Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

En décembre 2017, la gendarme M a divulgué à son superviseur qu’elle avait été victime d’incidents de harcèlement et d’agression sexuelle de la part de l’intimé de septembre 2011 à février 2012.

Le superviseur de la gendarme M a communiqué l’information à l’échelon supérieur dans la chaîne de commandement. Le supérieur hiérarchique de l’intimé a été mis au courant des incidents allégués.

L’Alberta Serious Investigation Response Team (ASIRT), l’équipe d’intervention de l’Alberta en cas d’incident grave, a reçu la plainte et lancé une enquête relative au code de déontologie sur quatre infractions au code qu’aurait commis l’intimé. L’enquêteuse chargée de l’enquête relative au code de déontologie a reçu des copies de diverses déclarations que l’ASIRT a obtenues 11 mois plus tard.

En novembre 2018, l’intimé a reçu signification d’un avis de demande de prorogation de délai, conformément au paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada [Loi sur la GRC], qui l’informait du dépôt à venir d’une demande de prorogation de délai de quatre mois. La demande de prorogation de délai a été déposée auprès du directeur général, Responsabilités liées au milieu de travail (le DGRMT). L’intimé a présenté par écrit son objection à la demande de l’appelant. En décembre 2018, après l’expiration du délai de prescription, qui prenait fin le 6 décembre 2108, l’intimé a reçu signification d’un avis de demande de prorogation de délai modifié. Par la suite, le DGRMT a reçu une demande de prorogation de délai modifiée.

Le 30 janvier 2019, le DGRMT a accueilli la demande de prorogation du délai de prescription d’un an que lui a présentée l’appelant en vertu des paragraphes 41(2) et 42(2) de la Loi sur la GRC, et a prorogé le délai, qui est passé du 6 décembre 2018 au 5 avril 2019.

À la suite de la constitution d’un comité de déontologie (le Comité) le 25 mars 2019, un avis d’audience disciplinaire a été émis le 1er avril 2019.

L’intimé a présenté une requête en sursis de l’instance dans laquelle il a affirmé que la décision de proroger le délai était manifestement déraisonnable.

Le Comité de déontologie a conclu que la décision de proroger le délai était manifestement déraisonnable et a accueilli la requête en sursis de l’instance de l’intimé. L’appelant a interjeté appel.

L’arbitre en matière de déontologie : a confirmé que le Comité pouvait être saisi de la requête; a conclu que le Comité aurait dû appliquer la norme de la décision raisonnable, même si cela n’avait pas d’incidence; a conclu que la décision du Comité n’est pas manifestement déraisonnable; a rejeté l’appel.

Contenu de la décision

Protégé A

Dossier no 2019335744

2021 DAD 12

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GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

AFFAIRE INTÉRESSANT

un appel interjeté au titre du paragraphe 45.11(3) de la Loi sur la Gendarmerie royale du

Canada, LRC 1985, c R-10, à l’encontre d’une décision du comité de déontologie

ENTRE :

le commandant de la Division K

Gendarmerie royale du Canada

(l’appelant)

et

le gendarme Vernon Pederson

Numéro de matricule 56253

(l’intimé)

(les parties)

DÉCISION CONCERNANT L’APPEL EN MATIÈRE DE DÉONTOLOGIE

ARBITRE : Steven Dunn

DATE : le 30 avril 2021


RÉSUMÉ

En décembre 2017, la gendarme M a divulgué à son superviseur qu’elle avait été victime d’incidents de harcèlement et d’agression sexuelle de la part de l’intimé de septembre 2011 à février 2012.

Le superviseur de la gendarme M a communiqué l’information à l’échelon supérieur dans la chaîne de commandement. Le supérieur hiérarchique de l’intimé a été mis au courant des incidents allégués.

L’Alberta Serious Investigation Response Team (ASIRT), l’équipe d’intervention de l’Alberta en cas d’incident grave, a reçu la plainte et lancé une enquête relative au code de déontologie sur quatre infractions au code qu’aurait commis l’intimé. L’enquêteuse chargée de l’enquête relative au code de déontologie a reçu des copies de diverses déclarations que l’ASIRT a obtenues 11 mois plus tard.

En novembre 2018, l’intimé a reçu signification d’un avis de demande de prorogation de délai, conformément au paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada [Loi sur la GRC], qui l’informait du dépôt à venir d’une demande de prorogation de délai de quatre mois. La demande de prorogation de délai a été déposée auprès du directeur général, Responsabilités liées au milieu de travail (le DGRMT). L’intimé a présenté par écrit son objection à la demande de l’appelant. En décembre 2018, après l’expiration du délai de prescription, qui prenait fin le 6 décembre 2108, l’intimé a reçu signification d’un avis de demande de prorogation de délai modifié. Par la suite, le DGRMT a reçu une demande de prorogation de délai modifiée.

Le 30 janvier 2019, le DGRMT a accueilli la demande de prorogation du délai de prescription d’un an que lui a présentée l’appelant en vertu des paragraphes 41(2) et 42(2) de la Loi sur la GRC, et a prorogé le délai, qui est passé du 6 décembre 2018 au 5 avril 2019.

À la suite de la constitution d’un comité de déontologie (le Comité) le 25 mars 2019, un avis d’audience disciplinaire a été émis le 1er avril 2019.

L’intimé a présenté une requête en sursis de l’instance dans laquelle il a affirmé que la décision de proroger le délai était manifestement déraisonnable.

Le Comité de déontologie a conclu que la décision de proroger le délai était manifestement déraisonnable et a accueilli la requête en sursis de l’instance de l’intimé. L’appelant a interjeté appel.

L’arbitre en matière de déontologie : a confirmé que le Comité pouvait être saisi de la requête; a conclu que le Comité aurait dû appliquer la norme de la décision raisonnable, même si cela n’avait pas d’incidence; a conclu que la décision du Comité n’est pas manifestement déraisonnable; a rejeté l’appel.

INTRODUCTION

[1] Le commandant de la Division K, à titre d’autorité disciplinaire (l’appelant), interjette appel, en vertu du paragraphe 45.11(3) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R-10, dans sa version modifiée [Loi sur la GRC], de la décision du Comité de déontologie datée du 26 septembre 2019 d’accorder un sursis de l’instance en raison du dépassement du délai de prescription pour convoquer une audience, comme le décrit le paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC, concernant quatre infractions alléguées de l’intimé au code de déontologie de la GRC.

[2] L’appelant conteste la décision au motif que le Comité n’avait pas le pouvoir de se prononcer sur le caractère raisonnable de la décision du directeur général, Responsabilités liées au milieu de travail (le DGRMT). Selon l’appelant, tel qu’il l’énonce dans son mémoire d’appel, le Comité a commis une erreur manifeste en contrôlant la décision de proroger le délai, en interprétant les dispositions législatives pertinentes de manière à [TRADUCTION] « étendre son pouvoir au-delà des limites fixées par la Loi sur la GRC » et en concluant que la décision de proroger le délai était manifestement déraisonnable (appel, p. 177).

[3] La commissaire peut, en vertu du paragraphe 45.16(11) de la Loi sur la GRC, déléguer son pouvoir de rendre des décisions définitives et exécutoires dans les appels en matière de déontologie. J’ai en effet reçu ce pouvoir délégué.

[4] Je m’excuse auprès des parties des retards attribuables à la GRC dans la décision en l’espèce.

[5] Pour rendre la présente décision, j’ai examiné les documents présentés au Comité qui a rendu la décision faisant l’objet d’un appel en l’espèce (documents), ainsi que le dossier d’appel (appel) préparé par le Bureau de la coordination des griefs et des appels (BCGA), ci-après appelés collectivement le « dossier ».

[6] Sauf mention contraire, je ferai référence aux documents et à l’appel par numéro de page. Les déclarations audio, le cas échéant, enregistrées lors de l’enquête relative au code de déontologie seront citées au moyen du temps écoulé depuis le début de la déclaration. De plus, les références législatives correspondent aux dispositions en vigueur au moment des événements.

[7] Pour les motifs qui suivent, l’appel est rejeté.

CONTEXTE FACTUEL

[8] Le 6 décembre 2017, la gendarme M. a accusé l’intimé d’avoir commis envers elle des actes de harcèlement et d’agressions sexuelles à de multiples occasions de septembre 2011 à février 2012, notamment lorsque l’intimé était son formateur des cadets et qu’elle était affectée au détachement X.

[9] La gendarme M a signalé l’affaire à son superviseur, qui l’a ensuite signalé à l’échelon supérieur de la chaîne de commandement. Le supérieur hiérarchique de l’intimé a été informé des incidents allégués.

Procédure et événements liés au code de déontologie qui ont mené à la décision du Comité

i. Lettre de mandat

[10] Le 8 décembre 2017, l’officier responsable de l’équipe intégrée de sécurité nationale (EISN) de la Division K a signé une lettre de mandat pour mener une enquête relative au code de déontologie (lettre de mandat), qui a fait en sorte d’ouvrir une enquête sur les quatre allégations suivantes (documents, p. 65-66) :

[TRADUCTION]

Allégation 1 :

Entre le 19 septembre 2011 et le 27 décembre 2014, à ou près de [X], en Alberta, [le gendarme P] a, pendant qu’il était de service, commis des actes de nature sexuelle en faisant à la [gendarme M] des attouchements inappropriés de nature sexuelle.

Il est par conséquent allégué que [le gendarme P] a contrevenu à l’article 7.1 du code de déontologie de la GRC :

« Les membres se comportent de manière à éviter de jeter le discrédit sur la Gendarmerie. »

Allégation 2 :

Entre le 19 septembre 2011 et le 27 décembre 2014, à ou près de [X], en Alberta, [le gendarme P] a, pendant qu’il était de service, commis des actes de nature sexuelle en faisant à la [gendarme M] des attouchements inappropriés de nature sexuelle et en faisant commettre par la [gendarme M] des attouchements inappropriés de nature sexuelle envers lui.

Il est par conséquent allégué que [le gendarme P] a contrevenu à l’article 7.1 du code de déontologie de la GRC :

« Les membres se comportent de manière à éviter de jeter le discrédit sur la Gendarmerie. »

Allégation 3 :

Entre le 19 septembre 2011 et le 27 décembre 2014, à ou près de [X], en Alberta, [le gendarme P] a, pendant qu’il était de service, abusé de sa position d’autorité à titre de formateur des cadets de la [gendarme M] en ayant avec elle des rapports sexuels.

Il est par conséquent allégué que [le gendarme P] a contrevenu à l’article 7.1 du code de déontologie de la GRC :

« Les membres se comportent de manière à éviter de jeter le discrédit sur la Gendarmerie. »

Allégation 4 :

Entre le 19 septembre 2011 et le 27 décembre 2014, à ou près de [X], en Alberta, le [gendarme P] a, de service et en dehors du travail, a envoyé des messages textes inappropriés à la [gendarme M].

Il est par conséquent allégué que [le gendarme P] a contrevenu à l’article 7.1 du code de déontologie de la GRC :

« La conduite des membres envers toute personne est empreinte de respect et de courtoisie; ils ne font pas preuve de discrimination ou de harcèlement. »

[11] Selon le dossier, l’intimé a reçu signification de la lettre de mandat le 8 décembre 2017 (documents, p. 69). L’intimé a reçu signification d’une ordonnance de suspension le même jour (documents, p. 951-954).

Avis de demande de prorogation de délai

[12] Le 27 novembre 2018, l’intimé a reçu signification d’un avis de demande de prorogation de délai, conformément au paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la GRC, daté du 15 novembre 2018, qui l’informait du projet de demande de prorogation de quatre mois au délai prescrit par le paragraphe 42(2) de la Loi sur la GRC (documents, p. 964-967).

[13] L’intimé a été informé de son droit de présenter des observations au DGRMT.

Demande de prorogation de délai

[14] Le 28 novembre 2018, le DGRMT a reçu un avis de demande de prorogation de délai, daté du 27 novembre 2018 (documents, p. 972-974 et 981).

Mémoire de l’intimé déposé auprès du DGRMT

[15] Le 29 novembre 2018, l’intimé a remis au DGRMT un mémoire dans lequel il a présenté son objection à la demande de prorogation de délai (documents, p. 975-980).

Expiration du délai de prescription

[16] Le délai de prescription a pris fin le 6 décembre 2018

Avis de demande de prorogation de délai modifié

[17] Le 19 décembre 2018, l’intimé a reçu signification d’un avis de demande de prorogation de délai modifié, daté du 17 décembre 2018 qui l’informait du projet de demande de prorogation de quatre mois du délai de prescription, sans précision des modifications apportées à la demande initiale (documents, p. 983-986).

[18] De plus, l’intimé a été de nouveau informé de son droit de présenter des observations au DGRMT.

Demande de prorogation de délai modifiée

[19] Le 21 décembre 2018, une demande de prorogation de délai modifiée, datée du 20 décembre 2018, a été déposée auprès du DGRMT (documents, p. 991-994).

Décision du DGRMT de proroger le délai

[20] Le 30 janvier 2019, le DGRMT a accueilli la demande de l’appelant de proroger de 120 jours le délai d’un an qui est prévu aux paragraphes 41(2) et 42(2) de la Loi sur la GRC, délai qui est donc passé du 6 décembre 2018 au 5 avril 2019 (documents, p. 995-1006).

Constitution du Comité de déontologie

[21] Le Comité a été constitué le 25 mars 2019.

ii. Avis d’audience disciplinaire

[22] Le 1er avril 2019, un avis d’audience disciplinaire a été délivré.

iii. Enquête

[23] Le rapport de l’enquête relative au code de déontologie, daté du 6 décembre 2018, a été produit par la sergente A (l’enquêteuse) (documents, p. 88-744).

[24] L’enquêteuse a examiné les déclarations de membres témoins que l’Alberta Serious Investigation Response Team (ASIRT) a obtenues, dont une déclaration du membre visé qu’a fourni l’intimé et un exposé des faits également fourni par l’intimé. L’enquêteuse a également examiné des notes manuscrites, des courriels, un profil d’employé, une note explicative, une copie numérisée d’un dossier du SIRP, un résumé de formation de recrue, une copie de la partie 2.2, Programme de formation pratique, du Manuel de l’apprentissage, de la formation et du perfectionnement, un dossier du Service de police de Vancouver, des photographies de la salle de visionnement du détachement X et d’autres éléments de preuve photographique, la définition du terme « inconduite sexuelle » de l’Infoweb, un exemplaire du chapitre XII.8, Enquête et règlement des plaintes de harcèlement, du Manuel d’administration, des entrevues sur le caractère et une conversation dont l’intimé faisait partie enregistrée à son insu.

iv La décision du Comité de déontologie

[25] Le 26 septembre 2019, le Comité a rendu une décision, dans laquelle il a accueilli la requête en sursis de l’instance relativement à toutes les allégations d’infraction au code de déontologie visant l’intimé (appel, p. 8-28).

[26] Au départ, le Comité a examiné s’il avait le pouvoir d’entendre la requête de l’appelant (appel, p. 12). Le Comité a distingué les faits et les circonstances décrits dans la décision Solesme de ceux de la situation de l’appelant en expliquant que « le Comité de déontologie avait déjà été nommé au moment où la prorogation a été demandée » (appel, p. 12).

[27] Le Comité a examiné l’argument de l’appelant selon lequel il n’avait pas le pouvoir de contrôler la décision du DGRMT (appel, p. 12). Toutefois, le Comité a exprimé son désaccord, en citant le paragraphe 13(4) des Consignes du commissaire (déontologie) :

(4) Pendant l’instance, il peut donner toute directive appropriée au sujet de toute question soulevée qui n’est pas prévue par la Loi, le Règlement ou les présentes consignes.

[28] À l’appui de sa conclusion selon laquelle il avait le pouvoir d’entendre la requête, le Comité a également fait référence à la décision Calandrini, 2018 DARD 10, dans laquelle un comité de déontologie a contrôlé une décision du DGRMT concernant une prorogation de délai.

[29] De plus, le Comité a expliqué qu’il n’avait pas seulement « le pouvoir » de contrôler la décision du DGRMT. À son avis, il en avait aussi « l’obligation » (appel, p. 13).

[30] Le Comité a souligné que le délai de prescription en vertu du paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC a commencé le 6 décembre 2017 et s’est terminé le 6 décembre 2018 (appel, p. 13).

[31] De plus, le Comité a examiné l’argument selon lequel la décision d’accorder une prorogation de délai est invalide et déraisonnable (appel, p. 13). Le Comité a observé que la demande modifiée a été présentée après l’expiration du délai. Toutefois, le Comité, citant la décision de la Cour fédérale Calandrini c. Canada (Procureur général), 2018 CF 52 [Calandrini], par laquelle le juge a confirmé le pouvoir d’accorder des prorogations rétroactives, a conclu que le DGRMT avait le pouvoir de proroger le délai (appel, p. 15). Je cite les points pertinents de la décision de la Cour fédérale dans Calandrini plus loin dans mon analyse.

[32] Le Comité a examiné les doutes concernant le respect de l’équité procédurale (appel, p. 16). Le Comité a souligné que la norme du respect de l’équité procédurale est la « décision correcte », s’appuyant sur la décision de la Cour suprême du Canada Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 [Khela]. Le Comité a fait observer que « le niveau d’équité procédurale doit être évalué selon le contexte », comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker]. Le Comité a convenu qu’« un niveau substantiel d’équité procédurale [était] dû » au demandeur (appel, p. 16). Quant au droit du demandeur à être entendu, le Comité a estimé que ce droit avait été respecté. Le Comité a expliqué que bien que l’avis « pouvait être amélioré », il ne pensait pas qu’il ait contenu une « lacune déterminante ». Le Comité a plutôt considéré que l’avis modifié « contenait suffisamment d’informations pour permettre au demandeur de connaître les faits qui lui [étaient] reprochés » (appel, p. 21) et qu’il n’y avait pas de violation des principes d’équité procédurale.

[33] Le Comité a également examiné si la décision du DGRMT était manifestement déraisonnable (appel, p. 22). Plus précisément, le Comité, suivant le raisonnement de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], a examiné si la décision du DGRMT de proroger le délai prévu au paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC est « justifiée, transparente, intelligible et inscrite dans une série de résultats possibles acceptables qui sont défendables » (appel, p. 23). Le Comité a aussi fait référence à la décision de la Cour fédérale Kalkat c Canada (Procureur général), 2017 CF 794 [Kalkat].

[34] Le Comité a conclu que la décision de ne pas poursuivre l’enquête relative au code de déontologie jusqu’à ce que l’enquête menée par l’ASIRT soit terminée n’était pas manifestement déraisonnable (appel, p. 24). De plus, le Comité a expliqué qu’il avait constaté plusieurs lacunes, « notamment l’absence de justification de l’octroi d’une prorogation pour poursuivre une audience disciplinaire » (appel, p. 24). Selon le Comité, « l’absence de lien entre les raisons invoquées pour demander une prorogation et l’explication des raisons pour lesquelles il devrait être permis d’autoriser l’ouverture d’une audience disciplinaire » était « problématique » (appel, p. 26).

[35] Relativement à son examen de la décision du DGRMT, le Comité a fait observer qu’une « grande déférence » est due au décideur initial « dans l’administration de sa procédure » (appel, p. 26-27). Le Comité a conclu qu’il n’y a « pas de raison sur laquelle une personne raisonnable pourrait s’appuyer pour soutenir la décision d’accorder une prorogation pour l’ouverture d’une audience disciplinaire » (appel, p. 27). Le Comité a expliqué qu’il ne pouvait pas vérifier si la décision prise par le DGRMT était « justifiée, transparente et intelligible », ni si elle constituait « l’une des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (appel, p. 27). Le Comité a conclu que la décision d’accorder une prorogation de délai « pour permettre l’ouverture d’une audience disciplinaire » était manifestement déraisonnable.

[36] Des extraits des conclusions du Comité sont fournis ci-dessous pour en faciliter la consultation (appel, p. 28) :

[114] Bien que j’aie quelques doutes quant au caractère suffisant de l’avis modifié, je ne pense pas que ces lacunes constituent une violation des principes d’équité procédurale.

[115] Toutefois, étant donné l’absence de toute justification d’une audience disciplinaire tant dans la demande de prorogation du délai pour une audience disciplinaire que dans la décision du [DGRMT] qui l’a accordée, je trouve sa décision clairement déraisonnable.

[116] Je suis tout à fait conscient que l’octroi d’une suspension de procédure empêchera que le bien-fondé de ces allégations très graves soit entendu dans le cadre d’une audience publique, et que cela nuit à l’intérêt public inhérent à ce que cela soit fait; cependant, je ne peux pas maintenir une décision qui est manifestement déraisonnable. Cela jetterait le discrédit sur l’administration du processus de déontologie de la GRC.

[117] Étant donné que j’ai trouvé la décision du [DGRMT] déraisonnable, la prorogation du délai n’a pas été accordée comme il se doit. L’intimé n’a donc pas entamé l’audience disciplinaire dans le délai de prescription prescrit en vertu du paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC.

[118] En conséquence, j’accorde par la présente la requête du demandeur et ordonne la suspension de la procédure sur toutes les allégations.

[37] L’appelant a reçu la décision du Comité le 26 septembre 2019 (appel, p. 6).

L’APPEL

[38] Le 8 octobre 2019, l’appelant, par l’intermédiaire de son représentant, a présenté le formulaire 6437 — Déclaration d’appel au BCGA (appel, p. 6-7).

[39] L’appelant soutient que la décision du Comité a été prise d’une manière qui contrevient aux principes d’équité procédurale, est fondée sur une erreur de droit et est manifestement déraisonnable (appel, p. 6). L’appelant a fait savoir que les motifs de son appel seraient [TRADUCTION] « énoncés dans ses observations » (appel, p. 6).

[40] À titre de réparation, l’appelant demande la tenue de l’audience disciplinaire (appel, p. 7).

Mémoire de l’appelant sur le bien-fondé de l’appel

[41] L’appelant, par l’intermédiaire de son représentant, a présenté ses arguments en appel le 20 juillet 2020 (appel, p. 173-180).

[42] De plus, il a fourni des résumés de plusieurs décisions pour appuyer sa position (appel, p. 181-672).

[43] L’appelant explique qu’il était l’autorité disciplinaire qui a entrepris les procédures contre l’intimé le 22 mars 2019 (appel, p. 174).

[44] L’appelant présente les normes de contrôle applicables. En ce qui concerne les motifs de l’appel, l’appelant allègue que la décision du DGRMT ne pouvait faire l’objet d’un contrôle de la part du Comité (appel, p. 175). Selon l’appelant, le pouvoir du Comité excluait [TRADUCTION] « le pouvoir d’évaluer le caractère raisonnable de la décision du DGRMT de proroger le délai » (appel, p. 175). Il soutient que les « directives » qu’un comité de déontologie peut émettre [TRADUCTION] « relativement à une instance […] diffèrent d’une ordonnance qu’il peut délivrer concernant une requête liée au caractère raisonnable d’une décision rendue par le commissaire ou le délégué du commissaire » (appel, p. 176).

[45] De plus, l’appelant, citant la décision Solesme, fait valoir que le contrôle par le Comité de la décision de proroger le délai était [TRADUCTION] « contraire à l’intention de mener une instance avec célérité » (appel, p. 177). Selon l’appelant, le Comité n’avait pas [TRADUCTION] « de pouvoir exprès ni implicite » de se prononcer sur le caractère raisonnable de la décision du DGRMT. Il explique que le Comité, en agissant comme il l’a fait, a commis [TRADUCTION] « une erreur manifeste en procédant à un contrôle de la décision de proroger le délai et en interprétant le cadre législatif de manière à étendre son pouvoir au-delà des limites fixées par la Loi sur la GRC » (appel, p. 177).

[46] En outre, l’appelant soutient que les allégations relatives au code de déontologie qui pèsent contre l’intimé [TRADUCTION] « soulèvent des questions graves d’inconduite sexuelle au travail ». Selon l’appelant, [TRADUCTION] « dans l’intérêt public, il est nécessaire d’effectuer un examen approfondi des événements à l’origine des quatre allégations d’inconduite » (appel, p. 177). Par conséquent, l’appelant est d’avis que la décision du Comité [TRADUCTION] « était non seulement incompatible avec l’intérêt public, mais elle a jeté le discrédit sur l’administration du processus de déontologie de la GRC » (appel, p. 177).

[47] De plus, l’appelant ajoute que le Comité a commis une erreur lorsqu’il [TRADUCTION] « a appliqué la mauvaise norme de contrôle en s’appuyant sur la décision Kalkat », étant donné que la décision dans l’affaire précitée concernait [TRADUCTION] « l’interprétation » du paragraphe 33(1) des Consignes du commissaire (griefs et appels), lequel paragraphe n’était [TRADUCTION] « pas pertinent dans le cadre de l’analyse » qu’a effectuée le Comité (appel, p. 178). L’appelant souligne que le Comité n’a [TRADUCTION] « pas montré le degré de retenue requis » relativement à la décision du DGRMT.

[48] Selon l’appelant, le Comité a commis une erreur en concluant à [TRADUCTION] « une absence de justification quant à l’octroi d’une prorogation pour la tenue d’une audience disciplinaire » (appel, p. 178). Il a affirmé que les motifs de l’octroi d’une prorogation étaient [TRADUCTION] « adéquats, puisqu’ils sont fondés sur une multitude de documents et fournissent une justification claire et intelligible de la décision » (appel, p. 179). L’appelant ajoute que [TRADUCTION] « les tribunaux ont reconnu que les motifs n’ont pas à être parfaits ni exhaustifs » (appel, p. 179). Il soutient en outre que la décision du DGRMT ne contenait pas [TRADUCTION] « d’erreur fatale » et que tant la conclusion selon laquelle la prorogation était justifiée au sens du paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la GRC que l’octroi d’une prorogation de quatre mois au délai prescrit » étaient raisonnables (appel, p. 180).

[49] L’appelant explique que certaines instances en matière de déontologie ne peuvent pas [TRADUCTION] « être introduites sans l’autorisation de l’Alberta Serious Investigation Response Team (ASIRT), et que l’autorisation est arrivée après la fin du délai de prescription le 6 décembre 2018 » (appel, p. 179).

[50] De l’avis de l’appelant, le Comité a commis une erreur en [TRADUCTION] « se concentrant étroitement sur la présence de lacunes » dans la demande de prorogation de délai datée du 20 décembre 2018 et en omettant [TRADUCTION] « d’examiner la décision dans son ensemble lorsqu’il a évalué si la décision de proroger le délai était raisonnable » (appel, p. 179). L’appelant fait valoir que le Comité [TRADUCTION] « a fait une révision sous la forme d’une recherche d’erreurs, phrase par phrase, qui était incompatible avec le degré de déférence dont il devait faire preuve à l’égard du DGRMT » (appel, p. 179), et que le manque de déférence à l’égard du DGRMT était une erreur manifeste (appel, p. 180).

[51] L’appelant demande que la requête accueillie de sursis de l’instance soit [TRADUCTION] « annulée » et que l’affaire soit renvoyée à un comité de déontologie pour [TRADUCTION] « qu’elle soit entendue sur le fond » (appel, p. 180).

Mémoire de l’intimé sur le bien-fondé de l’appel

[52] L’intimé, par l’intermédiaire de son représentant, a déposé son mémoire le 24 août 2020, après s’être vu accorder une prorogation (appel, p. 725-736). De plus, l’intimé a fourni à l’appui de sa position plusieurs décisions faisant autorité (appel, p. 737-966).

[53] L’intimé soutient que le Comité avait le pouvoir d’accorder un sursis de l’instance sur examen de la décision d’accorder une prorogation de délai (appel, p. 728). Il souligne que le pouvoir [TRADUCTION] « a été confirmé par la Cour fédérale et est compatible avec le pouvoir conféré à un comité de déontologie par la Loi sur la GRC et les Consignes du commissaire (déontologie) » (appel, p. 728).

[54] L’intimé demande le rejet de l’appel et la confirmation de la décision du Comité.

[55] S’agissant de savoir si le Comité a pris une décision [TRADUCTION] « clairement déraisonnable » en concluant qu’il avait le pouvoir de surseoir à l’instance, l’intimé explique que c’est la norme de contrôle de la décision « manifestement déraisonnable » qui s’applique (appel, p. 730).

[56] De plus, en qui a trait au pouvoir du Comité, l’intimé cite la décision de Cour fédérale dans Calandrini et, en particulier, la conclusion selon laquelle « le comité de déontologie peut déterminer si la prorogation aurait dû être accordée » (appel, p. 731). Selon l’intimé, le Comité n’a pas commis d’erreur en suivant simplement le même raisonnement que celui de la Cour fédérale dans la décision Calandrini » (appel, p. 731).

[57] En ce qui concerne l’argument de l’appelant selon lequel l’intimé aurait pu demander un contrôle de la décision du DGRMT en vertu de l’article 45.11 de la Loi sur la GRC, l’intimé soutient que la question n’a pas été portée devant le Comité et que l’appelant ne devrait pas pouvoir la soulever pour la première fois en appel (appel, p. 732).

[58] L’intimé fait remarquer qu’un appel d’une décision de proroger un délai de prescription n’est pas autorisé à l’article 45.11, mais relève plutôt du [TRADUCTION] « pouvoir résiduel d’un comité de déontologie prévu au paragraphe 13(4) des Consignes du commissaire (déontologie) » (appel, p. 733).

[59] Selon l’intimé, la décision du Comité était [TRADUCTION] « compatible avec la décision de la Cour fédérale dans Calandrini » (appel, p. 733).

[60] L’intimé soutient que le Comité a appliqué le principe selon lequel une [TRADUCTION] « décision est déraisonnable si elle présente simplement une liste des facteurs pertinents » et « fournit une conclusion sans fournir le raisonnement qui a mené à cette conclusion (appel, p. 735). Selon l’intimé, le DGRMT a tiré simplement des conclusions [TRADUCTION] « sans en expliquer les motifs ni le raisonnement suivi pour y arriver » (appel, p. 735). Plus précisément, l’intimé affirme que le DGRMT n’a [TRADUCTION] « fourni aucune justification de la conclusion selon laquelle il existait une intention maintenue de convoquer une audience disciplinaire » (appel, p. 736).

[61] L’intimé estime que le Comité a [TRADUCTION] « agi raisonnablement dans la manière dont il a contrôlé la décision du DGRMT et a aussi conclu raisonnablement que la décision démontrait un manque quant à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » (appel, p. 736).

La réplique de l’appelant

[62] L’appelant, par l’intermédiaire de son représentant, a déposé le 28 septembre 2020, après avoir obtenu une prorogation de délai, sa réplique ainsi que des pièces justificatives constituées de deux décisions faisant autorité (appel, p. 973-1032).

[63] Selon l’appelant, un dossier inexact a été fourni à l’appui des arguments en appel présentés le 20 juillet 2020. Il explique que la décision correcte [TRADUCTION] « à laquelle il est fait référence » est jointe à la réplique (appel, p 976). D’après le dossier, je remarque que les parties pouvaient par la suite fournir des arguments supplémentaires concernant la décision correcte déposée par l’appelant (appel, p. 1034-1113).

[64] L’appelant [TRADUCTION] « n’est pas d’accord » avec l’argument de l’intimé selon lequel l’appelant a fourni de [TRADUCTION] « nouveaux » éléments d’information dont il ne faudrait pas tenir compte en appel. Il explique qu’il [TRADUCTION] « peut soulever des questions concernant la prorogation qu’a accordée le DGRMT » (appel, p. 976).

[65] De plus, l’appelant [TRADUCTION] « n’est pas d’accord » avec [TRADUCTION] « l’interprétation » de l’intimé relativement à la décision de la Cour fédérale dans Calandrini (appel, p 976). Selon lui, [TRADUCTION] « ce que la Cour a établi dans sa conclusion est que la demande était prématurée et qu’il faut d’abord permettre au processus administratif interne de suivre son cours » (appel, p. 977). Il ajoute que la décision Calandrini [TRADUCTION] « ne concerne pas » le pouvoir de contrôler une décision du DGRMT et ne [TRADUCTION] « confirme pas un tel pouvoir » (appel, p. 977).

[66] En outre, l’appelant [TRADUCTION] « n’est pas d’accord » avec ce qu’il décrit comme [TRADUCTION] « l’interprétation étroite » que fait l’intimé de l’article 45.11 de la Loi sur la GRC (appel, p. 977). L’appelant soutient que le commissaire [TRADUCTION] « a appliqué une interprétation libérale de la disposition », citant la décision Brown (2017) no 2016335707 de l’Outil de gestion des cas administratifs (OGCA) (appel, p. 977).

[67] En ce qui concerne l’argument de l’intimé selon lequel [TRADUCTION] « l’appelant tente aussi de s’appuyer sur la déclaration du DGRMT selon laquelle la décision de celui-ci est susceptible d’appel », l’appelant explique que la [TRADUCTION] « compréhension » du DGRMT [TRADUCTION] « des questions procédurales que soulève sa décision » en vertu de l’article 47.4 [TRADUCTION] « est un facteur pertinent » (appel, p. 977-978).

[68] Une fois que le BCGA a eu fini de préparer le dossier d’appel, il en a fourni une copie aux parties pour examen.

[69] Le 30 novembre 2020, le BCGA a confirmé qu’une correction au dossier, demandée par le représentant de l’appelant, avait été effectuée (appel, p. 1121).

[70] Le BCGA a aussi communiqué par courriel avec le représentant de l’intimé, qui a confirmé, le 14 décembre 2020, qu’il ne présenterait pas d’autres observations (appel, p. 1147).

LE MANDAT

[71] En vertu du paragraphe 33(1) des Consignes du commissaire (griefs et appels), je dois évaluer si la décision qui fait l’objet de l’appel :

  • contrevient aux principes d’équité procédurale,
  • est entachée d’une erreur de droit, ou
  • est manifestement déraisonnable.

La norme de contrôle applicable

[72] La Cour suprême du Canada a réexaminé la norme de contrôle dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov), un arrêt dans lequel la Cour a confirmé que les normes établies par la voie législative devraient être respectées (par. 34-35). Par conséquent, je suis prêt à examiner tout manquement à l’équité procédurale selon la norme de la décision correcte, sans retenue. Je tiens aussi à souligner que lorsqu’une erreur de droit est constatée, le critère juridique approprié peut être appliqué aux conclusions de faits (voir les arrêts Housen c Nikolaisen, [2002] 2 RCS 235, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339).

[73] Par ailleurs, établir si une décision est manifestement déraisonnable en raison d’une erreur de fait (ou de fait et de droit) alléguée exige que l’on accorde une grande déférence au décideur initial.

[74] Dans la décision Kalkat, la Cour fédérale s’est penchée sur le terme « manifestement déraisonnable » énoncé au paragraphe 33(1) des Consignes du commissaire (griefs et appels) :

[62] Par conséquent, étant donné qu’il est expressément indiqué que la décision doit être « clearly unreasonable » et prenant en compte la traduction de l’expression (manifestement déraisonnable), je conclus que le délégataire n’a commis aucune erreur. Il est raisonnable d’interpréter la norme de la décision « clearly unreasonable » comme si elle équivalait à la norme de la décision « manifestement déraisonnable » dans le contexte du régime législatif et sur celui des principes. Il s’ensuit que le délégataire doit faire preuve de retenue à l’égard d’une conclusion par l’autorité disciplinaire lorsqu’il estime simplement que la preuve est insuffisante pour étayer la conclusion (Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Appeal Tribunal) c Fraser Health Authority, 2016 CSC 25).

[75] Dans la décision Smith c Canada (Procureur général), 2019 CF 770, la Cour fédérale a considéré et adopté une conclusion semblable :

[38] L’arbitre a effectué une analyse approfondie pour en arriver à la conclusion que la norme de la décision manifestement déraisonnable s’appliquait à la décision de l’autorité disciplinaire. Dans son analyse, l’arbitre a examiné la jurisprudence applicable, le sens du terme « manifestement », ainsi que le libellé en français du paragraphe 33(1). La conclusion de l’arbitre selon laquelle la norme de contrôle applicable était celle de la décision manifestement déraisonnable est justifiable, transparente et intelligible. La Cour est d’accord qu’il s’agissait là d’une conclusion raisonnable.

[76] La Cour d’appel fédérale a récemment rejeté l’appel de la décision à l’égard de la demande de contrôle judiciaire dans l’arrêt Smith, 2021 CAF 73, et a fait remarquer ce qui suit :

[TRADUCTION]

[43] Premièrement, je trouve intéressant que l’appelant et l’intervenante n’aient pas examiné adéquatement la version française du paragraphe 33(1) et qu’ils ne se soient pas demandé en quoi la décision [d’appel] est déraisonnable à la lumière de celle-ci. Le texte français utilise l’expression « manifestement déraisonnable » qui correspond à « patently unreasonable » en anglais et qui figure en tant que telle dans la jurisprudence de la Cour suprême. Suivant la méthode moderne d’interprétation des lois, l’analyse de l’arbitre en matière de déontologie montre que le paragraphe 33(1) a été raisonnablement interprété de manière à exiger l’application de la norme de la décision manifestement déraisonnable.

[77] Dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c Southam Inc, [1997] 1 RCS 748, au paragraphe 57, la Cour suprême du Canada a expliqué qu’une décision est manifestement déraisonnable si le « défaut est manifeste au vu des motifs du tribunal », autrement dit, si le défaut est tel que « l’on ne peut [le] contester, [et qu’il] est tout à fait éviden[t] ». Plus tard, la Cour suprême du Canada a énoncé dans l’arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c Ryan, 2003 CSC 20, au paragraphe 52, qu’une décision manifestement irrationnelle est une décision « clairement irrationnelle » ou « de toute évidence non conforme à la raison » ou « à ce point viciée qu’aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir ».

[78] Par conséquent, les questions de fait ou les questions mixtes de fait et de droit appellent une grande retenue, et seule la présence d’une erreur manifeste et déterminante peut amener à conclure qu’une décision est manifestement déraisonnable.

ANALYSE

[79] L’appelant affirme que le Comité a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas lieu de proroger le délai prescrit en vue de permettre la convocation d’une audience disciplinaire. De l’avis de l’appelant, la décision du Comité était [TRADUCTION] « incompatible avec l’intérêt public » et « a jeté le discrédit sur l’administration du processus de déontologie de la GRC » (appel, p. 177). L’appelant conteste le bien-fondé de la décision contestée au motif qu’elle contrevient aux principes applicables de l’équité procédurale, est fondée sur une erreur de droit et est manifestement déraisonnable.

[80] J’examinerai les arguments de l’appelant relativement à chacun des motifs d’appel.

1. La décision du Comité était-elle inéquitable sur le plan procédural?

[81] Dans sa déclaration d’appel, l’appelant a affirmé que la décision du Comité contrevenait aux principes d’équité procédurale. Toutefois, il n’a présenté aucune preuve à l’appui.

[82] [82] L’équité procédurale comprend deux droits généraux, comme l’a expliqué le Comité externe d’examen de la GRC dans le dossier G-568, auquel a souscrit l’ancien commissaire le 20 janvier 2015 :

L’équité procédurale est un principe de la common law que l’on considère maintenant comme le [Traduction] « fondement du droit administratif ». Elle comprend deux droits généraux : le droit de se faire entendre et le droit à un décideur impartial [voir David J. Mullan. Essentials of Canadian Law: Administrative Law (Toronto : Irwin Law, 2001) 4, p. 232]. S’il y a manquement à l’équité procédurale, une décision sera considérée comme nulle, à moins que le fond de la demande en question [Traduction] « s’avère autrement sans espoir » [voir Cardinal c. Directeur de l’Établissement Kent [1985] 2 RCS 643; Kinsey c. Canada (Procureur général), 2007 CF 543; Mobil Oil Canada Ltd. c. Canada–Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers [1994] 1 RCS 202; et Stenhouse c. Canada (Procureur général) [2004] CF 375].

[83] Normalement, les atteintes à l’équité procédurale font en sorte qu’une décision est considérée comme nulle; en général, la réparation consiste à ordonner une nouvelle procédure, sauf si les circonstances sont telles que la procédure aboutirait vraisemblablement à la même conclusion (Mobil Oil Canada Ltd c Office Canada—Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202, par. 51-54; Renaud c Canada (Procureur général), 2013 CAF 266, par. 5).

[84] Même dans sa demande d’appel, l’appelant n’a fourni aucune observation sur la façon dont son droit de se faire entendre et son droit à un décideur impartial n’étaient pas respectés. Après avoir examiné le dossier, je suis convaincu qu’il n’y a rien qui indique l’existence d’une crainte raisonnable de partialité et, de plus, l’appelant a eu amplement la possibilité de contester la requête visant à surseoir à l’instance.

[85] Je n’ajouterai rien en ce qui concerne l’équité procédurale.

2. La décision du Comité était-elle fondée sur une erreur de droit?

[86] Une erreur de droit s’entend généralement d’une erreur imputable à l’application d’une norme incorrecte ou à l’omission de tenir compte d’un élément essentiel d’un critère juridique (voir, par exemple, Housen c Nikolaisen, [2002] 2 RCS 235, par. 36). En d’autres mots, [TRADUCTION] « une question qui vise à établir l’interprétation correcte d’une exigence juridique [ou d’une disposition législative] plutôt que la manière dont l’exigence est appliquée aux circonstances particulières de l’espèce est une question de droit » (Robert Macaulay & James Sprague, Practice and Procedure before Administrative Tribunals, feuilles mobiles (Toronto : Thompson Reuters, 2017), vol. 3, ch. 28-336, 236).

[87] L’appelant présente deux arguments en apparence compatibles avec la définition d’une erreur de droit. Premièrement, le Comité n’avait pas compétence pour contrôler la décision du DGRMT et, deuxièmement, essentiellement à titre subsidiaire, le Comité a commis une erreur lorsqu’il [TRADUCTION] « a appliqué la mauvaise norme de contrôle en s’appuyant sur la décision Kalkat ». En ce qui concerne la décision Kalkat, l’appelant affirme que celle-ci concernait [TRADUCTION] « l’interprétation » du paragraphe 33(1) des Consignes du commissaire (griefs et appels), lequel paragraphe n’était [TRADUCTION] « pas pertinent dans le cadre de l’analyse » du Comité (appel, p. 178).

[88] Avant l’arrêt Vavilov, les questions de compétence étaient examinées selon la norme de la décision correcte (voir, par exemple, l’arrêt Dunsmuir, par. 59). Il semblerait que ce ne soit plus le cas (Vavilov, par. 67) :

[67] Tout en soulignant cette difficulté inhérente — ainsi que l’effet néfaste de l’incertitude juridique qui en découle sur les justiciables — les juges majoritaires dans l’arrêt CCDP [Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31] ont néanmoins laissé en suspens la question de savoir si la catégorie des questions touchant véritablement à la compétence était toujours nécessaire. Après avoir entendu les observations présentées à cet égard et saisi l’occasion de nous pencher sur ce point, nous sommes aujourd’hui en mesure de conclure qu’il n’est pas nécessaire de maintenir cette catégorie au sein des questions appelant la norme de la décision correcte. Les arguments à l’appui du maintien de cette catégorie — notamment la préoccupation relative au pouvoir du décideur, titulaire de pouvoirs délégués, de déterminer l’étendue de sa propre compétence — peuvent faire l’objet d’un examen adéquat au moyen du cadre d’analyse, exposé plus loin, qui doit servir à effectuer un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Le contrôle judiciaire selon cette norme est à la fois rigoureux et adapté au contexte. En l’appliquant adéquatement, les cours de justice sont en mesure d’accomplir leur devoir constitutionnel de veiller à ce que les organismes administratifs agissent dans les limites des pouvoirs qui leur sont conférés sans qu’il soit nécessaire de procéder à un examen préliminaire pour établir si une interprétation particulière soulève une question touchant « véritablement » et « étroitement » à la compétence et sans avoir à recourir à la norme de la décision correcte.

[89] Comme je vais l’expliquer brièvement ci-après, je suis convaincu que les comités de déontologie ont le pouvoir d’examiner les requêtes de membres visés qui contestent des décisions de proroger un délai rendues en vertu du paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la GRC.

Le Comité avait-il le pouvoir de contrôler la décision du DGRMT de proroger le délai?

[90] L’appelant maintient que le Comité n’avait pas le pouvoir de se prononcer sur le caractère raisonnable de la décision du DGRMT. L’intimé soutient le contraire, expliquant que le pouvoir du Comité à cet égard [TRADUCTION] « a été confirmé par la Cour fédérale et est compatible avec le pouvoir conféré à un comité de déontologie par la Loi sur la GRC et les Consignes du commissaire (déontologie) » (appel, p. 728).

[91] Selon l’intimé, [TRADUCTION] « la question ne consiste pas à savoir si le Comité de déontologie a commis une erreur, mais plutôt à établir si la décision du Comité de déontologie de conclure qu’il avait le pouvoir de suspendre la procédure était “clairement déraisonnable” » (appel, p. 730).

[92] Le Comité a examiné les questions de compétence relativement au contrôle de la décision du DGRMT et a conclu qu’il avait le pouvoir ainsi qu’une [TRADUCTION] « obligation » d’entendre la requête. Je suis d’accord avec sa conclusion. Les comités de déontologie se voient conférer de vastes pouvoirs par le Parlement dans la Loi sur la GRC [voir, par exemple, le paragraphe 45(2)], et par le commissaire dans les Consignes du commissaire (déontologie), notamment au paragraphe 13(4) :

(4) Pendant l’instance, il peut donner toute directive appropriée au sujet de toute question soulevée qui n’est pas prévue par la Loi, le Règlement ou les présentes consignes.

[93] Le Comité s’est aussi appuyé sur la décision de la Cour fédérale dans Calandrini. Dans cette affaire, le demandeur, un membre civil de la GRC, a sollicité un contrôle judiciaire de la décision de convoquer une audience disciplinaire à son égard et de la décision d’accorder une prorogation de délai, en vertu du paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la GRC, relativement à la convocation de l’audience disciplinaire. Dans sa conclusion selon laquelle la demande était prématurée, la Cour fédérale s’en est remise au comité de déontologie pour qu’il examine « la procédure qui a été suivie ou le bien-fondé des contraventions alléguées » (par. 61).

[94] En somme, je suis convaincu que le Comité avait le pouvoir d’examiner la requête.

Le Comité a-t-il appliqué la norme de contrôle appropriée quant à la décision du DGRMT de proroger le délai?

[95] L’appelant soutient que le Comité a commis une erreur en s’appuyant sur la norme de contrôle confirmée dans la décision Kalkat et en affirmant que « je ne peux pas y substituer ma propre décision, à moins que je ne trouve sa décision “clairement déraisonnable” » (appel, p. 178). L’appelant a raison de souligner que la décision Kalkat portait sur l’interprétation du paragraphe 33(1) des Consignes du commissaire (griefs et appels) et concernait un appel en matière de déontologie interjeté en vertu de l’article 45.11 de la Loi sur la GRC. Je conviens qu’une requête visant à contester une décision de proroger un délai soulevée devant un comité de déontologie diffère d’un appel interjeté en vertu de l’article 45.11.

[96] De même, l’appelant fait valoir que les décisions de proroger des délais [TRADUCTION] « doivent faire l’objet d’une grande retenue lors d’un contrôle » et que la norme appropriée est celle de la décision raisonnable (appel, p. 178). La réalité est que, depuis que la Cour d’appel fédérale est arrivée récemment à la même conclusion que la Cour fédérale à l’origine dans la décision Kalkat et par la suite dans la décision Smith, — le terme « clairement déraisonnable » doit être assimilé au terme consacré « manifestement déraisonnable » (voir Smith c Canada (Procureur général), 2021 CAF 73, au par. 43, et Zak c Canada (Procureur général), 2021 CAF 80, au par. 2) — il ne fait aucun doute que la norme que le Comité avait apparemment appliquée permettait un degré de retenue supérieur à celui que commande la norme de la décision raisonnable que l’appelant propose maintenant.

[97] L’intimé est d’accord avec l’appelant sur le fait que le Comité a commis une erreur lorsqu’il a appliqué la norme de la décision manifestement déraisonnable, qui appelle un degré supérieur de retenue, mais souligne que cela n’a pas d’incidence, car « une décision qui est “clairement” déraisonnable doit aussi être déraisonnable » (appel, p. 730).

[98] Le pouvoir d’accorder une prorogation des délais prévus aux paragraphes 41(2) et 42(2) de la Loi sur la GRC est énoncé au paragraphe 47.4(1). Le processus qu’une autorité disciplinaire (ou un membre visé) doit suivre pour demander une prorogation est énoncé dans la politique sur la déontologie de la GRC, au chapitre XII.19 – Demande de prorogation des délais du Manuel d’administration (MA). Le chapitre XII.19 du MA ne prévoit rien quant aux recours, vraisemblablement parce que la partie IV de la Loi sur la GRC et les Consignes du commissaire (déontologie) établissent et régissent un régime unifié.

[99] Sauf dans quatre cas expressément prévus, les décisions prises au cours d’une procédure en matière de déontologie peuvent être contestées au moyen d’un appel interjeté à la fin de la procédure en vertu de la partie IV de la Loi sur la GRC, et non pas, par exemple, au moyen d’un grief en vertu de la partie III. Les quatre exceptions sont énoncées à l’article 32 des Consignes du commissaire (déontologie) et concernent les cas de réaffectation temporaire, de suspension, de cessation du versement de la solde et des indemnités et de refus de représentation ou d’assistance. Dans ces cas, le membre a le droit d’interjeter appel de la décision en vertu de la partie 3 des Consignes du commissaire (griefs et appels), mais le dépôt d’un appel ne sursoit pas à l’exécution de la décision contestée [paragraphe 32(3)] ni à l’exécution d’une procédure en cours en matière de déontologie.

[100] De toute évidence, le comité de déontologie qui reçoit une requête de la part d’un membre qui souhaite contester l’un des quatre types de décision susmentionnés doit rejeter la requête, car un arbitre désigné en vertu de l’article 36 des Consignes du commissaire (griefs et appels) et saisi d’un appel dûment interjeté en vertu de la partie 3 est le seul habilité à rendre une décision. J’insiste sur le « et », parce que je reconnais que des personnes nommées à des comités de déontologie sont désignées à titre d’arbitre en vertu de l’article 36, mais lorsqu’elles tranchent des appels, elles exercent leur pouvoir conformément à la partie 3 des Consignes du commissaire (griefs et appels) et non pas leur pouvoir à titre de comité de déontologie constitué en vertu de la partie IV de la Loi sur la GRC.

[101] De plus, le membre convoqué à une rencontre disciplinaire après que l’autorité disciplinaire responsable ait sollicité et obtenu une prorogation du délai conformément au paragraphe 42(2) pourrait contester la décision d’accorder une prorogation au moyen d’observations écrites et à l’oral à la rencontre disciplinaire. Toutefois, étant donné que l’autorité disciplinaire est la même personne que celle qui a sollicité la prorogation, les probabilités d’obtenir l’annulation de la prorogation sont, disons, minces, sinon nulles. Même si faire valoir vivement des arguments sur la question devant l’autorité disciplinaire constitue probablement un exercice futile, si un membre croit qu’il a des arguments valides pour soutenir que la décision de proroger le délai devrait être annulée, il serait avisé de l’inclure dans une déclaration à cet effet dans ses observations écrites afin de préserver son droit de soulever la question en appel au besoin. Cela dit, j’aimerais faire remarquer que le paragraphe 45.11(4) prévoit que « Le commissaire entend tout appel, quel qu’en soit le motif ». Donc, j’estime que l’arbitre doit examiner la question de la décision de proroger le délai, même si cette question n’a pas été soulevée devant l’autorité disciplinaire et qu’elle est soulevée en appel. Après tout, les observations présentées au DGRMT par l’autorité disciplinaire et le membre, et la décision qui s’ensuit, devraient à juste titre être incluses dans le dossier d’appel, de sorte que les observations initiales des parties soient portées devant l’arbitre et que personne ne soit pris par surprise.

[102] De même, lorsqu’une requête présentée à un comité de déontologie en vue de contester une décision de proroger un délai est rejetée, le jugement peut par la suite faire partie des motifs d’appel du membre, au besoin.

[103] La partie 2 Appels (partie IV de la Loi), au paragraphe 33(1), et la partie 3, Appels (sauf partie IV de la Loi), au paragraphe 47(3) des Consignes du commissaire (griefs et appels), contiennent essentiellement le même libellé en ce qui concerne l’obligation de l’arbitre :

Lorsqu’il rend une décision sur la disposition d’un appel, [le commissaire ou l’arbitre] évalue si la décision qui fait l’objet de l’appel contrevient aux principes d’équité procédurale, est entachée d’une erreur de droit ou est manifestement déraisonnable.

[104] La Cour suprême du Canada reconnaît depuis longtemps que, lorsque le législateur prescrit la norme de contrôle applicable, son choix doit être respecté (voir par exemple, l’arrêt Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c Figliola, 2011 CSC 52, par. 20, et l’arrêt Vavilov, par. 17).

[105] J’ai donné toutes les précisions précédentes pour insister sur le fait que la norme de la décision manifestement déraisonnable s’applique aux décisions d’appel [et, par souci d’exhaustivité, aux griefs en dernière instance, voir le paragraphe 18(2) des Consignes du commissaire (griefs et appels)] et, qu’en l’absence de directives législatives dans d’autres situations, la norme de la décision raisonnable en common law s’ensuit nécessairement.

[106] Par conséquent, je suis d’accord avec les parties que le Comité a commis une erreur en appliquant supposément la norme de la décision manifestement déraisonnable. Malgré cela, je suis d’accord avec l’intimé pour dire que cela n’a pas d’incidence, puisque la conclusion selon laquelle la décision de proroger le délai était manifestement déraisonnable implique que le Comité aurait conclu que la décision était déraisonnable et le résultat aurait été le même.

[107] La question consiste alors à établir si le Comité a commis une erreur manifeste et déterminante en arrivant à la conclusion selon laquelle la décision était « clairement irrationnelle », « à ce point viciée qu’aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir » (Ryan, par. 52). Pour les motifs que je vais exposer, je conclus que tel n’est pas le cas.

3. La décision du DGRMT était-elle manifestement déraisonnable?

[108] L’appelant soutient que la décision du Comité était manifestement déraisonnable et ses arguments se résument comme suit :

  1. Le Comité a commis une erreur en [TRADUCTION] « se concentrant étroitement sur la présence de lacunes » dans la demande de prorogation de délai datée du 20 décembre 2018 (appel, p. 179);
  2. Le Comité a commis une erreur en se livrant à [TRADUCTION] « une recherche d’erreurs, phrase par phrase » et, ce faisant, il n’a pas fait preuve de retenue à l’égard de la décision du DGRMT et a omis « d’examiner la décision dans son ensemble lorsqu’il a évalué si la décision de proroger le délai était raisonnable » (appel, p. 179).

[109] Pour déterminer si la décision du comité de déontologie est manifestement déraisonnable, il est important de souligner qu’il n’est pas suffisant pour l’appelant de signaler une erreur dans la décision contestée ou d’être simplement en désaccord avec les opinions formulées ou l’interprétation des faits. L’appelant est tenu de démontrer que le résultat de la décision serait impossible si l’erreur n’avait pas été commise. Une décision ne sera pas jugée manifestement déraisonnable si, compte tenu des erreurs, l’issue de la décision est encore plausible.

[110] En l’espèce, le Comité a conclu que la décision du DGRMT n’était pas « justifiée, transparente et intelligible », et qu’elle ne constituait pas « l’une des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (appel, p. 27). J’ai examiné attentivement la décision du Comité. Celui-ci a reconnu et souligné l’importance de faire preuve de déférence à l’égard du décideur initial. Il a aussi reconnu le sérieux des allégations d’infraction au code de déontologie visant l’intimé. Néanmoins, le Comité a expliqué qu’il avait examiné les documents à l’appui de la demande de prorogation de délai pour convoquer une audience disciplinaire ainsi que la décision du DGRMT d’accueillir la demande (appel, p. 28). Le Comité a conclu qu’aucun des documents ne contenait de justification d’une audience disciplinaire.

Le Comité a-t-il commis une erreur en « se concentrant étroitement sur la présence de lacunes » dans la demande de prorogation de délai datée du 20 décembre 2018?

[111] L’appelant soutient que le Comité a commis une erreur en se concentrant sur les lacunes que contenait la demande de prorogation de délai.

[112] Je constate que partout dans la décision du Comité, la demande de prorogation de délai est désignée comme « la demande modifiée ».

[113] Le Comité a estimé que la demande modifiée avait été déposée après l’expiration du délai du 6 décembre 2018 et qu’elle « ne s’est pas contentée de corriger une erreur typographique ou d’édition », mais qu’elle a plutôt « modifié un élément fondamental de la demande » (appel, p. 15). Malgré cela, le Comité a conclu tout de même que « le [DGRMT] avait le pouvoir légal d’accorder la prorogation contestée » (appel, p. 15).

[114] Quant à l’absence de toute explication de la différence entre la demande initiale et la demande modifiée, le Comité a conclu qu’« [il] était donc inapproprié de s’attendre à ce qu’on se fie au contenu de documents qui ont été “modifiés” depuis » (appel, p. 19). Le Comité a expliqué que, même s’il ne trouvait pas qu’il s’agissait « d’une erreur fatale étant donné la similitude entre les documents », il convenait « de le noter afin que cette pratique puisse être corrigée » (appel, p. 19). Selon le Comité, « il aurait été très utile, tant pour le demandeur que pour le [DGRMT], que l’avis modifié et la demande modifiée contiennent un libellé expliquant la modification » (appel, p. 20).

[115] Le Comité a conclu que le seul facteur supplémentaire entre la demande initiale et la demande modifiée était l’ajout du passage suivant dans cette dernière (appel, p. 25) :

À ce jour, nous n’avons pas l’autorisation de diffuser les documents d’enquête actuels ni les documents d’enquête complets de l’ASIRT; […]

[116] Le Comité a fait remarquer que le DGRMT a appliqué le test établi dans la décision Canada (Procureur général) c Pentney, 2008 CF 96, pour évaluer s’il convenait d’accorder une prorogation de délai.

[117] Le Comité a fait ressortir que, à part l’ajout du paragraphe 41(2) au début de la demande modifiée, « rien ne laiss[ait] supposer qu’une audience disciplinaire était envisagée » (appel, p. 26).

[118] Je ne suis pas d’accord avec l’argument de l’appelant selon lequel le Comité a commis une erreur en se concentrant sur les lacunes dans la demande de prorogation de délai. À mon avis, le Comité a fait le contraire, c’est-à-dire, qu’il s’est penché sur la demande dans son ensemble et en a examiné attentivement chacun des aspects. Même s’il a estimé que certains aspects le « préoccup[aient] », le Comité n’a pas trouvé qu’il s’agissait d’erreurs fatales.

[119] En ce qui a trait au dernier point, j’ai trouvé moi aussi que certains aspects du dossier de demande de prorogation de délai étaient problématiques. L’aspect le plus frappant est que la modification de la demande et son nouveau dépôt n’avaient pas le degré de transparence que la situation exigeait. À mon avis, non seulement l’appelant avait l’obligation de veiller à ce que l’intimé soit informé de l’ajout du [TRADUCTION] « paragraphe 41(2) et » dans la phrase d’introduction de la demande modifiée et de ce qu’il signifiait (à savoir, que l’appelant envisageait désormais d’intenter une action pour congédiement), mais la référence correspondante aurait dû être modifiée dans la partie intitulée [TRADUCTION] « plusieurs facteurs entrent ligne de compte, pour cette raison une prorogation des allégations est demandée ». Au lieu de cela, l’énoncé pertinent est resté inchangé, sans mention d’une audience disciplinaire :

[TRADUCTION]

Le calendrier actuel ne permettra pas à l’autorité disciplinaire de se réunir, d’imposer des mesures et/ou de compléter le compte rendu de décision dans le délai de un an.

[120] Bien que ce soit peut-être un cas isolé, les autorités disciplinaires et les personnes chargées de les assister et de les conseiller doivent faire mieux qu’en l’espèce.

Le Comité a-t-il commis une erreur en se livrant à « une recherche d’erreurs, phrase par phrase », et en omettant de faire preuve de retenue à l’égard de la décision du DGRMT et d’examiner la décision dans son ensemble?

[121] L’appelant soutient que le Comité a commis une erreur en cherchant des erreurs dans la décision du DGRMT, et en omettant de faire preuve de retenue à l’égard de la décision et de l’examiner dans son ensemble.

[122] Pour en faciliter la consultation, voici des passages clés de la décision du Comité qui portent sur la décision du DGRMT :

[97] Après avoir examiné la décision du [DGRMT], j’ai constaté plusieurs lacunes, notamment l’absence de justification de l’octroi d’une prorogation pour poursuivre une audience disciplinaire. Cela n’est toutefois pas surprenant, car l’intimé n’a fourni aucune justification pour sa demande.

[…]

[106] Au paragraphe 29 de sa décision, le [DGRMT] a noté à juste titre qu’il incombait au défendeur de démontrer que la prorogation était justifiée dans les circonstances, ce qui est conforme à l’intention du paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la GRC, qui stipule :

Le commissaire, s’il est convaincu que les circonstances le justifient, peut, de sa propre initiative ou sur demande à cet effet, après en avoir dûment avisé les membres intéressés, proroger les délais prévus aux paragraphes 31(2), 41(2), 42(2) et 44(1) pour l’accomplissement d’un acte; il peut également spécifier les conditions applicables à cet égard. [L’emphase par les caractères gras n’est pas dans l’original.]

[107] Comme je l’ai fait remarquer au paragraphe 97, l’intimé n’a fourni aucune explication quant aux raisons pour lesquelles une prorogation était nécessaire pour l’ouverture d’une audience disciplinaire, de sorte que le [DGRMT] n’avait devant lui aucune circonstance pouvant justifier une prorogation. Par conséquent, le [DGRMT] n’en a pas précisé dans sa décision.

[…]

[110] Si la Cour fédérale évoque l’insuffisance des preuves, elle ne parle pas de l’absence de preuves, comme je l’ai constatée dans l’affaire en question. Bien que l’on puisse raisonnablement voir comment le [DGRMT] est parvenu à la décision d’accorder une prorogation pour la tenue d’une audience disciplinaire, je trouve qu’il n’y a pas de raison sur laquelle une personne raisonnable pourrait s’appuyer pour soutenir la décision d’accorder une prorogation pour l’ouverture d’une audience disciplinaire.

[…]

[112] Après avoir examiné attentivement la demande modifiée, je ne peux pas m’assurer que la décision prise par le [DGRMT] est justifiée, transparente et intelligible. Je ne trouve pas non plus qu’elle constitue l’une des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[113] Par conséquent, j’estime que la décision du [DGRMT] d’accorder une prorogation de délai conformément au paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la GRC pour permettre l’ouverture d’une audience disciplinaire est clairement déraisonnable.

[114] Bien que j’aie quelques doutes quant au caractère suffisant de l’avis modifié, je ne pense pas que ces lacunes constituent une violation des principes d’équité procédurale.

[115] Toutefois, étant donné l’absence de toute justification d’une audience disciplinaire tant dans la demande de prorogation du délai pour une audience disciplinaire que dans la décision du [DGRMT] qui l’a accordée, je trouve sa décision clairement déraisonnable.

[116] Je suis tout à fait conscient que l’octroi d’une suspension de procédure empêchera que le bien-fondé de ces allégations très graves soit entendu dans le cadre d’une audience publique, et que cela nuit à l’intérêt public inhérent à ce que cela soit fait; cependant, je ne peux pas maintenir une décision qui est manifestement déraisonnable. Cela jetterait le discrédit sur l’administration du processus de déontologie de la GRC.

[117] Étant donné que j’ai trouvé la décision du [DGRMT] déraisonnable, la prorogation du délai n’a pas été accordée comme il se doit. L’intimé n’a donc pas entamé l’audience disciplinaire dans le délai de prescription prescrit en vertu du paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC.

[118] En conséquence, j’accorde par la présente la requête du demandeur et ordonne la suspension de la procédure sur toutes les allégations.

[En caractères gras dans l’original.]

[123] J’ai examiné attentivement la décision du DGRMT de proroger le délai à la lumière des conclusions du Comité. Je reconnais que l’appelant a souligné la situation relative à l’enquête judiciaire de l’ASIRT et la nature des allégations dans la demande de prorogation de délai, et que l’intimé a mentionné dans sa réponse qu’il avait été suspendu le 8 décembre 2017. La politique de la GRC en matière de déontologie, MA XII.5.4 – Suspension, prévoit les conditions qui entraînent la suspension d’un membre en vertu de l’article 12 de la Loi sur la GRC. Bien qu’une suspension doive être ordonnée dès qu’une décision de convoquer une audience disciplinaire a été prise (5.4.1.3), dans d’autres cas, la décision de suspendre un membre peut être prise « lorsque, compte tenu de l’intérêt public, le fait de ne pas le suspendre risque de compromettre gravement l’intégrité ou les opérations de la GRC » (5.4.1.2) pendant qu’une enquête est en cours. Je cite ce passage pour signaler que, d’après les faits, le DGRMT aurait pu interpréter l’importance de l’ordre de suspension comme une indication du fait que le résultat de l’enquête relative au code de déontologie pouvait être, du moins initialement, considérée par la division comme pouvant éventuellement justifier la convocation d’une audience disciplinaire, et l’ajout du paragraphe 41(2) dans la demande modifiée aurait pu renforcer l’hypothèse. Toutefois, la politique de la GRC tient également compte du fait que les enquêtes relatives au code de déontologie sont des processus dynamiques et que les perceptions concernant les allégations peuvent évoluer au fil de l’obtention de renseignements. C’est pourquoi les suspensions doivent être réexaminées et justifiées tous les 90 jours (5.4.2.3). Qui plus est, d’après le dossier, il est évident que l’ASIRT avait fourni à l’appelant des copies de toutes les déclarations obtenues au plus tard le 14 novembre 2018 et fait un suivi en fournissant des déclarations supplémentaires le 5 décembre (documents, p. 906, 961), donc, il n’y a pas de doute que l’appelant comprenait pleinement l’état de la preuve du point de vue de la loi, tout compte fait, et ce que cela signifiait relativement aux procédures découlant du code de déontologie, et ce, deux semaines avant la demande initiale et cinq semaines avant la demande modifiée.

[124] Comme je l’ai signalé précédemment, le Comité a constaté l’absence de justification d’une audience disciplinaire à la fois dans la demande de prorogation de délai pour convoquer une telle audience et dans la décision du DGRMT (appel, p. 28). Je conviens du fait qu’il n’y avait pas de justification explicite, mais, comme je l’ai expliqué, une personne comme le DGRMT devait être aux faits des nuances implicites du dossier de demande. Par souci d’exhaustivité, je signale que le DGRMT, au paragraphe 25 de sa décision, a écrit ceci sans élaborer (documents, p. 1004) :

[TRADUCTION]

En ce qui concerne le deuxième facteur dont il est question dans la décision Pentney, le dossier fournit suffisamment de renseignements pour justifier que le demandeur exerce éventuellement les pouvoirs qu’il détient en vertu des paragraphes 41(2) et 42(2) de la Loi et prenne les mesures qu’il juge appropriées en vertu de ces mêmes paragraphes. Par conséquent, la cause est suffisamment solide pour instituer une procédure.

[125] En fin de compte, cependant, je reconnais que le DGRMT laisse le lecteur deviner quels sont les renseignements du dossier qui l’ont convaincu. Cela est encore plus flagrant au paragraphe 29 dans la partie intitulée « Décision » (documents, p. 1006) :

[TRADUCTION]

Il incombe au demandeur de démontrer que la prorogation de délai est justifiée dans les circonstances. Après avoir examiné le dossier et le droit applicable, je suis convaincu qu’il existe un motif valable dans les circonstances pour justifier que la demande soit accueillie. La présente décision respecte les principes énoncés dans les décisions Grewal [Grewal c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 CF 263 (CAF))], et Pentney, et donnera à l’intimé la possibilité de fournir des observations sur les allégations et les mesures disciplinaires, le cas échéant.

[Caractères gras ajoutés.]

Ce qui constitue le [TRADUCTION] « motif valable » n’est jamais expliqué, mais ce n’est certainement pas le fait qu’en accordant la prorogation de délai, l’intimé allait avoir la possibilité de présenter des observations sur les allégations d’infractions au code de déontologie. Après tout, l’intimé avait volontairement fourni une déclaration écrite spontanée détaillée ainsi qu’une entrevue enregistrée après mise en garde avec les enquêteurs de l’ASIRT en avril 2018 (documents, p. 465-557).

[126] Dans l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires ont clarifié ce que doit comporter un contrôle selon la norme de la décision raisonnable dans un tel cas :

[96] Lorsque, même s’ils sont interprétés en tenant dûment compte du contexte institutionnel et du dossier, les motifs fournis par l’organisme administratif pour justifier sa décision comportent une lacune fondamentale ou révèlent une analyse déraisonnable, il ne convient habituellement pas que la cour de révision élabore ses propres motifs pour appuyer la décision administrative. Même si le résultat de la décision pourrait sembler raisonnable dans des circonstances différentes, il n’est pas loisible à la cour de révision de faire abstraction du fondement erroné de la décision et d’y substituer sa propre justification du résultat : Delta Air Lines [Delta Air Lines Inc c Lukács, 2018 CSC 2], par. 26-28. Autoriser une cour de révision à agir ainsi reviendrait à permettre à un décideur de se dérober à son obligation de justifier, de manière transparente et intelligible pour la personne visée, le fondement pour lequel il est parvenu à une conclusion donnée. Cela reviendrait également à adopter une méthode de contrôle selon la norme de la décision raisonnable qui serait axée uniquement sur le résultat de la décision, à l’exclusion de la justification de cette décision. Dans la mesure où des arrêts comme Newfoundland Nurses [Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62] et Alberta Teachers [Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61] ont été compris comme appuyant une telle conception, cette compréhension est erronée.

[Caractères gras ajoutés.]

[127] Par conséquent, on ne peut reprocher au Comité la démarche qu’il a choisie compte tenu de son évaluation manifestement articulée et fondée de la décision du DGRMT de proroger le délai.

[128] En somme, l’appelant ne m’a pas convaincu que le Comité a commis une erreur manifeste et déterminante en concluant que la décision du DGRMT de proroger le délai n’était pas justifiée, transparente et intelligible. Par conséquent, attendu que la décision du Comité n’était pas manifestement déraisonnable, je ne suis pas disposé à la modifier.

DÉCISION

[129] En vertu de l’alinéa 45.16(1)a) de la Loi sur la GRC, je rejette l’appel et je confirme la décision du Comité d’accueillir la requête et d’ordonner une suspension de procédure.

 

 

 

Steve Dunn, arbitre

 

Date

 

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