Déontologie

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Protégé A

Dossier 202233815

2024 DAD 02

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GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

Dans l’affaire d’une

audience disciplinaire au titre de la

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC, 1985, ch. R-10

Entre :

Le surintendant Tyler Svendson

Autorité disciplinaire de niveau III

(autorité disciplinaire)

et

Le gendarme Cameron Lang

Numéro de matricule 66712

(requérant)

Décision du Comité de déontologie

Requête relative au respect des délais

Sara Novell, présidente du Comité de déontologie

Gina Lévesque, Comité de déontologie

Louise Morel, Comité de déontologie

mai 29, 2024

MM. Eric Blenkarn et Jon Hart, représentants de l’autorité disciplinaire

M. Gordon S. Campbell, représentant du requérant


INTRODUCTION

[1] Le gendarme Cameron Lang (le requérant) fait actuellement face à trois contraventions alléguées au code de déontologie de la GRC.

[2] Le 17 novembre 2023, par l’entremise de son représentant, le requérant a présenté une requête en rejet des allégations portées contre lui au motif que l’autorité disciplinaire a entamé le processus d’audience disciplinaire en dehors du délai prévu au paragraphe 41(2) de la Loi sur la Gendarmerie Royale du Canada, LRC, 1985, ch. R-10 [Loi sur la GRC].

[3] Pour les motifs qui suivent, la requête est accueillie et les allégations contre le requérant sont par les présentes rejetées, car elles sont prescrites.

CONTEXTE FACTUEL

[4] Le 11 mai 2021, le gendarme S.S. (le plaignant) a signalé à l’inspecteur Darren Carr, à son officier hiérarchique et à l’autorité disciplinaire de niveau II, que des commentaires racistes, sexistes et harcelants le ciblant lui ainsi que d’autres policiers et des membres du public, étaient tenus par des membres de son équipe de veille, en personne ainsi que sur le système de messagerie du terminal de données mobile (TDM) et dans un clavardage de groupe privé hébergé sur l’application de messagerie Signal (le clavardage de groupe sur Signal).

[5] Le 12 mai 2021, le surintendant principal Michel Legault, l’autorité disciplinaire de niveau III de la Division E désignée à l’époque, a pris connaissance du comportement allégué.

[6] Le 14 mai 2021, le surintendant principal Legault a ordonné la tenue d’une enquête relative au code de déontologie à l’égard des gendarmes Philip Dick et Ian Solven et de deux autres membres de l’équipe de veille.

[7] Le même jour, le requérant a rencontré l’inspecteur Carr pour lui-même faire état de sa participation au clavardage de groupe sur Signal.

[8] Le 20 mai 2021, le plaignant a fourni aux enquêteurs en déontologie une déclaration détaillant le comportement inapproprié.

[9] Le 11 juin 2021, les enquêteurs en déontologie ont présenté un rapport provisoire d’enquête relative au code de déontologie (premier rapport provisoire) à l’inspecteur Carr.

[10] Le 16 juin 2021, le surintendant principal Legault a reçu une copie du premier rapport provisoire. Par conséquent, le 17 juin 2021, il a ordonné la tenue d’une enquête relative au code de déontologie visant le gendarme Mersad Mesbah.

[11] Entre juillet 2021 et janvier 2022, les enquêteurs en déontologie ont examiné les messages du TDM.

[12] Le 28 avril 2022, les enquêteurs en déontologie ont exécuté un mandat de perquisition et ont extrait les messages du clavardage de groupe sur Signal du téléphone du plaignant.

[13] Le 13 mai 2022, les enquêteurs en déontologie ont terminé l’examen des messages du clavardage de groupe sur Signal.

[14] Le 26 mai 2022, la nouvelle autorité disciplinaire de niveau III de la Division E, le surintendant principal Steven Ing, a reçu le deuxième rapport provisoire.

[15] Le 2 juin 2022, le surintendant principal Ing a publié une lettre de mandat pour la tenue d’une enquête, demandant une enquête sur une allégation contre le requérant pour avoir tenu des propos racistes ou autrement offensants à l’égard de membres du public, contrairement à l’article 2.1 du code de déontologie de la GRC.

[16] Le 21 septembre 2022, les enquêteurs en déontologie ont remis au surintendant principal Ing le rapport final d’enquête sur la conduite du requérant.

[17] Le 29 mars 2023, la commandante de la Division O, la commissaire adjointe Jodie Boudreau, la nouvelle autorité disciplinaire pour le requérant, a émis un avis à l’officier désigné et a entamé une audience disciplinaire sur trois allégations contre le requérant :

Allégation 1 : Entre le 1er janvier 2019 et le 15 mai 2021, à Coquitlam ou à proximité de cette ville, dans la province de la Colombie-Britannique, [le requérant] a omis de traiter toute personne avec respect et courtoisie et s’est livré à du harcèlement en milieu de travail, en contravention de l’article 2.1. du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Allégation 2 : Entre le 1er janvier 2019 et le 15 mai 2021, à Coquitlam ou à proximité de cette ville, dans la province de la Colombie-Britannique, [le requérant] s’est comporté d’une manière susceptible de discréditer la Gendarmerie, en contravention de l’article 7.1 du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

Allégation 3 : Entre le 1er janvier 2019 et le 15 mai 2021, à Coquitlam ou à proximité de cette ville, dans la province de la Colombie-Britannique, [le requérant] n’a pas utilisé les biens fournis par l’État seulement pour les fins et les activités autorisées, en contravention de l’article 4.6. du code de déontologie de la Gendarmerie royale du Canada.

[18] Le 18 avril 2023, Mme Gina Lévesque a été nommée membre du Comité de déontologie pour déterminer si le requérant avait contrevenu aux dispositions du code de déontologie.

[19] Le 8 mai 2023, l’autorité disciplinaire a signé un avis d’audience disciplinaire, qui contenait les trois allégations susmentionnées. Il a été signifié au requérant, avec les documents à l’appui, le 16 mai 2023.

[20] Le 31 mai 2023, après avoir appris que les affaires relatives à la conduite des gendarmes Philip Dick, Ian Solven et Mersad Mesbah (les membres visés) avaient été soumises à un comité de déontologie différent, le représentant du requérant a demandé la tenue d’une conférence préparatoire à l’audience pour discuter de la possibilité que le même comité de déontologie instruise les quatre affaires disciplinaires, car elles étaient similaires au chapitre de la divulgation, des problèmes et des lieux.

[21] Le 7 juillet 2023, une conférence préparatoire à l’audience a eu lieu avec le représentant du requérant et le représentant de l’autorité disciplinaire pour discuter, entre autres choses, de la possibilité de réunir les quatre affaires disciplinaires et de les faire instruire ensemble devant le même comité de déontologie.

[22] Le 18 juillet 2023, la représentante du requérant a fourni à Mme Gina Lévesque un consentement à une procédure conjointe des membres visés et du requérant pour que leurs affaires disciplinaires soient instruites ensemble.

[23] Le 14 août 2023, conformément au paragraphe 43(1) de la Loi sur la GRC, nous avons été nommés membres du Comité de déontologie chargé de déterminer si les membres visés et le requérant ont contrevenu aux dispositions du code de déontologie.

[24] Le 25 septembre 2023, nous avons accueilli une requête en jonction des affaires disciplinaires des membres visés et du requérant et ordonné que leurs procédures disciplinaires soient instruites ensemble.

[25] Le 17 novembre 2023, le représentant du requérant a présenté une requête en radiation des allégations contre le requérant.

[26] Les représentants de l’autorité disciplinaire ont soumis leur réponse le 12 décembre 2023, et la réponse du requérant a été présentée le 20 décembre 2023. Les deux parties ont présenté de la jurisprudence et des éléments de preuve documentaire à l’appui de leurs observations respectives.

RÉSUMÉ DES ARGUMENTS DES PARTIES

[27] Le représentant du requérant demande le rejet de toutes les allégations contre le requérant en application du paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC. Il est d’avis que l’agent hiérarchique du requérant, l’inspecteur Carr, a pris connaissance des commentaires inappropriés qui auraient été faits par des membres de l’équipe de veille dans le clavardage de groupe sur Signal le 11 mai 2021, lorsque le plaignant a signalé le comportement et les commentaires discriminatoires allégués. Il soutient également que l’inspecteur Carr a été en outre informé de la participation du requérant au clavardage de groupe sur Signal le 14 mai 2021, lorsque le requérant a lui-même déclaré sa participation au clavardage. En ce qui concerne les messages du TDM, le représentant du requérant affirme que le délai de prescription a été déclenché lorsque les enquêteurs en déontologie ont examiné les messages du TDM entre janvier 2022 et mars 2022.

[28] Les représentants de l’autorité disciplinaire soutiennent que la période de prescription a pris fin lorsque le deuxième rapport provisoire a été remis à l’autorité disciplinaire de niveau III le 26 mai 2023. Comme l’avis à l’officier désigné a été déposé le 30 mars 2023, ils soutiennent que l’audience a débuté dans le délai prescrit. De plus, les représentants de l’autorité disciplinaire affirment que, même si le Comité de déontologie conclut que la période de prescription a pris fin le 13 mai 2023, lorsque les enquêteurs en déontologie ont examiné les messages du clavardage de groupe sur Signal, la période de prescription est toujours respectée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

[29] Le délai de prescription applicable à l’ouverture d’une audience disciplinaire est déclenché par la connaissance de l’autorité disciplinaire qui était chargée d’ouvrir une enquête ou d’enquêter sur l’inconduite alléguée. En effet, le paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC énonce ce qui suit :

L’autorité disciplinaire ne peut convoquer une audience, relativement à une contravention au code de déontologie qui aurait été commise par un membre, plus d’un an après que la contravention et l’identité du membre en cause ont été portées à la connaissance de l’autorité disciplinaire qui tient ou fait tenir l’enquête.

[Soulignement ajouté]

[30] Par conséquent, il est nécessaire de déterminer qui était l’autorité disciplinaire chargée d’ouvrir une enquête relative au code de déontologie et à la conduite du requérant et quand cette personne a appris que le requérant aurait contrevenu au code de déontologie.

Qui était l’autorité disciplinaire?

[31] Le commissaire est habilité à désigner des autorités disciplinaires en vertu du paragraphe 2(3) de la Loi sur la GRC. De plus, le commissaire a exercé ce pouvoir en vertu du paragraphe 2(1) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291, en désignant les personnes suivantes à titre d’autorités disciplinaires à l’égard des membres placés sous son commandement :

[…]

a) les membres commandant un détachement et les personnes qui relèvent directement d’un officier ou d’une personne occupant un poste de direction équivalent;

b) les officiers ou les personnes occupant un poste de direction équivalent;

c) les officiers commandant une division.

[32] Par conséquent, il incombe aux différents niveaux d’autorités disciplinaires de la chaîne de commandement d’un membre visé d’enquêter ou de faire en sorte que l’on enquête sur les allégations afin de déterminer si un membre visé a contrevenu au code de déontologie. Cela est reconnu au chapitre XII. 1 « Déontologie » du Manuel d’administration (version du 28 novembre 2019), point 4.1.1, qui traite de l’évaluation des renseignements alléguant une contravention au code de déontologie :

4.1.1 Lorsqu’on apprend qu’un membre aurait enfreint une disposition du code de déontologie, l’autorité disciplinaire au niveau le plus approprié par rapport au membre visé doit recevoir et étudier l’information dans le but d’évaluer et de déterminer les meilleurs moyens de traiter l’incident, ce qui peut comprendre le renvoi au prochain niveau d’autorité disciplinaire lorsqu’il est clairement établi, le cas échéant, que la contravention alléguée ne peut être traitée adéquatement par le présent niveau d’autorité disciplinaire.

[Soulignement ajouté]

[33] En l’espèce, le plaignant a rencontré l’inspecteur Carr pour lui signaler le comportement inapproprié qui se serait produit en personne et en ligne par l’intermédiaire du TDM et du clavardage de groupe sur Signal. Trois jours plus tard, le requérant a lui-même déclaré sa participation au clavardage de groupe sur Signal à l’inspecteur Carr, qui était son officier hiérarchique. Par conséquent, conformément au paragraphe 2(1) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291, l’inspecteur Carr était l’autorité disciplinaire de niveau II dans la chaîne de commandement du requérant.

[34] Les notes de l’inspecteur Carr révèlent que, dans les jours qui ont suivi le signalement initial du comportement allégué par le plaignant, il a examiné les renseignements dont il disposait et a décidé de soumettre l’affaire à l’autorité disciplinaire de niveau III[1]. Il semble qu’en renvoyant l’affaire au palier suivant, l’inspecteur Carr ait cru que si l’inconduite signalée était établie, elle serait mieux traitée par le palier supérieur de l’autorité disciplinaire désignée.

Quand une autorité disciplinaire a-t-elle pris connaissance de l’identité du requérant et des contraventions alléguées?

[35] Ce n’est pas nécessairement la connaissance de l’autorité disciplinaire qui a entamé l’audience disciplinaire qui déclenchera le calcul du délai de prescription dans un cas précis; il s’agit plutôt de la connaissance de l’autorité disciplinaire de la chaîne de commandement du membre qui a initialement reçu l’information selon laquelle un membre aurait contrevenu au code de déontologie. En effet, le paragraphe 40(1) de la Loi sur la GRC énonce ce qui suit :

40(1) Lorsqu’il apparaît à l’autorité disciplinaire d’un membre que celui- ci a contrevenu à l’une des dispositions du code de déontologie, elle tient ou fait tenir l’enquête qu’elle estime nécessaire pour lui permettre d’établir s’il y a réellement contravention.

[Soulignement ajouté]

[36] Par conséquent, il est nécessaire d’établir à quel moment une autorité disciplinaire du requérant a obtenu suffisamment d’information pour conclure que le requérant avait apparemment contrevenu à une disposition du code de déontologie. Cette question sera d’abord examinée pour le clavardage de groupe sur Signal, puis pour le TDM.

Clavardage de groupe sur Signal

[37] Le point 4 de l’allégation 1 et l’allégation 2 de l’avis d’audience disciplinaire portent sur l’affichage de commentaires désobligeants et/ou discriminatoires et d’une vidéo dans le clavardage de groupe sur Signal.

[38] Les représentants de l’autorité disciplinaire soutiennent que la connaissance requise des contraventions alléguées n’a été acquise que le 26 mai 2022, lorsque les enquêteurs en déontologie ont présenté le deuxième rapport provisoire à l’autorité disciplinaire de niveau III après l’achèvement de l’examen du TDM et des messages du clavardage de groupe sur Signal. Ils soutiennent que [traduction] « ce n’est qu’en enquêtant sur des milliers de messages que les enquêteurs ont découvert les détails nécessaires pour avoir la connaissance requise permettant d’entamer une procédure relative au code de déontologie[2] ».

[39] Nous ne sommes pas d’accord. Le paragraphe 40(1) de la Loi sur la GRC est clair. Une enquête est ordonnée lorsqu’il y a apparence de contravention à une disposition du code de déontologie. Il s’agit d’un seuil relativement bas. L’autorité disciplinaire n’a pas besoin de connaître tous les détails d’une contravention alléguée pour déclencher le délai de prescription; elle n’a besoin que de suffisamment d’information pour raisonnablement croire qu’une contravention au code de déontologie a apparemment été commise. Le but même d’une enquête est de recueillir les informations nécessaires et pertinentes qui permettront à l’autorité disciplinaire de prendre une décision éclairée sur la question de savoir si une contravention au code de déontologie a eu lieu selon la prépondérance des probabilités. La décision de l’autorité disciplinaire quant au moment d’ordonner une enquête, si elle la juge nécessaire, ne modifie en rien le délai de prescription d’un an pour entamer une audience disciplinaire. Ce délai de prescription commence lorsqu’une contravention présumée et l’identité du membre comme étant celui qui aurait commis la contravention sont devenues connues de l’autorité disciplinaire qui a enquêté sur la contravention ou qui a fait en sorte qu’elle fasse l’objet d’une enquête.

[40] Il n’était pas nécessaire que les autorités disciplinaires dans la chaîne de commandement du requérant sachent exactement ce que le requérant avait affiché dans le clavardage de groupe sur Signal pour avoir la connaissance requise d’une inconduite potentielle. Il fallait seulement qu’elles disposent de « suffisamment d’information pour avoir des motifs raisonnables de croire qu’une contravention au code de déontologie avait apparemment été commise » pour déclencher le délai de prescription[3].

[41] Nous concluons que l’inspecteur Carr a obtenu suffisamment d’informations selon lesquelles le requérant avait apparemment commis une contravention au code de déontologie en lien avec le clavardage de groupe sur Signal le 14 mai 2021, lorsque le requérant a déclaré lui-même sa participation au clavardage. En effet, dans son affidavit présenté à l’appui de la présente requête, le requérant explique :

[…]

J’ai révélé à l’inspecteur Carr que j’étais membre du [traduction] « clavardage de groupe [caviardé] », que j’avais contribué à ce que je croyais être du contenu offensant et que, par conséquent, je croyais avoir contrevenu au code de déontologie de la GRC. J’ai révélé à l’inspecteur qu’une partie du contenu partagé par d’autres membres était très offensante et j’ai donc voulu aussi remplir mon devoir de lui signaler cela. J’ai dit que je croyais que mes contributions n’étaient pas aussi offensantes que ce que d’autres avaient dit, mais que mes contributions [traduction] « ne feraient pas bonne impression[4] ».

[42] Au titre du paragraphe 40(1) de la Loi sur la GRC, à la suite de l’autodéclaration du requérant le 14 mai 2021, l’inspecteur Carr, en tant qu’autorité disciplinaire de niveau II pour le requérant, était tenu d’ordonner la tenue d’une enquête sur l’inconduite alléguée afin de déterminer si le requérant avait effectivement contrevenu au code de déontologie. Il ne l’a toutefois pas fait.

[43] Les représentants de l’autorité disciplinaire ont fourni un document intitulé [traduction] « Document de décision », daté du 17 octobre 2023, à l’appui de leur observation, dans lequel l’inspecteur Carr explique les raisons pour lesquelles il n’a pas ordonné la tenue d’une enquête sur l’inconduite du requérant :

[…]

· Le [11 mai 2021] [le plaignant] n’a pas formulé d’allégations précises concernant les actions de [le requérant]; en fait, il l’a décrit comme ayant eu une participation accessoire seulement au harcèlement et cela m’a amené à croire que [le requérant] était davantage une victime.

· Je savais qu’il y aurait beaucoup de travail à faire pour obtenir et examiner un certain nombre de sources d’information relativement aux messages envoyés.

· J’étais au courant le [13 mai 2021] que des enquêtes relatives au code de déontologie étaient ordonnées contre [les membres visés et deux autres membres] et qu’une autorité disciplinaire de niveau III serait assignée.

· [Le 14 mai 2021], lorsque j’ai rencontré [le requérant], je n’ai rien appris de nouveau de sa part, si ce n’est qu’il avait vécu des moments difficiles pendant sa [formation pratique des recrues], ce qui a renforcé ma conviction à l’époque qu’il était potentiellement un témoin tout au plus et un participant réticent dans le pire des cas.

[…]

[44] Premièrement, nous sommes d’accord avec le représentant du requérant pour accorder un poids minimal à ce « document de décision ». Comme l’a fait valoir le représentant du requérant, il ne s’agit pas d’un affidavit, mais plutôt d’un document de « justification non-simultanée ex post facto ». Deuxièmement, nous ne voyons pas comment les motifs fournis par l’inspecteur Carr justifient la décision de ne pas enquêter sur les actions du requérant alors que ce dernier a déclaré lui-même qu’il avait affiché un contenu offensant.

[45] Il semble que la participation du requérant ait été minimisée dès le début malgré l’absence de preuve à l’appui de cette position. En effet, dans ses notes, l’inspecteur Carr indique que le requérant « a participé au clavardage de groupe à un niveau réduit[5] ». De plus, il semble, d’après les motifs énumérés dans le « document de décision », que le requérant était initialement considéré comme un membre témoin.

[46] Ce n’est qu’une fois que tous les messages ont été examinés dans le cadre des enquêtes relatives au code de déontologie ordonnées contre les membres visés et après la rédaction du deuxième rapport provisoire le 26 mai 2022 que l’autorité disciplinaire de niveau III a réalisé l’étendue de la participation du requérant en tant que [traduction] « troisième participant le plus actif [dans] le clavardage, avec 814 messages [6] » et a ordonné la tenue d’une enquête sur sa conduite le 2 juin 2022. Même à ce moment-là, nous notons que la lettre de mandat d’enquête disciplinaire ne contient qu’une seule allégation; à savoir celle d’avoir tenu des propos racistes ou autrement offensants à l’égard de membres du public, en contravention de l’article 2.1 du code de déontologie. Aucune enquête n’a jamais été ordonnée pour les autres allégations concernant l’affichage d’une vidéo discriminatoire dans le clavardage de groupe sur Signal ou la mauvaise utilisation du TDM[7].

[47] Le fait que les différents niveaux d’autorité disciplinaire en l’espèce aient décidé dès le départ de ne pas enquêter sur le comportement du requérant ne change rien au fait que l’autorité disciplinaire de niveau II a été informée le 14 mai 2021, par le requérant lui-même, qu’il avait peut-être contrevenu au code de déontologie en affichant un contenu inapproprié dans le clavardage de groupe sur Signal. Par conséquent, nous sommes convaincus qu’à partir de ce moment, les autorités disciplinaires disposaient de « suffisamment d’information pour [la] contraindre à agir[8] ».

[48] Par conséquent, nous concluons que le délai de prescription pour l’allégation 1 en ce qui a trait aux messages affichés dans le clavardage de groupe sur Signal et pour l’allégation 2 a commencé le 14 mai 2021. Ainsi, puisque l’avis à l’officier désigné n’a été signifié que le 29 mars 2023, nous concluons que l’audience disciplinaire relative à ces allégations a été entamée en dehors de la période de prescription d’un an prévue au paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC.

TDM

[49] Le point 3 de l’allégation 1 de l’avis d’audience disciplinaire porte sur l’affichage de commentaires désobligeants et/ou discriminatoires sur le TDM et l’allégation 3 concerne l’utilisation abusive du TDM lors de l’affichage de ces messages.

[50] Le requérant précise que, contrairement aux commentaires affichés dans le clavardage de groupe sur Signal, il n’a pas autodéclaré d’inconduite relativement au TDM. Il explique :

[…]

Je n’ai pas autodéclaré de messages de clavardage sur le TDM, car je n’avais pas entendu dire qu’ils faisaient l’objet d’une enquête, et je ne pensais pas à ce moment-là avoir envoyé des messages préoccupants.

[…][9]

[51] Par conséquent, la date de début du délai de prescription pour les messages sur le TDM est différente de celle pour le clavardage de groupe sur Signal. Le représentant du requérant affirme que le délai de prescription a été déclenché « au plus tard en janvier 2022 » lorsque les enquêteurs en déontologie ont terminé leur examen des messages du TDM. Nous ne pouvons souscrire à cette position. En effet, la propre référence du représentant du requérant à la décision Phillips contredit cette position :

[180] Or, comme il a déjà été souligné, les paragraphes 40(1) et 41(2) de la nouvelle Loi sur la GRC stipulent que le délai prescrit d’un an commence à courir lorsque la contravention alléguée et l’identité de son auteur sont portées à la connaissance de l’autorité disciplinaire qui a tenu ou fait tenir l’enquête […][10]

[Soulignement ajouté]

[52] C’est l’autorité disciplinaire qui a besoin des connaissances requises pour déclencher le délai de prescription afin d’entamer une audience disciplinaire, et non les enquêteurs en déontologie. Par conséquent, il est nécessaire d’examiner à quel moment une autorité disciplinaire de la chaîne de commandement du requérant a eu connaissance de ses commentaires non professionnels dans le TDM.

[53] Le 11 mai 2021, lorsque le plaignant a initialement signalé à l’inspecteur Carr que des commentaires inappropriés étaient formulés dans le clavardage de groupe sur Signal, il a également déclaré que des messages non professionnels semblables étaient affichés dans le TDM. Le requérant a été mentionné à ce moment-là comme l’un des participants.

[54] Le 20 mai 2021, le plaignant a fourni une déclaration aux enquêteurs en déontologie. À plusieurs reprises durant son entrevue avec les enquêteurs, le plaignant a mentionné que les mêmes membres impliqués dans le clavardage de groupe sur Signal faisaient également des commentaires désobligeants ou discriminatoires dans le TDM.

[55] À la suite de la déclaration du plaignant, les enquêteurs en déontologie ont préparé le premier rapport provisoire le 11 juin 2021, qui a été remis à l’autorité disciplinaire de niveau II, l’inspecteur Carr, le même jour et à l’autorité disciplinaire de niveau III, le 16 juin 2021[11]. Dans ce rapport, les enquêteurs indiquent que le comportement inapproprié a eu lieu « en personne, dans le système de messagerie du TDM et dans un clavardage de groupe tiers[12] ». Les enquêteurs concluent leur rapport comme suit :

[…]

Veuillez également noter que, même si ce n’est pas précisé ci-dessus, le « clavardage de groupe » comptait douze participants. Cela comprenait [le plaignant], les quatre membres visés, le gendarme Mesbah et six autres gendarmes (qui sont des membres actuels ou anciens de la zone [caviardée]). Les gendarmes visés et le gendarme Mesbah étaient des administrateurs du groupe. Si la déclaration de [le plaignant] est exacte, alors six autres membres pourraient être coupables d’avoir omis de signaler un contenu manifestement raciste ou sexiste dans ce clavardage. Cela devra probablement être pris en considération une fois le contenu du clavardage examiné.

[…] [Soulignement ajouté]

[56] Il est intéressant de noter que les représentants des autorités disciplinaires ne font pas référence à ce rapport dans leur réponse à la présente requête. De plus, ils indiquent seulement que l’autorité disciplinaire de niveau III a pris connaissance de l’inconduite alléguée du requérant le 26 mai 2022, lorsque le deuxième rapport provisoire lui a été fourni.

[57] Aux fins de déterminer le délai de prescription prévu au paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC, la question est de savoir si une personne raisonnable conclurait qu’il y avait suffisamment d’information pour raisonnablement croire qu’une contravention au code de déontologie avait apparemment été commise[13]. Nous sommes convaincus que le critère de la personne raisonnable concernant les messages sur le TDM a été satisfait le 11 juin 2021, lorsque l’autorité disciplinaire de niveau II a reçu une copie du premier rapport provisoire.

[58] Nous concluons que, conjointement avec à la participation autodéclarée du requérant au clavardage de groupe sur Signal et au signalement initial de l’inconduite par le plaignant, le premier rapport provisoire a fourni aux autorités disciplinaires suffisamment d’informations pour conclure que le requérant, en plus d’avoir publié du contenu inapproprié dans le clavardage de groupe sur Signal, avait apparemment également fait des commentaires inappropriés dans le TDM. En effet, les enquêteurs en déontologie ont clairement indiqué que des membres de l’équipe de veille, autres que ceux qui faisaient l’objet de l’enquête, participaient également au clavardage de groupe sur Signal, et le plaignant a soutenu que des commentaires désobligeants étaient également formulés sur le TDM par les mêmes personnes qui publiaient des messages désobligeants dans le clavardage de groupe sur Signal. Nous sommes convaincus que l’autorité disciplinaire de niveau II disposait à ce stade-là d’informations suffisantes pour justifier l’ouverture d’une enquête visant à déterminer si le requérant avait réellement affiché un contenu inapproprié dans le TDM.

[59] Par conséquent, nous concluons que le délai de prescription pour l’allégation 1 concernant le TDM et pour l’allégation 3 a commencé le 11 juin 2021. Puisque l’avis à l’officier désigné n’a été signifié que le 29 mars 2023, nous concluons que le processus d’audience disciplinaire a été entamé en dehors de la période de prescription d’un an prévue au paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC.

[60] Il incombait à l’autorité disciplinaire d’établir que le délai de prescription a été respecté en l’espèce. Nous concluons que l’autorité disciplinaire ne s’est pas acquittée de ce fardeau.

CONCLUSION

[61] Pour ces motifs, la requête du requérant est acceptée.

[62] Nous concluons que le requérant a établi, selon la prépondérance des probabilités, que le délai de prescription d’un an pour entamer l’audience disciplinaire, tel qu’il est prescrit au paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC, n’a pas été respecté.

[63] Par conséquent, les trois allégations formulées à l’encontre du requérant dans l’avis d’audience disciplinaire sont prescrites.

[64] Conformément au paragraphe 25(2) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291, la présente décision prend effet dès qu’une copie est signifiée au requérant.

[65] La présente décision constitue la décision finale du Comité de déontologie et met fin à la procédure disciplinaire contre le requérant.

[66] Il est rappelé aux parties que l’article 45.11 de la Loi sur la GRC énonce les dispositions permettant d’interjeter appel de cette décision. En outre, les règles régissant un tel appel figurent dans les Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289.

 

 

Le 26 mars 2024

Sara Novell

Présidente du Comité de déontologie

 

Date

 

 

 

Le 26 mars 2024

Gina Lévesque

Comité de déontologie

 

Date

 

 

 

Le 26 mars 2024

Louise Morel

Comité de déontologie

 

Date

 



[1] Requête relative au respect des délais du gendarme Cameron Lang, datée du 17 novembre 2023, page 40 (notes manuscrites de l’inspecteur Carr).

[2] Observations des représentants de l’autorité disciplinaire, datées du 11 décembre 2023, au paragraphe 3.

[3] Commandant de la Division K et Phillips, 2018 DARD 20 [Phillips], au paragraphe 208.

[4] Affidavit du gendarme Cameron Lang sur la requête relative au délai de prescription, au paragraphe 17.

[5] Requête relative au respect des délais du gendarme Cameron Lang, datée du 17 novembre 2023, page 4 (notes manuscrites de l’inspecteur Carr).

[6] Deuxième rapport provisoire, daté du 26 mai 2022, à la page 6.

[7] Nous notons que les représentants de l’autorité disciplinaire ont indiqué à tort au paragraphe 15 de leur réponse à la présente requête que [traduction] « le 26 mai 2022, [caviardé] l’autorité disciplinaire de la division E a pris connaissance des comportements allégués du [requérant] et a ordonné une enquête relative au code de déontologie concernant deux allégations, en contravention des articles 2.1 et 7.1 du code de déontologie de la GRC ».

[8] Commandant de la Division nationale et Sergent Regan Douglas, 2018 DARD 5, au paragraphe 24.

[9] Affidavit du gendarme Cameron Lang sur la requête relative au délai de prescription, au paragraphe 20.

[10] Phillips, au paragraphe 180.

[11] Décision rendue concernant une demande de prolongation des délais en vertu de l’art. 47.4 (1) de la Loi sur la GRC dans l’affaire disciplinaire visant le gendarme Mersad Mesbah, non datée, aux alinéas 8 c) et d).

[12] Premier rapport provisoire, daté du 11 juin 2021, à la page 1.

[13] Phillips, au paragraphe 191.

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