Déontologie

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Protégé A

Dossier : 2018-335779 (C-054)

2022 DAD 08

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DANS L’AFFAIRE CONCERNANT

un appel d’une décision du Comité d’arbitrage

Conformément à l’alinéa 45.11(1)b) de la

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, ch. R-10, dans sa version modifiée

ENTRE :

Le gendarme Ashley Goodyer

Numéro de matricule 61089

Appelant

et

Le commandant de la Division E

Gendarmerie royale du Canada

Intimé

(parties)

Décision de la commissaire

Gendarmerie royale du Canada

2022



INTRODUCTION

[1] À la suite d’une audience disciplinaire, un comité de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) (le Comité) a déterminé que le gendarme Ashley Goodyer, matricule 61089 (appelant), avait enfreint les articles 3.3 (en n’exécutant pas une directive légitime) et 8.1 (en ne rendant pas compte en temps opportun, de manière exacte et détaillée, de l’exécution de ses responsabilités et de l’exercice de ses fonctions) du Code de déontologie de la GRC [Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (2014) (DORS/2014-281] (le Règlement), après avoir conclu que quatre des cinq allégations contre l’appelant étaient établies.

[2] Le Comité a rendu la décision le 24 août 2018 (la décision). En plus d’ordonner à l’appelant de démissionner dans un délai de 14 jours, faute de quoi il serait congédié en raison de ses fausses déclarations (allégations 3, 4 et 5), le Comité semble avoir imposé une confiscation de la solde pour une période de 20 jours pour avoir omis de suivre une directive reçue d’un superviseur (allégation 1).

[3] L’appelant interjette appel des mesures disciplinaires.

[4] Les allégations se rapportent à des événements survenus entre la mi-juin/juillet 2016 et la fin novembre 2016; tandis que l’appelant était en poste dans un détachement en Colombie-Britannique (le détachement), il a eu certaines interactions avec une personne du public (Mme F). Compte tenu de ces interactions et des événements subséquents, il a dû répondre à cinq allégations [voir l’avis d’audience disciplinaire et les détails, datés du 21 décembre 2017 (l’avis)].

[5] Conformément au paragraphe 45.15(1) de la Loi sur la GRC, l’appel a été renvoyé au Comité externe d’examen de la Gendarmerie royale du Canada (le CEE). Dans le rapport faisant état des conclusions et des recommandations diffusé le 23 novembre 2021 [dossier no C-2021-015 (C-054) du CEE] (le rapport), le président du CEE, M. Charles Randall Smith, a recommandé que l’appel soit accueilli en partie, en vertu de l’alinéa 45.16(3)b) de la Loi sur la GRC.

[6] Le paragraphe 45.16(8) de la Loi sur la GRC précise que je ne suis pas liée par les conclusions ou les recommandations du CEE, mais que, si je choisis de m’en écarter, je dois « motiver [mon] choix dans [ma] décision ».

[7] Pour rendre la présente décision, j’ai pris en considération le dossier comprenant les documents dont disposait le Comité (les documents), le dossier d’appel (le dossier) préparé par le Bureau de la coordination des griefs et des appels (le BCGA), ainsi que le rapport. Les dispositions législatives mentionnées sont celles qui étaient en vigueur au moment des faits.

[8] Je présente mes sincères excuses aux parties pour tout retard attribuable à la GRC dans l’arbitrage du présent appel.

[9] Pour les raisons qui suivent, j’accepte la recommandation du CEE, j’accueille en partie l’appel sur la confiscation de la solde pour une période de 20 jours et je confirme par ailleurs la décision du Comité.

CONTEXTE

[10] Juste après avoir terminé sa période de stage dans un détachement en Colombie-Britannique, l’appelant a eu une relation extraconjugale avec un membre du public (Mme F), entre la mi-juin ou juillet 2016 et la fin de novembre 2016.

[11] L’appelant a affirmé que la relation avait pris fin en septembre 2016.

[12] Les membres du détachement ont remarqué que le véhicule de police de l’appelant se trouvait hors de sa zone de patrouille pendant qu’il était en service et l'ont signalé au chef du détachement. Il a été déterminé plus tard que Mme F résidait dans le secteur où le véhicule de l’appelant avait été vu.

[13] L’appelant a rencontré le chef du détachement et a reçu l’ordre de ne pas se rendre à la résidence de Mme F pendant qu’il était en service. Le chef du détachement a précisé que la présence de l’appelant au domicile de Mme F, pendant qu’il était en service, pour des motifs extraconjugaux, pourrait nuire à la réputation de la GRC.

[14] À la fin de novembre 2016, l’appelant a demandé à son superviseur, le caporal BW, l’autorisation d’assister brièvement à la fête d’anniversaire d’un ami de son épouse pendant qu’il était en service, à l’extérieur de sa zone de patrouille. Le caporal BW a accepté.

[15] On a découvert plus tard que l’appelant n’avait jamais assisté à une fête d’anniversaire, mais qu’il s’était plutôt rendu à la résidence de Mme F.

[16] Le chef de veille de l’Équipe A, le sergent d’état-major D, et le caporal BW ont rencontré l’appelant pour discuter de ses allées et venues le 13 novembre 2016. L’appelant a continué de prétendre qu’il avait assisté à une fête d’anniversaire.

[17] Compte tenu des circonstances de ces interactions et des événements subséquents, l’appelant a été accusé de quatre infractions au Code de déontologie et on a demandé la tenue d’une enquête par l’autorité disciplinaire.

[18] Une cinquième allégation a été ajoutée après qu’il a été déterminé que l’appelant avait menti à l’enquêteur (documents, p. 2562-2566).

[19] L’appelant avait expliqué à l’enquêteur chargé de l’enquête disciplinaire qu’il avait assisté à la fête d’anniversaire, mais quand son épouse lui avait dit qu’elle avait quitté la fête, il avait alors décidé d’aller à la résidence de Mme F pour s’excuser de la manière dont leur liaison avait pris fin.

[20] L’enquêteur avait indiqué qu’il avait l’intention de communiquer avec l’épouse de l’appelant pour déterminer s’il y avait eu une fête d’anniversaire. À ce moment-là, l’appelant avait admis qu’il n’y avait jamais eu de fête et qu’il était allé à la résidence de Mme F ce soir-là.

[21] L’appelant a été réaffecté temporairement le 16 janvier 2017, puis suspendu avec solde le 22 novembre 2017 (documents, p. 2567-2568, 2575-2577).

[22] Après avoir examiné le rapport d’enquête, l’autorité disciplinaire a entamé une audience disciplinaire puisqu’elle demandait le congédiement de l’appelant (documents, pp. 2203-2204).

[23] Les allégations énoncées dans l’avis à l’officier désigné étaient les suivantes (documents, pp. 2203-2204) :

Allégation 1

Entre le 12 novembre 2016 et le 23 novembre 2016, à [X] ou dans les environs, dans la province de la Colombie-Britannique, le gendarme Ashley Goodyer n’a pas exécuté des ordres et des directives légitimes, contrairement à l’article 3.3 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada [en ne suivant pas la directive de son supérieur de ne pas se rendre à la résidence de Mme F pendant qu’il était en service].

Allégation 2

Entre le 12 novembre 2016 et le 13 novembre 2016, à [X] ou dans les environs, dans la province de la Colombie-Britannique, le gendarme Ashley Goodyer a eu une conduite déshonorante, contrairement à l’article 7.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada [en se livrant à une activité sexuelle, intime ou romantique avec Mme F à la résidence de cette dernière pendant son service].

Allégation 3

Entre le 12 novembre 2016 et le 13 novembre 2016, à [X] ou dans les environs, dans la province de la Colombie-Britannique, le gendarme Ashley Goodyer n’a pas rendu compte en temps opportun, de manière exacte et détaillée, de l’exécution de ses responsabilités, de l’exercice de ses fonctions et de l’administration et du fonctionnement de la Gendarmerie, en violation de l’article 8.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada [en omettant de fournir un compte rendu complet, exact et en temps opportun à son superviseur au sujet d’une prétendue fête d’anniversaire].

Allégation 4

Le 28 novembre 2016 ou vers cette date, à [X] ou dans les environs, dans la province de la Colombie-Britannique, le gendarme Ashley Goodyer n’a pas rendu compte en temps opportun, de manière exacte et détaillée, de l’exécution de ses responsabilités, de l’exercice de ses fonctions et de l’administration et du fonctionnement de la Gendarmerie, en violation de l’article 8.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada [en fournissant de faux renseignements au sujet de la prétendue fête d’anniversaire à deux superviseurs durant une réunion].

Allégation 5

Le 5 janvier 2017 ou vers cette date, à [X] ou dans les environs, dans la province de la Colombie-Britannique, le gendarme Ashley Goodyer n’a pas rendu compte en temps opportun, de manière exacte et détaillée, de l’exécution de ses responsabilités, de l’exercice de ses fonctions et de l’administration et du fonctionnement de la Gendarmerie, en violation de l’article 8.1 du Code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada [en mentant à l’enquêteur chargé de l’enquête disciplinaire relativement à la prétendue fête d’anniversaire].

PROCÉDURES D’AUDIENCE DISCIPLINAIRE

[24] Le CEE a résumé la procédure d’audience disciplinaire (rapport, paragraphes 15 à 42) :

[TRADUCTION] PROCÉDURES DU COMITÉ DE DÉONTOLOGIE

[10] Après la mise sur pied du Comité, des conférences préparatoires à l’audience ont eu lieu entre les parties et le Comité, des preuves documentaires ont été produites (y compris le rapport d’enquête contenant les déclarations des témoins), tout comme les observations écrites des parties sur les allégations. L’appelant a admis les faits sur lesquels repose l’allégation 1; toutefois, il a expliqué que l’ordre de ne pas se rendre à la résidence de Mme F pendant son service n’était pas légitime. Il a admis s’être rendu à la résidence de Mme F en ce qui concerne l’allégation 2, mais il a nié avoir participé à toute activité sexuelle, romantique ou intime avec Mme F ce jour-là. L’appelant a ensuite admis les allégations 3, 4 et 5 (documents, pages 2305-2311).

[11] Après avoir examiné tous les documents déposés, le Comité a indiqué qu’aucun autre renseignement ou témoignage n’était nécessaire. L’appelant a renoncé à son droit de se faire lire les allégations. Le Comité a conclu que les allégations 1, 3, 4 et 5 étaient établies. Il a indiqué qu’une audience sur les mesures disciplinaires serait prévue et a demandé aux parties de déposer leurs documents sur les mesures disciplinaires. Les parties ont fourni des éléments de preuve et des arguments écrits sur les mesures disciplinaires.

1. Éléments de preuve sur les mesures disciplinaires

A. Éléments de preuve de la représentante de l’autorité disciplinaire

[12] La représentante de l’autorité disciplinaire a fourni des lettres d’incidence du sergent d’état-major D, du caporal BW et des autorités pour soutenir sa position :

– Lettre du caporal BW (documents, page 2151) : le caporal BW était le superviseur direct de l’appelant pendant quelques quarts de travail lorsque l’appelant a été transféré à l’Équipe A « pour un nouveau départ ». Il a expliqué qu’il s’attend à une communication ouverte, honnête et sincère de la part des membres sous sa supervision. À son avis, les allégations se rapportant à lui-même n’ont pas eu d’incidence sur sa capacité de superviser l’appelant sur le plan opérationnel. Le caporal BW estimait que l’appelant était un bon policier, qu’il avait un bel esprit d’équipe et qu’il pourrait être moniteur de formation pratique pour les recrues. Il a dit se sentir coupable et avoir réfléchi à l’effet de son rôle sur la vie et la carrière de l’appelant.

– Lettre du sergent d’état-major D (documents, page 3516) : le sergent d’état-major D était le chef de veille de l’Équipe A. Il a expliqué que pour accueillir l’appelant, qui avait des difficultés avec son équipe précédente, et lui offrir un « nouveau départ », il avait dû déplacer un membre de haut niveau à une autre équipe. Il a déclaré que le moral de l’équipe avait été affecté par ce changement parce qu’elle perdait ainsi une « personne-ressource » chevronnée. Le sergent d’état-major D a clairement exposé ses attentes à l’appelant; néanmoins, l’incident s’est produit trois quarts de travail seulement après l’arrivée de l’appelant dans l’équipe. Le sergent d’état-major D a indiqué que cela a de nouveau affecté le moral de l’équipe parce qu’il manquait maintenant un enquêteur dans l’équipe. L’appelant avait perdu toute intégrité et toute sa confiance en mentant à ses superviseurs.

B. Témoignage de l’appelant

[13] Pour l’étape des mesures disciplinaires, la représentante du membre a déposé certaines des évaluations de rendement de l’appelant, huit lettres d’appui de membres de la GRC et une lettre d’un procureur régional de la Couronne adjoint. La plupart des lettres d’appui mentionnaient que l’appelant devait être gardé à la GRC et qu’il était un agent de police motivé. Étant donné que l’appelant a soulevé des questions concernant le traitement par le Comité de certaines des lettres d’appui dans son appel, je vais résumer brièvement les lettres en cause :

– Lettre du caporal BW (documents, page 3616) : le caporal BW a écrit deux lettres : une au nom de l’appelant et une déclaration d’incidence au nom de l’autorité disciplinaire, qui est évoquée ci-dessus. La lettre d’appui était fondée sur sa supervision de six semaines de l’appelant et son évaluation en vue d’une promotion. Même si le caporal BW était au courant de l’incident, il a déclaré qu’il recommandait toujours la candidature de l’appelant pour une promotion parce qu’il possédait les compétences comme la connaissance des services de police, la capacité de mener des enquêtes et les services à la clientèle. Il croyait que la venue de l’appelant au sein de l’Équipe A visait à empêcher une affaire extraconjugale entre deux membres de l’Équipe A et non pas qu'elle était attribuable aux allégations qui pesaient contre l’appelant.

– Lettre du caporal WC (documents, page 2334) : le caporal WC était superviseur de l’Équipe A au détachement de l’appelant. Sa lettre met l’accent sur la gestion par le sergent d’état-major D de la relation extraconjugale entre les deux membres de l’Équipe A. La lettre ne traite pas des compétences de l’appelant ou d’autres sujets.

– Lettre de M. NW (documents, page 2332) : M. NW était procureur de la Couronne régional. Dans sa lettre d’appui, il a indiqué que l’incident se situait, à son avis, à l’extrémité inférieure du spectre et qu’il n’hésiterait pas à intenter une poursuite dans laquelle l’appelant serait impliqué.

2. Décision sur les mesures disciplinaires

[14] En fin de compte, le Comité a indiqué qu’une audience ne serait pas nécessaire puisqu’il avait tous les renseignements, y compris les observations des parties, et la déclaration de l’appelant au Comité et parce que l’appelant avait refusé de s’adresser au Comité en personne ou de se faire lire les allégations. Il a donc informé les parties qu’elles devraient s’attendre à ce qu’une décision écrite sur les mesures disciplinaires soit rendue à l’étape suivante (documents, pages 245 à 247).

[15] Le 20 août 2018, le Comité de déontologie a envoyé un courriel à la représentante du membre et à la représentante de l’autorité disciplinaire indiquant qu’il rendrait sous peu sa décision sur les mesures disciplinaires et que le Comité comptait envoyer la décision par courriel (documents, page 245). Il a reconnu que les Consignes du commissaire (déontologie) exigeaient que la décision soit signifiée au membre, mais qu’il était possible de renoncer à cette exigence.

[16] Le 21 août 2018, la représentante du membre a confirmé qu’elle avait discuté de cette demande avec l’appelant et qu’il avait accepté de renoncer à l’obligation que la décision lui soit signifiée, qu’elle accepterait la signification en son nom et qu’elle confirmerait la réception de la décision (documents, page 205). Par conséquent, le 27 août 2018, le Comité de déontologie a signifié la décision aux deux représentantes par courriel (documents, page 205).

[17] Dans sa décision, le Comité a réitéré les principes directeurs pour imposer des mesures disciplinaires. Premièrement, le cadre établi consistait à établir l’éventail des mesures disciplinaires possibles, à évaluer ensuite les facteurs atténuants et aggravants et, enfin, à imposer la mesure disciplinaire appropriée (appel, page 67). Deuxièmement, même si un comité de déontologie n’est pas lié par des décisions antérieures d’un comité de déontologie, il doit imposer des mesures disciplinaires semblables dans des circonstances semblables. Troisièmement, le Guide des mesures disciplinaires peut être consulté pour fournir des directives, mais sa nature n’est pas contraignante. Quatrièmement, les facteurs aggravants sont des circonstances qui vont au-delà des éléments essentiels d’une allégation; enfin, les policiers sont tenus de respecter des normes de comportement plus rigoureuses (appel, page 67). Le Comité a en outre conclu que, de façon générale, les sanctions ou les mesures, qu’elles soient imposées dans le cadre du processus disciplinaire antérieur ou d’un nouveau processus disciplinaire qui découle d’une proposition conjointe, ne peuvent pas se voir accorder un poids important, puisqu’elles sont le résultat d’efforts de résolution ou de négociations qui ont abouti à une entente qu’un comité de déontologie ne peut rejeter que dans des circonstances très limitées (appel, page 69).

[18] En ce qui concerne tout d’abord l’éventail des mesures qui peuvent s’appliquer aux actes de malhonnêteté, de tromperie et de mensonge, le Comité a noté que les cas fournis par les deux parties confirment que, dans le domaine des services de police, mentir aux superviseurs ou mentir au cours d’une enquête sur un comportement est considéré comme une inconduite très grave, et selon les pouvoirs énoncés, l’éventail des mesures va de la sanction pécuniaire jusqu’au congédiement.

[19] En ce qui concerne les facteurs aggravants, le Comité n’était pas d’accord avec la représentante du membre pour dire que l’appelant « avait admis avoir menti » et avait collaboré avec l’enquêteur (appel, page 72). Selon lui, l’appelant avait reconnu avoir menti seulement lorsque l’enquêteur lui avait dit que son épouse serait contactée. Le Comité a déterminé que l’inconduite n’était pas un incident isolé parce que l’appelant avait amplement eu l’occasion d’avouer ses torts, mais qu’il avait perpétué la tromperie pendant 55 jours. Le Comité a également conclu que l’inconduite était intentionnelle, délibérée et planifiée. Il a également considéré le gain personnel comme un facteur aggravant :

De toute évidence, le membre visé savait qu’il y avait des conséquences disciplinaires potentielles pour avoir menti durant la réunion et l’entrevue subséquente, puisqu’il a menti pour poursuivre ses activités et pour tenter de les dissimuler et ainsi obtenir un avantage personnel ou un gain en évitant d’être tenu responsable, et toute suggestion contraire ne résiste tout simplement pas à un examen approfondi.

[20] Le Comité n’a pas cru que l’appelant éprouvait des remords sincères parce que, aussi tard que dans sa déclaration au Comité, l’appelant qualifiait toujours sa tromperie de [TRADUCTION] « pieux mensonge » et de « ruse » (appel, page 76). Le Comité a noté que les documents déposés devant lui révélaient que l’appelant ne comprenait pas la gravité de mentir à un superviseur (appel, page 77). Bien que le Comité ait conclu que les implications de l’arrêt McNeil étaient un facteur aggravant, cette affaire n’avait pas beaucoup de poids dans les circonstances, au-delà de l’obligation de divulgation continue aux avocats de la défense. Le Comité n’a pas non plus accepté le facteur atténuant de la représentante du membre relativement au peu d’expérience de l’appelant. Le Comité a expliqué que le nombre d’années de service ou le grade n’avaient aucune incidence sur la question de mentir à un superviseur, d’autant plus que l’appelant avait déjà servi dans un autre service de police (appel, page 78).

[21] En ce qui concerne la lettre du sergent d’état-major D et les lettres du caporal BW et du caporal WC concernant la gestion de la relation extraconjugale d’un autre membre, le Comité a conclu qu’il n’était pas tenu d’expliquer les comptes rendus divergents. Le Comité a conclu qu’il était clair que l’appelant avait reçu un nouveau départ dans une nouvelle équipe et qu’en deux jours, l’incident s’est produit (appel, page 79). Il a également noté que le fait de savoir si le sergent d’état-major D avait une approche de tolérance zéro à l’égard de la tromperie ou non n’était pas pertinent parce que c’est le Comité qui détermine les mesures; aussi, le sergent d’état-major D n’avait pas pris de décision relative à l’enquête et au lancement d’une procédure disciplinaire officielle. De même, le Comité n’attribuait pas beaucoup de poids à la lettre du caporal BW parce que ce dernier avait supervisé l’appelant pendant seulement six semaines et, de l’avis du Comité, ses sentiments et sa croyance personnels au sujet de l’inconduite de l’appelant semblaient avoir dépassé son rôle de superviseur, ce qui semble démontrer un manque d’objectivité et vient réduire sa valeur atténuante. De plus, la lettre ne faisait pas référence à l’aveu de l’appelant qu’il avait continué de mentir au caporal BW et à l’enquêteur.

[22] Toutefois, le Comité a conclu, à titre de facteur atténuant, que l’appelant avait admis dans sa réponse les allégations 3, 4 et 5, évitant ainsi la nécessité de tenir une longue audience (appel, page 73). Le Comité a également reconnu comme facteur atténuant que l’appelant s’était acquitté des fonctions qui lui avaient été confiées et qu’il était un policier proactif (appel, page 83). Toutefois, le Comité a noté que les lettres d’appui faisaient état de situations généralement vécues par des membres de la GRC ou de tâches que devraient généralement exécuter des membres de la GRC et que certaines remontaient à loin (appel, pages 84 à 85). Le Comité a également reconnu que l’appelant continuait de travailler, bien qu’il faisait l’objet d’une ordonnance de réaffectation temporaire. Le Comité a noté que l’appelant n’avait jamais fait l’objet de mesure disciplinaire auparavant, mais ce facteur atténuant était amoindri par le fait que l’appelant avait deux années de service à la GRC et que les incidents s’étaient produits pendant qu’il était en période de stage.

[23] Le Comité a conclu que, si l’appelant avait pleinement admis le mensonge lors de la première rencontre avec le sergent d’état-major D et le caporal BW, ou s’il avait admis le mensonge dès l’entrevue avec l’enquêteur, plutôt que de continuer la tromperie, la situation aurait été nettement différente. Le Comité n’a pas accepté que cette situation puisse être attribuée à une erreur, à de la confusion, à de l’inexpérience ou à un manque de clarté au sujet des attentes, puisqu’il s’agit d’un principe fondamental de l’emploi, en particulier pour un policier, qu’il ne faut pas mentir à un supérieur, que ce soit au sujet d’une question opérationnelle, non opérationnelle ou personnelle, et surtout lorsqu’elle concerne ses activités dans le cadre de ses fonctions. Le Comité a indiqué qu’en ce qui concerne l’allégation 1, il a imposé une confiscation de la solde de 20 jours; « toutefois », à la lumière des conclusions concernant les allégations 3, 4 et 5, le Comité a ordonné à l’appelant de démissionner dans les 14 jours ou d’être congédié.

APPEL

[25] Le 10 septembre 2018, le Comité a informé les parties qu’il fournirait une décision modifiée (décision modifiée) en raison de certaines erreurs d’écriture dans l’original (documents, p. 204).

[26] La représentante du membre/de l’appelant a déposé sa première déclaration d’appel le 11 septembre 2018 (dossier, p. 227-229). Le 23 octobre 2018, le Comité a présenté une décision modifiée aux parties, dans laquelle des erreurs d’écriture avaient été révisées (dossier, p. 498-500). L’appelant a déposé une deuxième déclaration d’appel de cette décision le 5 novembre 2018, fondée sur la décision mise à jour soulevant les mêmes questions afin de protéger son droit d’appel (dossier, p. 497, 1183).

[27] Le 17 novembre 2018, l’appelant a également interjeté un troisième appel (initialement sous la forme d’un grief) en faisant valoir que les actions de l’intimé relativement à la confiscation de la solde pour l’allégation 1 étaient fondées sur une interprétation erronée de la décision du Comité.

[28] Le 1er mai 2019, un arbitre a donné une orientation sur la question préliminaire de la consolidation permanente des trois appels en vertu des Consignes du commissaire (griefs et appels) [CC (griefs et appels)] (dossier, pp. 98-112). Le BCGA a renvoyé l’appel devant le Comité externe d’examen de la GRC (CEE) en application du paragraphe 45.15(1) de la Loi sur la GRC. Le 26 mars 2021, le président du CEE, M. Charles Randall Smith, a fait connaître ses conclusions et recommandations (CEE C-2019-025 [C-046]) et a recommandé que l’appel soit rejeté pour avoir été déposé en dehors du délai prévu par la Loi. Le CEE ne s’est pas prononcé sur le fond.

[29] Par conséquent, il s’agit du deuxième rapport du CEE relatif à l’appel interjeté par l’appelant de la décision du Comité. Dans le premier rapport (CEE C-2020-025 [C-046]), le CEE n’avait pas examiné le fond de l’appel et avait déterminé que l’appelant avait interjeté appel en dehors du délai prévu par la Loi et qu’il n’y avait aucune circonstance exceptionnelle justifiant une prolongation rétroactive.

[30] Toutefois, bien qu’un arbitre de l’appel en matière de déontologie ait convenu que l’appel avait été interjeté en dehors du délai prévu par la Loi, il était d’avis qu’il y avait une explication raisonnable pour le retard et a donné à l’appelant la possibilité que je traite directement le bien-fondé de l’appel ou que son dossier soit renvoyé au CEE pour recommandation sur le bien-fondé. L’appelant a choisi la deuxième proposition.

[31] Le CEE n’a pas donné suite aux conclusions et recommandations contenues dans le rapport C-046 concernant la version corrigée de la décision et, par conséquent, il ne l’a pas fait dans le rapport C-054. Le rapport C-054 porte sur les motifs énoncés dans la première déclaration d’appel, ainsi que sur la troisième déclaration d’appel concernant la confiscation de la solde de 20 jours.

[32] L’appelant a soulevé les motifs d’appel suivants (rapport, paragraphe 26) :

  1. Le Comité a manqué à l’équité procédurale en ne tenant pas d’audience sur les mesures disciplinaires;
  2. Le Comité n’a pas évalué la crédibilité des auteurs des lettres d’appui lorsqu’il y avait des preuves contradictoires;
  3. Le Comité a commis une erreur dans son évaluation des facteurs atténuants et aggravants et n’a pas respecté le principe de la parité des mesures disciplinaires;
  4. Le Comité a commis une erreur en imposant une confiscation de la solde de 20 jours en plus du congédiement.

ANALYSE ET CONCLUSIONS DU CEE

1. Norme de contrôle applicable

[33] Le CEE a fait remarquer que cet appel porte sur de multiples motifs d’appel comportant diverses questions de fait, ou des faits et des lois mixtes, et des questions relatives à l’équité procédurale.

[34] Dans Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, au para 34, la Cour suprême du Canada (CSC) a souligné que les normes d’examen statutaires doivent être respectées; « [t]out cadre d’analyse fondé sur l’intention du législateur doit respecter, dans la mesure du possible, les dispositions législatives claires qui prescrivent la norme de contrôle applicable. Notre Cour a régulièrement affirmé qu’il faut donner effet aux normes de contrôle prescrites par la loi. »

[35] Dans Smith c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 73, au para 50, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il n’y a aucune présomption qu’un appel administratif devrait être assujetti aux normes ordinaires de common law en matière de contrôle judiciaire ou de contrôle en appel; « […] il semble justifié de penser qu’il ne faut pas présumer de l’application des normes de contrôle judiciaire, ni des normes en matière d’appel, lorsqu’il est question d’appels administratifs. Conformément à l’approche appuyant l’interprétation de l’intention du législateur et des lois, tout dépend de la question de savoir si l’arbitre en matière disciplinaire a raisonnablement interprété le paragraphe 33(1) des Consignes du commissaire. »

[36] Le paragraphe 33(1) des CC (griefs et appels) exige que le commissaire examine les allégations d’erreurs de fait ou de fait et de droit mixtes en examinant si la décision en appel était « manifestement déraisonnable » :

Décision du commissaire

33 (1) Lorsqu’il rend une décision sur la disposition d’un appel, le commissaire évalue si la décision qui fait l’objet de l’appel contrevient aux principes d’équité procédurale, est entachée d’une erreur de droit ou est manifestement déraisonnable.

[37] Comme il est mentionné dans plusieurs décisions de la Cour fédérale, le terme « manifestement déraisonnable » en vertu du paragraphe 33(1) est équivalent à la norme de common law de la décision manifestement déraisonnable (Smith c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 73, au para 56; Kalkat c. Canada (Procureur général), 2017 CF 794, au para 62).

[38] La CSC a parlé du degré de déférence à l’égard de la norme de la décision manifestement déraisonnable dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au para 57 :

La différence entre « déraisonnable » et « manifestement déraisonnable »* réside dans le caractère flagrant ou évident du défaut. Si le défaut est manifeste au vu des motifs du tribunal, la décision de celui-ci est alors manifestement déraisonnable […] Comme l’a fait observer le juge Cory dans Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, 1993 CanLII 125 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 941, à la p. 963, « [d]ans le Grand Larousse de la langue française, l’adjectif “manifeste” est ainsi défini : “Se dit d’une chose que l’on ne peut contester, qui est tout à fait évidente” ». Cela ne veut pas dire, évidemment, que les juges qui contrôlent une décision en regard de la norme du caractère manifestement déraisonnable ne peuvent pas examiner le dossier. Si la décision contrôlée par un juge est assez complexe, il est possible qu’il lui faille faire beaucoup de lecture et de réflexion avant d’être en mesure de saisir toutes les dimensions du problème […] Mais une fois que les contours du problème sont devenus apparents, si la décision est manifestement déraisonnable, son caractère déraisonnable ressortira.

[39] Tel que présenté dans Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 RCS 247, au para 52 [Ryan], « […] un défaut manifestement déraisonnable a été relevé, il peut être expliqué simplement et facilement, de façon à écarter toute possibilité réelle de douter que la décision est viciée ». Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1993] 1 RCS 941, aux p. 963-964, une décision manifestement déraisonnable est une décision qui doit être décrite comme « clairement irrationnelle » ou « de toute évidence non conforme à la raison ». La CSC ajoute, dans Ryan, qu’« [u]ne décision qui est manifestement déraisonnable est à ce point viciée qu’aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir » (para 52).

[40] Le CEE a noté que la question pertinente est de savoir s’il existe une analyse rationnelle ou défendable à l’appui de la décision et démontrant que celle-ci n’est pas manifestement irrationnelle, ce qui a été succinctement expliqué dans Victoria Times Colonist/Communications, Energy and Paperworkers, 2008 BCSC 109, au para 65).

[TRADUCTION] Au moment d’examiner le caractère manifestement déraisonnable, la Cour ne doit pas se demander si elle est convaincue par la justification de la décision du tribunal; elle doit simplement se demander si, pour évaluer la décision dans son ensemble, il existe une ligne d’analyse rationnelle ou tenable à l’appui de la décision, de sorte que celle-ci n’est pas clairement irrationnelle ou, selon la formulation dans Ryan, si la décision est si imparfaite qu’aucune retenue judiciaire ne peut justifier sa prise de position. Si la décision n’est pas clairement irrationnelle ou n’est pas viciée dans la mesure extrême décrite dans Ryan, on ne peut pas dire qu’elle est manifestement déraisonnable. C’est le cas, peu importe que la cour soit d’accord avec la conclusion du tribunal ou qu’elle estime que l’analyse est convaincante. Même s’il y a des aspects du raisonnement que la cour juge viciés ou déraisonnables, tant qu’ils n’affectent pas le caractère raisonnable de la décision prise dans son ensemble, la décision n’est pas manifestement déraisonnable.

[41] La norme du caractère manifestement déraisonnable empêche de réexaminer la preuve ou de rejeter les conclusions tirées par le décideur à partir de cette preuve. Une conclusion de fait n’est manifestement déraisonnable que si les éléments de preuve sont incapables de la soutenir (Colombie-Britannique (Workers Compensation Appeal Tribunal) c. Fraser Health Authority, 2016 CSC 25, au para 30).

[42] Une conclusion de fait fondée sur une preuve simplement insuffisante n’est pas manifestement déraisonnable (Conseil de léducation de Toronto c. Fédération des enseignants-enseignantes des écoles secondaires de lOntario, district 15 (Toronto), [1997] 1 R.C.S. 487, au para 44; Speckling c. Colombie-Britannique (WCB), [2005] BCJ no 270 (CA), au para 37).

[43] Le CEE reconnaît que l’appelant affirme que le Comité a violé son droit à l’équité procédurale en ne tenant pas d’audience sur les mesures disciplinaires; en fin de compte, la question demeure celle de savoir si l’appelant connaissait les arguments à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au para 56).

[44] Le CEE a expliqué que le décideur avait ou n’avait pas respecté les principes d’équité procédurale. S’il ne les a pas respectés, la décision est invalide et doit être annulée, sauf dans de rares cas où le résultat est inévitable même si la violation devait être corrigée (Mobil Oil Canada Ltd c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202, à la p. 228).

2. Question préliminaire

[45] Avant d’aborder le bien-fondé de l’appel de l’appelant, le CEE a examiné une question préliminaire concernant un document soumis en appel. Essentiellement, l’appelant a déposé un Formulaire d’évaluation pour promotion non signé pendant l’audience disciplinaire. Toutefois, à la fin de la période de présentation des observations, la version signée n’avait pas été retrouvée (dossier, p. 637, 790, 872). L’appelant a pu trouver la version signée et la déposer en preuve en appel (rapport, paragraphe 34).

[46] L’intimé s’est opposé au dépôt de la version signée, faisant valoir que l’appelant ne pouvait pas produire de nouveaux éléments de preuve en appel.

[47] L’intimé a convenu que l’appelant avait tenté d’obtenir la version signée entre le 24 avril 2018 et le 14 mai 2018, mais le Comité a confirmé que la période de présentation des observations avait pris fin le 19 juin 2018.

[48] Toutefois, l’appelant n’a jamais informé le Comité qu’il tentait d’obtenir une version signée.

[49] Le CEE a jugé le document recevable. L’alinéa 25(2)a) des CC (griefs et appels) stipule qu’aucun nouveau document ne peut être déposé en appel s’il n’a pas été fourni au décideur initial alors que l’appelant y avait accès (rapport, paragraphe 36) :

25 (2) L’appelant ne peut :

a) déposer un document qui n’a pas été fourni à l’auteur de la décision qui fait l’objet de l’appel si le document était à la disposition de l’appelant au moment où la décision a été rendue.

[50] La section 5.3.1.5 du chapitre II.3 du Manuel d’administration de la GRC, « Griefs et appels » (MA II.3) fait état de la restriction décrite à l’alinéa 25(2)a) des CC (griefs et appels) :

5.3.1.5. Si l’appelant soumet une argumentation écrite, il ne peut présenter aucun nouvel élément de preuve ni aucune nouvelle information qui n’a pas été présenté à l’intimé pendant les procédures précédant l’appel.

EXCEPTION : l’élément de preuve ou l’information n’était pas, et ne pouvait raisonnablement pas être, connu de l’appelant au moment où la décision écrite faisant l’objet de l’appel a été prise.

[51] Bien que cette disposition soit contenue dans la section des appels de décisions autres que celles d’un comité de déontologie, le CEE est d’avis qu’elle reflète l’intention des Consignes du commissaire et de la politique, aucun nouvel élément de preuve ne peut être déposé en appel, à moins que l’appelant n’en ait pas disposé au moment où la décision initiale a été rendue (rapport, paragraphe 37).

[52] Le CEE a accepté la preuve selon laquelle l’appelant a tenté à plusieurs reprises d’obtenir une version signée de son évaluation en vue d’une promotion. Il a été informé qu’il était impossible de la trouver dans son dossier personnel (rapport, paragraphe 37).

[53] Le CEE a laissé entendre que l’objectif de l’alinéa 25(2)a) est de s’assurer qu’une autorité ou un conseil en matière de déontologie dispose de tous les renseignements disponibles avant de prendre une décision et d’empêcher l’abus du processus d’appel en permettant l’admission en appel, sans explication, de preuves déjà disponibles (rapport, paragraphe 37).

[54] L’arrêt de la CSC R c. Palmer, [1980] 1 RCS 759 a déjà été mentionné par le CEE relativement à l’examen de nouveaux éléments de preuve en appel. Le contexte dans lequel il a été examiné était celui de déterminer si l’admission de cette nouvelle preuve était dans l’intérêt de la justice, si la preuve n’avait pas pu raisonnablement être produite à l’audience, si elle est pertinente à une question, si elle est crédible et, si elle est crue, s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’elle ait eu une incidence sur la décision du Comité (rapport, paragraphe 38).

[55] De l’avis du CEE, la nouvelle preuve satisfait à ce critère parce que l’appelant a tenté de l’obtenir avant la clôture de l’audience, mais il a été avisé qu’elle n’avait pas pu être trouvée. C’est en effet crédible parce qu’il s’agit d’un formulaire de la GRC signé par toutes les parties et que le Comité avait conclu qu’il ne pouvait donner qu’un poids limité à la version non signée (rapport, paragraphe 38).

[56] Le CEE a reconnu que la seule différence entre les deux documents était que le deuxième avait été signé par les parties; il ne contenait pas de nouveaux renseignements qui avaient été présentés au Comité.

MOTIFS D’APPEL

1. Le Comité a manqué à l’équité procédurale en ne tenant pas d’audience sur les mesures disciplinaires

A. Arguments de l’appelant

[57] L’appelant fait référence aux principes d’équité procédurale énoncés dans Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], afin de souligner que lorsque l’emploi d’un membre est en jeu, un niveau élevé d’équité procédurale est requis.

[58] L’appelant soutient en outre que le Comité l’a assuré qu’il y aurait une audience sur les mesures disciplinaires, mais qu’il a changé d’avis plus tard. Par conséquent, l’appelant laisse entendre qu’il s’agissait d’un manquement à l’équité procédurale parce qu’il s’attendait légitimement à ce qu’une audience sur les mesures disciplinaires ait lieu. L’appelant souligne qu’une lecture simple de la Loi sur la GRC et des Consignes du commissaire (déontologie) ne permet pas d’interpréter qu’un comité de déontologie peut contourner une audience sur les mesures disciplinaires.

B. Arguments de l’intimé

[59] L’intimé soutient que les procédures suivies par le Comité et les parties étaient explicites quant au fait qu’il n’y aurait pas d’audience sur les mesures disciplinaires. L’intimé souligne toutefois que l’appelant a confirmé qu’il renonçait à son droit de se faire lire les allégations et qu’il refusait de s’adresser au Comité par vidéoconférence.

[60] Par conséquent, le Comité a informé les parties qu’il trancherait la question des mesures disciplinaires (dossier, p. 638). Bien que le Comité aurait pu procéder autrement, l’intimé soutient qu’il ne fait aucun doute que l’appelant était tout à fait conscient que la prochaine étape était la décision écrite sur les mesures disciplinaires.

[61] Le 26 juillet 2018, le Comité a informé les parties qu’il travaillait toujours sur la décision (dossier, p. 492). Le 20 août 2018, le Comité a informé les parties que [TRADUCTION] « Le Comité prévoit être en mesure de rendre la décision sur les mesures prochainement, et sous réserve de tout commentaire, prévoit fournir la décision électroniquement par courriel » (dossier, p. 494).

[62] L’intimé affirme qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une audience devant un comité de déontologie et que, en l’espèce, l’appelant a eu amplement l’occasion de participer au processus.

C. Analyse du CEE

[63] Le CEE a cerné deux questions découlant de ce motif d’appel en ce qui concerne la détermination de la question de savoir si le Comité a manqué ou non à l’équité procédurale en ne tenant pas d’audience sur les mesures disciplinaires (rapport, paragraphe 42) :

  1. Était-il interdit à l’appelant de soulever ce motif en appel?
  2. Le Comité était-il tenu de tenir une audience en personne?

[64] En fin de compte, le CEE a déterminé que l’appelant n’avait pas le droit de soulever cette question en appel.

[65] Dans le cadre d’un examen détaillé, le CEE a cité Zündel c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [2000] 195 D.L.R. (4th) 399, (CAF) et a conclu que l’appelant aurait dû soulever cette question le plus tôt possible, surtout en raison de la nature procédurale de l’affaire (rapport, paragraphe 43).

[66] Le CEE a développé ce principe en se référant à Chrétien c. Canada (Procureur général), 2005 CF 925 [Chrétien]. La Cour fédérale a souligné que ce que la loi exige, ce n’est pas qu’un contrôle judiciaire soit entrepris immédiatement lorsqu’une partie à une procédure devant un décideur administratif a, par exemple, une crainte raisonnable de partialité de la part du décideur. La partie est plutôt tenue de présenter la question procédurale au tribunal le plus tôt possible « au lieu de ne sortir de son silence que si le résultat de l’instance ne lui est pas favorable » (Chrétien, para 44) (rapport, paragraphe 43).

[67] Le 18 juin 2018, l’appelant a renoncé à son droit de se faire lire les allégations et a refusé de s’adresser au Comité en personne, faisant valoir qu’il avait fourni au Comité une déclaration écrite (dossier, p. 1501).

[68] L’explication précédemment exprimée pour ce choix était que l’appelant attendait essentiellement des renseignements sur l’étape suivante et la décision sur les mesures disciplinaires (documents, p. 246-47).

[69] Le lendemain, le Comité a accusé réception du courriel de la représentante du membre et a indiqué qu’il irait de l’avant avec l’imposition de mesures disciplinaires (documents, p. 246). Les parties avaient clairement confirmé qu’il n’y avait pas d’autres observations.

[70] Le 26 juillet 2018, le Comité a fourni une mise à jour aux parties indiquant qu’il prévoyait rendre la décision à la fin du mois d’août (documents, p. 245). Le 20 août 2018, le Comité a indiqué qu’il prévoyait rendre sa décision sous peu et a demandé aux parties si leur client respectif renoncerait à son droit à la signification à personne. La représentante du membre a indiqué que l’appelant renonçait à son droit et que la décision pouvait lui être signifiée à elle (documents, p. 244).

[71] L’appelant n’a jamais demandé une audience en personne au sujet de l’étape des mesures disciplinaires. De plus, l’appelant n’a pas contesté l’avis du Comité selon lequel il allait rendre une décision sous peu.

[72] Dès le 18 juin 2018, il y avait eu des indications selon lesquelles le Comité ne tiendrait pas d’audience en personne. Cela a été confirmé le 26 juillet 2018, lorsque le Comité a annoncé son intention de rendre une décision écrite à la fin du mois d’août. Si l’appelant avait eu des préoccupations à ce sujet, il aurait dû les soulever devant le Comité à ce moment-là.

[73] Le CEE a donc conclu que l’appelant ne pouvait soulever la question de l’équité procédurale en ce qui concerne l’absence d’audience en personne sur les mesures disciplinaires après le fait (rapport, paragraphe 45).

[74] En faisant référence à l’analyse du CEE dans le rapport C-2020-012 (C-047), le CEE souligne que l’équité procédurale ne dicte pas qu’une audience en personne est nécessaire dans tous les cas où une audience disciplinaire a été amorcée (rapport, paragraphe 46).

[75] Dans cette affaire, le CEE a déterminé que la Loi sur la GRC et les Consignes du commissaire (déontologie) permettent à un comité de déontologie d’adapter son processus tant que l’équité procédurale est respectée. Il a également déterminé qu’il pourrait y avoir des cas où les observations écrites sur les procédures sont suffisantes et suffisamment efficaces pour permettre au membre de présenter adéquatement les arguments nécessaires pour protéger ses intérêts en jeu (rapport, paragraphe 46).

[76] Le CEE a ajouté que cette explication est mise en évidence dans les principes énoncés dans Baker, où la CSC a conclu qu’une audience de vive voix n’est pas toujours nécessaire pour assurer une audience équitable et l’examen des questions en cause. L’obligation d’équité a un caractère souple qui, à son tour, reconnaît qu’une participation significative peut se produire de diverses façons, adaptable à des situations variées (rapport, paragraphe 46).

[77] Dans Baker, la CSC a précisé que la possibilité offerte à l’appelante de produire une documentation écrite complète relativement à tous les aspects de sa demande remplit les exigences en matière de droits de participation que commandait l’obligation d’équité dans cette affaire.

[78] Même si le CEE avait conclu que l’appelant pouvait soulever la question en appel, le président a conclu que la décision du Comité de procéder sans tenir d’audience n’a pas empêché l’appelant de bénéficier d’une procédure équitable. La représentante du membre a indiqué que son dossier était complet et que l’appelant avait refusé de s’adresser au Comité en personne (rapport, paragraphe 47).

D. Analyse de la commissaire

[79] Je suis d’accord avec le CEE sur les deux questions qui découlent de ce motif. Je serai donc brève.

a) Une question pouvant être résolue par le tribunal peut-elle être portée en appel?

[80] Tel qu’il est expliqué dans Newfoundland Telephone Co c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 RCS 623, au para 40, l’appelant a le droit d’être traité équitablement lorsqu’il comparaît devant une commission administrative de cette nature. Il s’agit d’un droit indépendant et sans réserve bien établi en droit. S’il y a eu déni du droit à une audience équitable, la décision subséquente du tribunal ne peut pas y remédier.

[81] L’équité procédurale est un aspect essentiel de toute audience devant un tribunal et ne doit pas être sacrifiée dans l’intérêt de la célérité.

[82] Les tribunaux ont généralement adopté l’opinion selon laquelle l’équité procédurale est enchâssée dans toute audience devant un tribunal et constitue un aspect essentiel de la procédure. L’appelant a participé pleinement à l’audience, a répondu à temps et a exprimé ses préoccupations au fur et à mesure qu’elles se présentaient. En ne s'opposant pas à l'absence d'audience en personne malgré de nombreuses occasions de le faire, l'appelant a implicitement renoncé à son droit de s’y opposer après coup.

[83] Je reconnais que même une renonciation implicite à une objection devant un arbitre dans les premières étapes suffit à invalider une objection ultérieure (Re Thompson and Local 1026 of International Union of Mine, Mill and Smelter Workers et al. (1962), 35 DLR (2d) 333 (CA du Manitoba); Bateman c. McKay et al., [1976] 4 WWR 129 (Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan).

[84] Il suffit de dire que le fait de poursuivre la procédure sans s'y opposer constituait, à mon avis, un acquiescement de la part de l'appelant à la présentation d'observations écrites au lieu de la tenue d'une audience en personne concernant les mesures disciplinaires. Enfin, comme l’a également souligné le CEE, l’appelant n’a pas contesté la déclaration du Comité selon laquelle il rendrait une décision [TRADUCTION] « sous peu ».

[85] Bref, l’appelant ne peut pas soulever cette question en appel alors qu’il a eu amplement l'occasion de le faire à l'audience.

b) Le Comité était-il tenu de tenir une audience en personne?

[86] Pour commencer, je note que le rapport C-2020-012 du CEE (C-047) cité par le CEE se distingue de l’affaire dont je suis saisie (rapport, paragraphe 46). Même si les principes juridiques sont les mêmes, le comité de déontologie n’avait jamais informé les parties, avant de rendre sa décision sur les allégations, qu’il n’y aurait pas d’audience. Bien que la Loi sur la GRC et les Consignes du commissaire (déontologie) permettent aux comités disciplinaires de modifier raisonnablement les processus et les procédures des audiences disciplinaires à condition que l’équité procédurale ne soit pas compromise, il n’est pas courant de procéder à une décision sur des allégations sans audience devant un comité de déontologie en l’absence d’une admission par le membre visé ou de la présentation d’un exposé conjoint des faits. Cependant, en l’espèce, la question est de savoir si des arguments oraux sur les mesures disciplinaires étaient nécessaires.

[87] Le paragraphe 45.1(2) de la Loi sur la GRC précise quand et comment une audience peut être limitée au public ou à huis clos :

Audiences publiques

45.1(2) Les audiences sont publiques; toutefois, le comité de déontologie, de sa propre initiative ou sur demande de toute partie, peut ordonner que toute partie de l’audience soit tenue à huis clos s’il estime :

a) que des renseignements dont la communication risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la défense du Canada ou d’États alliés ou associés avec le Canada ou à la détection, à la prévention ou à la répression d’activités hostiles ou subversives seront probablement révélés au cours de l’audience;

b) que des renseignements risquant d’entraver le contrôle d’application de la loi seront probablement révélés au cours de l’audience;

c) que des renseignements concernant les ressources pécuniaires ou la vie privée d’une personne dont l’intérêt ou la sécurité l’emporte sur l’intérêt du public à l’égard de ces renseignements seront probablement révélés au cours de l’audience;

d) par ailleurs, que les circonstances exigent une telle mesure.

[88] En utilisant le terme « publiques », la Loi sur la GRC actuelle ne fait pas référence aux parties dans une instance, mais aux membres non participants du public. La Loi sur la GRC actuelle a modifié le paragraphe 45.1(14) précédent. Cette interprétation est appuyée par le fait que le paragraphe 45.1(2) autorise un comité de déontologie à tenir l’audience « à huis clos » dans des circonstances précises; c’est-à-dire que la procédure disciplinaire doit être publique, sauf dans des circonstances exceptionnelles.

[89] Je passe maintenant aux Consignes du commissaire (déontologie), à lire en parallèle avec la Loi sur la GRC, qui dit qu’un comité de déontologie peut, en l’absence du témoignage de témoins, rendre une décision fondée uniquement sur le dossier :

Décision sur les éléments au dossier

23 (1) Lorsqu’aucun témoignage n’a été entendu relativement à une allégation, le comité de déontologie peut rendre une décision à l’égard de celle-ci en se fondant uniquement sur les éléments au dossier.

[90] La maxime audi alteram partem ne signifie pas qu’une audience de vive voix est toujours nécessaire. Le régime de déontologie actuel, en vigueur depuis le 28 novembre 2014, a supprimé de la Loi sur la GRC le droit des parties à une audience traditionnelle dans tous les cas.

[91] Le processus d’audience disciplinaire ne prescrit pas une audience de vive voix dans chaque cas, comme l’expliquent les Consignes du commissaire (déontologie) :

Conduite de l’instance

13 (1) Le comité de déontologie mène l’instance avec célérité et sans formalisme en tenant compte des principes d’équité procédurale.

Adaptation des règles de procédure

(2) Il peut adapter les présentes règles de procédure en tenant compte de l’équité procédurale.

[…]

Documents à remettre par le membre

15(3) Dans les trente jours suivant la date de la signification au membre visé de l’avis prévu au paragraphe 43(2) ou dans le délai fixé par le comité, le membre visé remet à l’autorité disciplinaire et au comité :

a) un écrit dans lequel il admet ou nie chaque contravention alléguée au code de déontologie;

b) toute observation écrite qu’il souhaite présenter;

c) tout élément de preuve, document ou rapport, autre que le rapport d’enquête, qu’il compte présenter ou invoquer à l’audience.

[…]

Enregistrement

22 L’audience est enregistrée. Si la partie qui interjette appel de la décision du comité de déontologie le demande, une transcription de l’enregistrement est faite et lui est remise.

Décision sur les éléments au dossier

23 (1) Lorsqu’aucun témoignage n’a été entendu relativement à une allégation, le comité de déontologie peut rendre une décision à l’égard de celle-ci en se fondant uniquement sur les éléments au dossier.

[Non souligné dans l’original.]

[92] Une « audience » n’est pas toujours « de vive voix ». La justice naturelle et l’équité n’exigent pas la tenue d’une audience de vive voix dans tous les cas. Il peut y avoir des cas où les procédures écrites sont tout à fait suffisantes pour permettre à la personne de présenter adéquatement les arguments nécessaires pour protéger ses intérêts en jeu.

[93] L’obligation d’équité a un caractère souple qui, à son tour, reconnaît qu’une participation significative peut se produire de diverses façons, adaptable à des situations variées. La CSC a conclu dans Baker que la possibilité offerte à l’appelante de produire une documentation écrite complète relativement à tous les aspects de sa demande remplit les exigences en matière de droits de participation que commandait l’obligation d’équité. Comme le résume Guy Régimbald, Canadian Administrative Law, 2e éd. (LexisNexis, 2015), à la p. 298 :

[TRADUCTION]

Il existe de nombreuses formes d’audiences, certaines peuvent être orales avec des procédures semblables à celles des tribunaux, tandis que d’autres peuvent être écrites seulement. Tout dépend des conditions requises par la loi, du mandat prévu par la loi, des principes de justice fondamentale et des règles d’équité procédurale. Tant que l’audience permet aux parties de communiquer leurs points de vue de façon équitable et leur permet de recueillir les renseignements nécessaires, l’audience sera suffisante.

[Non souligné dans l’original.]

[94] Dans Behnke c. Canada (ministère des Affaires extérieures), [2000] ACF no 1166, la Cour fédérale a noté qu’en déterminant si une audience de vive voix est nécessaire dans un cas donné, les circonstances suivants sont prises en compte :

  • l’affaire est complexe;
  • l’affaire soulève des questions d’intérêt public qui sont nouvelles et une audition orale faciliterait grandement la tâche de la Cour;
  • l’affaire requiert l’appréciation de la crédibilité des témoins et la présentation d’une argumentation juridique exhaustive;
  • les parties sont incapables de présenter adéquatement leurs arguments par écrit;
  • l’affaire est urgente et peut être tranchée plus rapidement si une audition orale est prescrite;
  • un si grand nombre de personnes sont intéressées à une affaire que la tenue d’une audience permettrait d’éviter une procédure par ailleurs lourde.

[95] Enfin, dans Singh c. ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 RCS 177, aux p. 213-214, la CSC a souligné que lorsque la crédibilité de la personne concernée est une question centrale, une audience orale est généralement requise :

Je pense en particulier que, lorsqu’une question importante de crédibilité est en cause, la justice fondamentale exige que cette question soit tranchée par voie d’audition […] Je puis difficilement concevoir une situation où un tribunal peut se conformer à la justice fondamentale en tirant, uniquement à partir d’observations écrites, des conclusions importantes en matière de crédibilité.

2. Le Comité n’a pas évalué la crédibilité des auteurs des lettres d’appui

A. Arguments de l’appelant

[96] L’appelant insiste sur le fait que, parce qu’il y avait des éléments contradictoires dans les lettres du sergent d’état-major D, du caporal BW et du caporal WC et déposées par la représentante du membre et la représentante de l’autorité disciplinaire, le Comité aurait dû ordonner aux témoins de témoigner.

[97] Les éléments contradictoires portaient sur la raison pour laquelle l’appelant avait été transféré à une autre équipe. L’appelant explique que, parce qu’il s’est appuyé sur les lettres, le Comité aurait dû mener une évaluation de la crédibilité des auteurs des lettres (dossier, p. 509-512). Voici ce qu’a indiqué l’appelant dans ses arguments :

[TRADUCTION]

[10] Le représentant de l’appelant s’appuie sur la décision rendue dans Yu c. Canada (Service correctionnel), 2011 CF 38 (CanLII) quant au principe selon lequel l’omission de tirer des conclusions de crédibilité a une incidence sur l’équité procédurale (souligné par le représentant de l’appelant) :

[26] Outre une enquête consciencieuse, l’équité procédurale exigeait également que la décision transmise au détenu soit suffisamment motivée […]

[27] En l’espèce, la question de la crédibilité revêt une importance essentielle, tant celle du demandeur que celle des employés de l’établissement de Matsqui. Or, sur la question de la crédibilité, le sous-commissaire principal ne dit pas un mot. Sur ce plan, ses motifs sont donc insuffisants.

B. Arguments de l’intimé

[98] Selon l’intimé, le Comité dispose d’une grande latitude pour ce qui est d’accepter les éléments de preuve pertinents et a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le poids à accorder à ces éléments de preuve.

[99] L’intimé soutient que si l’appelant était avait eu connaissance de problèmes de crédibilité ou du fait que les lettres contenaient de faux renseignements, il aurait pu appeler ces témoins à témoigner. L’appelant n’a jamais demandé que les auteurs des lettres soient appelés à témoigner (dossier, p. 640-642).

Analyse du CEE

[100] Le CEE a déterminé que l’argument de l’appelant, selon lequel l’omission alléguée du Comité d’évaluer la crédibilité des auteurs des lettres d’appui en présence d’éléments contradictoires constitue une erreur susceptible de contrôle, ne peut pas être retenu (rapport, paragraphe 50).

[101] Tout d’abord, compte tenu des observations de la représentante du membre sur les mesures disciplinaires dont le Comité était saisi, ce dernier était au fait des questions relatives à la lettre du sergent d’état-major D, ainsi qu’aux lettres du caporal BW et du caporal WC. La représentante du membre a présenté de longues observations sur la crédibilité de la lettre du sergent d’état-major D. Toutefois, elle n’a jamais demandé que ces membres témoignent devant le Comité (rapport, paragraphe 50).

[102] Le CEE a noté que l’appelant soutient que le Comité aurait dû appeler ces membres à témoigner, mais qu’une certaine responsabilité incombe aux parties. Conformément à l’article 18 des Consignes du commissaire (déontologie), les parties doivent fournir une liste des témoins dans les 30 jours suivant la date de signification de l’avis d’audience. À partir de cette liste, un comité de déontologie établit une liste des témoins qu’il va entendre et fournit les raisons pour lesquelles il accepte ou refuse tout témoin demandé par une partie.

[103] Deuxièmement, bien qu’une audience soit nécessaire pour évaluer les graves questions de crédibilité telles qu’elles ont été examinées dans Singh c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 1 R.C.S. 177 [Singh], ce n’était pas le cas en ce qui concerne les lettres du sergent d’état-major D, du caporal BW et du caporal WC.

[104] En ne demandant pas que les auteurs des lettres soient appelés à témoigner, l’appelant n’a laissé au Comité aucune autre option que d’évaluer lui-même le poids à accorder aux lettres. Quoi qu’il en soit, je suis d’accord avec le CEE pour dire que le Comité a accordé peu de poids aux lettres et a expliqué clairement pourquoi il l’a fait (rapport, paragraphe 51).

[105] Le Comité a noté que la preuve au dossier montrait que l’appelant avait obtenu un [TRADUCTION] « nouveau départ » au sein d’une nouvelle équipe, mais qu’en deux quarts de travail, il avait déjà menti à son superviseur (dossier, p. 193). Ce fait a été admis par l’appelant. Selon le Comité, les différents comptes rendus du transfert de l’appelant n’étaient pas pertinents pour déterminer les mesures disciplinaires et, par conséquent, il a accordé peu de poids aux lettres (rapport, paragraphe 51).

D. Analyse de la commissaire

[106] Je suis d’accord avec l’analyse du CEE concernant Huang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940 [Huang], où la Cour fédérale a réitéré le principe exprimé dans Ferguson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067 [Ferguson], concernant l’interaction entre le poids, la suffisance et la crédibilité de la preuve.

[107] Comme la indiquée la Cour fédérale, lorsque le juge des faits évalue le poids et le caractère suffisant de la preuve, il « déclare simplement que la preuve qui a été présentée n’a pas de valeur probante suffisante, soit en elle-même, soit combinée aux autres éléments de preuve, pour établir, selon la prépondérance de la preuve, les faits pour lesquels elle est présentée » (Ferguson, au para 27). Dans Huang, la Cour fédérale a réitéré, au para 44 :

Le juge des faits peut très bien évaluer le poids et la valeur probante des éléments de preuve sans en examiner au préalable la crédibilité (Ferguson, au para 26). Cela se produira lorsque le juge des faits estime qu’on doit accorder peu ou pas de poids à la preuve, même si celle-ci a été considérée comme fiable.

[108] Cela arrive nécessairement lorsque le juge des faits estime que la crédibilité n’est pas essentielle parce que la preuve ne se verra accorder que peu de poids, voire aucun, même si elle était considérée comme étant une preuve fiable.

[109] Par exemple, la preuve de tiers qui n’ont pas les moyens de vérifier de façon indépendante les faits au sujet desquels ils témoignent, se verra probablement attribuer peu de poids, qu’elle soit crédible ou non.

[110] Lorsque le juge des faits évalue la preuve de cette manière, aucune décision nest rendue en fonction de la crédibilité de la personne qui fournit la preuve. Au lieu de cela, le juge des faits dit simplement que la preuve présentée na pas une valeur probante suffisante, en soi ou avec les autres éléments de preuve, pour établir, selon la prépondérance des probabilités, le fait pour lequel elle a été présentée, ou que le fait est soit non pertinent, soit sans grande importance.

[111] Étant donné que le Comité a conclu en l’espèce que la raison du transfert initial n’était pas pertinente et qu’il y avait des preuves que la réaffectation de l’appelant à des fonctions administratives a eu une incidence sur le moral de l’équipe, je conclus que le Comité n’était pas tenu de rendre des conclusions sur la crédibilité des auteurs des lettres. Il incombait à l’appelant de demander la présence des témoins et de les interroger, comme l’explique l’analyse du CEE.

3. Le Comité a commis une erreur dans son évaluation des facteurs atténuants et aggravants et n’a pas respecté le principe de la parité des mesures disciplinaires

A. Arguments de l’appelant

[112] L’appelant croit que le Comité a accordé un poids excessif au fait de mentir à un superviseur et s’élève contre le poids accordé par le Comité aux facteurs atténuants proposés, aux lettres d’appui et à d’autres éléments. Selon l’appelant, même si le Comité a indiqué qu’un facteur aggravant va au-delà des actes contenus dans l’allégation, il a utilisé l’allégation de mensonge pour rejeter les facteurs atténuants : [TRADUCTION] « Le représentant de l’appelant soutient qu’il s’agit d’une erreur de principe que de rejeter les lettres d’appui incluses dans les observations du membre visé en raison de l’inconduite elle-même » (dossier, p. 513).

[113] En plus de ce désaccord au sujet de la répartition du poids, l’appelant ne précise pas ou n’explique aucunement en quoi le Comité a commis une erreur de principe dans la répartition du poids en ce qui concerne les facteurs atténuants proposés. Il souligne toutefois que le Comité met l’accent sur l’inconduite pour rejeter certains des facteurs atténuants proposés (dossier, p. 513-514) :

[TRADUCTION]

Les motifs du Comité sont fondés sur ce qu’il désigne comme : « le simple fait qu’il n’est jamais approprié de mentir à un superviseur » […] c’est-à-dire l’acte réel de l’inconduite, tout en omettant de donner un poids adéquat aux lettres d’appui.

[…]

Le représentant de l’appelant soutient que cette explication constitue une erreur de principe en raison d’une trop grande insistance sur les allégations en soi; et même si elle semble rendre les motifs cohérents, le représentant de l’appelant soutient qu’elle reflète en fait une approche de tolérance zéro à la tromperie.

[114] L’appelant souligne également sa déception devant l’incrédulité du Comité à l’égard de ses remords, et ce même si l’appelant a admis les allégations (dossier, p. 514). Enfin, l’appelant soutient que le Comité n’a pas respecté le principe de la parité des mesures et a commis une erreur en rejetant les précédents concernant les propositions conjointes en se fondant sur McBain c. Canada (Procureur général), 2016 CF 829 [McBain].

[115] Le CEE a noté que, dans McBain, la Cour fédérale a conclu que le principe selon lequel les propositions conjointes sur les sanctions doivent être respectées à moins d’être déraisonnables n’a pas été suivi par le comité d’arbitrage lorsqu’il a rejeté la proposition conjointe (rapport, paragraphe 56).

B. Arguments de l’intimé

[116] L’intimé soutient que le Comité n’a pas simplement rejeté les lettres d’appui et d’autres facteurs atténuants, mais qu’il a plutôt tenu compte de tous les éléments de preuve et du contexte dans lequel ils ont été fournis (dossier, p. 643). L’intimé affirme que, même si le Comité a accordé à la preuve un poids qui n’est pas celui que l’appelant aurait préféré, cela ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle (dossier, p. 643).

[117] De plus, le Comité a clairement expliqué pourquoi certains facteurs atténuants avaient reçu moins de poids; il n’a ni « essentiellement rejeté » ni « accordé aucun poids » aux lettres d’appui, comme l’a laissé entendre l’appelant (dossier, p. 513).

[118] En ce qui concerne la parité des mesures, l’intimé soutient que l’appelant applique mal McBain, en ce sens que le Comité n’a pas rejeté une proposition conjointe; il a plutôt indiqué que les cas comportant des propositions conjointes avaient moins de poids en raison du principe selon lequel les propositions conjointes ne peuvent pas être rejetées à moins d’être manifestement déraisonnables (dossier, p. 516).

C. Analyse du CEE

[119] Le CEE recommande le rejet de ce motif d’appel. Se référant à des affaires antérieures, le CEE a souligné que les comités de déontologie doivent faire preuve d’un degré de déférence important à l’égard de l’imposition de mesures disciplinaires (rapport, paragraphe 58).

[120] En ce qui concerne la norme de contrôle applicable, le CEE s’est concentré sur R c. Lacasse, [2015], 3 RCS 1089, où la CSC a expliqué la notion de déférence (rapport, paragraphe 58) :

Je reconnais que la présence d’une erreur de principe, l’omission de tenir compte d’un facteur pertinent ou encore la considération erronée d’un facteur aggravant ou atténuant peut justifier l’intervention d’une cour d’appel, et lui permettre d’évaluer la justesse de la peine et d’y substituer la peine qu’elle estime appropriée. Cependant, je suis d’avis que ce ne sont pas toutes les erreurs de ce genre, quel que soit leur impact sur le raisonnement du premier juge, qui autorisent une cour d’appel à intervenir. L’application d’une règle aussi stricte risquerait de miner la discrétion accordée au juge de première instance.

[…]

À mon avis, la présence d’une erreur de principe, l’omission de tenir compte d’un facteur pertinent ou encore la considération erronée d’un facteur aggravant ou atténuant ne justifiera l’intervention d’une cour d’appel que lorsqu’il appert du jugement de première instance qu’une telle erreur a eu une incidence sur la détermination de la peine.

[121] L’appelant affirme que le Comité a trop insisté sur les éléments de l’inconduite afin de rejeter les facteurs qui devraient servir à atténuer l’inconduite et à déterminer son niveau relatif de gravité (rapport, paragraphe 59).

[122] Le CEE a reconnu que le Comité a expliqué que les facteurs aggravants vont au-delà des allégations et n’a donc pas considéré le fait de mentir à un superviseur comme un facteur aggravant. Toute autre approche aurait été erronée. L’appelant réitère les conclusions du Comité et déclare qu’il n’est pas d’accord avec le poids que le Comité a accordé à chaque facteur (rapport, paragraphe 59).

[123] Deuxièmement, le Comité a expliqué pourquoi certains des facteurs atténuants proposés ont été moins importants et les conclusions sont étayées par les éléments de preuve au dossier. Même si l’appelant n’est pas d’accord avec les conclusions du Comité, il n’a pas fourni d’arguments à l’appui qui justifieraient l’annulation de la décision du Comité (rapport, paragraphe 60).

[124] Le CEE a conclu qu’en l’espèce, le Comité n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a déterminé que les précédents concernant les sanctions imposées en raison des propositions conjointes devaient avoir moins de poids.

[125] Le CEE a cité R c. Anthony-Cook, [2016] 2 RCS 204, où le juge de première instance a déterminé qu’une proposition conjointe n’était pas appropriée dans certaines circonstances lorsqu’elle était contraire à l’intérêt public (rapport, paragraphe 62).

[126] Toutefois, un comité de déontologie a toujours l’obligation d’imposer la sanction qu’il juge appropriée dans toutes les circonstances, même dans les cas où une proposition conjointe concernant la sanction est présentée (rapport, paragraphe 62).

[127] Le CEE a également souligné l’importance de telles affaires comme exemples utiles où la question de la parité des sanctions est traitée (CEE 3200-08-01 [D-122]) (rapport, paragraphe 62)

[128] Le CEE a déterminé que le Comité s’était conformé au principe de la parité des sanctions dans l’examen des affaires afin de déterminer quelle série de mesures disciplinaires s’appliquait aux allégations établies (rapport, paragraphe 62).

D. Analyse de la commissaire

[129] Je suis d’accord avec l’analyse du CEE.

[130] Les tribunaux ont constamment souligné l’importance du rôle des propositions conjointes concernant la peine ou la sanction (Rault c. Law Society of Saskatchewan, 2009 SKCA 81 [Rault]; R c. GWC, 2000 ABCA 333). Dans Rault, la Cour a déclaré (para 13) (rapport, paragraphe 61) :

[TRADUCTION]

En résumé, ces principes établissent qu’un juge de première instance est tenu d’examiner sérieusement une proposition conjointe sur la peine convenue par l’avocat, à moins que la peine ne soit inappropriée ou déraisonnable ou contraire à l’intérêt public; et il ne faut pas s’en écarter à moins qu’il y ait des raisons valables ou convaincantes de le faire.

[131] L’appelant soutient qu’il s’agissait d’une erreur de principe pour le Comité de faire les constatations suivantes :

[TRADUCTION]

(1) que le [TRADUCTION] « dossier sans fautes » de l’appelant n’était pas un facteur atténuant parce qu’il était une recrue ayant deux années d’expérience en période de stage;

(2) que l’évaluation en vue d’une promotion avait peu de poids parce que le caporal BW n’avait été le superviseur de l’appelant que pendant six semaines;

(3) que certaines des lettres d’appui indiquant que l’appelant a fait preuve de « diligence dans la prestation de services au public » n’avaient aucun poids parce qu’il s’agit de quelque chose d’« attendu ».

[132] L’appelant n’indique pas en quoi ces conclusions seraient une erreur de principe. Ces conclusions sont directement liées au poids accordé par le Comité aux facteurs atténuants et une grande déférence leur est due.

[133] Le poids accordé aux facteurs aggravants et atténuants ne fait pas partie du type d’erreurs révisables décrites dans Lacasse, comme l’a souligné le CEE (rapport, paragraphe 58). En l’absence d’une erreur identifiée dans Lacasse, je ne peux pas annuler une décision sur les mesures disciplinaires simplement parce que l’appelant n’est pas d’accord avec le poids que le Comité a accordé à un facteur particulier (rapport, paragraphe 59).

[134] Encore une fois, je dois au Comité un degré très élevé de déférence. Bien que je puisse évaluer la preuve, l’examiner et chercher à comprendre la répartition du poids, en l’absence d’une erreur susceptible de contrôle, mon rôle en appel n’inclut pas la réévaluation ou la redistribution de l’évaluation du Comité qui comprenait une analyse longue, complète et détaillée (voir, par exemple, la décision, para 385 à 490; le dossier, p. 292-307), qui a abouti à la conclusion suivante :

[TRADUCTION]

[490] Bien que l’argumentation de la RM2 plaide longuement sur le fait que le congédiement est disproportionné et punitif, la réalité est que les facteurs atténuants significatifs sont peu nombreux et que les facteurs aggravants substantiels sont nombreux, lorsque les actions et les explications du membre concerné sont soumises à un examen critique minimal.

[135] Le Comité était le mieux placé pour rendre cette décision qui, selon mon examen de la preuve, est étayée, intelligible et justifiable. En l’absence d’erreur manifeste et déterminante, je n’interviendrai donc pas.

4. Le Comité a commis une erreur en imposant une confiscation de la solde de 20 jours en plus du congédiement.

A. Arguments de l’appelant

[136] L’appelant fait valoir que la décision du Comité sur les mesures disciplinaires n’appuie pas l’interprétation selon laquelle le Comité impose une sanction pécuniaire au membre et la mesure disciplinaire supplémentaire de congédiement de la GRC.

[137] L’appelant soutient que le libellé pertinent utilisé par le Comité n’est pas ambigu en ce sens, en mettant particulièrement l’accent sur l’utilisation de [TRADUCTION] « sans ». Autrement dit, « sans » l’inconduite fondée sur la tromperie, une sanction financière aurait été appropriée.

[138] L’appelant insiste sur le fait que le Comité n’avait pas l’intention d’imposer à la fois une sanction pécuniaire et le congédiement (dossier, p. 1188); s’il telle était son intention, le mot « et » aurait été énoncé au début du paragraphe 507, et non le mot [TRADUCTION] « cependant » (dossier, p. 202).

B. Arguments de l’intimé

[139] L’intimé soutient que les mesures disciplinaires ordonnées par le Comité étaient dans les limites de sa compétence et, par conséquent, ne sont pas manifestement déraisonnables.

[140] L’intimé fait référence aux règles énoncées à l’alinéa 45(4)c) de la Loi sur la GRC, qui sont plus largement définies aux articles 3, 4 et 5 des Consignes du commissaire (déontologie) comme étant les autorités habilitantes permettant à un comité de déontologie d’imposer de multiples mesures disciplinaires.

[141] L’intimé soutient que le paragraphe 5(3) des Consignes du commissaire (déontologie) permet à un comité de déontologie d’imposer l’une des mesures visées au paragraphe 5(1) des Consignes du commissaire (déontologie), qui comprend l’alinéa 5(1)j), une sanction pécuniaire déduite du salaire du membre.

Imposition de mesures par le comité de déontologie

5(3) La personne désignée par le commissaire à titre d’autorité disciplinaire en vertu du paragraphe 2(3) de la Loi et le comité de déontologie peuvent imposer les mesures mentionnées au paragraphe5(1).

[142] L’intimé affirme que la capacité d’imposer plusieurs mesures sous la forme d’une confiscation de la solde en plus d’une ordonnance de démission est conforme à l’intention du régime de déontologie et qu’il n’y a pas d’erreur manifeste et déterminante dans le choix de la sanction par le Comité.

C. Analyse du CEE

[143] Le CEE a conclu que ce motif d’appel était fondé. Plus précisément, le CEE a déterminé que la question sous-jacente était de savoir si le Comité avait le pouvoir d’imposer à la fois une ordonnance selon laquelle le membre devait démissionner dans les 14 jours faute de quoi il serait congédiée, et une sanction pécuniaire équivalant à 20 jours de solde (rapport, paragraphe 65).

[144] Le CEE a examiné les dispositions suivantes, dans leur version anglaise, puisqu’elles étaient pertinentes et applicables à ce motif (rapport, paragraphe 65) :

[TRADUCTION DE LA VERSION ANGLAISE]

Paragraphe 45(4) de la Loi sur la GRC :

Mesures disciplinaires

(4) Si le comité de déontologie décide qu’un membre a contrevenu à l’une des dispositions du code de déontologie, il prend à son égard une ou plusieurs des mesures disciplinaires suivantes :

a) il recommande que le membre soit congédié de la Gendarmerie, s’il est sous-commissaire, ou, s’il ne l’est pas, le congédie de la Gendarmerie,

b) il ordonne au membre de démissionner de la Gendarmerie, et si ce dernier ne s’exécute pas dans les quatorze jours suivants, il prend à son égard la mesure visée à l’alinéa a); ou

c) il impose une ou plusieurs des mesures disciplinaires prévues dans les règle.

[145] Le CEE a souligné que l’introduction de l’article 45, notamment le paragraphe (4), est sans ambiguïté en ce sens qu’un comité de déontologie peut imposer une ou plusieurs des mesures mentionnées (rapport, paragraphe 66).

[146] Toutefois, l’utilisation du mot « ou » à l’alinéa 45(4)b) semblerait indiquer que le Comité ne peut pas imposer simultanément les mesures disciplinaires prévues aux alinéas a), b) et c) (rapport, paragraphe 66).

[147] Le CEE a expliqué que l’introduction du paragraphe 45(4) fait référence aux nombreuses mesures disciplinaires prévues au paragraphe 5(1) des Consignes du commissaire (déontologie) (confiscation de la solde, réprimande, rétrogradation, etc.) (rapport, paragraphe 66).

[148] Par conséquent, le CEE a conclu que l’interprétation la plus plausible fondée sur la disposition en soi serait que le Comité pourrait imposer soit un congédiement, soit une ordonnance de démission dans les 14 jours à défaut de quoi le membre serait congédié OU une ou plusieurs des mesures disciplinaires prévues dans les règles (rapport, paragraphe 66).

[149] Le CEE a également examiné la version française de cette disposition dans laquelle le « ou » n’est pas présent (rapport, paragraphe 67) :

Mesure disciplinaire

(4) Si le comité de déontologie décide qu’un membre a contrevenu à l’une des dispositions du code de déontologie, il prend à son égard une ou plusieurs des mesures disciplinaires suivantes :

a) il recommande que le membre soit congédié de la Gendarmerie, s’il est sous-commissaire, ou, s’il ne l’est pas, le congédie de la Gendarmerie;

b) il ordonne au membre de démissionner de la Gendarmerie, et si ce dernier ne s’exécute pas dans les quatorze jours suivants, il prend à son égard la mesure visée à l’alinéa a);

c) il impose une ou plusieurs des mesures disciplinaires prévues dans les règles.

[150] Le CEE a entrepris une évaluation complète de la section afin de déterminer si le Comité a en fait commis une erreur. Après avoir examiné les principes d’interprétation bilingue des lois, le CEE a noté que lorsqu’une version est ambiguë et que l’autre est claire et sans équivoque, le sens commun des deux versions serait a priori privilégié tel qu’il est établi dans une variété de cas, y compris, sans toutefois s’y limiter : R c. Daoust, 2004 CSC 6; R c. Côté, [1978] 1 RCS 8, à la p. 327; et R. c. Tupper, [1967] RCS 589 (rapport, paragraphe 68).

[151] Le CEE a cité R c. Dubois, [1935] RCS 378, et a expliqué le principe bien connu dans l’interprétation législative que, lorsque l’une des deux versions est plus générale que l’autre, le sens commun favoriserait le sens plus restreint ou limité (rapport, paragraphe 68).

[152] De plus, le CEE a précisé que la version anglaise serait l’interprétation la plus étroite parce qu’elle ne permet pas au Comité d’imposer le congédiement ET la confiscation de la solde (rapport, paragraphe 68).

[153] Le CEE a ajouté que cette interprétation serait également conforme à l’utilisation du mot [TRADUCTION] « toutefois » par le Comité. Voici la conclusion du Comité (rapport, paragraphe 69) :

[TRADUCTION]

En conclusion, compte tenu du mépris flagrant du membre visé à l’égard des directives à deux reprises, le Comité a conclu que l’allégation 1 est dans la fourchette des cas graves et impose une confiscation de la solde de 20 jours.

Toutefois, compte tenu des circonstances, la tromperie délibérée et répétée du membre visé constatée à l’allégation 3, à l’allégation 4 et à l’allégation 5, collectivement, rend intenable le maintien de son emploi à la GRC, et le Comité ordonne par les présentes au membre visé de démissionner de la GRC dans les quatorze jours, faute de quoi il sera congédié.

[154] Le CEE a conclu que le Comité ne pouvait pas imposer les deux mesures disciplinaires et que l’appelant devrait se faire rembourser ses 20 jours de solde perdus (rapport, paragraphe 70).

D. Analyse de la commissaire

[155] L’appelant soutient que, peu importe ce qui est permis en vertu des Consignes du commissaire (déontologie), le libellé clair de la décision du Comité sur les mesures ne soutient pas réellement l’interprétation de l’intimé selon laquelle le Comité a imposé une pénalité financière en plus de l’ordre de démission.

[156] L’intimé est d’avis que le paragraphe 5(3) des Consignes du commissaire (déontologie) permet à un comité de déontologie d’imposer l’une des mesures visées au paragraphe 5(1) des Consignes du commissaire (déontologie), qui comprend l’alinéa 5(1)j), sanction pécuniaire déduite du salaire du membre. Cela n’est pas contesté. L’accent demeure sur la question de savoir si une sanction financière et une directive de démission (ou de congédiement) peuvent être imposées simultanément.

[157] Voici le texte du paragraphe 5(3) des Consignes du commissaire (déontologie) :

Imposition de mesures par le comité de déontologie

5(3) La personne désignée par le commissaire à titre d’autorité disciplinaire en vertu du paragraphe 2(3) de la Loi et le comité de déontologie peuvent imposer les mesures mentionnées au paragraphe5(1).

[158] Ce texte fait référence aux mesures disciplinaires que le Comité a le pouvoir d’imposer en vertu du paragraphe 45(4) de la Loi sur la GRC.

[159] Si l’on examine le paragraphe 45(4) de la Loi sur la GRC d’un point de vue logique, il n’est pas logique que le Comité puisse imposer simultanément a) et b) (rapport, paragraphe 68). Il est donc évident que le paragraphe 45(4) est une liste énumérative d’options individuelles et mutuellement exclusives.

[160] De plus, je ne suis pas entièrement convaincu que le Comité avait l’intention d’ordonner une confiscation de la solde en plus de la cessation d’emploi.

[161] Il est assez évident que les options offertes au paragraphe 45(4) s’excluent mutuellement. Une explication plus détaillée m’amènerait à me tourner vers les mots « une ou plusieurs » utilisés au paragraphe 45(4), lesquels doivent être lus dans le sens où « ou plusieurs » renvoie à l’alinéa 45(4)c), les mesures disciplinaires qui sont « prévues dans les règles ».

(4) Si le comité de déontologie décide qu’un membre a contrevenu à l’une des dispositions du code de déontologie, il prend à son égard une ou plusieurs des mesures disciplinaires suivantes :

[…]

c) il impose une ou plusieurs des mesures disciplinaires prévues dans les règles.

[Non souligné dans l’original.]

[162] En somme, j’accepte que l’option d’imposer plus d’une mesure disciplinaire est offerte en vertu de l’alinéa 45(4)c) de la Loi sur la GRC, mais pas simultanément avec les mesures énoncées aux alinéas 45(4)a) et b).

RECOMMANDATION DU CEE

[163] Le CEE recommande que j’accueille partiellement l’appel en ce qui concerne la confiscation de la solde pour une période de 20 jours, mais que je rejette les autres motifs. Je suis d’accord.

DÉCISION

[164] J’accueille en partie l’appel relatif aux mesures disciplinaires. Même s’il a été jugé que l’appelant a enfreint le Code de déontologie en ce qui concerne l’allégation 1, peu importe l’intention du Comité, j’annule la confiscation de la solde pour une période de 20 jours et j’ordonne à l’intimé de s’assurer que l’appelant soit remboursé sans délai.

[165] L’alinéa 45.16(3)b) et le paragraphe 45.16(5) de la Loi sur la GRC me permettent d’imposer toute mesure disciplinaire pour remplacer celle qui a été annulée, pourvu que la mesure constitue une mesure que le Comité aurait pu imposer. Étant donné que le Comité a déterminé que les allégations 3, 4 et 5 ont également été établies et a conclu qu’elles empêchaient collectivement la poursuite de l’emploi de l’appelant à la GRC, j’ordonne que la mesure relative à l’allégation 1 fasse partie de la sanction globale initialement imposée par le Comité.

[166] L’appel est rejeté pour les autres motifs.

[167] Conformément à l’alinéa 45.16(3)a) de la Loi sur la GRC, je confirme l’ordre du Comité enjoignant à l’appelant de démissionner de la GRC dans les 14 jours, faute de quoi il serait congédié.

[168] Si l’appelant n’est pas d’accord avec ma décision, il peut faire appel à la Cour fédérale en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7.

 

 

 

Brenda Lucki

Commissioner

 

Date

 

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