Déontologie

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Protégé A

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2021 DAD 18

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GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

DANS L’AFFAIRE D’UN

appel d’une décision d’un comité de déontologie au titre du paragraphe 45.11(1) de la

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10

ENTRE :

Gendarme Konstantinos Xanthopoulos

Matricule no 60852

(Appelant)

et

Commandant de la Division E

Gendarmerie royale du Canada

(Intimée)

(les parties)

DÉCISION D’APPEL EN MATIÈRE DE DÉONTOLOGIE

ARBITRE : Steven Dunn

DATE : Le 12 juillet 2021


INTRODUCTION

[1] L’ancien gendarme Konstantinos Xanthopoulos (l’appelant) conteste, en vertu du paragraphe 45.11(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, telle que modifiée (Loi sur la GRC), la décision d’un comité de déontologie (2019 DARD 05), concluant aux deux contraventions suivantes au code de déontologie : s’être ingéré dans une enquête relevant du code de déontologie dont il faisait l’objet (art. 7.1 - Conduite déshonorante, en contactant de manière inappropriée un témoin [allégation 2]); et avoir fourni des déclarations et des observations trompeuses et fausses dans une précédente question de déontologie (art. 8.1 - Signalement, en omettant de rendre compte, de manière exacte, de l’exécution de ses responsabilités et de l’exercice de ses fonctions [allégation 3]). Le comité de déontologie a jugé qu’un troisième chef d’accusation (allégation 1, en lien avec l’art. 7.1 – Conduite déshonorante) voulant que l’appelant ait eu une relation sexuelle inappropriée avec une personne vulnérable et plaignante qu’il a rencontrée dans l’exercice de ses fonctions et qui était victime de violence familiale (le témoin mentionné dans l’allégation 2) avait été déposé après l’expiration du délai de prescription d’un an prévu au paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC et l’a rejeté.

[2] Le comité de déontologie a conclu que le maintien en poste de l’appelant « ne serait pas dans l’intérêt supérieur du public ou de la Gendarmerie » et, à l’issue de l’audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique) du 19 au 21 mars 2019, dans une décision rendue à l’audience, lui a ordonné de démissionner dans les 14 jours, à défaut de quoi il serait congédié. La décision rendue par écrit a été donnée le 25 avril 2019. Bien qu’il ait été satisfait de la mesure disciplinaire imposée, l’intimée a fait appel du fondement juridique sur lequel s’est appuyé le comité de déontologie pour rejeter l’allégation 1 en raison des répercussions plus larges sur les instances disciplinaires à la GRC (2019335365).

[3] L’appelant concède que bien qu’il ait reçu la signification de la décision contestée le 1er mai 2019, il n’a pas déposé son appel avant le 26 mars 2020, malgré le délai de prescription de 14 jours prévu à l’article 22 des Consignes du commissaire (griefs et appels) (CC [griefs et appels]) et mentionné au paragraphe 45.11(1) de la Loi sur la GRC. Au lieu de cela, l’appelant a pris la décision délibérée de déposer une demande de révision judiciaire à la Cour fédérale (T-522-19) le 25 mars 2019, quelques jours seulement après la conclusion de l’audience disciplinaire. Cette demande a finalement été rejetée, mais a nécessité trois décisions de la Cour fédérale (2019 CF 1609, 2020 CF 297, 2020 CF 401), ce qui a amené l’appelant à déposer un appel à la Cour d’appel fédérale le 4 avril 2020. Cet appel est toujours en cours (A-98-20).

[4] La commissaire a le pouvoir, en vertu du paragraphe 45.16(11) de la Loi sur la GRC, de déléguer son pouvoir de rendre des décisions définitives et exécutoires dans le cadre des appels de mesures disciplinaires. J’ai reçu une telle délégation.

[5] Par souci d’exhaustivité, le 15 octobre 2020, j’ai refusé de statuer sur une demande du Bureau de coordination des griefs et des appels (BCGA) visant à consolider cet appel (2020335274) avec l’appel de l’intimée concernant le rejet de l’allégation 1 (2019335365), et j’ai plutôt ordonné au BCGA d’obtenir des observations de l’appelant expliquant pourquoi je devrais accorder une prorogation rétroactive, avec une possibilité pour l’intimée de répondre, et pour l’appelant de réfuter. Après avoir obtenu les observations et préparé le dossier d’appel de 402 pages ainsi que le dossier de 4 439 pages (en plus des fichiers audio) qui était devant le comité de déontologie (Éléments matériels), le BCGA a renvoyé l’affaire pour décision.

[6] Je note que l’appelant a été catégorique depuis qu’il a déposé sa déclaration d’appel, à savoir qu’il ne veut pas que cette affaire soit renvoyée devant le Comité externe d’examen (CEE) de la GRC (Dossier d’appel, p. 6, 224). Le paragraphe 45.15(3) de la Loi sur la GRC permet à un membre de demander que son appel de mesures disciplinaires ne soit pas renvoyé devant le CEE. Je reconnais que le paragraphe 23(1) des CC (griefs et appels) impose un délai de 14 jours à compter de la date de signification de la décision du comité de déontologie pour présenter une telle demande. Toutefois, l’article 29 des CC (griefs et appels) me permet de passer outre cette exigence. Je confirme que j’accède à la demande de l’appelant de ne pas renvoyer cet appel devant le CEE.

[7] En résumé, je suis saisi de cet appel visant à déterminer si les circonstances justifient une prorogation rétroactive. Les deux parties ont fourni des observations complètes et ont confirmé l’exhaustivité du dossier. Pour les raisons que je vais expliquer, je ne suis pas prêt à accorder à l’appelant une prorogation dans ces circonstances. L’appel est donc rejeté.

ANALYSE

[8] Pour commencer, le paragraphe 29(e) des CC (griefs et appels) donne à la commissaire (ou à son délégué) le pouvoir de proroger le délai de dépôt d’un appel de mesures disciplinaires « dans des circonstances exceptionnelles ». Lorsqu’ils examinent les circonstances d’un cas donné, le CEE, la commissaire et les arbitres délégués suivent depuis longtemps des orientations judiciaires suggérant quatre considérations non conjonctives et non exhaustives : il y a intention persistante de poursuivre l’appel; la cause est défendable; le retard a été raisonnablement expliqué; il n’y a pas de préjudice à l’autre partie (voir Grewal c. Canada [Ministre de l’Emploi et de l’Immigration], [1985] CF 263 [CAF]; Canada [Ministre du Développement des ressources humaines] c. Hogervorst, 2007 CAF 41; Canada [Procureur général] c. Pentney, 2008 CF 96). Le poids à accorder à chacune des considérations varie selon les circonstances de l’affaire (Stanfield c. Canada, 2005 CAF 107). Je félicite les parties d’avoir formulé succinctement leurs arguments autour de ces facteurs (Dossier d’appel, p. 111-116, 139-144, 176-181).

Il y a intention persistante de poursuivre l’appel

[9] L’appelant s’appuie sur le fait qu’il a déposé une demande de révision judiciaire à la Cour fédérale dans les jours qui ont suivi l’audience disciplinaire pour démontrer qu’il a maintenu son intention de « poursuivre l’affaire sous-jacente » (dossier d’appel, p. 113, 177), et souligne les commentaires faits par le juge Lafrenière depuis le banc pendant l’audience sur la requête du 11 décembre 2019 pour appuyer cette affirmation.

[10] J’accepte que le juge Lafrenière ait réfléchi à voix haute à la possibilité d’inclure un commentaire, sous forme de remarque incidente dans sa décision écrite, voulant que l’appelant semble « avoir maintenu son intention de contester la décision du comité de déontologie » en interjetant appel devant la Cour fédérale, et que cela « devrait être pris en considération lorsqu’une demande de prorogation du délai d’appel est présentée » (Dossier d’appel p. 128). Je note également qu’il y a eu un bref échange avec l’avocat du ministère de la Justice au sujet de l’entrave à la discrétion. L’appelant concède que le commentaire n’est pas déterminant, mais soutient qu’il est sûrement persuasif (Dossier d’appel, p. 115-116). En fin de compte, cependant, le juge Lafrenière n’a pas inclus de telles remarques incidentes dans la décision écrite rejetant la demande (2020 CF 401).

[11] À mon avis, pour bénéficier de ce facteur, la partie requérante doit démontrer son intention de poursuivre la demande ou son droit d’appel devant le bon forum ou à tout le moins démontrer une erreur de bonne foi. En revanche, l’appelant, ayant fait appel d’une décision disciplinaire antérieure en 2017 (Éléments matériels, p. 65-66), connaissait la procédure légale à suivre et a choisi intentionnellement de l’ignorer. L’appelant a déposé une demande de révision judiciaire de la décision d’appel en matière de déontologie qui s’en est suivie le 21 mai 2020, qui est toujours en cours (T-574-20).

La cause est défendable

[12] L’appelant soutient qu’il « possède un dossier exceptionnellement solide » et allègue une enquête négligente, des violations de la politique de la GRC et des obligations de divulgation, des irrégularités lors de l’audience, ainsi qu’une sanction disproportionnée (Dossier d’appel, p. 114, 129-134).

[13] Je reconnais que le seuil d’une cause défendable est bas, mais le bien-fondé de la cause doit quand même être démontrable (voir, par exemple, dans un contexte différent, Desjardins Cabinet de services financiers inc. c. Asselin, 2020 CSC 30, au paragraphe 217). Je note que l’appelant a été représenté devant le comité de déontologie par un avocat compétent qui, d’après ma lecture des observations et des transcriptions de l’audience, a assuré une représentation très compétente (Éléments matériels, p. 3-11, 101-106, 253-260, 4390-4403). Pourtant, aucune allégation de négligence dans l’enquête ou d’irrégularités dans l’audience n’a été soulevée. La divulgation, axée sur le caractère opportun de l’allégation 1, a été traitée avant l’audience. Suffisamment d’éléments de preuve ont finalement été recueillis pour convaincre le comité de déontologie que le délai de prescription d’un an prévu au paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC avait effectivement expiré.

[14] Je reconnais que l’appelant a demandé une divulgation supplémentaire à la Cour fédérale, ce qui lui a été refusé (2020 CF 297), et qu’il continue de demander la divulgation dans le cadre de cet appel en ce qui concerne de possibles documents liés à la modification des allégations qui ont finalement été incorporées dans l’avis d’audience disciplinaire (Dossier d’appel, p. 230). Le comité de déontologie a rejeté la suggestion selon laquelle le fait de modifier la formulation des allégations au fil de l’avancement de l’enquête relevant du code de déontologie et après que toutes les preuves ont été compilées avant d’être finalisées dans l’avis d’audience disciplinaire était en quelque sorte incompatible avec les exigences de la loi et de la politique (Éléments matériels, p. 4398-4403; Dossier d’appel, p. 17-19). La réalité est que la divulgation fournie à l’appelant dans le cadre de l’instance disciplinaire et les preuves présentées au comité de déontologie, y compris les témoignages, ont abordé les détails des deux allégations restantes. L’allégation 2 relève d’une évaluation de la crédibilité concernant le contexte et les propos de la conversation téléphonique du 22 septembre 2016, que le comité de déontologie a soigneusement expliquée (Dossier d’appel, p. 21-23). L’allégation 3 relève des déclarations que l’appelant a lui-même faites, en plus des relevés pertinents du téléphone cellulaire de la GRC (Éléments matériels, p. 84, 87-88, 2545-2561; Dossier d’appel, p. 23-25). L’authenticité des déclarations de l’appelant et des relevés du téléphone cellulaire mis en preuve n’a jamais été contestée. Le comité de déontologie s’est exprimé en ces termes (Dossier d’appel, p. 27) :

[63] Deuxièmement, les actions [de l’appelant] ne peuvent pas être considérées comme un comportement isolé de sa part. Les trois incidents similaires qui constituent les allégations se sont déroulés sur une période totale de six mois. Il ne s’agit pas d’une erreur de jugement ponctuelle du membre concerné, mais plutôt d’une propension à mentir et à manipuler afin d’éviter d’assumer la responsabilité de ses erreurs. En outre, les fausses déclarations relatives à l’allégation 3 peuvent être qualifiées de planifiées et délibérées. Les circonstances relatives à son contact avec [le témoin] ne reflètent pas une planification et une délibération similaires. En même temps, on ne peut pas dire qu’il s’agisse d’une réaction impulsive sans aucune réflexion sur les conséquences, dans la mesure où il a témoigné qu’il savait qu’une ordonnance allait être rendue et qu’elle lui interdirait de le contacter, mais qu’il l’a quand même fait.

[15] Quoi qu’il en soit, même si un appel sur les conclusions des allégations semble sans espoir, un membre à qui l’on ordonne de démissionner à défaut de quoi il sera licencié peut généralement monter un semblant de dossier défendable pour faire valoir que la sanction est disproportionnée. Je considère donc que ce facteur est rempli.

Le retard a été raisonnablement expliqué

[16] L’appelant s’appuie sur la raison pour laquelle il a présenté une demande de révision judiciaire – c’est-à-dire une affirmation de délais excessifs dans le processus interne de la GRC – pour expliquer pourquoi il a tardé à déposer son appel (Dossier d’appel, p. 114, 178-179). Bien qu’il s’agisse d’une explication, encore une fois, je ne suis pas convaincu que le fait de contourner intentionnellement le droit d’appel prescrit par le Parlement dans la Loi sur la GRC constitue une explication raisonnable (c.-à-d. juste, appropriée, sensée; voir Black’s Law Dictionary, 10e éd., s.v., « reasonable »).

Il n’y a pas de préjudice à l’autre partie

[17] L’appelant soutient qu’il est la seule partie à subir un préjudice, qu’il ne prévoit aucun préjudice à l’égard de l’intimée et qu’il rejette l’affirmation de l’intimée selon laquelle le fait de permettre à l’appel de se poursuivre portera préjudice à la GRC dans la gestion de ses effectifs (Dossier d’appel, p. 115, 180).

[18] Dans un rapport récent (C-046) concernant un cas de licenciement où la déclaration d’appel a été déposée avec seulement un jour de retard, le CEE a déclaré ceci (paragr. 45) :

Accorder cette prorogation à l’appelant lui donnerait un avantage injuste par rapport aux autres membres qui ont choisi de ne pas faire appel ou qui n’ont pas été autorisés à faire appel parce qu’ils avaient dépassé le délai imparti. À mon avis, il s’agirait d’une « édulcoration » arbitraire et injustifiée du délai imparti.

Ces commentaires sont particulièrement vrais ici. Je ne suis tout simplement pas convaincu que le fait de tolérer la recherche délibérée d’un forum par l’appelant ne porterait pas préjudice, du moins dans une certaine mesure, à la gestion générale du processus d’appel en matière de déontologie de la GRC.

Conclusion

[19] En résumé, j’estime que l’appelant n’a pas démontré qu’il avait toujours l’intention d’exercer le droit d’appel que lui confère la loi et qu’il n’a pas donné d’explication raisonnable pour le retard. J’estime également que le fait de tolérer le « magasinage » de forum de l’appelant porterait préjudice au processus d’appel en matière de déontologie de la GRC. Bien que la preuve semble appuyer les conclusions du comité de déontologie pour les deux contraventions, je suis prêt à accepter que l’appelant atteigne le faible seuil de cas défendable en ce qui concerne la sanction.

[20] À mon avis, le poids des trois facteurs qui militent contre l’octroi d’une prorogation à l’appelant l’emporte sur le quatrième qui joue en sa faveur.

DÉCISION

[21] L’appelant a pris la décision tactique d’ignorer la procédure réglementaire d’appel en matière de déontologie en déposant une demande de révision judiciaire auprès de la Cour fédérale. Ce n’était pas une erreur de bonne foi.

[22] En examinant cette affaire du point de vue de l’affaire Pentney, y compris les propres admissions et explications de l’appelant au cours de l’instance disciplinaire, la demande de la Cour fédérale et le présent appel, je ne trouve pas que l’appelant a démontré des circonstances exceptionnelles qui justifieraient une prorogation.

[23] L’appel est rejeté.

[24] Si l’appelant n’est pas d’accord avec ma décision, il peut faire appel à la Cour fédérale en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7.

 

 

 

Steven Dunn, arbitre

 

Date

 

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