires. Celui-ci contient un éventail de mesures disciplinaires recommandées pour toute infraction au code de déontologie, y compris en cas de conduite déshonorante aux termes de l’article 7.1. Les décisions antérieures prises par les arbitres et les comités de déontologie peuvent aussi aider à la prise de décision.

Éventail de mesures disciplinaires appropriées

[33] Dans leur proposition conjointe, les parties se sont concentrées sur le fait que la relation du gendarme Ozimko et de Mme B contrevenait aux dispositions de la lettre de déploiement, qui constitue le point 2 de l’énoncé détaillé dans l’avis d’audience disciplinaire modifié. Les parties affirment donc que la catégorie applicable selon le Guide des mesures disciplinaires est celle de la « relation inappropriée », qui entraîne l’imposition d’une pénalité financière de 20 à 30 jours de solde dans les cas mineurs.

[34] La contravention aux dispositions de la lettre de déploiement n’était pas visée par l’enquête officielle en l’espèce, mais a été [TRADUCTION] « ajoutée » dans l’avis d’audience disciplinaire modifié. Néanmoins, je dois tenir compte de cette infraction grave à la politique de la GRC applicable au déploiement à l’étranger.

[35] Les aspects les plus graves et répréhensibles dans les avis d’audience disciplinaire initial et modifié sont ceux qui portent sur les actes du gendarme Ozimko le 21 novembre 2018, soit la surveillance subreptice de Mme B, l’introduction dans la résidence d’un civil sans permission et l’enlèvement des effets de Mme B sans permission. Ces actes ont mené à une [TRADUCTION] « confrontation » avec un civil, à un appel au 911, à une intervention policière et au dépôt de six accusations criminelles, dont des accusations de harcèlement criminel, d’introduction par effraction et de vol.

[36] Le Guide des mesures disciplinaires traite autant de la violence familiale (et du harcèlement) que du vol au titre des infractions contre les droits de propriété.

[37] En ce qui concerne la violence familiale, les cas mineurs sont les cas qui mettent en cause l’emploi d’une force relativement mineure, qui ne mènent à aucune déclaration de culpabilité au criminel ou qui ne causent pas de blessures à la victime. La mesure disciplinaire recommandée est une pénalité financière équivalant à 1 ou 2 jours de solde. La pénalité recommandée pour les cas ordinaires est une pénalité financière de 3 à 10 jours de solde.

[38] En ce qui concerne le vol, on peut lire le passage suivant à la page 57 du Guide des mesures disciplinaires :

[…] la sanction dans les cas de vol en général devrait être sévère. Typiquement, lorsqu’il s’agit d’un incident isolé, qui vise une somme peu importante et qui n’a pas donné lieu à une condamnation au criminel, la sanction proposée dans les cas mineurs et ordinaires varie de 30 jours au congédiement […]

Toutefois, le gendarme Ozimko, lorsqu’il a enlevé le sac sans permission, n’avait pas l’intention d’en priver Mme B, mais plutôt d’en examiner le contenu, ce qui coïncide avec son admission.

[39] Bien que la catégorie « relation inappropriée » ne soit peut-être pas la plus indiquée pour établir l’éventail des mesures disciplinaires appropriées en l’espèce, je comprends pourquoi les parties l’ont choisie. Les autres catégories qu’elles auraient pu choisir, soit la violence familiale et le vol, ne correspondent pas précisément à l’inconduite commise en l’espèce. Étant donné qu’il n’y a pas de catégorie qui prévoit exactement l’inconduite en cause dans le Guide des mesures disciplinaires, j’accepterai comme mesure disciplinaire appropriée découlant de l’avis d’audience disciplinaire modifié une pénalité financière de 20 à 30 jours de solde compte tenu des facettes multiples de l’inconduite.

[40] Les parties ont aussi soumis à mon examen deux décisions antérieures de comités de déontologie. Il s’agit des décisions Commandant de la Division T c Caporal Jenkins, 2018 DARD 4 [Jenkins], et Commandant de la Division D c Gendarme El Aste, 2018 DARD 18 [El Aste].

[41] La décision Jenkins est relativement utile, car elle concerne une relation inappropriée entre un formateur de la Division Dépôt et une cadette, en contravention des dispositions d’« une lettre d’attentes concernant les rapports entre le personnel de formation et les cadets », qui interdisait les relations entre les cadets et les membres du personnel. Le fait pour le membre visé de ne pas signaler sa relation avec la cadette a effectivement aggravé le défaut de respecter la directive. Pour ce qui est des mesures disciplinaires, le comité de déontologie a ordonné la rétrogradation immédiate du membre visé, son inadmissibilité à toute promotion pour une période d’un an, sa mutation et une pénalité financière de 30 jours de solde, au taux salarial de gendarme.

[42] Dans la décision El Aste, deux allégations de conduite déshonorante pour des incidents distincts de violence familiale ont été établies. La police a porté des accusations criminelles contre le membre visé, mais la Couronne a suspendu les accusations après que le membre visé eut accepté de contracter un engagement au titre de l’article 810 du Code criminel, LRC 1985, c C-46. Le comité de déontologie a accepté la proposition conjointe quant aux mesures disciplinaires et a imposé une réduction de la banque de congés annuels du membre visé de 15 jours (125 heures).

Circonstances aggravantes et atténuantes

[43] Les parties ont soulevé les circonstances aggravantes suivantes dans la proposition conjointe quant aux mesures disciplinaires :

  1. le Service de police régional de York a mené une enquête criminelle dans l’affaire, ce qui ternit la réputation de la GRC;
  2. l’inconduite à l’origine des accusations criminelles concernait l’épouse du gendarme Ozimko et a été signalée comme un cas de violence conjugale;
  3. l’affaire a eu une incidence émotionnelle importante sur Mme B, qui a fourni des déclarations pendant l’enquête criminelle.

[44] J’accepte les deux premiers facteurs; toutefois, étant donné que les parties ne m’ont fourni aucune preuve de l’incidence de l’affaire sur Mme B, je ne peux pas tenir compte du dernier facteur proposé. J’ajouterais, à titre de facteur que j’estime aggravant, que des membres du public ont été concernés directement par ce qui s’est passé au logement Airbnb et savaient que le gendarme Ozimko était membre de la GRC.

[45] La seule circonstance atténuante présentée par les parties est le fait que le gendarme Ozimko n’a pas d’antécédents disciplinaires. J’ajouterais que l’introduction non autorisée dans le logement Airbnb et l’enlèvement des effets de Mme B semblent découler d’un manque de jugement momentané, quoiqu’important, de la part du gendarme Ozikmo.

[46] Les parties ne m’ont rien fourni concernant le rendement global du gendarme Ozimko, et le gendarme Ozimko ne m’a pas fourni de lettres d’appui ni de références morales.

Conclusion concernant les mesures disciplinaires

[47] Après examen de la preuve dont je dispose, de la nature de l’inconduite, des circonstances aggravantes et atténuantes et de la proposition conjointe des parties, je ne crois pas que la mesure disciplinaire proposée par les parties, à savoir une pénalité financière de 25 jours de solde, est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ni qu’elle est par ailleurs contraire à l’intérêt public. Par conséquent, j’accepte la proposition conjointe des parties quant aux mesures disciplinaires.

CONCLUSION

[48] Ayant conclu que l’allégation est fondée et conformément à la proposition conjointe des parties quant aux mesures disciplinaires, la seule mesure disciplinaire que j’impose est une pénalité financière de 25 jours, à déduire de la solde du gendarme Ozimko, conformément à l’alinéa 5(1)j) des CC (déontologie).

[49] Toute mesure provisoire en place devrait être réglée rapidement, en application de l’article 23 du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (2014), DORS/2014-281.

[50] La présente décision constitue ma décision définitive écrite. Le paragraphe 25(3) des CC (déontologie) exige que j’en fasse signifier copie aux parties. Celles-ci peuvent faire appel de la décision devant le commissaire en déposant une déclaration d’appel dans les 14 jours suivant la signification de la décision [article 45.11 de la Loi sur la GRC; article 22 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289].

Signature

 

19 mai 2021

Kevin L. Harrison

Comité de déontologie

 

Date

 

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