Déontologie

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Protégé A

Dossier 2018335749 (C-049)

2022 DAD 04

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GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

AFFAIRE INTÉRESSANT

l’appel d’une décision interjeté au titre du paragraphe 45.11(1) de la

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC (1985), ch. R-10 (version modifiée)

et de la Partie 2 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289

ENTRE :

Membre civil Marco Calandrini

Matricule C7996

(l’appelant)

et

Commandant de la Division nationale

Gendarmerie royale du Canada

(l’intimé)

(les parties)

DÉCISION D’APPEL EN MATIÈRE DE DÉONTOLOGIE

 

ARBITRE : Steven Dunn

DATE : 24 janvier 2022


TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION 4

CONTEXTE 5

Allégations 6

Instances devant la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale 8

INSTANCE DISCIPLINAIRE 8

Suspension de l’instance 8

Audience disciplinaire tenue par le Comité de déontologie et sa décision 9

APPEL INTERJETÉ 13

Questions préliminaires 14

Qualité pour agir 14

Délai d’appel 14

Admissibilité de la décision de la Cour d’appel fédérale 14

ANALYSE 16

Le Comité a-t-il omis de fournir des motifs adéquats à l’appui des conclusions de crédibilité? 16

Norme de contrôle applicable – Caractère suffisant des motifs 16

Observations 19

Constatations 20

La mesure disciplinaire imposée était-elle manifestement déraisonnable? 23

Norme de contrôle des mesures disciplinaires 23

Résumé de la détermination des mesures disciplinaires 24

Observations 26

Constatations 27

Les conclusions du Comité ont-elles soulevé une crainte raisonnable de partialité? 28

Observations 28

Constatations 29

DÉCISION 30

 

INTRODUCTION

[1] Le membre civil Marco Calandrini, matricule C7996, (l’appelant), interjette appel de la décision rendue par un comité de déontologie de la GRC (le Comité), selon laquelle trois allégations de harcèlement ont été confirmées, en contravention de l’article 2.1 du Code de déontologie de la GRC, une annexe du Règlement de 2014 de la Gendarmerie royale du Canada, DORS/2014-281; cette décision a entraîné son congédiement.

[2] L’appelant soutient que la décision contrevient aux principes d’équité procédurale et qu’elle est manifestement déraisonnable en raison de motifs inadéquats et de la mesure exagérément disproportionnée imposée (dossier d’appel, p. 5 et 6).

[3] L’appelant demande que le décret de congédiement soit remplacé par une confiscation de solde.

[4] Conformément au paragraphe 45.15(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC (1985), ch. R-10 (Loi sur la GRC), l’appel a été renvoyé au Comité externe d’examen (CEE) de la GRC aux fins d’examen. Dans un rapport publié le 14 juillet 2021 [CEE C-2019-009 (C- 049)] (le rapport), M. Charles Randall Smith, président du CEE, a recommandé de rejeter l’appel.

[5] La commissaire est autorisée, au titre du paragraphe 45.16(11) de la Loi sur la GRC, à déléguer son pouvoir de prendre des décisions finales et exécutoires dans le cadre d’appels en matière de déontologie, et ce pouvoir m’a été délégué.

[6] Pour rendre ma décision, j’ai tenu compte des pièces dont disposait le Comité (les pièces), de la décision écrite, du dossier d’appel, y compris les observations des parties, et du rapport. Je note que le contenu des pièces et du dossier d’appel n’a pas été numéroté séquentiellement. Je renvoie donc aux documents d’appel au dossier au moyen des numéros de page du dossier électronique.

[7] L’appel est rejeté pour les motifs exposés ci-après.

CONTEXTE

[8] Le CEE a résumé succinctement les renseignements factuels recueillis avant la tenue de l’audience disciplinaire (rapport, paragr. 4 à 9).

[Traduction] [4] Le 25 novembre 2014, des allégations d’agression sexuelle et de harcèlement ont été portées contre l’appelant par un fonctionnaire (le plaignant).

[5] Le 26 novembre 2014, l’officier responsable de l’appelant et du plaignant a pris connaissance de l’identité de l’appelant ainsi que de la nature des allégations d’inconduite portées contre lui. La GRC a donc engagé une instance disciplinaire contre l’appelant dans l’année suivant cette date.

[6] Le 10 septembre 2015, une autorité disciplinaire a tenu une réunion disciplinaire avec l’appelant et a conclu que les trois allégations relatives au Code de déontologie étaient fondées. Le 5 octobre 2015, une mesure disciplinaire consistant en une confiscation de solde (15 jours au total) a été imposée à l’appelant.

[7] Le 1er mars 2016, une autorité de révision a signifié à l’appelant un avis de requête au titre du paragraphe 47.4(1) de la Loi sur la GRC, dans lequel elle demandait une prorogation rétroactive du délai pour entamer une audience disciplinaire contre lui. L’autorité de révision a informé l’appelant qu’elle exerçait son pouvoir discrétionnaire, conformément au paragraphe 9(2) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014- 291, pour déterminer si la décision rendue par l’autorité disciplinaire était manifestement déraisonnable ou si les mesures imposées étaient nettement disproportionnées par rapport à la nature et aux circonstances de la contravention.

[8] L’appelant a contesté la requête de l’autorité de révision au motif qu’elle était frappée de prescription en raison de l’obligation de tenir une audience dans un délai d’un an. L’appelant a également fait valoir qu’une prorogation du délai lui causerait un préjudice étant donné que la mémoire ferait inévitablement défaut aux témoins en raison du temps écoulé. Il a aussi laissé entendre que des pressions politiques et médiatiques défavorables étaient intervenues dans la décision de la GRC de demander une prorogation rétroactive. Enfin, il a soutenu qu’une prorogation n’était pas justifiée selon les critères énoncés par la Cour fédérale dans Canada (Procureur général) c. Pentney, 2008 CF 96 (Pentney).

[9] Dans une décision datée du 12 mai 2016, un décideur a conclu qu’il n’y avait pas eu de manquement à l’équité procédurale ou à la justice naturelle et qu’une prorogation était justifiée dans les circonstances. Par conséquent, le décideur a accordé une prorogation du délai pour la tenue d’une audience du 25 novembre 2015 au 2 juin 2016.

Allégations

[9] Le 30 mai 2016, l’autorité de révision a annulé les mesures disciplinaires qui avaient été imposées à l’appelant, jugeant qu’elles étaient insuffisantes et nettement disproportionnées par rapport à la nature et aux circonstances des contraventions. Elle a ordonné la tenue d’une audience disciplinaire contre l’appelant au titre du paragraphe 41(1) de la Loi sur la GRC. Le 23 juin 2016, un avis d’audience disciplinaire a été signifié à l’appelant. L’avis contenait trois allégations et des détails connexes (pièces, p. 2792 et 2793).

[Traduction] Allégation no 1

Le ou entre le 31 août 2012 et le 29 octobre 2013, à [X], [X], ou à proximité dans la province d’Ontario, l’appelant n’a pas traité chaque personne avec respect et courtoisie et a également exercé du harcèlement, en contravention de l’article 2.1 du Code de déontologie de la GRC.

Énoncé détaillé

1. Pendant toutes les périodes pertinentes, vous étiez affecté en tant que membre civil de la GRC à [X] au [X], dans la province d’Ontario.

2. Pendant toutes les périodes pertinentes, le fonctionnaire [le plaignant] occupait un poste d’administrateur de bureau et de coordonnateur de cours pour le [X]. Vous n’avez pas supervisé le plaignant, mais vous étiez autorisé à lui confier diverses tâches administratives liées à votre travail.

3. Vous avez eu un comportement irrespectueux et dégradant de nature sexuelle envers le plaignant en milieu de travail.

4. À une occasion, pendant que le plaignant utilisait le photocopieur, vous vous êtes approché de lui par-derrière et vous vous êtes mis à le harceler sexuellement en lui touchant d’abord les fesses, puis en glissant votre main vers sa cuisse. Vous avez alors dit au plaignant de manière sexuellement suggestive qu’il « avait un cul formidable ». Le plaignant vous a immédiatement fait savoir que votre contact physique était importun et il vous a demandé de ne plus jamais le toucher. Vous lui avez répondu que vous ne faisiez que plaisanter.

Allégation no 2

Le ou entre le 31 août 2012 et le 29 octobre 2013, à [X], [X], ou à proximité dans la province d’Ontario, l’appelant n’a pas traité chaque personne avec respect et courtoisie et a également exercé du harcèlement, en contravention de l’article 2.1 du Code de déontologie de la GRC.

Énoncé détaillé

1. Pendant toutes les périodes pertinentes, vous étiez affecté en tant que membre civil de la GRC à [X] au [X], dans la province d’Ontario.

2. Pendant toutes les périodes pertinentes, le fonctionnaire [le plaignant] occupait un poste d’administrateur de bureau et de coordonnateur de cours pour le [X]. Vous n’avez pas supervisé le plaignant, mais vous étiez autorisé à lui confier diverses tâches administratives liées à votre travail.

3. Vous avez eu un comportement irrespectueux et dégradant de nature sexuelle envers le plaignant en milieu de travail.

4. À une occasion, pendant que le plaignant était assis dans le coin-repas commun, vous vous êtes assis à côté de lui, puis vous avez commencé à le harceler sexuellement en glissant votre main vers l’intérieur de sa cuisse. Vous avez humilié le plaignant encore plus en lui disant à voix haute, devant les autres employés qui se trouvaient dans le coin-repas : « Vous avez de belles jambes. N’est-ce pas les gars? » Puis vous avez ri. Le plaignant vous a immédiatement fait savoir que votre contact physique était importun et qu’il ne voulait plus que vous le touchiez. Vous lui avez répondu que vous ne faisiez que plaisanter.

Allégation no 3

Le ou entre le 31 août 2012 et le 29 octobre 2013, à [X], [X], ou à proximité dans la province d’Ontario, l’appelant n’a pas traité chaque personne avec respect et courtoisie et a également exercé du harcèlement, en contravention de l’article 2.1 du Code de déontologie de la GRC.

Énoncé détaillé

1. Pendant toutes les périodes pertinentes, vous étiez affecté en tant que membre civil de la GRC à [X] au [X], dans la province d’Ontario.

2. Pendant toutes les périodes pertinentes, le fonctionnaire [le plaignant] occupait un poste d’administrateur de bureau et de coordonnateur de cours pour le [X]. Vous n’avez pas supervisé le plaignant, mais vous étiez autorisé à lui demander d’effectuer diverses tâches administratives pour vous.

3. Vous avez eu un comportement irrespectueux et dégradant de nature sexuelle envers le plaignant en milieu de travail.

4. À une occasion, pendant que le plaignant était assis à son bureau en train de travailler, vous l’avez surpris par-derrière et vous avez ensuite commencé à le harceler sexuellement en passant votre main à l’intérieur de sa chemise à partir du col, puis vous avez glissé votre main sur son torse, vous arrêtant sur sa poitrine. Vous avez humilié le plaignant en disant à voix haute : « Oh, vous avez de magnifiques pectoraux! Ce n’est pas évident. » Le plaignant vous a immédiatement fait savoir que votre contact physique était importun et il vous a demandé de ne plus jamais le toucher. Vous lui avez répondu que vous ne faisiez que plaisanter.

Instances devant la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale

[10] L’appelant a demandé un contrôle judiciaire de la décision d’accorder une prorogation rétroactive pour entamer une audience disciplinaire ainsi que de la décision de l’autorité de révision de tenir une audience disciplinaire.

[11] Le 19 janvier 2018, la Cour fédérale (CF) a rejeté les deux demandes comme étant prématurées [Calandrini c. Canada (Procureur général), 2018 CF 52 (Calandrini), paragr. 59 à 61], concluant que même si les demandes n’avaient pas été pas prématurées, les décisions étaient raisonnables. Par conséquent, une intervention judiciaire ne serait pas justifiée (Calandrini, paragr. 88 et 144).

[12] L’appelant a interjeté appel de la décision de la CF, et la Cour d’appel fédérale (CAF) a rejeté sa requête le 9 avril 2019 [Calandrini c. Canada (Procureur général), 2019 CF 73].

INSTANCE DISCIPLINAIRE

Suspension de l’instance

[13] L’audience disciplinaire a eu lieu du 22 au 25 mai 2018. Le Comité a commencé l’audience en se penchant sur une requête de suspension d’instance déposée par l’appelant, qui a soutenu que le délai de prescription pour la tenue d’une audience était expiré, de sorte que le Comité n’avait pas compétence. L’appelant a soutenu que la prorogation rétroactive du délai était frappée de prescription en application du paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC. Subsidiairement, l’appelant a fait valoir que, selon les critères énoncés dans Pentney, les circonstances ne justifiaient pas une prorogation de délai.

[14] Le Comité a rejeté la requête et a convenu avec la CF que la décision d’accorder une prorogation n’était pas interdite par la loi. Il a également conclu que les motifs exposés par l’autorité de révision étaient suffisamment transparents et que le décideur délégué avait dûment tenu compte des facteurs de la décision Pentney (dossier d’appel, p. 23).

Audience disciplinaire tenue par le Comité de déontologie et sa décision

[15] Après avoir rejeté la requête de suspension d’instance, le Comité a recueilli les témoignages du plaignant, de l’appelant et du sergent M., qui avait été témoin de l’un des incidents allégués. Le Comité a résumé leurs témoignages respectifs comme suit (dossier d’appel, p. 24 à 26) :

[Traduction] [40] Tout au long de la période visée par les trois allégations, le plaignant a travaillé comme adjoint administratif à [X] au [X], à [X], en [X]. Dès son arrivée en 2009, le plaignant s’est senti hors de son élément dans un environnement caractérisé par un certain nombre de taquineries et de blagues parmi les employés qui y travaillaient, dont beaucoup avaient des antécédents policiers ou militaires (ou comme l’appelant, les deux) et étaient habitués à ce genre de langage de « vestiaire ».

[41] Le [X] donnait une formation sur les explosifs à d’autres organismes accrédités, principalement d’autres corps policiers. Initialement, il y avait neuf instructeurs, dont l’appelant. Le domaine de spécialisation de ce dernier était l’entrée forcée aux explosifs.

[42] Les fonctions du plaignant consistaient à fournir de l’aide et du soutien aux instructeurs qui en avaient besoin pour faciliter la préparation et la prestation des programmes de formation de [X]. Les compressions financières ont en fin de compte réduit le nombre d’instructeurs, qui est passé de neuf à quatre, et la situation s’est aggravée parce que l’un d’eux ne travaillait qu’à temps partiel. Ce problème de ressourcement a créé des tensions considérables dans le milieu de travail. Les témoins ont collectivement affirmé que les farces et les plaisanteries étaient un moyen d’apaiser les tensions.

[43] Le plaignant a été visé par certains des commentaires ou des blagues sur les lieux de travail. Certains concernaient ses vêtements parce qu’on lui reprochait notamment de porter des pantalons de « matelot » parce qu’ils étaient trop haut. On l’appelait le « supermodèle », probablement parce qu’il était grand et mince. Bien qu’il ne se souvienne pas expressément d’une blague ou d’une plaisanterie en particulier, le plaignant a dit que certaines avaient des connotations sexuelles et que, pour des raisons personnelles, ce genre de badinage le mettait mal à l’aise.

[44] Le plaignant a témoigné que trois incidents distincts se sont produits au cours de l’été 2012. En ce qui concerne l’incident qui constitue le fondement de l’allégation no 1, le plaignant a dit qu’il travaillait au photocopieur, qui était situé dans un secteur de l’immeuble où se trouvaient tous les bureaux des instructeurs.

[45] Le plaignant a témoigné qu’il se trouvait près du photocopieur au moment de l’incident, lorsque l’appelant est arrivé derrière lui, a empoigné l’une de ses fesses, puis a glissé sa main vers sa cuisse. L’appelant lui a dit quelque chose comme « vous avez un cul formidable ». Le plaignant a crié contre lui et lui a dit d’arrêter. Plus tard, après qu’il se soit calmé, le plaignant est allé voir l’appelant et lui a dit que ses gestes étaient inappropriés et importuns. Il a témoigné que l’appelant lui avait dit que ce n’était qu’une blague et qu’il ne le ferait plus. À ce moment-là, le plaignant n’a pas signalé cet incident à personne.

[46] Personne n’a été témoin de l’incident survenu au photocopieur. L’appelant a témoigné que cet incident ne s’était pas produit du tout.

[47] Un autre incident est survenu dans le coin-repas en milieu de travail, ce qui constitue le fondement de l’allégation no 2. Un cours était donné à ce moment-là, de sorte que des instructeurs invités se trouvaient dans le coin- repas, ainsi que le personnel habituel de [X]. Le plaignant était assis à la table du coin-repas lorsque l’appelant est venu s’asseoir à côté de lui et, pendant qu’il s’assoyait, le plaignant a dit que l’appelant avait mis sa main sur sa cuisse intérieure. Pendant qu’il le faisait, il a dit quelque chose comme « Vous avez de belles jambes, n’est-ce pas les gars? » Des personnes prenant place à la table ont éclaté de rire. Le plaignant a témoigné qu’il était en colère et qu’il avait dit à l’appelant, probablement en français, de retirer sa main. Le plaignant a témoigné que l’appelant lui avait dit qu’il ne faisait que plaisanter.

[48] Cet incident a été observé par le sergent [M.], qui était alors dans le coin- repas. Il a vu l’appelant aller s’asseoir à côté du plaignant et, pendant qu’il le faisait, il avait placé sa main sur la cuisse intérieure du plaignant. Le sergent [M.] a dit que le plaignant a crié lorsqu’il a été touché et que des personnes assises autour de la table ont éclaté de rire à cause de sa réaction. Le sergent [M.] a témoigné que tout le monde savait dans le bureau que le plaignant n’aimait pas être touché.

[49] L’appelant a reconnu que cet incident s’était produit, mais selon son témoignage, il avait placé sa main juste au-dessus du genou du plaignant et non sur sa cuisse intérieure. Il a dit qu’il ne pouvait pas se rappeler exactement ce qu’il avait dit lorsqu’il avait fait ce geste, mais c’était peut-être quelque chose comme « Hé, sexy ».

[50] Le plaignant ne se rappelait plus lequel de ces deux incidents avait eu lieu en premier. Il a toutefois signalé un troisième incident, dont il était certain qu’il s’était produit après les deux premiers. Dans le troisième incident, qui est décrit en détail dans l’allégation no 3, le plaignant était assis à son bureau et travaillait avec le sergent d’état-major B., directeur de [X], sur une feuille de calcul des coûts. L’appelant s’est approché du plaignant par-derrière et a glissé sa main dans le col ouvert de sa chemise, puis lui a frotté la poitrine, disant quelque chose comme « vous avez une belle poitrine ». Le plaignant a témoigné que l’appelant et le sergent d’état-major B. en ont ri. Il a dit qu’il avait crié contre l’appelant pour qu’il retire immédiatement sa main. Le plaignant s’est rappelé que le sergent d’état-major B. avait dit à l’appelant qu’il « n’aurait probablement pas dû faire ça ».

[51] Le sergent d’état-major B. n’a pas témoigné à l’audience et a indiqué dans sa déclaration qu’il ne se souvenait pas de cet incident.

[52] L’appelant a témoigné avoir vu la chemise du plaignant déboutonnée en partie et ouverte. Il a admis avoir placé sa main à l’intérieur de la chemise du plaignant, mais a dit que ce n’était qu’une blague.

[53] Le plaignant a témoigné qu’il n’aimait pas être touché et qu’il n’avait donné son consentement à aucun des attouchements. Chaque fois, il a dit à l’appelant qu’il ne voulait pas qu’il le touche et de plus jamais le faire. Le plaignant a décrit les incidents comme invasifs, humiliants et dégradants. Le plaignant a déclaré que les incidents, pris collectivement, ont eu d’importantes répercussions négatives sur son travail et sa vie personnelle.

[16] Dans son témoignage, le plaignant a expliqué pourquoi il avait attendu plus de deux ans pour déposer une plainte contre l’appelant. Le plaignant ne voulait pas déclarer la plainte au sergent d’état-major B., car, à son avis, ce dernier perpétuait volontairement la culture du bureau (dossier d’appel, p. 28 et 29).

[17] L’appelant n’a pas non plus mentionné les trois incidents en cause dans sa déclaration fournie aux enquêteurs le 25 avril 2014. Il a déclaré qu’on lui avait demandé de parler uniquement de la nudité sur les lieux de travail pendant cette enquête (dossier d’appel, p. 65).

[18] Le plaignant a également reconnu qu’il allait dîner à l’occasion avec l’appelant, en groupe et parfois seul. Souvent, l’appelant payait le dîner. Toutefois, aucun incident inapproprié ne s’était produit lors de ces sorties (dossier d’appel, p. 67).

[19] L’appelant a été suspendu de ses fonctions en mai 2014 en raison d’incidents de nudité au travail (dossier d’appel, p. 29). Le plaignant était soulagé de ne plus partager le même milieu de travail que l’appelant. Il était cependant conscient que l’appelant retournerait inévitablement au travail un jour, et il n’était pas à l’aise avec cela.

[20] Pourtant, le plaignant n’a pas décidé de signaler officiellement ce qui s’était passé avant qu’il assiste à une « assemblée générale » en novembre 2014. Après avoir reçu des directives et des conseils d’un représentant syndical, le plaignant a signalé à son superviseur, le 25 novembre 2014, les incidents impliquant l’appelant (dossier d’appel, p. 29).

[21] La haute direction de la GRC a demandé au plaignant de déposer une plainte officielle d’agression sexuelle au service de police compétent, ce qu’il a fait le 6 janvier 2015 (dossier d’appel, p. 30).

[22] Le récit des événements par le plaignant a changé, dans une certaine mesure, au fil du temps. Le CEE a résumé les conclusions du Comité concernant les divergences entre les déclarations faites par le plaignant au cours des années qui ont suivi le signalement des incidents (rapport, paragr. 23).

[Traduction] [...] [E]n ce qui concerne l’allégation no 1, le plaignant a affirmé dans sa déclaration datée du 26 novembre 2014 que l’appelant « a empoigné mon cul et a glissé sa main sur ma cuisse ». Dans la déclaration qu’il a fournie quelques jours après, le plaignant a dit que l’appelant « avait agrippé mon postérieur et avait glissé sa main vers ma cuisse intérieure ». Dans une autre déclaration qu’il a fournie le 8 mars 2016, le plaignant a dit : « J’ai marché vers le photocopieur, puis je me suis arrêté devant, j’ai pris mes documents, que je regardais, et j’ai senti une main sur mes fesses ». Puis, dans sa déclaration du 6 janvier 2015, le plaignant a dit que l’appelant « avait déposé sa main gauche sur sa fesse et glissé [...] comme en direction de ma cuisse, c’est-à-dire vers l’intérieur [...] ». Le Comité a souligné d’autres divergences semblables dans les allégations nos 2 et 3, qui ont toutes été consignées par le représentant du membre dans un document fourni et présenté en preuve à l’audience (dossier d’appel, p. 70 à 73). En fin de compte, le Comité a convenu avec le représentant de l’autorité disciplinaire (RAD) que les incohérences n’étaient pas importantes au point de ruiner la crédibilité du plaignant. En ce qui concerne l’allégation no 1, le Comité a préféré la version des événements fournie par le plaignant plutôt que celle de l’appelant, selon laquelle l’incident ne s’était jamais produit.

[23] Le Comité a déterminé que le retard dans le signalement n’était pas important et que les légères modifications dans le récit du plaignant n’avaient pas miné sa crédibilité. Il a conclu que les trois allégations avaient été confirmées, selon la prépondérance des probabilités, et que le comportement de l’appelant constituait du harcèlement sexuel.

[24] Le Comité a d’abord déterminé l’éventail de sanctions appropriées à imposer, qui allait d’une confiscation de solde importante à un congédiement, puis a tenu compte des facteurs atténuants et aggravants. Malgré de solides circonstances atténuantes, le 25 mai 2018, lors de l’audience, le Comité a conclu que le congédiement était justifié dans les circonstances. Le 12 juillet 2018, le Comité a rendu sa décision par écrit.

APPEL INTERJETÉ

[25] La décision du Comité a été signifiée en personne à l’appelant le 17 août 2018, et ce dernier a déposé sa déclaration d’appel le 29 août. Il soutient que la décision du Comité contrevient aux principes de l’équité procédurale et est manifestement déraisonnable. Il demande que les conclusions du Comité concernant l’allégation no 1 soient rejetées et qu’une confiscation de solde soit ordonnée au lieu d’un congédiement (dossier d’appel, p. 6).

[26] L’appelant invoque les motifs d’appel suivants (dossier d’appel, p. 5) :

  1. En ce qui concerne l’allégation no 1, le Comité n’a pas fourni de motifs suffisants pour justifier ses conclusions quant à la crédibilité des parties.
  2. La sanction imposée est manifestement déraisonnable et nettement disproportionnée à l’inconduite compte tenu du principe de parité.

[27] Dans ses observations en appel, l’appelant a ajouté que la mesure disciplinaire [traduction] « manifestement déraisonnable et nettement disproportionnée » suscite une crainte raisonnable de partialité de la part du Comité (dossier d’appel, p. 65).

[28] Le 10 février 2019, le commandant de la Division nationale (l’intimé) a fourni sa réponse (dossier d’appel, p. 613 à 622). L’intimé réfute les arguments de l’appelant et demande de maintenir la sanction.

Questions préliminaires

Qualité pour agir

[29] Je suis d’accord avec le CEE pour dire qu’aucune question valide n’est soulevée concernant la qualité pour agir.

Délai d’appel

[30] Au début du processus d’appel, le RAD a soulevé la question du respect des délais, faisant valoir que l’appelant avait déposé une requête d’appel en dehors du délai de 14 jours prévu (dossier d’appel, p. 442 et 443). Il y avait une certaine incohérence quant à savoir si la décision avait été signifiée à l’appelant le 19 juillet ou le 17 août 2018.

[31] Le RAD a mentionné un courriel transmis par le commis juridique au représentant de l’appelant qui a déclaré, le 19 juillet 2018, : [traduction] « Au nom de [l’appelant], nous accusons réception de la décision signifiée » (dossier d’appel, p. 442). Toutefois, selon l’attestation de signification dans le dossier du Bureau de la coordination des griefs et des appels (BCGA), l’appelant a reçu la décision le 17 août 2018 (pièces, p. 1278).

[32] Malgré les arguments présentés par le RAD, je conviens avec le CEE que l’attestation de signification constitue la preuve la plus fiable. J’accepte que l’appelant a reçu la décision écrite le 17 août 2018 et rien ne prouve qu’il ait renoncé à son droit d’être signifié personnellement. Bref, je reconnais que le dépôt de l’appel le 29 août 2018 satisfaisait aux exigences de l’article 22 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289 [CC (griefs et appels)].

Admissibilité de la décision de la Cour d’appel fédérale

[33] Après que la CAF a rejeté l’appel interjeté par l’appelant de la décision de la CF, le 6 mai 2019, l’intimé a envoyé une copie de la décision de la CAF au BCGA.

[34] L’appelant a contesté l’admissibilité de la décision de la CAF parce qu’elle n’avait pas été présentée au Comité au moment de l’audience (dossier d’appel, p. 759). L’appelant soutient que la décision [traduction] « n’est pas pertinente quant à la question de savoir si les allégations contre [l’appelant] ont été jugées à juste titre fondées et si la sanction imposée par le comité [disciplinaire] était disproportionnée » (dossier d’appel, p. 759).

[35] Le CEE a conclu que la décision de la CAF n’était pas admissible après avoir renvoyé au critère d’admission de nouveaux éléments de preuve dans Palmer c. la Reine, [1980] 1 RCS 759 (Palmer), p. 761, soulignant qu’une instance d’appel ne devrait accepter de nouveaux éléments de preuve que dans les situations suivantes (rapport, paragr. 39) :

  1. [Traduction] Si cela est dans l’intérêt de la justice.
  2. Les éléments de preuve n’auraient pu être raisonnablement présentés à l’audience.
  3. [Ils] sont pertinents pour une question.
  4. [Ils] sont crédibles.
  5. S’ils se révèlent fondés, on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que [les éléments de preuve] aient influé sur la décision du Comité disciplinaire.

[36] Tous ces critères doivent être remplis pour justifier le dépôt d’éléments de preuve supplémentaires en appel et, étant donné ces exigences, le CEE a tenu compte des facteurs pertinents (rapport, paragr. 40) :

[Traduction] Bien que la décision de la CAF soit crédible et qu’elle n’ait pu raisonnablement être présentée à l’audience, je conclus qu’elle n’est pas pertinente et qu’elle n’aurait pas influé sur la décision du Comité quant aux questions soulevées par l’appelant en appel.

[37] Je conviens que la décision de la CAF n’est pas pertinente pour les motifs d’appel invoqués par l’appelant, mais je ne suis pas convaincu, en général, que les décisions judiciaires et, en particulier, qu’une décision de la CAF découlant de l’affaire même dont le Comité était saisi et qui fait maintenant l’objet du présent appel constituent des éléments de preuve à examiner en vue de déterminer leur admissibilité, comme l’a envisagé la Cour suprême du Canada (CSC) dans Palmer. La jurisprudence n’est pas invoquée devant les cours et tribunaux à titre de preuve, mais plutôt à des fins d’orientation et de persuasion. C’est pourquoi je conclus que l’intimé a eu raison de présenter la décision de la CAF pour qu’elle soit versée au dossier. Cela ne change rien toutefois, car la décision de la CAF ne porte pas sur des questions de crédibilité ni sur le caractère approprié du congédiement en cause en l’espèce.

ANALYSE

Le Comité a-t-il omis de fournir des motifs adéquats à l’appui des conclusions de crédibilité?

[38] L’appelant soutient qu’en se prononçant sur l’allégation no 1, le Comité n’a pas concilié les versions contradictoires des événements et n’a pas abordé les questions de crédibilité, ce qui a entraîné un manquement à l’équité procédurale (dossier d’appel, p. 497 à 502 et 715 à 718).

Norme de contrôle applicable – Caractère suffisant des motifs

[39] Je conviens avec le CEE (rapport, paragr. 58 et 59) que l’appelant fait fausse route lorsqu’il se fonde sur l’équité procédurale relativement à ce motif. Dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 208 (Newfoundland Nurses), la CSC a expliqué la distinction entre l’équité procédurale et l’examen du caractère suffisant des motifs d’un tribunal administratif (paragr. 22) :

Le manquement à une obligation d’équité procédurale constitue certes une erreur de droit. Or, en l’absence de motifs dans des circonstances où ils s’imposent, il n’y a rien à contrôler. Cependant, dans les cas où, comme en l’espèce, il y en a, on ne saurait conclure à un tel manquement. Le raisonnement qui sous-tend la décision/le résultat ne peut donc être remis en question que dans le cadre de l’analyse du caractère raisonnable de celle-ci.

[40] Les arguments de l’appelant ne sont pas fondés sur l’absence d’une décision, mais plutôt sur le caractère insuffisant des motifs du Comité. Par souci d’exhaustivité, je note que la Politique sur la déontologie de la GRC, Manuel d’administration, partie XII.1.11.16.2, exige que les comités disciplinaires fournissent une décision écrite comportant des motifs.

[41] Le paragraphe 33(1) des CC (griefs et appels) stipule que dans les circonstances où il n’y a pas de manquement à l’équité procédurale ou d’erreur de droit, je dois déterminer si la décision est « manifestement déraisonnable » :

Lorsqu’il rend une décision sur la disposition d’un appel, le commissaire évalue si la décision qui fait l’objet de l’appel contrevient aux principes d’équité procédurale, est entachée d’une erreur de droit ou est manifestement déraisonnable.

[42] Dans Kalkat c. Canada (Procureur général), 2017 CF 794, paragraphe 62, la CF a considéré le terme « manifestement déraisonnable » tel qu’il est énoncé au paragraphe 33(1) des CC (griefs et appels) :

Par conséquent, étant donné qu’il est expressément indiqué que la décision doit être « nettement déraisonnable » et prenant en compte la traduction de l’expression [manifestement déraisonnable], je conclus que le délégué n’a commis aucune erreur. Il est raisonnable d’interpréter la norme de la décision « nettement déraisonnable » comme si elle équivalait à la norme de la décision « manifestement déraisonnable » dans le contexte du régime législatif et des principes. Il s’ensuit que le délégué doit faire preuve de retenue à l’égard d’une conclusion de l’autorité disciplinaire lorsqu’il estime simplement que la preuve est insuffisante pour étayer la conclusion [Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Appeal Tribunal) c. Fraser Health Authority, 2016 CSC 25].

[43] Dans sa décision Smith c. Canada (Procureur général), 2019 CF 770, la Cour fédérale a examiné et confirmé une conclusion semblable (paragraphe 38) :

L’arbitre a effectué une analyse approfondie pour en arriver à la conclusion que la norme de la décision manifestement déraisonnable s’appliquait à la décision de l’autorité disciplinaire. Dans son analyse, l’arbitre a examiné la jurisprudence applicable, le sens du terme « manifestement », ainsi que le libellé en français du paragraphe 33(1). La conclusion de l’arbitre selon laquelle la norme de contrôle applicable était celle de la décision manifestement déraisonnable est justifiable, transparente et intelligible. La Cour est d’accord qu’il s’agissait là d’une conclusion raisonnable.

[44] Récemment, la CAF est arrivée à la même conclusion dans l’appel subséquent Smith, 2021 CAF 73.

[45] Pour assimiler la norme de la décision nettement déraisonnable à la norme de la décision manifestement déraisonnable, il faut faire preuve d’une grande déférence à l’égard des conclusions de fait ou mixtes (de fait et de droit) d’un comité disciplinaire.

[46] Dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 RCS 748, paragraphe 57, la CSC a expliqué qu’une décision est manifestement déraisonnable si « le défaut est manifeste au vu des motifs du tribunal » ou, en d’autres mots, si le défaut ne peut être contesté et est tout à fait évident. La CSC a également approfondi la distinction entre « déraisonnable » et « manifestement déraisonnable » (Southam, paragraphe 57) :

La différence entre « déraisonnable » et « manifestement déraisonnable » réside dans le caractère flagrant ou évident du défaut. Si le défaut est manifeste au vu des motifs du tribunal, la décision de celui-ci est alors manifestement déraisonnable. [...] Cela ne veut pas dire, évidemment, que les juges qui contrôlent une décision en regard de la norme du caractère manifestement déraisonnable ne peuvent pas examiner le dossier. Si la décision contrôlée par un juge est assez complexe, il est possible qu’il lui faille faire beaucoup de lecture et de réflexion avant d’être en mesure de saisir toutes les dimensions du problème. [...] Mais une fois que les contours du problème sont devenus apparents, si la décision est manifestement déraisonnable, son caractère déraisonnable ressortira.

[47] Par la suite, dans l’arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, la CSC a expliqué, au paragraphe 52, qu’une décision manifestement déraisonnable est une décision qui est « clairement irrationnelle », « de toute évidence non conforme à la raison » ou « est à ce point viciée qu’aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir ».

[48] La CSC a renouvelé l’examen de la norme de contrôle dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov). Aux fins des présentes, je note que la CSC a confirmé qu’il y a lieu de respecter les normes de contrôle prévues par la loi (Vavilov, paragr. 34 et 35).

[49] Je me pencherai maintenant sur la question de savoir si le Comité a commis des erreurs susceptibles de révision.

Observations

[50] L’appelant soutient que le Comité n’a pas fourni de motifs adéquats pour expliquer pourquoi la version des faits présentée par le plaignant dans l’allégation no 1 a été privilégiée plutôt que l’affirmation de l’appelant selon laquelle l’événement n’avait jamais eu lieu.

[51] L’appelant insiste sur le fait que les motifs du Comité n’ont pas expressément permis de corriger les incohérences dans les déclarations du plaignant à la police et tout au long de l’instance disciplinaire (dossier d’appel, p. 497 à 501). Il attire particulièrement l’attention sur la juxtaposition des affirmations suivantes du Comité, à savoir que le plaignant avait fait preuve [traduction] « de cohérence indéfectible dans sa description de chacun des événements principaux » et que ses déclarations renfermaient « des incohérences importantes » (dossier d’appel, p. 500). L’appelant soutient que ces incohérences sont importantes puisqu’elles se rapportent aux détails des allégations et aux actes du plaignant dans les jours et les mois qui ont suivi. Il insiste sur le fait que ces trous de mémoire donnent à penser [traduction] « que le plaignant avait un souvenir sélectif, ce qui mettait en doute sa crédibilité et que le Comité aurait dû en tenir compte dans son évaluation de la crédibilité du plaignant » (dossier d’appel, p. 501).

[52] L’appelant a également fait référence aux aspects du récit du plaignant qui, selon lui, n’étaient pas crédibles dans les circonstances. Par exemple, il a mentionné qu’il était peu probable que personne n’ait entendu le cri que le plaignant a poussé dans le bureau, près du photocopieur, pendant que d’autres personnes travaillaient à proximité. Il a également souligné le fait que [traduction] « toute blague aurait eu lieu devant un ‘public’ dans le but de faire rire les autres personnes » (dossier d’appel, p. 499). Par conséquent, il est peu probable que l’appelant se soit comporté de cette façon lorsque les deux parties étaient seules.

[53] L’appelant a soutenu que la plainte avait été déposée à l’appui d’une tentative de le faire congédier, de sorte que le plaignant ne soit plus obligé de travailler avec lui (dossier d’appel, p. 500). La plainte semblait également en contradiction avec le comportement passé du plaignant, car il allait souvent dîner seul avec l’appelant après les incidents. Selon l’appelant, ces facteurs laissaient croire à la possibilité que le plaignant n’ait pas été honnête et direct (dossier d’appel, p. 500 et 501).

[54] Enfin, l’appelant a soutenu qu’il était le témoin le plus crédible et que sa version des événements aurait dû être préférée à celle du plaignant. Il a reconnu le bien-fondé des allégations nos 2 et 3, mais il a nié catégoriquement l’allégation no 1 (dossier d’appel, p. 501). Il a également reconnu que le Comité avait exercé son pouvoir discrétionnaire en retenant le témoignage du plaignant, bien qu’il ait soutenu que le Comité n’avait pas expliqué adéquatement dans ses motifs pourquoi il l’avait fait. L’appelant a invoqué l’affaire criminelle R. c. Ururyar, 2017 ONSC 4428, dans laquelle les motifs du juge de première instance ont été jugés insuffisants parce qu’il n’avait pas expliqué pourquoi il n’avait pas cru le témoignage de l’accusé (dossier d’appel, p. 501).

[55] En revanche, l’intimé a soutenu que les motifs fournis par le Comité [traduction] « ont été rédigés de façon exhaustive et complète afin de démontrer pleinement : ‘[...] la justification, la transparence et l’intelligibilité [...]’ et l’équité procédurale tout aussi importante » (dossier d’appel, p. 613). En se fondant sur la norme d’évaluation des motifs, tirée de Newfoundland Nurses, l’intimé a soutenu que la décision rendue par le Comité était suffisante et raisonnable. Par conséquent, il faut faire preuve de déférence à l’égard de la décision parce que [traduction] « la perfection n’est pas une norme appropriée à appliquer » (dossier d’appel, p. 613).

Constatations

[56] Je conviens avec le CEE que les motifs du Comité étaient adéquats dans les circonstances. Le nœud de l’argument de l’appelant est que le Comité a commis une erreur en acceptant la version des événements du plaignant relativement à l’allégation no 1, du fait que ce dernier manquait de crédibilité.

[57] Le CEE a décrit la responsabilité qui incombe à l’arbitre lorsqu’il évalue des versions contradictoires (rapport, paragr. 61) :

[Traduction] Bien qu’il soit vrai que le défaut d’expliquer suffisamment la façon dont les problèmes de crédibilité ont été réglés peut constituer une erreur réversible, la CSC a souligné que : « Les lacunes dans l’analyse de la crédibilité effectuée par le juge du procès, telle qu’il l’expose dans ses motifs, ne justifieront que rarement l’intervention de la cour d’appel » (voir R. c. Dinardo, [2008] 1 RCS 788, paragr. 26). Dans l’affaire R. c. R.E.M., [2008] 3 RCS 3 (R.E.M), la CSC a expliqué qu’en règle générale, il pourrait être nécessaire d’exposer plus de détails dans les motifs lorsque le juge doit « démêler des éléments de preuve [...] contradictoires sur une question clé » (paragr. 44). Si les éléments de preuve sont contradictoires, « la cour d’appel doit se demander si le juge du procès a manifestement relevé et résolu les contradictions » (R.E.M., paragr. 55). Il s’ensuit que : « Lorsque le juge du procès est conscient des contradictions, mais qu’il arrive quand même à la conclusion que le témoin était digne de foi, sauf erreur manifeste et dominante, rien ne justifie l’intervention de la cour d’appel » (F.H. c. McDougall, [2008] 3 RCS 41, paragr. 70).

[58] Le Comité était conscient de la nature contradictoire du témoignage, des incohérences relevées dans les déclarations du plaignant et il a tenu compte des directives judiciaires de longue date à l’intention des juges des faits dans ces situations (dossier d’appel, p. 24 à 30 et 38 à 40). En fin de compte, le Comité a souligné ce qui suit (dossier d’appel, p. 40) :

[Traduction] [113] Je conclus toutefois que les incohérences ne sont pas importantes au point de ruiner la crédibilité du plaignant. Il a fait preuve d’une cohérence indéfectible dans sa description de chacun des événements principaux (au photocopieur, dans le coin-repas et à son bureau). Pour chacun des trois incidents, il a décrit clairement ce que l’appelant lui a fait et lui a dit à chaque occasion, la façon dont il a exprimé ce qu’il ressentait après avoir été touché et, surtout, il a demandé à l’appelant de ne plus jamais le faire. Le plaignant a été inébranlable dans ses affirmations chaque fois qu’il a été invité à donner sa version des faits.

[59] Le Comité a ensuite expliqué ce qui suit (dossier d’appel, p. 41 et 42) :

[Traduction] [120] En ce qui concerne l’allégation no 1, je préfère la version des faits fournie par le plaignant. En raison de son témoignage, que je n’ai pas trouvé évasif du tout, ainsi que du compte rendu cohérent qu’il a donné à chaque occasion, je conclus que les actes ont été accomplis comme il a été allégué. Le plaignant était au travail près de la photocopieuse et, sans avertissement ni provocation (par dessein, parce que je conclus que ces gestes étaient tous une forme de grossière taquinerie de bureau), l’appelant est arrivé derrière lui, a empoigné l’une de ses fesses et lui a dit quelque chose comme « vous avez un cul formidable ».

[121] Je ne trouve pas que le fait que le plaignant n’a pas déposé de plainte officielle à la première occasion au sujet de ces incidents porte préjudice à sa crédibilité. Il n’est pas un agent de police et il ne connaît pas le protocole d’enquête. Il est tout à fait possible que lorsque l’enquêteur interne a exposé le mandat et les paramètres de la déclaration qu’il était sur le point de consigner (sur des questions disciplinaires non liées), que le plaignant a cru que l’enquête portait uniquement sur la nudité au travail et rien d’autre. De toute façon, il n’était pas encore prêt à révéler ces incidents. Il vaut la peine de le mentionner, car je ne trouve pas fatal non plus à la crédibilité du plaignant qu’il n’ait signalé les incidents qu’à la suite de rappels constants en milieu de travail que l’appelant allait recommencer à travailler à ses côtés. Si une réaffectation permanente avait eu lieu, il est fort probable que ces événements n’auraient jamais été élucidés. Je conclus que le plaignant était désespéré parce qu’il ne voulait plus travailler avec l’appelant à cause de ce qu’il lui avait fait par le passé.

[122] Contrairement aux allégations nos 2 et 3, il n’y a eu aucun témoin des événements à l’origine de l’allégation no 1. En concluant que les événements se sont produits comme il a été allégué, je préfère la version du plaignant à celle de l’appelant. En effet, le plaignant n’avait aucune raison valable de fabriquer cette histoire. Comme de nombreuses victimes d’agression, il a eu beaucoup de difficulté à déposer une plainte officielle et il a grandement souffert de l’avoir fait, comme bien d’autres avant lui. Il a été obligé de se rappeler les événements à un nombre considérable de reprises. Lorsque des incohérences ont inévitablement été relevées, il a dû subir un contre- interrogatoire à leur sujet. À l’instar de nombreuses victimes, je soupçonne que le plaignant a vécu des moments de doute, se demandant si cela en valait ou non la peine et s’il aurait été préférable de simplement garder les choses pour lui-même. Il n’avait certainement rien à gagner à déposer une plainte officielle. Au contraire, il avait beaucoup à perdre en le faisant.

[123] Je conclus que le plaignant a agi avec courage à cet égard et j’estime que sa crédibilité est inattaquable.

[60] Bref, le Comité a préféré le témoignage du plaignant et n’a trouvé aucune preuve qu’il avait fait de fausses allégations. De même, le Comité a déterminé que le retard dans la divulgation des allégations par le plaignant n’avait pas miné sa crédibilité. J’estime que le Comité a suffisamment expliqué les conclusions qu’il a tirées quant à la crédibilité et à l’interprétation de la preuve contradictoire. Tout comme le CEE, je suis convaincu que le raisonnement du Comité ne donne pas lieu à une erreur susceptible de révision.

La mesure disciplinaire imposée était-elle manifestement déraisonnable?

[61] L’appelant soutient que le Comité a commis une erreur lorsqu’il a déterminé la mesure disciplinaire à imposer, car il a évalué incorrectement les facteurs atténuants et aggravants et n’a guère tenu compte du principe de parité, ce qui a donné lieu à une sanction manifestement déraisonnable (dossier d’appel, p. 502 à 505).

Norme de contrôle des mesures disciplinaires

[62] Lorsque les motifs des sanctions sont exposés, une grande déférence est due au comité de déontologie qui a imposé les mesures disciplinaires. Les mêmes principes que ceux de l’arrêt R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, paragr. 43 et 44, s’appliquent en l’espèce, bien qu’ils soient exprimés dans une affaire pénale, où la CSC a donné des précisions sur la déférence due lors d’un contrôle des sanctions :

Je reconnais que la présence d’une erreur de principe, l’omission de tenir compte d’un facteur pertinent ou encore la considération erronée d’un facteur aggravant ou atténuant peut justifier l’intervention d’une cour d’appel, et lui permettre d’évaluer la justesse de la peine et d’y substituer la peine qu’elle estime appropriée. Cependant, je suis d’avis que ce ne sont pas toutes les erreurs de ce genre, quel que soit leur impact sur le raisonnement du premier juge, qui autorisent une cour d’appel à intervenir. L’application d’une règle aussi stricte risquerait de miner la discrétion accordée au juge de première instance.

[…]

À mon avis, la présence d’une erreur de principe, l’omission de tenir compte d’un facteur pertinent ou encore la considération erronée d’un facteur aggravant ou atténuant ne justifiera l’intervention d’une cour d’appel que lorsqu’il appert du jugement de première instance qu’une telle erreur a eu une incidence sur la détermination de la peine.

[63] En général, l’arbitre d’un appel en matière de déontologie ne doit intervenir que si la mesure disciplinaire « était déraisonnable, si elle ne tenait pas compte de tous les éléments pertinents (dont d’importants facteurs atténuants), si elle prenait en considération des facteurs aggravants non pertinents, si elle mettait en évidence une erreur manifeste de principe, si elle s’avérait manifestement disproportionnée par rapport au comportement et à la peine imposée dans d’autres cas de même nature ou si elle créait une injustice » (voir D-115, commissaire, paragr. 44).

[64] Autrement dit, les mesures disciplinaires ne devraient être annulées en appel que dans de rares circonstances.

Résumé de la détermination des mesures disciplinaires

[65] Avant d’examiner les points précis soulevés par l’appelant relativement aux facteurs atténuants et aggravants dégagés, je dois tenir compte de la façon dont le Comité est parvenu à la décision de congédier l’appelant.

[66] La GRC et le CEE ont adopté depuis longtemps un processus en trois étapes pour en arriver à des sanctions appropriées :

  1. déterminer l’éventail de sanctions appropriées, compte tenu de la gravité de la conduite;
  2. déterminer s’il existe des facteurs atténuants ou aggravants;
  3. choisir la sanction qui est la plus proportionnée à la gravité de l’inconduite et qui tient compte du lien entre l’inconduite et les exigences de la profession policière.

[67] Une autorité disciplinaire ou un comité de déontologie n’est pas tenu de renvoyer expressément à ces trois étapes à titre de critères de contrôle de faits, mais doit plutôt démontrer qu’il a tenu compte de chacun de ces éléments.

[68] Le CEE a résumé le processus entrepris par le Comité. D’abord, le Comité a déterminé l’éventail de sanctions possibles, puis les facteurs atténuants et aggravants à prendre en considération avant de décider finalement de congédier l’appelant. Le Comité a renvoyé à chaque étape de l’évaluation des mesures disciplinaires. En ce qui concerne l’éventail de sanctions appropriées, le CEE a fait observer ce qui suit (rapport, paragr. 75) :

[Traduction] [75] Le Comité a commencé son analyse des mesures disciplinaires en résumant les observations formulées par les parties à l’audience. Il a ensuite consulté le Guide des mesures disciplinaires pour déterminer si, dans un cas de harcèlement sexuel ou d’autres formes d’inconduite en milieu de travail, le congédiement s’inscrivait dans l’éventail de sanctions possibles.

[69] Le CEE a ensuite résumé les facteurs atténuants qui suivent, dont a tenu compte le Comité de déontologie (rapport, paragr. 75; voir aussi dossier d’appel, p. 51 à 53) :

  • le rendement constant et soutenu de l’appelant qui est supérieur à la moyenne;
  • le soutien dont bénéficie l’appelant auprès de ses superviseurs et de ses pairs;
  • le potentiel de réhabilitation de l’appelant. Le Comité a déterminé qu’il n’y avait aucune raison de soupçonner que d’autres infractions de nature semblable seraient commises si l’appelant était autorisé à demeurer dans la Gendarmerie.

[70] Ensuite, le CEE a résumé les facteurs aggravants pris en considération par le Comité (rapport, paragr. 76; voir aussi dossier d’appel, p. 53 et 54) :

  • le fait que les incidents se sont produits dans un contexte où des appels répétés ont été faits pour favoriser un milieu de travail respectueux et une approche de tolérance zéro à l’égard du harcèlement au travail au sein de la Gendarmerie (dissuasion générale);
  • le fait que les attaques se sont produites à répétition et ont été dirigées contre une personne qui était reconnue comme vulnérable;
  • les répercussions négatives des incidents sur le plaignant.

[71] Compte tenu de ces facteurs, le Comité a rejeté la requête de l’appelant en concluant que [traduction] « certains obstacles sont simplement trop importants pour les surmonter. La gravité de l’inconduite en l’espèce, conjuguée aux facteurs aggravants, l’emporte sur l’ensemble des facteurs atténuants, aussi solides puissent-ils être » (dossier d’appel, p. 58).

[72] Pour récapituler, le Comité a précisé et suivi l’approche de longue date servant à déterminer la sanction appropriée, c.-à-d. définir l’éventail de sanctions possibles, énoncer les facteurs atténuants et aggravants pris en considération et expliquer pourquoi un congédiement avait été imposé.

[73] Tout de même, l’appelant conteste certains des facteurs sur lesquels s’est appuyé le Comité. Je les examinerai à tour de rôle.

Observations

[74] L’appelant soutient que l’accent mis à l’échelle de la GRC sur la lutte contre le harcèlement sexuel et les milieux de travail toxiques [traduction] « visait l’organisme en général, c.-à-d. des bureaux administratifs jusqu’aux agents de première ligne ». Cette initiative concernait moins son groupe, qui était un [traduction] « lieu de travail unique, à haute intensité et entièrement masculin avec une mentalité de ‘vestiaire’ » (dossier d’appel, p. 503). L’appelant estime que la GRC voulait avant tout mettre l’accent sur [traduction] « la question de la violence fondée sur le sexe et du harcèlement envers les femmes » et sur « la protection et le maintien en poste des membres féminines en particulier » (dossier d’appel, p. 503).

[75] Dans ce contexte, l’appelant soutient que les changements de politique n’ont pas été apportés dans l’intention d’éliminer les [traduction] « pitreries entre hommes » (dossier d’appel, p. 503).

[76] Il affirme également que la perception selon laquelle le plaignant a été profondément touché par les allégations n’est pas étayée par la preuve. Le plaignant a continué de passer volontairement du temps avec l’appelant lors de dîners en tête à tête après les événements en question (dossier d’appel, p. 504).

[77] L’appelant conteste également la sévérité de la mesure disciplinaire, en comparant son congédiement à d’autres sanctions imposées pour du harcèlement sexuel. Il donne l’exemple précis de l’affaire Commandant de la Division « E » et Gendarme C, 2017 DARD 8 (Gendarme C), dans laquelle le membre visé a été sanctionné moins sévèrement pour un comportement qui est réputé avoir discrédité la Gendarmerie et qui a comporté un manque de courtoisie et de respect (dossier d’appel, p. 504 et 505).

[78] Par ailleurs, l’intimé soutient que la tentative de l’appelant de minimiser le harcèlement entre hommes et de le contraster avec le harcèlement envers les femmes [traduction] « est insensible et réitère simplement la position avancée par l’appelant en contre-interrogatoire, et ne reflète pas exactement la politique de la GRC sur la prévention du harcèlement » (dossier d’appel, p. 618).

[79] En ce qui concerne la parité des sanctions, l’intimé affirme que de telles décisions [traduction] « sont fondées sur les faits et sont de nature discrétionnaire » (dossier d’appel, p. 620). Il souligne également qu’il est possible de distinguer les précédents évoqués par l’appelant parce qu’ils constituent tous des mesures disciplinaires recommandées conjointement. L’intimé réitère l’observation du Comité selon laquelle [traduction] « les précédents jurisprudentiels fondés sur des recommandations conjointes sont réputés avoir moins de poids en raison du processus de négociation sous-jacent comportant une résolution » (dossier d’appel, p. 620).

Constatations

[80] Je suis d’accord avec le CEE pour dire que l’approche de tolérance zéro à l’égard du harcèlement en milieu de travail s’applique à tous les membres de la Gendarmerie et qu’elle englobe les comportements « d’homme à homme ». Aucun élément de preuve n’a été présenté pour démontrer le contraire. Par conséquent, le fait que l’appelant était au courant de la politique constitue un facteur aggravant.

[81] Par le passé, le CEE a reconnu que le fait de travailler dans un environnement où prime une mentalité de « vestiaire » pourrait constituer un facteur atténuant pertinent dans la mesure où toutes les parties manifestent ce comportement et prennent part aux taquineries (voir par exemple NC-040). Toutefois, le CEE a contrasté cette affaire avec le cas présent parce que le plaignant a clairement et constamment fait savoir qu’il n’était pas un participant consentant (rapport, paragr. 78).

[82] Le Comité, en se fondant sur la preuve, a correctement qualifié le plaignant de personne vulnérable. Le plaignant a confirmé dans son témoignage qu’il n’aimait pas être touché. De plus, il a clairement exprimé son aversion à l’appelant et aux autres témoins. Je conviens avec le Comité qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer l’existence de stress post- traumatique. Toutefois, le « principe de la vulnérabilité de la victime » s’applique néanmoins (dossier d’appel, p. 54). L’appelant était conscient de l’effet de ses actes sur le plaignant. En fait, la réaction du plaignant a clairement motivé le comportement de l’appelant. À mon avis, la preuve était suffisante pour que le Comité conclue que le plaignant est une personne vulnérable.

[83] De plus, le Comité n’a pas fait erreur en n’accordant pas beaucoup de poids aux affaires invoquées par l’appelant, qui comportaient des recommandations conjointes. Les comités de déontologie sont tenus de faire preuve d’une grande déférence lorsqu’ils reçoivent des recommandations conjointes relatives aux mesures disciplinaires en raison des longues négociations tenues pour parvenir à les formuler (dossier d’appel, p. 55 et 56). Souvent, les recommandations ne reflètent pas nécessairement la sanction qui autrement aurait pu être imposée dans les circonstances.

[84] Il est également possible de distinguer les autres cas invoqués par l’appelant, notamment Gendarme C, qui comportait un seul incident survenu à une fête après les heures de travail dans une résidence, quoique, dans ce cas, deux membres de sexe féminin ont subi des attouchements et des gestes sexuels importuns, où la consommation d’alcool et des problèmes de santé mentale étaient des facteurs importants liés au comportement. Par conséquent, à mon avis, le Comité n’a pas fait erreur en n’attribuant pas beaucoup de poids à la sanction dans cette affaire (dossier d’appel, p. 55).

Les conclusions du Comité ont-elles soulevé une crainte raisonnable de partialité?

Observations

[85] Enfin, l’appelant allègue une crainte raisonnable de partialité du fait que le Comité a fait référence à des déclarations de la commissaire qui incitaient à une dissuasion générale ainsi qu’une absence de précédent concernant un congédiement dans cette situation (dossier d’appel, p. 505 et 506).

[86] L’intimé soutient que rien ne signale une crainte raisonnable de partialité, affirmant [traduction] « il n’y a aucune preuve que [le Comité] n’a pas tenu compte du fait que les membres du comité de déontologie de la GRC ont prêté le serment d’office pour y siéger, selon lequel ils doivent exercer leurs fonctions fidèlement, impartialement, honnêtement et au mieux de leurs connaissances et capacités respectives » (dossier d’appel, p. 622).

Constatations

[87] L’appelant ne m’a pas convaincu qu’il existe une crainte raisonnable de partialité de la part du Comité. Il a fourni peu d’éléments de preuve à l’appui de cette affirmation. Il existe une présomption selon laquelle les comités de déontologie sont justes et impartiaux. Par conséquent, il incombe à l’appelant de démontrer une crainte raisonnable de partialité (rapport, paragr. 81). Bien que le Comité ait accordé du poids aux déclarations de la commissaire ayant trait à la dissuasion générale, cela n’est pas suffisant pour satisfaire au critère établi dans Commission scolaire francophone du Yukon c. Yukon (Procureure générale), [2015] 2 RCS 282, paragr. 20 :

[...] à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » (référence omise; Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978]7 RCS 369, p. 394, le juge de Grandpré [dissident]).

[88] En ce qui concerne la sévérité de la mesure disciplinaire, je note également les déclarations de la CAF dans Canada (Procureur général) c. Boogaard, 2015 CAF 150, paragr. 81 :

Dans un contrôle au regard de la norme de la décision raisonnable, les juges ne peuvent pas intervenir en se fondant sur des opinions personnelles au sujet de la sévérité ou non de la décision. Les juges doivent plutôt se limiter à la question suivante : en tenant compte de la marge d’appréciation qui doit être accordée au décideur, est-ce que la décision est acceptable et justifiable au regard des faits et du droit?

[89] À mon avis, la décision du Comité de congédier l’appelant est acceptable et justifiable. Je suis d’accord avec le CEE pour dire que l’argument de l’appelant [traduction] « ne persuaderait pas une personne informée ayant lu la décision contestée et réfléchi à l’affaire que le Comité a rendu, consciemment ou non, une décision injuste à l’endroit de l’appelant » (rapport, paragr. 82).

[90] Je conclurai en soulignant les observations finales soigneusement formulées par le CEE à propos de l’appelant, de son comportement et des conséquences qui en découlent (rapport, paragr. 85) :

[Traduction] Bien que l’issue soit malheureuse, surtout compte tenu des titres de compétence et du niveau d’expertise de l’appelant, je crois fermement, à l’instar du Comité, que son comportement devait être sanctionné par la mesure la plus sévère. En plus d’être consternants et tout à fait inacceptables, les actes de l’appelant représentaient une atteinte flagrante au bien-être et à la dignité d’une autre personne. Enfin, je trouve regrettable que l’appelant se soit senti en droit de violer l’espace personnel du plaignant et qu’il l’ait fait en croyant que c’était moins grave entre hommes qu’envers une femme.

[91] Je conviens que cette affaire est regrettable à tous égards. Le plaignant n’aurait jamais dû subir des attouchements importuns et des railleries dans un lieu de travail de la GRC. Parallèlement, l’appelant aurait dû savoir que son comportement était inacceptable et qu’il compromettait sa carrière. Au final, les deux hommes devront porter les séquelles de ces événements.

DÉCISION

[92] L’appel est rejeté en vertu de l’article 45.16 de la Loi sur la GRC et la mesure disciplinaire imposée par le Comité est confirmée.

[93] Si l’appelant n’est pas d’accord avec ma décision, il peut exercer un recours auprès de la Cour fédérale au titre du paragraphe 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.

 

 

 

Steven Dunn, arbitre

 

Date

 

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