Déontologie

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Protégé A

Dossier 2020335427

2021 DAD 21

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GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

DANS L’AFFAIRE D’UN

appel d’une décision d’un comité de déontologie au titre du paragraphe 45.11(1) de la

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10

et de la partie 2 des Consignes du commissaire

(griefs et appels), DORS/2014-289

ENTRE :

Commandant de la Division E

Gendarmerie royale du Canada.

(Appelante)

et

Sergent d’état-major Bari Emam

Matricule no 48889

(Intimé)

(les parties)

DÉCISION D’APPEL EN MATIÈRE DE DÉONTOLOGIE

ARBITRE : Steven Dunn

DATE : Le 23 août 2021


TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION 3

CONTEXTE 5

INSTANCE DISCIPLINAIRE 6

Enquête relevant du code de déontologie 6

Procédures d’audience disciplinaire 7

a) Audience disciplinaire 7

b) Sursis de l’instance 7

APPEL 8

QUESTIONS PRÉLIMINAIRES 8

Norme de contrôle applicable 8

ANALYSE 10

1. La décision de procéder au moyen du processus disciplinaire était-elle arbitraire? 11

2. La décision de procéder au moyen du processus de déontologie a-t-elle été prise pour éviter le délai de prescription d’un an du processus d’ERPH? 16

3. La décision de procéder au moyen du code de déontologie a-t-elle constitué une violation des droits procéduraux de l’intimé? 17

Règlement informel 18

Copie des plaintes 18

Réponse au rapport d’enquête 20

4. La procédure d’audience disciplinaire était-elle nulle ab initio? 22

CONCLUSION 23

DÉCISION 24

 

INTRODUCTION

[1] Le commandant de la Division E, à titre d’autorité disciplinaire (l’appelante) interjette appel, conformément au paragraphe 45.11(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, telle que modifiée (Loi sur la GRC), de la décision d’un comité de déontologie (le Comité), datée du 19 mai 2020, d’accorder un sursis de l’instance au motif que l’appelante a arbitrairement contourné le processus des Consignes du commissaire (enquête et règlement des plaintes de harcèlement), DORS/2014-290 (CC [ERPH]) en appliquant le processus disciplinaire, ce qui aurait privé le membre visé de ses droits juridiques et du devoir d’équité procédurale qui lui est dû.

[2] L’appelante conteste le sursis sous prétexte que le Comité a commis une erreur manifeste et déterminante en formulant des constatations et des conclusions factuelles qui sont manifestement déraisonnables et logiquement erronées :

  1. Ayant statué que les preuves soutiennent un effort concerté pour contourner le processus des CC (ERPH) ou les dispositions du chapitre XII.8 du Manuel d’administration - Enquête et règlement des plaintes de harcèlement (MA, chap. XII.8).
  2. Portant atteinte aux droits procéduraux de l’autorité disciplinaire en adoptant une interprétation déraisonnablement étroite et restrictive de la politique et de la loi; cherchant à dicter les articles du code de déontologie contenus dans l’Avis à l’officier désigné.
  3. Statuant qu’un sursis de l’instance est un recours approprié ou justifiable.

[3] La commissaire a le pouvoir, en vertu du paragraphe 45.16(11) de la Loi sur la GRC, de déléguer son pouvoir de rendre des décisions définitives et exécutoires dans le cadre des appels de mesures disciplinaires. J’ai reçu une telle délégation.

[4] Pour rendre cette décision, j’ai examiné les documents dont le Comité a été saisi (Éléments matériels) et le dossier d’appel de 557 pages (Dossier d’appel) qui a été préparé par le Bureau de coordination des griefs et des appels (BCGA), y compris les observations des parties.

[5] Pour les raisons qui suivent, j’estime que la décision de suspendre l’instance disciplinaire est manifestement déraisonnable et j’ordonne que l’affaire fasse l’objet d’une nouvelle audience devant un comité de déontologie constitué différemment. L’appel est accueilli.

CONTEXTE

[6] Le 23 février 2017, une membre civile de la GRC a contacté le Groupe sur le harcèlement de la Division E pour discuter d’une situation qu’elle vivait sur son lieu de travail et qui impliquait le sergent d’état-major Bari Emam, numéro de matricule 48889 (l’intimé). Dans sa déclaration, la plaignante a fourni les noms d’autres employées qui ont subi un comportement similaire de la part de l’intimé.

[7] Des déclarations ont rapidement été obtenues d’autres victimes présumées (Éléments matériels, DIVULGATION DE LA DRAD/Rapport d’enquête, p. 727). Toutes les femmes ont décrit un comportement inapproprié de la part de l’intimé. Une rencontre ultérieure avec des membres du Groupe de la responsabilité professionnelle de la Division E, du Groupe sur le harcèlement et du Groupe de déontologie a été tenue le 28 février 2017. Au cours de cette rencontre, le dossier a été examiné et il a été décidé qu’il ne ferait pas l’objet d’une enquête dans le cadre du processus d’ERPH, mais plutôt dans le cadre du processus disciplinaire (Éléments matériels, DIVULGATION DE LA DRAD/Rapport d’enquête, p. 730). D’autres entretiens ont ensuite été menés avec d’autres victimes présumées. Toutes les déclarations décrivent des attouchements non désirés ou un comportement inapproprié de la part de l’intimé, et toutes ces expériences sont jugées importunes.

[8] Le 6 mars 2017, le surintendant G a délivré une lettre de mandat pour la tenue d’une enquête indiquant que, le 28 février 2017, il avait été informé que l’intimé pourrait s’être conduit d’une manière qui, si elle était établie, contreviendrait au code de déontologie et que, par conséquent, conformément au paragraphe 40(1) de la Loi sur la GRC, il avait ordonné une enquête.

[9] Une fois l’enquête terminée et l’affaire examinée, le 16 janvier 2018, l’appelante a ouvert une audience disciplinaire en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi sur la GRC (Éléments matériels, Documents relatifs à l’audience disciplinaire/Avis à l’officier désigné, p. 1-2).

[10] Le 10 janvier 2020, l’intimé a déposé une requête de sursis de l’instance dans laquelle il a allégué un abus de procédure pour les manquements suivants de la part de l’appelante (Éléments matériels, Requête du membre visé/Requête d’abus de procédure) :

  • Allégation par l’appelante d’un privilège sur des documents qui ne sont pas privilégiés;
  • Manque de divulgation complète de la part de l’appelante;
  • Non-respect des directives du comité de déontologie par l’appelante;
  • Contournement du processus d’enquête et de règlement des plaintes de harcèlement (ERPH) de la GRC par l’appelante;
  • Insuffisance de l’enquête menée par l’appelante sur les allégations de harcèlement;
  • Partialité de la part de l’appelante au cours de l’enquête;
  • Délai institutionnel pour porter l’affaire devant le comité de déontologie.

[11] L’intimé a fait valoir que les préoccupations cumulées constituaient un abus de procédure justifiant un sursis de l’instance. L’appelante a répondu à la requête le 24 janvier 2020, et l’intimé a déposé sa réfutation le 14 février 2020. Le Comité a rendu une décision sur la requête le 19 mai 2020, ordonnant un sursis de l’instance (Dossier d’appel, p. 10-42).

INSTANCE DISCIPLINAIRE

Enquête relevant du code de déontologie

[12] Le 6 mars 2017, une enquête relevant du code de déontologie a été ouverte en rapport avec une infraction présumée à l’article 7.1 (conduite déshonorante) du code de déontologie.

[13] Au fil de l’avancement de l’enquête, plusieurs entretiens ont été menés concernant d’autres allégations selon lesquelles l’intimé aurait, à plusieurs reprises, eu un comportement inapproprié avec un certain nombre de subordonnées.

[14] En conséquence, une lettre de mandat pour la tenue d’une enquête mise à jour a été délivrée par le surintendant G le 31 mai 2017, ajoutant cinq autres allégations pour un total de six allégations impliquant six femmes différentes (Éléments matériels, DIVULGATION DE LA DRAD/Rapport d’enquête, p. 116-117).

[15] Le 14 septembre 2017, le Groupe de la responsabilité professionnelle a finalisé le rapport d’enquête, lequel contenait une vue d’ensemble, un résumé des entretiens menés avec les témoins et les victimes, ainsi qu’un certain nombre de pièces jointes. Au total, le rapport d’enquête et les pièces comportaient 827 pages, en plus de 22 fichiers de déclarations audio (Éléments matériels, DIVULGATION DE LA DRAD).

Procédures d’audience disciplinaire

[16] Un avis d’audience disciplinaire délivré par l’appelante le 22 février 2018 a été signifié à l’intimé le 12 mars 2018. Cet avis contenait sept allégations : deux allégations concernant la plaignante initiale (articles 7.1 et 3.2 [abus d’autorité]); quatre allégations supplémentaires en vertu de l’article 7.1 concernant quatre autres femmes; une allégation en vertu de l’article 2.1 (respect et courtoisie) concernait une sixième femme.

a) Audience disciplinaire

[17] L’audience disciplinaire a été ouverte le 18 janvier 2018. Le commissaire adjoint Craig MacMillan a été initialement désigné en tant que comité de déontologie, puis a été remplacé par l’arbitre Gerald Annetts.

b) Sursis de l’instance

[18] Le 19 mai 2020, après avoir accueilli la requête de l’intimé, le Comité a accordé un sursis d’instance au motif que l’appelante avait arbitrairement contourné le processus d’ERPH et avait opté pour le processus disciplinaire, privant ainsi l’intimé de ses droits juridiques et de l’équité procédurale qui lui est due. Le Comité a conclu qu’autoriser la poursuite de la procédure serait injuste pour l’intimé et jetterait le discrédit sur l’administration de la justice. Le Comité a également déterminé que le délai institutionnel de près de 34 mois ne respectait pas le seuil établi par la Cour suprême du Canada pour un abus de procédure, en plus de se prononcer sur diverses questions non soulevées en appel.

APPEL

[19] Le 5 juin 2020, l’appelante a présenté sa déclaration d’appel (formulaire 6437) au BCGA, soutenant que le Comité avait commis une erreur manifeste et déterminante en ordonnant un sursis de l’instance (Éléments matériels, p. 4-5). À titre de réparation et conformément à l’alinéa 45.16(1)b) de la Loi sur la GRC, l’appelante demande la tenue d’une nouvelle audience devant un comité de déontologie constitué différemment.

[20] L’appelante soulève les motifs d’appel suivants (Dossier d’appel, p. 4-5) :

  1. La décision du Comité d’ordonner un sursis de l’instance était à la fois déraisonnable et non fondée sur l’ensemble du dossier de la preuve.
  2. Le Comité a commis une erreur en ne permettant pas aux différentes plaignantes et aux allégations ultérieures de violation du code de déontologie d’être entendues.

QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

Norme de contrôle applicable

[21] Pour traiter correctement les motifs d’appel soulevés par l’appelante, il faut d’abord définir la norme en fonction de laquelle les motifs doivent être évalués.

[22] La Cour suprême du Canada a renouvelé l’examen de la norme de contrôle dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov). Pour les besoins de la présente affaire, je constate que la Cour a confirmé que les normes de contrôle établies par voie législative doivent être respectées (Vavilov, paragr. 34 et 35), et que la majorité d’entre elles faisaient la distinction entre les démarches à adopter dans le cadre d’un appel prévu par la loi et lors d’un contrôle judiciaire des décisions administratives (Vavilov, paragr. 36 à 45).

[23] Le paragraphe 33(1) des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289 (CC [griefs et appels]) fournissent les principes directeurs à respecter lors d’appels en matière de déontologie :

Lorsqu’il rend une décision sur la disposition d’un appel, le commissaire évalue si la décision qui fait l’objet de l’appel contrevient aux principes d’équité procédurale, est entachée d’une erreur de droit ou est manifestement déraisonnable.

[24] Les motifs d’appel soulevés par l’appelante concernent des constatations de fait ou des constatations mixtes de fait et de droit. Le terme « manifestement déraisonnable » employé au paragraphe 33(1) des CC (griefs et appels) décrit la norme de contrôle qu’il faut appliquer aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit. Dans l’arrêt Kalkat c. Canada (Procureur général), 2017 CF 794, la Cour fédérale a considéré comme suit le terme « manifestement déraisonnable » :

[62] Par conséquent, étant donné qu’il est expressément indiqué que la décision doit être « clearly unreasonable » et prenant en compte la traduction en français de l’expression (manifestement déraisonnable), je conclus que le délégataire n’a commis aucune erreur. Il est raisonnable d’interpréter la norme de la décision « clearly unreasonable » comme si elle équivalait à la norme de la décision « manifestement déraisonnable » dans le contexte du régime législatif et sur celui des principes. Il s’ensuit que le délégataire doit faire preuve de retenue à l’égard d’une conclusion par l’autorité disciplinaire lorsqu’il estime simplement que la preuve est insuffisante pour étayer la conclusion (Colombie-Britannique [Workers’ Compensation Appeal Tribunal] c. Fraser Health Authority, 2016 CSC 25).

[25] Dans Smith c. Canada (Procureur général), 2019 CF 770, une considération semblable a été examinée et adoptée :

[38] L’arbitre a effectué une analyse approfondie pour en arriver à la conclusion que la norme de la décision manifestement déraisonnable s’appliquait à la décision de l’autorité disciplinaire. Dans son analyse, l’arbitre a examiné la jurisprudence applicable, le sens du terme « manifestement », ainsi que le libellé en français du paragraphe 33(1). La conclusion de l’arbitre selon laquelle la norme de contrôle applicable était celle de la décision manifestement déraisonnable est justifiable, transparente et intelligible. La Cour est d’accord qu’il s’agissait là d’une conclusion raisonnable.

[26] La Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel de la décision de révision judiciaire Smith, 2021 FCA 73, en déclarant, entre autres [traduction] :

[43] Premièrement, je trouve intéressant que l’appelante et l’intervenant n’aient pas abordé de façon appropriée la version française du paragraphe 33(1) et les raisons pour lesquelles la décision [d’appel] est déraisonnable à la lumière de celle-ci. Le texte français utilise les termes « manifestement déraisonnable », qui se traduisent par « patently unreasonable » et qui ont été interprétés comme tels dans la jurisprudence de la Cour suprême. En se fondant sur l’approche moderne de l’interprétation des lois, l’analyse de l’arbitre de déontologie démontre que le paragraphe 33(1) a été raisonnablement interprété comme exigeant un caractère manifestement déraisonnable.

[27] Dans l’affaire Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 57, la Cour a expliqué qu’une décision n’est « manifestement déraisonnable » que si « le défaut est manifeste au vu des motifs du tribunal », ou en d’autres termes, si c’est « une chose que l’on ne peut contester, qui est tout à fait évidente ». En outre, une décision ne sera considérée comme « manifestement déraisonnable » que si, même après la prise en compte des erreurs, l’issue faisant l’objet de l’appel n’est pas plausible sur la base des preuves. La Cour a ensuite expliqué, dans l’arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, au paragraphe 52, qu’une décision manifestement déraisonnable est une décision qui est « clairement irrationnelle » ou « de toute évidence non conforme à la raison » ou « à ce point viciée qu’aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir ».

ANALYSE

[28] Le processus d’ERPH a été abrogé le 1er janvier 2021, à la suite de l’entrée en vigueur des modifications apportées à la Partie II du Code canadien du travail, LRC (1985), ch. L-2 (projet de loi C-65, Loi modifiant le Code canadien du travail [harcèlement et violence], la Loi sur les relations de travail au Parlement et la Loi no 1 d’exécution du budget de 2017), et au Règlement sur la prévention du harcèlement et de la violence dans le lieu de travail, DORS/2020-130. Par conséquent, je ferai référence aux dispositions de la politique d’ERPH et des CC (ERPH) au passé.

[29] De plus, lorsqu’une plainte de harcèlement a été déposée contre un membre visé par un plaignant volontaire et engagé, qu’elle a été traitée en vertu des CC (ERPH) et de la politique connexe, et qu’une conclusion prima facie en a résulté, la partie IV de la Loi sur la GRC et les Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291 (CC [déontologie]) ont régi le processus visant à déterminer si le membre visé a enfreint le code de déontologie selon la prépondérance des probabilités.

[30] Il ne fait aucun doute que cette question était essentielle pour le Comité qui a accordé un sursis de l’instance (Dossier d’appel, p. 11) [traduction] :

[3] […] Puisque ma décision repose sur l’allégation de contournement du processus obligatoire d’enquête et de règlement des plaintes de harcèlement, je commencerai là mon analyse.

[31] Si je comprends bien le raisonnement du Comité, la décision de suspension reposait essentiellement sur trois constatations : (1) l’amorce du processus disciplinaire plutôt que du processus d’ERPH était arbitraire; malgré tout (2) ce choix a été fait en partie pour éviter le délai de prescription d’un an dont disposent les plaignants pour déposer une plainte dans le cadre du processus d’ERPH; par conséquent (3) l’intimé s’est vu refuser certains droits procéduraux, y compris la possibilité de se prévaloir d’un règlement informel, d’obtenir une copie de chaque plainte et de commenter le rapport d’enquête avant qu’il ne soit finalisé et soumis au décideur. J’examinerai ces questions l’une après l’autre.

1. La décision de procéder au moyen du processus disciplinaire était-elle arbitraire?

[32] De manière générale, je suis d’accord avec le Comité que le processus d’ERPH devait être utilisé dans les cas de harcèlement et que le processus a été amorcé par un plaignant ayant déposé une plainte par voie d’un formulaire 3919. Cependant, comme je l’expliquerai bientôt, je ne suis pas d’accord avec l’affirmation de l’intimé voulant que le processus d’ERPH devait être utilisé dans chaque situation qui aurait pu comporter un élément potentiel de harcèlement impliquant un membre visé (Dossier d’appel, p. 449).

[33] L’appelante soutient que le fait de traiter les allégations dans le cadre du processus de déontologie plutôt que du processus d’ERPH dans ces circonstances était conforme à la politique et aux procédures de la GRC et ne constituait donc pas un abus de procédure. L’appelante soutient que la conclusion du Comité, au paragraphe 8, selon laquelle « [a]vec ou sans la présentation du formulaire 3919, il s’agissait manifestement de plaintes de harcèlement au sens de l’article 2.2 du chapitre XII.8 du MA » (Dossier d’appel, p. 13, 61), est erronée. L’appelante souligne qu’entre le 24 et le 28 février 2017, ni le caporal M ni le conseiller en matière de harcèlement M ne menaient une enquête conformément au processus décrit à l’article 5.4.1.8 du chapitre XII.8 du MA, car aucune lettre de mandat pour la tenue d’une enquête n’a jamais été officiellement délivrée par le décideur désigné. De même, la décision de l’autorité disciplinaire de signer, le 6 mars 2017, une lettre de mandat pour la tenue d’une enquête conformément au paragraphe 40(1) de la Loi sur la GRC était non seulement opportune, mais aussi raisonnable.

[34] L’intimé rejette l’affirmation de l’appelante selon laquelle le processus d’ERPH conférait un pouvoir discrétionnaire au décideur, surtout en cas de divulgation par un tiers. Au contraire, il insiste sur le fait que l’application des principes d’interprétation de la loi démontre que les enquêtes comportant un possible élément de harcèlement devaient être traitées dans le cadre du processus d’ERPH (Dossier d’appel, p. 452-455).

[35] Pour commencer, je note que le Comité a soigneusement limité l’application de la décision (Dossier d’appel, p. 26) [traduction] :

[40] Mes conclusions ne sont pas destinées à couvrir toutes les situations dans lesquelles des actes de harcèlement présumé sont portés à l’attention d’une autorité disciplinaire/d’un décideur. Sans le bénéfice des observations des avocats sur ces autres situations, je refuse d’étendre mon analyse au-delà des circonstances de la présente affaire.

[36] Il se trouve que quatre mois après que le Comité ait rendu cette décision, j’ai statué sur un appel en matière de déontologie (Comité externe d’examen [CEE] de la GRC C-038; GRC 2018-335143) présentant des similitudes troublantes et comportant le même argument d’abus de procédure. Dans cette affaire, la direction de la GRC a été informée par un tiers du comportement inapproprié d’un sous-officier supérieur envers une employée municipale. Peu de temps après, une deuxième victime, employée municipale dans un autre détachement où le membre visé avait travaillé trois ans auparavant, a été identifiée. Aucune des deux femmes n’a déposé de plainte pour harcèlement (formulaire 3919). En fin de compte, les enquêtes ont été jointes et menées à bien dans le cadre du processus de déontologie, ce qui a conduit à des constatations prima facie, à une rencontre disciplinaire et à deux infractions à l’article 7.1 pour un comportement et des commentaires sexuellement inappropriés établis selon la prépondérance des probabilités. En appel, le membre visé a allégué un abus de procédure parce que la politique d’ERPH n’avait pas été suivie. Le comité et moi-même avons rejeté cet argument en nous fondant sur les circonstances, notamment la divulgation par un tiers et le fait que, bien que les victimes aient fourni des détails sur l’inconduite, elles n’ont jamais participé pleinement au processus d’ERPH.

[37] L’appelante insiste sur le fait que la politique d’ERPH n’a pas été intentionnellement rédigée de manière indûment restrictive ou inflexible en ce qui concerne les pouvoirs accordés à un décideur (Dossier d’appel, p. 62). Bien que cela puisse être le cas, je reconnais que lorsqu’une plainte de harcèlement complète a été reçue contre un membre visé dans le cadre du processus d’ERPH, on s’attend à ce que la procédure d’admission énoncée à l’article 10.1 de la politique d’ERPH soit suivie. Toutefois, comme le prévoit l’article 9.1.8.1, lorsque les plaignants ne s’engagent pas dans le processus de plainte pour harcèlement en omettant de déposer une plainte écrite ou en retirant une plainte existante, la politique d’ERPH leur confère le pouvoir discrétionnaire de prendre d’autres mesures, comme d’ouvrir une instance disciplinaire :

9.1.8.1 Même si le plaignant choisit de retirer une plainte, la GRC conserve le pouvoir discrétionnaire de prendre d’autres mesures à l’égard de la conduite de tout employé ciblé dans la plainte s’il y a lieu, compte tenu de l’ensemble des circonstances, mais cela n’inclut pas le lancement d’une enquête sur le harcèlement et d’un processus de règlement en vertu de la présente politique ou des Consignes du commissaire (enquête et règlement des plaintes de harcèlement).

[38] De plus, la politique d’ERPH prévoyait également des circonstances où la GRC était mise au courant du comportement inapproprié par un tiers. En pareil cas, l’article 5.2.3 laisse au gestionnaire le soin de déterminer la ligne de conduite appropriée, y compris le processus de déontologie :

5.2.3. Si un superviseur ou un gestionnaire est mis au courant d’un incident ou d’un comportement qui semble être ou qui pourrait être perçu comme du harcèlement par un employé qui n’est pas visé par le comportement, il doit prendre les mesures nécessaires pour déterminer s’il doit agir conformément aux services de relations en milieu de travail ou s’il doit demander la tenue d’une enquête, en vertu de la Partie IV de la Loi sur la GRC ou de la présente politique et des Consignes du commissaire (enquêtes et règlement des plaintes de harcèlement), ou encore s’il est préférable de recourir à un autre processus, notamment les procédures de gestion du rendement.

[39] De plus, bien que la politique d’ERPH fasse mention des employés qui ne travaillent pas pour la GRC, mais qui travaillent sur ses lieux de travail (article 3.1), certaines limites sont énoncées à l’article 3.2 :

3.2 Le processus écrit de plainte énoncé dans la présente politique ne s’applique qu’aux employés de la GRC. Bien que les autres personnes qui travaillent sur les lieux de travail de la GRC n’aient pas accès au processus écrit de plainte énoncé à l’article 9.1, on s’attend à ce que les superviseurs et les gestionnaires respectent l’esprit et l’intention de la Politique pour veiller à répondre à toutes les préoccupations liées au harcèlement exprimées par des employés qui ne travaillent pas pour la GRC ou qui les concernent.

Par souci d’exhaustivité, les CC (ERPH) s’appliquaient aux plaignants (et aux intimés) civils et membres réguliers (voir la définition de « membre » au paragraphe 2[1] de la Loi sur la GRC), mais l’objectif de la politique d’ERPH était de respecter l’esprit et l’intention du processus lorsque le plaignant était, par exemple, un employé de la fonction publique. Bien entendu, ces plaignantes n’ont pas pu se prévaloir des dispositions d’appel prévues à l’article 7 des CC (ERPH) et auraient vraisemblablement eu recours à la procédure de règlement des griefs prévue par leur convention collective si elles n’étaient pas satisfaites du résultat. Dans le cas présent, les six femmes étaient des fonctionnaires, des membres civils et des membres réguliers, ainsi qu’une employée d’un autre service de police.

[40] Le Comité a estimé, au paragraphe 39, que le choix du processus de déontologie plutôt que du processus d’ERPH était arbitraire (Dossier d’appel, p. 26); cependant, aucune des six victimes n’a officiellement déposé le formulaire 3919 de plainte pour harcèlement exigé, et si les renseignements préliminaires provenaient directement d’une victime présumée elle-même, bon nombre des situations impliquant les autres femmes ont été révélées par des tiers.

[41] En résumé, l’appelante faisait face à une situation mettant en cause six plaignantes, dont l’une n’était pas une employée de la GRC, avec certains renseignements provenant de la divulgation de tiers, et des incidents s’étalant sur plusieurs années. Dans ce cas-ci, les six plaignantes n’ont pas dûment déposé une plainte écrite de harcèlement dans le cadre du processus d’ERPH, de sorte que l’appelante passe unilatéralement et directement au processus de déontologie. Qui plus est, même le Comité a reconnu que des consultations et des discussions avaient eu lieu au sein de la Division entre plusieurs groupes ainsi qu’avec des experts en la matière dans les centres de politique sur la déontologie (Section nationale de la gestion de la déontologie [SNGD]) et le harcèlement (Bureau de la coordination des plaintes de harcèlement [BCPH]) à la Direction générale (Dossier d’appel, p. 12-13) pour déterminer les mesures qu’il convenait d’adopter. En d’autres termes, le cas de l’intimé ne s’inscrivait pas facilement dans la politique d’ERPH, voire pas du tout, étant donné l’absence d’une seule plainte écrite formelle. Cela dit, les facteurs contextuels présents étaient envisagés aux articles 3.2 (personnel ne travaillant pas pour la GRC), 5.2.3 (divulgation par un tiers) et 9.1.8.1 (absence de plainte officielle), qui accordaient irréfutablement à l’appelante la discrétion de procéder comme elle l’a fait. Le Black’s Law Dictionary donne la définition suivante du terme « arbitraire » : [traduction] « impliquant une détermination faite sans considération ou égard pour les faits, les circonstances, les règles fixes ou les procédures ». Ce n’est certainement pas ce qui s’est produit en l’espèce.

[42] Il ne faut pas perdre de vue qu’une victime peut refuser de déposer une plainte officielle contre un superviseur ou un collègue pour une myriade de raisons, mais que, lorsque la Gendarmerie est mise au courant, la direction a l’obligation de remédier au comportement inapproprié par les meilleurs moyens légaux dont elle dispose, même s’il s’agit d’une divulgation historique par un tiers, tant que l’auteur de l’infraction est un employé et que la victime est prête à faire une déclaration. L’intimé soutient que la GRC est responsable de ne pas avoir obligé les victimes dans cette affaire à déposer une plainte en vertu de la politique d’ERPH (Dossier d’appel, p. 455). Je ne suis pas d’accord. Aucune disposition des CC (ERPH) ou de la politique d’ERPH n’obligeait une victime à enclencher le processus de plainte pour harcèlement et à y participer, et encore moins la direction à lui imposer cette obligation.

2. La décision de procéder au moyen du processus de déontologie a-t-elle été prise pour éviter le délai de prescription d’un an du processus d’ERPH?

[43] L’intimé a fait valoir, dans la requête, que l’appelante avait opté pour le processus de déontologie plutôt que pour le processus d’ERPH parce que certaines des allégations ne respectaient pas le délai de prescription d’un an pour le dépôt d’une plainte de harcèlement. Le Comité était d’accord (Dossier d’appel, p. 22) [traduction] :

[28] […] Pourquoi alors [l’intimée] a-t-elle pris la décision de le faire en l’espèce? L’appelant prétend que le but était de contourner le délai de prescription prévu dans le processus d’ERPH. Cette théorie est convaincante si l’on considère que le délai de prescription prévu dans les CC (ERPH) avait déjà expiré pour cinq des sept allégations avant qu’une plainte ne soit reçue ou qu’une enquête ne soit ouverte […]

[44] Sans tenir compte du fait qu’aucune plainte écrite officielle de harcèlement n’avait été déposée par l’une ou l’autre des six plaignantes, le Comité a reconnu que l’écoulement du délai de prescription d’un an ne constituait pas un obstacle automatique à la procédure dans le cadre du processus d’ERPH (Dossier d’appel, p. 22-24), car le décideur désigné avait le pouvoir de prolonger le délai dans des « circonstances exceptionnelles » (voir le paragraphe 2[2] des CC [ERPH]). Comme l’ont expliqué les experts en la matière de la SNGD et du BCPH, cette condition suspensive est rarement un obstacle dans les affaires comportant des éléments de harcèlement sexuel (Éléments matériels, Éléments matériels de RGD/Courriels/Emam_attach/Binder_doc1-109, p. 122, 126).

[45] Dans l’affaire C-038, le CEE a soutenu qu’une autorité disciplinaire peut à juste titre considérer les « événements » d’inconduite même s’ils sont signalés des années après le dernier incident allégué et que cette position [traduction] « est soutenue par les articles 5.2.3 et 9.1.8.1 du chapitre XII.8 du MA, par le Guide national (harcèlement) et par le paragraphe 40(1) de la Loi sur la GRC » (paragr. 91). Dans la décision d’appel, j’ai reconnu que l’écoulement du délai de prescription d’un an dans le processus d’ERPH n’était pas une restriction automatique [traduction] :

[34] Je suis d’accord avec le CEE que le processus de déontologie ne limite pas le délai de prescription pour les événements qui sont portés à l’attention de la Gendarmerie aux fins d’enquête (Rapport, paragr. 94-95). Comme l’a expliqué le CEE, le paragraphe 40(1) de la Loi sur la GRC ne prévoit aucun délai de prescription lorsqu’elle stipule que l’autorité disciplinaire doit tenir ou faire tenir l’enquête qu’elle estime nécessaire pour lui permettre d’établir si un membre a contrevenu à une disposition du code de déontologie. À l’instar du CEE, j’estime qu’il était justifié que l’intimé prenne en considération les événements soulevés par MG dans le processus de déontologie, même s’ils avaient eu lieu plus d’un an avant d’être signalés.

[46] À mon avis, l’idée même que l’appelante ait cherché à contourner délibérément le processus d’ERPH (surtout en l’absence de plaintes formelles) en raison du délai de prescription d’un an pour les plaintes de harcèlement, qu’elle avait le pouvoir de prolonger, est une affirmation sans fondement dans le dossier.

3. La décision de procéder au moyen du code de déontologie a-t-elle constitué une violation des droits procéduraux de l’intimé?

[47] Le Comité a conclu, au paragraphe 36, que le fait de priver l’intimé des procédures d’ERPH équivalait à « un manquement à l’obligation d’équité procédurale » (voir Baker c. Canada [Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration], [1999] 2 R.C.S. 817) (Dossier d’appel, p. 25-26) et a jugé que l’intimé s’était vu refuser certains droits, notamment la possibilité d’un règlement informel, de recevoir une copie de chaque plainte et de faire des commentaires sur le rapport d’enquête avant qu’il ne soit finalisé et remis au décideur (Dossier d’appel, p. 21-24). À mon avis, l’analyse du Comité est erronée.

[48] Sur ce point, l’intimé va également trop loin en soutenant que le processus d’ERPH « a été spécifiquement rédigé pour accorder ces protections au membre [visé] » (Dossier d’appel, p. 449). Quelle que soit la manière dont on lit les CC (ERPH) et la politique connexe, ou le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, le processus d’ERPH était centré sur le plaignant. Tout bénéfice pour un membre visé n’était qu’un sous-produit. Les « protections » de fond pour les membres visés sont apparues après qu’une constatation prima facie ait été faite et que la rencontre de déontologie ou le processus d’audience ait été proposé par l’autorité disciplinaire afin de déterminer si une contravention au code déontologie pouvait être établie selon la prépondérance des probabilités.

Règlement informel

[49] Le Comité et l’intimé semblent tous deux considérer que la possibilité de résolution informelle prévue à l’article 4 des CC (ERPH) confère en quelque sorte un droit procédural aux membres visés. Je ne suis pas d’accord. Tout comme un membre visé ne pouvait avoir aucune attente légitime que chaque témoin décrivant un comportement pouvant comporter des éléments de harcèlement soit tenu de déposer une plainte officielle dans le cadre du processus d’ERPH, lorsqu’un plaignant s’engageait effectivement dans le processus d’ERPH, il n’y avait aucune obligation de sa part de participer à un processus de règlement informel. En fait, le paragraphe 4(1) énonce des limites à la possibilité de recourir à un règlement informel, dont l’une s’applique à l’intimé :

4(1) Les parties peuvent avoir recours à un processus de règlement informel, sauf si le défendeur fait l’objet d’une audience convoquée en application du paragraphe 41(1) de la Loi ou s’est vu imposer une mesure disciplinaire en vertu du paragraphe 42(1) de la Loi.

[Je souligne.]

[50] Plus fondamentale encore est la réalité que, dès le 6 mars 2017, il a été ordonné par écrit à l’intimé de ne pas avoir de contact direct ou indirect avec les trois premières plaignantes interrogées par les enquêteurs, et que le 24 mars 2017, l’intimé a été suspendu avec solde en vertu de l’article 12 de la Loi sur la GRC, ce qui a entraîné d’autres restrictions à son égard (Éléments matériels, DIVULGATION DE LA DRAD/Rapport d’enquête et pièces, p. 110-113).

[51] En bref, l’intimé n’avait pas une attente légitime à l’égard d’un règlement informel dans les circonstances.

Copie des plaintes

[52] Le Comité a déclaré, au paragraphe 34, que l’intimé « s’est vu refuser son droit de recevoir une copie de la plainte » (Dossier d’appel, p. 24). Ce « droit » ne figure pas dans les CC (ERPH), bien que le droit à une copie du rapport d’enquête préliminaire soit prévu au paragraphe 5(3). Je note que l’article 5.8.1.1 de la politique d’ERPH stipule que les intimés peuvent s’attendre à recevoir une copie de la plainte. Évidemment, cela n’était possible que lorsqu’il y avait une véritable plainte écrite et que la procédure d’ERPH était lancée.

[53] Le processus de déontologie comprend des dispositions relatives à une notification complète pour les membres visés. L’intimé a reçu la première lettre de mandat pour la tenue d’une enquête le 6 mars 2017, puis une lettre mise à jour le 31 mai 2017. Dans les deux cas, on trouvait les noms des femmes et un résumé succinct des comportements présumés (Éléments matériels, DIVULGATION DE LA DRAD/Rapport d’enquête, p. 116-117) (sic) :

Allégation 1 : Le ou entre le 31 mars 2016 et le 9 juin 2016, à [X], dans la province de la Colombie-Britannique, le sergent d’état-major Bari Emam a cherché à établir une relation amoureuse avec une subordonnée, Mme [R], d’une manière qui constitue un abus d’autorité, en violation de l’article 7.1 du code de déontologie.

Allégation 2 : En avril 2015, à [X], dans la province de la Colombie-Britannique, le sergent d’état-major Bari Emam a embrassé sur la joue et étreint de manière inappropriée la membre civile [K], en violation de l’article 7.1 du code de déontologie.

Allégation 3 : En décembre 2014, à [X], dans la province de la Colombie-Britannique, le sergent d’état-major Bari Emam a serré de manière inappropriée le bras/biceps du membre civil [M], en violation de l’article 7.1 du code de déontologie.

Allégation 4 : En janvier 2015, à [X], dans la province de la Colombie-Britannique, le sergent d’état-major Bari Emam a embrassé sur la joue et étreint la gendarme-détective [T] du Service de police de [Y], en violation de l’article 7.1 du code de déontologie.

Allégation 5 : En janvier 2012, à [X], dans la province de la Colombie-Britannique, le sergent d’état-major Bari Emam a embrassé sur les lèvres et étreint la caporale-détective [S], en violation de l’article 7.1 du code de déontologie.

Allégation 6 : Entre le 1er janvier et le 1er septembre 2011, à [X], dans la province de la Colombie-Britannique, le sergent d’état-major Bari Emam a fait des commentaires inappropriés à la gendarme [I], en violation de l’article 2.1 du code de déontologie.

[54] Puis, le 22 février 2018, un avis d’audience disciplinaire de huit pages a été délivré, énonçant sept allégations que l’appelante avait l’intention de poursuivre, les noms des six femmes (qui sont restés inchangés), ainsi que les détails des contraventions (Éléments matériels, Documents d’audience disciplinaire/Avis d’audience disciplinaire, p. 1-8). Je note que l’article 15 des CC (déontologie) décrit les procédures et les documents qui doivent être fournis au membre visé faisant face à une audience disciplinaire.

[55] Bien que je reconnaisse que la phase de divulgation dirigée par le Comité semble longue dans cette affaire, il ne fait aucun doute que l’intimé a reçu des renseignements opportuns concernant les détails des allégations et les noms des plaignantes au début de 2017.

Réponse au rapport d’enquête

[56] Le Comité a également conclu que l’intimé avait été privé de son droit de commenter un rapport d’enquête préliminaire en vertu du processus d’ERPH, si celui-ci avait été suivi (Dossier d’appel, p. 33) [traduction] :

[33] […] De plus, le fait d’ignorer le processus obligatoire d’ERPH au profit d’une enquête relevant du code de déontologie a privé l’appelant de sa capacité de fournir une réponse à un rapport d’enquête préliminaire. Cette réponse pourrait avoir convaincu le décideur soit que les allégations n’étaient pas fondées, soit qu’elles n’étaient pas suffisamment graves pour justifier l’ouverture d’une audience disciplinaire.

[57] Le Comité ne mentionne pas que le 23 juin 2017, les enquêteurs ont contacté l’intimé par courriel pour lui demander s’il était prêt à fournir une déclaration en personne ou par écrit. Le 3 juillet 2017, l’intimé a répondu, confirmant qu’il préparerait et fournirait une déclaration écrite, mais qu’entre-temps, il demandait aux enquêteurs de contacter six témoins concernant l’allégation 1 et deux témoins concernant l’allégation 5 (comme mentionné dans la Lettre de mandat pour la tenue d’une enquête du 31 mai 2017). Le 11 juillet 2017, l’intimé a écrit de nouveau pour préciser pourquoi il voulait que les enquêteurs parlent à ces huit employées. Je note que le rapport d’enquête contient des déclarations sous forme de courriels ou de fichiers audio ou transcriptions des huit témoins, mais aucune « déclaration des faits » que l’intimé a, dans le même courriel, prétendu avoir hâte de soumettre (Éléments matériels, DIVULGATION DE LA DRAD/Rapport d’enquête et pièces, p. 495-564).

[58] Je reconnais que toute déclaration ou observation par l’intimé aurait été volontaire, et il n’est pas surprenant qu’il ait choisi de ne rien fournir de plus à ce moment-là. Étant donné qu’une réponse par un membre visé à un rapport d’enquête préliminaire dans le cadre du processus d’ERPH pourrait être utilisée contre lui lors de la rencontre ou de l’audience disciplinaire qui s’ensuivrait, je ne suis pas convaincu que l’intimé aurait effectivement, s’il en avait eu l’occasion, fourni à l’enquêteur beaucoup plus de renseignements par écrit dans le cadre d’un processus d’ERPH sous la forme d’une déclaration ou d’un commentaire sur le rapport d’enquête préliminaire, ou autrement. Après tout, une enquête tenue dans le cadre du processus d’ERPH était considérée comme une enquête relevant du code de déontologie en vertu de l’article 5 des CC (ERPH). En tout état de cause, lorsqu’il s’est vu offrir la possibilité, en juin 2017, de donner toutes les précisions nécessaires en fournissant sa version des faits avant que le rapport d’enquête ne soit finalisé et présenté à l’appelante, l’intimé semble avoir finalement refusé.

[59] Comme l’a souligné le Comité, le 8 juin 2018, l’intimé a déposé une réponse de 13 pages aux sept allégations énoncées dans l’avis d’audience disciplinaire, conformément au paragraphe 15(3) des CC (déontologie) (Éléments matériels de RDG/Éléments matériels du représentant du membre/Réponse modifiée aux allégations). Ce paragraphe stipule ce qui suit :

15(3) Dans les trente jours suivant la date de la signification au membre visé de l’avis prévu au paragraphe 43(2) ou dans le délai fixé par le comité, le membre visé remet à l’autorité disciplinaire et au comité :

a) un écrit dans lequel il admet ou nie chaque contravention alléguée au code de déontologie;

b) toute observation écrite qu’il souhaite présenter;

c) tout élément de preuve, document ou rapport, autre que le rapport d’enquête, qu’il compte présenter ou invoquer à l’audience.

[60] S’il est vrai que les rapports d’enquête préliminaire n’existaient que dans le cadre du processus d’ERPH, et lorsqu’une enquête était effectivement ordonnée (voir l’article 5.4.1.8 de la politique d’ERPH, qui stipule que le décideur désigné doit ordonner la tenue d’une telle enquête, si celle-ci est jugée nécessaire), je suis convaincu que l’intimé a eu l’occasion de clarifier ou de réfuter les allégations qui ont été succinctement détaillées et portées à son attention dans la Lettre de mandat pour la tenue d’une enquête du 31 mai 2017, avant que l’appelante ne détermine si les constatations prima facie concernant les allégations avaient été faites, ainsi qu’avant l’application du paragraphe 41(1) de la Loi sur la GRC :

41(1) Lorsqu’il apparaît à l’autorité disciplinaire d’un membre que celui-ci a contrevenu à l’une des dispositions du code de déontologie et que, eu égard à la gravité de la contravention et aux circonstances, les mesures disciplinaires prévues dans les règles ne seraient pas suffisantes, elle convoque une audience pour enquêter sur la contravention qui aurait été commise en signalant celle-ci à l’officier désigné par le commissaire pour l’application du présent article.

En outre, comme je viens de l’expliquer, l’intimé était tenu de fournir une réponse au Comité, conformément au paragraphe 15(3) des CC (déontologie), et, si l’affaire avait suivi son cours, il aurait bénéficié d’un ensemble de droits procéduraux lui donnant l’occasion de répondre pleinement aux sept allégations dans le forum quasi judiciaire d’une audience disciplinaire.

4. La procédure d’audience disciplinaire était-elle nulle ab initio?

[61] Enfin, j’aborderai la position que l’intimé a adoptée dans ses observations d’appel concernant la compétence (Dossier d’appel, p. 447-448, 455). L’intimé déclare qu’il est d’accord avec l’appelante pour dire qu’un sursis de l’instance n’était pas le résultat approprié. Il soutient plutôt qu’en n’appliquant pas les CC (ERPH), une erreur de compétence s’est produite, annulant la procédure ab initio.

[62] Essentiellement, la jurisprudence sur laquelle s’appuie l’intimé confirme que, contrairement à la Loi sur la GRC, au Règlement de la GRC (2014), et aux CC, la politique n’a pas force de loi, et que les textes réglementaires établissent les normes et les procédures qui doivent être respectées. Ces principes sont bien établis.

[63] J’accepte également qu’un employeur ne puisse pas s’écarter de ses propres politiques et appliquer à la place une procédure spéciale parce qu’« il faut reconnaître que ces politiques créent des normes d’emploi qui régissent la conduite de tout le personnel de service », et que « [l’]inobservation de ces politiques entache de nullité tout processus engagé pour congédier un agent pour rendement insatisfaisant [traduction] » (Ottawa Police Services v Diafwila, 2016 ONCA 627, paragraphe 68, confirmant les motifs de la Commission civile des services policiers de l’Ontario). La Cour d’appel de l’Ontario a ensuite expliqué [traduction] :

[69] La Commission n’a pas été déraisonnable en concluant que l’agent enquêteur avait mal interprété la loi lorsqu’il a déterminé que le SPO avait le droit de s’écarter du strict respect de ses politiques et d’appliquer une procédure spéciale. La Commission a droit à un haut niveau de déférence et la majorité de la Cour divisionnaire a commis une erreur en accueillant la demande et en annulant la décision de la Commission.

[64] Toutefois, comme je l’ai mentionné précédemment, l’appelante n’a pas eu recours à des procédures spéciales dans cette affaire, et la décision d’appliquer le processus de déontologie n’était pas arbitraire. Compte tenu des circonstances, je suis convaincu que la décision de l’appelante était conforme à toutes les lois et politiques applicables de la GRC, et que le Comité avait la compétence pour présider l’audience disciplinaire.

[65] Pour terminer, sans vouloir être exhaustives, quelques situations viennent à l’esprit qui pourraient miner la compétence d’un comité de déontologie ab initio. On ne trouve aucune d’entre elles dans cette affaire : (1) le délai de prescription pour convoquer une audience disciplinaire en vertu du paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC a expiré et aucune prolongation n’a été accordée; (2) le membre visé n’était plus un « membre » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la GRC lorsque l’audience disciplinaire a été convoquée; (3) le membre visé a déjà fait l’objet de mesures disciplinaires en vertu de la partie IV de la Loi sur la GRC pour exactement la même inconduite.

CONCLUSION

[66] Bien que mon point de vue sur pratiquement tous les aspects du raisonnement exprimé par le Comité pour accorder le sursis de l’instance puisse différer, je reconnais que cela ne justifie pas nécessairement mon intervention. Pour déterminer si une décision est manifestement déraisonnable, il faut faire preuve d’une grande déférence, et cela dépend de la mesure dans laquelle la décision est déficiente sur le plan des faits, du droit, de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, paragr. 47; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador [Conseil du Trésor], 2011 CSC 62, paragr. 13; confirmée dans l’arrêt Vavilov, où la Cour suprême du Canada a souligné que le contrôle d’une décision administrative porte à la fois sur le résultat et sur le raisonnement qui a conduit à ce résultat, paragr. 15 et 83). En fin de compte, à l’exception de la transparence, je trouve que les autres lacunes sont si importantes et si conséquentes qu’aucune déférence ne saurait permettre de maintenir la décision du Comité.

DÉCISION

[67] Conformément à l’alinéa 45.16(1)b) de la Loi sur la GRC, j’accueille l’appel et ordonne la tenue d’une nouvelle audience devant un comité de déontologie constitué différemment.

[68] Je précise que ma décision ne doit pas être considérée comme un cautionnement des pratiques de gestion des dossiers précédemment appliquées par la Direction des représentants de l’autorité disciplinaire dans cette procédure d’audience disciplinaire.

 

 

 

Steven Dunn, arbitre

 

Date

 

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