Déontologie

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Protégé A

Dossier : 2019-335406 (C-055)

2022 DAD 06

Logo de la Gendarmerie royale du Canada

DANS L’AFFAIRE CONCERNANT

un appel d’une décision d’un Comité d’arbitrage

en vertu du paragraphe 45.11(1) de la

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10 (dans sa version modifiée)

ENTRE :

le commandant de la Division H

Autorité disciplinaire

Gendarmerie royale du Canada

Appelant

et

le gendarme Devin Pulsifer

Numéro de matricule 56030

Intimé

(parties)

Décision de la commissaire

Gendarmerie royale du Canada

2022


INTRODUCTION

[1] À la suite d’une audience disciplinaire, un comité de déontologie de la GRC (le Comité) a déterminé que le gendarme Devin Pulsifer, numéro de matricule 56030 (l’intimé), avait enfreint le Code de déontologie de la GRC (Règlement de la Gendarmerie royale du Canada, 2014, DORS/2014-281 [Règlement]), après avoir conclu que deux allégations contre l’intimé avaient été établies.

[2] Le Comité a rendu une décision écrite le 15 mai 2019 (décision) et a imposé les mesures disciplinaires suivantes :

  • la confiscation de 15 jours de solde pour l’allégation no 1;
  • la confiscation de 20 jours de solde pour l’allégation no 2;
  • l’inadmissibilité à la promotion pour une période de deux ans à compter de la date de la décision écrite;
  • l’obligation d’obtenir tout service de counseling relativement à sa consommation excessive d’alcool ou à son alcoolisme ainsi que tout autre service de counseling que le médecin-chef de la Division H ou son remplaçant juge approprié.

[3] Le commandant de la Division H (appelant), après avoir demandé le congédiement, interjette appel.

[4] Les allégations portent sur les événements qui se sont produits dans la nuit du 17 avril 2018, à la suite de la conduite de l’intimé à une fonction de « consolidation d’équipe » en soirée pendant une semaine de formation à une base militaire locale avec une équipe antiémeute. Seuls des membres de la GRC ont participé à la fonction de consolidation d’équipe et celle-ci a eu lieu dans un pub local.

[5] Conformément au paragraphe 45.15(1) de la Loi sur la GRC, l’appel a été renvoyé au Comité externe d’examen (CEE) de la Gendarmerie royale du Canada pour examen. Dans le rapport faisant état des conclusions et des recommandations qui a été publié le 3 décembre 2021 (CEE, no de dossier C-2020-021 [C-055]) (Rapport), le président du CEE, M. Charles Randall Smith, a recommandé que l’appel soit rejeté et que je confirme la décision du Comité au titre de l’alinéa 45.16(3)a) de la Loi sur la GRC.

[6] En vertu du paragraphe 45.16(8) de la Loi sur la GRC, je ne suis pas liée par les conclusions ou les recommandations du CEE, mais si je ne suis pas d’accord, je dois « motiver [mon] choix dans [ma] décision ».

[7] Les références aux documents dont le Comité est saisi seront appelées « documents » et le dossier d’appel, « dossier ». La décision attaquée est appelée la « décision », les arguments en appel de l’appelant sont appelés l’« appel » et la réponse de l’appelant comme la « réponse ». Enfin, le rapport du CEE sera appelé « rapport ».

[8] Je présente mes sincères excuses aux parties pour tout retard attribuable à la GRC dans l’arbitrage du présent appel.

[9] Pour les motifs qui suivent, je suis d’accord avec la recommandation du CEE et je confirme la décision du Comité. L’appel est rejeté.

CONTEXTE

[10] Le 7 décembre 2018, l’appelant a publié l’Avis d’audience disciplinaire, qui a été reçu par l’intimé le 8 janvier 2019 (Documents, p. 11; 13-20). L’Avis d’audience disciplinaire contenait deux allégations de conduite déshonorante en violation de l’article 7.1 du Code de déontologie et les énoncés détaillés de chacune des allégations (Documents, p. 13-18) :

Allégation 1 :

Le ou vers le 17 avril 2018, à Port Williams ou à proximité, dans la province de la Nouvelle-Écosse, alors qu’il n’était pas en service, le gendarme Devin Pulsifer s’est engagé dans une conduite déshonorante, contrairement à l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé de l’allégation 1 :

1. Pendant toute la période pertinente, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et étiez affecté au détachement de Liverpool, dans le district de Queens, en Nouvelle-Écosse.

2. Pendant la semaine du 16 avril 2018 au 20 avril 2018, vous étiez inscrit à la formation de l’équipe antiémeute des Divisions H et L offerte à la base des Forces canadiennes (« BFC ») Aldershot.

3. Après la formation du 17 avril 2018, vous avez participé à une activité sociale pour l’équipe antiémeute à [A], un établissement autorisé à vendre de l’alcool situé à Port Williams, en Nouvelle-Écosse, où ce qui suit s’est produit :

a. Vous avez consommé de l’alcool au point d’être intoxiqué.

b. Vous vous êtes approché derrière la gendarme [1] et avez placé vos mains sous son chandail.

c. Vous avez déplacé vos mains vers le haut et saisi les seins de la gendarme [1].

d. La gendarme [1] a repoussé vos mains.

e. Le caporal B., un autre membre de l’équipe antiémeute qui vous a vu faire, a éloigné la gendarme [1] de vous.

f. La gendarme [1] ne vous avait jamais rencontré avant cet incident.

g. La gendarme [1] n’a pas consenti à être touchée de cette manière.

h. Vous avez touché la gendarme [1] bien en vue d’autres membres de l’équipe antiémeute.

i. Plus tard, d’autres membres de l’équipe antiémeute vous ont fait sortir du bar et vous ont ramené à la BFC Aldershot.

j. Vous avez touché la gendarme [1] à des fins sexuelles sans son consentement devant des collègues; vous vous êtes donc conduit d’une manière qui discrédite la Gendarmerie, en violation de l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Allégation 2 :

Le ou vers le 17 avril 2018, à Port Williams ou à proximité, dans la province de la Nouvelle-Écosse, alors qu’il n’était pas en service, le gendarme Devin Pulsifer s’est engagé dans une conduite déshonorante, contrairement à l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé de l’allégation 2 :

1. Pendant toute la période pertinente, vous étiez membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et étiez affecté au détachement de Liverpool, dans le district de Queens, en Nouvelle-Écosse.

2. Pendant la semaine du 16 avril 2018 au 20 avril 2018, vous étiez inscrit à la formation de l’équipe antiémeute des Divisions H et L offerte à la BFC Aldershot.

3. Après la formation du 17 avril 2018, vous avez participé à une activité sociale pour l’équipe antiémeute à [A], un établissement autorisé à vendre de l’alcool situé à Port Williams, en Nouvelle-Écosse, où ce qui suit s’est produit :

a. Vous avez consommé de l’alcool au point d’être intoxiqué.

b. Vous vous êtes approché derrière la gendarme [2], qui était au bar.

c. Vous avez glissé votre main sous le chandail de la gendarme [2] et l’avez déplacée sur son ventre nu.

d. Vous avez déplacé votre main vers le haut et touché les seins de la gendarme [2].

e. La gendarme [2] a repoussé votre main et a poursuivi la conversation qu’elle entretenait avec un autre membre.

f. Malgré le fait que la gendarme [2] a repoussé votre main, vous avez encore une fois glissé votre main sous son chandail et avec commencé à la déplacer vers ses seins.

g. La gendarme [2] s’est retournée pour vous faire face et vous a frappé au visage.

h. La gendarme [2] vous a reconnu comme un membre de l’équipe antiémeute, mais elle ne vous avait jamais parlé.

i. La gendarme [2] n’a pas consenti à être touchée de cette manière.

j. Vous avez touché la gendarme [2] bien en vue d’autres membres de l’équipe antiémeute.

k. En fait, vous avez touché la gendarme [2] peu de temps après avoir touché la gendarme [1] de la manière décrite dans l’allégation no 1.

l. Plus tard, d’autres membres de l’équipe antiémeute vous ont fait sortir du bar et vous ont ramené à la BFC Aldershot.

m. Vous avez touché la gendarme [2] à des fins sexuelles sans son consentement devant des collègues; vous vous êtes donc conduit d’une manière qui discrédite la Gendarmerie, en violation de l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

PROCÉDURES D’AUDIENCE DISCIPLINAIRE

[11] Le CEE a résumé la procédure d’audience disciplinaire (Rapport, paragraphes 15 à 42) :

D. Audience du Comité de déontologie

[15] Le 1er mars 2019, le Comité a tenu une audience afin de déterminer si les allégations étaient fondées et de trancher sur les deux requêtes présentées par l’appelant. Le Comité a accordé l’interdiction de publier le nom des victimes et a rejeté la demande d’enquête supplémentaire de l’appelant, parce que l’appelant semblait tenter de « combler un vide en matière de preuve » en cherchant de nouveaux éléments de preuve. Le Comité a en outre conclu qu’il n’était pas dans l’intérêt de la justice de permettre à l’appelant de demander des éclaircissements à la gendarme 2 à ce stade de la procédure (appel, page 14). Il n’y a eu aucun témoin à l’audience et aucune observation orale sur les allégations puisque l’intimé n’a pas nié la majorité des précisions.

[16] Le Comité a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, les deux allégations ont été établies, à l’exception de la précision 3d) de l’allégation no 2. Il a conclu que l’intimé avait eu une conduite déshonorante en violation de l’article 7.1 du Code de déontologie (Documents, page 259). Les conclusions d’une conduite déshonorante ne font pas l’objet d’un appel.

E. Étape des mesures disciplinaires

[17] Le 15 avril 2019, une audience a eu lieu par vidéoconférence au sujet des mesures disciplinaires à imposer. L’intimé a été interrogé par son représentant, contre-interrogé par l’appelant et, enfin, le Comité a posé quelques questions à l’intimé.

[18] L’appelant a soutenu que les allégations, que l’intimé n’a pas niées, répondaient à la définition d’agression sexuelle et que la décision de l’Équipe d’intervention en cas d’incident grave (SIRT) de ne pas porter d’accusations criminelles ne signifiait pas qu’il y avait un manque de preuves pour poursuivre les accusations criminelles, mais qu’il y avait d’autres raisons de ne pas le faire (Documents, page 390). L’appelant a ajouté que les actions de l’intimé répondaient également à la définition du harcèlement sexuel en milieu de travail, puisque l’événement était organisé par la GRC, en présence seulement de membres de la GRC et que la GRC fournissait des navettes à destination et en provenance du pub. L’appelant a soutenu que la mesure disciplinaire appropriée serait que l’intimé démissionne dans les 14 jours ou soit congédié.

[19] L’intimé a fait des observations soulignant qu’il n’y a pas de condamnation criminelle dans cette affaire et que l’incident ne n’est pas produit sur le lieu de travail. L’intimé a soutenu qu’il s’agissait de sa première infraction et qu’il a beaucoup de remords pour ce qu’il a fait et qu’il est prêt à recevoir tout traitement nécessaire. L’intimé a soutenu qu’une sanction pécuniaire de 10 jours de solde pour l’allégation 1 et de 5 jours de solde pour l’allégation 2, et une ordonnance globale exigeant que l’intimé suive tout traitement tel qu’ordonné par le médecin-chef de sa division seraient raisonnables.

PIÈCES SOUMISES AU COMITÉ

[20] Le Comité a reçu un nombre important de preuves, notamment : i) des lettres de référence et de soutien; ii) les évaluations et les récompenses annuelles de la GRC accordées à l’intimé; iii) une lettre du conseiller de l’intimé; et iv) la déclaration de la victime de la gendarme 1.

1. Lettres de référence et de soutien

[21] Il y a plusieurs lettres en soutien à l’intimé, que le Comité a considérées comme faisant partie des facteurs atténuants, car bon nombre des lettres incluaient des commentaires selon lesquels l’intimé est normalement très respectueux, professionnel, compatissant et amical.

[22] À mon avis, en raison des conséquences possibles qui pourraient se produire ici pour l’intimé, il est important que la commissaire ait une compréhension approfondie de la réputation de l’intimé (Documents, volume 1, pages 301 à 306) :

A. Sergent d’état-major G.D.S. (retraité)

[TRADUCTION]

J’écris cette lettre en soutien au gendarme Devin PULSIFER. J’étais sous-officier responsable du district [X] de la GRC de mars 2016 à août 2018. Le gendarme PULSIFER a été muté au district [X] en août 2017. En tant que commandant du gendarme PULSIFER, je suis au courant des allégations portées contre lui au titre du Code de déontologie. En fait, j’étais le membre qui a signifié les documents à l’origine de l’audience disciplinaire.

Pendant les neuf mois durant lesquels le gendarme PULSIFER a travaillé dans le district [X], il a constamment démontré des traits de leadership qui étaient remarquables. Il n’était pas du genre à faire des blagues nuisibles. Il a toujours fait preuve d’une attitude positive. Il était bien informé, et lorsqu’il n’avait pas immédiatement de réponse à une circonstance, il pouvait déterminer un plan d’action approprié par la recherche, la consultation et enfin la demande de directives auprès de l’auteur. En bref, le gendarme PULSIFER a des compétences et des capacités claires en résolution de problèmes sur lesquelles il pouvait et je pouvais compter.

Au moment de sa mutation, nous avions un manque continuel d’effectifs en raison de problèmes de congé de maladie à long terme pour plusieurs membres. Dans notre groupe, il manquait constamment vingt-cinq pour cent de notre effectif en raison de congés de maladie à long terme, y compris l’un des deux caporaux. En raison des traits de leadership du gendarme PULSIFER et, malgré qu’il y eût des membres comptant plus d’ancienneté au sein de notre groupe, je l’ai placé dans le rôle de caporal par intérim pendant plusieurs mois. Il possédait les qualités personnelles requises, les compétences en matière d’enquête et la souplesse nécessaire pour amener ces membres à travailler à un niveau acceptable. De plus, le gendarme PULSIFER a reçu l’appui solide de tous les membres du groupe, y compris les employés de la fonction publique. En fait, je peux affirmer en toute confiance que tous les employés sont impatients qu’il revienne au travail.

Comme je l’ai indiqué, nous avons toujours eu des problèmes importants en matière de RH qui étaient très préjudiciables à notre groupe. Le gendarme PULSIFER était l’un des membres sur lesquels je pouvais compter pour modifier son horaire ou s’adapter aux défis sans commentaire négatif. Il était clair que le gendarme PULSIFER reconnaissait qu’en partie son rôle était d’essayer de maintenir à flot nos activités du mieux que nous, et plus précisément lui, pouvions le faire. En bref, le désir primordial du gendarme PULSIFER était de faire en sorte que les tâches soient accomplies au mieux de ses capacités. Le courage du gendarme PULSIFER dans des circonstances violentes a été évident à une occasion, lorsque lui et moi avons répondu à un appel d’une femme indiquant vouloir se suicider. Il s’agissait d’une femme armée d’un couteau. Arrivé sur les lieux avant l’auteur, il s’est approché du palier du second étage de la résidence et s’est retrouvé face à un chien pitbull agressif sur le palier très étroit. Le gendarme PULSIFER a jugé nécessaire de décharger son pistolet de service sur l’animal, le blessant et le faisant fuir. Il a ensuite procédé à l’arrestation de la femme en question en vertu de l’autorité légale. À mon arrivée sur les lieux, les autres membres de la famille étaient furieux et très hostiles. Le gendarme PULSIFER est resté sur les lieux jusqu’à ce que d’autres renforts puissent arriver. Dans ces circonstances, le gendarme PULSIFER a fait preuve d’un courage extraordinaire et ses actions dans ces circonstances étaient dignes de mention.

J’ai pris ma retraite en août 2018 après 36 ans et demi de service comme policier. J’ai vu bon nombre de membres des services de police municipaux et de la GRC. Je n’hésiterais certainement pas à faire travailler le gendarme PULSIFER pour moi. Il était facilement parmi les membres les plus solides avec lesquels j’ai eu l’occasion de travailler. J’attendais toujours avec impatience que le gendarme PULSIFER travaille ses quarts de jour, car je savais qu’il y aurait peu d’interventions nécessaires de ma part. De plus, comme je l’ai indiqué, je peux affirmer avec confiance qu’il a l’appui de ses collègues et du personnel de l’ADS dans le district [X].

B. Sergent T.R.G.

[TRADUCTION]

J’écris cette lettre à la demande du gendarme Devin Pulsifer. J’ai été superviseur immédiat de Devin pendant les trois années qui ont suivi son déménagement en Nouvelle-Écosse en 2017. Je le connais depuis octobre 2014, lorsque j’ai été muté au détachement de la GRC de Bonavista à Terre-Neuve-et-Labrador comme commandant de détachement. Auparavant, j’étais commandant du détachement de Fogo Island (Terre-Neuve-et-Labrador) et j’ai également travaillé à Baie Verte (Terre-Neuve-et-Labrador) et à New Minas (Nouvelle-Écosse). Je suis actuellement sous-officier des opérations du district de Grand-Falls-Windsor et j’ai 16 ans de service à la GRC.

Au cours de la période susmentionnée, j’ai été directement témoin du comportement et de la conduite de Devin, alors qu’il remplissait ses fonctions de gendarme aux services généraux. L’engagement de Devin envers sa carrière et le public en général était excellent. Il était l’un de mes employés les plus performants et a eu l’occasion à plusieurs reprises d’être responsable du détachement pendant mes absences. Je n’ai jamais reçu de plaintes de la part du public ou d’autres membres concernant le comportement de Devin.

Je peux honnêtement dire que lorsque j’ai entendu parler des allégations portées contre Devin (par les médias), j’ai été véritablement choqué. Les allégations ne représentent certainement pas l’homme que je connais et avec qui j’ai travaillé au détachement de Bonavista. Je n’aurais aucun problème à travailler de nouveau avec Devin si l’occasion se présentait.

C. Caporal J. L.

[TRADUCTION]

Je suis caporal [J.L.], actuellement affecté au Groupe de formation aux armes à feu de la Division Dépôt. Avant ce poste, j’étais affecté à Bonavista (Terre-Neuve-et-Labrador), un détachement de six membres des services généraux. J’avais rencontré le gendarme Devin Pulsifer en août 2013 lorsqu’il a été muté dans mon groupe après avoir occupé un poste fédéral en Ontario. J’ai travaillé aux côtés du gendarme Pulsifer et j’ai eu le privilège de le superviser à de nombreuses reprises jusqu’à ma mutation en 2017.

Le gendarme Pulsifer est une personne qui travaille très fort, comme en témoigne sa détermination à apprendre son nouveau rôle en tant que membre des services généraux à la suite de son expérience fédérale après l’obtention de son diplôme de la Division Dépôt. Le gendarme Pulsifer a dû s’adapter et apprendre rapidement ce nouveau rôle et ses responsabilités et sans l’expérience typique d’encadrement sur le terrain qui est disponible pour les nouvelles recrues qui débutent dans les services de police généraux. Il a abordé cette nouvelle expérience et cet apprentissage avec enthousiasme, réflexion et diligence et est devenu un membre très compétent du groupe en très peu de temps.

En tant que superviseur du gendarme Pulsifer, je n’ai eu aucun problème avec son sang-froid ou son caractère et son travail était irréprochable. Il avait besoin de peu de directives, voire pas du tout, et il était l’un des gendarmes les plus performants de mon groupe. Le gendarme Pulsifer a également eu l’occasion de remplacer le sous-officier responsable de façon intérimaire lorsque ce dernier était absent, ce qu’il a admirablement fait.

Le gendarme Pulsifer a également démontré sa disponibilité et sa capacité à aller au-delà de ses fonctions de gendarme. Par exemple, lorsqu’il a mis sa propre vie en danger pour sauver un client bien connu de notre détachement de la noyade en mer pendant une tempête hivernale. À la suite de ces actes, il a reçu une mention élogieuse pour acte de bravoure de la part du commandant de la division B.

Je sais que le gendarme Pulsifer est un membre très travailleur, honnête et professionnel d’une grande intégrité, il est compatissant, respectueux et responsable dans sa vie professionnelle et personnelle. Le gendarme Pulsifer est fiable, quelqu’un sur lequel vous pouvez toujours compter et qui a toujours été là pour aider en temps de besoin et de défi.

Le gendarme Pulsifer est l’un des meilleurs membres avec lesquels j’ai travaillé et l’une des meilleures personnes que je connaisse. Je n’ai pas hésité à rédiger cette lettre de recommandation demandée compte tenu de mes observations sur l’engagement du gendarme Pulsifer envers les valeurs et les normes de la GRC et sur son rôle et ses responsabilités en tant que membre. J’ai observé que son travail et son caractère étaient représentatifs de ce qui est apprécié et promu par la GRC.

D. Commandant du détachement, détachement XX de la GRC, M.F.

[TRADUCTION]

La présente lettre fait référence à Devin Pulsifer. J’ai rencontré Devin pour la première fois à l’été 2015, lorsque j’ai été muté au détachement de la GRC de Bonavista. J’ai rencontré Devin quand ma famille et moi sommes venus pour l’inspection de notre maison. Devin a été la première personne que j’ai rencontrée et il nous a salué, ma famille et moi-même. Devin était à ce moment-là en congé, mais il quand même pris du temps pour me rencontrer et me montrer où se trouvait la nouvelle résidence de ma famille. Cela démontre bien quel genre de personne Devin est, Devin est le type de personne qui est toujours prête à aider et à donner un coup de main partout où elle le peut, même à quelqu’un qu’elle ne connaît pas.

Au cours de l’année suivante et un peu plus tard, j’ai continué à travailler avec Devin et à apprendre à le connaître beaucoup mieux, tant professionnellement que personnellement. Devin a toujours été un membre très positif avec qui travailler et son moral positif était excellent à voir et il était plaisant d’être à ses côtés. Il était très facile de voir que Devin était un membre de la GRC qui travaillait fort, car il a toujours fait de son mieux et essaie toujours de se surpasser. Devin était un membre très précieux du détachement de Bonavista et son travail acharné et son dévouement ont été appréciés par tous ceux avec qui il travaillait. À de nombreuses occasions, le détachement de Bonavista devait composer avec des effectifs critiques, mais Devin n’a jamais laissé cela le déranger. Il travaillait fort avec les autres membres et prenait le relais chaque fois qu’il le pouvait. Devin avait un excellent esprit d’équipe et était très respecté par tous ceux avec qui il travaillait, y compris moi-même. En travaillant avec Devin, j’ai vu de mes propres yeux comment il communiquait avec les gens, qu’il s’agisse d’une victime d’un crime, d’un suspect ou d’un prisonnier, Devin a toujours traité tout le monde avec respect, dignité et gentillesse peu importe les circonstances.

En dehors du travail, j’ai pu rencontrer Devin et sa famille lors de rencontres sociales ou le rencontrer par hasard dans la collectivité. Devin s’est toujours comporté de façon très professionnelle et était très respecté par le public et ses collègues à l’extérieur de la GRC.

Devin est le type de personne sur lequel vous pouvez compter lorsque quelque chose doit être fait et bien fait. Je mettrais ma vie entre ses mains et je travaillerais à nouveau avec lui sans hésiter.

[23] Il y a d’autres lettres de soutien; il y en a trop pour qu’on les reproduise toutes ici. Voici une liste des lettres de soutien restantes (Documents, volume 1) :

a. Gendarme T.D, page 303;

b. F.R., page 307;

c. W.B-T., page 308;

d. Gendarme D.T., pages 309-310;

e. Gendarme D.F., page 311;

f. Gendarme D.C., pages 312–313;

g. Gendarme T.D., page 314;

h. Gendarme M.K., page 315;

i. Gendarme T.O., page 316.

[24] Toutes les lettres appuient l’intimé, y compris des exemples d’incidents et d’événements servant à démontrer la force de caractère de l’intimé, tant dans sa vie professionnelle que dans sa vie personnelle. Le Comité a conclu que les actes du 17 avril 2018 étaient inhabituels de la part de l’intimé.

2. Rapports d’évaluation du rendement et prix

[25] Les rapports d’évaluation du rendement et la liste des prix remportés par l’intimé se trouvent dans les documents, volume 1, pages 317-325 et volume 2, pages 835-866.

[26] Le Comité a conclu que les évaluations indiquent que l’intimé a exercé ses fonctions policières à un niveau supérieur à la moyenne et qu’il a toujours fait preuve d’une « éthique de travail impressionnante » et d’une bravoure personnelle dans l’exercice de ses fonctions.

[27] Les éléments de preuve comprenaient une mention élogieuse pour acte de bravoure pour avoir sauvé une personne suicidaire dans des conditions météorologiques défavorables, et un certificat officiel du premier ministre de l’Alberta pour son aide lors des incendies de forêt en Alberta en 2016. Ces deux documents comprennent des commentaires sur son courage, sa compassion et son professionnalisme.

3. Lettre du conseiller

[28] L’intimé n’a pas présenté cette lettre à titre de preuve d’expert et cette lettre n’a pas abordé expressément la question de l’alcool ni la question de sa consommation par l’intimé (Documents, volume 1, page 327). Elle a été fournie par le représentant de l’intimé après l’audience sur les mesures disciplinaires, à la demande du Comité et avec le consentement de l’appelant.

[29] L’intimé a assisté à des séances de counseling dans le cadre du Programme d’aide aux employés (PAE) de Santé Canada, qui [TRADUCTION] « vise à offrir du counseling de courte durée et ne comprend pas d’évaluation psychologique ». L’intimé a participé à cinq séances entre avril 2018 et juin 2018, et à trois à cinq séances supplémentaires à compter de janvier 2019. Ces séances étaient centrées sur le stress personnel et la gestion de la vie.

[30] Le conseiller a déclaré que les séances visaient à « gérer et à surmonter avec succès le stress d’un incident lié au travail qui a ébranlé son image de soi en qualité de personne toujours confiante et compétente et voulant faire preuve des plus hautes normes de comportement, de compétence et de professionnalisme ».

[31] Le conseiller a également fait remarquer que l’intimé « élabore des stratégies de gestion du stress et de l’anxiété plus personnelles, de sorte que le stress au travail sera équilibré par ce qu’il fait personnellement ».

4. Déclarations des victimes

[32] L’appelant a déposé une déclaration de la victime non datée de la gendarme 1 dans laquelle elle a indiqué les difficultés qu’elle a éprouvées à cause des actions de l’intimé, y compris les problèmes avec son mari, le manque de sommeil, l’anxiété et les problèmes au travail (Documents, pages 215-216) :

[TRADUCTION]

Un mardi soir, le 17 avril 2018, j’ai passé une soirée sociale avec mes collègues de travail, des membres de l’équipe antiémeute, mes coéquipiers, amis, frères et sœurs de la Gendarmerie lorsque j’ai été agressée sexuellement par un homme « qui m’était inconnu ». Je dis « qui m’était inconnu » pour de nombreuses raisons… Je n’avais pas encore eu l’occasion de me présenter à cette personne, car il venait de terminer sa deuxième journée de formation avec l’équipe. « Qui m’était inconnu » parce que je n’ai jamais imaginé, au cours de mes 13,5 années en tant que femme forte de la GRC, mère de deux jeunes enfants à l’âge de 40 ans, que cela pourrait m’arriver. Surtout aux mains d’un autre membre de la GRC, un policier!

« Qui m’était inconnu » parce que j’ai appris son nom après l’incident et l’ai retiré de ma tête. Chaque fois que l’on discute de cet incident, je ne répète même pas son nom parce que je ne veux plus jamais entendre son nom. Ne vous méprenez pas… Je connais bien son nom, mais son nom ne mérite pas, à mon avis, d’être répété. En fait, comme son nom se trouvait dans la ligne objet du courriel m’invitant à écrire cette déclaration, la réception de ce courriel m’a donné mal à l’estomac.

Je me suis toujours sentie très en sécurité en travaillant et en socialisant avec mes confrères et consœurs de la gendarmerie. Nous nous soutenons dans les moments qui peuvent être les plus terrifiants et les plus dévastateurs, nous nous serrons les coudes et travaillons ensemble pour assurer la sécurité du public et luttons ensemble pour rentrer chez nous en toute sécurité auprès de nos familles à la fin de chaque quart de travail, si Dieu le veut. Comment aurais-je pu imaginer que l’un des miens pourrait me faire ça?

Quand cela m’est arrivé, quelques amis au sein de l’équipe m’ont offert leur soutien, mais tellement de personnes n’ont même pas pris le temps de venir me parler et de demander simplement « comment vas-tu? ». J’ai été très blessée par certains qui, je croyais, étaient de vrais amis, mais tout ce qui leur semblait important, c’était la mauvaise image que cet incident pourrait donner à l’équipe. WOW! Je suis certaine que si c’était leur femme, leur fille, leur sœur ou leur mère, ils seraient beaucoup plus compatissants. En fait, je suis toujours très déçue de ne pas avoir intenté une poursuite au criminel, mais pour moi, faire affaire avec la SIRT a été une expérience horrible. Deux mois après l’incident, je me suis retrouvée à l’urgence parce que je m’endormais derrière le volant… Je n’avais aucune idée que je ne dormais pas. Au cours du dernier mois, après avoir été invitée à travailler sur cette déclaration, et ramenant le tout au service [traduction], je dors à nouveau mal. J’ai aussi beaucoup de ressentiment à l’égard de la Gendarmerie, car personne ne fait de suivi auprès de moi ni ne m’informe sur cette affaire et où elle en est. De plus, en raison du congé payé, je ne connais même pas le statut de l’accusé. J’ai communiqué cinq mois après l’incident et j’ai reçu la réponse « questions relatives à la protection de la vie privée » et « laissez-moi m’informer sur certaines choses et je communiquerai avec vous à nouveau ». WOW… alors, laissons la victime dans l’obscurité pendant que ce dossier traîne jusqu’à ce qu’il y ait d’autres victimes à cause de lui?

J’espère qu’il restera toujours un inconnu pour moi. Je ne voudrais plus jamais que le chemin de cette personne et le mien se croisent, tout au long de ma vie, mais surtout de ma carrière. Je suis fière de faire partie de la GRC et continue d’exiger que la Gendarmerie adopte les normes les plus élevées, mais je crois que la GRC a beaucoup de travail à faire pour ses membres, surtout si elle continue de maintenir en poste des membres de la Gendarmerie capables de telles actions; c’est une horrible représentation de qui nous sommes en tant qu’organisation. À mon avis, il est tout à fait inacceptable de permettre à cette personne de continuer à être un gendarme. Je prie que la GRC ne va pas me décevoir, ainsi que tant d’autres femmes au sein de la GRC qui ont été victimes d’autres membres. En tant que membre de sexe féminin, j’ai travaillé très fort pour me rendre là où je suis. Dans bien des cas, il y a toujours un « club de garçons », mais je peux voir que la Gendarmerie commence enfin à égaliser les règles du jeu. Je voulais faire partie de l’équipe antiémeute de la Division H depuis plusieurs années, j’ai enfin été sélectionnée en octobre 2017 et lors de ma séance de formation suivante, c’est ce que j’ai dû endurer.

J’espère que ce membre recevra l’aide et le soutien dont il a besoin pour que quelque chose comme cela ne se reproduise pas. Pour être honnête, il aurait été bien d’obtenir des excuses de sa part, s’il était vraiment désolé pour ses actions. Peut-être que mon processus de guérison aurait pu commencer il y a des mois, pas presque un an après les faits.

J’aime penser que c’est juste une autre bosse dans ma route qui ne fera que me rendre plus forte et meilleure!

DÉCISION DU COMITÉ DE DÉONTOLOGIE

1. Les faits

[33] Le 15 mai 2019, le Comité a publié des motifs écrits pour les allégations et les mesures disciplinaires (Appel, pages 7 à 34). La conclusion générale incontestée des faits est résumée dans la décision (Appel, pages 25 à 26) :

a) L’intimé avait participé à diverses affectations à titre de membre de l’équipe antiémeute et il était devenu formateur de cours pour les questions tactiques et les questions plus spécialisées relatives à l’équipe d’enlèvement des obstacles.

b) L’équipe antiémeute était composée de membres de trois divisions de la GRC.

c) L’intimé n’a commencé à boire qu’en 2009. L’intimé a affirmé ce qui suit : « J’ai continué à consommer de l’alcool, et à un moment donné, j’en consommais deux ou trois fois par semaine ».

d) Le 11 septembre 2017, l’intimé a appris qu’un membre de l’équipe antiémeute, avec qui il avait travaillé pendant quatre ans dans une autre division, s’était suicidé. Lors de la semaine de formation d’avril 2018, c’était la première fois que l’équipe antiémeute se réunissait depuis le suicide.

e) L’intimé a déterminé deux facteurs de stress au moment de la formation de l’équipe antiémeute, à savoir que sa grand-mère était à l’hôpital depuis l’automne, et qu’il avait raté un appel d’un travailleur social concernant une adoption que lui et sa femme souhaitaient.

f) À l’époque des faits, l’intimé a été affecté au détachement X de la Division H.

g) Au cours de la semaine du 16 avril 2018 au 20 avril 2018, l’intimé devait assister à la formation de l’équipe antiémeute des Divisions X et Y à une base des Forces canadiennes (« BFC »).

h) Après une formation le 17 avril 2018, l’intimé a assisté à une réunion sociale de l’équipe antiémeute dans un pub local organisée par la GRC, et les seuls participants étaient d’autres membres qui suivaient la formation.

i) La GRC a assuré le transport entre la BFC et le pub pour des raisons de sécurité.

j) L’intimé a pris un verre avant d’aller au pub, a mangé des ailes et se souvient avoir bu quatre à cinq boissons, s’est rendu aux toilettes, est revenu et a pris un autre verre et ne se souvient plus de rien.

k) Lorsque les participants se sont alignés pour payer leurs factures à la fin de la nuit, l’intimé s’est approché de la gendarme 1 par derrière, il a placé ses mains sous ses vêtements et les a déplacées jusqu’à ses seins, avant qu’un autre membre n’éloigne la gendarme 1 de l’intimé.

l) L’intimé s’est ensuite approché de la gendarme 2 par-derrière, il a mis ses mains sous son chandail et les a déplacées vers le haut, jusqu’à ce qu’elle les repousse. L’intimé a ensuite répété ses gestes avec la gendarme 2 et elle s’est retournée et l’a frappé.

m) L’intimé a été escorté hors des locaux par d’autres membres de l’équipe antiémeute, et on l’a aidé à se coucher dans son lit.

n) L’intimé n’a nié aucune des deux allégations et n’a pas nié la plupart des détails de l’Avis d’audience disciplinaire du 23 novembre 2018. L’intimé, à un moment donné, est passé en mode « black-out » et ne se souvenait d’aucun des événements qui ont eu lieu ce soir-là.

o) L’intimé, comme l’ont signalé d’autres participants, était soit intoxiqué, soit fortement intoxiqué.

p) L’intimé ne connaissait pas la gendarme 1 ou la gendarme 2 à l’époque, et elles ne l’avaient vu qu’à la formation de l’équipe antiémeute.

2. Décision au sujet des allégations

[34] Le Comité a conclu que suffisamment de détails avaient été prouvés selon la prépondérance des probabilités pour établir chacune des allégations (Appel, pages 18, 20). Le Comité a conclu que les allégations 1 et 2 alléguant des contraventions à l’article 7.1 du Code de déontologie ont été établies.

A. Allégation 1 :

[35] En ce qui concerne l’allégation 1, le Comité a conclu ce qui suit (Documents, pages 255-257) :

a) L’intimé a été réputé nier l’allégation parce qu’il ne pouvait se souvenir de quoi que ce soit.

b) La preuve invoquée comprend les déclarations de la gendarme 1 et d’autres membres de la GRC qui ont observé ce qui s’est passé, y compris le membre qui a éloigné la gendarme 1 de l’intimé.

c) Il y avait suffisamment de preuves pour conclure selon la prépondérance des probabilités que chaque précision concernant l’allégation a été établie.

d) L’intimé a mis ses mains sur la gendarme 1 et il les a déplacées pour saisir ses seins, bien qu’on ne sache pas si des sous-vêtements ont fait obstacle ou s’il y a eu un contact direct avec sa peau.

e) La gendarme 1 a repoussé ses mains et un autre membre l’a éloignée de l’intimé.

f) L’intimé a contrevenu à l’article 7.1 du Code de déontologie comme il est allégué au titre de l’allégation 1.

B. Allégation 2 :

[36] En ce qui concerne l’allégation 2, le Comité a conclu ce qui suit (Documents, pages 257-260) :

a) L’intimé a été réputé avoir nié l’allégation parce qu’il ne s’en souvenait pas.

b) Il n’y avait pas suffisamment de preuves pour conclure, selon la prépondérance des probabilités au titre de la précision 3d), que l’intimé a touché les seins de la gendarme 2, puisqu’on l’a directement interrogée et elle a présenté une modification selon laquelle l’intimé a tenté de toucher ses seins, mais pas qu’il l’a réellement fait, ce qui était plus crédible que de se fier aux ouï-dire d’autres membres à qui elle avait parlé et qui ont déclaré qu’elle avait dit qu’il avait touché ses seins.

c) Selon la prépondérance des probabilités, le reste de la précision 3d) a été établi, c’est-à-dire que l’intimé a déplacé ses mains vers le haut de son ventre vers ses seins, et au titre de la précision 3f), que l’intimé a de nouveau placé ses mains sous le chandail de la gendarme 2 et a commencé à les déplacer vers ses seins.

d) La gendarme 2 a repoussé les mains de l’intimé la première fois, et lorsqu’il a essayé de nouveau, elle s’est retournée et l’a frappé.

e) L’intimé ne conteste pas qu’il a touché la gendarme 2 à des fins sexuelles sans son consentement.

f) Il y avait suffisamment de preuves pour conclure, selon la prépondérance des probabilités, que l’intimé a contrevenu à l’article 7.1 du Code de déontologie.

3. Décision sur les mesures disciplinaires

[37] Le reste de la décision (Appel, pages 27 à 34) contient l’analyse et le raisonnement du Comité relativement aux mesures disciplinaires imposées.

[38] Il sera utile pour mon analyse de citer des parties de la décision sur les mesures disciplinaires.

[39] En ce qui concerne l’aide à la santé mentale, le Comité a conclu que l’intimé comprenait ce qu’il devait faire pour corriger son comportement et qu’il était sincère et consciencieux quant à la nécessité de s’abstenir de consommer de l’alcool à l’avenir. Le Comité a également conclu que l’intimé était sincère en assumant la responsabilité de ses actes et qu’il regrettait ce qu’il avait fait.

En ce qui concerne l’aide en santé mentale, je conclus que le membre visé a fait ce qu’il avait compris qu’il devait faire pour corriger son comportement : il a participé pleinement au type de counseling qui lui était offert. Cette constatation est appuyée par sa réponse à une question posée par le Comité de déontologie : « Il s’agit de la personne avec qui on m’a dit de communiquer quand j’ai demandé de consulter quelqu’un ».

Pendant son témoignage, le membre visé a mentionné que les séances de counseling lui ont permis de confirmer que l’alcool « ne devrait avoir aucune part dans [sa] vie ». J’estime que cette réalisation par le membre visé est authentique et qu’il la prend très au sérieux; il sera consciencieux et veillera à ne pas consommer de l’alcool. J’accepte qu’il ait maintenant appris comment détecter et gérer le stress et y faire face, y compris comment demander de l’aide efficace lorsqu’il se sent désemparé par le stress et l’anxiété.

À la fin de l’interrogatoire du membre visé, celui-ci s’est tout simplement excusé auprès de la gend. 1 et de la gend. 2, de son groupe d’attache qui manque encore plus de personnel parce qu’il n’est pas disponible et de la GRC pour la honte et l’embarras découlant de son inconduite.

En contre-interrogatoire, on a demandé au membre visé s’il se considérait comme un alcoolique. Il a répondu ce qui suit : « Je considère avoir des problèmes liés à l’alcool, oui ». Faisant preuve d’une compréhension assez poussée de sa propension à la consommation excessive d’alcool, il a déclaré dans son témoignage qu’il n’était pas d’avis que son problème lié à l’alcool était résolu : « Non. Je reconnais que j’ai un problème lié à la consommation d’alcool, et j’ai acquis les outils pour surveiller ce problème. » Il a admis qu’il n’avait pas demandé de conseils concernant particulièrement la « prévention de la rémission ». Sa fille est née en février 2019 et les séances de counseling ont été mises en suspens en attendant le résultat du présent processus disciplinaire.

[40] Le Comité a examiné le régime disciplinaire antérieur et d’autres cas ainsi que le Guide des mesures disciplinaires afin de déterminer quelles seraient les mesures disciplinaires raisonnables à l’endroit de l’intimé :

Éventail de pénalités

Selon le régime disciplinaire antérieur de la GRC, lorsqu’une décision définitive écrite était rendue par un comité d’arbitrage, il était pratique courante, au moment de déterminer la pénalité appropriée pour une inconduite établie, pour le comité d’arbitrage de déterminer d’abord l’éventail de pénalités imposées pour des actes d’inconduite semblables. Cette pratique a été adoptée par les comités de déontologie devant se prononcer relativement aux allégations soulevées dans le cadre du système de gestion des cas d’inconduite qui est en place depuis le 28 novembre 2014. En l’espèce, après avoir examiné la jurisprudence applicable et le Guide des mesures disciplinaires de la GRC, l’éventail de mesures disciplinaires imposées pour des actes d’attouchement non consensuel à des fins sexuelles semble varier de pénalités financières importantes à la perte d’emploi selon la nature de l’acte commis et les facteurs atténuants et aggravants.

Comme j’ai remarqué dans la décision Caram, aux paragraphes 94 et 95 :

[TRADUCTION]

[94] L’éventail de pénalités imposées pour les cas de contact sexuel et d’attouchement inapproprié et en dehors des heures de travail, selon les décisions rendues par des comités d’arbitrage de la GRC antérieurs (limitées par la période maximale légale de 10 jours pour la confiscation de la solde), va d’une période modérée à la période maximale de confiscation de la solde […]

[…] [95] Il ressort de la jurisprudence de la GRC déposée par les parties que le type d’inconduite sexuelle établie contre le membre visé selon l’article 7.1 du Code de déontologie a souvent donné lieu à des pénalités de la part des comités d’arbitrage de la GRC sauf la démission ou le congédiement ordonné, mais l’éventail de pénalités a compris la perte d’emploi dans les cas où, par exemple, il y a eu de la violence, une condamnation au criminel ou des mesures disciplinaires antérieures. Le Guide des mesures disciplinaires appuie certainement un éventail qui comprend la perte d’emploi.

Les décisions des comités d’arbitrage déposées par le RM sont dominées par des cas où on s’est fondé sur un exposé conjoint des faits et où soit une proposition conjointe sur la pénalité a été soumise par les parties (décisions Rice, MacDonald, McLean, Lebrasseur, Glasier et Heon), soit l’officier compétent n’a pas demandé la perte d’emploi (décisions Hanson, Crutchley et Giesinger). La parité des pénalités doit faire partie de toute évaluation de mesures proportionnées, mais il est évident que l’éventail des mesures disciplinaires disponibles dans le cadre du système disciplinaire mis en place le 28 novembre 2014 permet d’imposer un éventail de mesures plus graves, sauf le congédiement, sans compter qu’il n’y a plus de plafond prévu par la loi de 10 jours pour la confiscation de la solde. De plus, la déférence à accorder aux propositions conjointes sur les pénalités réduit la valeur de précédent des cas comprenant de telles propositions.

Par contre, certaines des décisions de congédiement déposées par le RAD comprennent des situations très différentes de la présente affaire, comme :

· une agression physique troublante où le membre ivre a mordu le nez de la victime (décision Rendell). [Je reconnais que le RAD a déposé cette affaire principalement pour aborder la question de la parité.];

· après la prise de mesures disciplinaires et une tentative infructueuse de réadaptation pour des problèmes liés à l’alcool, le membre a de nouveau adopté un comportement agressif avant d’agresser sexuellement une autre victime (décision Jimenez);

· dans un processus d’arbitrage privé, la plaignante a nié les allégations, il a fallu tenir une audience avec témoignages complets pour conclure à des contacts sexuels inappropriés avec un certain nombre de collègues, mais on n’a pas pu déterminer clairement si la plaignante a compris et accepté que son comportement était extrêmement inapproprié (décision Carewest).

Deux des décisions rendues par des comités de déontologie sont clairement pertinentes en l’espèce, notamment les décisions Caram et Calandrini. Le Comité dans l’affaire Calandrini a commencé en soulignant la façon dont l’avocat a distingué l’affaire Caram au paragraphe 108 : « […] [L]’affaire a compris une soirée bien arrosée qui a eu lieu en dehors du lieu de travail » (traduction). Le Comité dans l’affaire Calandrini a ensuite établi, au paragraphe 182, une distinction entre un cas où il y a une série d’incidents visant une seule personne (décision Calandrini) et un cas où il y a les transgressions d’un fêtard ivre visant un certain nombre de personnes malchanceuses (décision Caram).

Nonobstant l’importance qu’il convient d’accorder à la dissuasion générale dans l’affaire Calandrini pour lutter contre le harcèlement continu en milieu de travail à la GRC, je crois qu’il ne faut pas perdre de vue le fait que la situation du membre visé est celle d’un client ivre lors d’une soirée au bar et non celle d’une personne qui en harcèle d’autres de façon délibérée dans un milieu de travail.

[41] Le Comité a déterminé qu’il fallait tenir compte des facteurs atténuants et aggravants, tels que les lettres de soutien, les déclarations de la victime, la conduite passée de l’intimé et la question de savoir si l’intimé assumait la responsabilité de ses actes ainsi que sa probabilité de réadaptation :

Proportionnalité

Selon le paragraphe 24(2) des CC (déontologie), « le Comité de déontologie impose des mesures disciplinaires proportionnées à la nature et aux circonstances de la contravention au Code de déontologie ». La partie 11.15 du chapitre XII.I Déontologie du Manuel d’administration précise qu’il faut tenir compte des circonstances atténuantes et aggravantes au moment de déterminer les mesures disciplinaires appropriées en ce qui concerne la contravention au Code de déontologie commise par le membre visé.

Le Manuel d’administration comprend l’annexe XII 1.20, qui donne une liste relativement exhaustive de circonstances aggravantes et atténuantes possibles, ainsi qu’une définition de chacune d’elles :

Circonstances atténuantes : [TRADUCTION] « Faits ou situations qui n’ont aucune incidence sur la culpabilité d’un défendeur, mais dont la cour tient compte au moment d’imposer une pénalité, particulièrement pour diminuer la sévérité d’une peine. » [Black’s Law Dictionary, 8e édition]. Les circonstances atténuantes ne constituent pas une justification ou une excuse pour l’infraction, mais en toute équité, elles peuvent être prises en considération pour réduire la sévérité de la pénalité à imposer afin de gérer l’inconduite de manière appropriée.

Circonstances aggravantes : [TRADUCTION] « Circonstances de la perpétration d’un crime ou d’un délit qui augmentent la culpabilité ou la gravité ou qui ajoutent aux conséquences préjudiciables, mais qui vont au- delà des éléments essentiels du crime ou du délit en soi. » [Black’s Law Dictionary, 6e édition].

Circonstances atténuantes

J’ai relevé les circonstances atténuantes suivantes :

· Le membre visé a assumé la responsabilité de son comportement, c.-à-d. qu’il a admis ou n’a pas contesté (sauf en ce qui concerne un élément distinct de la précision 3d) de l’allégation no 2) les détails des deux allégations. Il a accepté de participer à une entrevue dans le cadre de l’enquête relative au Code de déontologie. Il a répondu aux allégations officielles d’une manière qui montrait clairement sa volonté de régler les problèmes rapidement et dans les meilleurs délais.

· Le membre visé a fourni des excuses, par écrit et pendant son témoignage, à la gend. 1 et à la gend. 2, et j’estime qu’il éprouve véritablement des remords à l’égard de son comportement.

· Le membre visé n’a jamais fait l’objet de mesures disciplinaires et, pendant le contre-interrogatoire, a ajouté qu’il n’a jamais fait l’objet d’une plainte du public.

· Le membre visé a exercé ses fonctions policières à un niveau supérieur à la moyenne et a toujours fait preuve d’une éthique de travail impressionnante. Il a accepté d’assumer des rôles additionnels au sein de la troupe d’honneur et de l’équipe antiémeute. On a officiellement souligné la bravoure dont il fait preuve dans l’exercice de ses fonctions.

· Le membre visé a toujours le soutien de son commandant de district et d’autres membres qui ont travaillé avec lui, et des lettres de recommandation confirment son sens des responsabilités et sa bonne réputation habituelle.

· L’inconduite du membre visé, qui concerne deux victimes avec qui il a eu des contacts sexuels l’une à la suite de l’autre, était clairement un incident isolé et inhabituel.

· Il est possible que des facteurs de stress dans sa vie personnelle aient contribué à sa consommation excessive d’alcool, mais les éléments de preuve ne permettent pas de conclure que ces facteurs ont contribué considérablement à sa consommation excessive d’alcool ce soir-là. Le suicide d’un membre de l’équipe depuis le dernier rassemblement de l’équipe régionale d’enlèvement des obstacles a pu contribuer au taux élevé d’intoxication du membre visé ce soir-là, mais aucun lien direct n’a été établi, et j’accorde peu d’importance à ce facteur. (Je ne peux pas éliminer la possibilité que le taux très élevé d’intoxication du membre visé fût, en quelque sorte, en partie attribuable à sa naïveté et au fait qu’il ait bu au moins cinq verres à bière de cidre artisanal, sans connaître le taux d’alcool du cidre, mais aucun élément de preuve n’a été présenté relativement à cette possibilité et cela équivaut à des conjectures sans aucune valeur probante.).

· Le membre visé a immédiatement demandé des services de counseling et a participé activement à des séances de counseling.

· J’accepte que le membre visé n’ait pas consommé d’alcool depuis l’incident, et il semble fermement résolu à ne pas en consommer.

· Compte tenu de la volonté du membre visé d’accepter tout autre examen et traitement requis, j’estime qu’il est très peu probable que le membre visé soit de nouveau en état d’ébriété avancé et qu’il est très peu probable qu’il commette de nouveau une telle inconduite. J’estime que le potentiel de réadaptation du membre visé est très élevé.

Circonstances aggravantes

Les circonstances aggravantes dans la présente affaire sont les suivantes :

· Le degré de gravité de l’inconduite est très élevé en soi. Comme on l’a souligné dans la décision Calandrini, la GRC a communiqué, en envoyant de nombreux messages à ses employés, que le harcèlement en milieu de travail, le harcèlement sexuel ainsi que l’inconduite sexuelle non consensuelle en dehors des heures de travail sont tous inacceptables, ne passeront pas sous silence et ne seront pas tolérés.

· En l’absence d’un diagnostic d’alcoolisme, de toxicomanie ou d’un autre problème de santé mentale qui a contribué à la consommation excessive d’alcool, je considère comme une circonstance aggravante le fait que le membre visé a consommé de l’alcool au point d’être si intoxiqué qu’il était désinhibé et a touché deux collègues à des fins sexuelles. Le membre visé n’a pas fait l’objet d’une allégation selon laquelle il était inapte au travail, et il est évident qu’un certain nombre de personnes présentes au pub étaient ivres à la fin de la soirée (mettant en doute l’avantage global d’une soi-disant activité sociale de « promotion du travail d’équipe » pendant la formation); cependant, le fait de consommer de l’alcool au point de ne pas pouvoir se souvenir de son propre comportement lors d’une activité sociale en dehors des heures de travail, mais liée au travail constitue une situation où la responsabilité personnelle a clairement fait défaut.

· L’incidence de l’inconduite du membre visé sur les deux gendarmes qui ont subi ses attouchements non souhaités doit être considérée comme une circonstance aggravante, même si seule la gend. 1 a fourni une déclaration officielle en tant que victime. Il y a ici un élément indéniable : l’inconduite a brisé l’important lien de confiance qui devrait exister entre les policiers et leurs collègues. De plus, un certain nombre d’autres membres ont observé des aspects de l’inconduite du membre visé. Toutefois, à l’étape des mesures disciplinaires avec comparution de l’audience, j’ai interrogé les représentants sur le fait qu’aucun processus de harcèlement, y compris une enquête sur le harcèlement, n’avait été mené dans cette affaire, qui a été traitée dès le départ à l’interne comme une affaire relevant du Code de déontologie. Cela est principalement en raison de la nature de l’inconduite présumée, mais peut-être parce que la gend. 1 et la gend. 2 ont fait une déclaration dans le cadre de l’enquête criminelle initiale, mais n’ont pas présenté une « plainte » de harcèlement en déposant officiellement le formulaire approprié. À mon avis, certaines des frustrations récemment exprimées par la gend. 1 auraient pu être évitées si certains des processus envisagés dans le cadre du processus de harcèlement avaient au moins été pris en compte, même si l’affaire a finalement été traitée comme un dossier relatif au Code de déontologie.

[42] Le Comité a déterminé qu’il ne jugeait pas que la perte d’emploi était proportionnée et qu’il y avait des mesures plus graves en dehors du licenciement pour dénoncer, punir et corriger adéquatement l’inconduite :

Mesures imposées

Après avoir examiné les observations des parties, les documents déposés dans le cadre de l’étape des mesures disciplinaires de l’audience, la nature et les circonstances des contraventions, ainsi que les circonstances aggravantes et atténuantes, je n’estime pas que la perte d’emploi est une mesure proportionnée à l’inconduite du membre visé. En l’espèce, des mesures importantes sauf le congédiement peuvent dénoncer, sanctionner et corriger adéquatement l’inconduite du membre visé ainsi que permettre de déterminer et de surveiller toute thérapie de réadaptation nécessaire. Par ailleurs, les mesures sauf le congédiement peuvent également traiter adéquatement les questions liées au milieu de travail respectueux et à la confiance du public qui ont été abordées avec éloquence aux paragraphes 308 et 314 de la décision 2018 DARD 16 [décision Turner] du Comité de déontologie de la GRC.

Nonobstant les circonstances atténuantes en l’espèce, je considère qu’il convient d’imposer une pénalité financière de confiscation de 15 jours de solde pour la contravention visée par l’allégation no 1 et une confiscation de 20 jours de solde pour celle visée par l’allégation no 2. Je suis d’accord avec le RAD qu’il y a une différence négligeable en ce qui concerne la gravité des actes commis contre la gend. 1 et la gend. 2. Cependant, l’inconduite visée par l’allégation no 2 comprend un élément de persistance ou de répétition qui constitue une circonstance aggravante, même si elle s’est produite peu après l’allégation no 1.

La sévérité de ces confiscations de solde tient compte de deux des principales circonstances aggravantes : le caractère intrusif des attouchements et les messages antérieurs envoyés par la Gendarmerie à tous les employés au sujet du caractère inacceptable du harcèlement sexuel et de l’inconduite sexuelle.

J’estime qu’il convient d’imposer, à titre d’autre mesure punitive et grave, une période d’inadmissibilité à toute promotion de deux ans qui entre en vigueur à la date de la présente décision écrite. Compte tenu du fait que le membre visé est un bon enquêteur, qu’il a toujours obtenu des évaluations de rendement positives et qu’il a démontré qu’il peut exercer avec succès un rôle de supervision, je reconnais que le membre visé aurait très bien pu obtenir une promotion dans un avenir rapproché. Cependant, pour bien faire comprendre au membre visé le caractère extrêmement inacceptable de son comportement et pour montrer clairement aux membres du public et aux employés de la Gendarmerie à quel point le service de police national du Canada prend ce type d’inconduite au sérieux, les pénalités financières et l’inadmissibilité à une promotion sont toutes deux des mesures proportionnées justifiées.

Dans l’ensemble, je considère que les mesures disciplinaires choisies susmentionnées auront un effet dissuasif tant sur le membre visé que sur tous les membres dont le comportement (au travail et en dehors des heures de travail) est assujetti aux dispositions de la Loi sur la GRC.

Il est évident que l’inconduite du membre visé, qui a mis en cause des membres de l’équipe antiémeute provenant de la Division H, dont la gend. 1 et la gend. 2, peut rendre sa participation continue aux séances de formation et aux affectations gênante ou même intenable. Le membre visé est affecté à un détachement et son travail relatif aux questions liées à l’équipe antiémeute est distinct de cette affectation; par conséquent, je ne vois aucun motif d’ordonner une mutation ou une réinstallation. Mais je considère que la participation du membre visé aux activités de l’équipe antiémeute doit faire l’objet d’un examen minutieux par le personnel compétent de la Division H. Si le membre visé ne participait pas aux activités futures d’enlèvement des obstacles, la formation qu’il a suivie jusqu’à présent et les capacités d’instruction qu’il a acquises seraient gaspillées, mais le maintien d’un milieu de travail respectueux doit avoir préséance. Les préoccupations exprimées dans la déclaration de la victime faite par la gend. 1 devraient être prises en considération dans le cadre de tout examen des autres activités de l’équipe antiémeute auxquelles le membre visé participe.

Dans l’ensemble, j’ordonne également au membre visé de recevoir tout service de counseling relativement à sa consommation excessive d’alcool ou à son alcoolisme ainsi que tout autre service de counseling jugés appropriés par le médecin-chef de la Division H ou son remplaçant. Je ne doute pas que le membre visé est déterminé à demeurer sobre, mais il faut lui donner tous les outils raisonnables pour maintenir un mode de vie sain et s’assurer qu’il ne consommera plus jamais d’alcool de façon excessive.

CONCLUSION

Le Comité de déontologie impose les mesures disciplinaires suivantes :

· une réprimande pour chaque allégation, que cette décision écrite constituera;

· la confiscation de 15 jours de solde pour l’allégation no 1;

· la confiscation de 20 jours de solde pour l’allégation no 2;

· l’inadmissibilité à toute promotion pour une période de deux ans à compter de la date de cette décision écrite;

· l’obligation d’obtenir tout service de counseling relativement à sa consommation excessive d’alcool ou à son alcoolisme ainsi que tout autre service de counseling que le médecin-chef de la Division H ou son remplaçant juge appropriés.

L’appel

1. Présentation de l’appel

[12] L’appelant a présenté un mémoire d’appel (formulaire 6437e) au Bureau de la coordination des griefs et des appels (BCGA) le 27 mai 2019 (Dossier, p. 5). L’appelant est d’avis que les mesures disciplinaires imposées à l’intimé sont manifestement déraisonnables. De plus, l’appelant croit que la façon dont le Comité a rendu sa décision a enfreint les principes fondamentaux d’équité procédurale. Enfin, l’appelant soutient que la décision était fondée sur une erreur de droit.

[13] L’appelant demande que j’infirme la décision du Comité et ordonne à l’intimé de démissionner de la GRC dans les 14 jours ou qu’il soit congédié.

2. Arguments en appel de l’appelant

[14] Le 26 novembre 2019, l’appelant a déposé des mémoires d’appel (Dossier, p. 87-93). L’appelant conteste les mesures disciplinaires imposées et soulève deux principaux motifs d’appel;

  • Le Comité a commis une erreur de droit en ne classant pas la conduite comme étant du harcèlement sexuel ou une agression sexuelle.
  • Les mesures disciplinaires imposées sont manifestement déraisonnables.

[15] L’appelant affirme que le Comité a intentionnellement mal classé les actes de l’intimé comme des « attouchements non consensuels à des fins sexuelles », le décrivant comme un « client ivre » dans l’intention d’imposer des mesures disciplinaires moins sévères.

3. Arguments en appel de l’intimé

[16] L’intimé a fourni sa réponse le 15 janvier 2020 (Dossier, p. 211 à 220).

[17] L’intimé soutient que l’appelant tente d’ajouter de nouveaux motifs qui n’ont pas été mentionnés à l’origine dans l’Avis d’audience disciplinaire et que le fait que le Comité n’ait pas qualifié les actes de l’intimé comme étant du harcèlement sexuel ou une agression sexuelle ne constituait pas une erreur susceptible de contrôle.

[18] L’intimé insiste sur le fait que les mesures disciplinaires imposées par le Comité sont raisonnables et étayées par la preuve et ajoute que les conclusions du Comité étaient fondées sur des preuves crédibles, évaluées et prises en compte de façon appropriée.

4. Contre-preuve de l’appelant

[19] L’appelant a fourni une contre-preuve le 21 février 2020 (Dossier, p. 233-236).

[20] L’appelant renvoie au paragraphe 33(1) des Consignes du commissaire (griefs et appels) (CC [griefs et appels]) où le commissaire est expressément tenu de déterminer si la décision qui fait l’objet d’un appel contrevient aux principes d’équité procédurale, était entachée d’une erreur de droit ou était manifestement déraisonnable, mais prétend que cette disposition ne crée pas en soi une norme de contrôle.

[21] L’appelant soutient que la norme de contrôle appropriée pour déterminer si l’intimé a commis une agression sexuelle ou du harcèlement sexuel est celle de la décision correcte, et non celle de la décision raisonnable, comme l’a proposé l’intimé.

[22] L’appelant soutient qu’il y avait suffisamment de renseignements pour que l’intimé connaisse la preuve à laquelle il devait répondre et qu’il a tort de dire qu’il ne s’agissait pas d’un événement en milieu de travail.

[23] L’appelant soutient que l’Avis d’audience disciplinaire contenait suffisamment de détails pour appuyer une conclusion selon laquelle la conduite de l’intimé s’apparentait à une agression sexuelle et que cela a été discuté de façon élaborée dans les arguments de l’appelant. Le Comité aurait commis une grave erreur de droit s’il avait jugé que le comportement ne répondait pas à la définition d’agression sexuelle. Au lieu de cela, la question de l’agression sexuelle soulevée dans les arguments n’a pas été abordée par le Comité qui a utilisé à tort l’euphémisme d’« attouchements non consensuels à des fins sexuelles ».

[24] L’appelant souligne que la GRC a l’obligation de protéger ses employés contre le harcèlement sexuel et d’offrir un milieu de travail sécuritaire. En l’espèce, les agressions sexuelles ont eu lieu au cours d’un événement parrainé par la GRC et ouvert exclusivement aux membres de l’équipe antiémeute de la GRC. La responsabilité d’assurer un environnement sans harcèlement s’étend clairement à de telles situations.

[25] Le simple fait que la SIRT ait enquêté rapidement sur les agissements de l’intimé ne change en rien, de l’avis de l’appelant, la nature du comportement de harcèlement sexuel.

[26] L’appelant soutient également que la volonté de l’intimé de recevoir et de poursuivre le traitement est différente de la présentation de preuves d’un traitement réussi et d’une évaluation psychologique favorable en termes de prédiction d’une rechute d’abus d’alcool ou d’inconduite sexuelle.

ANALYSE ET CONCLUSIONS DU CEE

1. Admissibilité à un renvoi et délais

[27] Le CEE a déterminé que l’affaire pouvait être renvoyée, que l’appelant avait la qualité voulue et que les délais étaient respectés.

2. Norme de contrôle applicable

[28] Dans Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, au paragraphe 34, la Cour suprême du Canada (CSC) a souligné que les dispositions législatives qui prescrivent la norme de contrôle applicable doivent être respectées. Dans Smith c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 73, au paragraphe 50, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’il ne faut pas présumer qu’un appel administratif devrait être assujetti aux normes ordinaires de common law en matière de contrôle judiciaire ou de contrôle en appel.

[29] En vertu du paragraphe 33(1) des CC (griefs et appels), je dois déterminer si la décision en appel est manifestement déraisonnable en raison d’erreurs de fait ou d’une question mixte de droit et de fait :

Décision du commissaire

33 (1) Lorsqu’il rend une décision sur la disposition d’un appel, le commissaire évalue si la décision qui fait l’objet de l’appel contrevient aux principes d’équité procédurale, est entachée d’une erreur de droit ou est manifestement déraisonnable.

[30] Le terme « manifestement déraisonnable » est équivalent à la norme de common law de la décision manifestement déraisonnable (Smith c. Canada [Procureur général], 2021 CAF 73, au paragraphe 56; Kalkat c. Canada [Procureur général], 2017 CF 794, au paragraphe 62).

[31] En ce qui concerne le degré de retenue exigé pour la norme de la décision manifestement déraisonnable, le CEE a cité Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 57 :

La différence entre « déraisonnable » et « manifestement déraisonnable » réside dans le caractère flagrant ou évident du défaut. Si le défaut est manifeste au vu des motifs du tribunal, la décision de celui-ci est alors manifestement déraisonnable. […] Comme l’a fait observer le juge Cory dans Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, 1993 CanLII 125 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 941, à la p. 963, « [d]ans le Grand Larousse de la langue française, l’adjectif manifeste est ainsi défini : "Se dit d’une chose que l’on ne peut contester, qui est tout à fait évidente" ». Cela ne veut pas dire, évidemment, que les juges qui contrôlent une décision en regard de la norme du caractère manifestement déraisonnable ne peuvent pas examiner le dossier. Si la décision contrôlée par un juge est assez complexe, il est possible qu’il lui faille faire beaucoup de lecture et de réflexion avant d’être en mesure de saisir toutes les dimensions du problème. […] Mais une fois que les contours du problème sont devenus apparents, si la décision est manifestement déraisonnable, son caractère déraisonnable ressortira.

[32] Le CEE a ensuite expliqué dès qu’un défaut manifestement déraisonnable a été relevé, il peut être expliqué simplement et facilement, de façon à écarter toute possibilité réelle de douter que la décision est viciée ». Une décision manifestement déraisonnable « est à ce point viciée qu’aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir » (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 52). La question pertinente est de savoir s’il existe une analyse rationnelle ou défendable à l’appui de la décision et démontrant que celle-ci n’est pas manifestement irrationnelle (Victoria Times Colonist c. Communications, Energy and Paperworkers, 2008 BCSC 109, conf. 2009 BCCA 229, au paragraphe 65).

[33] Le CEE note qu’il doit faire preuve d’une grande retenue à l’égard du Comité lorsqu’il examine le caractère approprié des mesures disciplinaires imposées (CEE 3200-95-002 [D-043]); passage reproduit et invoqué par le commissaire dans CEE 2400-09-002 [D-121]) :

Les sanctions sont intrinsèquement empreintes d’une subjectivité considérable, et le tribunal de première instance, celui qui entend directement l’affaire dont il est saisi, est le mieux placé pour faire preuve de subjectivité. Une erreur de principe, l’omission de prendre en considération des facteurs atténuants pertinents et importants, la prise en considération de facteurs aggravants non pertinents et l’imposition de mesures disciplinaires manifestement disproportionnées constituent des exemples de situations pouvant justifier l’accueil d’un appel portant sur des sanctions en général. Toutefois, les organes d’appel n’annuleront pas une sanction pour la simple raison qu’ils auraient effectué une évaluation subjective différente de celle qui a été faite par le tribunal de première instance.

3. Divulgation supplémentaire

[34] En appel, l’appelant a inclus le Rapport sur le harcèlement en milieu de travail à la GRC de la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC (Ottawa : avril 2017) (Rapport de la CCETP) (Dossier, p. 94) qui énonce neuf conclusions et dix recommandations relatives au harcèlement en milieu de travail à la GRC.

[35] L’appelant explique très brièvement la pertinence du rapport de la CCETP (Dossier, p. 89). En réponse, l’intimé soutient que l’appelant essaie de présenter de nouveaux éléments de preuve qui peuvent être convaincants, mais qui ne sont pas contraignants pour le Comité de déontologie, et qu’il n’y a eu aucun harcèlement allégué contre l’intimé pendant la procédure relative au Code de déontologie (Dossier, p. 216).

[36] Un appelant peut fournir de nouveaux éléments de preuve s’ils n’étaient pas disponibles au moment de la décision initiale en vertu des CC (griefs et appels) et qu’ils sont prévus par la politique. Malgré cela, le critère concernant « les nouveaux éléments de preuve » énoncé dans Palmer c. la Reine, [1980] 1 RCS 759 (Palmer) doit être satisfait.

[37] Le CEE a jugé le Rapport de la CCETP irrecevable (Rapport, paragraphe. 63).

[38] L’article 32 des CC (griefs et appels) accorde au commissaire (ou à son délégué) un vaste pouvoir discrétionnaire pour déterminer la preuve à accepter et à examiner dans un appel en matière de déontologie :

32. Le commissaire, lorsqu’il examine un appel ou toute question soulevée dans le cadre d’un appel, peut accepter toute preuve présentée par une partie.

[39] Les CC (griefs et appels) indiquent également que la preuve qui n’a pas été présentée au décideur initial ne peut pas être déposée, à moins que l’appelant n’ait pas eu accès à la preuve au moment de la décision contestée [par. 25(2)a)] :

25 (1) Le BCGA accorde à l’appelant la possibilité de déposer des observations écrites et d’autres documents à l’appui de son appel.

Restriction

(2) L’appelant ne peut :

a) déposer un document qui n’a pas été fourni à l’auteur de la décision qui fait l’objet de l’appel si le document était à la disposition de l’appelant au moment où la décision a été rendue;

b) inclure dans ses observations écrites tout nouveau renseignement qui était connu ou aurait pu raisonnablement être connu de l’appelant au moment où la décision a été rendue.

[40] Les limites de l’alinéa 25(2)a) des CC (griefs et appels) sont reflétées dans le Manuel d’administration (MA II.3, section 5.3.1.5, Griefs et appels) :

5.3.1.5 Si l’appelant soumet une argumentation écrite, il ne peut présenter aucun nouvel élément de preuve ni aucune nouvelle information qui n’a pas été présenté à l’intimé pendant les procédures précédant l’appel.

EXCEPTION : l’élément de preuve ou l’information n’était pas, et ne pouvait raisonnablement pas être, connu de l’appelant au moment où la décision écrite faisant l’objet de l’appel a été prise.

[41] Le CEE a recommandé à plusieurs reprises qu’un document soit pertinent et qu’il n’ait pas été raisonnablement disponible avant la décision initiale pour être admissible devant le commissaire (CEE 3300-08-003 [G-501]).

[42] L’alinéa 25(2)a) vise à prévenir l’abus du processus d’appel en permettant l’admission de la preuve en appel qui aurait été disponible au moment de l’audience. De plus, il veille à ce qu’un décideur dispose de tous les renseignements disponibles avant de prendre une décision.

[43] Le CEE a expliqué les critères énoncés dans Palmer afin de déterminer si de nouveaux éléments de preuve peuvent être admis en appel (Palmer; Fondation David Suzuki c. Canada [Santé], 2018 CF 379, par. 13 à 19) (Rapport, paragraphe 68) :

  1. Si cela est dans l’intérêt de la justice.
  2. Les éléments de preuve n’auraient pu être raisonnablement présentés pendant l’audience.
  3. La preuve est pertinente à une question.
  4. La preuve est crédible.
  5. S’ils se révèlent fondés, les éléments de preuve pourraient raisonnablement avoir influé sur la décision du Comité. Je note que tous ces critères doivent être respectés pour que la preuve supplémentaire soit examinée en appel.

[44] Le CEE a conclu que les éléments du critère Palmer concernant le Rapport de la CCETP n’avaient pas été respectés (Rapport, paragraphe 69).

[45] Tout d’abord, le CEE a déterminé que l’élément de diligence raisonnable n’était pas respecté parce que le Rapport de la CCETP existait et aurait pu être fourni au Comité.

[46] La première audience dans cette affaire a débuté en mars 2019. Toutefois, le Rapport de la CCETP a été publié deux ans plus tôt en avril 2017. L’appelant n’a fourni aucune explication quant aux raisons pour lesquelles il n’a pas été déposé au cours des audiences disciplinaires.

[47] Deuxièmement, le CEE a déterminé que l’exigence de la pertinence était satisfaite. Le Rapport de la CCETP décrit spécifiquement le harcèlement sexuel au sein de la GRC, suivi de recommandations sur la façon dont la GRC peut traiter la question. Le Rapport de la CCETP donne des détails sur l’importance de traiter et de gérer adéquatement les incidents de harcèlement. Le CEE a décrit le Rapport de la CCETP comme un reflet des changements que la GRC souhaitait apporter, en soulignant pourquoi les tentatives précédentes ont échoué.

[48] Troisièmement, le CEE a déterminé que l’exigence de la crédibilité avait été satisfaite parce que le Rapport avait été rédigé par la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes, ne laissant aucun doute quant à l’authenticité et à la fiabilité.

[49] Quatrièmement, le CEE a conclu que l’exigence de la force probante n’avait pas été satisfaite, notamment en raison du fait qu’il n’y avait aucune indication que le document en question aurait eu une incidence sur le décideur en l’espèce.

[50] Le Comité a établi un ton clair dès le début et de façon constante tout au long de la décision selon laquelle les actes de l’intimé étaient graves et que la GRC a clairement indiqué qu’une telle conduite ne serait pas tolérée.

[51] En fin de compte, le CEE a soutenu que les éléments du critère Palmer n’étaient pas respectés et que le Rapport de la CCETP ne devrait pas être admis en preuve aux fins de l’appel.

Fondement de l’appel

[52] L’appelant soulève deux principaux motifs d’appel :

  1. Le Comité a commis une erreur de droit en ne concluant pas que l’intimé s’était livré à un harcèlement sexuel ou à une agression sexuelle.
  2. La décision de sanction du Comité est manifestement déraisonnable.

1. Harcèlement sexuel et agression sexuelle

A. Arguments de l’appelant

[53] L’appelant est d’avis que le Comité a commis une erreur de droit en ne qualifiant pas les actes de l’intimé d’agression sexuelle, et en les qualifiant plutôt d’« actes d’attouchement non consensuel à des fins sexuelles ».

[54] L’appelant soutient que la description erronée de l’incident par le Comité a donné lieu à l’imposition de mesures disciplinaires moins sévères, ce qui explique pourquoi l’appelant soutient qu’un examen devrait avoir lieu selon la norme de la décision correcte.

[55] L’appelant souligne que l’intimé a admis tous les éléments d’agression sexuelle, plus précisément qu’il a touché les deux collègues à des fins sexuelles sans leur consentement.

[56] L’appelant soutient que les mesures disciplinaires ne reflètent pas la gravité de la conduite de l’intimé.

[57] Dans Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 RCS 1252 (Janzen), la CSC a décrit un critère pour le harcèlement sexuel :

Le harcèlement sexuel en milieu de travail peut être défini de façon générale comme une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d’emploi pour les victimes de harcèlement.

[58] L’appelant soutient que le Comité a commis une erreur en n’appliquant pas le critère de Janzen.

[59] L’appelant allègue en outre que l’inconduite a eu lieu lors d’un événement organisé par la GRC, auquel seuls des membres de la GRC ont assisté, et qu’elle s’est donc qualifiée comme une extension du milieu de travail. Par conséquent, l’appelant prétend que les actes de l’intimé devraient être considérés comme du harcèlement sexuel.

[60] L’appelant soutient que la description de l’inconduite par le Comité, qui indique qu’elle est « celle d’un client ivre lors d’une soirée au bar », a mal caractérisé ce qui s’est produit et a plutôt mis l’accent sur le lieu de l’inconduite.

[61] L’appelant soutient que la caractérisation du Comité a non seulement banalisé à quel point la conduite de l’intimé était préjudiciable à l’environnement de travail, mais a également ignoré les conséquences négatives sur la carrière des victimes.

B. Arguments de l’intimé

[62] L’intimé soutient que l’affirmation de l’appelant selon laquelle le Comité a commis une erreur de droit est une question de fait, établissant la norme de contrôle appropriée comme étant celle de la décision raisonnable, en faisant preuve d’une grande retenue (Dossier, p. 211-220).

[63] L’intimé n’est pas d’accord avec la position de l’appelant selon laquelle le Comité n’a pas correctement classifié ses agissements. Au contraire, l’intimé suggère que l’appelant tente de modifier l’Avis d’audience disciplinaire pour que l’incident soit reclassifié et passe d’« attouchements non souhaités » à une agression sexuelle ou à du harcèlement sexuel.

[64] L’intimé décrit cela comme la tentative de l’appelant de « modifier le dossier afin d’obtenir un résultat différent ». Il soutient que l’absence d’accusations en vertu du Code criminel ou d’allégations semblables dans l’Avis d’audience disciplinaire démontre que l’appelant tente d’obtenir un résultat préférable.

[65] L’intimé n’est pas d’accord avec l’interprétation de l’appelant à l’égard de Janzen, affirmant plutôt qu’elle avait été prise hors contexte :

Premièrement, la référence se trouve dans une section portant le titre : « Le harcèlement sexuel constitue‑t‑il de la discrimination sexuelle? ». Deuxièmement, la Cour a poursuivi dans le paragraphe cité en disant que le harcèlement sexuel au travail est un « abus de pouvoir ». De plus, « [e]n imposant à un employé de faire face à des gestes sexuels importuns ou à des demandes sexuelles explicites, le harcèlement sexuel sur le lieu de travail est une atteinte à la dignité de la victime et à son respect de soi, à la fois comme employé et comme être humain ».

[66] L’intimé soutient que les faits présents se distinguent de Janzen. Il fait valoir que la différence importante est que sa conduite à l’égard des gendarmes 1 et 2 était un acte isolé et a été traitée immédiatement par la direction, alors que ce qui s’est passé dans Janzen concernait des « gestes sexuels importuns ou des demandes sexuelles explicites en milieu de travail » continus.

[67] L’intimé souligne qu’il n’y a eu aucune allégation de harcèlement dans le cadre de la procédure. S’il y avait eu des allégations semblables, des exigences légales particulières auraient dû être respectées, par exemple, les CC (enquête et règlement des plaintes de harcèlement)) et l’article 2.1 du Code de déontologie.

[68] L’intimé réitère que le Comité a fondé sa décision sur l’Avis d’audience disciplinaire qui a énoncé des allégations de conduite déshonorante et non de harcèlement.

C. Contre-preuve de l’appelant

[69] Selon l’appelant, conformément au paragraphe 33(1) des CC (griefs et appels) (Dossier, p. 233-236), [TRADUCTION] « le commissaire est expressément tenu de déterminer si la décision qui fait l’objet d’un appel contrevient aux principes d’équité procédurale, était entachée d’une erreur de droit ou était manifestement déraisonnable, mais ne crée pas en soi une norme de contrôle ».

[70] L’appelant soutient que, selon Vavilov, la norme de la décision correcte est la norme de contrôle en appel pour les questions de droit.

[71] Bien que le paragraphe 43(3) de la Loi sur la GRC exige que l’Avis d’audience disciplinaire soit « suffisamment précis » concernant l’allégation afin de permettre à l’intimé de préparer une réponse adéquate, l’appelant insiste sur le fait que l’Avis d’audience disciplinaire présentait tous les éléments essentiels pour aider à déterminer que l’intimé a commis une agression sexuelle.

[72] L’appelant soutient en outre que le Comité aurait commis une grave erreur de droit en concluant que l’intimé n’a pas commis d’agression sexuelle, mais qu’il a plutôt simplement ignoré les arguments de l’appelant.

[73] L’appelant affirme que [TRADUCTION] « soutenir que les victimes n’étaient pas "tenues de contester des attouchements non souhaités ou des demandes sexuelles explicites sur le lieu de travail" simplement parce que l’incident s’est produit dans un pub plutôt qu’au détachement est tout simplement erroné et démontre un manque de perspicacité » (Dossier, p. 236). L’appelant soutient que l’obligation de la GRC de protéger les employés contre le harcèlement sexuel et de maintenir un milieu de travail sécuritaire concerne également les activités parrainées par la GRC à l’extérieur du milieu de travail.

Analyse du CEE

[74] Bien que l’appelant affirme que le Comité a voulu permettre l’imposition de mesures disciplinaires moins sévères, ce qui explique pourquoi il n’a pas classifié les actes de l’intimé comme une agression sexuelle, selon le CEE, l’appelant demande au Comité de se prononcer sur des allégations qui n’ont pas été alléguées dans l’Avis d’audience disciplinaire.

[75] Le CEE a conclu que le Comité avait conclu à juste titre qu’il y avait eu contravention à l’article 7.1 du Code de déontologie, en se fondant sur l’allégation de l’autorité disciplinaire. Plus précisément, le Comité était d’accord avec la qualification de l’incident, à savoir que l’intimé a touché la gendarme 1 et la gendarme 2 de manière sexuelle sans leur consentement (Rapport, paragraphe 92).

[76] Le CEE a fait référence au paragraphe 45(1) de la Loi sur la GRC qui stipule que « Le Comité de déontologie décide, selon la prépondérance des probabilités, si les allégations de contravention à l’une ou plusieurs des dispositions du Code de déontologie énoncées dans l’avis signifié en vertu du paragraphe 43(2) ont été établies » (soulignement du CEE) (Rapport, paragraphe 92).

[77] Bien qu’il ait eu la possibilité de le faire, l’appelant n’a pas inclus de références précises au harcèlement sexuel ou à l’agression sexuelle dans l’Avis d’audience disciplinaire. Au lieu de cela, les précisions qualifiant les allégations selon lesquelles l’intimé avait touché les victimes « à des fins sexuelles sans leur consentement » (Rapport, paragraphe 93).

[78] Le CEE s’est référé à une décision de la Cour fédérale pour le principe qu’un avis d’audience énonce les allégations de fait contre lesquelles le demandeur doit se défendre pendant la procédure et que les conclusions en dehors de ces énoncés détaillés sont inappropriées (Gill c. Canada [Procureur général], 2006 CF 1106 [Gill], paragraphe 67) (Rapport, paragraphe 93) :

À mon avis, le Comité d’arbitrage n’a pas fourni au demandeur un avis adéquat des allégations d’inconduite soulevées contre lui. Il ne suffit pas que l’énoncé de l’inconduite précise la date et le lieu exacts où l’incident est survenu, ou que l’annexe jointe à l’avis d’audience disciplinaire contienne des allégations concernant le fait d’avoir frappé le véhicule du plaignant et d’avoir empoigné ce dernier à la gorge. L’avis d’audience exposait des allégations de faits contre lesquelles le demandeur devait se défendre au cours de l’instance, c’est-à-dire qu’il avait manqué de courtoisie et de respect envers Sherbuck, et qu’il l’avait, notamment, raillé verbalement. On ne peut pas dire, d’après ces allégations, que le demandeur était en mesure de préparer une défense appropriée contre les allégations selon lesquelles il avait frappé le véhicule de Sherbuck et employé une force excessive au moment de l’arrêter. Je suis d’accord avec le demandeur que le Comité d’arbitrage a débordé à tort le cadre de l’énoncé détaillé en tirant les conclusions d’inconduite.

[79] Le CEE a fait remarquer que le Comité a utilisé le libellé de l’Avis d’audience disciplinaire et qu’une conclusion de harcèlement sexuel ou d’agression sexuelle déborderait du cadre de l’énoncé détaillé, tel qu’allégué par l’appelant. Une allégation de harcèlement sexuel est très grave et ne devrait pas servir à appuyer les arguments selon lesquels l’intimé devrait être licencié alors que cela n’a jamais été allégué au départ (Rapport, paragraphe 94). Après tout, l’intimé a droit à l’équité procédurale, doit avoir une possibilité raisonnable de répondre aux allégations et doit recevoir un avis approprié de ces allégations (Rapport, paragraphe 94).

[80] Le CEE a fait référence au Guide des mesures disciplinaires et au fait qu’il n’exige pas un renvoi direct pour les cas de harcèlement, même dans les cas graves, qui incluraient, sans s’y limiter, le harcèlement sexuel; le Guide des mesures disciplinaires recommande plutôt une sanction pécuniaire de 20 jours au congédiement pour le harcèlement sexuel, ce qui est conforme à ce que le Comité a imposé en tout état de cause pour l’allégation 2 (Rapport, paragraphe 95).

[81] De plus, le CEE a conclu que le Comité n’avait pas commis d’erreur en ne classifiant pas les actes de l’intimé comme du harcèlement sexuel parce qu’il n’y avait aucune référence au harcèlement sexuel présentée par l’appelant dès le début dans l’Avis d’audience disciplinaire. Par conséquent, le Comité n’a pas commis d’erreur en n’appliquant pas le critère du harcèlement sexuel (Rapport, paragraphe 96).

[82] Le CEE a également noté qu’il y a une distinction entre cette affaire et l’affaire CEE C-2019-005 (C-042) (Caram). Dans Caram, l’autorité disciplinaire a fait état d’une allégation de harcèlement sexuel dans l’Avis d’audience disciplinaire, et en appel, j’ai conclu que le Comité avait mal analysé la question de savoir si l’intimé avait été victime de harcèlement sexuel dans cette affaire. Toutefois, en l’espèce, il n’y a pas eu d’allégation de harcèlement sexuel dans l’Avis d’audience disciplinaire (Rapport, paragraphe 97).

[83] Le CEE a expliqué que si une autorité disciplinaire souhaite modifier l’Avis d’audience disciplinaire, elle doit le faire d’une manière qui soit équitable sur le plan de la procédure pour le membre, par exemple en demandant un ajournement pour modifier l’Avis d’audience disciplinaire initial, puisque le membre a le droit de savoir quelles allégations sont portées contre lui. Il est inéquitable sur le plan de la procédure qu’une autorité disciplinaire présente de nouvelles allégations à l’étape de l’audience disciplinaire ou en appel de la décision d’un comité de déontologie (Rapport, paragraphe 98).

Analyse de la commissaire

[84] En ce qui a trait au premier motif d’appel de l’appelant concernant une erreur de droit, je suis d’accord avec le CEE pour dire que cet argument soulève en fait une question de fait.

[85] Je ne crois pas que le Comité ait commis une erreur en ne déclarant pas que l’intimé s’était livré à un harcèlement sexuel ou à une agression sexuelle. En bref, en vertu du paragraphe 45(1) de la Loi sur la GRC, le Comité était lié par le contenu de l’Avis d’audience disciplinaire et ne pouvait donc décider si une infraction à une disposition du Code de déontologie avait eu lieu qu’en se fondant sur les dispositions contenues dans l’Avis. En réalité, l’appelant n’a jamais utilisé l’un ou l’autre des termes dans l’Avis d’audience disciplinaire.

[86] Il ne fait aucun doute que l’événement social de l’équipe antiémeute au pub après la formation a constitué une situation dans laquelle le régime relatif au harcèlement en milieu de travail de la GRC et l’article 2.1 du Code de déontologie s’appliqueraient. Le Comité a évidemment reconnu ce lien en faisant observer que « le fait de consommer de l’alcool au point de ne pas pouvoir se souvenir de son propre comportement lors d’une activité sociale en dehors des heures de travail, mais liée au travail constitue une situation où la responsabilité personnelle a clairement fait défaut » [Je souligne] (Décision, p. 82).

[87] Toutefois, l’appelant a choisi de procéder au moyen d’allégations de conduite déshonorante en vertu de l’article 7.1 du Code de déontologie :

7.1 – Les membres se comportent de manière à éviter de jeter le discrédit sur la Gendarmerie.

[88] Il incombait donc à l’appelant de déterminer comment l’incident aurait dû être qualifié et décrit dans l’Avis d’audience disciplinaire. Un comité de déontologie ne peut pas déborder à tort du cadre de l’énoncé détaillé, comme l’a suggéré l’appelant (Gill, paragraphe 67).

[89] Toute lacune de l’Avis d’audience disciplinaire aurait dû être traitée de façon appropriée et équitable sur le plan de la procédure. Je suis d’accord avec le CEE pour dire qu’une tentative de traiter de nouvelles allégations à l’étape de l’argumentation de l’audience disciplinaire ou en appel soulèverait des questions importantes d’équité procédurale.

[90] À mon avis, le Comité n’a commis aucune erreur en ne décrivant pas expressément la conduite de l’intimé comme du harcèlement sexuel. Une allégation de harcèlement sexuel en vertu de l’article 2.1 du Code de déontologie devait être incluse dans l’Avis d’audience disciplinaire. L’appelant ne l’a pas fait.

[91] Je suis également d’accord avec le CEE pour dire que l’appelant tente d’obtenir une réévaluation de la preuve. Toutefois, pour que j’intervienne, je dois déterminer que la décision du Comité est tellement manifestement déraisonnable que la preuve ne permet pas de justifier sa conclusion (Colombie‑Britannique [Workers’ Compensation Appeal Tribunal] c. Fraser Health Authority, 2016 CSC 25, paragraphe 30).

[92] Pour ce motif d’appel, ce n’est tout simplement pas le cas.

[93] Comme l’a souligné le CEE, les faits de Caram se distinguent facilement parce que dans le présent appel, il n’y a aucune allégation de harcèlement sexuel dans l’Avis d’audience disciplinaire. Lorsque le harcèlement sexuel n’est pas allégué, la disposition applicable du Code de déontologie est l’article 7.1, conduite déshonorante.

[94] Je voudrais faire quelques commentaires sur la terminologie couramment utilisée par les autorités disciplinaires et les comités de déontologie pour décrire un comportement qui, bien qu’il ne soit pas examiné sous le couvert du Code criminel, équivaut manifestement à une agression sexuelle sous un autre nom. En l’espèce, l’appelant a décrit le comportement de l’intimé dans l’Avis d’audience disciplinaire comme des attouchements « à des fins sexuelles sans […] consentement ». Par ailleurs, le Comité a utilisé le terme « actes d’attouchement non consensuel à des fins sexuelles » après avoir conclu que l’intimé avait saisi les seins de la gendarme 1 et peu après, il a déplacé ses mains sur le ventre nu de la gendarme 2 en direction de ses seins. Bien que l’article 7.1 du Code de déontologie soit rédigé en termes généraux, « [l]es membres se comportent de manière à éviter de jeter le discrédit sur la Gendarmerie », et le terme « inconduite sexuelle » utilisé dans le Guide des mesures disciplinaires ait été défini par la GRC comme « tout geste, toute parole ou tout comportement inapproprié à caractère sexuel », il n’y a pas de désaccord avec la Cour d’appel de l’Alberta (Calgary [City] v CUPE Local 37, 2019 ABCA 388, au paragraphe 33), selon laquelle [TRADUCTION] « saisir et presser le sein d’une autre personne sans son consentement est une agression sexuelle ». De même, je suis convaincue que le choix de la terminologie n’a pas minimisé l’opinion du Comité quant à la gravité des actes de l’intimé (voir par exemple, la décision, aux paragraphes 73, 82, 84 à 85).

[95] En fait, la question de la terminologie ainsi que d’autres aspects du Guide des mesures disciplinaires de la GRC et de l’imposition de sanctions découlant du harcèlement sexuel et de l’inconduite sexuelle a récemment fait l’objet d’un examen approfondi de la part de deux experts externes dans le domaine de la discipline policière, et leur rapport et leurs recommandations devraient aider la GRC à mettre à jour le Guide des mesures disciplinaires, à mieux articuler et appliquer les principes de sanction et à améliorer la formation des autorités disciplinaires.

2. Mesures disciplinaires

A. Arguments de l’appelant

[96] L’appelant soutient que les mesures disciplinaires imposées par le Comité sont manifestement déraisonnables pour trois raisons :

  1. Le Comité a commis une erreur en ne tenant pas compte de la totalité des éléments de preuve;
  2. Le Comité a commis une erreur en n’accordant une considération et un poids appropriés à la déclaration de la victime de la gendarme 1; et
  3. Le Comité a commis une erreur en ne considérant pas que le congédiement constituait la mesure disciplinaire appropriée dans les circonstances.

[97] L’appelant affirme également que le Comité n’a fourni qu’un bref commentaire sur la déclaration de la victime fournie par la gendarme 1 et n’a pas analysé l’ensemble des répercussions sur la gendarme 1. L’appelant cite le paragraphe 82 de la décision, où le Comité a formulé un commentaire sur la déclaration de la victime dans le cadre des facteurs aggravants :

L’incidence de l’inconduite du membre visé sur les deux gendarmes qui ont subi ses attouchements non souhaités doit être considérée comme une circonstance aggravante, même si seule la gend. 1 a fourni une déclaration officielle en tant que victime. Il y a ici un élément indéniable : l’inconduite a brisé l’important lien de confiance qui devrait exister entre les policiers et leurs collègues. De plus, un certain nombre d’autres membres ont observé des aspects de l’inconduite du membre visé.

[98] L’appelant allègue que le Comité a tenu davantage compte des lettres de soutien à l’intimé que de la déclaration de la victime. L’appelant soutient que la déclaration de la victime de la gendarme 1 a été « banalisée par rapport à l’attention accordée à chacune des lettres de personnes de référence personnelle du membre visé, dont aucune n’a été directement touchée par son comportement ».

[99] L’appelant insiste sur le fait que le Comité aurait dû tenir davantage compte de la déclaration dans laquelle la gendarme 1 indique « se sentir trahie par un collègue policier, les problèmes familiaux qui ont suivi, la nécessité de consulter un professionnel, la nausée ressentie lorsqu’elle a été forcée de revivre l’incident, la honte de ne pas poursuivre les faits au criminel et d’autres effets très profonds que l’inconduite a eus sur elle. »

[100] L’appelante allègue que le fait que le Comité n’a pas accordé à la déclaration de la victime de la gendarme 1 le poids qu’il convient a entraîné l’imposition de mesures disciplinaires moins sévères.

[101] De plus, l’appelant soutient que la preuve ne confirme pas la probabilité de réadaptation de l’intimé telle qu’elle est décrite dans l’analyse du Comité. L’appelant fait remarquer qu’il n’y a pas eu de preuve d’expert présentée au Comité au sujet de la consommation d’alcool par l’intimé, de ses démarches pour assister aux réunions des Alcooliques anonymes ou de toute autre mesure à l’appui de la conclusion du Comité selon laquelle sa réadaptation était probable.

[102] L’appelante précise que les séances de counseling de l’intimé visaient à régler des « problèmes personnels », et non sa surconsommation d’alcool. De plus, l’appelant croit qu’aucune des questions susmentionnées n’a été traitée ou n’aurait pu être traitée par des services de counseling. L’appelant affirme que le rapport du conseiller-thérapeute ne contenait aucune opinion, aucun plan de traitement ni aucun diagnostic et qu’il n’a été présenté au Comité par le représentant de l’intimé qu’après que le Comité l’ait demandé.

[103] L’appelant continue d’affirmer que le Comité n’a pas les « connaissances spécialisées ou les compétences scientifiques » pour évaluer lui-même si l’intimé est effectivement réhabilité ou a la capacité d’être réhabilité. L’appelant ajoute que la conclusion du Comité selon laquelle l’intimé était prêt à suivre un traitement était « purement spéculative ».

[104] L’appelant insiste sur le fait que, en omettant de conclure que le renvoi était la mesure disciplinaire appropriée à imposer, le Comité a pris une décision qui était manifestement déraisonnable.

[105] L’appelant allègue également que le Comité a interprété à tort les éléments de dissuasion générale dans l’affaire Commandant de la DG et du MC Calandrini, 2018 DARD 10 (Calandrini), et affirme que l’interprétation correcte et vraie est qu’il y a « une politique de tolérance zéro en ce qui a trait à l’inconduite sexuelle du type de celle affichée par l’intimé » (Dossier, p. 91)

[106] L’appelant soutient qu’en refusant d’ordonner le renvoi de l’intimé, le Comité permet à une personne qui a agressé sexuellement deux collègues de sexe féminin lors d’une activité liée au travail à continuer d’être gendarme. L’appelant soutient que Calandrini appuie le congédiement de l’intimé (Calandrini, paragraphe 175) :

Il y a, toutefois, un besoin bien documenté de dissuasion générale. Bien avant les dates visées par cet avis d’audience disciplinaire, les questions liées au harcèlement sexuel au sein de la GRC étaient au cœur des préoccupations du commissaire, qui a publié une série de bulletins internes à l’intention des employés et entamé des discussions avec les médias en ce qui concerne la politique de tolérance zéro. Les mesures disciplinaires imposées pour ce type de contraventions doivent renforcer cette position. Il s’agit de contraventions graves qui méritent une réponse sérieuse en termes de mesures disciplinaires. La dissuasion générale est particulièrement importante dans ce cas.

B. Argumentation de l’intimé

[107] L’intimé souligne que l’appelant n’a fourni aucune précision sur la façon dont le Comité a commis une erreur dans l’examen de la preuve.

[108] L’intimé n’est pas d’accord avec l’appelant pour dire que le Comité a commis une erreur. Au contraire, l’intimé affirme que le Comité est autorisé à examiner la preuve fournie par les deux parties et à imposer des mesures disciplinaires comme cela a été fait en l’espèce.

[109] L’intimé soutient que les facteurs aggravants ou atténuants sont pesés avec toute latitude et, par conséquent, examinés selon une norme de la décision raisonnable. L’intimé soutient que le Comité a tenu dûment compte de la déclaration de la victime et qu’elle l’a correctement soupesée.

[110] Étant la seule personne à témoigner à l’audience disciplinaire, l’intimé soutient que le fait que le Comité ait consacré beaucoup de temps à sa preuve ne devrait pas être étonnant.

[111] L’intimé insiste sur le fait que les mesures disciplinaires ordonnées par le Comité étaient dans les limites de sa compétence. De plus, l’intimé est d’avis que la Loi sur la GRC et les CC (déontologie) n’exigent pas une sanction pécuniaire minimale ni un congédiement automatique pour la conduite de l’intimé, et que l’appelant n’a pas non plus fourni de précédent analogue à la présente affaire où le congédiement était la mesure disciplinaire imposée.

[112] L’intimé souligne que le Comité n’a pas eu besoin d’une preuve d’expert ni n’en exigeait une étant donné sa position pour entendre la preuve de l’intimé. Le Comité s’est penché sur les problèmes de santé de l’intimé et a ordonné qu’il reçoive le traitement que le médecin-chef jugeait nécessaire. L’intimé soutient que le Comité n’a pas commis d’erreur et que la décision est raisonnable.

C. Contre-preuve de l’appelant

[113] L’appelant soutient que les conclusions du Comité reposaient sur une présomption, surtout en ce qui concerne la volonté présumée de l’intimé de suivre un traitement avec succès.

[114] L’appelant affirme qu’il s’agit d’une erreur de la part du Comité, principalement en raison du fait que l’intimé n’avait pas pris l’initiative auparavant de suivre un traitement, surtout lorsqu’il n’y a pas de counseling antérieur ou d’évaluation psychologique favorable, qui sont des outils à utiliser pour prédire la probabilité d’une rechute.

D. Analyse du CEE

Commentaires généraux

[115] Le CEE a reconnu qu’il s’agissait là d’un cas extrêmement difficile. Les événements qui se sont déroulés ont eu et continueront d’avoir des répercussions durables sur les victimes, particulièrement comme elles sont présentées dans la déclaration de la victime de la gendarme 1 (Rapport, paragraphe 110).

[116] Le CEE a fait remarquer qu’il existe des circonstances atténuantes globales et convaincantes dans cette affaire. Sans ces circonstances, sa recommandation aurait peut-être été très différente (Rapport, 111).

[117] En résumé, le CEE estime que le comportement de l’intimé est inacceptable, reconnaissant que ce type de comportement doit normalement être traité par les mesures les plus sévères (Rapport, paragraphe 111).

[118] Le CEE a cerné des facteurs atténuants très solides et convaincants dans cette affaire, qui ont été clairement précisés et examinés par le Comité. Compte tenu de ces facteurs atténuants, le CEE était d’accord avec le Comité pour dire que le renvoi n’est pas approprié dans ces circonstances particulières (Rapport, paragraphe 112).

[119] En examinant les transcriptions, le CEE a déterminé qu’il est clair que l’intimé a assumé l’entière responsabilité de ses actes, même s’il ne se souvient pas de ce qui s’est passé en raison de son niveau d’intoxication (Rapport, paragraphe 112).

[120] L’intimé s’est également excusé auprès des gendarmes 1 et 2 pendant son témoignage, et semblait avoir préparé des lettres d’excuses à leur intention, mais il lui était interdit de les envoyer parce qu’il ne pouvait avoir aucun contact avec les victimes pendant l’enquête et la procédure (Rapport, paragraphe 112).

[121] Le CEE mentionne les nombreuses lettres de soutien qui ont parlé de la bonne réputation de l’intimé, dont la majorité déclarait que ce type de comportement était très inhabituel de sa part (Rapport, paragraphe 113).

[122] Les superviseurs et collègues de l’intimé l’ont tous décrit comme quelqu’un de compatissant, honnête, dévoué et fiable. Il est décrit comme une personne hautement professionnelle et aimable, tant dans sa vie professionnelle que personnelle, et il est reconnu pour son intégrité (Rapport, paragraphe 113).

[123] Le CEE a également fait remarquer que ses évaluations du rendement et ses récompenses prouvent à quel point il est apprécié comme membre de la GRC, alors que de nombreuses autres personnes de référence ont parlé de ses qualités personnelles exemplaires. L’intimé n’a jamais fait l’objet de mesures disciplinaires (Rapport, paragraphe 114).

Analyse de la commissaire

[124] Je suis d’accord avec le CEE. Il s’agit d’un cas très difficile, dont l’issue aura des répercussions à vie.

[125] Le CEE a accordé une grande importance aux facteurs atténuants et à l’influence qu’ils avaient sur les sanctions, à l’exception du congédiement.

[126] Je suis d’accord avec l’analyse du CEE.

[127] Bien qu’il y ait eu des facteurs aggravants dans cette situation, à la lumière des facteurs atténuants, de la proportionnalité et des intérêts en jeu, je suis prête à accepter que la décision du Comité de ne pas ordonner le renvoi dans les circonstances n’est pas manifestement déraisonnable.

[128] L’intimé a reconnu le préjudice causé, il a coopéré dans le cadre de l’enquête, il a assumé la responsabilité de ses actes, il a présenté des excuses aux deux victimes dans son témoignage (bien que non directement) et il a préparé des lettres pour les deux victimes.

[129] Bien que je ne considère pas cela comme une excuse pour sa conduite, je suis convaincue que, d’après mon examen des documents, du dossier et de la décision, il est évident que les événements qui se sont déroulés le soir en question, en particulier le comportement répugnant de l’intimé, étaient inhabituels pour lui.

[130] Ses pairs ont parlé de lui de façon élogieuse, ses évaluations de rendement étaient positives et, surtout, il a fait preuve d’intégrité dans la façon dont il s’est comporté après l’incident; une qualité qu’on lui avait déjà reconnue.

[131] L’intimé n’avait jamais fait l’objet de mesures disciplinaires, ce qui est également un facteur pertinent à prendre en considération, particulièrement dans les cas d’inconduite grave comme celui-ci.

i. Conclusions étayées par la preuve

[132] L’appelant fait valoir qu’en l’absence de preuve d’expert, le Comité n’aurait pas dû tirer de conclusions au sujet de la réadaptation, car il n’avait pas les connaissances spécialisées requises pour le faire, et qu’il dépassait la portée de sa compétence pour conclure que l’intimé avait des chances d’être réhabilité.

[133] L’appelant soutient en outre que la conclusion du Comité selon laquelle l’intimé était prêt à suivre un traitement à l’avenir est « à la fois spéculative et ignore la preuve indiquant que l’intimé ne l’a pas fait malgré qu’il ait eu des problèmes graves au travail en raison de sa consommation d’alcool » (Dossier, p. 93).

[134] Selon le CEE, l’intimé a assisté à des séances de counseling organisées pour lui dans le cadre du Programme d’aide aux employés. Dans son témoignage, l’intimé a déclaré qu’il n’avait pas consommé d’alcool depuis les incidents (Rapport, paragraphe 116).

[135] Le CEE reconnaît que même si le témoignage d’un conseiller n’est pas considéré comme une « preuve d’expert », le fait que l’intimé ait assisté à des séances de counseling et qu’il ait l’intention de continuer à le faire démontre sa volonté et sa motivation à obtenir de l’aide (Rapport, paragraphe 116).

[136] L’appelant allègue que seule une preuve spécifique d’un expert peut être utilisée pour évaluer la probabilité de réadaptation de l’intimé. L’appelant ne mentionne aucune exigence juridique ni aucun précédent à l’appui de cette affirmation (Rapport, paragraphe 116).

[137] Le CEE a souligné que le Comité est le mieux placé pour évaluer la crédibilité de l’intimé. Et, ce faisant, le Comité a raisonnablement conclu ce qui suit (Dossier, p. 27, 31) (Rapport, paragraphe 116) :

Pendant son témoignage, le membre visé a mentionné que les séances de counseling lui ont permis de confirmer que l’alcool « ne devrait avoir aucune part dans [sa] vie ». J’estime que cette réalisation par le membre visé est authentique et qu’il la prend très au sérieux; il sera consciencieux et veillera à ne pas consommer de l’alcool. J’accepte qu’il a maintenant appris comment détecter et gérer le stress et y faire face, y compris comment demander de l’aide efficace lorsqu’il se sent désemparé par le stress et l’anxiété.

[…]

J’accepte que le membre visé n’ait pas consommé d’alcool depuis l’incident, et il semble fermement résolu à ne pas en consommer.

Compte tenu de la volonté du membre visé d’accepter tout autre examen et traitement requis, j’estime qu’il est très peu probable que le membre visé soit de nouveau en état d’ébriété avancé et qu’il est très peu probable qu’il commette de nouveau une telle inconduite. J’estime que le potentiel de réadaptation du membre visé est très élevé.

[138] Le CEE ne tolère pas le comportement de l’intimé et souligne que la surconsommation d’alcool n’excuse pas les actes de l’intimé. Toutefois, le CEE mentionne qu’il n’est pas déraisonnable pour le Comité de croire que l’intimé était sincère dans son témoignage sous serment dans lequel il a déclaré qu’il a appris à traiter les facteurs de stress, en particulier en acceptant que l’alcool n’eût aucune place dans sa vie (Rapport, paragraphe 117).

[139] Le CEE a conclu que l’appelant n’a fourni aucune raison pour laquelle l’intimé ne devrait pas être jugé crédible dans son témoignage. Les préoccupations concernant l’absence de preuves d’experts concernant ses actions ou ses intentions de demander une aide pour se réadapter ne sont pas une raison suffisante pour douter de sa crédibilité (Rapport, paragraphe 117).

[140] Dans Pizarro c. Canada (Procureur général), 2010 CF 20 (Pizzaro), la Cour fédérale a infirmé la décision en appel du commissaire rejetant la preuve d’expert qui était fondamentale pour comprendre pourquoi le membre s’était engagé dans une conduite déshonorante (Rapport, paragraphe 118).

[141] Le CEE a déterminé que la présente affaire pouvait être distinguée de Pizarro principalement en raison du fait que la preuve d’expert n’est pas nécessaire pour comprendre pourquoi l’intimé s’est livré à une telle conduite ou s’il a des chances de se réadapter (Rapport, paragraphe 118).

[142] En l’espèce, le Comité était le mieux placé pour évaluer la crédibilité de l’intimé. Ce principe a été mis en évidence dans la décision C-006 du commissaire aux paragraphes 10 à 12, citant l’affaire Barreau du Haut-Canada c. St-Fort, [2001] DDAN no 67, dans le cadre d’une instance portant sur l’inconduite professionnelle d’un barreau. Dans cette affaire, le Comité d’appel du Barreau du Haut-Canada a établi la norme d’appel qu’il entendait suivre dans les affaires impliquant des appels de décisions du Comité d’audience, en précisant (paragraphe 29) (Rapport, paragraphe 119) (soulignement du CEE) :

[TRADUCTION]

La déférence reposait traditionnellement sur l’avantage très réel du juge de première instance dans l’évaluation de la crédibilité des témoins. En particulier lorsque des conclusions explicites de crédibilité ont été faites, qui portent sur l’observation directe des témoins, il se peut fort bien que rien dans le dossier ne donne à penser qu’une telle conclusion serait déraisonnable. Mais cette déférence s’applique également même lorsqu’aucune preuve orale n’a été entendue et qu’aucune conclusion n’a été tirée de l’observation du comportement ou de la personne devant le tribunal.

[143] L’appelant n’a présenté aucune preuve d’une erreur susceptible de contrôle commise par le Comité dans l’analyse de la crédibilité de l’intimé. Quoi qu’il en soit, l’absence de preuves d’experts précises ne constitue pas une erreur de la part du Comité.

[144] Par conséquent, le CEE a conclu que la décision du Comité selon laquelle l’intimé avait des chances d’être réhabilité n’était pas manifestement déraisonnable (Rapport, paragraphe 120).

Analyse de la commissaire

[145] L’appelant a consacré beaucoup d’efforts à contester la compétence du Comité pour déterminer la probabilité de la réadaptation de l’intimé.

[146] Je crois que l’appelant a mal compris l’évaluation du Comité. Il semble que l’appelant aborde la conclusion du Comité en matière de réadaptation d’un point de vue clinique, d’une manière semblable à un genre d’évaluation psychologique de la santé mentale et du bien-être de l’intimé. À mon avis, l’approche du Comité englobait des principes de détermination de la peine tels que le châtiment, le dédommagement, la réinsertion sociale, dans le but de déterminer si l’intimé pourrait éventuellement, après le traitement, redevenir un membre actif de la GRC et surmonter ses difficultés personnelles.

[147] À l’instar du CEE, je ne vois aucune raison de remettre en question la crédibilité du témoignage de l’intimé. L’appelant n’a présenté aucune preuve suggérant le contraire, et l’absence de preuve d’expert ne me pousse pas à m’écarter de ma conclusion.

[148] En résumé, lorsque le Comité parle de réadaptation, il ne se concentre pas uniquement sur la consommation d’alcool de l’intimé, mais aussi sur sa capacité à composer avec les facteurs de stress dans sa vie.

[149] Le CEE a souligné ce point en citant spécifiquement Pizarro et le fait que des preuves d’experts ne sont pas nécessaires pour déterminer la probabilité d’une réadaptation dans une affaire comme celle dont je suis saisie.

[150] En fin de compte, je suis portée à être d’accord avec le Comité et je ne trouve pas sa conclusion manifestement déraisonnable. Si l’intimé continue de suivre les recommandations du médecin-chef, qui peuvent inclure, sans toutefois s’y limiter, la sobriété, il y a une forte probabilité de réadaptation à la suite de l’incident, si l’on tient compte de tous les autres facteurs influents.

ii. Considération et poids de la déclaration de la victime de la gendarme 1

[151] L’appelant soutient que, lorsqu’il a examiné les facteurs aggravants énumérés par le Comité, celui-ci n’a pas classifié la conduite comme étant du harcèlement sexuel en milieu de travail. Ce faisant, le Comité n’a pas évalué l’incidence sur les victimes et leur relation avec le milieu de travail (Dossier, p. 90).

[152] L’appelant est d’avis que la « totalité de l’expérience négative de la gendarme 1 à la suite de l’inconduite de [l’intimé] méritait une considération plus importante » qu’elle ne l’a reçue, particulièrement si on compare cela avec les réflexions du Comité sur les références de l’intimé.

[153] Le CEE n’est pas d’accord avec l’appelant et a conclu que le Comité n’avait pas commis d’erreur dans son examen des renseignements contenus dans la déclaration de la victime de la gendarme 1 (Rapport, paragraphe 121).

[154] Le CEE a reconnu que le Comité avait effectivement tenu compte de plusieurs des préoccupations exprimées par la gendarme 1 et qu’il a indiqué que ces préoccupations auraient pu être mieux traitées dans le cadre d’une plainte de harcèlement plutôt que dans le cadre d’une affaire disciplinaire (Dossier, p 32; Rapport, paragraphe 121).

[155] Le CEE a reconnu que ce que la gendarme 1 avait subi était et continuera d’être traumatisant et aura un impact durable sur elle. Le CEE a souligné qu’aucun membre de la GRC ne devrait avoir à vivre ce que les gendarmes 1 et 2 ont vécu en avril 2018 (Rapport, paragraphe 122).

[156] La majeure partie de la déclaration de la victime de la gendarme 1 (Documents, p. 215) décrit un impact durable sur elle. Malgré cela, l’ensemble de l’impact ne peut pas être attribué directement à l’intimé.

[157] La gendarme 1 souligne qu’une partie du traumatisme découle de ses sentiments d’abandon, en particulier de personnes qu’elle pensait être des amis, des personnes qui ne l’ont jamais contactée pour voir comment elle allait.

[158] La gendarme 1 a également qualifié son expérience de l’enquête de la SIRT d’horrible. En raison de l’incident, la gendarme 1 manquait, sans le savoir, de sommeil au point de s’endormir lorsqu’elle était au volant, mettant sa vie en danger ainsi que celles d’autres personnes.

[159] La gendarme 1 a également indiqué qu’elle éprouvait beaucoup de ressentiment à l’égard de la GRC en tant qu’organisation pour ne pas l’avoir tenue au courant de l’évolution de l’enquête et de l’audience, malgré ses nombreuses demandes.

[160] La gendarme 1 a exprimé sa frustration de voir que la réponse qu’elle a reçue citait la « confidentialité » comme raison pour laquelle l’organisation ne la mettait pas au courant des développements ou de l’évolution de l’enquête.

[161] Le CEE souligne qu’aucun de ces éléments n’est directement imputable à l’intimé, sous son contrôle ou son influence (Rapport, paragraphe 122).

[162] Je peux cependant confirmer qu’à la suite de ma décision dans Caram, les politiques et les procédures de la GRC ont été examinées par le dirigeant principal des ressources humaines et l’agent de la responsabilité professionnelle en vue d’assurer un meilleur soutien aux victimes et d’incorporer des obligations plus axées sur les victimes pour les gestionnaires de la GRC. Je m’attends à ce que les politiques pertinentes mises à jour soient bientôt publiées.

[163] Je reconnais que la gendarme 1 participe maintenant à une thérapie pour l’aider à gérer l’impact de cet incident sur sa vie. La gendarme 1 a souligné que si l’intimé regrettait sincèrement les événements qui se sont produits, il aurait fait des efforts raisonnables pour s’excuser.

[164] Le CEE fait remarquer que l’intimé s’est en fait excusé dans son témoignage (Documents, p. 377) et qu’il avait rédigé une lettre d’excuses et était prêt à l’envoyer à la gendarme 1 lorsque et si cela lui était permis (Documents, p. 382; Rapport, par. 123).

[165] Le CEE recommande à l’intimé d’adresser immédiatement ses excuses aux gendarmes 1 et 2 dès que possible (Rapport, paragraphe 123).

[166] L’appelant semble avoir une vision entièrement différente de la façon dont les événements se sont déroulés devant le Comité, soulignant que le Comité a ignoré les déclarations de la gendarme 1 indiquant « se sentir trahie par un collègue policier, les problèmes familiaux qui ont suivi, la nécessité de consulter un professionnel, la nausée ressentie lorsqu’elle a été forcée de revivre l’incident, la honte de ne pas poursuivre les faits au criminel et d’autres effets très profonds que l’inconduite a eus sur elle. »

[167] Le CEE a rejeté les affirmations de l’appelant. Le CEE était d’avis que le Comité avait lu clairement la déclaration de la victime et l’avait incluse dans les facteurs aggravants à l’encontre de l’intimé (Rapport, paragraphe 125).

Analyse de la commissaire

[168] En ce qui a trait à l’examen de la déclaration de la victime de la gendarme 1 et le poids qui lui a été accordé par le Comité, je suis d’accord avec le CEE.

[169] Comme je l’ai déjà mentionné, je reconnais les traumatismes que les gendarmes 1 et 2 ont vécus, ainsi que les difficultés futures qu’elles peuvent avoir à surmonter à la suite de cet incident.

[170] Toutefois, je dois tenir compte de tous les facteurs, aussi divers qu’ils puissent être dans l’évaluation de la décision du Comité.

[171] La responsabilité du traumatisme causé à la gendarme 1 en raison d’un manque de soutien, et par sa mauvaise expérience avec la SIRT, ne peut être entièrement assumée par l’intimé.

[172] Cela dit, je ne nie pas le lien entre l’effet de ce qui est arrivé à la gendarme 1 et l’incident lui-même.

[173] Après un examen minutieux de la décision du Comité et de la recommandation du CEE, je suis d’accord avec le CEE. Le Comité était le mieux placé pour déterminer le poids de la déclaration de la victime et je ne vois aucune justification pour intervenir.

iii. Mesure disciplinaire appropriée

[174] Le CEE a déterminé que le Comité avait bien déterminé la gamme de mesures appropriées. Le CEE a également reconnu que le Comité avait examiné les cas présentés par les deux parties à l’appui de leur position, qu’il avait examiné la proportionnalité et la nécessité d’une dissuasion spécifique et générale (Rapport, paragraphe 126).

[175] Le CEE a noté que le Comité avait correctement qualifié et énuméré un vaste éventail de facteurs atténuants et aggravants qui avaient été pris en compte avant d’imposer des mesures disciplinaires (Rapport, paragraphe 126).

[176] Les facteurs atténuants de l’intimé comprenaient 13 lettres de soutien d’autres membres et gestionnaires de la GRC qui ont travaillé avec lui. Tous les répondants ont indiqué que l’intimé était professionnel, fiable, travailleur, compatissant et courtois (Rapport, paragraphe 127).

[177] En plus des lettres de soutien, l’intimé a reçu plusieurs lettres de mention élogieuse pour ses actes de bravoure et un certificat d’appréciation pour son travail. Les fiches de rendement de l’intimé ont également été présentées et examinées (Rapport, paragraphe 127).

[178] Après un examen minutieux de ces documents, le Comité a été convaincu que les actes de l’intimé étaient inhabituels (Dossier, p. 30; Rapport, paragraphe 127).

[179] Le Comité a également examiné des facteurs aggravants, notamment la gravité de l’inconduite, l’absence de tout trouble de consommation d’alcool ou de drogues ou d’autres problèmes de santé mentale qui auraient pu contribuer à une consommation excessive d’alcool, le fait qu’il puisse consommer jusqu’à ce niveau d’intoxication et toucher sexuellement deux collègues et l’incidence sur les deux victimes (Dossier, p. 31; Rapport, paragraphe 128).

[180] Le Comité a discuté de la possibilité d’un congédiement, en concluant finalement que le congédiement ne serait pas proportionné à l’inconduite, étant donné notamment que « des mesures importantes en dehors du congédiement peuvent dénoncer, punir et corriger de façon adéquate l’inconduite [de l’intimé], ainsi que déterminer et surveiller toute thérapie de réadaptation nécessaire » (Dossier, p. 32; Rapport, paragraphe 129).

[181] Le Comité a déclaré que « la sévérité de ces confiscations de solde tient compte de deux des principales circonstances aggravantes : le caractère intrusif des attouchements et les messages antérieurs envoyés par la Gendarmerie à tous les employés au sujet du caractère inacceptable du harcèlement sexuel et de l’inconduite sexuelle » (Dossier, p. 33; Rapport, paragraphe 130).

[182] Le CEE a confirmé que le Comité ne s’est appuyé que sur la preuve présentée et qu’il était le mieux placé pour relever les circonstances atténuantes et aggravantes, et a imposé des mesures disciplinaires qui, à son avis, auraient un effet dissuasif spécifique et une sanction proportionnée pour l’intimé, ainsi qu’un effet dissuasif général sur les autres membres de la GRC (Rapport, paragraphe 131).

[183] Le CEE a conclu que les éléments de preuve dont le Comité était saisi corroboraient ses conclusions selon lesquelles l’intimé avait compris le degré de gravité de ses actes et leur incidence négative sur les victimes (Rapport, paragraphe 132).

[184] Le CEE a souligné que l’intimé a pleinement coopéré à l’enquête, n’a pas causé de retard inutile et n’a généralement pas contesté les allégations ou les précisions (Rapport, paragraphe 132).

[185] L’intimé a fait preuve de remords sincères pour ses actes et est allé jusqu’à demander à recevoir un traitement (Rapport, paragraphe 132).

[186] En examinant la trajectoire de carrière de l’intimé, il est évident que son passé avec la GRC a été excellent et qu’il n’avait jamais fait l’objet de mesures disciplinaires (Rapport, paragraphe 132).

[187] Malgré cela, le CEE a qualifié le traitement par l’intimé des gendarmes 1 et 2 d’horrifiant. L’intimé n’était pas seulement en sérieux état d’ébriété, mais il était même en état de « black-out », des comportements inacceptables pour un membre de la GRC, qu’il soit en service ou non (Rapport, paragraphe 133).

[188] Le CEE a noté que ce comportement n’était pas planifié, n’était pas persistant et qu’il était fondé sur la preuve dont le Comité était saisi, et qu’il était inhabituel de la part de l’intimé (Rapport, paragraphe 133).

[189] En évaluant la gamme de mesures disciplinaires de la catégorie des cas graves, comme le recommande le Guide de mesures disciplinaires, tant dans le cas du harcèlement (20 jours jusqu’au congédiement) que dans les cas de conduite déshonorante (15 jours jusqu’au congédiement), ainsi que les facteurs atténuants et aggravants, les mesures disciplinaires du Comité de 15 jours et de 20 jours de solde sont raisonnables, et le CEE recommande que je les confirme (Rapport, paragraphe 134).

[190] Le CEE recommande également que les autres mesures disciplinaires soient maintenues (Rapport, paragraphe 134).

Analyse de la commissaire

[191] Je suis d’accord avec le CEE pour dire que le Comité n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle dans la détermination et l’imposition de sanctions. La tâche du Comité n’a pas été facile et, comme l’a souligné le CEE, je dois faire preuve d’une grande retenue envers le Comité. Je remercie le président pour son analyse approfondie et réfléchie.

[192] Le Comité a décrit et soigneusement évalué un certain nombre de facteurs aggravants et atténuants avant d’imposer des mesures disciplinaires, y compris la déclaration de la victime, ainsi que 13 lettres de soutien, des lettres de mention élogieuse pour acte de bravoure, sans parler de la clarté sous-jacente selon laquelle les actes étaient inhabituels pour lui.

[193] Je dois souligner que l’examen des facteurs atténuants n’est pas entrepris pour minimiser ces événements et, en particulier, l’incidence des actions de l’intimé sur les victimes. Je suis convaincue que le Comité a examiné tous les facteurs pertinents, y compris la proportionnalité et un éventail d’intérêts importants découlant des victimes, la nécessité de mettre un terme à l’inconduite sexuelle dans la Gendarmerie par le biais d’une dissuasion spécifique et générale et le maintien de la confiance du public dans la GRC. À l’instar du CEE, j’estime que le raisonnement du Comité est compréhensible et justifiable.

[194] Enfin, je reconnais que la décision du Comité sur les mesures disciplinaires ne donne pas lieu à une erreur manifeste et déterminante et que cette décision n’est donc pas manifestement déraisonnable.

[195] J’avertis l’intimé, cependant, que toute infraction future au Code de déontologie marquera certainement la fin de sa carrière à la GRC.

Recommandations du CEE

[196] Le CEE recommande que je confirme les mesures disciplinaires imposées en ce qui concerne les allégations 1 et 2.

[197] Le CEE recommande également que toutes les mesures disciplinaires et les directives générales données par le Comité soient maintenues.

[198] Enfin, le CEE recommande que j’ordonne à l’intimé de suivre une formation de sensibilisation afin de mieux comprendre comment ses actes ont eu une incidence sur les victimes.

DÉCISION

[199] Conformément à l’alinéa 45.16(3)a) de la Loi sur la GRC, je confirme les mesures disciplinaires imposées par le Comité.

[200] Conformément à la recommandation du CEE, j’ordonne à l’appelant d’organiser une formation de sensibilisation appropriée à l’intention de l’intimé afin qu’il comprenne mieux comment ses actes ont affecté les victimes, et maintenant que la procédure disciplinaire et les conditions provisoires qui lui ont été imposées sont terminées, j’ordonne à l’intimé d’envoyer ses lettres d’excuses à l’appelant sans délai afin qu’elles puissent être remises aux gendarmes 1 et 2.

[201] L’appel est rejeté.

 

 

 

Brenda Lucki

Commissaire

 

Date

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.