Déontologie

Informations sur la décision

Résumé :

Le caporal Doerr a été accusé de deux infractions au Code de déontologie de la GRC, l’une en contravention à l’article 2.1 pour ne pas avoir traité toute personne avec respect et courtoisie, et l’autre en contravention de l’article 3.2 pour avoir abusé de son autorité. Les infractions mettaient en cause des communications excessives et inappropriées avec sa subalterne et la menace d’une enquête pour manquement au Code de déontologie contre la conjointe de sa subalterne après qu’elle eut dit au caporal Doerr d’arrêter ses agissements.
L’affaire a donné lieu à une audience disciplinaire, du 28 février au 4 mars 2022, à Nanaimo (Colombie-Britannique). En plus d’examiner les documents d’enquête, le comité de déontologie a entendu le témoignage de trois témoins. Même si bon nombre des détails n’ont pas été établis, il y en avait suffisamment pour que je conclue que les deux allégations étaient fondées. Le caporal Doerr a démissionné de la GRC avant l’imposition de mesures disciplinaires, ce qui a fait que le Comité de déontologie n’a pas eu compétence pour le sanctionner.

Contenu de la décision

Protégé A

2022 DAD 07

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GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

Audience intéressant

une audience disciplinaire tenue au titre de la

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C., 1985, ch. R-10

Entre :

le surintendant principal Michel Legault

Autorité disciplinaire

et

le caporal Bartholomew Doerr

Numéro de matricule 48481

Membre visé

Décision du comité de déontologie

Gerald Annetts

Le 4 mai 2022

Sergent d’état-major Jonathan Hart, représentant de l’autorité disciplinaire

Mme Allison Tremblay, représentante du membre visé


table des matières

RÉSUMÉ 3

INTRODUCTION 3

ALLÉGATIONS 4

Décision sur l’allégation 1 20

Communications continues, excessives et importunes 21

Incidents individuels de harcèlement 31

Décision sur l’allégation 2 35

DÉCISION 37

 

RÉSUMÉ

Le caporal Doerr a été accusé de deux infractions au Code de déontologie de la GRC, l’une en contravention à l’article 2.1 pour ne pas avoir traité toute personne avec respect et courtoisie, et l’autre en contravention de l’article 3.2 pour avoir abusé de son autorité. Les infractions mettaient en cause des communications excessives et inappropriées avec sa subalterne et la menace d’une enquête pour manquement au Code de déontologie contre la conjointe de sa subalterne après qu’elle eut dit au caporal Doerr d’arrêter ses agissements.

L’affaire a donné lieu à une audience disciplinaire, du 28 février au 4 mars 2022, à Nanaimo (Colombie-Britannique). En plus d’examiner les documents d’enquête, le comité de déontologie a entendu le témoignage de trois témoins. Même si bon nombre des détails n’ont pas été établis, il y en avait suffisamment pour que je conclue que les deux allégations étaient fondées. Le caporal Doerr a démissionné de la GRC avant l’imposition de mesures disciplinaires, ce qui a fait que le Comité de déontologie n’a pas eu compétence pour le sanctionner.

INTRODUCTION

[1] L’autorité disciplinaire a lancé l’audience disciplinaire dans cette affaire le 29 mars 2021. Une allégation d’inconduite a été portée contre le caporal Doerr relativement à ses communications avec sa subalterne. Une deuxième allégation portait sur le fait qu’il a menacé de lancer une enquête en déontologie contre la conjointe de sa subalterne lorsqu’elle lui a dit de cesser ces communications. L’inconduite aurait eu lieu entre le 20 mars 2019 et le 24 mars 2020. Le 7 avril 2021, j’ai été nommé au Comité de déontologie.

[2] Conformément au paragraphe 15(3) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291, le caporal Doerr a fourni sa réponse à l’avis d’audience disciplinaire. Dans sa réponse, le caporal Doerr a admis certains détails, mais il a nié les deux allégations d’inconduite. Compte tenu de la nature des allégations, de la preuve contre le caporal Doerr et de sa réponse aux allégations, j’ai jugé nécessaire d’entendre des témoignages de vive voix. L’affaire a fait l’objet d’une audience disciplinaire du 28 février au 4 mars 2022, et j’ai entendu trois témoins.

ALLÉGATIONS

[3] Les allégations sont libellées ainsi dans l’avis d’audience disciplinaire :

SACHEZ qu’il est allégué que vous avez commis les infractions suivantes au Code de déontologie de la GRC :

Énoncés détaillés communs aux deux allégations

1. Pendant toute la période pertinente, vous étiez un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affecté à la Division E, en Colombie-Britannique.

2. Vous étiez superviseur au grade de caporal pour le Groupe intégré de la sécurité routière (GISR) de North Island, situé à Courtenay/Comox, en Colombie-Britannique.

3. La gendarme [T.N.] ([T.N.]) a accepté une affectation de trois mois au GISR, à partir de son poste d’attache au Détachement de la GRC de Sidney/North Saanich. L’affectation a débuté le 19 mars 2019 et s’est terminée à la fin de juin 2019. Le 17 février 2020, la gendarme [T.N.] a officiellement été mutée au GISR. Vous étiez le superviseur direct de la gendarme [T.N.] et vous étiez en position d’autorité par rapport à elle, à la fois pendant qu’elle était détachée au GISR et par la suite, quand elle y a été mutée. La gendarme [T.N.] a comme aspiration professionnelle de devenir analyste de la circulation.

4. Vous et la gendarme [T.N.] ne vous connaissiez pas personnellement jusqu’à ce qu’elle commence à travailler au GISR. Vous avez échangé vos coordonnées personnelles et communiqué à la fois au travail et en dehors du travail. Vos communications comprenaient l’échange de textos sur vos iPhone personnels respectifs.

5. La gendarme de la GRC [S.F.] ([S.F.]) est la conjointe de la gendarme [T.N.]. Elles vivaient ensemble à Nanaimo, en Colombie-Britannique.

6. Le 10 juillet 2020, la gendarme [T.N.] a déposé une plainte de harcèlement contre vous (formulaire 3919 de la GRC). La plainte a fait l’objet d’une enquête en matière de harcèlement par les enquêteuses Joanne Callens et Cara McMillan, de Henri Investigations Inc. Une deuxième lettre de mandat concernant votre présumé abus d’autorité a fait l’objet d’une enquête par Henri Investigations Incorporated. Le 18 mars 2021, votre conseillère juridique, Mme Allison Tremblay, a indiqué que votre déclaration aux enquêteurs sur le harcèlement pourrait être utilisée pour les besoins liés au Code de déontologie.

7. Le gendarme Bill Pickering (Pickering) a été affecté au GISR en juillet 2019, et vous étiez son superviseur.

8. Le sergent d’état-major Kevin Quail (Quail) est le [sous-officier responsable] des Services de la circulation de North Vancouver Island et du Groupe intégré de la sécurité routière de North Island, et il travaille au Détachement de Campbell River. L’inspecteur Tim Walton (Walton) est [l’officier responsable].

Allégation 1 Le 20 mars 2019, ou entre cette date et le 24 mars 2020, à Courtenay, Campbell River et Nanaimo, en Colombie-Britannique, ou dans les environs, le caporal Bartholomew Doerr a omis de traiter toute personne avec respect et courtoisie et s’est livré au harcèlement, en contravention de l’article 2.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé

1. Vous avez eu, à répétition, une série de comportements inappropriés et offensants, y compris des actes, propos ou exhibitions répréhensibles qui ont diminué, rabaissé, humilié ou embarrassé personnellement la gendarme [T.N.]. Vous n’avez pas obtempéré aux demandes répétées de la gendarme [T.N.] de cesser de chercher à établir avec elle une relation autre que strictement professionnelle. Vous avez également commis des actes d’intimidation et proféré des menaces à l’endroit de la gendarme [T.N.]. Vos actions offensantes étaient directement reliées à votre rôle de supervision du GISR au sein de la GRC.

2. La gendarme [T.N.] vous a informé que vos communications incessantes étaient du harcèlement, qu’elles l’offensaient et qu’elles causaient, à elle et à sa famille, de graves angoisses mentales. Votre harcèlement répété à l’endroit de la gendarme [T.N.] comprenait les incidents énumérés et catégorisés ci-après :

No 1 – Commentaires déplacés au sujet de l’apparence de la gendarme [T.N.]

3. Au cours de votre premier quart de travail, vous et la gendarme [T.N.] vous déplaciez ensemble dans un véhicule de police. La gendarme [T.N.] a décrit comment, pour le travail, elle porte ses cheveux dans une tresse française avec un chignon à l’arrière. Sans justification, vous avez déclaré ce qui suit à la gendarme [T.N.] : [TRADUCTION] « Je veux que tu te sentes tout à fait à l’aise avec moi, tu sais, tu peux laisser tes cheveux détachés. » La gendarme [T.N.] a dit qu’elle pensait que c’était [TRADUCTION] « vraiment étrange » que vous commentiez son apparence dès votre première rencontre. Du fait de votre commentaire, la gendarme [T.N.] s’est sentie à la fois mal à l’aise et préoccupée par le fait que vous agissiez de façon louche. Vous ne niez pas avoir fait un commentaire sur les cheveux de la gendarme [T.N.].

4. La gendarme [T.N.] a ajouté que vos commentaires déplacés au sujet de son apparence ou de ses cheveux n’étaient pas un incident isolé et n’étaient pas faits dans un but affectueux. À la fin de février 2020, vous avez exercé des pressions sur la gendarme [T.N.] pour qu’elle retire sa casquette afin que vous puissiez voir [TRADUCTION] « ses cheveux détachés », chose qu’elle a rapidement refusée.

5. Vous avez omis de traiter la gendarme [T.N.] avec respect et courtoisie en milieu de travail. Vos commentaires concernant l’apparence personnelle de la gendarme [T.N.] manquaient de professionnalisme et étaient suggestifs sur le plan sexuel et harcelants.

No 2 – Fait de tirer parti de votre poste de superviseur pour poursuivre une relation avec la gendarme [T.N.]

6. La gendarme [T.N.] reconnaît avoir noué une amitié professionnelle avec vous, mais elle a toujours considéré que vous étiez son superviseur et a toujours cherché à maintenir une relation professionnelle. Vous avez exercé des pressions sur la gendarme [T.N.] pour qu’elle étende votre amitié professionnelle à sa vie personnelle, y compris après la fin de son détachement au GISR. Vos tentatives répétées de communiquer avec la gendarme [T.N.] lui ont causé de l’inconfort, et elle vous en a informé : [TRADUCTION] « à maintes reprises, je lui en ai parlé, et j’ai dit écoute, il faut que tu me laisses tranquille » et [TRADUCTION] « Je veux simplement que mon milieu de travail soit convivial, je ne veux pas qu’il y ait de problèmes, soyons juste amis au travail. »

7. Le 5 décembre 2019, vous vous êtes présenté au tribunal pour observer la gendarme [T.N.] témoigner alors que vous étiez en congé. À la suite de son témoignage, vous avez insisté pour que la gendarme [T.N.] socialise avec vous autour d’un lunch et d’un café. Lorsque la gendarme [T.N.] a protesté en disant qu’elle devait retourner au travail parce qu’elle faisait un quart de travail supplémentaire, vous l’avez informée que, en tant que superviseur, vous aviez un contrôle complet sur elle et que vous écriviez ses [TRADUCTION] « évaluations » et qu’elle ne se mettrait pas dans le pétrin parce que [TRADUCTION] « c’est moi qui prends cette décision ». Le fait que vous ayez tiré parti de votre poste de supervision et de votre autorité par rapport à la gendarme [T.N.] pour tisser une amitié avec elle est une démonstration de vos comportements de harcèlement. Du fait de vos actions, la gendarme [T.N.] a ressenti de la pression non désirée et de l’anxiété.

No 3 – Communications déraisonnables répétées avec la gendarme [T.N.] par téléphone et par textos

8. Vous n’avez pas respecté le désir de la gendarme [T.N.] de maintenir une relation de travail professionnelle et vous lui avez envoyé de nombreux textos excessivement affectueux. Vous avez également, à répétition, fait des commentaires verbaux déplacés à l’endroit de la gendarme [T.N.] lors d’appels téléphoniques. Voici quelques exemples de vos communications harcelantes :

a) Vous avez demandé à la gendarme [T.N.] de vous envoyer un texto à son retour du travail. Vous avez ignoré les déclarations de la gendarme [T.N.], qui vous demandait d’arrêter de prendre de ses nouvelles et disait qu’elle allait bien et que [TRADUCTION] « pas de nouvelles, bonnes nouvelles ». Vous avez également fait des reproches à la gendarme [T.N.] parce que vous étiez [TRADUCTION] « resté debout » à vous inquiéter pour elle quand elle négligeait de vous faire savoir qu’elle était rentrée chez elle après un quart de travail. De manière inappropriée, vous avez fait en sorte que la gendarme [T.N.] se sente coupable si elle ne répondait pas à vos textos lui demandant où elle se trouvait. Vous avez en outre informé la gendarme [T.N.] que vous ne preniez pas également des nouvelles du gendarme Pickering après un quart de travail pour la raison suivante : [TRADUCTION] « Je ne m’inquiète pas pour lui comme je m’inquiète pour toi. »

b) Vous n’avez pas tenu compte de la déclaration de la gendarme [T.N.] selon laquelle les communications étaient [TRADUCTION] « très nombreuses » et [TRADUCTION] « éprouvantes pour ma relation ». La gendarme [T.N.] vous a informé verbalement que sa conjointe n’était pas nécessairement jalouse, mais plutôt que vos communications étaient excessives et qu’elle voulait seulement un « milieu de travail sain ». La gendarme [T.N.] vous a aussi déclaré clairement – malgré les pressions constantes que vous exerciez pour tenter de la conquérir par des textos – qu’elle n’était [TRADUCTION] « tout simplement pas attirée par les hommes ». Vous avez ignoré ses demandes d’arrêter et vous avez continué de la harceler.

c) La gendarme [T.N.] a également décrit comment les textos incessants ont commencé après un mois de travail seulement et qu’elle en recevait [TRADUCTION] « tous les deux jours ». Les textos se sont poursuivis même après votre congé de maladie et malgré le fait que vous aviez reconnu que la gendarme [T.N.] [TRADUCTION] « avait clairement établi » que son temps personnel avec sa famille lui appartenait. Vous n’avez pas tenu compte de ses demandes de cesser vos agissements.

d) La gendarme [T.N.] se souvient que, le jour de l’Halloween, vous lui avez envoyé un texto disant : [TRADUCTION] « Je pense que tu es tellement merveilleuse », auquel elle a répondu en vous demandant d’arrêter et en ajoutant que vous la mettiez mal à l’aise. La gendarme [T.N.] craignait que si elle était trop ferme avec vous, en tant que son superviseur, cela nuirait à sa capacité d’obtenir un poste à temps plein au GISR.

e) Vous avez à la fois texté et déclaré verbalement à la gendarme [T.N.] qu’elle vous donnait [TRADUCTION] « des papillons dans le ventre ». Lorsque la gendarme [T.N.] vous a informé que cette déclaration la mettait mal à l’aise, vous avez répondu que vous [TRADUCTION] « plaisantiez » et que vous parliez de la même façon à vos filles. La gendarme [T.N.] est votre subalterne et votre collègue. Elle ne fait pas partie de votre famille.

f) Vous avez temporairement respecté la demande de la gendarme [T.N.] de cesser de communiquer avec elle, mais, selon les mots de la gendarme [T.N.], elle avait l’impression que vous [TRADUCTION] « la cherchiez tout le temps ». La gendarme [T.N.] craignait des répercussions professionnelles si elle ne communiquait pas avec vous et, lorsqu’elle vous ignorait, vous envoyiez simplement plus de textos ou appeliez d’un autre numéro. Comme l’a dit la gendarme [T.N.] : [TRADUCTION] « Je lui ai dit à maintes reprises que je voulais un milieu de travail amical et professionnel seulement », et elle a essayé de mettre un terme aux appels téléphoniques, mais vous n’avez pas respecté sa volonté et vous avez simplement continué de lui parler, ce qui a accru son inconfort.

g) Vous avez texté et téléphoné à la gendarme [T.N.] sous prétexte de vouloir discuter du travail, puis, dans ses propres mots : [TRADUCTION] « … cela nous amenait à la question suivante : que fais-tu? Comment va ta vie familiale? Qu’est-ce que tu ressens? Tu me manques. J’adore travailler avec toi. J’ai hâte que tu arrives. J’ai hâte de travailler avec toi chaque jour. » La gendarme [T.N.] a décrit comment vos commentaires l’ont rendue [TRADUCTION] « mal à l’aise », ajoutant qu’elle croyait que vous étiez flirteur, trop affectueux et que vous cherchiez plus qu’une simple relation de travail.

h) La gendarme [T.N.] a fourni des copies de vos textos entre le 10 janvier et le 22 mars 2020, qui comprenaient les déclarations ouvertement affectueuses suivantes : [TRADUCTION] « Tu restes à Courtenay ou CR ce soir? « Tu me manques »; « Et notre divorce professionnel imminent »; « Je veux simplement jouer un rôle important dans ta vie. Pas plus de 10 heures par jour en dehors du temps de travail. Je suis fort. Je peux attendre. J’attendrai avec impatience ton appel, mais je peux le supporter! »; « Assure-toi de rentrer chez toi en toute sécurité et envoie-moi un texto quand tu arriveras. Je me suis inquiété pour toi. » « J’ai juste pensé que je devais partager ça avec toi. Je pense à toi! »; « J’adorerais te parler »; « Je suis en train de couler à cause de toi! … Quoi qu’il arrive, réponds-moi s’il te plaît. Je me soucie de toi. Ou appelle-moi parce que je me soucie de toi. Ou appelle-moi parce que je me soucie vraiment de toi! »

i) Vous avez fourni des copies de textos échangés entre vous-même et la gendarme [T.N.] entre le 21 décembre 2019 et le 24 mars 2020, qui comprenaient vos déclarations suivantes, ouvertement affectueuses et hautement personnalisées : [TRADUCTION] « Bart Doerr veut savoir si tu vas bien aujourd’hui!»; « Salut, LB. Comment ça va? », « Quand tu seras à Campbell River, peut-être que nous pourrions nous rencontrer parce que [K.R.] veut vraiment te rencontrer. Les filles aimeraient bien me voir aussi… »; « Salut LB comment ça va!?!… »; « Tu es fantastique! … Passe une excellente nuit et dors bien. »; « Salut [T.N.], c’est [K.R.]… Encore une fois, pas de pression, mais Bart dit "dépêche-toi" »; « Joyeux 17e anniversaire [T.N.]! Regarde cette vidéo sur YouTube ». « C’est Bart. C’était formidable de se voir et de rencontrer enfin [S.F.]. Dommage qu’elle me déteste! Je pars pour gâter [K.R.] pour son anniversaire. Prends soin de toi. »; « Peut-être que nous pourrons bientôt parler… Tu me manques »; « Dépêche-toi avec NOS avocats, puis viens ici et aide-moi à creuser »; « [T.N.] c’est Bart Doerr. Appelle-moi quand tu auras le temps. »; « Schpeak? (ce à quoi elle a répondu : Non, désolée) Pas de problème LB. Je suis fort. Je peux attendre. J’attendrai avec impatience notre appel, mais je peux le supporter!»; « Rappelle-toi seulement de la chance que tu as de m’avoir comme ami! Maintenant, ça doit certainement te faire sentir mieux! »; « Alors, est-ce que toi et moi allons juste nous croiser sans nous regarder ni dire un mot, et échanger nos porte-documents? Et puis, [A] est triste que tu ne restes pas longtemps. » « Hé! Comment ça va aujourd’hui!?! … Bonjour [T.N.]. Comment vas-tu? »; « Alors, est-ce que tu as envie de parler ... Est-ce que je peux t’appeler ... Alors, comment devrais-je t’appeler? »; « J’espère que tu as passé une excellente journée amusante et excitante aujourd’hui! … Salut [T.N.] c’est Bart Doerr. Je prie pour que tout aille bien pour toi aujourd’hui. »; « Je m’inquiète pour toi, ma petite. Parler peut aider »; « C’est tout à fait toi!! (Captures d’écran d’Elaine Benes) »; « Regarde cette vidéo sur YouTube. (Vidéo de Bonnie Tyler – Total Eclipse of the Heart) »; « Can u Schlesigner Schpeak hahahaha »; « Tu es la meilleure!!! La plus meilleure »; « Je demande comment tu vas vraiment juste parce que je me soucie de toi et de ton bien-être… Tu es une personne fantastique [T.N.]. »; « Passe une journée super géniale aujourd’hui [T.N.]! »; et « Je pense à toi parce que je me soucie de toi. Tu me fais penser à des côtelettes de porc (hein??) en t’imaginant avec ta famille. » Oui, certainement pas des côtelettes de porc. « Prends soin de toi et nous pourrons peut-être parler bientôt. » « Bien à toi, Tutu ».

j) Vous avez demandé à la gendarme [T.N.] de modifier les paramètres de son iPhone afin que vous sachiez quand elle ouvrait vos textos, car c’était « … important pour moi dans une relation. Merci. » La gendarme [T.N.] a refusé votre demande et elle ne l’a pas perçue comme une blague.

k) Vous avez informé la gendarme [T.N.] que des personnages de film (Chuck dans Angry Birds / Little Bird dans Le Trône de fer, émission intitulée Go Away, Unicorn!) et des chansons (Whiskey in a Teacup) vous faisaient penser à elle. La gendarme [T.N.] a trouvé vos descriptions [TRADUCTION] « bizarres » et jugé préoccupant que vous pensiez à elle [TRADUCTION] « pendant vos jours de congé », ce qui l’a mise mal à l’aise.

l) Vous avez envoyé des textos exprimant vos sentiments amoureux à l’endroit de la gendarme [T.N.], tels les suivants : [TRADUCTION] « Je pense que tu es si merveilleuse, tu es dans mes prières, j’ai dit une prière pour toi » et [TRADUCTION] « tu es la personne la plus merveilleuse au monde. » La gendarme [T.N.] vous a informé que ces déclarations allaient au-delà d’une relation amicale entre un collègue et son superviseur. La gendarme [T.N.] a également décrit comment vos commentaires [TRADUCTION] « J’adore te parler » ou [TRADUCTION] « Tu me manques » étaient spontanément perçus, et a dit que, par la suite : [TRADUCTION] « Il m’arrivait souvent d’ignorer des appels et des textos, de trouver des excuses pour ne pas parler ou de répondre à ses textos par des réponses minimales ou simples. »

m) Le 31 octobre 2019, vous avez envoyé des textos indiquant à quel point la gendarme [T.N.] vous manquait et que vous étiez impatient de travailler avec elle tout le temps. Vous avez fait des commentaires affectueux comme [TRADUCTION] « Tu une personne fantastique, je crois que tu es tellement formidable » une fois de plus, ce qui a provoqué un sentiment de malaise, d’insécurité et d’appréhension chez la gendarme [T.N.].

n) À la suite de sa mutation au GISR en février 2020, la gendarme [T.N.] vous a de nouveau informé verbalement que vos textos répétés (matin et soir) avaient une incidence sur sa relation et qu’elle vous avait demandé de vous en tenir à une relation professionnelle strictement liée au travail. Lorsque la gendarme [T.N.] a ignoré vos tentatives de communiquer avec elle, vous lui avez fait des reproches au travail pour ne pas avoir [TRADUCTION] « eu du temps pour vous » ou vous lui avez envoyé des messages non professionnels du genre [TRADUCTION] « Tu me manques », ou [TRADUCTION] « Je m’ennuie de te parler. »

o) À une occasion, vous avez envoyé un texto contenant un dessin d’un hippopotame avec la légende « I hippopotamissssu » et vous avez informé la gendarme [T.N.] que vous étiez [TRADUCTION] « tellement seul » et [TRADUCTION] « fatigué d’être seul à la maison tout le temps ». Le contenu de vos communications et la façon dont vous avez communiqué avec elle ont amené la gendarme [T.N.] à croire que vous essayiez de conquérir son affection et de la séduire. Vous avez encore une fois fait fi des demandes répétées de la gendarme [T.N.] de rester professionnel.

p) Le 15 mars 2020, la gendarme [T.N.] a commencé un congé de maladie personnel. Vous avez continué d’envoyer des textos et de téléphoner à la gendarme [T.N.] au cours du mois de mars 2020, malgré le fait que vous avez clairement été avisé par sa conjointe, le 1er mars, de la laisser tranquille. Vous avez continué de vous appuyer sur de faux prétextes pour amorcer les communications en suggérant le besoin de communiquer à des fins professionnelles, puis, une fois au téléphone, en posant des questions concernant la famille de la gendarme [T.N.], son état de santé et d’autres sujets personnels.

q) Le 18 mars 2020, vous avez envoyé un texto obsessionnel dans lequel vous disiez (en partie) : [TRADUCTION] « Liste de Bart : 1) [T.N.] 2) LB 3) Chuck 4) Ted, et 5) Cette fille que je connais au travail. Sache simplement que je passerai en revue cette liste tous les jours, dans l’ordre chronologique… Même si tu n’as pas besoin de moi, tu es prise avec moi. » Le message, très long, décrivait l’affection intime et clairement personnelle que vous ressentiez à l’égard de la gendarme [T.N.]. Encore une fois, vous n’avez pas tenu compte des demandes claires de laisser tout simplement tranquilles la gendarme [T.N.] et sa famille.

r) Le 21 mars 2020, vous avez envoyé un texto à la gendarme [T.N.] et lui avez demandé [TRADUCTION] « Peux-tu parler ». Encore une fois, la conversation n’était pas liée au travail, mais plutôt à votre famille et à certaines difficultés personnelles. Plus tard, vous avez envoyé un texto à la gendarme [T.N.] pour lui dire : [TRADUCTION] « C’était formidable de discuter avec toi ce soir!! C’était agréable d’entendre tante [T.N.] avec ton neveu. Prends soin de toi et dors bien. » Vos communications personnelles non désirées ont fait que la gendarme [T.N.] s’est sentie mal à l’aise, stressée et anxieuse, et elle a aussi [TRADUCTION] « commencé à faire de l’insomnie et vu s’exacerber une dermatite induite par le stress, ce qui a contribué à une légère perte de cheveux ».

s) Vous avez justifié vos communications indésirables avec la gendarme [T.N.] pendant le mois de mars 2020 en déclarant ce qui suit : [TRADUCTION] « Je voulais juste prendre de ses nouvelles en tant qu’ami et m’assurer qu’elle allait bien. » Votre justification ne tient absolument pas compte des demandes répétées de la gendarme [T.N.] et de la gendarme [S.F.] de ne pas communiquer avec elle, à moins que ce soit clairement lié au travail. Vos communications harcelantes continues ont causé du stress et de l’inconfort à la gendarme [T.N.].

t) Le 24 mars 2020, à 7 h 13, vous avez envoyé un long texto affectueux à la gendarme [T.N.], dans lequel vous avez intégré le langage gestuel et avez également mentionné directement un certain nombre de surnoms que vous aviez donnés à la gendarme [T.N.]. Ce texto démontre votre refus de respecter les directives claires et constantes de la gendarme [T.N.] de mettre fin à vos communications harcelantes et à votre obsession amoureuse à son égard.

u) Pendant que la gendarme [T.N.] était absente du travail, en congé pour cause de stress, vous avez tenté de faire preuve d’humour de manière inappropriée en laissant entendre que vous aviez parlé à la mère de la gendarme [T.N.]. La gendarme [T.N.] croyait que votre mention de sa mère était une tentative de créer un clivage avec sa conjointe et d’essayer de vous dépeindre comme étant plus près d’elle que vous ne l’étiez. Vous avez expliqué que vous : [TRADUCTION] « … faisiez semblant de faire partie de la famille. » La gendarme [T.N.] n’a pas trouvé cela drôle, mais a plutôt été offensée par le fait que vous avez mentionné sa mère.

v) La gendarme [T.N.] a indiqué qu’elle avait l’impression que vous la harceliez pendant son congé de maladie et que la quantité de communications dépassait ce qu’on observerait avec un superviseur normal. La gendarme [T.N.] a délibérément commencé à ignorer vos textos et vos appels téléphoniques (pendant son congé de maladie) parce que vous avez communiqué avec elle tellement de fois que c’était [TRADUCTION] « dégoûtant » et [TRADUCTION] « inquiétant » et montrait que vous essayiez vraiment de la conquérir.

No 4 – Demandes de rencontre en dehors du milieu de travail

9. Vous avez souvent demandé à rencontrer la gendarme [T.N.] en personne lorsqu’elle n’était pas de service pour des raisons non liées au travail. La gendarme [T.N.] a décrit comment elle s’est sentie mal à l’aise face aux pressions pour vous rencontrer et que vous avez [TRADUCTION] « persisté à l’interroger » au sujet de choses personnelles comme sa relation avec sa conjointe. Vous vous êtes vanté du fait que votre ex-épouse s’informait jalousement auprès de vos filles quant à savoir qui était la gendarme [T.N.] après qu’elle ait assisté à la partie de hockey de votre fille à Nanaimo. Vous avez ajouté à la blague que la gendarme [T.N.] devrait assister avec vous au défilé de Noël de votre fille. Vos actions ont amené la gendarme [T.N.] à croire que vous la dépeigniez comme une personne avec laquelle vous aviez une relation amoureuse.

10. Le 27 octobre 2019, la gendarme [T.N.] a décrit comment vous avez cherché à vous rendre à Victoria en voiture à partir de Campbell River (voyage aller-retour de six heures) simplement pour lui apporter du thé. La gendarme [T.N.] était en dehors de son travail, en train de socialiser avec un ami [D.M.], lorsque vous avez offert à nouveau de lui apporter du thé maison en voiture avec vos filles. Votre offre a bouleversé la gendarme [T.N.] et l’a mise mal à l’aise, car cela dépassait de loin ce que quelqu’un devrait faire pour un collègue. La gendarme [T.N.] vous a exprimé sa colère au téléphone en vous disant carrément non et que [TRADUCTION] « … ce n’est pas approprié ». Vous avez reconnu que la gendarme [T.N.] s’est fâchée et vous a dit que vos tentatives pour la voir étaient trop nombreuses, mais la connaissance de ce fait ne vous a pas empêché de chercher à la rencontrer en dehors du milieu de travail.

11. Vous n’avez pas respecté vos limites en tant que superviseur et avez ignoré le fait que la gendarme [T.N.] vous a dit à maintes reprises qu’elle ne voulait qu’une relation de travail avec vous. Comme l’a dit la gendarme [T.N.] : [TRADUCTION] « Je me sentais obligée et forcée de le rencontrer, et les rencontres ne visaient pas à discuter du travail, mais plutôt à échanger sur des sujets personnels. Je me sentais mal à l’aise et anxieuse pendant les rencontres. J’avais l’impression qu’il essayait de me séduire. Il me disait que je n’avais pas à le rencontrer, mais qu’il serait triste ou que je l’ignorais si je ne le rencontrais pas. »

No 5 – Cadeaux personnalisés et coûteux

12. La gendarme [T.N.] a expliqué que les cadeaux que vous lui avez donnés [TRADUCTION] « dépassaient ce qu’il ferait pour les autres ». La gendarme [T.N.] et vous n’aviez jamais échangé de cadeaux auparavant. Vous étiez en congé de maladie lorsque vous avez envoyé un texto à la gendarme [T.N.] pour l’informer que vous lui aviez laissé un cadeau de la fête des Mères sur son véhicule personnel. Votre cadeau constitué de chocolats, d’une carte et d’un stylo personnalisé de vos filles était excessif pour une collègue. Aucune autre femme au bureau n’a reçu de cadeau de la fête des Mères de votre part et le membre masculin que vous supervisiez, le gendarme Pickering, n’a pas reçu de cadeau de la fête des Pères. La gendarme [T.N.] vous a informé que votre cadeau était trop extravagant et la mettait trop mal à l’aise pour qu’elle l’accepte de vous en tant que superviseur. La gendarme [T.N.] croyait que votre cadeau était un moyen de favoriser plus qu’une simple amitié professionnelle et qu’il avait plutôt pour but d’aider à établir une relation sexuelle avec elle.

13. Vous avez donné à la gendarme [T.N.] une glacière de viandes salées en cadeau de Noël. La gendarme [T.N.] n’a rien acheté pour vous, et le cadeau que vous lui avez fait était plus extravagant que les cartes-cadeaux que vous avez remises à d’autres employés. Votre cadeau excessif a mis la gendarme [T.N.] mal à l’aise, car il signifiait qu’elle était considérée comme [TRADUCTION] « spéciale » par vous, son superviseur.

14. Votre partenaire, Mme [K.R.], et vous avez remis à la gendarme [T.N.] une carte-cadeau Starbucks, des robes et des chocolats pour son anniversaire. La gendarme [T.N.] reconnaît qu’elle vous a remercié pour les cadeaux, mais elle était d’avis que les cadeaux étaient [TRADUCTION] « exagérés » et elle ne vous a pas rendu la pareille, ce que vous avez reconnu. La gendarme [T.N.] a aussi trouvé très inhabituel que Mme [K.R.] veuille la rencontrer en personne en dehors d’une réunion de travail de groupe, ce qui appuie la croyance de la gendarme [T.N.] que vous étiez obsédé par elle.

15. Vos cadeaux allaient bien au-delà de ce qu’on observe normalement dans une relation traditionnelle entre superviseur et subalterne. Vos actes ont causé un inconfort notable à la gendarme [T.N.] et sont révélateurs d’un climat de harcèlement sexuel, dans lequel vous cherchiez à gagner sa faveur dans votre quête d’une relation sexuelle inappropriée avec la gendarme [T.N.].

No 6 – Offres persistantes à la gendarme [T.N.] de dormir à votre résidence

16. Vous avez offert à la gendarme [T.N.] de rester à votre domicile personnel à Campbell River après qu’elle ait travaillé un quart de travail planifié, à vos dires [TRADUCTION] « à peu près comme chaque fois » qu’elle était en détachement et qu’elle rentrait chez elle en voiture. Votre offre concernait soit la chambre à coucher de votre fille, soit votre roulotte, soit votre propre chambre à coucher. La gendarme [T.N.] a refusé votre offre chaque fois et a cru qu’elle était [TRADUCTION] « inappropriée » venant d’un superviseur, ce à quoi vous avez répondu que vous ne vous souciiez pas des apparences ou de [TRADUCTION] « ce que les gens pensent ». Votre refus de reconnaître l’opinion de la gendarme [T.N.] démontre un manque de respect évident à son égard.

17. Votre déclaration selon laquelle vous avez offert le gîte chez vous à d’autres collègues de travail, le gendarme Shawn Gau, n’a pas été confirmée comme exacte.

18. Vous avez également offert à la gendarme [T.N.] de dormir chez vous pendant son voyage de recherche d’une maison. La gendarme [T.N.] a de nouveau refusé et a répété que les apparences étaient très mauvaises. La gendarme [T.N.] était d’avis que votre offre de dormir chez vous visait à créer un clivage entre elle et sa conjointe, car cela vous ferait passer pour un [TRADUCTION] « héros ».

19. L’offre que vous avez faite à la gendarme [T.N.] de dormir à votre domicile allait bien au-delà de ce qu’on observe normalement dans une relation traditionnelle entre superviseur et subalterne. Vos actes ont causé un inconfort notable à la gendarme [T.N.] et sont révélateurs d’un climat de harcèlement sexuel, dans lequel vous cherchiez à gagner sa faveur dans votre quête d’une relation sexuelle inappropriée avec la gendarme [T.N.].

No 7 – Vous avez donné à la gendarme [T.N.] de multiples surnoms affectueux.

20. Vous avez donné divers surnoms à la gendarme [T.N.], dont Little Bird, LB, Chuck, Ted, Best Friend et BFFFF, et vous l’avez appelée par ces surnoms au travail, dans des courriels, dans des textos et au téléphone. La gendarme [T.N.] ne vous a pas demandé de lui donner des surnoms et ne vous a pas dit qu’elle [TRADUCTION] « aimait » les surnoms que vous lui aviez donnés. La quantité et le style des surnoms que vous avez donnés à la gendarme [T.N.] sont à la fois excessifs et déraisonnables dans un milieu de travail. Vos surnoms ont fait sentir à la gendarme [T.N.] qu’elle recevait un traitement de faveur de votre part et que vous aviez le béguin pour elle.

21. Le fait de présenter la gendarme [T.N.] comme votre [TRADUCTION] « meilleure meilleure meilleure amie » est non seulement déplacé pour un superviseur, mais lui a aussi fait craindre des conséquences professionnelles négatives si elle vous demandait de cesser de vous imposer à elle.

22. Vos actions dépassaient celles d’un superviseur raisonnable, et les surnoms constituaient du harcèlement pour la gendarme [T.N.].

No 8 – Commentaires à connotation sexuelle que vous avez formulés au sujet de la gendarme [T.N.]

23. Vous avez fait des déclarations de harcèlement sexuel à la gendarme [T.N.] pendant que vous étiez en service, notamment :

a) Le 24 octobre 2019, alors que vous faisiez un quart de travail supplémentaire ensemble au GISR, et sans y être invité, vous avez déclaré : [TRADUCTION] « Je pense que tu es tellement géniale… Je pense que tu es tellement géniale. Si les choses étaient différentes, je te prendrais tout de suite. » De l’avis de la gendarme [T.N.], ce commentaire démontre clairement que vous vous intéressiez à une relation amoureuse avec elle. La gendarme [T.N.] a ajouté qu’elle craignait de signaler votre commentaire – qui l’a amenée à se sentir sexualisée et effrayée – à l’inspecteur Walton parce qu’elle avait déjà un grief en instance contre lui relativement à un cours.

b) Également le 24 octobre 2019, vous et la gendarme [T.N.] avez fait un contrôle routier. La gendarme [T.N.] est sortie du véhicule de police pour interagir avec le conducteur. À son retour au véhicule de police, vous avez déclaré ce qui suit à la gendarme [T.N.] : [TRADUCTION] « J’espère que cela ne te mettra pas mal à l’aise, mais je n’ai pas pu m’empêcher de regarder quand tu parlais au conducteur, tu serrais les fesses et elles montaient et descendaient », après quoi vous avez dit : [TRADUCTION] « elles sont si fermes qu’elles pourraient casser une noisette ». Vous avez ajouté, tout en bougeant vos mains, que les fesses de la gendarme [T.N.] [TRADUCTION] « sautaient de haut en bas ». Vous avez nié avoir fait cette déclaration à la gendarme [T.N.], mais vous convenez que vous avez fait référence au fait qu’elle fléchissait son [TRADUCTION] « popotin » en interagissant avec le conducteur.

c) La gendarme [T.N.] vous a immédiatement informé que votre commentaire au sujet de ses fesses la rendait [TRADUCTION] « mal à l’aise » et qu’elle était essentiellement en état de choc, et elle a cessé de vous parler. De l’avis de la gendarme [T.N.], votre commentaire sexualisé était dégoûtant et : [TRADUCTION] « … même si vous regardez ou que vous pensez qu’elles sont attrayantes, vous ne diriez jamais cela à quelqu’un, surtout pas à un collègue, surtout pas à votre subalterne. » La gendarme [T.N.] a ajouté : [TRADUCTION] « Et, hum, je me souviens juste de m’être sentie si dégoûtée, hum, et comme sexualisée et juste mal à l’aise, comme si je ne pouvais même pas faire mon travail, hum, sans être traitée comme ça » et [TRADUCTION] « J’ai été consternée par ses commentaires et je me suis sentie en danger, comme une proie, non respectée, mal à l’aise et objectivée ».

No 9 – Vidéos et photos inappropriées et sexualisées envoyées par vous à la gendarme [T.N.]

24. Le 24 janvier 2020, vous avez envoyé une vidéo inappropriée d’un homme chantant un joyeux anniversaire dans ses sous-vêtements à la gendarme [T.N.], ce qu’elle a trouvé [TRADUCTION] « répugnant ». Vous avez reconnu avoir envoyé la vidéo, à la blague, à la gendarme [T.N.] et avez admis qu’elle montrait un [TRADUCTION] « gars bizarre ». La gendarme [T.N.] ne partageait pas votre sens de l’humour paillard et s’est sentie mal à l’aise à cause des insinuations sexuelles présentes dans toute la vidéo. Vous avez également fait plusieurs demandes pour rencontrer la gendarme [T.N.] en personne le jour de son anniversaire, ce qu’elle a fini par accepter parce que vous exerciez des pressions sur elle.

25. Le 22 mars 2020, vous avez envoyé à la gendarme [T.N.] une photo des jambes dénudées d’un homme qui semble exposer son pénis en érection avec la légende : [TRADUCTION] « Tu as déjà coupé tes ongles trop court. » Vous avez fait suivre cette photo à connotation sexuelle d’un texto disant [TRADUCTION] « Ohh et une brûlure de croustilles salées ». La gendarme [T.N.] a décrit comment le fait de recevoir la photo l’avait presque [TRADUCTION] « fait vomir » et fait se sentir [TRADUCTION] « dégoûtée », [TRADUCTION] « malade », [TRADUCTION] « consternée », [TRADUCTION] « écœurée » et très bouleversée. La gendarme [T.N.] a ignoré vos communications non désirées et, le 23 mars 2020, vous avez envoyé un texto très affectueux dans lequel vous demandiez (en partie) [TRADUCTION] « Quoi qu’il en soit, réponds-moi s’il te plaît. Je me soucie de toi. Ou appelle-moi parce que je me soucie vraiment de toi! » Ce texto a amené la gendarme [T.N.] à ressentir encore plus d’inconfort et de sentiments d’être poursuivie par vous à des fins romantiques.

26. Lorsque vous avez tenté de communiquer avec la gendarme [T.N.] par téléphone après avoir envoyé la photo à connotation sexuelle, son numéro a sonné occupé (la gendarme [T.N.] avait bloqué votre numéro de téléphone). Sans vous laisser démonter, vous avez appelé la gendarme [T.N.] à partir de votre téléphone de bureau au détachement de la GRC de Courtenay et, lorsqu’elle a répondu, vous avez changé votre voix et demandé : [TRADUCTION] « Bonjour, puis-je parler avec [T.N.] ». La gendarme [T.N.] vous a informé une fois de plus que vous deviez limiter vos contacts avec elle à des questions strictement liées au travail et a mis fin à l’appel téléphonique. La gendarme [T.N.] affirme que votre appel téléphonique non désiré l’a de nouveau fait se sentir [TRADUCTION] « mal à l’aise et harcelée. Son comportement était inapproprié et excessif. Exacerbation de la dermatite cutanée / perte de cheveux, stress, anxiété, insomnie ».

27. L’envoi de photos et de vidéos sexuellement suggestives à la gendarme [T.N.] est non seulement inapproprié et non professionnel pour un sous-officier de la GRC, mais constitue également du harcèlement sexuel.

No 10 – Fait d’offrir à la gendarme [T.N.] de dormir pendant qu’elle était de service

28. Le 26 février 2020, de manière inappropriée, vous avez offert à la gendarme [T.N.] de dormir pendant qu’elle était de service et que vous conduisiez le véhicule de police. La gendarme [T.N.] a trouvé votre offre non seulement [TRADUCTION] « bizarre », mais elle croyait que, si vous étiez vraiment préoccupé par son bien-être et sa sécurité en tant que superviseur, vous auriez dû lui demander de prendre un congé de maladie. La gendarme [T.N.] était d’avis que votre offre était simplement une occasion pour vous de vous rapprocher d’elle : [TRADUCTION] « … laisse-moi te mettre dans ma voiture pour que tu puisses dormir juste à côté de moi, après que tu m’as dit que tu reluquais mon derrière… et que tu me prendrais sur-le-champ, non merci. »

29. Votre offre de permettre à un membre de la GRC en service de [TRADUCTION] « dormir » pendant qu’il travaille est non seulement non professionnelle, mais démontre également un niveau inapproprié d’affection personnelle de votre part envers la gendarme [T.N.] – une subalterne.

No 11 – Fait de harceler la gendarme [T.N.] au sujet de l’appel téléphonique entre la gendarme [S.F.] et vous

30. La gendarme [T.N.] avait par inadvertance emporté chez elle votre téléphone de travail, et diverses dispositions ont été prises pour son retour. La gendarme [T.N.] a raté une occasion de retourner le téléphone à Nanaimo, à la partie de hockey de votre fille, ce qui fait qu’il a fallu prendre de nouvelles dispositions selon lesquelles vous avez accepté de récupérer votre téléphone à une date ultérieure. Le 1er mars 2020, la gendarme [T.N.] se rendait à un cours sur les pipelines autorisé par la GRC, à Victoria, et était loin de sa conjointe et de sa famille. Vous avez téléphoné à la gendarme [T.N.] et lui avez posé des questions intimes, lui demandant notamment à quel hôtel elle séjournait et si le cours se passait bien. Cette conversation a été entendue par la gendarme [S.F.]. À 17 h 37, vous avez envoyé à l’iPhone de la gendarme [T.N.] un texto disant : [TRADUCTION] « J’aimerais te parler ce soir. » La gendarme [S.F.] a vu ce texto et elle vous a immédiatement téléphoné au sujet de vos communications non désirées répétées et excessives avec la gendarme [T.N.]. La conversation entre vous et la gendarme [S.F.] est devenue très animée et s’est terminée quand la gendarme [S.F.] vous a demandé de cesser de communiquer avec la gendarme [T.N.] à moins que ce soit pour le travail et que le paiement d’heures supplémentaires serait réclamé si vous continuiez à communiquer avec elle. La gendarme [S.F.] a admis qu’elle ne parlait pas sur un ton agréable avec vous et qu’elle était très fâchée et contrariée par vos contacts incessants avec sa conjointe [TRADUCTION] « … c’était une confrontation. Ce n’était pas du tout un appel professionnel. » Vous avez également reconnu que la conversation était animée, que la gendarme [S.F.] était visiblement contrariée et qu’elle a fait mention d’heures supplémentaires si vous persistiez à communiquer avec sa conjointe pendant son temps libre.

31. Faisant fi de la demande expresse de la gendarme [S.F.] de laisser sa famille tranquille, le 2 mars 2020, vous avez envoyé à la gendarme [T.N.] un texto lui disant [TRADUCTION] « Salut ». Le 3 mars 2020, vous avez envoyé à la gendarme [T.N.] un texto disant : [TRADUCTION] « Toi et moi allons devoir parler de l’appel téléphonique de [S.F.]. Appelle-moi s’il te plaît quand ce sera le bon moment. » Lorsque vous et la gendarme [T.N.] avez plus tard parlé au téléphone, vous avez menacé d’imposer à la gendarme [S.F.] [TRADUCTION] « un [manquement au] code de déontologie » pour la façon enflammée dont elle vous avait parlé. Votre ton avec la gendarme [T.N.] était à la fois hautain et intimidant. La gendarme [T.N.] a répété que vos actions la mettaient mal à l’aise, qu’elles causaient du stress dans sa relation et qu’elle voulait seulement avoir une [TRADUCTION] « relation de travail platonique professionnelle » avec vous, son patron. La gendarme [T.N.] vous a encore une fois dit très clairement qu’elle ne voulait pas de communication ou d’amitié en dehors du travail.

32. Vous avez informé la gendarme [T.N.] que vous auriez à parler au nouveau sergent d’état-major Quail au sujet de l’appel téléphonique. Plus tard, le sergent d’état-major Quail vous a informé que vous devriez [TRADUCTION] « garder le travail au travail », ce que vous avez accepté.

33. Vous avez continué de communiquer avec la gendarme [T.N.] pour des raisons non liées au travail pendant le reste du mois de mars 2020. Votre refus catégorique de laisser la gendarme [T.N.] et sa famille tranquilles malgré leurs demandes raisonnables répétées de mettre fin à toutes les communications inutiles non liées au travail constitue du harcèlement.

No 12 – Dénigrement du gendarme Pickering, collègue au GISR

34. Le 22 mars 2020, vous avez envoyé à la gendarme [T.N.] un texto non professionnel dans lequel vous lui demandiez de retourner au travail et de [TRADUCTION] « battre [le gendarme Pickering] pour lui… » et/ou lui enseigner la tenue de dossiers. La gendarme [T.N.] a décrit comment elle avait ignoré vos appels téléphoniques et vos textos lorsqu’elle a reçu ce texto au sujet du gendarme Pickering. La gendarme [T.N.] croit que votre message n’était qu’une ruse pour essayer de reprendre la conversation avec elle.

35.Votre refus catégorique de laisser la gendarme [T.N.] et sa famille tranquilles malgré leurs demandes raisonnables répétées de mettre fin à toutes les communications inutiles non liées au travail constitue du harcèlement.

Allégation 2 Le 1er mars 2020, ou entre cette date et le 5 mars 2020, à Courtenay et Nanaimo, dans la province de la Colombie-Britannique, le caporal Bartholomew Doerr a omis d’agir avec intégrité, équité et impartialité, et a compromis son autorité, son pouvoir ou sa position, ou en a abusé, en contravention de l’article 3.2 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Énoncé détaillé

1. Le 1er mars 2020, à 17 h 37, vous avez envoyé au téléphone personnel de la gendarme [T.N.] un texto disant : [TRADUCTION] « J’aimerais te parler ce soir. » La gendarme [S.F.] a vu ce texto et elle vous a immédiatement téléphoné au sujet de vos communications non désirées répétées et excessives avec la gendarme [T.N.]. La conversation entre vous et la gendarme [S.F.] est devenue très animée et s’est terminée quand la gendarme [S.F.] qui vous a clairement demandé de cesser de communiquer avec la gendarme [T.N.] à moins que ce soit lié au travail, et que le paiement d’heures supplémentaires serait réclamé si vous continuiez à communiquer avec elle. La gendarme [S.F.] a admis qu’elle ne parlait pas sur un ton agréable avec vous et qu’elle était très fâchée et contrariée par vos contacts incessants avec sa conjointe [TRADUCTION] « … c’était une confrontation. Ce n’était pas du tout un appel professionnel. » Vous avez également reconnu que la conversation était animée, que la gendarme [S.F.] était visiblement contrariée et qu’elle a fait mention d’heures supplémentaires si vous persistiez à communiquer avec sa conjointe pendant son temps libre.

2. Le 3 mars 2020, vous avez envoyé à la gendarme [T.N.] un texto disant : [TRADUCTION] « Toi et moi allons devoir parler de l’appel téléphonique de [S.F.]. Appelle-moi s’il te plaît quand ce sera le bon moment. » Lorsque vous et la gendarme [T.N.] avez plus tard parlé au téléphone, vous avez menacé d’imposer à la gendarme [S.F.] [TRADUCTION] « un [manquement au] code de déontologie » pour la façon enflammée dont elle vous avait parlé. Après que la gendarme [T.N.] a répété que vos communications non liées au travail n’étaient pas désirées, vous avez pris, dans ses propres mots, [TRADUCTION] « un ton hautain dans la conversation ». La gendarme [T.N.] s’est inquiétée du fait qu’elle aussi était maintenant dans le pétrin et [TRADUCTION] « coincée » entre vous et la gendarme [S.F.]. Vous avez informé la gendarme [T.N.] que vous parleriez de la conversation au sergent d’état-major Quail. La gendarme [S.F.] a confirmé que vous avez provoqué la colère de sa conjointe à cause de la menace concernant le code en déontologie.

3. Vous avez tenté de justifier votre menace concernant le Code de déontologie en disant que la gendarme [S.F.] était, dans vos propres mots, [TRADUCTION] « en train de traîner le travail là-dedans » ou [TRADUCTION] « en train d’amener le travail là-dedans ». Votre position ne tient absolument pas compte du fait que vous avez été informé à maintes reprises par la gendarme [T.N.] que vos communications non liées au travail avec elle étaient excessives et non désirées.

4. Vous avez compromis votre équité et votre impartialité en faisant une menace à la gendarme [S.F.] concernant un manquement au code de déontologie parce qu’elle vous avait fait part de préoccupations légitimes au sujet de vos interactions indésirables avec sa conjointe. Votre menace concernant un manquement au code de déontologie était un abus de votre position, de votre pouvoir et de votre autorité par rapport à la gendarme [T.N.].

[Traduit tel que reproduit dans la version anglaise; notes de bas de page supprimées]

Décision sur l’allégation 1

[4] Article 2.1 du Code de déontologie de la GRC :

La conduite des membres envers toute personne est empreinte de respect et de courtoisie; ils ne font pas preuve de discrimination ou de harcèlement.

[5] Pour établir une contravention à l’article 2.1 du Code de déontologie, l’autorité disciplinaire doit établir, selon la prépondérance des probabilités, chacun des éléments suivants : Le premier est l’identité du membre concerné. Cet élément n’est pas contesté. Le deuxième, c’est que les actes ont été accomplis comme il a été allégué. Le troisième, c’est qu’il faut prouver que les actes traduisent un manque de respect et de courtoisie constituant du harcèlement, sexuel ou autre. Le critère à cet égard est le suivant : Est-ce qu’une personne raisonnable, ayant connaissance de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités du travail policier en général et celles du travail à la GRC en particulier, aurait su ou aurait dû savoir que ses gestes ou ses mots étaient de nature à rabaisser, à dégrader ou à humilier ou pouvaient offenser ou causer préjudice [1] ?

[6] Le représentant de l’autorité disciplinaire a adopté une approche à deux volets pour établir l’allégation 1. Premièrement, il soutient que, en général, les communications par texto et par téléphone du caporal Doerr avec la gendarme T.N. étaient continues, excessives et importunes, et qu’elles constituent donc du harcèlement. Deuxièmement, il soutient qu’il y a eu plusieurs communications précises qui étaient ouvertement de nature sexuelle et qui étaient suffisamment inappropriées pour qu’à elles seules et en combinaison avec les autres, elles constituent du harcèlement sexuel. Pour rendre ma décision, je vais aborder chacune des catégories de communications séparément.

Communications continues, excessives et importunes

[7] Il ne fait aucun doute que les communications entre le caporal Doerr et la gendarme T.N. ont eu lieu. Ce qui est en litige, c’est la nature et le contexte de ces communications. Dès le départ, il faut déterminer si ces communications étaient excessives et importunes et si le caporal Doerr savait ou aurait dû savoir qu’elles étaient importunes.

[8] Commençons par quelques faits concernant les communications, dont aucun n’est contesté. Le caporal Doerr était le chef d’équipe responsable du GISR de North Island. À l’époque, la gendarme T.N. comptait environ 11 années de service et souhaitait devenir analyste des collisions de la route. Pour atteindre cet objectif, elle a demandé une mutation dans un service de la circulation. Une telle mutation lui permettrait d’acquérir l’expérience nécessaire et d’être admissible à des cours connexes. Elle a obtenu un détachement de trois mois au GISR de North Island, du 19 mars à juin 2019, où elle a travaillé sous la direction du caporal Doerr en tant que seul autre membre du GISR à ce moment-là. Elle n’a travaillé que quelques périodes avec le caporal Doerr, en mars et en avril 2019, avant qu’il ne parte en congé de maladie, puis elle a travaillé seule. À la fin du détachement, elle est retournée à son service d’attache à Sidney. Elle a ensuite été mutée à un poste à temps plein au GISR de North Island le 26 février 2020.

[9] Il n’y a pas de preuve documentaire des communications entre les deux jusqu’au 21 décembre 2019. Cela est dû au fait que la gendarme T.N. a obtenu un nouveau téléphone cellulaire au début de janvier 2020, tandis que le caporal Doerr en a eu un en décembre 2019. Les enquêteurs ont été en mesure d’obtenir les textos reçus sur le nouveau téléphone de la gendarme T.N. à compter du 10 janvier 2020, mais le caporal Doerr a fourni des textos supplémentaires remontant au 21 décembre 2019. D’une façon ou d’une autre, ce que montre la preuve, c’est un nombre important de textos et d’appels téléphoniques entre les deux au cours de cette période. La preuve montre également que le nombre de textos et d’appels téléphoniques faits par chacun d’eux est presque égal.

[10] Comme il a été mentionné précédemment, selon ce volet de l’argumentaire de l’autorité disciplinaire, les communications du caporal Doerr avec la gendarme T.N. étaient excessives et importunes. La défense du caporal Doerr à l’égard de l’allégation 1 repose sur le contexte. Sa position est qu’ils étaient amis, en plus d’avoir une relation superviseur-subalterne, et que ses communications avec elle étaient appropriées dans le contexte de cette amitié et qu’il ne pouvait pas savoir qu’elles n’étaient pas bienvenues. Comme preuve de cette amitié, il souligne l’équilibre dans les communications et la nature des messages, qui, en plus des messages quotidiens au travail, comprennent des expressions d’humour, de soutien, d’empathie, de préoccupation, d’amitié et de sympathie de la part des deux parties.

[11] La principale question en litige est de savoir si la gendarme T.N., comme le soutient l’autorité disciplinaire, a informé le caporal Doerr qu’elle ne voulait qu’une relation de travail amicale et lui a demandé de ne pas communiquer avec elle lorsqu’elle n’était pas en service, à moins que cela ait à voir avec le travail. Bien entendu, cela éliminerait toute possibilité qu’elle ait accueilli favorablement ces communications en tant qu’amie. Cependant, aucune demande de ce genre de la part de la gendarme T.N. ne figure dans les textos. L’autorité disciplinaire avance que la gendarme T.N. l’a fait à de nombreuses reprises dans des conversations téléphoniques et en personne. La position du caporal Doerr est qu’elle ne l’a fait que le 24 mars 2020, demande qu’il a respectée, et après quoi il ne l’a pas contactée de nouveau.

[12] Il existe une preuve abondante à ce sujet. La première occurrence, à mon avis, est ce qui s’est produit le ou vers le 27 octobre 2019, lorsque la gendarme T.N. était à Victoria pour faire des courses avec une amie, mais qu’elle ne se sentait pas bien. Parce qu’elle lui a dit qu’elle ne se sentait pas bien, le caporal Doerr lui a offert, dans un texto, une partie de son thé maison, lui offrant de l’apporter à Victoria, à six heures de route de son domicile. La gendarme T.N. et le caporal Doerr reconnaissent tous deux que la gendarme T.N. a appelé le caporal Doerr après qu’il eut fait cette offre et qu’elle lui a dit que [TRADUCTION] « c’était trop ». Ils reconnaissent également qu’elle était bouleversée lorsqu’ils ont parlé. Cependant, le caporal Doerr n’a pas compris qu’elle avait alors déclaré que de telles offres de sa part étaient en général indésirables ou qu’il devait interrompre ses communications avec elle lorsqu’elle n’était pas en service. Elle n’est pas non plus allée jusqu’à dire cela dans son témoignage.

[13] L’autorité disciplinaire déclare également qu’il y a eu de nombreux textos du caporal Doerr à la gendarme T.N. le 31 octobre 2019. La gendarme T.N. a déclaré que pendant qu’elle, sa conjointe, la gendarme S.F., et un ami passaient l’Halloween avec leurs enfants, elle leur montrait les messages du caporal Doerr au fur et à mesure qu’elle les recevait. Elle a indiqué qu’elle a ensuite appelé le caporal Doerr et lui a dit de nouveau que ses communications étaient excessives et qu’il fallait y mettre fin. Le témoignage du caporal Doerr était qu’il faisait un quart d’après-midi et de soirée ce jour-là, qu’il était occupé pendant la durée de son quart de travail, y compris avec un conducteur aux facultés affaiblies, et qu’il n’était rentré à la maison que bien après minuit. Il indique qu’il n’a pas du tout communiqué avec la gendarme T.N. ce jour-là.

[14] Le témoignage du caporal Doerr est appuyé en partie par la gendarme S.F., qui a déclaré très clairement que, bien que sa conjointe, la gendarme T.N., lui ait dit avoir signalé au caporal Doerr à plusieurs reprises que ses communications étaient excessives, la gendarme S.F. n’avait jamais été témoin d’une telle déclaration de sa part, que ce soit au téléphone ou en personne. Étant donné qu’elles étaient toutes deux ensemble le soir de l’Halloween avec leurs enfants, il serait difficile qu’une telle conversation ait lieu sans qu’elle en ait eu connaissance.

[15] Dans ce volet de son argumentaire, l’autorité disciplinaire allègue également que ces communications excessives comprenaient des choses comme des cadeaux. Il ne fait aucun doute que le caporal Doerr a offert des cadeaux à la gendarme T.N. lors d’occasions spéciales. La première fois, il s’agissait d’un cadeau de la fête des Mères, en 2019, lors de son détachement initial au GISR, qui consistait en une petite boîte de chocolats, une carte et un stylo décoré par sa fille. Le deuxième exemple était un cadeau de viandes salées, à Noël, en 2019. Dans le troisième cas, il s’agissait d’une carte-cadeau Starbucks que le caporal Doerr lui a donnée le jour de son anniversaire, tandis que la petite amie du caporal Doerr lui a également donné des robes qu’elle avait rapportées de la Thaïlande et une boîte de chocolats. L’autorité disciplinaire soutient que les cadeaux allaient bien au-delà de ce qui serait normalement attendu dans une relation hiérarchique traditionnelle et qu’il s’agissait d’une tentative [TRADUCTION] « d’entrer dans ses faveurs, dans sa poursuite d’une relation sexuelle inappropriée avec la gendarme T.N. »

[16] Le fait que le caporal Doerr tentait d’avoir une relation sexuelle inappropriée avec la gendarme T.N. était un thème sous-jacent dans la présente instance. Comme je l’expliquerai plus en détail, cet élément ne résiste pas à un examen minutieux lorsque la preuve est examinée dans son ensemble. Cependant, en ce qui concerne les cadeaux eux-mêmes, il n’y a rien dans la preuve qui vient appuyer cette théorie. Rien n’indique non plus que le caporal Doerr savait ou aurait dû savoir qu’ils n’étaient pas les bienvenus. La preuve objective claire révèle le contraire. Bien que les cadeaux semblent avoir été principalement unidirectionnels, la gendarme T.N. a bien donné au caporal Doerr de la saucisse de gibier ou de wapiti pendant la période des Fêtes. Elle a également reconnu qu’elle le remerciait chaque fois qu’il lui faisait un cadeau. Le jour de son anniversaire, le 24 janvier 2020, la seule occasion où un cadeau a été offert et pour laquelle nous avons des preuves documentaires, elle lui a envoyé un texto disant :

[TRADUCTION]

C’était tellement agréable de rencontrer [K.R.] [l’amie de cœur du caporal Doerr]! Elle est merveilleuse. Je suis heureuse que cela se soit produit. Et merci à vous deux de m’avoir gâtée, wow! Vous n’aviez pas à faire quoi que ce soit de ce genre; j’étais simplement heureuse de la rencontre.

[17] Pour un observateur objectif de l’extérieur, le message semble être un remerciement pour un cadeau et pour la joie que la rencontre a apportée.

[18] Les réponses de la gendarme T.N. aux autres communications du caporal Doerr étaient de nature semblable, et la preuve étaye peu la théorie de l’autorité disciplinaire selon laquelle ses communications visaient une [TRADUCTION] « relation sexuelle inappropriée » avec la gendarme T.N. Il y a de nombreux exemples dans les textos qui l’illustrent. En effet, l’autorité disciplinaire indique que le caporal Doerr a souvent et de façon inappropriée demandé à rencontrer la gendarme T.N. pendant le service et en dehors du service. Le caporal Doerr reconnaît que les deux se rencontraient à l’occasion pour un café ou un lunch et lors d’occasions spéciales, ce qui est normal pour des collègues de travail et des amis. Outre à l’occasion, déjà mentionnée, de l’anniversaire de la gendarme T.N., ils se sont rencontrés à plusieurs reprises autour d’un café ou d’un lunch. Une de ces occasions a été le 26 février 2020, le premier jour de travail de la gendarme T.N., après sa mutation permanente au GISR. À la fin de son quart de travail, ils ont échangé les textos suivants :

Caporal Doerr : [TRADUCTION] « Sois prudente sur la route. Dis-moi quand tu arriveras à la maison et appelle-moi si tu t’ennuies. »

Gendarme T.N. : [TRADUCTION] « Oui, d’accord. Merci encore pour tout. »

Caporal Doerr : [TRADUCTION] « Ça me fait plaisir. Ce n’est rien. C’est moi qui devrais te remercier pour le lunch. C’était tellement bon! »

Gendarme T.N. : [TRADUCTION] « C’était délicieux! Je suis reconnaissante que tu te sois joint à moi! La compagnie était meilleure que la nourriture. »

[19] Encore une fois, quel que soit le message que la gendarme T.N. ait pu penser transmettre au caporal Doerr, ce dernier l’a pris au pied de la lettre et a pensé qu’elle exprimait de la gratitude pour sa compagnie. Étant donné l’absence de toute autre explication objective contraire, son interprétation semble raisonnable.

[20] Cet échange de textos est également un bon exemple objectif de ce qui a été dit au caporal Doerr en réponse à sa demande de l’informer lorsqu’elle serait rentrée à la maison en toute sécurité, en raison de son long trajet après le travail et du souci du caporal Doerr pour sa sécurité. La gendarme T.N. ne lui dit d’aucune façon qu’elle est mal à l’aise parce qu’il dit se soucier d’elle, ce qui, selon l’autorité disciplinaire, constituait un autre moyen par lequel il cherchait à avoir une relation sexuelle inappropriée avec elle.

[21] Je ne vais pas passer en revue tous les exemples fournis par l’autorité disciplinaire dans l’énoncé détaillé de l’allégation 1 pour appuyer sa position selon laquelle les communications du caporal Doerr à la gendarme T.N. étaient excessives et importunes. Il va sans dire que ma conclusion relativement à ces autres exemples est la même, et ce pour des raisons identiques. Les communications du caporal Doerr avec elle étaient abondantes, mais lorsqu’on les examine dans leur contexte et lorsqu’on tient compte des communications faites en réponse par la gendarme T.N., il me semble qu’il s’agissait des communications d’une personne qu’il considérait comme une amie, en plus d’une collègue et subalterne. Ce n’est pas tout le monde qui parle de la même façon et ce n’est pas tout le monde qui est à l’aise d’exprimer ses sentiments dans la même mesure que le caporal Doerr. Toutefois, ce style de communication en soi n’est ni inapproprié ni excessif.

[22] Je fonde ma conclusion à cet égard non seulement sur les exemples mentionnés ci-dessus, mais aussi sur le témoignage de la gendarme T.N. elle-même. Elle a témoigné en contre-interrogatoire que son style de communication en personne et au téléphone était le même que celui de ses textos. Nous nous entendons pour dire que nulle part dans ses textos elle n’affirme au caporal Doerr que ses communications sont excessives ou importunes. Comment puis-je être convaincu qu’elle lui a fait de telles déclarations en personne ou au téléphone? La gendarme S.F. a déclaré qu’elle n’en a entendu aucune. De plus, la preuve montre que lorsque la gendarme T.N. lui a dit le 27 octobre 2019, par exemple, qu’il ne devait pas se rendre à Victoria pour lui apporter du thé, il a respecté ses volontés, et ça s’est terminé là. La preuve indique également que lorsqu’elle l’a fait le 24 mars 2020, il a cessé toute communication avec elle.

[23] Je vais m’arrêter ici pour parler de la cause Ms. K. c. Deep Creek Store [2] . L’autorité disciplinaire fait référence à cette affaire et soutient qu’elle a été tranchée à la suite des affaires de discrimination en matière de droits de la personne qui ont précédé et suivi l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Barton, 2019 CSC 33 (CanLii). L’arrêt Barton traite de la défense de la croyance sincère, mais erronée, au consentement communiqué dans les affaires criminelles d’agression sexuelle. L’autorité disciplinaire s’appuie sur la décision Ms. K. c. Deep Creek Store pour faire valoir qu’un arbitre n’est plus tenu de conclure que le comportement en question était importun dans les causes de harcèlement sexuel. L’autorité disciplinaire soutient que si le comportement en question a une incidence négative sur le plaignant, cela répond à l’exigence de la connaissance de ce qui aurait dû être connu.

[24] Toutefois, cette interprétation ne résiste pas à un examen approfondi après une lecture attentive de l’affaire. Ce que le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique dit plutôt, c’est que, dans le contexte des cas de harcèlement lié aux droits de la personne, il est préférable d’aborder le [TRADUCTION] « critère du caractère importun » dans le cadre de la défense de l’intimé ou de la justification de sa conduite, après qu’un plaignant a réussi à établir la discrimination. Un intimé peut alors justifier sa conduite lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire qu’elle a été bien accueillie. Cet élément est expliqué à partir du paragraphe 87 de la décision Ms. K. c. Deep Creek Store.

[25] Dans le contexte de la présente affaire, le caporal Doerr invoque clairement cette justification dans sa réponse aux termes du paragraphe 15(3) et tout au long de l’audience disciplinaire. Par conséquent, il me faut tout de même tirer une conclusion quant à savoir si les commentaires du caporal Doerr n’étaient pas les bienvenus pour pouvoir conclure que ses communications en général constituaient du harcèlement, comme il est avancé, parce qu’il est d’avis qu’il avait des motifs raisonnables de croire que son comportement était bien accueilli par la gendarme T.N. En ce qui concerne la grande majorité de ses communications en général à l’endroit de la gendarme T.N., je ne peux conclure qu’il aurait dû savoir que ses communications étaient importunes.

[26] Cela dit, la situation a changé le 1er mars 2020, et mes constatations par rapport à ce qui s’est passé après cette date sont différentes. Le 1er mars 2020, le caporal Doerr et la gendarme T.N. ont échangé des textos pour prendre des dispositions pour que la gendarme T.N. rapporte le téléphone cellulaire de travail du caporal Doerr, qu’elle avait par mégarde emporté avec elle lorsqu’elle avait quitté le bureau à la hâte deux jours plus tôt, le 28 février 2020.

[27] Une rencontre a été convenue pour le 1er mars 2020, mais la gendarme T.N. l’a manquée et le téléphone n’a pas été rapporté au caporal Doerr ce jour-là. Cela a donné lieu à d’autres textos et à une conversation téléphonique entre les deux, conversation qui a été entendue par la gendarme S.F., laquelle avait alors l’impression que des dispositions avaient été prises pour le retour du téléphone, même si les plans définitifs n’avaient pas encore été arrêtés. Par conséquent, lorsque le caporal Doerr a plus tard envoyé un texto à la gendarme T.N. pour lui dire qu’il aimerait lui parler de nouveau ce soir-là, la gendarme S.F. s’est mise en colère.

[28] La gendarme S.F. a immédiatement appelé le caporal Doerr et lui a dit qu’elle était mécontente qu’il communique avec sa conjointe alors qu’elle était en congé et que des dispositions avaient déjà été prises pour le retour du téléphone. La gendarme S.F. lui a dit en termes non équivoques qu’il ne devait pas communiquer avec elle à l’extérieur du travail, à moins que ce soit lié au travail, et que si c’était lié au travail, il devait être prêt à la payer pour des heures supplémentaires. Les deux parties à la conversation reconnaissent qu’elle était animée et qu’elle s’est terminée lorsque le caporal Doerr a indiqué qu’il ne poursuivrait pas cette conversation avec elle. Il était sorti dîner avec ses filles à ce moment-là.

[29] Un jour ou deux après le 1er mars 2020, le caporal Doerr a signalé cette conversation à son superviseur, le sergent d’état-major Quail. Il a déclaré que le sergent d’état-major Quail lui a conseillé de [TRADUCTION] « garder le travail au travail » et qu’il a interprété cela comme signifiant qu’il devrait limiter ses communications avec la gendarme T.N. aux questions liées au travail. Le caporal Doerr a indiqué également qu’il a parlé à la gendarme T.N. le 3 mars 2020, et que la gendarme T.N. a fait la même demande au cours de cette conversation téléphonique. Il a donc reçu le même message de trois personnes différentes en trois jours. Il s’est conformé à leurs directives, conseils et demandes pendant un certain nombre de jours, limitant ses communications aux questions liées au travail. Toutefois, après que la gendarme T.N. l’a invité à participer à un événement portes ouvertes en immobilier avec elle le 14 mars 2020, ces communications non liées au travail ont repris pour de bon.

[30] La gendarme T.N. est partie en congé de maladie le 15 mars 2020 et est retournée à Oliver, en Colombie-Britannique, pour régler des problèmes de santé personnels et familiaux. La gendarme T.N. a confié cette information au caporal Doerr, qui a commencé à lui envoyer nombre de longs textos dans le but de lui remonter le moral. Les réponses de la gendarme T.N. à ces messages indiquent qu’elle a d’abord salué ses efforts; cependant, il est évident que cela a changé lorsqu’il lui a envoyé par texto une image du pouce d’une personne sur ses jambes dénudées, image qui semble à première vue montrer un pénis en érection, avec la légende [TRADUCTION] « As-tu déjà coupé tes ongles trop courts? » La gendarme T.N., offensée par cette image, a bloqué son numéro. Le caporal Doerr ne savait pas qu’elle avait pris cette mesure et, au cours des deux jours suivants, il lui a envoyé plusieurs longs textos, qui étaient censés être drôles, afin de lui remonter le moral. Il a ensuite tenté de l’appeler deux fois sur son téléphone cellulaire personnel, mais comme il avait été bloqué, les appels n’ont pas abouti. Sans se laisser démonter, il a tenté de l’appeler de nouveau à partir de son téléphone de bureau. Lorsque la gendarme T.N. a répondu, il a demandé à parler à T.N. d’une voix déguisée, et quand elle s’est identifiée comme T.N., il a repris sa voix normale et s’est identifié.

[31] Le caporal Doerr nie avoir déguisé sa voix ou avoir appelé à partir d’un autre numéro de téléphone pour communiquer avec la gendarme T.N. Toutefois, j’estime que cela s’est produit comme l’a indiqué la gendarme T.N. pour un certain nombre de raisons. Sur cette question, je préfère le témoignage de la gendarme T.N. à celui du caporal Doerr. Le caporal Doerr reconnaît qu’il a tenté d’appeler la gendarme T.N. à partir de son téléphone cellulaire habituel au moins quelques fois et qu’elle n’a pas répondu. Il reconnaît également qu’il a ensuite appelé à partir d’un autre numéro, celui de son téléphone de bureau, et qu’elle a répondu à cet appel. Enfin, il reconnaît que, lorsqu’elle a répondu, il a demandé à parler à la gendarme T.N., ce qui est un comportement inhabituel compte tenu du nombre de contacts qu’ils avaient eus et de la connaissance que chacun avait de la voix de l’autre. La conclusion raisonnable qui ressort est qu’il l’a fait initialement d’une voix qu’elle ne reconnaîtrait pas afin de s’assurer qu’elle prendrait son appel. À mon avis, il est incroyable qu’il prétende avoir fait tout cela sans savoir qu’elle ne voulait pas qu’il communique avec elle.

[32] La gendarme T.N. était contrariée par les efforts extraordinaires qu’il déployait pour communiquer avec elle. Lorsqu’elle s’est rendu compte qu’il s’agissait du caporal Doerr au téléphone, elle lui a dit clairement et simplement qu’il lui avait envoyé des messages inappropriés et qu’il ne devait pas communiquer de nouveau avec elle, à moins que cela ne soit lié au travail. Le caporal Doerr s’est rendu compte à ce moment-là qu’elle était bouleversée, et il n’a pas tenté de communiquer de nouveau avec elle. C’est la dernière fois qu’ils ont parlé. Dans la semaine qui a suivi, la gendarme T.N. a rencontré le sergent d’état-major Quail pour discuter de ses préoccupations et a par la suite déposé une plainte de harcèlement contre le caporal Doerr.

[33] Maintenant qu’il est établi que les communications du caporal Doerr à l’endroit de la gendarme T.N. après le 1er mars 2020 étaient excessives et importunes, comme il est soutenu, la dernière question à trancher consiste à déterminer si cela équivaut à du harcèlement. Comme il est indiqué ci-dessus, le critère à cet égard est le suivant : Est-ce qu’une personne raisonnable, ayant connaissance de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités du travail policier en général et celles du travail à la GRC en particulier, aurait su ou aurait dû savoir que ses gestes ou ses mots étaient de nature à rabaisser, à dégrader ou à humilier ou pouvaient offenser ou causer préjudice?

[34] Il ne fait aucun doute, et le caporal Doerr le reconnaît dans ses conclusions finales, que l’image d’un pouce/pénis qu’il a envoyée par texto à la gendarme T.N. l’a offensée et équivaut à du harcèlement sexuel. Cela est conforme à la définition donnée par la Cour suprême du Canada [3] :

[…] Sans chercher à fournir une définition exhaustive de cette expression, j’estime que le harcèlement sexuel en milieu de travail peut se définir de façon générale comme étant une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d’emploi pour les victimes du harcèlement. […] [Je souligne]

[35] À mon avis, le fait qu’il ait continué à lui envoyer des messages à partir du 15 mars 2020, après avoir reçu des conseils ou instructions contraires de la part de la gendarme T.N., de la conjointe de la gendarme T.N. et de son propre superviseur, constitue également du harcèlement. Le caporal Doerr ne peut invoquer pour sa défense le fait qu’il ne savait pas que ses communications personnelles avec elle après ces avertissements n’étaient pas les bienvenues. Je rejette son affirmation selon laquelle la gendarme T.N. l’a informé, lors d’une conversation téléphonique le 4 mars 2020, qu’elle souhaitait reprendre la communication avec lui sur le plan personnel. L’écrasante preuve circonstancielle du contraire rend cela improbable.

Incidents individuels de harcèlement

[36] Les éléments de preuve révèlent d’autres incidents individuels qui diffèrent des communications générales. Ils sont différents en ce sens qu’ils ont une connotation trop sexuelle ou affectueuse, qui n’a pas sa place dans une relation de travail entre un superviseur et un subalterne dans la GRC, peu importe l’amitié. Le premier incident a trait aux commentaires formulés par le caporal Doerr après que la gendarme T.N. et lui ont effectué un contrôle routier le 24 octobre 2019. Avant d’aborder ce contrôle routier, je vais parler d’une conversation que ces deux personnes ont eue dans leur véhicule de police plus tôt ce jour-là, et au cours de laquelle il est communément admis que le caporal Doerr lui a dit quelque chose du genre : [TRADUCTION] « Tu es super, et si les choses étaient différentes, je te prendrais sur-le-champ. » Il ne fait aucun doute que cette déclaration a été faite, et ce qui a amené le caporal Doerr à faire cette déclaration est contesté. Le caporal Doerr a indiqué que la gendarme T.N. venait de lui parler des difficultés qu’elle éprouvait dans sa relation avec sa conjointe et ses enfants et qu’il a fait ce commentaire pour lui remonter le moral. La gendarme T.N. ne se souvient pas d’une telle conversation ce jour-là. Toutefois, cela n’a pas d’importance parce que la seule pertinence de ce commentaire précédent est l’incidence qu’il a eue sur l’interprétation que la gendarme T.N. a faite de ce qui suit.

[37] Un peu plus tard au cours de ce quart de travail, la gendarme T.N. a intercepté un véhicule pour un contrôle routier, puis elle s’est occupée du conducteur pendant que le caporal Doerr demeurait assis sur le siège du passager du véhicule de police. Une fois que la gendarme T.N. en a eu fini avec le conducteur et est retournée à la voiture de police, le caporal Doerr a fait un commentaire qui l’a mise mal à l’aise. Selon le témoignage de la gendarme T.N., le caporal Doerr lui a dit : [TRADUCTION] « J’espère que cela ne te mettra pas mal à l’aise, mais je n’ai pas pu m’empêcher de regarder ton derrière quand tu parlais au conducteur, et tes fesses montaient et descendaient ». Il a ajouté quelque chose du genre : [TRADUCTION] « Elles sont si fermes qu’elles pourraient casser une noisette ».

[38] Le caporal Doerr reconnaît qu’il a fait un commentaire au sujet de ses fesses, mais il explique qu’il l’a fait parce qu’il craignait que quelque chose ne tourne mal au cours du contrôle routier. Il dit qu’il lui semblait que la gendarme T.N. se préparait à adopter une position de kung-fu pendant son interaction avec le conducteur. Il a dit à la gendarme T.N. qu’il avait vu son rabat de poche arrière bouger dans sa vision périphérique, ce qui a attiré son attention sur son [TRADUCTION] « popotin », et il lui a demandé si tout allait bien. Elle a répondu que tout allait bien et il a répondu en s’excusant d’avoir parlé de son « popotin ». Il explique qu’il a utilisé le terme « popotin » parce que c’est celui qu’il utilise avec ses filles.

[39] Je m’attends à ce que la vérité se situe quelque part entre les deux versions des événements, mais je suis moins convaincu par la version du caporal Doerr. S’il avait vraiment pensé qu’une confrontation était sur le point d’avoir lieu ou qu’il y avait un problème de sécurité pour la gendarme, comme il l’a dit, je doute qu’en tant que sous-officier subalterne chevronné, il serait resté assis dans la voiture et aurait regardé l’interaction se dérouler au lieu de sortir du véhicule pour aller aider la gendarme T.N. Le fait qu’il est resté dans le véhicule et qu’il a attendu son retour pour commenter défie la raison et le bon sens.

[40] Le deuxième incident concerne une [TRADUCTION] « vidéo de joyeux anniversaire » qu’il a envoyée à la gendarme T.N. le jour de son anniversaire, le 24 janvier 2020. Les parties s’entendent pour dire que la vidéo met en scène un homme [TRADUCTION] « ringard » et [TRADUCTION] « bizarre », vêtu essentiellement d’un short ou d’un maillot de bain, qui chante [TRADUCTION] « Joyeux anniversaire » dans diverses scènes, notamment sous la douche, allongé sur le canapé, les jambes grand ouvertes, sortant d’une piscine, et disant au spectateur [TRADUCTION] « Mon Dieu, tu es sexy », tirant la langue en chantant et imitant Marilyn Monroe dans son interprétation de [TRADUCTION] « Joyeux anniversaire, Monsieur le Président ». Bien que le caporal Doerr indique qu’il a envoyé la vidéo à la gendarme T.N. parce qu’il pensait qu’elle la trouverait drôle, il nie qu’elle contenait du contenu sexuellement suggestif. La gendarme T.N. affirme qu’elle n’a pas trouvé cela drôle et que les insinuations sexuelles présentes dans la vidéo l’ont mise mal à l’aise. J’estime que la vidéo contenait effectivement une thématique sexuelle et qu’il était clairement inapproprié qu’un superviseur de la GRC l’envoie à sa subalterne, qu’il y ait eu ou non une amitié entre eux. Ce n’est là qu’un exemple d’une situation où l’envoi d’un tel contenu à quelqu’un d’autre se fait à ses propres risques, parce que si le destinataire trouve le contenu offensant, l’amitié est sans importance. Le caporal Doerr aurait dû savoir cela, compte tenu de l’abondance de la formation qu’il a reçue sur le harcèlement en milieu de travail.

[41] Le troisième incident a eu lieu le 26 février 2020, soit pendant le premier quart de travail de la gendarme T.N. au GISR, après sa mutation à un poste permanent. Elle et sa conjointe éprouvaient de nouveau des difficultés dans leur relation et, par conséquent, elle n’avait pas beaucoup dormi la veille. La gendarme T.N. est arrivée pour son quart de travail et a dit au caporal Doerr qu’elle était fatiguée, mais qu’elle allait aller travailler. Les parties s’entendent pour dire que le caporal Doerr a ensuite offert à la gendarme T.N. de l’accompagner pendant ce quart de travail afin qu’elle puisse dormir pendant qu’il conduisait. La gendarme T.N. a trouvé son offre étrange, inappropriée et non professionnelle, et elle pensé qu’il profitait de l’occasion pour la dorloter. La position du caporal Doerr est qu’il a fait cette offre simplement parce qu’il se préoccupait de sa sécurité et qu’il n’y avait pas d’autre motif.

[42] Le fait d’offrir à un autre membre de la GRC, en uniforme complet, et dans une voiture de police identifiée, de dormir dans le siège du passager pendant les déplacements pour les contrôles routiers est hautement non professionnel, ce qui a été reconnu comme tel par le caporal Doerr dans sa déclaration aux enquêteurs sur le harcèlement. S’il s’était vraiment préoccupé de la sécurité de la gendarme T.N. compte tenu de son état d’épuisement, il aurait dû l’envoyer dormir chez elle. En plus de manquer de professionnalisme, je trouve que cette conduite constituait une tentative manifeste de la part du caporal Doerr de démontrer un niveau inapproprié d’affection personnelle à l’égard de la gendarme T.N., sa subalterne, cela afin, dans les mots de cette dernière, de la dorloter. Elle affirme qu’elle a trouvé cela étrange et désagréable. Dans les circonstances, c’est compréhensible.

[43] Ces incidents témoignaient-ils d’un manque de respect et de courtoisie constituant du harcèlement, sexuel ou autre? Je crois qu’une personne raisonnable dans la position du caporal Doerr, ayant connaissance de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités du travail policier en général et celles du travail à la GRC en particulier, aurait dû savoir que ses gestes ou ses mots étaient de nature à rabaisser, à dégrader ou à humilier ou pouvaient offenser ou causer un préjudice [4] . Je crois que chacun de ces actes, pris individuellement et en combinaison, constitue du harcèlement de la part du caporal Doerr envers sa subalterne, la gendarme T.N.

[44] L’autorité disciplinaire n’a pas à prouver chacun des détails d’une allégation, mais seulement suffisamment pour qu’une conclusion de contravention à l’article 2.1 puisse être établie. Compte tenu de ma conclusion concernant ces incidents individuels et les communications en général après le 1er mars 2020, je conclus que le caporal Doerr a omis de traiter la gendarme T.N. avec respect et courtoisie et qu’il s’est livré au harcèlement allégué. Par conséquent, je conclus que l’allégation 1 est établie.

Décision sur l’allégation 2

[45] L’article 3.2 du Code de déontologie de la GRC se lit comme suit :

Les membres agissent avec intégrité, équité et impartialité sans abuser de leur autorité, de leur pouvoir ou de leur position ou les compromettre.

[46] L’autorité disciplinaire allègue que le caporal Doerr a abusé de son autorité en tant que superviseur de la gendarme T.N. en menaçant de lancer une enquête en déontologie contre sa conjointe, la gendarme S.F. Il est avancé qu’il l’a fait parce que, le 1er mars 2020, la gendarme S.F. l’a appelé au téléphone et l’a confronté au sujet de ses textos et de ses appels continus à la gendarme T.N. Au cours de cet appel, elle lui a dit que ses communications étaient inappropriées et qu’il devait s’arrêter, à moins qu’elles ne soient liées au travail, et qu’il devrait payer à la gendarme T.N. des heures supplémentaires pour le temps qu’elle passait à lui parler. Deux jours après cet appel, il est soutenu qu’il a parlé avec la gendarme T.N. et qu’il a menacé de lancer une enquête pour manquement au Code de déontologie contre la gendarme S.F. pour la façon enflammée dont elle lui avait parlé.

[47] L’allégation 2 comporte quatre énoncés détaillés, dont certains sont répétitifs. Le caporal Doerr est d’avis que la gendarme S.F. [TRADUCTION] « n’avait pas le pouvoir professionnel, personnel ou légal de lui dire de cesser de communiquer avec la gendarme T.N. et [qu’il] n’avait aucune obligation de se conformer ». J’accepte le fait qu’il a nié que la gendarme T.N. lui avait dit avant cet incident qu’elle ne voulait pas qu’il communique avec elle pour des raisons non liées au travail. Cependant, il nie également avoir menacé la gendarme S.F. d’une enquête pour manquement au Code de déontologie.

[48] Dans l’évaluation de cette allégation, le contexte global est important. Le caporal Doerr savait très bien que la gendarme S.F. n’appréciait pas ses communications avec sa conjointe, la gendarme T.N., peu importe que la gendarme T.N. les approuvait ou pas. Il a déclaré que la gendarme T.N. lui avait déjà expliqué que la gendarme S.F. était jalouse de leur amitié. Il avait également informé la gendarme T.N. de sa perception selon laquelle elle le détestait lorsqu’il l’avait rencontrée pour la première fois, le jour de son anniversaire. De plus, il savait que la gendarme T.N. ne voulait pas lui parler lorsque la gendarme S.F. était présente. Compte tenu de tout cela, bien que l’appel que la gendarme S.F. lui a fait le 1er mars 2020 ait pu être inattendu, le message qu’elle a livré n’aurait pas dû être une surprise. Essentiellement, elle lui a dit qu’il devait cesser de communiquer avec sa conjointe pendant ses heures de repos, à moins que ce soit lié au travail, et que, si c’était le cas, il devrait être prêt à la payer pour ses heures supplémentaires. Il s’agissait d’une conversation chargée d’émotions, et la gendarme S.F. reconnaît qu’elle s’est emportée et qu’elle a élevé la voix. Cependant, elle ne l’a pas injurié, ne l’a pas menacé ou n’a rien fait d’inapproprié.

[49] La justification du caporal Doerr pour parler à la gendarme T.N. de la possibilité d’une enquête pour manquement au Code de déontologie et la raison pour laquelle il a soulevé la question auprès du sergent d’état-major Quail sont que la gendarme S.F. [TRADUCTION] « a amené le travail là-dedans ». Autrement dit, il n’aimait pas l’idée de se limiter aux questions liées au travail dans ses communications avec la gendarme T.N. Toutefois, le sergent d’état-major Quail lui a donné exactement le même conseil ou la même directive : [TRADUCTION] « Garder le travail au travail », ce qu’il reconnaît avoir interprété comme signifiant qu’il ne devait communiquer avec la gendarme T.N. qu’à des fins professionnelles. Le sergent d’état-major Quail ne partageait pas non plus son point de vue selon lequel le comportement de la gendarme S.F. constituait une infraction au Code de déontologie. Ni lui ni le caporal Doerr n’ont jugé nécessaire de transmettre l’information sur l’appel de la gendarme S.F. à son superviseur, comme il aurait fallu le faire pour lancer contre elle une enquête pour manquement au Code de déontologie.

[50] Quel était alors le but de la déclaration du caporal Doerr à la gendarme T.N. le 3 mars 2020? À mon avis, il s’agissait de représailles contre la gendarme T.N. pour ce que la gendarme S.F. lui avait dit. Cela équivaut à une menace dans les circonstances, et je considère qu’il s’agit de représailles inappropriées de sa part. Cela équivaut à un abus de pouvoir, comme il a été avancé, et je conclus que l’allégation 2 est fondée.

[51] Ayant conclu que les allégations étaient fondées, conformément au paragraphe 45(4) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC, 1985, ch. R-10, je serais normalement obligé d’imposer des mesures disciplinaires. Toutefois, avant que l’audience disciplinaire reprenne pour la phase des mesures disciplinaires, le caporal Doerr a présenté un formulaire 1733, signifiant ainsi sa démission volontaire de la Gendarmerie. Lorsque cette démission a été acceptée par son commandant, j’ai perdu la compétence pour imposer des mesures disciplinaires.

DÉCISION

[52] Les allégations contre le caporal Doerr sont établies. Toutefois, je ne suis pas en mesure d’imposer des mesures disciplinaires en raison d’un manque de compétence découlant de la démission volontaire du caporal Doerr avant la phase de l’audience disciplinaire portant sur les mesures disciplinaires.

[53] Chaque partie peut interjeter appel de la présente décision en déposant une déclaration d’appel auprès de la commissaire dans les 14 jours suivant la date de sa signification au caporal Doerr, comme le prévoient l’article 45.11 de la Loi sur la GRC et l’article 22 des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289.

 

 

4 mai 2022

Gerald Annetts

Comité de déontologie

 

Edmonton (Alberta)

 



[1] 2018 DARD 10

[2] Ms. K. c. Deep Creek Store, 2021 BCHRT 158 [Ms. K. c. Deep Creek Store].

[3] Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 RCS 1252.

[4] 2018 DARD 10.

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